Inspiré de la nouvelle de Hida Hota.
La nuit tombe sur le Mur. Assis sur le rebord d'une meurtrière à onagre je fais passer mon yari de mon épaule gauche à la droite ; ce faisant j'agite les doigts gourds de ma main gauche. Quelques camarades renouvellent le bois du brasero ; le sac une fois vidé, Hida Segoki le replie et le pose sous le trépied de fer noir. La semaine dernière il a dû ramener le forgeron de la tour chez lui : le Mal l'avait pris. Tiens, j'ai utilisé le nouveau mot pour parler de la Souillure. Le nouveau daimyo a imposé ce terme il y a un an, et il est encore peu employé. Les habitudes ont la vie dure.
Au loin, sur ma gauche un petit point de lumière bleue dans la nuit. Peut-être un gobelin qui s'allume un feu. Ces créatures de malheur traquent les nezumi avec acharnement et en font leur pitance. Mangent-ils aussi ceux d'entre nous qui échouent pour leur gempukku ? Cette idée me donnait la nausée, dans les couloirs du dojo.
Hikaru-taisa s'accoude à la rembarde, un peu plus loin, regardant vers les terres sûres de notre Clan. Il a encore un morceau de flèche planté dans l'épaulière résultant de la dernière attaque. Je ne sais pas depuis combien de temps il n'est pas redescendu ; lorsque sa fille est née, nous étions tellement fréquemment attaqués qu'il n'a pas dû descendre. Hier il a perdu sa plaque dorsale ; il l'a remplacée par l'épaulière de Kaiu Naoki, qui est tout ce qu'un oni a laissé de cet homme fluet. Curieux tout de même que les dents - ces dents ... - se soient refermées sans avaler l'épaulière. Ce sont les hasards de la guerre ...
La brume se lève. Nous l'attendions plus tard, peut-être au matin mais elle est là et ne semble pas vouloir partir elle est sombre et assez opaque purée de bois cramé c'est fréquent dans cette région Hikaru s'est allongé pour dormir à même le sol ce n'est pas prudent ici il ferait mieux de rentrer s'abriter il y a parfois des tirs de flèches il dort un peu de bave lui sort de la bouche une bave rouge il y a un gobelin devant moi qui vient de l'endroit où dort Hikaru je sursaute il a dû me toucher il me sourit et part vers la porte lentement vers la porte dont les deux gardes dorment il leur caresse la nuque comme des enfants sages il l'ouvre il entre dans la tour il referme la porte la brume commence à se dissiper le gobelin ressort revient vers moi je sursaute encore il me sourit encore il est gentil il part je crois qu'il redescend le mur j'espère qu'il a une corde sinon il va se faire mal la brume disparaît.
Amaterasu-kami se lève sur l'Empire. Déjà ? J'ai dû dormir sans m'en apercevoir. La relève va bientôt arriver, je les vois déjà sur l'autre bras de mur, de l'autre côté de la tour. La porte en est ouverte, entrebaillée.
Voila qui est inhabituel !
Je m'avance sur le chemin de ronde et je vois Hikaru-taisa. Il baigne dans un mare de sang. Les deux gardes de la tour sont morts. J'entre dansla tour : le sang imprègne le sol, goutte dans les escaliers de pierre. La relève ouvre la porte. Hida Saki-taisa, qui la commande, se fige.
- Hida Tanjuro, que se passe-t-il ici ?
- ... ils semblent tous morts, sama ! Je n'ai vu personne !
- ... Tous ? Sortez vos armes !
Ses hommes s'exécutent. Les lames jaillisent claires dans les raies qui viennent de la porte et les fenêtres. L'un d'eux va fermer la porte d'où je viens, regarde les trois corps, soupire, ferme la porte. Nous sommes en sécurité. Le dernier, je sors mon katana, tranquillement. Nous ne risquons plus rien. Saki-taisa regarde mon arme, puis vrille son regard dans le mien. Puis encore mon arme. Je regarde Devoir.
Il est plein de sang.