La suite.
EcceAngelo a écrit :
Quatrième lettre à Doji Taehime
« L’arbre qui donne toutes ses fleurs au premier venu ne portera jamais de fruits. »
Guidée par le souffle de l’âme, la plume ne peut être trompée. Sa course révèle les moindres ébréchures du kharma, que la technique ne pourra jamais masquer.
Ma plume me rappelle inlassablement la vie que j’ai prise. Que je l’aie fait pour laver l’honneur de mes proches ne pardonne rien : prendre une vie c’est n’avoir pas été assez sage pour éviter de le faire.
A plusieurs reprises j’ai porté des coups qui ne visaient pas à épargner. A plusieurs reprises des vies ont été ôtées en ma présence. Ce sont là autant d’échecs, autant d’événements qui me rappellent la fragilité de mon vœu et le risque toujours présent de le rompre. Ce risque me hante sans cesse…
Aujourd’hui, Doji Tomoe a tenu à me faire le présent du ruban blanc des Asahina. Cette attention m’a profondément touché : alors que les portes des monastères Asahina me seront à jamais fermées, Tomoe-san m’a offert là la plus haute marque d’honneur qui pouvait m’être faite quant à mon vœu. Ce ruban est celui avec lequel les membres de la famille Asahina qui sont contraints de porter les armes scellent ces dernières afin de s’en interdire l’usage.
Et pourtant cet aspect du présent de Tomoe-san n’est pas le plus important : au-delà de l’honneur qui m’est fait par la famille Asahina, ce ruban incarne sa préoccupation à mon égard. Etant donné les tensions entre le Clan de la Grue et l’Aikokudantai, Tomoe-san craint que ma vie soit menacée. En m’offrant ce ruban, elle insiste pour me voir porter une arme en permanence.
La situation est évidemment délicate : ma lame ancestrale est un naginata, et le naginata ne se porte pas comme le katana : au côté et en toutes circonstances. Pourtant je ne peux refuser ce présent au sens doublement marqué…
Mais ce n’est pas là que mon récit doit reprendre : ceci se déroule à Shiro Shinjo, alors que la dernière lettre que je vous ai confiée s’arrêtait à Ryoko Owari… Beaucoup de choses se sont passées depuis cette lettre : nous en étions restés à des événements moins glorieux, à savoir le massacre du gouverneur Lion devant prendre fonction dans la Cité des Mensonges.
Nous avions organisé la surveillance des entrées de galeries susceptibles d’abriter les onis ayant perpétré ce massacre : c’est ainsi que nous sommes mis au fait de disparitions survenues dans le sud du marché de nuit. Nos informateurs nous indiquent avoir repéré des créatures étranges sortant d’un entrepôt situé sur les docks. L’entrepôt appartenait à Masaki, et est plus ou moins laissé à l’abandon depuis la défection de ce dernier.
Yukio, Nadeshiko et moi-même décidons de surveiller nous-même l’entrée de l’entrepôt la nuit suivante. Cette surveillance n’est pas vaine : la nuit-même nous voyaons en sortir quelques créatures qui se séparent en groupes de deux.
De loin, elles ressemblent à des vieillards, courbés et mal en point… Mais l’illusion ne dure pas. De près se révèle toute leur horreur : il s’agit d’humains atrocement déformés, aux traits saillants et munis de griffes et de dents acérées aux reflets métalliques.
Nous tentons de les suivre discrètement, conscients de notre impuissance face à leur nombre et leur force. C’est alors qu’arrive de l’autre extrémité de la rue un marchand dans sa chaise à porteurs. Avant que ses gardes n’aient pu réagir, les créatures leur bondissent dessus et les éventrent. En un instant, le marchand subit le même sort.
Yukio et Nadeshiko ne peuvent s’empêcher de voler à leur secours, malgré l’inutilité de leur geste. Nous étions de toute façon repérés : je ne pouvais rester en retrait, maudissant pourtant la stupidité de notre geste. Arrivée la première au contact, Nadeshiko se fait briser les côtes et mettre au tapis d’un coup par l’une des créatures. Yukio et moi tuons la deuxième, mais l’agresseur de Nadeshiko entretemps bondit vers moi… Heureusement, Yukio me sauve la vie s’interposant : la créature s’empale sur son yari bien calé.
Nous aurions pu nous en tirer honorablement, mais nous avions été repérés par un deuxième groupe de ces créatures souillées. Yukio et moi embarquons Nadeshiko tant bien que mal et nous mettons à courir, les créatures sur les talons. Elles sont plus rapides que nous, mais au moment où elles allaient nous rattraper, nous croisons une patrouille de gardes. En continuant à courir j’ai la présence d’esprit de leur hurler « Jade ! » et de leur lancer le mien… Mais c’était inutile : le temps que nous les dépassions les créatures les avaient déjà réduits en charpille. Nous n’avons gagné que quelques instants, mais ce sont des instants précieux, puisqu’ils nous auront permis de rejoindre un abri inespéré : le Temple du kami Bayushi.
Arrivés dans l’enceine, des moines nous accueillent, surpris. « Nous sommes poursuivis par des Onis ». A ces mots, ils courent avec nous à l’intérieur, et barricadent le Temple sans perdre un instant.
Je ne vous apprendrai rien, Taehime-sama, en vous disant que les activités qui occupaient les moines du Temple de Bayushi au moment où nous sommes entrés ne correspondaient pas vraiment à ce qu’on aurait pu en attendre. Vous qui avez fréquenté si souvent « ceux qui savent nager » voyez de quoi je veux parler sans que je n’aie besoin de m’étendre plus avant sur la question. Quoiqu’il en soit, nous avons préféré jouer la carte de l’apparence afin de ne pas mettre nos sauveurs mal à l’aise : c’est pourquoi nous avons simplement demandé à l’abbesse de pouvoir nous rendre dans une pièce attenante « afin de ne pas déranger les moines dans leurs prières ».
Le lendemain, alors que nous retournons à la demeure de l’Aikokudantai, nous sommes acceuillis par Ichi accompagné d’un membbre du Clan du Scorpion, Shosuro Takeru. Cet homme bien-portant et ayant un goût certain pour le luxe nous explique que certaines personalités locales du Clan du Scorpion ont reçu récemment la visite de Soshi Hanae, la magistrate censée être morte. Curieusement, ceux qu’elle a visité ne semblent pas s’être étonnés de parler à une morte. Vraisemblablement elle dispose d’un mystérieux pouvoir de persuasion, dont elle se sert pour inciter ses interlocuteurs à lutter politiquement contre la présence en ville du Clan du Lion.
Nos investigations se poursuivent, et c’est, curieusement, la veille de notre départ pour les Terres de la Licorne que Soshi Hanae est repérée, en l’occurrence chez Soshi Fuhito. Un homme de main de Takeru infiltré chez Fuhito l’a fait prévenir…
Lorsque nous entrons, nous découvrons effectivement Soshi Hanae, engoncée dans une cape sombre dont ne dépassent que des mains livides. Elle est en pleine discussion avec Fuhito. Afin de détourner son attention, et de permettre ainsi à Yukio et à Nadeshiko de l’attaquer, je lui lance : « Etes-vous toujours en contact avec Doji Katsuo ? ». Sa réponse est éloquente : « Tuez-le », et de contrôler par là les gardes Scorpion présents qui m’attaquent immédiatement.
Pendant ce temps, le sol s’effondre, elle s’y enfonce, mais Yukio saute à sa suite. Hanae l’accueille d’un revers en pleine machoire, mais Yukio parvient à lui porter un coup de yari dévastateur, tandis que Nadeshiko arrive et lui enfonce son tetsubo dans les côtes. Hanae parvient cependant à s’enfuir, lançant « On se reparlera » à Yukio et Nadeshiko, tandis que ses créatures empêchent les samourai-ko d’encore l’atteindre. Ces dernières dégagent violemment les créatures de Hanae et reviennent à la surface. Ce fut notre dernière confrontation avec Hanae avant un moment…
Il est maintenant temps pour nous de partir pour Shiro Shinjo…
Autant les terres de chaque Clan ont leurs spécificités, autant elles se ressemblent toutes en regard des terres du Clan de la Licorne. A croire que ces plaines choisies par Shinjo n’appartiennent déjà plus tout-à-fait à Rokugan.
Voir ces plaines infinies balayées par les quatre vents, c’est déjà comprendre ce qui a attiré les suivants de Shinjo au-delà des frontières de l’Empire. C’est déjà comprendre d’où leur vient cette soif de liberté, de chevauchées sauvages. C’est comprendre aussi l’impossibilité pour eux de rester longtemps au même endroit : ces plaines envoûtent ceux qui les voient, invitent à être parcourues indéfiniment.
Au fond, ceux qui s’étaient établis dans ces plaines n’ont pas eu le choix : la question n’était pas de partir, de sortir des frontières, mais de bouger, d’assouvir cette irrésistible soif de chevauchées et de découvertes que la terre elle-même a instillée en eux.
Nous remontons en bâteau jusqu’à la Cité de la Grenouille Riche (cité étrange, peuplée de marchands ronins et n’appartenant à aucun Clan), où nous prenons la route de terre. Le dernier village que nous visitons avant d’entrer sur les terres du Clan de la Licorne sera aussi le dernier village que nous visiterons avant d’arriver à la forteresse Otaku : sur les terres du Clan de la Licorne, nous ne verrons pratiquement aucun lieu de vie stable. L’immense majorité des lieux de rassemblement sont de temporaires agrégats de tentes.
La forteresse Otaku, qui ne sera pour nous qu’une étape, donne clairement le ton : l’architecture Licorne n’a pas grand chose avoir avec celle des autres Clans, et surtout, les usages en sont extrêmement différents. Par exemple, tous les murs sont en dur, et rarement composés de cloisons en papiez de riz : en conséquence, les Licornes n’ont pas le même usage de la discrétion. Tout ce qui est dit dans une pièce est dit publiquement à toutes les personnes présentes ; si une personne ne devait pas entendre quelque chose, il fallait qu’elle sorte de la pièce, là où de toute façon elle n’aurait rien entendu. De même, le lieu de cour est un lieu unique, à savoir une immense salle du château où l’on mange et où l’on dort, autour d’un grand feu.
Nous recevons des objets étranges en cadeau de la part de nos hôtes : mon présent, par exemple, consistait en un tube de bois bouché par deux bouts de cristal, qui fait apparaître les objets éloignés comme s’ils étaient proches. Ce qui est très étonant est que l’objet ne semble pas être magique, et pourtant son effet ne peut être expliqué que par la magie. De plus, un tel cadeau témoigne clairement de l’étonnante richesse du Clan de la Licorne : le cristal y semble largement plus courant que chez nous. Ils s’en servent notamment comme matériau de construction, ce qui serait inimaginable dans le reste de Rokugan. Par exemple, le cristal est utilisé pour éclairer l’intérieur des bâtiments : enchâssé dans les murs, ils permet à la clarté du jour d’y pénétrer ; recouvrant les bougies, il donne d’étonnants effets de lumière (les Licornes disposent de cristal coloré).
Nous repartons avec une sorte de grande escorte qu’ils appellent une caravane. Le principe de la « caravane » est le suivant : plutôt que de fournir quelques gardes à chaque groupe isolé qui part du château, ils organisent des départs groupés rassemblant tous les voyageurs se rendant dans une même direction. Le groupe de voyageurs, se rapprochant de la taille d’un petit corps d’armée, est ainsi plus facile à défendre et moins susceptible d’être attaqué en chemin. A la différence d’une escorte, même gigantesque, la « caravane » se compose et se recompose à chaque halte, mais ne cesse jamais de voyager. Contrairement à l’escorte, elle n’a ni de point de départ ni de point d’arrivée, mais uniquement des points de passage, des étapes dans sa course infinie.
Shiro Shinjo est encore plus impressionnant que la forteresse Otaku : il est entouré d’un mur de pierre pouvant englober une ville entière. Ce mur est entouré d’un fossé qu’on traverse grâce à un pont de bois retenu par d’énormes chaines. Le château est en grande partie entouré par une véritable ville de tentes, et bordé d’un côté par le Lac du Dragon, un lac d’une clarté exceptionnelle au fond duquel gisent les vestiges d’une ancienne cité naga.
Comme à la forteresse Otaku, les usages à Shiro Shinjo sont radicalement différents de ceux auxquels nous avons été habitués. Il ne s’agit pas simplement de quelques « excentricités », quelques points de détails amusants, comme on pourrait s’y attendre : ce sont nos repères eux-mêmes qui sont irrémédiablement brouillés. L’architecture elle-même induit de nouveaux usages, tout comme la cuisine, la disposition des pièces. Curieusement, c’est la culture qui nous rassemble, comme en témoigne par exemple notre attachement commun à l’honneur et à nos ancêtres.
Par exemple, l’entièreté de la cour est à tout moment rassemblée dans la salle du trône, en présence du Champion : si les Licornes suivaient les habitudes rokuganies en termes d’étiquette, cela signifierait que l’entièreté de la cour passerait sa journée face contre terre, tournés dans un même ensemble vers le Champion du Clan. L’étiquette est ici cohérente par rapport à la disposition du lieu : ceci est extrêmement curieux pour les nouveaux venus, mais il pas inconvenant, chez les Licorne, d’être en présence du Champion et de pourtant ne pas avoir son attention constamment et uniquement tournée vers lui. Les membres de la cour déambulent librement dans la salle du trône, discutent entre eux, forment des groupes d’affinité, et tournent régulièrement le dos au Champion sans que cela ne semble choquer personne. Les usages en matière de nourriture sont également fort déconcertants (outre le fait que les plats eux-mêmes soient tout aussi étranges) : alors que nous avons été habitués à isoler le moment du repas (la nourriture n’est consommée qu’au repas, qui a un début et une fin très codifiées), les Licornes ont constamment un verre à la main, souvent d’une boisson fermentée de leur spécialité (le repas proprement dit est cependant servi, comme nous en avons l’habitude, à un moment spécifique). Toujours concernant la salle du trône, sa disposition elle-même est assez inattendue : elle dispose d’une antichambre constituée d’un espace délimité par de lourdes tentures. Contrairement au papiez de riz, ces tentures ne laissent passer ni le bruit ni la lumière : on fait antichambre dans le noir et dans le silence ambiant. Face à tant de différences, face à un tel brouillage des repères, il est aisé de se laisser envahir par un puissant mal du pays : nous prenons rapidement conscience que tout ce qui nous rappelle le Rokugan que nous connaissons se résume aux effets que nous avons emportés avec nous.
Lorsque nous sommes introduits au Champion, Nadeshiko et moi-même préférons sagement laisser Yukio diriger les opérations, pendant que nous tentons de comprendre ce qui se passe. Shinjo Seng est à ce moment installé sur un trône massif où il est majestueusement assis et non agenouillé ; sa femme, Shinjo Shinoko (étonnamment robuste pour son âge) est à côté de lui, à même hauteur, mais mi-allongée mi-assise sur son propre trône. Si celui du Champion est dédié au pouvoir, celui de sa femme est lui conçu pour le confort.
Après avoir présenté nos respects au Champion et lui avoir offert notre cadeau, Yukio offre directement à Shinoko-sama, sans passer par son époux, le kimono que nous avions prévu pour elle. Curieusement, ici on ne s’agenouille pas face au Champion ; l’humilité est bel et bien présente, mais s’exprime par un autre geste : on s’incline en pliant le genou.
Alors que nous balayons la salle du regard, repérant les différents courtisans et nous demandant lequel doit être salué ensuite pour ne pas faire d’impair… la question se résout d’elle-même : nous sommes proprement harponnés par un membre du Clan du Renard, Kitsune Takahashi. Si les membres du Clan du Renard ressemblent tous à Takahashi, aucun doute ne peut subsister quant à la parenté entre eux et ceux qui ont suivi Shinjo… Candide, enthousiaste, infatigable et imperméable aux convenances, voilà l’image que nous donne ce samourai qui nous prend à peu de choses près dans ses bras pour nous acceuillir. Le moment est mal choisi pour lui consacrer beaucoup de temps, mais nous nous rattraperons largement par la suite, comme je vous le raconterai plus tard.
Nous faisons ensuite la connaissance de Yogo Reiko, puis de quelques Shiotome amies de Yukio. Nadeshiko en profite pour aller présenter ses respects aux membres de son Clan. C’est en faisant de même que je fais la connaissance des membres du Clan de la Grue présents ici : Doji Hitochi et Doji Tomoe.
C’est pour moi une véritable bouffée d’air que de rencontrer ces membres de mon Clan : pas tellement à cause du mal du pays, mais bien plutôt en regard des autres samourais de la Grue que j’ai eu l’occasion de rencontrer ces derniers temps. Pour tout vous dire, mes récentes interactions avec le Clan m’avaient fait sentir bien seul : entre Doro-sama, Hiraga Miyako, le Gaki et autres ronins Daidoji, et Doji Katsuo, celui qui semblait le plus proche des enseignements de Dame Doji s’est révélé être un Oni .
Doji Hitochi et sa fille, Doji Tomoe sont pour moi des rencontres précieuses : ils témoignent du fait qu’il est encore aujourd’hui des samourais au sein du Clan qui croient à la paix, et surtout croient qu’elle ne s’obtient pas par la guerre. Cette appréciation semble être réciproque : je vous ai déjà décrit, Taehime-sama, les attentions de Tomoe-san… Hitochi-sama a également manifesté son désir de discuter plus largement avec moi en privé, et le fait qu’il m’ait offert un parchemin reprenant ma généalogie exprime une attention envers ma personne qui ne peut qu’attiser ma curiosité.
Avant notre départ de Ryoko Owari, Nadeshiko et moi-même avions rendu visite à Kakita Kenjiro afin de nous renseigner sur les personnes que nous serions susceptibles de rencontrer à cette cour d’hiver. A cette occasion, Kenjiro-sama nous a mis en garde contre Otomo Retsu : ces mises en gardes étaient en-dessous de la réalité. Non qu’il soit plus dangereux que prévu, mais il fait feu de tout bois pour créer des dissensions entre les samourais présents. Malheureusement, si certains voient clairs dans son jeu, ce n’est pas le cas d’Akodo Koremitsu, le représentant officiel du Clan du Lion à cette cour d’hiver. Matsu Gentaro, représentant des factions rebelles, fait heureusement preuve de plus de subtilité, et surtout, d’une sincère ouverture à la diplomatie.
Akodo Koremitsu, comme nous l’a expliqué Kakita Kenjiro, est envoyé là sans aucun pouvoir de négociation : il est là pour faire de la figuration, l’attaque du Clan du Lion contre le Clan de la Licorne au printemps étant sans appel. Illustrant cela, une discussion a lieu entre Koremitsu, Gentaro, Reiko-sama, Hitochi-sama et moi-même, au fur et à mesure de laquelle Koremitsu, refusant d’argumenter, se laisse de plus en plus emporter par son énervement, jusqu’à tourner les talons et clore la discussion par son départ précipité. Il sera évidemment rejoint par Otomo Retsu, dont chacun peut deviner, sans les avoir entendus, les propos qui se sont tenus entre eux.
A côté de ce « côté cour », notre séjour à Shiro Shinjo sera également émaillé de passages plus légers…
Yukio-san a retrouvé à cette cour une vieille ennemie : Otaku Ruri. Les raisons de cette animosité me sont inconnues, mais elles semblent profondes et vivaces pour les deux Shiotome : Ruri a déjà ouvert les hostilités en tentant de gagner à sa cause les proches de Yukio. Heureusement pour Yukio, elle a encore du chemin à faire avant de parvenir à des résultats…
Le lendemain de notre arrivée, Kitsune Takahashi nous propose de faire ensemble une promenade sur le lac, en compagnie des amies Shiotome de Yukio.
Le Lac du Dragon est un endroit fascinant : en son sein repose une ancienne cité naga qui semble hors du temps tellement elle semble bien conservée. De plus, l’eau du lac est si claire que les jeux de lumière du soleil à sa surface donnent par moment l’impression que la cité n’est pas sous mais sur le lac…
Assez rapidement se fait jour une attirance réciproque entre Takahashi et l’une des amies de Yukio… La timidité des deux samourais est si attendrissante que Yukio prend sur elle de tenter de les réunir. Jusqu’à présent les kamis aussi semblent avoir pris sur eux de favoriser cette union : il ne faudra pas une journée pour que Yukio obtienne pour eux la permission de célebrer cette union.
Le soir tombé, l’ensemble de la cour est invitée à suivre Shinjo Seng sur le toit du château. Nous n’avons aucune idée de ce qui nous y attend… Un long moment se passe, seulement ponctué par les coups d’œil entendus de Shinjo Seng à son guetteur, lorsqu’un blizzard commence à se lever à l’horizon. Très localisé, il s’approche graduellement du château, qui se met à trembler à mesure que la distance se réduit… Nous découvrons enfin ce qui se passe : dans un nuage de neige soulevé les sabots des cheveaux, l’armée des Vierges de bataille Otaku apparaît sur la lande. Arrivées à proximité de la ville, les Shiotome passent au galop : nous réalisons avec stupeur, qu’elles étaient jusqu’alors seulement au trot ! Après un impressionnant tour de la ville au grand galop soulevant un mur de neige, elles s’arrêtent brusquement. La neige retombe en un instant, comme par enchantement. Shinjo Seng accueille officiellement Otaku Natsumi, la daimyo de la famille et de l’école des Vierges de Batailles, et annonce « Nous pouvons à présent commencer à discuter des affaires politiques avec le Clan du Lion ».
Il devient évident à cet instant que tout ceci a été mis en scène, avec succès, dans l’unique intention d’impressionner Akodo Koremitsu. Ce dernier affirme poliment son appréciation pour ses amis du Clan de la Licorne, mais ajoute que les temps ne sont pas à la paix. Il en profite pour déclarer à la volée que tous les membres du Clan du Lion qui ne soutiennent pas la politique officielle du Clan n’ont aucun honneur et ne connaissent pas le nom de leurs ancêtres. Gentaro, clairement visé, propose à Koremitsu d’assumer ses propos en duel, tout en suggérant que si ce dernier n’a pas eu de son daimyo l’autorisation d’engager un duel, il peut encore éventuellement excuser ces paroles en les mettant sur le compte des quantités de saké qu’il a visiblement déjà ingérées. Koremitsu, dans l’intention de répondre à sa manière au duel, fait appeler son yojimbo ; cependant Shinjo Seng, qui apprécie peu la manœuvre, intervient pour signifier à Koremitsu que chez les Licornes il fera comme les Licornes, à savoir défendre lui-même son honneur. Koremitsu affirme qu’il fera à Rokugan comme à Rokugan, et qu’il entend bien que ces coutumes-là soient respectées partout. Il termine en annonçant qu’il ne restera pas plus longtemps dans ce château (nous le verrons bientôt plier bagage en compagnie de son yojimbo, sous les saluts d’une haie de Shiotome).
Yukio profite de sa proposition de mariage pour détendre l’atmosphère auprès de Shinjo Seng et Otaku Natsumi : le Daimyo du Clan renvoie la décision à la daimyo de famille, qui seule peut autoriser la Shiotome à se retirer du régiment. Otaku Natsumi en profite pour inviter Yukio à retourner quelques temps s’entraîner auprès de ses consoeurs, ce à quoi elle passera la plupart de son temps de veille les jours suivants.
Ces jours-là, Taehime-sama, Shiro Shinjo sera le théâtre d’événements étranges…
Je vous ai déjà mentionné le Lac du Dragon et sa cité naga. Afin de détourner Neko d’un malheureux duel, je lui avais proposé d’aller admirer ces ruines sur le lac. Mais alors que nous naviguions, nous avons été surpris par la brume… C’est à ce moment que nous est apparu le Dragon : dans la brume, une forme immense, qui passe à la surface de l’eau en provoquant de tels remous que nous manquons de chavirer. Le Dragon est reparti comme il était apparu : petit à petit les remous ont cessé, puis, après un long moment, la brume est tombée. Nous avons alors pu regagner la rive, encore à moitié pris dans le songe de cette expérience envoûtante…
L’autre événement étrange auquel nous avons été confrontés est infiniment plus terrifiant. Peu après l’arrivée de la représentante du Clan du Phénix, Asako Satomi, survient un meutre inhumain : un corps est retrouvé la nuit dans la salle du trône, défiguré, brisé et répandant ses entrailles. Alors que les soupçons des spécialistes commencent à indiquer la voie de la souillure, survient un second meurtre du même acabit : le yojimbo de Yogo Reiko, retrouvé dans la chambre de cette dernière, épinglé au mur et la tête coupée. La nuit suivante, Yukio est surprise dans sa chambre par l’assassin, qui l’attaque directement. Nadeshiko et moi accourons à son aide, et c’est là que prend place toute l’horreur de la situation : l’assassin n’a d’un humain que l’apparence… Désarticulé, il continue à se mouvoir comme si de rien n’était ; broyé par le tetsubo de Nadeshiko, il semble n’avoir jamais été blessé ; ouvert par nos lames, il suppure en guise de sang un mucus noirâtre et visqueux ; mort, son corps se tord encore atrocement au mépris de l’ordre des articulations. Et pourtant, Nadashiko est formelle : ce n’est pas là l’œuvre de la Souillure. Pourtant, nous ne saurions dire si le savoir nous vaudrait mieux que l’ignorance…
Otaku (bientôt Goju...