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par Kakita Inigin » 07 avr. 2011, 09:50
Et d'ailleurs je commence.
(edit : JBeuh, crée un autre sujet à côté !)
Au départ d’un scénario, je pense qu'on est tous au même point : on a ouvert un nouveau fichier, on se retrouve face à une page blanche et nos petits doigts boudinés traînent sur le clavier en se cherchant des excuses pour n'appuyer sur aucune touche. C'est pas la gloire.
Par quoi commencer ? Par le titre ? Par une introduction ? Par l'intrigue ? Par les PJ ? Posée comme ça, la question a l'air de n'avoir aucune solution. L'intrigue d'entrée de jeu ? Ca fait brutal. L'introduction sans savoir quelle est l'intrigue ? Les PJ avant de savoir à quoi ils vont servir ? Disons qu'il faut distinguer l'ordre de rédaction et l'ordre de lecture.
Pour ce qui est de l'ordre de lecture, j'essaie d'avoir un "plan fixe", immuable : le titre bien sûr, deux courts paragraphes qui donnent, l’un, le contexte du texte (Ce scénario L5A est prévu pour 4-6 joueurs …), l’autre, une présentation de l’intrigue ou plutôt de son intérêt : une morale, une réflexion spirituelle, un paradoxe amusant, n’importe quoi qui suscite chez le lecteur « Tiens ça me plaît bien ça ». L’objectif est d’aguicher le lecteur et je dois avouer que j’y mets un soin particulier. C’est comme un roman : la première phrase doit donner envie de lire la suite, sinon, c’est pas la peine.
Ensuite on entre dans le fond : un résumé de l’intrigue (quatre lignes, voyez), un résumé des PJ et peut-être des PNJ (ou de ce que le scénario requiert comme PJ), le déroulement du scénario (avec introduction des PJ, motivations, tous les mouvements, conclusion, expérience et conséquences), et à la fin, ce que j’appelle les annexes (même si dans le cadre du concours, je les appelle autrement) : PJ, PNJ, plans, toutes les données chiffrées dont, objectivement, je me fiche (mais qui serviront vaguement à un autre MJ que moi).
Mais comment on l’écrit, tout ça ?
En général, quand je dois rédiger un scénario, pour éviter le syndrome page blanche, je n’ouvre le fichier que quand j’ai une vague idée et un titre. Même provisoire, le titre : aucune importance. Au moins un nom de fichier. « Idée 21 », ça peut suffire (en particulier pour un scénario Rokugan 2000* qui se passerait au XXI° siècle C.I.).
Comme il m'arrive d'avoir des idées mais que je n'ai aucune mémoire, je m'efforce de projeter le plus vite possible tout ce que j'ai dans le crâne. Je note donc à toute vitesse mes idées, en rouge, pour bien les séparer du texte "vrai", principal, final, que je ne mets qu'en noir. Deux couleurs, pas plus ; si on a besoin de couleurs différentes pour des variantes, c’est que l’idée n’est pas claire. Au surplus, les variantes … on peut les mettre dans le texte principal, pour délinéariser l’intrigue. Dès que j’ai ces idées, d’ailleurs, j’en profite pour mettre le texte en forme : Times New Roman, 12, justifié (toutes choses qui assurent mon confort de relecture), et roule.
Quand je veux me donner du courage, je pose le paragraphe de contexte : ça me fait toujours un paragraphe (et pas une page blanche), ça réhabitue mes doigts à écrire, c’est positif. Ensuite je peux entrer dans l’intrigue.
Quand j’écris pour moi, je me contente de huit lignes : les épisodes qui vont se dérouler. J’ai un scénario d’initiation, par exemple, qui tient en quatre lignes : une ligne par heure de jeu. Je l’ai étoffé récemment : il tient, en tout et pour tout, en sept scènes (mais des scènes de deux pages, quand même).
Quand j’écris pour d’autres (un scénario de concours par exemple), je fais les choses bien et à partir d’une trame assez légère (l’idée initiale) je développe un plan, quand même. Mais il n’y a qu’un pas entre l’idée initiale et le plan.
Je sais qu’il y a des gens qui font des schémas, des plans précis, qui tracent des diagrammes de variantes … parfois ça m’arrive, mais vraiment légèrement : pour comparer des groupes de PNJ (en taille, en puissance, en typologie) ; mais c’est surtout pour poser des idées. Je n’ai jamais fait un schéma de déroulement (une ligne, des branches alternatives, des conditions … oulah ça a l’air compliqué tout ça).
Non. Quand je veux structurer l’intrigue, je pose un plan. Première partie, intro, introductions des persos, comment les faire se rencontrer, qu’est-ce qui se passe. Deuxième partie, évènement, réactions possibles. Troisième partie, conséquences, réactions des PNJ, qu’est-ce qui se passe ensuite. Sous forme de titres ou de questions. L’avantage des titres, c’est que ça détermine des espaces de blanc qu’il faut remplir avec une seule idée à chaque fois (voire un seul paragraphe). Je peux même commencer à écrire les idées une à une (histoire de me souvenir à quoi correspondent les titres), de façon inaboutie mais ça fait toujours un début.
La conséquence de cette écriture un peu linéaire, sans plan d’ensemble pour l’intrigue, c’est qu’au final, ça donne des intrigues assez linéaires et relativement courtes. Heureusement, quand je rédige au propre, mon moulin à idées se met à tourner et j’étoffe assez facilement (vous avez dû remarquer que j’avais tendance à m’étaler). D’autre part, je mets des variantes.
La variante, ça peut prendre deux formes : soit un PJ réagit de façon imprévue par rapport au droit fil de l’intrigue (enfin, imprévue … il va s’agir de le prévoir pour donner des idées au MJ, donc de façon « pas prévue pour l’intrigue »), soit on introduit un PNJ / un acte de PNJ / une réaction de PNJ aux PJ différente. Selon les cas, ça peut changer totalement le final ou allonger la sauce (c’est très utile si vous voulez que le scénario dure six heures au lieu de quatre).
Et si … le Grand Méchant, au lieu d’attaquer les PJ de ce côté de la rivière, s’enfuyait de l’autre côté et se planquait dans les bois ? Il va falloir fouiller toute la montagne (ce qui est un bon moyen de repérer le petit temple prévu pour la partie 2).
Et si …les PJ, au lieu de fouiller la maison, y mettent le feu ? Les PNJ amoureusement préparés vont griller vifs, mais si le feu se propage, il faudra combattre l’incendie dans toute la ville, rencontrer les pompiers locaux, et ça simplifiera la prise de contacts avec les chefs des pompiers dans la partie suivante (notez que les termes PJ et PNJ dans ces deux exemples sont interchangeables).
Une fois que j’ai une intrigue un peu claire, je me fais les PJ. J’aime faire des prétirés. Ça permet de cadrer les persos en étant sûr qu’ils vont correspondre au scénario, et donc, inversement, que le scénario peut être écrit pour ces PJ-là. J’en profite pour rappeler que dans le concours de scénarios, il y a une note sur l’implication des PJ. Bon. Ça veut dire que les PJ doivent avoir une raison de se lancer dans le piège à rats que vous, scénariste sadique, avez prévu. Et vu le genre de scénarios que j’écris, il faut une sacrée bonne raison. Autant que les PJ soient les seuls à pouvoir correspondre à l’intrigue (évidemment, vous avez le droit de rajouter un paragraphe sur « Comment utiliser d’autres PJ » ou « Quels autres PJ utiliser », histoire que le scénario soit utilisable en campagne … à mon avis, ça donne des parties moins bien).
Pour favoriser l’implication, il y a des trucs. Mon idée, c’est que
a) La raison d’entrée dans l’intrigue doit être irréfutable. Genre le daimyo des PJ les y force parce qu’ils sont les plus compétents du fief** (voilà ce qui arrive quand on optimise outrageusement son perso), ou leur honneur familial les oblige à se lancer dans une vendetta sanglante et tragique***. Togashi Yokuni qui débarque dans une auberge où les PJ dînent, c’est juste nul, comme raison : par contre, Kitsuki Jotomon qui reçoit un ordre de son daimyo de Clan lui imposant d’accepter des heimin dans son dojo de Ryoko Owari, ça c’est une mission qui correspond au personnage.
b) Ce sont les PJ les héros. Autrement dit, pas de Scorpion retors qui monte un complot sordide et indétectable mais que les PJ découvrent quand même parce que sinon il n’y a pas de scénario : les PJ sont dans le Clan du Scorpion et ce sont eux qui font le sale boulot. Il y a un meurtre dans le scénario ? C’est un PJ qui a appuyé sur la lame. Il y a une enquête au cœur du scénario ? C’est un PJ qui en est chargé. (Si l’enquête porte sur le meurtre, ça peut mal finir entre les PJ****, vous êtes prévenus).
Là où il faut faire attention, c’est à l’équilibre entre les persos. Pas l’équilibre des caracs ou des rangs : ça, je m’en fiche. Si un PJ joue un shugenja et l’autre son yojimbo, il est assez évident que l’un est incommensurablement plus puissant que l’autre. Et ce n’est pas un mal (je dirais même plus : le yojimbo est absolument nécessaire pour protéger le shugenja sur autre chose que la magie, le combat rapproché, donc il faut les deux). Non, ce qui importe, c’est l’équilibre de jeu.
L’équilibre dans la conception du personnage, bien sûr. Chaque joueur doit en avoir pour son argent : des objectifs principaux, secondaires, optionnels, opposés à ceux des autres, qui lui donneront l’occasion de briller par son roleplay ou de lancer des brouettes de dés. En murder ou en GN, c’est encore plus fort, puisque les PJ se limitent quasiment aux objectifs (et à leur identité, quoi).
L’équilibre dans la conception et la rédaction de l’intrigue aussi. Prévoyez une scène d’introduction pour zéro ou pour tous les PJ ; à chaque situation, envisagez comment chaque PJ peut agir sous son meilleur jour ou quelles sont les conséquences pour lui. Par exemple, si on sert du thé à un moment quelconque du scénario, prévoyez que le fils aimant doit s’assurer que sa mère soit servie. Si nécessaire, prévoyez même des scènes pour mettre en valeur certains PJ qui seraient isolés.
Une fois que j’ai l’intrigue et les PJ, je peux mettre les bornes : introduction (de préférence, avant l’intrigue) et conclusion (à étoffer : expérience, conséquences des différentes options des persos, tout ça). C’est aussi l’occasion de modifier l’accroche et le contexte et de choisir le titre final.
Il y a quelques outils qui permettent de faciliter la compréhension de l’intrigue ou du déroulement de la partie.
- Un plan des lieux, s’ils sont particulièrement compliqués (s’il y a tout un château et qu’on se balade dans les salles, ça peut servir)
- Une chronologie des actions des PJ, PNJ, ou des évènements : en particulier s’il y a une liste d’évènements prévus, immuables, indépendants des PJ
- Un résumé des PJ au début. Deux lignes par PJ, histoire que le lecteur les ait en tête en découvrant l’intrigue
- Un descriptif de tous les PNJ présentés à la fin, et un résumé des principaux PNJ au début (même format que les PJ).
Bon, ça a l’air facile, dit comme ça. Ça l’est un peu plus si on prend le temps. J’écris un paragraphe, un autre ailleurs dans le plan, selon comme les titres m’inspirent, je laisse reposer deux semaines, je m’y remets … si on veut aller vite, il faut se forcer à écrire tous les soirs. Pas longtemps. Un chouïa. Trois fois rien. Mon rythme, c’est mille caractères par soir quand je ne suis pas inspiré. C’est un objectif simple à atteindre et rapide, qui permet, si on l’atteint avant le dîner, de remettre une couche après. Pour peu que l’inspiration soit venue avec le repas, on se retrouve à minuit avec deux à quatre pages de plus.
Il y a évidemment des trucs pour réduire la difficulté : mettre de la musique, se passer un film à côté … d’expérience, ça ne marche pas trop, sauf si c’est une musique « anodine ». Abba, ou Nightwish, pour moi, ça m’occupe les oreilles sans déranger mon cerveau, parfait. Ne pas se rendre compte du temps qui passe est un bon moyen pour avancer tranquillement dans ce qu’on écrit, sans se préoccuper des distractions inévitables (nourriture, famille, tout ça).
Mais, dans l’ensemble, il faut quand même s’astreindre, si on veut finir un scénario, à se plonger dedans à intervalles réguliers. Quinze pages ne s’écrivent pas toutes seules : et même si votre vitesse de frappe est supersonique, c’est la conception qui prend du temps, et puis les relectures, les changements, l’imagination des variantes. Mais si vous tenez un bon rythme d’écriture, vous pouvez rédiger un bon scénario en deux semaines, après les heures de bureau.
La prochaine fois, je vous parle de la génération d’idées intéressantes (je n’ai pas dit originales : intéressantes).
Référence des exemples :
* Concours 2009, 9ème : Alcôves.
** Concours 2009, 1er : Pour un Enfant.
*** Concours 2010, 1er : Vengeance et Pardon.
**** Concours 2010, 5ème : Régence.