vue Seki (48 ) des 53 vues des stations du Tokaido de Ando Hiroshige.

Au printemps, Rokugan bourdonne d'activité.
C'est l'occasion pour ces seigneurs de visiter ses voisins, sa parentèle ou tout bonnement profiter des facilités de la ville après avoir été reclu tout l'hiver sur ses terres ou alors c'est l'heure de retourner chez soi après avoir assisté à une cour d'hiver en des lieux lointains.
En grand ou en petit équipage selon leur puissance et leur ostentation, les seigneurs se retrouvent sur les routes embourbées et encombrées de l'empire de toute cette agitation subite.
Trouver un logis pour le soir n'est pas chose aisée, toutes les structures suceptibles d'accorder un abris, auberges, temples voires simples maisons de thé transformées pour l'occasion en hostellerie jusqu'à la moindre gargote se retrouvent bondées et prises d'assaut.
Pour couper court aux attentes peu dignes à la porte des auberges, aux situations embarassantes de comparaison de statut - voire même conflictuelles - pour recevoir l'hospitalité d'un simple aubergiste, il s'est développé la coutume d'envoyer dans l'après midi un samuraï réserver l'occupation de tout ou partie d'un lieu d'étape en pavoisant ses murs aux couleurs de son seigneur.
C'est généralement à un ou deux des plus jeunes samuraï que l'on confie cette tâche peu glorieuse.
Peu glorieuse mais pas sans importance. Pour beaucoup de seigneurs, il s'agit là de tester les capacités de leurs derniers vassaux et de découvrir leur personnalité.
En effet, tous ces jeunes samuraï rivalisent d'audace, d'habilité, d'intelligence pour trouver le meilleur logis selon les moyens de leur seigneur. Il s'agit d'une réelle compétition, entre jeunes samuraï du seigneur et entre samuraï de familles différentes même si elle se veut plus ludique que conflictuelle.
Le petit peuple observe avec intérêt ces joutes qui constitue une véritable attraction. Les plus pauvres en retirent même un profit en guidant aux intersections, en servant de messagers, d'espion ou en étant soldé pour divulguer de fausses informations ...
De la course à cheval pour être parmi les premiers à arriver à un lieu d'étape et avoir le meilleur choix, aux alliances pour partager un même lieu, aux discussions de préséance en cas de revendication multiple, aux compromis, aux d'échanges d'information, au charme, à l'intimidation, au bon goût dans le choix de la demeure, à la mesure dans la contrainte du coût ... les capacités du samuraï sont largement sollicités et certains seigneurs se font même un malin plaisir à compliquer la tâche en demandant à goûter certaines spécialités locales ou à bénéficier de telle vue magnifique sur la baie ...
Si le duel, le recours à la violence n'est pas prohibé, il est en général (mais cela peut justement être un moyen d'intimidation pratiqué dans certaines familles) mal vu avec des armes réelles car c'est perdre de vue la mission confiée par son seigneur, trouver un logis pour le soir. Et si le samuraï est tué, le seigneur n'aura pas de lieu où coucher ...
Aussi, se battre pour la possession d'une auberge tenu par un heimin est fréquemment perçu comme quelque chose de ridicule pour les samuraï les plus pragmatiques.
Le pavoisement obéit à des coutumes strictes, polies au fil du temps même si elles n'ont en soi aucune valeur légale.
Toucher un pavois / une bannière d'un autre seigneur sans autorisation, c'est insulter la bannière, c'est insulter le seigneur.
Dès lors que les bannières sont aposées, les retirer ou les faire retirer pour déployer les siennes est un acte déshonnorable et est suceptible de demande de réparation les plus extrèmes.
On a vu ainsi des groupes de samuraï arrassés par une journée de marche sous la pluie s' entretuer devant des auberges - non pas pour pouvoir y loger - mais parce qu'un malotru avait osé mettre ses sales pattes sur le mon de son seigneur. Appréciez la nuance.
Il ne faut donc pas s'étonner que dans beaucoup d'endroit, l'interdiction de toucher à un pavois déployé soit incorporée dans le droit local pour couper court à tout débordement.
La taille de chaque pavois est plus ou moins grande selon le statut social du seigneur. Le nombre de pavois par rapport à la surface de l'établissement permet de se faire une idée générale de l'occupation.
Un pavois au dessus de l'entrée signifie que l'établissement est complet. C'est celui du réservant au statut le plus élevé qui est apposé afin que chaque samuraï puisse connaître la situation précise de l'établissement sans avoir la nécessité d'y rentrer.
Un seigneur d'un statut social plus élevé serait théoriquement en droit de faire partir un seigneur d'un statut social inférieur pour prendre sa place. Les samuraï d'ailleurs ne se privent pas d'user de ce droit envers les classes sociales inférieures, parfois manu militari.
Mais il faut une nette différence de statut pour que cela soit possible entre samuraï et la plupart des seigneurs préfèrent ne recourir à ces méthodes que dans les pénuries les plus extrêmes de logement toujours par crainte du ridicule mais aussi par peur d'être en définitive l'arroseur arrosé par un plus puissant que soit.
Quand bien même, se faire des ennemis pour un prétexte aussi futile est rarement vu comme une bonne chose et le départ est plus suggéré par un assaut de politesse (quel dommage, je n'ai pas de logis pour ce soir et la nuit tombe, vraiment je ne sais que faire ...) appuyé avec force cadeau.
Les moins délicats, les plus fiers (et les moins riches !) y préfèreront le bivouac sous la tente.
De toute façon, les plus grands logements ne peuvent loger la nombreuse suite des seigneurs les plus puissants et - sauf temple d'importance - une partie d'entre elles devra loger à la belle étoile où dans les écuries car il est hors de question qu'elle s'éloigne du seigneur.
Si le jeune samuraï est particulièrement attentif à trouver des lieux spacieux, il s'attirera la sympathie des petites gens de la suite. Si il est particulièrement attentif à trouver des lieux luxueux (et exigus), il s'attirera la sympathie des puissants qui en profitent ...
Être le "pavoiseur" (d'un jour ou d'un voyage) de son seigneur n'est pas une activité de tout repos, ni sans risque : de mourir, de tomber en disgrace, de se faire des ennemis, de faillir à la mission ...
Mais c'est une opportunité unique de prouver sa valeur à son seigneur, ses capacités à le servir à travers de multiples difficultés et indirectement de lui montrer quels moyens il utilise et à quel résultat il arrive, sa personnalité.
C'est aussi, l'occasion de discuter avec des jeunes samuraï d'autres familles une fois le gite trouvé et de nouer des contacts, des amitiés, de s'ouvrir au vaste monde.
Expressions rokugani issues de cette coutume.
Mourir (s'ouvrir le ventre) pour l'honneur d'une auberge : se dit d'une mort particulièrement inutile et stupide, où le samuraï a confondu l'honneur de son service et son propre honneur.
Inviter son seigneur à l'auberge : se dit sur le ton de la plaisanterie d'un samuraï qui engage des dépenses largement au dessus des moyens de son seigneur ce qui le mettra dans l'embarras au moment de régler la note.
Par extension, se dit d'un vassal qui acquiert un statut social élevé, proche de celui de son seigneur et qui lui fait ombrage.