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par matsu aiko » 18 juin 2006, 17:34
- Une coproduction Nutella & Katana -
Un vent glacé soufflait des contreforts des montagnes. Sous le ciel gris et plombé, une silhouette dépenaillée progressait péniblement au milieu des rochers.
La femme s’arrêta et se redressa, portant sa main à son front. Son kimono brun avait vu des jours meilleurs, comme les sabres glissés à sa ceinture, dont la laque noire ornée d’une simple bague dorée était écaillée et raclée par endroits. Sa longue chevelure était emmêlée, sa figure était revêtue d’une couche de crasse non négligeable. Ses yeux sombres au regard usé et patient trahissaient une dérangeante familiarité avec la mort.
La rônin cligna des yeux. Oui, il y avait bien une construction, un peu plus loin. Elle s’avança avec précaution, et observa l’édifice – on ne saurait être trop prudent, de ce côté du Mur.
C’était un bâtiment en ruine – probablement un avant-poste Crabe abandonné. Tout semblait calme, mais ça ne voulait rien dire. Elle s’avança, vigilante.
En se rapprochant, elle constata que la tour en ruine était déserte, et probablement abandonnée depuis longtemps, vu l’état de délabrement de l’endroit. Cela n’avait pas d’importance. Cela valait toujours mieux que de passer la nuit au milieu des rochers.
Ce n’est qu’en arrivant face à l’entrée qu’elle le vit.
Un bushi Crabe en armure lourde était allongé de tout son long, à une dizaine de mètres de l’entrée, dissimulé par un rocher. Sa cuirasse portait le mon des Hida. Il était parfaitement immobile, son corps ne portait pas de traces de blessures. Son visage était invisible sous le mempo qui lui cachait le visage.
Etait-il mort, ou en train de dormir ? Etait-ce une nouvelle ruse de l’ennemi ?
Prudente, la rônin observa les environs, et dégaina, avant de s’approcher du Crabe immobile.
Elle le héla – pas de réaction. Elle se rapprocha, toujours son sabre à la main. Le tetsubo du Crabe était à quelques mètres entre deux rochers, ce qui était un argument en faveur de la mort. Néanmoins, cette absence apparente de blessure la dérangeait.
Elle sortit son tanto, se pencha sans rengainer son katana, fit sauter la jugulaire, et dégagea le casque du bout du pied, révélant un visage aux lèvres bleuies. Il était tout ce qu’il y a de plus mort. De façon plus surprenante, le cadavre arborait un sourire extatique – pas exactement ce à quoi on pouvait s’attendre dans ces contrées.
La rônin avisa le ôno du mort, s’en saisit. Elle souleva sans effort apparent la lourde hache, et la laissa retomber sur le cou du mort, le décapitant nettement. Un sang noir commença à s’écouler paresseusement.
Bon. Avec un peu de chance, elle pourrait passer une nuit tranquille.
Elle avisa la gourde à la ceinture du mort, et s’en empara. Ses propres provisions étaient presque épuisées, et elle ne savait pas à quelle distance elle se trouvait du Mur. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où elle se trouvait, en fait.
Un instant elle se demanda si l’eau de la gourde pouvait être empoisonnée – ce qui pouvait expliquer l’absence de blessure. Puis elle haussa les épaules. Entre mourir de soif et mourir empoisonnée…
Elle ouvrit la gourde, sentit le liquide, en versa un peu sur le bracelet en jade de son poignet. Pas de traces noires. Elle en but une goulée. L’eau mêlée de saké était glacée, mais ô combien salutaire le long de sa gorge desséchée.
Pendant qu’elle y était elle inspecta les autres possessions du mort – des armes de bonne qualité, quelques vivres, un rouleau de parchemin – et un petit objet qui roula à terre. Elle le ramassa, fronça les sourcils, et le glissa dans sa manche.
Quelque chose la fit se relever. Elle se redressa, sur le qui-vive, essayant d’identifier ce qui l’avait alertée.
Le vent. Le vent avait changé de direction. Elle essaya de se repérer, mais l’absence de soleil ne l’aidait guère. Foutu pays. S’il soufflait du mauvais côté, tout pouvait arriver.
Il y eut un bruit.
Elle dégaina en pivotant sur elle-même, décrivant un cercle presque complet, avec une économie de geste que n’eut pas reniée un Kakita.