Qin, en moins de 100 minutes
C'est l'histoire d'un jeu de rôle fait sur un truc très sérieux par quelqu'un qui nous l'espérons tous l'est beaucoup moins.
Ce jeu parle donc, de manière ludique et romancée, d'un petit coin de la planète qui abrite un peu plus du tiers de l'humanité actuelle. Mais pas à notre époque, vu qu'on a déjà tous les films de J.Woo pour les études sociologiques de Hong-Kong et que tout le monde sait bien qu'en dehors de ce bled, les chinois ne sont que des paysans illetrés ou des militaires en uniforme. La chine moderne, personne n'a envie d'y vivre et pas davantage d'y jouer. Ou alors, avec les chinois comme grands méchants.
Un peu comme les vieux jeux de l'ère reagan, avec des soviétiques partout partout et des titres qui en disaient long sur le niveau du roleplay genre "Fight For Freedom" et "Red Dawn"…
Qin n'est pas un jeu comme celui là. Qin, (Tchin, phonétiquement) vous parle de paysages fantastiques tout droit sortis des vieux films des Shaw Brothers, avec des décors magnifiques en carton et des horizons lointains peints sur le mur du studio qui valent bien ceux des émissions de télé-réalité question réalisme.
Dans ces décors évoluent des personnages également magnifiques avec leurs épées en aluminium, leurs chaussons de danse, leurs kimono qui ne se froissent que quand c'est bien pour l'histoire et leurs fausses nattes. Ils ont tous des noms imprononçables quand on a pas une troisième narine et il leur arrive cependant malgré tout ça le genre de choses qui arrive habituellement à des personnages de jeu de rôles. C'est la différence entre l'apparence et la substance. En dépit des apparences, c'est bien du jeu de rôles.
Parce que malgré tout un jeu de rôle doit être un jeu avec un minimum de sérieux, il y a des règles inspirées de la mystique taoiste sur les éléments. D'abord, ça permet de rassurer les joueurs d'un autre jeu que nous ne citerons pas en leur disant un truc un peu bateau du genre "tu vois, c'est un peu le même principe, tu seras pas perdu". Accessoirement, ça fait style aussi quand on en parle autour de la table. Genre que on est plus en phase avec l'univers et tout ça.
Donc, déjà, le système de règles offre par sa simplicité une potentialité de richesse insoupçonnée. Comme dirait mon prof de Tai Chi, "de la simplicité nait la complexité. Aujourd'hui tu apprends à marcher, demain tu apprendras qu'en marchant tu peux les faire voler. Comme il faut toujours voir la dynamique du yin et du yang sous toutes ces facettes, en plus de marcher, aujourd'hui je vais d'ailleurs t'apprendre à voler". On peut discuter à loisir autour de la table sur le fait que la Terre, c'est bien la Terre, que le Métal et le Bois c'est pas la même chose et que non, c'est pas parce que le Feu représente la dimension sociale du personnage que ça veut forcément dire que tu peux te taper toutes les gonzesses que tu croises.
Vois tu, des fois, tes rivaux en amour te le montreront, l'intelligence d'une tête de Bois l'emporte facilement sur la passion irraisonnée de l'égo qui tente par ses belles paroles de partager son Feu. A ce moment là, tu comprendras lorsqu'ils t'auront mis par Terre ta véritable place dans l'ordre des choses ("j'ai compris la volonté du Ciel" dirait Confucius) et tu te redresseras, brandissant le Métal de ton épée d'aluminium pour réclamer justice. Las, ils auront l'avantage et comme l'Eau sait s'adapter à tout changement, tu prendra la fuite pour mieux nourrir dans le ressentiment la flamme de ton personnage en racontant à tout un chacun des exploits mensongers. Ainsi, tu reviendras au départ, du Yin intérieur vers le Yang extérieur pour retourner en toi et tu pourras appréhender le temps de quelques jets de dés la dualité cosmique suprème du Tao : tu n'avais pas besoin d'aller chercher en chine ce qui se trouvait déjà en toi.
Tel est Qin, ce jeu exagérément sérieux ou il faut se faire percer une narine supplémentaire pour parvenir à prononcer correctement des noms propres qui possèdent au moins quatre transcriptions écrites selon que tu lises des références en français, en anglais, modernes, contemporaines ou plus obscures. Mais au final, personne ne t'en voudras si tous tes personnages s'appellent Bruce ou Jacky. De la complexité peut aussi naitre la simplicité, mais il faut aider un peu quand même.
Evidemment, aucun jeu ne saurait être vraiment du jeu de rôle s'il n'y avait justement du rôle. Pour ce faire, il doit comme de juste y avoir des scènes dans des auberges (avec des décors gracieusement prétés par les Shaw Brothers) ou l'on mange des spécialités locales (le premier qui prononce le mot sushi passe par la fenètre…). Rapidement, on en vient à donner des diminutifs affectueux aux personnages sauf quand leurs noms sont bien plus rigolos au naturel. N'est ce pas, mademoiselle Ping Ping ? Du rire nait la détente, de la détente nait le plaisir. Ainsi vont les choses.
Evidemment, aucun jeu ne saurait être vraiment du jeu de rôle sans action. Que l'on porte des espadrilles fabriquées à Pékin ou des bottes de cavalier, un kimono de soie reconstituée ou une armure de guerrier (au fait, elles sont en quoi les armures ?), on peut combattre seul contre vingt sur un pont de corde près de la cascade. Ou jouer à Tigre et Dragon parmi les bambous. Bien évidemment, aucune cour de monastère-avec-des-culturistes-faisant-des-exercices-chorégraphiés, aucun patio de villa de riche-seigneur-compatissant-mais-hai-par-son-rival-qui-aimerait-bien-se-taper-sa-fille-mignonne-tout-plein-et-lui-voler-les-secrets-de-l'école-de-la-tête-à-l'envers n'aurait de raison d'être sans quelques aimables échanges de coups de poings, de pieds, de baton, de lance, d'épée en alu et d'éventails en fonte. Oui, je sais, l'étiquette chinoise, c'est bien compliqué dés qu'on a dépassé le Ko-teou. Enfin bon, pendant que vous ferez toutes ces acrobaties, vous pourrez toujours traiter l'autre de sâle chien ou de petite nouille, ça vous dispensera de devoir ahaner péniblement afin de prononcer son nom.
Question combat, Qin vous offre la possibilité d'y aller "à l'ancienne" (c'est à dire que tout le monde bouge beaucoup mais qu'on n'abime que du papier et du contreplaqué), ou à la moderne (on bouge moins mais la moitié du décor doit être ravagée à la fin du combat). Pour ceusses qui ont aimé la nouvelle trilogie starwars, y a aussi la possibilité de faire comme G. Lucas : beaucoup d'effets spéciaux pour remplir beaucoup, beaucoup de vide.
A Qin, on a donc de la magie. Comme toute chose, la magie est liée au Tao et aux éléments. Ce qui fait qu'on peut en remettre une couche à leur sujet et que ça permet aussi (en plus des effets pyrotechniques) de meubler le décor sans avoir à payer un dialoguiste. Comme quoi, les effets spéciaux, c'est utile quand on n'a pas d'idées, s'pas, Georges ?
Pour ceusses qu'auraient pas compris, la magie de Qin n'est pas celle du cirque de Pékin. Elle s'inspire de sources réelles. Il a fallu aller déchiffrer des idéogrammes vieux de trente siècles dans des catacombes enterrées dans le lit de la Rivière Noir-Vert-Brun (celle en aval des usines sidérurgiques). C'est du sérieux. Ca a été compilé avec des sources plus modernes comme Rouge de Chine par exemple. Et puis, les gars de ILM ont été très partants pour le côté visuel, comme je crois l'avoir déjà dit.
Pour les gens qui aiment se distinguer et ont du mal à visualiser la tronche de leur moi virtuel avec un petit chapeau rond, des yeux bridés, une fausse natte et un kimono (au fait, on dit kimono en chine ?), il y a le petit plus technique des écoles d'arts martiaux et de leurs secrets. Je parle pas de l'aspect règle et tout ça, je parle des possibilités évoquées par une marmotte de ma connaissance qui permettent à un joueur de dire un truc du genre "je suis Chang Le Dragon du Nord Unijambiste, Maitre des Secrets de la Fourchette Qui Vole". Ce qui fait avouons le nettement plus cool, que "yo, je suis Bébert, Paladin/Ninja/Roublard/Ensorcelleur avec une Vorpale +17 et le don Métabillisme Intégral". Et en face, au lieu que le mj rétorque "le troll t'attaque", il peut dire "la créature te répond : je suis Chung, Le Phénix de la Cascade Eternelle, Maitre des Secrets de l'Assiette Vide. Tes Techniques de la Fourchette sont sans effet sur celles de l'Assiette car on peut manger le contenu d'une assiette sans fourchette mais l'on ne peut manger avec une fourchette sans le contenu d'une assiette". Et ce faisant, nous avons une fois de plus la dimension yin-yang de l'interpénétration des concepts inextricablement liés l'un à l'autre. Fourchette et assiette, assiette et fourchette. Quelle merveilleux destin que cet affrontement éternel, immanent.
(pardon ? oui, je sais, ils mangeaient avec des baguettes… qu'est ce que j'y peux moi ? c'est du chinois ce genre de choses en ce qui me concerne…).
Voilà, petit scarabée, si tu as lu ceci en moins de 100 minutes, tu es encore très très loin d'arriver en chine.
Mais la chine, elle, est arrivée jusqu'à toi.
Tu te sens différent ?
Moi non plus.
Yin-Yang.
De la vacuité nait l'existence et de l'existence nait le sentiment de sa vacuité.
Des longs voyages nait la nostalgie du foyer et du foyer nait l'envie d'en franchir le seuil pour partir en voyage
Paysages imaginaires et vies oniriques nourrissent ton sentiment d'existence intrinsèque dans le mystère ineffable de tout simplement Etre. Avant de disparaître
Bonne route, ami, un dernier verre pour t'y accompagner
Tchin, tchin.
