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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 23 juin 2007, 20:08

La jeune femme commandant les troupes revint prendre ses fonctions, après avoir donné naissance à une petite fille.
Kakita Kishi – aussi grande, mince, et tranchante que son sabre. Nos premiers contacts furent bons – elle avait voyagé dans l’Empire d’Emeraude, ce qui était un point commun, et j’appréciais la franchise et l’évidente compétence de cette duelliste hors pair.

Puis quelque chose se passa.

Quoi exactement, je ne le sais toujours pas à l’heure actuelle ; mais en revanche je peux dater précisément le quand – environ un mois après le retour de Kakita Kishi.

Il y avait eu des signes avant-coureurs, un peu plus tôt, avant même ma désastreuse visite à la cour. Une réception officielle, où avec un petit rire charmant Doji Kohin me présenta à l’ensemble des Grues présents comme « notre expert en engins de guerre et en logistique ».

On déménagea mes affaires de la luxueuse résidence dont j’avais bénéficié jusqu’à présent, vers une autre plus petite mais bien située. La demeure était un peu exiguë mais convenable ; je l’acceptais de bonne grâce, sachant que les Grues avaient d’autres visiteurs qu’il leur fallait héberger. Mes déplacements étaient fréquents, et ne justifiaient pas une nombreuse maisonnée ou un palais.
Ce n’est qu’après que je m’aperçus que l’emplacement de la demeure me désignait au visiteur occasionnel comme faisant partie des suivants de Kakita Kishi.

Il y avait une réunion des daimyo du royaume, où je devais présenter ma stratégie. Kurûkiba Khan m’expliqua que mon intervention devait être différée à la prochaine assemblée des daimyo, et qu’il serait bon que je me concentre sur certaines initiative, plutôt que de présenter le plan au complet. Les daimyo étaient des gens pragmatiques, me dit-il avec un sourire un peu gêné.
A l’époque, je pris cela pour une conséquence diplomatique normale de ma maladresse à la cour. Je savais que le shokan impérial serait présent à cette réunion : Kûrukiba Khan ne pouvait se mettre en défaut de mon fait.

Puis il y eut la conversation avec Kakita Sakana, la yojimbo de Doji Kohin. Une femme d’âge mûr, aux cheveux étroitement liés en chignon au point de tirer vers l’arrière la peau de son visage, dure comme l’acier, au regard bleu et froid, à l’humour encore plus froid, dont le parler cru détonnait parmi ces Grues policées. Mais je n’ignorais pas l’autre face de sa fonction : elle était aussi kaishakunin – l’exécuteur officiel du domaine. Son humour à la limite du macabre n’était qu’un écho de ses tâches quotidiennes.
J’avais suscité ce rendez-vous, parce que je la savais bien informée ; mais la discussion prit un tour surprenant. Elle me dit, l’air de presque le regretter, qu’en acceptant la responsabilité du domaine Licorne, Kurûkiba Khan allait maintenant être incapable de gouverner le royaume ; qu’une fois que son échec serait patent, il n’aurait d’autre choix que de faire seppuku.
Ceci reflétait, de façon extrême, mes propres inquiétudes : j’avais conscience que tant qu’un successeur ne serait pas nommé chez les Otaku, le Khan serait monopolisé par la régence du domaine Licorne, aux dépends de son propre pouvoir royal.
Elle me dit ensuite que seule ma compétence dans les engins de siège établirait ma légitimité avec les daimyo des différents clans. Stupéfaite – s’il y avait une seule chose que j’ignorais dans l’art de la guerre, c’était celui-ci - je lui demandais alors :
- Dans ce cas, pourquoi m’avez-vous embauché ?
Elle eut un sourire en coin :
- Si cela avait été moi…
Puis poursuivit d’un ton moins ambigu :
- Pour Kurûkiba Khan, vous êtes la personne idéale.
Déjà, dans ce simple échange, la faille était apparue. Mais je n’avais pas conscience de son étendue – pas encore.
Je remerciai Sakana-san, et pris aussitôt rendez-vous avec Doji Kohin, dont les avis étaient en général moins extrémistes que ceux de son âme damnée.

Là encore, je n’avais réalisé ce qui était en train de se passer.

Doji Kohin renforça, à sa façon élégante et diplomate, ce qu’avait dit Sakana-san. Quand je lui parlais de stratégie, elle m’expliqua que les domaines avaient depuis des siècles une stratégie efficace, et qu’à ce stade, la meilleure aide que je pouvais fournir – et c’était une aide stratégique – était de contribuer à surprendre leurs adversaires par de nouvelles tactiques. Elle me dit que le royaume avait besoin d’une révolution en termes d’art de la guerre ; ce que serait l’apparition de la poudre, quelques années plus tard. Une approche radicalement nouvelle dans l’art de la guerre était la seule justification de mon poste, me dit-elle avec un sourire charmant. Et le royaume en avait besoin – très rapidement.
- Hai, Kohin-sama, m’inclinai-je, avant de prendre congé.
Le message était parfaitement clair. J’avais deux mois pour réussir à faire ce à quoi tous les plus grands shokan des autres parties de l’Empire avaient échoué depuis des années.

Je savais que Kurûkiba Khan soutenait l’avis de Doji Kohin. ‘Les daimyo sont des gens pragmatiques’ avait-il dit. J’avais montré ma stratégie à Doji Kohin, qui avait immédiatement indiqué au Khan que ce n’était pas ce qu’elle attendait. Et avec la position fragile qui était la sienne, il ne pouvait courir le risque de s’aliéner le plus puissant daimyo du royaume. J’étais seule.

Je fis donc la démarche logique. Je laissais tomber tous mes autres projets, à l’exception de celui concernant la refonte de l’uniforme de l’armée, et analysais à nouveau toute la situation.
Une démarche complètement nouvelle, avait-elle dit.
Je relus les classiques, je m’entretins avec de nombreux experts venus de lointains horizons, je parcourus le royaume en m’entretenant avec les meilleurs officiers de chaque domaine, je questionnai aussi des gens dont l’expertise n’était pas militaire : des maîtres de go, des historiens, des lettrés, des artistes, et, par-dessus tout, je réfléchissais à chaque opportunité, à chaque faille.
De la sorte, je constituais une liste. Cent idées, venant de tous les horizons, certaines faciles à réaliser, d’autres proches de l’utopie, toutes susceptibles d’aider à remporter la victoire.
Qu’une, ou deux, soient retenues, c’était tout ce qu’il me fallait.

C’est dans cet état d’esprit fiévreux que j’organisais la journée trimestrielle de manœuvre qui réunissait les officiers des différents domaines. Pour couvrir les sujets abordés la fois précédente, j’invitais des experts, qui répondraient aux questions que je n’avais pu traiter faute de temps.

La journée ne se passa pas de façon optimale. Certains points ne purent être abordés faute de temps, en raison de la longueur de la discussion sur l’amélioration de l’art militaire, et je sentais du flottement, de la confusion, et un certain manque d’enthousiasme chez les officiers présents. L’officier Shinjo, que je savais être un allié, me passa un message : ceux qui tentaient de plaire à tout le monde, et restaient au milieu de la route, se faisaient piétiner par l’armée.
Mais le coup de grâce me fut asséné par Kakita Kishi.
- Cette journée ne m’a rien apporté, me dit-elle. Et à quoi rimait toute cette discussion sur l’art de la guerre, et toutes ces innovations ? Peut-être y a-t-il quelque chose qui m’échappe, mais je pensais que votre rôle était de guider les différentes armées. Nous avons bien plus besoin de comprendre comment améliorer la logistique en campagne que de nouvelles tactiques d’assaut.
En fait, elle me reprochait – très précisément - de n’avoir pas traité les points que j’avais laissés de côté pour me consacrer à la recherche demandée par Doji Kohin.

C’est là où je compris.

Attaquant à la gorge, et au ventre ; me déniant un rôle stratégique, et se l’appropriant ; m’orientant vers une chasse aux chimères, pour pouvoir critiquer mon absence de réponse aux problèmes pratiques de l’armée et démontrer mon manque de compétences ; sachant fort bien qu’une telle mise en cause m’acculait au seppuku.

Elle avait déjà enterré Kurukiba Khan, et avait décidé de prendre sa succession ; pour hâter sa chute, elle avait choisi de mettre en échec les projets du Khan, dont la réorganisation de l’armée, qui m’était dévolue.
Pour l’atteindre, lui, elle avait résolu de m’abattre.

Intelligente, brillante stratège, d’une grande influence, n’attaquant jamais de front ; d’une souriante courtoisie quelles que soient les circonstances, n’hésitant devant aucun moyen, sachant toujours sauvegarder les apparences. L’adversaire la plus dangereuse qui soit.

Doji Kohin-sama.

Je ne pouvais imaginer d’ennemie plus redoutable.

Et là, ça ne faisait que commencer.

Un des projets principaux qui m’avaient été confiés était la refonte des uniformes et des emblèmes de l’armée. Un uniforme n’est pas qu’un habit, c’est aussi un symbole, l’emblème d’un pays. Il montre sa force, et son union.
Jusqu’alors, chaque daimyo avait habillé ses troupes à ses couleurs, créant un ensemble singulièrement disparate, mais donc chaque domaine individuellement était fier ; ces couleurs, ces emblèmes, avaient honorablement été portés par leurs ancêtres.
Par souci diplomatique, je missionnais trois artisans, un Licorne, un Grue, et un Dragon, et obtins de la sorte quatorze propositions différentes, qui furent soumises à l’approbation des différents domaines. Une des propositions de l’artisan Grue recueillit tous les suffrages. Tout ceci était bien sûr approuvé par Kurûkiba Khan et par Iuchi Miharu, une shugenja de haut rang, chargée de superviser tout ce qui relevait du protocole, que je tenais l’un et l’autre régulièrement informés.
Cela aurait normalement dû s’enchaîner sur la fabrication des uniformes, mais Kakita Kishi se mit alors à réclamer avec insistance que les propositions soient soumises à l’approbation du conseil de chaque domaine. En dehors de la perte de temps que cela supposait, c’était totalement absurde. Je savais fort bien qu’individuellement, chaque conseil de clan préfèrerait la tenue portée par leurs ancêtres. Dans ce genre de cas, un nouvel uniforme est forcément un compromis. Otaku Beika, qui par fierté avait toujours été peu enthousiaste pour le projet, se rallia à l’opinion de Kakita Kishi ; puis les autres domaines suivirent.
Je signalai d’un ton neutre à Kakita Kishi que cette façon de procéder avait été approuvée par Iuchi Miharu, et elle me répliqua d’un ton menaçant :
- Tous les daimyos souhaitent que cet uniforme soit approuvé par leur conseil. Miharu-sama s’opposerait-elle à l’ensemble des daimyo du royaume ?
Tout, dans son attitude, appelait le duel.

Ce n’était pas elle qui s’exprimait, j’en avais la conviction. Dans son hostilité, son arrogance, son ton insultant, je savais que c’était Doji Kohin qui parlait. Elle devait avoir demandé à Kishi-san de me provoquer. En duel iai, la duelliste Kakita avait l’avantage.
Je gardais donc mon calme, et remerciai courtoisement Kishi-san de cette information, clôturant la discussion. Je doute qu’elle en ait saisi l’ironie. Qui donc, Kishi-san, vous a nommé porte-parole des daimyo ?
Le sommet de l’art de la guerre, c’est de vaincre sans combattre.

Je fis part de la situation à Kurukiba Khan et Iuchi Miharu. L’un et l’autre m’assurèrent de leur soutien, et me dirent de ne pas perdre courage.
Kurukiba Khan me dit d’un ton ferme :
- La dernière fois, Aiko-san, vous m’avez demandé si vous pouviez présenter votre stratégie à l’ensemble des daimyo. Là, si vous ne l’aviez pas fait, c’est moi qui vous le demanderait.
Nous convînmes de nous retrouver quelques jours avant l’assemblée, afin de parfaire le plan de bataille. Nous étions dans une guerre, et c’était une bataille que nous ne pouvions nous permettre de perdre, ni l’un, ni l’autre.

Il restait dix jours. Dans ce bref intervalle de temps, les provocations se multiplièrent, escaladant jusqu’à un niveau difficilement imaginable. J’étais consciente que tout ceci était destiné à me déstabiliser, mais j’en subissais néanmoins les conséquences.

Kakita Kishi diffusa à l’ensemble du clan de la Grue, à Kurûkiba Khan et à moi-même, un plan stratégique pour l’automne qui engageait ma responsabilité, dont certaines actions parfaitement irréalistes. Je pris cela comme une gifle en pleine figure. Toutes les personnes mentionnés sur ce document avaient été consultées, sauf moi.
Je tentais en vain de voir Kishi-san, elle n’était jamais disponible. Quand enfin je réussis à la voir, contenant difficilement ma fureur, elle finit par lâcher, après un certain nombre d’explications boiteuses et d’insultes ouvertes ou voilées, que certaines personnes ne souhaitaient peut-être pas que je voie ce document plus tôt. Une fois de plus, c’était signé.
J’attendis un certain temps avant de répondre. Si je l’avais fait à chaud, des paroles malheureuses m’auraient probablement échappé.

J’avais demandé des rapports d’activité aux différents domaines, ainsi qu’une évaluation de la liste des cent idées précédemment établie.
Les Grues, après avoir nié avoir reçu la demande, m’envoyèrent quatre rapports successifs et contradictoires, le dernier avec deux jours de retard. Quand à la liste – demande faite au départ, rappelons-le, par Doji Kohin – elle me parvint incomplète, à l’évidence remplie à la va-vite, et avec un retard encore plus considérable, ce qui me força à travailler jour et nuit sans le moindre repos pour arriver à faire la synthèse à temps. Quand je demandais à Kishi-san pourquoi ce document était incomplet, elle reconnut qu’il avait été rempli à la hâte, mais m’expliqua d’un ton péremptoire qu’il ne contenait rien de nouveau et donc ne justifiait pas qu’on gaspille du temps dessus. Je restai impassible, mais des envies de meurtre me parcoururent.

Comme prévu, je vis Kurûkiba Khan, auquel je m’ouvris des divers incidents, en faisant un récit aussi factuel que possible, et lui demandait de m’éclairer sur le contexte politique, parce qu’il avait un impact sur mes activités. Je ne comprenais pas ce qui se passait.
Il me regarda de son regard impassible, et me dit plusieurs choses :
Oui, cette histoire d’uniforme était très politique.
Il ne s’attendait pas à ce que j’ai un problème diplomatique avec les Grues.
Les daimyo en place étaient nouveaux, pour la plupart, et ce serait en fait la première fois qu’ils se retrouveraient ensemble. Il était possible, à un moment qu’il me demande de sortir, parce qu’il ne pouvait régler les choses si j’étais là.
Je savais que je ne pouvais me fier à lui complètement, et je n’écartais pas la possibilité que cette demande soit également l’occasion pour lui de questionner les daimyo sur leur perception de ma compétence. Surtout que, par certaines des autres questions qu’il me posa, il se demandait à l’évidence si je n’étais pas en train de verser dans la paranoïa.
Mais, dans ce cas, nos intérêts étaient liés. Avec ce conflit qui était presque un cas d’école, je lui donnais l’opportunité d’asseoir son autorité, fragilisée dans les mois précédents.

Les jours suivants se passèrent à travailler d’arrache-pied pour tout préparer, sans prendre le moindre repos. Et pendant ce temps, les tentatives sournoises, la pression croissante – le sabotage - continuaient.

Le shugenja qui s’occupait d’habitude de transmettre mes messages ou de recevoir ceux à mon intention tomba malade, alors même que j’attendais des informations urgentes, le seul jour où je pouvais le faire. Heureusement, ma yoriki sollicita quelqu’un de sa famille, et par son intermédiaire put faire le nécessaire. Le lundi suivant, le-dit shugenja était en parfaite santé.

Le jour de mon départ, au lieu d’arriver à l’aube, le convoi se présenta avec un retard considérable à ma demeure, alors que leur ponctualité était d’ordinaire parfaite.

La route vers la frontière était bloquée par une cérémonie, dont il fallut attendre la fin.

A la frontière du domaine, les gardes, qui d’ordinaire se contentaient de me saluer d’un geste, insistèrent pour viser l’intégralité de mes documents.

Quand enfin j’atteignis le palais du Khan, largement après la délégation Grue, les modèles d’uniformes que j’avais emmenés pour montrer aux daimyo étaient en route pour un autre domaine du royaume, où je me rendais le soir même. Heureusement, celui-ci n’était pas trop loin, et il me fut possible, en envoyant un messager, d’avertir les porteurs de rebrousser chemin. Avec un peu de chance, ils arriveraient à temps.

Avec ce retard, je manquais certainement le début de la réception. Ce que je ne pouvais manquer était l’apparition du Grand Khan, qui avait choisi exceptionnellement de rendre visite à Kurûkiba Khan et à ses principaux dignitaires. Je demandais à Doji Kohin – la seule personne à proximité - si le Grand Khan, ou le Maitre des Quatre Vents, comme on l’apelait aussi, faisait son discours dans la grande salle d’audience ou dans une autre partie du Palais, afin de pouvoir m’y rendre directement. Avec un gracieux sourire, elle m’indiqua qu’il faisait son allocution dans l’aile ouest.
Je récupérais finalement mon bien, et me ruais vers le Palais, arrivant à l’aile ouest une minute avant le début prévu pour l’apparition du Grand Khan. J’y rentrai en trombe ; le hall d’entrée était désert. Avisant un heimin, je lui demandai où se faisait l’allocution du Maitre de Quatre Vents. Il prit un air étonné. Jurant entre mes dents, je me précipitais vers la grande salle d’audience, qui se trouvait à l’autre bout du Palais. Arriver en retard dans ces circonstances était une condamnation à mort.

J’y parvins finalement, toujours chargée de mes encombrants paquets ; le brouhaha de nombreuses conversations provenait à mes oreilles. Les Fortunes soient louées, le Grand Khan n’était pas encore arrivé. Je glissais mes paquets discrètement dans un coin, rajustais ma tenue, et allais saluer en souriant les différents daimyo et dignitaires.

Dix minutes plus tard, le Maitre des Quatre Vents faisait son apparition.

Son discours fut écouté avec révérence, comme il se devait.
Le Grand Khan expliqua comment le royaume des Guetteurs avait une tâche sacrée, comment il était la seule chose qui se tenait entre le monde et une destruction certaine aux mains de l’un des ennemis les plus sournois et les plus perfides qu’il soit, à l’égale de la souillure de l’Outremonde. Tous les présents applaudirent, les yeux brillants de se voir confier la responsabilité de sauver le monde.

Le Grand Khan avait été éloquent, très éloquent même. Pour mon intervention, qui suivait immédiatement, cela signifiait que le temps qui m’était alloué était divisé par deux – une heure au lieu de deux.
Alors que tous allaient se restaurer, j’avalais à la va-vite une boule de riz, et revis en une demi-heure la totalité de ma présentation.

Enfin, je me retrouvai dans la salle. Les daimyo arrivèrent les uns après les autres, ainsi qu’Otaku Beika. Kakita Kishi, que j’avais vue un peu plus tôt, était inexplicablement absente. Vint ensuite Kurukiba Khan, suivi du Grand Khan. La présence de ce dernier n’était absolument pas prévue.

Ce qui me posait un problème. Pour contrebalancer l’influence de Doji Kohin, et éviter de présenter aux daimyo des projets sans la base qui les sous-tendait, je leur avais présenté de façon individuelle ma stratégie. Ce qui n’était bien sûr pas le cas du Grand Khan, que je n’avais vu que de loin.
L’avantage, c’était qu’en sa présence, il n’y aurait pas de contestation ou de conflit.

Mais j’étais dans l’arène, il était trop tard pour hésiter ou reculer. Tout, depuis plus d’un mois, convergeait vers cet instant.

Dans les moments de vérité, tout apparaît avec une clarté de cristal. On comprend, très précisément, quels sont les enjeux. La peur, l’angoisse, la colère, l’espoir, n’ont plus leur place. Il ne reste plus que ce qu’il faut faire.

Au moment voulu, je me tournai vers Kurukiba Khan.Comme si nous l’avions répété des centaines de fois, il vint se placer en face des daimyo assemblés, les défiant par sa simple présence. Aussi simplement que cela, la décision fut prise.

Je partis aussitôt, réussissant de justesse à rejoindre les terres Shinjo le soir même, ainsi que c’était prévu.

Et c’est ainsi que le soir, je m’effondrais sur ma couche, totalement épuisée, mais avec cette exaltation particulière – celle du combattant qui sait qu’il s’est bien battu.

Oui, j’étais au milieu d’une guerre – mais ce soir-là, je célébrais une victoire.
Dernière modification par matsu aiko le 01 sept. 2007, 19:51, modifié 2 fois.

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 23 juin 2007, 20:09

édité

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Message par matsu aiko » 14 sept. 2007, 07:10

Elle a gagné.

C'est la seule pensée qui me vient à l'esprit alors que je lis la lettre du Khan qui m'ordonne le seppuku.

Qu'il ne m'ait même pas parlé, avant de prendre une telle décision, est significatif.

Je savais, après l'intervention du Khan auprès des daimyo, que ce n'était pas terminé, et j'avais pris soin de m'expliquer avec chacun des officiers avec lesquels j'étais en rapport, afin de désarmer tout ressentiment éventuel.
C'était cependant, insuffisant pour éviter la vengeance de Doji Kohin.

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Moto Shikizu
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Message par Moto Shikizu » 14 sept. 2007, 12:58

Fait sauter la barraque... :evil:


Une etincelle malencontreuse a cote des tonneaux de poivre gaijin qu'ils entreposent en secret... :mal: :arme:
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Message par Kakita Inigin » 14 sept. 2007, 13:52

C'est la seule pensée qui me vient à l'esprit alors que je lis la lettre du Khan qui m'ordonne le seppuku.
Pas cool :(

+1 avec Shikizu, qui s'y connaît en licornes.
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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 22 sept. 2007, 20:15

En cas de victoire, il est important pour le vainqueur de ne pas se montrer trop arrogant. Aussi après l’assemblée des daimyo, je m’étais expliquée avec Otaku Beika, qui m’avait remerciée humblement. Je fis de même avec Kakita Kishi, qui n’avait pas assisté à l’assemblée de daimyo par suite d’un simple quiproquo, qui m’écouta sans mot dire. A partir du moment où la décision était entérinée, elle n ‘avait plus d’objections. J’en profitais pour tenter de voir si elle était disposée à se montrer plus coopérative et plus ouverte, mais dès que j’entamai le sujet de l’armée Grue, elle se braqua immédiatement, et évoqua un certain nombre de raisons qui n’avaient ni queue ni tête. Comprenant bien quelle était la cause de ce blocage, je demandai audience à Doji Kohin.
Cette dernière m’écouta poliment, puis me rétorqua exactement ce que m’avait dit Kakita Kishi, et notamment qu’il leur était impossible, par manque de temps, de discuter de leur organisation militaire avant trois mois.
Autrement dit, avant que leur plan militaire soit finalisé et avalisé par le Grand Khan.
Face à cette évidente mauvaise foi, je fis un rapport à Kurukiba Khan indiquant les opinions du clan de la Grue et mes recommandations, et dans quels cas il y avait divergence.
Suite à ce rapport, il n’y eut de la part de Doji Kohin aucune réaction. J’aurais dû savoir que c’était de mauvais augure.

S’ensuivit une des journées trimestrielles de manœuvre, où Kakita Kishi se montra arrogante et désagréable. J’utilisais néanmoins avec succès Otaku Beika pour dévier son agressivité, et l’incident, bien qu’irritant, fut somme toute limité.

Puis, enfin, un nouveau daimyo fut nommé pour le domaine Licorne. Je me réjouis – enfin, Kurukiba Khan allait pouvoir reprendre son rôle de dirigeant du royaume. En six mois, je ne l’avais pas vu plus d’une dizaine d’heures.
Je sollicitais donc une entrevue avec lui, et lui demandais quelles étaient ses ambitions pour le royaume des Guetteurs, afin que je puisse développer mon propre plan pour l’armée, avec son aide et sa vision.
Il m’informa rapidement de la situation des différents domaine, et que le domaine du clan de la Grue était appelé à prendre de l’influence dans le futur. J’en pris bonne note, et lui demandai s’il était toujours satisfait de mon travail. Il me répondit que oui – hormis mes relations avec les Grues.
Il produisit mon dernier rapport, m’expliqua que Doji Kohin l’avait jugé « inacceptable » - à son expression, elle avait dû dire beaucoup plus. De mon côté, je reconnus que si les rapports diplomatiques étaient bons, je n’aurais pas besoin de faire état de désaccords ainsi que je l’avais fait. Il ajouta que selon Doji Kohin, c’était une question de manque de confiance entre Kakita Kishi et moi.
- Améliorez cette relation. Allez voir Doji Kohin.
Je pris cela comme un coup de poing dans l’estomac.
Ne comprenait-il pas que je l’avais déjà tenté, et que cela avait échoué ?
Il était très clair en tout cas qu’il ne souhaitait pas de conflit, et ne me couvrait pas dans ce cas précis.
Je m’inclinais très bas, l’assurais que je comprenant combien le domaine de la Grue était important, et que je ferai tout ce qui était en mon pouvoir pour améliorer les choses. Néanmoins, aller voir Doji Kohin ne solutionnerait pas les choses. Après tout, à en croire celle-ci, le problème ne venait-il pas de ma relation avec Kakita Kishi ? Mieux valait accumuler les preuves de bonne volonté et améliorer les choses petit à petit.

Dans les mois qui suivirent, je me montrais aussi aimable et serviable avec Kakita Kishi que possible. Cela ne changeait pas grand’chose – elle se montrait toujours aussi peu disposée à me voir, et accueillait mes propositions – même pour des choses qui lui étaient nécessaires – avec un agacement et un ennui visibles, à la limite d’être discourtois.

Un mois plus tard, Kurukiba Khan nous retrouvions pour parler de stratégie.
Mais la discussion, censée durer la journée, se réduisit à deux heures au petit matin, à la va-vite avant son départ, et ne couvrit qu’une faible partie du sujet.
Nous avions un mois plus tard une assemblée générale des représentants des clans ; ne serait-ce pas le moment rêvé pour les interroger et connaître leurs souhaits concernant l’armée ?
Il réfuta cette proposition, indiquant qu’ils avaient d’autres sujets prioritaires à traiter ; le bilan actuel de l’armée était, après tout, très satisfaisant – ce qui était vrai : mes efforts et ceux de Otaku Beika avaient porté leurs fruits – donc non prioritaire.
Je l’informai que cela retarderait forcément la mise au point du plan stratégique, et lui demanda quand lui-même devait le donner au grand Khan. Il eut un moment d’hésitation, et m’indiqua que s’il y avait un peu de délai ce n’était pas un souci.
Il me dit également qu’en fait, ce serait une bonne idée d’y associer Otaku Beika et Kakita Kishi – ainsi nous serions sûrs d’avoir leur adhésion. J’approuvai de la tête. Je savais qu’en compagnie d’Otaku Beika et en présence de Kurukiba Khan, Kakita Kishi tiendrait sa place.

Arriva l’assemblée générale des représentants du clan ; une journée séparée était dédiée à notre habituelle réunion des officiers. Otaku Beika avait été retardée. Etait-ce le fait de son absence ? Ce jour-là , Kakita Kishi se montra particulièrement offensante et agressive. Elle m’insulta publiquement à plusieurs reprises et d’une façon générale se montra odieuse de suffisance et d’arrogance. Aucun des autres officiers présents n’osait rien dire. Au prix d’un colossal effort de volonté, je conservais mon calme sans répondre à la provocation, ce qui décupla sa fureur. Je tentais de la prendre à part afin de régler le problème, mais sa colère était telle qu’elle refusa d’entendre quoi que ce soit.
Quand Doji Kohin me demanda si ma réunion s’était bien passée, je répondis par l’affirmative - nous avions couvert tous les sujets prévus – et regagnai avec elles deux le territoire de la grue en me montrant parfaitement aimable et courtoise.
Si Kakita Kishi avait été sous mes ordres, j’aurais depuis longtemps réglé les choses différemment. Mais je la savais protégée de Doji Kohin, et la remettre à sa place comme elle le méritait ne l’aurait qu’enragée encore plus.

J’eus néanmoins un entretien avec Kakita Kishi deux jours plus tard.
Je lui expliquai à cette occasion que le temps imparti à ces journées était trop court pour y avoir des débats publics non encadrés, et que si elle souhaitait débattre d’un sujet particulier, il lui suffisait, soit de me contacter directement, soit de me demander que le sujet soit mis à l’ordre du jour. Je l’informai par ailleurs de bien vouloir faire un effort de forme – les autres participants avaient été incommodés par ses intervention, c’était une simple question de politesse.
Elle prit ces remarques de très mauvaise grâce, si diplomatiquement que je les aie exprimées, et conclut l’entretien en me disant qu’à l’avenir, elle souhaitait que nos contacts se limitent aux réunions mensuelles planifiées, et qu’elle m’interdisait, à moi et à ma yoriki, d’entrer en contact avec ses troupes. Je restai impassible, mais lui fis calmement remarquer qu’il y aurait des occurrences où respecter ses demandes serait très difficile ou impossible au regard du temps imparti, objection qu’elle écarta d’un geste.

Deux jours plus tard, nous avions la discussion prévue avec Otaku Beika, Kakita Kishi, Kurukiba Khan et moi-même.
J’avais bien sûr préparé le terrain, et envoyé tous les documents à l’avance à Kurikiba Khan, qui m’avait indiqué que s’il ne me signalait rien, c’est que ceux-ci lui convenaient.
Mais au cours de la discussion, je me rendis compte, avec un sentiment de dépression croissant, qu’il n’en avait absolument pas pris connaissance, et prenait une orientation très différente de celle que j’avais indiquée, démolissant au passage une bonne partie de mes efforts des mois précédents.
Je me mis donc en retrait, et laissais Otaku Beika et Kakita Kishi occuper le terrain, attendant de voir où il voulait en venir. Mais il n’avait à l’évidence, qu’une idée assez vague sur la question, et le résultat fut décevant.
Je lui parlai le lendemain, et lui demandais respectueusement ce qu’il avait pensé de notre discussion de la veille.
- Eh bien, c’est un bon début.
Je lui indiquai respectueusement qu’il était dommage qu’il ne m’ait pas précisé davantage ses desiderata, ce qui m’aurait permis de mieux y répondre ; j’insistai, il était vraiment important que nous soyons en phase.
J’en profitai pour lui faire part de l’incident survenu quelques jours plus tôt, en indiquant qu’en principe j’avais réglé la chose, mais que la façon dont Kakita Kishi avait conclu la conversation ne me laissait pas très optimiste pour la suite. Et là, j’avais vraiment fait tout ce que je pouvais faire.

Jamais je n’aurais imaginé la réaction qui fut la sienne, deux jours plus tard.

Sa réaction….

Sa réaction fut de m’envoyer la lettre que je tenais entre mes mains tremblantes, et que je relisais une fois de plus, abasourdie, anéantie.
La vengeance de Doji Kohin.

Une convocation officielle de Kurukiba Khan, en présence de Kakita Sakana, dans son office de bourreau, pour répondre d’un crime qui n’était pas nommé.

Pas une invitation à m’ouvrir le ventre, comme je l’avais d’abord lu de prime abord.

Non, c’était pire.

Quel que soit le crime qui m’était reproché, je n’allais peut-être même pas avoir l’honneur du seppuku.

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 29 sept. 2007, 22:49

Treize jours.

Treize jours, treize nuits.

Treize jours – peut-être treize années, ou treize siècles, je ne sais plus, je ne sais plus rien.

J’ai traversé le miroir. Derrière il y a un univers inconnu, indistinct, de formes noires et mouvantes, balayé de vents furieux - une tourmente d’une incroyable violence.

Je ne dors plus. Mes nuits sont hantées de cauchemars. J’ai perdu cinq kilos.

Le décor de la scène s’est déchiré, et derrière sont apparus les monstres – des créatures fuligineuses, aux yeux avides, aux babines dégoulinantes. Je n’ai eu qu’un instant pour les détailler. Elles se sont jetées sur moi avec une soudaineté et une sauvagerie sans nom.

Haletante, je me suis réfugiée dans un recoin, protégeant de la paume la fragile lueur de la chandelle. Le sang coule abondamment de mes multiples blessures. Je n’ai plus de sabre, il m’a été arraché. Je ne les distingue pas, mais je les entends – les grognements, les claquements de mâchoire. Elles ont goûté à mon sang, et s’avancent, impatientes, alors que mes forces m’abandonnent. La mèche siffle et chuinte, la flamme vacille.
Je sais que bientôt, très bientôt, elle va s’éteindre, et que cela va être la curée.


La semaine précédant le jour de la convocation du Khan s’était passée dans un mélange d’activité fiévreuse et d’une étrange dualité d’esprit. D’un côté, je comprenais parfaitement que ce qui m’arrivait était la simple conséquence d’un plan de vengeance ourdi depuis longtemps par Doji Kohin. Mais ce déshonneur annoncé, cette menace imprécise, me remplissait de confusion, et d’épouvante, sans que je parvienne complètement à les maîtriser. Je ne savais pas le crime dont on allait m’accuser, je ne savais pas quel était le châtiment qui m’attendait, ou si j’allais pouvoir mourir avec dignité. Je passais méthodiquement en revue mes activités, sans parvenir à y discerner quelque faute que ce soit.
Je me demandais quelle conduite tenir. Devais-je me taire, ou argumenter ?
Le message du Khan m’indiquait que je pouvais, si je le souhaitais, me faire accompagner de quelqu’un qui témoignerait de ce qui se passerait ce jour-là. Cependant l’heure et l’endroit m’empêchait de faire appel à un barde Ikoma – ou à quiconque, de fait, n’étant pas déjà sur le territoire de la Grue.
Mais cette personne serait-elle seulement le témoin de mon déshonneur, ou serait-elle à même de transmettre à ma famille que j’avais fait face à mon destin avec dignité ? Valait-il mieux pour moi y aller seule, et risquer que mon nom soit perdu ?
Après nombre d’hésitations, je décidais de me faire accompagner.
La personne traditionnellement affectée à cette fonction dans le clan de la Grue était une petite femme discrète, à l’air usé, du nom d’Asahina Noriko, que j’avais dû croiser cent fois snas lui prêter la moindre attention. J’allais la voir – et elle m’apprit que Doji Kohin était venue la voir peu de temps avant, pour l’informer qu’elle ne pourrait être présente ce jour-là, mais que j’aurais besoin de ses services, comme les avaient requis nombre de personnes précédentes. J’eus un haut-le-corps, et lui dis que j’allais réfléchir.
Les jours suivants, je tentais fiévreusement de trouver quelqu’un d’autre qui pourrait m’accompagner. Mais toutes les personnes que je sollicitais déclinèrent, et je ne pouvais les en blâmer. Kurukiba Khan serait là. C’était une façon certaine de s’attirer sa défaveur, et celle de Doji Kohin. La seule personne qui accepta, avec un peu d’hésitation, fut ma yoriki. Mais elle était enceinte, et je savais que si jamais je disparaissais, elle se trouverait dans une position très difficile ; lui demander ce service, c’était l’utiliser froidement, sans la moindre considération pour ce que cela pouvait lui coûter par la suite. Je ne pouvais m’y résoudre.
Je comprenais, naturellement, qu’Asahina Noriko était aux ordres de Doji Kohin, et qu’il y avait donc un biais possible dans son récit et son témoignage. Mais elle était ma seule possibilité.
Le jour précédant la convocation, je fis mes katas de façon approfondie, et utilisais mes techniques habituelles pour me préparer mentalement. Quelle que soit l’issue du lendemain, j’étais résolue à l’affronter avec dignité. Même si Kurukiba Khan décidait, pour une raison arbitraire, que je devais mourir comme un chien.
Le matin vint. J’étais prête.
Kakita Sakana était déjà là, en train de discuter avec le Khan, et me pria de patienter, tout en m’indiquant que Kurukiba Khan aurait peu de temps à me consacrer. J’attendis dans l’antichambre. Asahina Noriko arriva, un peu essoufflée.
Enfin, je fus introduite.
Le Khan était impassible, comme à son habitude. Je m’inclinai profondément, et attendis, le front contre le tatami.
Kurukiba Khan me pria de me redresser et prit la parole. Son ton était calme, son expression neutre.
Il m’expliqua qu’il avait réfléchi à ma performance depuis un an, et qu’il n’était pas du tout satisfait. Il me reprocha mon manque d’autonomie, de stratégie, d’innovation, et de coordination des armées, totalement insuffisant au regard du niveau de poste auquel j’avais été embauchée. Il me dit avoir été particulièrement déçu par la dernière rencontre qu’il avait organisée avec Otaku Beika, Kakita Kishi et moi-même, où il avait été choqué et déçu de constater par lui-même mon absence de coordination et d’intervention.

- Avez-vous quelque chose à dire ?

Son regard bleu me fixa, indéchiffrable, mais sans animosité particulière.

A cet instant, je pris ma décision. Il y avait une chance – une toute petite – pour qu’il se soit laissé influencer par Doji Kohin, et n’ait vu mes actions qu’à travers sa vision. Il avait, après tout, beaucoup plus de contacts avec elle qu’avec moi. J’avais également noté que si Kakita Sakana avait un dossier, lui n’avait qu’une petite liste manuscrite – comme toujours pris par le temps, il avait dû se mettre d’accord avec elle au dernier moment. Il n’avait certainement pas pris le temps de revoir tout ce que je lui avais fait parvenir.

Je m’inclinai très bas, et commençais à lui donner ma version des évènements.

J’argumentai abondamment et de façon précise, je citai des lieux et des dates. Il persista à dire que dans tout ce que j’avais pu faire, il ne voyait pas de stratégie, rien qu’il puisse utiliser pour l’année suivante. J’usais de mon éloquence apprise des bardes Ikoma, lui rappelais la réunion des daimyos, la liste des cent idées qui avait été présentée. Il reconnut que j’étais travailleuse et loyale, que tout n’était pas mauvais, mais m’indiqua que pour lui, mes efforts n’avaient abouti à rien de concret. Je lui proposai de lui présenter à nouveau mes résultats, il me dit qu’il avait besoin de réfléchir.
Kakita Sakana intervint peu, hormis pour commenter à voix basse à Asahina Noriko les paroles du Khan.
L’entrevue dura près de deux heures. A sa sortie, j’ignorais toujours quelle en serait l’issue, mais j’avais au moins le sentiment de m’être bien battue. Si Kurukiba Khan n’était pas convaincu, c’est qu’il ne pouvait pas l’être.

Je parlais brièvement à Asahina Noriko, lui demandant ses impressions. Ses yeux pâles à l’expression fatiguée me regardèrent. « Vous vous êtes bien défendue, mais il ne vous écoutait pas vraiment. Du début à la fin, il n’a fait que répéter la même chose ».
Comme elle n’avait pas le temps de mettre au propre toutes ses notes, je lui proposais de le faire. Cela me permit ainsi d’être sûre que cette chronique soit formulée avec mes propres mots…et après lui avoir fait relire, je la lui fis signer.
J’étais presque légère ce soir-là. Les officiers des différentes armées, hormis Kakita Kishi, témoigneraient, j’en étais sûre, de l’efficacité et de l’excellence des actions que j’avais menées. Quelle que soit la décision du Khan, je ne voyais rien, dans ce dont il m’avait parlé, qui pouvait m’amener à terminer mes jours exécutée comme une criminelle.

C’était compter, une nouvelle fois, sans Doji Kohin. Les trois jours suivants, l’enfer se déchaîna.

J’envoyais un message à tous les officiers, en leur indiquant de m’indiquer ce que, selon eux, j’avais apporté à l’armée depuis mon arrivée, et de me faire parvenir leur réponse par pli confidentiel.
Deux heures plus tard, Kakita Sakana me convoquait, prouvant, au passage, l’efficacité de leur service d’espionnage.

- Pourquoi avez-vous demandé des messages confidentiels ? Cela viole la loi de ce domaine, et c’est un affront à notre honneur !
- La raison pour laquelle je l’ai fait me regarde, mais veuillez me pardonner, j’ignorais cette interdiction. Je vais rectifier mon message.

Ce que je fis, en indiquant que j’étais toujours intéressée par leur réponse.
Une demi-heure plus tard, Doji Kohin envoyait à tous les officiers du royaume des Guetteurs la signification formelle de cette interdiction, en mettant au courant Kurukiba Khan, et sans m’en informer, moi. Je l’appris complètement par accident, d’un commentaire d’un des officiers en question, stupéfait de la véhémence de la réaction de Doji Kohin et se demandant ce qui se passait sur le domaine de la Grue.

Le soir suivant, je croisais Doji Dayue, une petite courtisane bavarde, un peu écervelée, mais sans malice, qui faisait partie du cercle rapproché de Doji Kohin. J’avais, par pure coïncidence, mon paquetage sous le bras.

- Alors, vous nous quittez ? me dit-elle avec un peu de compassion.
Vous étiez, il est vrai dans une situation difficile…c’était normal que cela arrive, même si rônin, ce n’est pas facile.... Pas trop de rancœur, j’espère ?
- Vous étiez au courant ? soufflai-je.
- Oh oui, Doji Kohin nous a tous mis au courant, à la dernière assemblée du clan, la semaine dernière.

Je retins ma respiration. Si Doji Kohin avait annoncé, une semaine avant mon entretien avec le Khan, à l’ensemble du clan de la Grue, que j’étais bannie…

- Qu’a-t-elle dit… exactement ? la questionnai-je en plantant mes yeux dans les siens.

Elle bafouilla :

- Eh bien…que vous allliez voir le Khan hier…
- Je suis allée voir Kurukiba Khan, lui dit-je sèchement, et mon entrevue s’est bien passée, je vous remercie. Mais qu’a dit Kohin-sama, précisément, lors de cette assemblée, pour que vous en tiriez une telle conclusion ?

De plus en plus mal à l’aise, la petite Doji répondit :

- Attendez, attendez, je m’en souviens, maintenant ! Elle a dit que vous alliez voir Kurukiba Khan, et que c’était normal si vous étiez préoccupée. Je vous ai vu avec votre paquetage, et j’ai sauté à une conclusion erronée…je suis ravie de m’être trompée !
- Bien sûr, je comprends. Ce n’est pas grave.

Je souris, et lui souhaitais une bonne soirée. Mes pensées, elles, tournaient comme un lion en cage. Rônin….

Le jeu était encore plus truqué que je ne l’avais pensé. Que pouvais-je faire, si ma disgrâce était déjà de notoriété publique, avant même mon entretien avec le Khan ?

Le lendemain, je reçus un message de Doji Kohin.

« J’ai appris avec étonnement, que vous avez questionné avec insistance une des personnes de mon entourage, sur ce qui a été dit au cours de la dernière assemblée, et que vous en avez demandé le compte-rendu. Outre le fait que vous avez mis cette personne dans une situation délicate en l’incitant à violer le secret de l’assemblée, je m’interroge sur les raisons de cette démarche indirecte. Si vous avez des questions sur un sujet concernant le clan de la Grue, je suis à votre disposition.
Je ne peux que constater que cela vient s’ajouter à la mise en garde d’hier, et je dois vous demander de ne plus renouveler ce type d’action qui placent des samurai de la Grue dans des situations désagréables, perturbantes et nuisibles aux règles de notre clan. »

Dix minutes plus tard, je recevais une convocation à effet immédiat chez Kakita Sakana.
Je m’y rendis. Mon cœur fit un bond – Doji Kohin s’y trouvait également.
Les yeux de Doji Kohin lançaient des éclairs. Je n’aurais pas autrement été étonnée de la voir brusquement se transformer en créature de l’Outremonde.

- De quel droit, cracha-t-elle, vous permettez-vous de vous mêler des affaires du clan de la Grue ! Vous êtes ici sur mon domaine, et par simple tolérance de ma part ! Vous devez obéir à ses règles !
- Je ne m’en serais pas mêlée, rétorquai-je, furieuse à mon tour, si elles ne m’avaient pas concernée ! J’ai été choquée d’apprendre que vous avez annoncé ma situation à l’ensemble de votre clan !
- Croyez-vous que je me soucie de vos petits problèmes ? J’ai un domaine à gouverner ! C’est votre manque de discrétion qui vous signale à l’attention des gens ! Et je n’accepterai aucune perturbation, de vous ou de quiconque !

Elle sortit en trombe.
Kakita Sakana me regarda de l’air attendri du vautour qui s’apprête à se régaler d’une carcasse.

- Elle est furieuse, et c’est normal. Depuis deux jours, vous faites n’importe quoi, Aiko-san. Vous insultez notre honneur, vous violez nos règles, le secret de notre assemblée la plus solennelle…vous auriez dû venir me parler, au lieu de manigancer des choses dans notre dos. C’est vraiment indigne d’une samurai.

Elle secoua la tête avec un air navré.
Je réprimai difficilement la réplique cinglante qui me montait aux lèvres, et sortis, contenant mal ma fureur. Kakita Sakana n’attendait que cela pour me porter le coup de grâce.

Je bouillais d’une fureur impuissante. A l’évidence, tout ce que je disais, tout ce que j’écrivais, tout ce que je faisais, était rapporté illico à Doji Kohin, qui saisissait le moindre prétexte pour m’accuser et me salir, avec une malveillance vindicative dont l’ampleur me choquait. Elle avait obtenu du Khan qu’il me bannisse, ne m’accordant même pas l’honneur du seppuku, et s’assurait en prime que je sois la plus déshonorée possible.

Ce qui, pour un Lion, est pire que de mourir.

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 29 sept. 2007, 22:49

édité
Dernière modification par matsu aiko le 30 sept. 2007, 14:30, modifié 1 fois.

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Moto Shikizu
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Message par Moto Shikizu » 30 sept. 2007, 10:01

:peur: :(

ils ne sont decidemment pas humains...
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Message par Kakita Inigin » 30 sept. 2007, 12:01

Si si ... on sert le favori plutôt que la disgraciée (la lâcheté est humaine) ... mais l'analogie avec les samourai est particulièrement judicieuse ... (l'analogie de Kohin avec Iznogood serait pas mal aussi)
Même si les dés sont pipés*, tu as essayé de chiffrer le nombre de vies de samourai que tu as permis de sauver ? Parce qu'une armée nombreuse c'est bien, une armée qui gagne ses batailles sans perdre d'hommes c'est pas mal aussi.


ca y est je médis du clan de la grue ... mon prochain perso est un Lion c'est sûr.

* (pub) Les pipes en terre sont les meilleures, l'opium imprègne les porosités de la céramique et le goût s'enrichit au fil des usages. :opium: :fou: :ryokoowari: C'est une vengeance de Shosuro Hyobu.

Note : depuis que la Clan de la Grue s'est si gentiment fait offrir la ville de ROT par le Clan du Scorpion, il se retrouve avec une enclave fort éloignée de ses frontières et a donc de gros besoins en stratèges militaires. Bien sûr les longueurs de trajets sont rébarbatifs mais certains quartiers de la ville sont plein de charme (il y a des jardiniers aux commandes). Je ne suis pas trop au fait des questions de préavis, mais fais-toi débaucher.
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Message par matsu aiko » 30 sept. 2007, 14:04

Kakita Inigin a écrit :
ca y est je médis du clan de la grue ... mon prochain perso est un Lion c'est sûr.
Ca, ça méritait d'être de taille normale :lol:
A partir du moment où tu as choisi de mettre un haiku d'une Lionne dans ta signature, tu étais fichu, Inigin-kun :x
C'est une vengeance de Shosuro Hyobu.
je ne pense pas...mais l'idée est amusante ;)
Note : depuis que la Clan de la Grue s'est si gentiment fait offrir la ville de ROT par le Clan du Scorpion, il se retrouve avec une enclave fort éloignée de ses frontières et a donc de gros besoins en stratèges militaires
Ca, c'est l'étape d'après...

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Message par Kakita Inigin » 30 sept. 2007, 17:18

Mais en fait j'ai déjà joué un Lion récemment (enfin ... y'a un an). c'était un Akodo manchot devenu ronin a près la mort d'Arasou parce qu'il ne supportait pas que la femme qu'il aimait devienne Champion (une matsu en prime) à la place du frère ainé de son daimyo défunt ...

Encore un idéaliste quoi.
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Message par Kyorou » 30 sept. 2007, 18:21

J'y capte résolument que dalle mais, Aiko-chan, sache que je t'envoie plein d'ondes positives. :ok:
In wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies.
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Message par matsu aiko » 30 sept. 2007, 20:02

Kyorou a écrit :J'y capte résolument que dalle mais, Aiko-chan, sache que je t'envoie plein d'ondes positives. :ok:
merci :x

si tu souhaites que je t'éclaire, je peux le faire en mp.

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