Petit texte (dix chapitres, pas plus) sur des manoeuvres politiques d'un genre un peu particulier.
1- Otosan Uchi
- Le départ de Matsu Aiko va poser un problème.
L'homme agenouillé devant la tablette prit une tasse de thé entre son pouce et son majeur. La posant sur sa main gauche ouverte, il la fit lentement tourner, regardant les volutes qui se dégageainet de la surface du liquide. Des bulles subsistaient encore sur les bords. Délicatement, il y trempa ses lèvres puis reposa la tasse sur la tablette. Sa main gauche se reposa sur son obi, le pouce à l'intérieur, les quatre doigts rapprochés. L'autre occupant de la pièce regarda ces doigts, alignés comme sur le saya d'un sabre, tout en continuant à pincer les cordes du shamisen.
- Un problème, dono ? La voix était douce et mélodieuse, dansant sur les notes de musique égrenées par l'instrument.
- Son départ de cette ville, inévitable, va créer un vide. Le magistrat que j'ai dû nommer à sa place, bien qu'Otomo, ne fait pas le poids.
- Vous avez nommé un Otomo parce que vous ne pouviez faire autrement, dono. Mais n'est-ce pas maintenant un avantage ?
Doji Satsume regarda Miyoshi d'un air pénétrant. Le ciel, dans le jardin, était masqué par des cerisiers.
- Explique ta pensée.
- Hai, dono (Elle abaissa ses mains, l'air fini). D'une part, personne à part vos proches conseillers ne sait que Otomo-sama a été nommé là par dépit. Peut-être croient-ils que c'est une pierre angulaire de votre partie avec Hyobu-sama. D'autre part, vous pouvez renforcer cette idée en utilisant tout ce qu'il vous rapporte de façon à détruire la réputation de Hyobu-sama. Ainsi, cette pierre que vous estimez mal placée pourra être la cheville d'un encerclement.
- Et ensuite ? Cela va se voir. Au bout de peu de temps il sera disqualifié. D'une façon ou d'une autre, les Scorpions me le mangeront.
- Alors sacrifiez-le avant qu'ils ne puissent vraiment le prendre. Et en échange de ce sacrifice, conquerrez des territoires.
Doji Satsume regarda son conseiller politique, qui était aussi geisha dans le civil, et sourit. Dehors, ses gardes, attentifs à son emploi du temps, s'impatientaient.
- Rejoue-moi un air. Je suis de bonne humeur.
2- Voie du lointain écho de gloire
- Nous arriverons à Kosaten Shiro dans une heure, sama.
Le capitaine des gardes s'était rapproché du palanquin vert sombre. Il portait, près des aisselles, deux mon identiques – les palmes et le chrysanthème. L'occupant le congédia d'un mouvement de tête.
- Vous avez fait du bon travail, Seppun-taisa. Retournez près de vos hommes et soyez vigilant. Les Matsu n'ont pas d'honneur et aiment à franchir la frontière.
- Hai, sama.
Petit con prétentieux élevé dans un lit de plumes. La pensée avait fusé spontanément dans l'esprit du capitaine, mais aucun esprit nétait là pour l'entendre. En théorie.
Mais l'occupant ne pensait déjà plus à lui.
- Je ne sais pas ce que tu as contre les Lions, Ojino-sama, mais ...
- Tais-toi, Akishi-kun. Tu ne les connais pas. Je les ai vu, ces chiens hurlants, raser une ville tenue par ces autres vermines du Scorpion ... je m'en souviendrai toujours.
- Alors de quoi te plains-tu ? Ils ne sont hideux qu'avec les Scorpions, cla ne doit pas t'inquiéter ...
- Et avec les Grues ! Les cousins de l'Empereur ! Comme ils ruissellent de haine contre eux !
Shiba Akishi ne répondit pas. Il aurait pu défendre encore ces guerriers intraitables, mais qiuand son ami était parti sur la rengaine « Les Grues sont les cousins de l'Empereur » (à se demander qui étaient les Otomo), rien ne le détournaitde son courroux. Le jeune yojimbo sourit donc doucement et reprit un raisin.
- Enfin, nous approchons du château. Sais-tu, Ojino-sama, qu'on dit que les Daidoji ont une telle confiance dans l'honneur des Lions que la porte des eta n'est pas protégée ?
- Foutaises ! C'es la mieux protégée au contraire ! Tu imagines que les Lions enbtrent par là, et que le commandant de la place doive expliquer à son daimyo que la faiblesse proverbiale de la forteresse n'était pas renforcée ? Impensable ! En réalité les eta doivent suivre un chemin invraisemblable pour sortir, tous chargés de crotte !
- Non, en effet.
- Eh bien, cette porte est inviolable. Les Lions le savent bien, d'ailleurs, c'est pourquoi aucun de leurs assauts n'est lancé dessus. Parce qu'il suffirait d'un mouvement d'éventail pour ériger un mur de piques et d'arcs le long de cette labyrinthesque entrée. ce qui rajoute à la rumeur.
Il s'interrompit. Par delà un vallon, Kosaten Shiro, le Châtau à la Croisée des chemins, la plus puissante forteresse Daidoji, dressait ses six donjons en dessus de la route impériale et du fleuve.
3- Otosan Uchi
- Satsume-sama, votre devoir ne saurait demeurer inconnu d'un homme tel que vous !
La voix suave de Kachiko s'adressait à lui, mais ses oeillades s'adressaient à son fils. La Mère des Scorpions avait été envoyée négocier cet accord par Bayushi Shoju, qui savait bien ce qu'il faisait. Pour un peu, il aurait juré que son interlocutrice imitait les intonations de sa défunt épouse.
Pourtant, les documents étalés sur la table ne faisaient aucun doute. Le Scorpion était sincère. Stasume connaissait Shoju depuis vingt ... depuis trente ans. Le jeune daimyo du Scorpion avait grandi sous l'oeil de satsume et de son père ; lorsqu'il était arrivé à la Cour, Satsume était Champion. Et depuis vingt ans, ils travaillaient ensemble à la gloire de l'Empe ... de l'Empire.
Il n'étaient que trois dans la pièce. Kachiko avait exposé le plan le plus secret du Clan des Secrets. Tout tenait en vingt feuillets, Prophétie, mouvements des troupes, ordres signés ... De quoi envoyer tous les Scorpions à la mort. Confiance totale. Mais ce ne fut pas Satsume qui lança la question.
- Kachiko-sama, malgré vos arguments, j'ai un peu de mal à voir comment vous comptez nous prouver la pureté de vos intentions. Devant le crime que vous préparez, il nous faut des garanties ...
- Encore vos jeux, petite Grue ? Encore vos faveurs et contre-faveurs ?
- Non, madame. Mais je veux une preuve que vous êtes sérieux, et prête à nous donner une garantie de votre détermination.
- Alors, parlez. Que voulez-vous ?
Mais ce ne fut pas le fils qui répondit. Ce fut le père.
- Laisse, Kuwanan. Kachiko-san, vous voulez que je vous aide à tuer l'empereur Hantei. En échange de l'accès à Otosan Uchi et de mon soutien, moi, Doji Satsume, Champion d'Emeraude et Campion du Clan de la Grue ...
Il laissa sa phrase voler dans l'air limpide du printemps. Il l'avait ferré. Elle ne pourrait plus refuser la demande exprimée si fortement – sous peine de tout perdre. Mais, un instant, dans ses yeux il sembla lire la connaissance ... comme si elle savait déjà ce qu'il allait demander, comme si tout cela n'avait été qu'un prologue à son acceptation du Destin.
... je veux Ryoko Owari Toshi.
***
Elle était partie. Partie avec ses plans, ses rouleaux, partie avec sa trahison plein les mains. Satsume et son fils cadet demeuraient seuls.
- Père, vous savez que je suis à vos ordres. Mais je ne comprends pas ...
- Tu ne comprends pas pourquoi je trahis mon meilleur ami, pourquoi je trahis mon seigneur, pourquoi je romps ma parole d'être son Champion et de mettre la force de mon bras à ses côtés en toute circonstance ?
- Non.
- Parce qu'ainsi, en donnant l'apparence au Scorpion qu'il triomphe, je gagne une partie depuis trop longtemps commencée, encore mieux que je n'aurais rêvé. Et, en connaissant tous leurs plans, je me donne une chanc inestimable de sauver la lignée impériale. Que ferait Shoju sans moi ?
- Il échouerait ?
- Oui, mais pas sans tuer l'Empereur, son fils, sa nièce, quelques cousins ... de quoi mettre ne danger le Sang de Hantei. Bien sûr, sans pouvoir se maintenir dans la capitale, ce qui le pousserait à retarder ses plans. Alors qu'avec moi, je peux cacher quelques héritiers possibles, je peux récupérer quelques certificats de naissance préventivement, et surtout, surtout, je le force à se dévoiler alors qu'il ne fait que croire être prêt. Je peux sauver la vie de cette larve de Sotorii si je joue finement, et peut-être même empêcher la mort de l'Empereur. Mais nous aurons détruit le Scorpion, et j'aurai mis la main sur la seconde ville de l'Empire. Tant pis pour le Scorpion, tant mieux pour la Grue.
Kuwanan se sentit soudain encore plus petit devat tant de prévoyance.
- Père, je ...
- Oui, je sais ... mais surtout, pas un mot à Hoturi. Il raconterait tout à son épouse, et elle trouverait le moyen de faire des sous-entendus subtils comme un oni dans un de ses contes.
- Hai, sama !
(à suivre)