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par Iuchi Mushu » 11 janv. 2010, 16:28
Lorsque je vis Shiro Moto pour la première fois, il me sembla imposant et fragile à la fois. Niché au cœur de 3 collines comme une rose de pierre dans une plaine d'herbes sèches et de sable, ses murailles crénelées hautes de 7 à 8 mètres étaient battues par les vents. Cela donnait à la pierre un aspect crayeux. Son immense porte formée de 2 battants donnait accès à une cour carrée et démesurée dans laquelle devait se rassembler hommes et chevaux mais j'étais dans l'incapacité d'en estimer le nombre.
Surplombant cette cour, un chemin et des tours de garde, aussi froides et imposantes que dressées fièrement vers le ciel. Au centre, le Shiro en lui-même d'un aspect austère, des arrêtes brutes de murs, tranchantes comme la volonté et la force de ses guerriers. On pouvait aisément penser que nul n'arriverait à bout de telles murailles et que cette bâtisse était à l'abri des temps. Les événements allaient me démontrer le contraire.
Mes deux compagnons revenaient chez eux et semblaient malgré les évènements heureux, moi j'étais mal à l'aise et oppressée par le décor et je ne pouvais m'empêcher de penser qu'alors que nous pénétrions entre ces murs, à quelques kilomètres de là, des créatures de l'Outre Monde sortaient par dizaine d'un puits pour ravager nos villages et nos terres.
Alors je le vis, Moto Terumori sama, le daimyo de la famille Moto pas plus grand que la moyenne des samouraï , en apparence calme, le visage hâlé par le soleil, l'œil vif et aiguisé, il me dévisagea et je m'inclinais, bafouillant mon nom, ce que mes compagnons n'avaient pas à faire, ils s'inclinèrent avec un grand respect. A ses côtés se tenait une samourai-ko du clan du crabe, d'une belle stature, en armure lourde, elle se déplaçait comme si elle portait un kimono de soie légère.
Nous fîmes alors le rapport des évènements, l'escorte de la samouraï du clan du Scorpion, la découverte de sa pratique de magie noire sous sa tente à la tombée de la nuit à travers un livre étrange qu'elle possédait dans ses bagages, sa décapitation par Moto Musashi et ensuite la création du puits à la tombée du livre sur le sol et ce malgré la mort de Yogo Yasuko.
Comme un traumatisme, la prononcée de ces mots ramena à mon esprit la vision de l'araignée géante aux dards empoisonnés alors qu'elle prenait vie et essayait de nous exterminer. Je me rappelais avoir fouillé dans ma sacoche à la recherche du parchemin comme une frénétique, mon esprit bouillonnait et si j'avais appris tout cela par cœur avec mon sensei, jamais je n'aurais pu imaginer l'horreur de ces créatures et la peur qui serre le cœur et les tripes quand l'affrontement survient. Un violent frisson me parcourut alors que nous évoquions tous les détails de ce cauchemar, la samourai-ko fulminait comme allergique à nos propos, je ne compris cette réaction que bien plus tard. Une fois notre récit terminé, elle fit part à Moto Terumori de l'extrême urgence de la situation et du fait qu'il fallait avertir les forces les plus proches de la passe de Beiden afin que soit enrayé la puissance du Dieu Sombre. Elle-même s'en chargerait. Elle aboya des ordres secs et je vis partir avec ses hommes, Hida Tadako, Général du clan du Crabe. J'avais l'impression d'être une fourmi à côté d'un cheval et ce sentiment me poursuivit longtemps en présence d'Hida Tadako.
Nous restions avec Moto Terumori, ses yeux lançaient des éclairs, ce que j'attribuais à la colère. A ses côtés se tenait un jeune homme, ses traits fins contrastaient avec ceux Moto Terumori, plus épais, bien que ce soit un terme que je n'aime pas employer, je dirais plus rustres, sa coiffure était impeccable et il avait des yeux d'un gris foncé très profond, j'appris au courant des minutes qui suivirent qu'il s'agissait de Moto Soro, le fils de Terumori sama.
Ils étaient si différents que l'on avait du mal à croire que c'était père et fils mais la même fierté brûlait dans leur yeux, celle de la famille Moto.
Rapidement des ordres furent donnés et la forteresse, en état d'alerte se mis à grouiller d'activité, chaque samourai, chaque ashigaru savait exactement ce qu'il avait à faire et en quelques heures, tout fût prêt. Mais prêt à quoi ? J'avais difficile à le comprendre. Moto Terumori était un homme efficace et il avait déjà dressé ses plans de bataille mais sans cesse je me demandais si vraiment les créatures du puits allaient arriver jusqu'ici ? Ne pourrait-on les stopper avant ? Je restais avec Moto Tsuchima et Moto Musashi peu coutumière de ce genre de situation, jamais je n'avais vu une forteresse s'ébranler ainsi à l'appel de la guerre, j'avais mal à la tête de cette effervescence et du stress grandissant qui montait en moi. Comme pour répondre à la gravité de la situation, Moto Terumori me fit attribuer une armure lourde pour le combat. Ce que je portais des années après comme une seconde peau me parût ce jour là, peser une tonne. Je n'avais aucune idée de ce qu'était qu'enfiler une armure lourde et là dans l'une des salles du shiro, on m'aida à monter chaque pièce de ce carcan qui allait me sauver la vie quelques heures plus tard.
Certes, je n'étais pas ignare, des armures j'en avais déjà vues, mais l'armure de la famille Moto a ceci de particulier qu'elle est d'un blanc éclatant avec des martelages qui donnent à certains endroits des reflets et lorsque le soleil rougeoyant la frappe, on dirait des tâches de sang. Je ne pouvais m'empêcher de penser que le blanc est la couleur de la mort, nous allions tous mourir...Etait-ce là le présage de cette armure ?
On me remit un mempo pour protéger mon visage, noir et blanc il représentait le visage sombre d'un acteur de théâtre kabuki. Harnachée puis seule, je regardais ce masque, il me donnait des frissons tellement il avait l'air sévère. J'examinais la pièce dans laquelle je me trouvais, du mobilier simple la meublait et de grands tapis étaient posés au sol, influence des terres étrangères à la limite de notre clan, ces tapis avaient toujours des couleurs chaudes mais là dans cette armure blanche j'étais glacée, je sentais son poids sur mon corps comme le poids de ma faute, celle de n'avoir pas pu maîtriser une situation que l'on nous avait confié. Aujourd'hui je me dis que notre jeunesse et notre inexpérience ont bien servi les acteurs qui se trouvaient derrière les paravents, ils n'auraient pas pu espérer mieux que ce petit shugenja naïf et fier du clan de la Licorne.
Je m'approchais des fenêtres pour voir dans la cour, les cavaliers sur leur monture en rangées bien ordonnées, tous vêtus de l'armure blanche. A leur tête Moto Soro coiffa son heaume, solennellement d'un geste mesuré. J'étais impressionné de voir comme ces hommes allaient embrasser leur destin avec tant de sérénité et de discipline. Cette image me hanta longtemps et la nuit, des mois plus tard alors que la cour était vide, j'entendais le piaffement des sabots martelant l'impatience des chevaux et transpirant la nervosité de leur cavalier, invisible aux yeux humains mais perceptible par les sens de l'animal.
La troupe s'ébranla avec à leur tête Moto Soro, il les mènerait jusqu'à la passe de Beiden afin de renforcer les troupes d'Hida Tadako. Nous restions au côté de Moto Terumori , retranchés à l'intérieur des murs, au nombre de dix, dix samouraïs.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)