DIPLOMATIE
L'ombre de Kadhafi plane sur la journée des droits de l'homme
NOUVELOBS.COM | 10.12.2007 | 14:41
Le leader libyen est attendu à Paris en début d'après-midi.
Enjeu de sa visite : 3 milliards d'euros de contrats civils et militaires.
Rama Yade a été convoquée à l'Elysée, après avoir déclaré que "la France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort". Ségolène Royal a félicité la secrétaire d'Etat pour "ses déclarations courageuses et fermes".
La secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme Rama Yade, qui a vivement critiqué la visite en France du leader libyen Mouammar Kadhafi, a été reçue lundi matin 10 décembre à l'Elysée et n'a fait aucun commentaire à sa sortie, a-t-on constaté sur place. Le dirigeant libyen doit arriver à Orly vers 14h00, et sera accueilli par la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie.
La secrétaire d'Etat a été reçue pendant un peu moins d'une demi-heure, et aucun détail n'était immédiatement disponible sur son entrevue, ni sur son interlocuteur ni sur les propos tenus. Rama Yade a affirmé qu'elle ne souhaitait pas que ses propos tenus dans Le Parisien , très critiques vis-à-vis de la visite de Kadhafi, soient "résumés ni caricaturés". Rama Yade a démenti, sur Europe 1, mettre de l'eau dans son vin après son entretien à l'Elysée. "C'est des propos que j'ai tenus dans le journal ce matin et qui n'ont évidemment pas été repris dans les commentaires et que je tiens à rappeler parce qu'il faut tenir compte de l'équilibre d'un propos et ne pas, pour des raisons d'effets de manche, caricaturer. Ca, ce n'est pas admissible", a-t-elle regretté.
Félicitations de Royal
Dans un communiqué, l'ex-candidate socialiste à la présidentielle Ségolène Royal a félicité Rama Yade pour "sa prise de position sans ambiguïté concernant son opposition à la visite de Kadhafi et ses déclarations courageuses et fermes".
L'ex-candidate PS à l'élection présidentielle "rappelle qu'elle a été, dès mercredi dernier, la première à contester cette visite". Ce jour-là, elle s'était déclarée "profondément en désaccord" avec cette initiative. "Si la mobilisation s'était déclenchée à ce moment-là, cela aurait été beaucoup plus difficile pour Kadhafi de venir en France", ajoute le communiqué.
"Notre pays n'est pas un paillasson"
"Je ne partage pas l'indignation automatique de ceux qui excluent tout dialogue avec la Libye. Mais je ne peux pas dire non plus que je suis heureuse de cette visite", a déclaré la secrétaire d'Etat aux droits de l'homme Rama Yade dans un entretien au Parisien.
Le colonel Kadhafi, souligne-t-elle, doit "comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits. La France ne doit pas recevoir ce baiser de la mort".
"Parler avec lui plutôt que le marginaliser"
Invitée sur France-Info dans la matinée, la secrétaire d'Etat a cependant modéré ses propos. "Je n'ai absolument aucune hostilité vis-à-vis d'une visite du colonel Kadhafi en France, à partir du moment où il a renoncé à tout programme militaire nucléaire", a nuancé la secrétaire d'Etat sur France Info. "Dans ces conditions, il vaut mieux parler avec lui plutôt que de le marginaliser ou de le rejeter aux confins du terrorisme", a-t-elle estimé. Mais "si je ne suis pas hostile à cette visite, je suis assez réservée sur le fait qu'elle arrive" le jour du "59e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme", a-t-elle ajouté. Un peu plus tard dans la matinée, elle a estimé qu'"il serait indécent que cette visite se résume à la signature de contrats".
Terrorisme
La secrétaire d'Etat se demande en tout cas si on peut "accorder une confiance absolue à celui qui demande d'être traité comme n'importe quel chef d'Etat et qui, avant même d'être arrivé sur le sol français, affirme que le terrorisme est légitime pour les faibles".
La France, rappelle-t-elle, "ne tire pas seulement son prestige de sa puissance économique, mais aussi des principes et des valeurs qui font que la France est un pays semblable à nul autre". Paris, selon Rama Yade, n'a "pas non plus" à "remercier" Mouammar Kadhafi "d'avoir libéré les infirmières et le médecin bulgares, car ces gens étaient innocents".
Rama Yade invite le leader libyen à éviter "toute provocation" dans cette affaire, "sans oublier les gestes forts indispensables pour les 170 victimes de l'attentat du DC-10" en 1989.
Bernard Kouchner : "Le monde évolue"
Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a estimé que Rama Yade était dans son rôle en critiquant la visite en France du leader libyen Mouammar Kadhafi.
S'exprimant sur France Inter, il a expliqué qu'il se trouverait lundi soir pour une réunion à Bruxelles "par un heureux hasard" et ne pourrait donc pas assister à un dîner prévu à Paris avec le dirigeant libyen.
Rama Yade "a raison de parler ainsi, c'est ce que je lui demande", a assuré Bernard Kouchner. "Elle est en charge des droits de l'homme, elle le fait", a-t-il ajouté.
Interrogé sur sa conversion à la "realpolitik", le ministre a récusé ce "mot germanique violent".
"C'est le fait que le monde évolue, qu'un homme, Kadhafi, a changé du terrorisme à la coopération contre le terrorisme (...) C'est une diplomatie de l'ouverture que nous pratiquons. Nous surveillerons. Mais qu'il soit ici est un argument supplémentaire pour lui et pour les Libyens", s'est défendu Bernard Kouchner.
Coïncidence avec la Journée mondiale des droits de l'homme
Rama Yade a également dénoncé dans Le Parisien la coïncidence avec la Journée mondiale des droits de l'homme et le choix de la date est un symbole "scandaleusement fort". Il serait selon elle "indécent" que la visite du dirigeant libyen "se résume à la signature de contrats" ou un "chèque en blanc".
Rama Yade serait "encore plus gênée si la diplomatie française se content(ait) de signer des contrats commerciaux sans exiger de lui des garanties en matière de droits de l'homme. C'est un devoir: la France n'est pas qu'une balance commerciale".
La "seule façon de sortir par le haut, puisque maintenant Kadhafi accepte de rentrer dans le jeu international normal, c'est d'aller jusqu'au bout de cette démarche, en faisant en sorte que les droits de l'homme soient respectés dans son pays", insiste Rama Yade.
Fillon dénonce les "donneurs de leçon"
"Que les donneurs de leçon tournent sept fois leur langue dans leur bouche ! Laisser les infirmières bulgares croupir dans les geôles libyennes, c'aurait été un crime", a indiqué le Premier ministre à Buenos Aires, dans une allocution à l'ambassade de France.
"La France reçoit le colonel Kadhafi parce que le colonel Kadhafi a libéré les infirmières bulgares et parce que le colonel Kadhafi s'est engagé dans un processus de réintégration dans la communauté internationale", a-t-il expliqué. Le dirigeant libyen est aussi reçu, a-t-il ajouté, "parce que nous avons besoin que la Libye, dans le cadre des relations interméditerranéennes, redevienne un pays avec lequel on puisse discuter et redevienne progressivement un pays où les droits de l'Homme soient respectés."
Achat d'Airbus
La Libye a annoncé son intention d'acheter pour plus de 3 milliards d'avions Airbus, un réacteur nucléaire et de nombreux équipements militaires lors de cette visite, la première de Mouammar Kadhafi en France depuis 34 ans.
Le "Guide" libyen arrivera en début d'après-midi à Paris, où il sera immédiatement reçu par Nicolas Sarkozy au Palais présidentiel de l'Elysée.
Un dîner sera donné en son honneur dans la soirée. Un second entretien est prévu mercredi.
Durant son séjour, Mouammar Kadhafi résidera à l'hôtel Marigny, près de l'Elysée. Fidèle à son image, il a planté sa tente de bédouin dans le jardin de cette résidence officielle pour y recevoir ses hôtes.
Remontage de bretelles, check.
Même plus drôle, ça devient trop prévisible...