[Récit de partie][Spoilers] La Cinquième Réincarnation

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[Récit de partie][Spoilers] La Cinquième Réincarnation

Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 15:17

:samurai: La Cinquième Réincarnation :samurai:

Une campagne mastérisée et narrée par Rahsaan

Bonjour à tous.
Cette campagne a débuté en décembre 2003 : nous avons été jusqu'à 6 à jouer ensemble. A partir du 4e épisode et jusqu'au 13e, nous avons même été deux MJ à préparer les scénarios et à alterner au cours des parties.
A l'heure actuelle, la campagne n'est pas finie et va repartir avec seulement deux joueurs.
J'ai fait le récit de nos parties et je les présente maintenant sur la VdR. Je vais mettre petit à petit les récits, à mesure que je les aurai relus (excellente occasion de le faire du reste ! :king: )

Si vous désirez laisser une appréciation, allez sur ce topic :

Les textes de Rahsaan

Bonne lecture à tous. :biere:

:samurai:
Dernière modification par rahsaan le 17 avr. 2006, 15:49, modifié 1 fois.
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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 15:48

PRESENTATION

Les Personnages - Joueurs

Hida Shigeru : bushi ; bon vivant ; 4 enfants ; amateur de coups de tetsubos (pas pour lui, pour les autres !)
Isawa Ayame (f) : shugenja de l'Air ; a perdu un bras ; dépendante à l'opium ; anti-conformiste, curieuse à l'envi pour ce qui touche aux vilains secrets.
Kakita Hiruya : duelliste ; 100% Grue : beau gosse, riche, clairvoyant, vantard, as du katana ; touché par le Vide ; surnommé "l'Odieux"
Mirumoto Ryu (f) : bushi ; spécialiste du nazodo ; "diplomate avisée" d'après elle, "gaffeuse hors-pair" selon les autres PJ
Riobe : rônin ; tacticien, ayant une haute idée de l'honneur
Shiba Ikky (f) : yojimbo d'Isawa Ayame ; désapprouve l'atittude de celle-ci
Shinjo Kohei : bushi Licorne ; ami d'enfance de Kakita Hiruya ; surnommé Koko-kun ou encore Gros-domo par les autres joueurs


Les Personnages - Non-Joueurs
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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 15:50

LES AVENTURES


Prologue : Les rônins de Yamasura

Episode I : La chevauchée des impurs

Episode II : Ailes de Phénix, ailes de Dragon

Episode III : Le conte des douze heures de Heibetsu

Episode IV : Le lion sous la peau du loup

Episode V : Les scorpions de la vallée d'Inchu : volume I - volume II

Episode VI : Deux contes d'automne : volume I - volume II

Episode VII : L'offrande au Chêne Pâle

Episode VIII - Tous ceux qui vivent dans la nuit...

Episode IX : Cour d'hiver : Liste des invités - Prologue - Récit

Episode X : Les subtilités de la cour (I) : récit - suite du récit

Episode X : Les subtilités de la cour (II) : note - récit - suite du récit

Episode XI : Les feux d'artifices de Toshi Ranbo : récit - suite du récit

Episode XII : Mimura, le village aux miracles : récit - suite du récit

Episode XIII : Le procès Kumanosuke

Episode XIV : Pour qui sonne le glas : récit - suite du récit - fin du récit
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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 16:11

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : Prologue
Singe 1126 (fin de l'été)

Les rônins de Yamasura

Le soleil était haut dans le ciel quand Shinjo Kohei franchit à cheval le col de Yamasura et aperçut la petite ville des terres du Dragon. Il était déjà venu chez ce clan plusieurs années auparavant, mais se sentait toujours autant à l'étranger, parmi ces sages isolés dans leurs montagnes. L'air, le ciel, les chemins, tout était étrange dans ce pays pour un Licorne venu des grandes plaines de l'Ouest.
Après avoir passé le pont encombré par des caravanes marchandes et des rônins plus ou moins crasseux, Kohei-san pénétra en ville, où il se fit remarquer de la foule pressée dans la rue, lui qui était monté sur son grand destrier gaijin.
Le Licorne ne prêtait pas attention à la populace, non par dédain mais parce que ces gens étrangers n'avait aucune importance à ses yeux, lui le fils du seigneur du village du lac aux rives blanches. Et il estimait que ce village, que d'aucuns auraient pris pour le bout du monde, était en quelque sorte le plus beau de Rokugan. Et il n'avait aucune idée de ce que cela pouvait signifier d'habiter à Yamasura : étaient-ils bien des Rokugani comme les autres ?
On vit donc arriver de loin Shinjo Kohei, depuis le chemin de ronde du chateau de Yamasura, car si on y voyait un Licorne chaque année, c'était déjà un évènement remarquable.

Notre héros se présenta à la poterne du chateau, devant laquelle il mit enfin pied à terre. Le soldat de garde était impressionné par le personnage bizarre qui lui parlait du haut de cette monture immense. Celle-ci fit l'honneur à un marchand d'aller crotter près de son échoppe qui, assurément, dut se considérer béni par les Fortunes de pouvoir recueillir cette offrande précieuse autant qu'exotique.
- Konnichiwa, Mirumoto-san, dit Kohei au gunso de garde, je suis invité par l'honorable seigneur de Yamasura pour le temps des festivités. Veux-tu me dire si mon ami Kakita Hiruya est là, et dans ce cas, aller le chercher ?

Surpris, le gunso salua et rentra en vitesse dans la cour du palais. Pendant ce temps, Kohei caressa son cheval et lui parla comme à un ami, pendant que des etas venaient ramasser les "offrandes" de la monture et que plusieurs marchands tentaient d'intéresser Kohei à leur bibelots, sans succès. C'est à peine s'il les entendait, occupé qu'il était à donner des croûtons à Teyandee, sa belle monture.

Enfin, une petite porte s'ouvrit et un samuraï du clan de la Grue, cheveux colorés en blanc, environ 25 ans, en kimono impeccable, vint accueillir le Licorne.
- Kohei-san, comment vous portez-vous ? Avez-vous mangé du riz ce matin ?
Le Grue avait parlé avec beaucoup de politesse et de retenue, sans cacher toutefois un sourire amusé. En retrouvant son ami, qu'il n'avait pas dû voir depuis presque quatre ans, le Licorne fit pris à la fois par la joie et la nostalgie :
- Teyandee ! [crévindiou !] Kakita Hiruya ! comment vas-tu ?
- C'est un plaisir de te revoir, Kohei-san, entre donc !
- Avec plaisir !... Et vous, occupez-vous bien de ma monture, dit-il sévèrement au garçon d'écurie ; si vous la traitez mal, je le saurai en la revoyant.
- Tu sais bien qu'elle ne peut rien te cacher, ajouta Hiruya, qui constatait que son ami n'avait pas changé.

:samurai:

A l'entrée de Yamasura, Riobe le rônin patientait depuis plus d'une heure pour avoir l'autorisation de rentrer. Les samuraï Mirumoto, malgré les instructions reçues d'accueillir les rônin, les considéraient tout de même à peine mieux que comme des têtes de bétail. Riobe avait du répéter une bonne dizaine de fois qu'il venait pour le tournoi, et qu'il se trouvait auparavant sur les terres du clan de la Licorne, et qu'il était de retour des terres lointaines du Moineau.
Quoique jeune, Riobe était fatigué non seulement par sa vie aventureuse depuis quatre ans, mais par ce dernier voyage, pendant lequel il avait dû gravir d'abruptes sentiers de montagnes ; fatigué enfin par l'entêtement des samuraï de garde et par la cohue populaire.
Il ne fut pas mécontent d'arriver dans l'Auberge du Bon Ronin, qui accueillait ses semblables. Il y avait dix d'entre eux attablés, festoyant joyeusement, sans vergogne. L'aubergiste et sa famille tournaient chêvre pour servir tout cette bande de braillard depenaillés.

Riobe demanda à rejoindre sa chambre et à pouvoir prendre un bain. Il se laissa couler avec plaisir dans l'eau bouillante et oublia pendant une heure sa fatigue et ses soucis.

:samurai:

Au palais de Yamasura, le daimyo de la cité, Mirumoto Benkei recevait son supérieur, le puissant Mirumoto Akuma, seigneur de la vallée d'Heibetsu, qui avait ordonné la tenue de ce tournoi des rônins. A l'issue des affrontements, les meilleurs combattants se verraient adoptés dans la famille Mirumoto et envoyés dans une grande et nouvelle armée. Des rumeurs circulaient, prétendant que le général Toturi, le Lion Noir, approchait des terres du Dragon, et qu'il campait peut-être déjà au pied des montagnes éternelles. On disait même que le très retiré Togashi Yokuni en personne, daimyo du clan, avait rendu visite au général rônin et à toute son armée.
Depuis le coup d'Etat et la disgrâce de Toturi, c'était bien la première fois que ce dernier recevait -semble t-il- l'aide d'un clan majeur.
- Décidément, ces Dragons sont bien étranges, dit Kohei à son ami Hiruya, qui lui expliquait la situation.
- Et toi Hiruya, tu es venu avec ton maître ?
- Oui comme je te le disais dans ma lettre, nous ne desespérons pas de montrer aux Dragons la supériorité du style de Kakita sur le...
Hiruya soupira : il lui en coûtait de prononcer ce mot :
- ... le Nitten...
Il soupira et hocha la tête, consterné que les Dragons aient eu l'idée de se battre à deux sabres.
- Il y a deux autres invités au palais, sais-tu ? Une shugenja du clan du Phénix, appelée Isawa Ayame, et sa yojimbo, Shiba Ikky.
- Tu connais les Phénix mieux que moi, Hiruya-san, pour avoir déjà séjourné chez eux.
Les deux hommes se promenaient dans les jardins du palais, et croisèrent à ce moment deux samuraï-ko aux kimonos couleur de feu : les deux Phénix en question.
La shugenja était d'un physique timide et affichait une expression polie mais renfermée. Kohei nota qu'elle avait perdu son bras gauche. La yojimbo mesurait une bonne demi-tête de plus que la shugenja. Elle avait de grands yeux verts, couleur inconnue ou presque des yeux Rokugani. Cela dénotait des influences gaijin dans son sang. Origine qui ne dérangeait pas Kohei-san outre-mesure, puisque ses ancêtres venaient de bien plus loin que Rokugan, mais qui devait choquer profondément les Rokugani de l'est, traditionalistes au possible.
Les deux femmes saluèrent et passèrent sans plus de formalités, plus oiseaux de glace que de feu.

:samurai:

Le lendemain, on apprit qu'un rônin avait été tué en ville. Il avait reçu un coup de katana en travers de la poitrine. Les autorités pensaient à une rixe entre rônins qui avait mal tourné. On apprit que les Mirumoto, sur le conseil du puissant Mirumoto Akuma, avaient mis sur cette affaire l'un de leur plus fin limier, la samuraï-ko Mirumoto Ryu, dont la réputation de beauté n'était plus à faire, et n'avait d'égale que sa froideur à l'égard des hommes et son mutisme général.
- Je trouverai l'assassin, avait-elle dit simplement.

Le surlendemain, un second meurtre se produisait. Shinjo Kohei et Kakita Hiruya, qui se promenaient en ville, furent sur place rapidement, peu avant l'arrivée de l'enquêtrice Ryu et du rônin Riobe, qu'elle avait engagée comme assistant. Peu après, on voyait arriver les deux Phénix, Ayame et la yojimbo Ikky, venues de nulle part. L'enquêtrice Ryu se dit qu'elles étaient là toutes les deux, comme par hasard. Elle avait cru percevoir quelque chose de louche dans l'oeil d'Ayame la shugenja : elle la soupçonnait déjà.
Ce soir-là, Kakita Hiruya se lança à la poursuite du meurtrier, une silhouette dans la nuit et faillit le rattraper, quand le fuyard disparut en sautant par dessus un mur ; et l'honneur interdisait à Hiruya de se lancer dans de telles acrobaties.

La veille, Riobe dînait avec les autres samuraï sans clan dans l'auberge, quand soudain une très belle Dragon était entrée, et s'était présentée sous le nom de Mirumoto Ryu. Aussitôt, elle avait pointé du doigt Riobe, et lui avait dit :
- Toi, tu cherches du travail ? j'en ai à te donner !
Eberlué, Riobe avait accepté, sous les regards à la fois très envieux de ses camarades, qui n'avaient pas approché de femme depuis des mois, et pleins de sous-entendus égrillards !
Le ronin ne se souvenait pourtant pas avoir jamais rencontré cette enquêtrice appelée Ryu-san. Il ne savait pas ce qu'il l'attendait quand il serait à son service. Mais sans doute étaient-ce les Fortunes qui avaient parlé par la bouche de Ryu...
L'enquêtrice soupçonnait déjà es deux Phénix d'être liées à la mort du rônin. Elles avaient été aperçues non loin des lieux du crime, la première nuit.
Riobe avait bien aperçu ces deux samuraï-ko la veille dans les mauvais quartiers, car elles se rendaient à la maison d'opium. Il accepta de les surveiller et ne trouva aucune preuve de leur culpabilité. Il semblait plutôt au rônin qu'au lieu d'aller se coucher, la shugenja était sortie de nuit pour aller consommer de la drogue, accompagnée de mauvais gré par sa yojimbo. Par malchance, ces visites à la fumerie coïncidaient avec les deux assassinats.

L'enquête ne faisait que commencer. L'un des cadavres avait été sévèrement coupé en deux et on découvrit que les victimes avaient été souillées par la malédiction du Dieu Déchu ! Oui, les victimes portaient la Souillure de l'Outremonde.

Ryu avait failli en venir à accuser directement les deux Phénix de ces meurtres et à se battre en duel contre la yojimbo, mais au dernier moment, elle préféra ne rien dire.

C'est le second soir que le puissant Mirumoto Akuma, organisateur du tournoi, entra dans une de ces tonitruantes colères qui ont fait sa réputation. Il cogna indifféremment samuraï et serviteurs pour qu'ils se dépêchent de trouver le meurtrier ! Il y avait plein de rônins en ville, c'était forcément l'un d'eux !
Le lendemain du second meurtre, pendant le tournoi, un des ronin qui se présenta sous la tribune du seigneur Akuma-sama mourut, visiblement empoisonné. C'est ce que purent établir le docteur Mirumoto Munetaka, avec l'aide d'Isawa Ayame.
L'affaire prenait vraiment une vilaine tournure et il y aurait fort à faire pour démêler tous les mystères qui se cachaient là-dessous !


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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 16:33

Chroniques de l'Empire d'Emeraude

1er Episode : Mois du Singe 1126 (fin de l'été)

LA CHEVAUCHEE DES IMPURS


Mirumoto Akuma, très honorable seigneur du Dragon, qui s'enorgueillissait d'organiser le tournoi des ronins, n'avait sans doute jamais eu l'occasion de rugir et de tempêter, comme ce fut le cas durant ce tournoi, en ce temps qui auraient dû être festif.
Un premier ronin assassiné dans les bas-fonds, passe encore, il pouvait s'agir d'une vieille querelle. Mais un deuxième le lendemain soir, et cette fois avec comme témoins un groupe d'honorables samourai, cela faisait trop !

Le meurtrier était en fuite : l'honorable Kakita Hiruya avait pu apercevoir sa silhouette dans la nuit. Le lendemain, affront direct à la personne de Mirumoto Akuma : un ronin, lors d'un duel pour la phase finale du tournoi, mourait face à son adversaire, non pas selon le Bushido, mais en crachant son sang, sa bile et en se vidant horriblement. Le témoignage de l'honorable Kakita permit d'établir qu'il était bien le meurtrier de la veille.

Plus tard, à l'auberge du Bon Ronin, un quatrième ronin, du nom de Honzo, était assassiné, après s'être confessé à son ancien camarade de route, Riobe le rônin. Et Riobe, honorable, sut que Honzo, malgré une vie de samuraï deshonoré, n'avait complétement oublié le bushido.

:samurai:

Les yorikis parcouraient la ville, traquant le meurtrier. Et ils ne s'paerçurent par qu'une bande samuraï sans famille s'enfuyait en profitant de la confusion.
Le diagnostic du médecin d'Akuma-sama, l'honorable Mirumoto Munetaka, de sa shugenja, Agasha Nahoko, ainsi que de la shugenja Isawa Ayamé permit de confirmer que les victimes avaient bien eu leur katana et leur corps souillé par l'Outremonde.
L'insulte contre Mirumoto Akuma-sama et tout le clan du Dragon était gravissime. Il ne pouvait y avoir de pardon pour le ou les coupables.
Une enquête menée par l'honorable Mirumoto Ryu, aidée du ronin Riobe, permit d'établir que ces meurtres relevaient d'une même vengeance, et que les coupables s'enfuyaient vers le château de la Libellule, au pied des montagnes.

Akuma-sama avait promis à Isawa Ayamé de la laisser accéder à de précieux parchemeins de cette bibliothèque des Libellules. Accompagnée de son yojimbo Shiba Ikky, ainsi que de Mirumoto Ryu, la shugenja comptait partir le lendemain. Du même coup, elle serait de l'expédition qui chasserait les meurtriers.
Ce voyage d'étude se transformait en chasse à l'homme. Riobe, au service de la bushi Dragon, ainsi que Kakita Hiruya et Shinjo Kohei de la Licorne, tous témoins du second meurtre, avait prêté serment d'aider Akuma-sama.

Le groupe de ces courageux jeunes samurai partit vers le sud, à travers l'étroite plaine appelée l'Aile Verte. Mirumoto Ryu, Shiba Ikky et Riobe restaient de garde autour de la voiture à porteurs qui transportait l'honorable shugenja Isawa. Partis en avant-garde, les deux fougueux cavaliers Kakita Hiruya et Shinjo Kohei rattrapaient plusieurs des rônins souillés, les expédiant rapidement au pays de leurs ancêtres.
Mais le reste de la bande devait bien connaître la région ; en dépit des ruses continuelles des bandits, nos courageux bushi eurent raison de plus de cinq d'entre eux en peu de temps.
L'un d'eux, le chef de la bande vraisemblablement, utilisa la plus vile des ruses pour fuir la juste colère des katana : dissimulé dans un bois, il se tapit tel une bête, attendit le moment où les jeunes bushi ordonnaient à des eta une battue. Il tua et prit la place d'un de ces hommes de peine, rentra au village eta et s'enfuit le lendemain.

:samurai:

Arrivés à la bourgade commerçante de la Panse Sacrée du Dragon de Jade, les samourai rencontrèrent le bushi Hida Sotan et trois de ses guerriers, qui séjournaient pour la nuit avec le seigneur Mirumoto local.
Nos héros repartirent avec les Crabe, qui ne pouvaient laisser vivre des bandits souillés par l'Outremonde s'ils avaient la possibilité d'abattre leur tetsubo sur eux. Du reste, ils faisaient justement route vers le sud et passeraient par le chateau de la Libellule.
Le seigneur de ce petit clan, le sage Tonbo Toryu, accueillit, avec son amabilité coutumière, les invités imprévus.

Là, l'honorable shugenja Isawa Ayame n'eut guère le temps de consulter les parchemins promis. Le lendemain, dans un riant village près du chateau, à l'aube, un horrible massacre se produisait. Passant comme une bande de démons enragés, une grosse vingtaine de ronins semait le désastre et le chaos dans le Village des Poissons au Ventre Précieux.
Le seigneur Libellule restait sur ses terres pour s'occuper de ses gens. Nos héros, avec ce gaillard de Hida Sotan et ses bushis, prenaient part à la chasse aux ronins souillés.
Ceux-ci avaient attaqué le village pour dérober les précieux poissons, dont les oeufs, préparés dans un breuvage spécial, avaient la vertu de diminuer la souillure de l'Outremonde.

:samurai:

Nos héros arrivèrent sur les berges du grand fleuve, qui, coulant depuis les montagnes du Phénix à l'Est, jusqu'aux terres barbares de la Licorne, à l'Ouest, marque la frontière des Dragons avec les terres du redoutable clan du Lion.
Les ronins avaient passé le pont en semant la désolation sur le poste de garde du seigneur Matsu. Plusieurs bushi avaient trouvé la mort, mais nombre de ronins souillés avaient été tranchés par la fureur des Lions.
Le seigneur Hida Sotan refusait de continuer la chasse sur le territoire des Lions.
Mais nos héros avaient juré sur l'honneur à Akuma-sama d'abattre cette vermine de ronins. Or, la guerre faisait rage entre les Matsu et la Cité des Apparances, aux mains des Grue, un peu plus à l'Est. Nos héros arrivaient donc en plein milieu de cette région où le conflit entre la main gauche et la main droite de l'Empereur s'envenimait. Après de difficiles négociations, nos samourai purent poser le pied en terre Lion. Ils durent cependant passer la nuit d'avant à la Cité des Apparences. Les honorables bushi, menés par le fringant général Daidoji Morozane, devaient donner l'assaut à l'aube, le lendemain, contre la forteresse Matsu.
Nos héros, tenus par leur serment, rentrèrent en terre Lion avant que la bataille n'ait lieu. Kakita Hiruya eut un pincement de coeur en entendant l'affrontement commencer, alors qu'il s'aventurait dans le territoire des ennemis de son clan.

Nos héros n'eurent pas fait deux heures de route qu'un groupe de bushis Matsu venait au-devant d'eux. Ils acceptèrent de collaborer avec eux pour en finir avec les ronins souillés.
Nos héros partirent vers le petit village du Pelage Gris. Avançant sous le tir des flèches des ronins, ils pénétrèrent dans le premier bâtiment, et eurent à affronter en duels rangés six de ces crapules. Mirumoto Ryu, les deux sabres au clair, désireuse de montrer ce que vaut le Nitten des Dragons, fit beaucoup dans l'affaire et en expédia quatre en quelques cisailles précises.

:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 17:07

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation
2e Episode : Mois du Coq (début de l'automne)


AILES DE PHENIX, AILES DE DRAGON

:samurai:

CHAPITRE 1 : DANS LEQUEL NOS HEROS EN TERMINENT AVEC LES RONINS SOUILLÉS

La première maison du village avait été vidée des affreux ronins. Il semblait que le groupe des cavaliers enragés avait trouvé le bout de la piste. La chevauchée arrivait à son terme.
Nos héros avancèrent dans la ville, encore muette de peur après l'arrivée des ronins et leur prompt châtiment.
Une auberge était remplie d'une partie de la population, effrayée. Le peuple se serrait contre le comptoir ou aux tables. L'aubergiste se montrait accueillant, presque obséquieux, comme il est d'usage, pour des samourai qui venaient de sauver le village. Mais il n'était pas entièrement sincère.
- Reste t-il encore des ronins dans le village ? grondèrent nos héros.

L'aubergiste hésitait, un peu trop pour avoir la conscience tranquille. Il mentait, c'était sûr, et la peur lui tordait les intérieurs !
Un groupe de voyageurs s'apprêtait à quitter l'auberge. L'un de ces hommes fut soudain pris de violentes contractions, tomba à genoux, plié en deux, se mit à cracher force pituites et glaires, à gémir, à se tordre. Soudain, vision d'horreur, toute l'assistance d'honnêtes gens put voir une hideuse langue verte, longue comme un serpent, puante et dégoulinante d'un suc empoisonné, sortir de la bouche du personnage.
La hideuse souillure de l'Outremonde avait fait son oeuvre ! Soudain quatre hommes sortirent leur sabre : des ronins eux aussi, ses gardes du corps.

Nos héros, Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky Mirumoto Ryu et Riobe, sortirent et firent face aux cinq rônins. Le serment prêté à Akuma-sama impliquait la mort de toutes les crapules mêlée aux hommes souillés par Fu-Leng.
Généreux, nos héros tentèrent de dissuader les ronins : ce n'étaient que de jeunes fous, fascinés par leur sombre chef à la langue chargée ! Pour un peu d'argent et de frisson d'aventure, ils pouvaient perdre leur vie. Quelle folie !
Mais ces jeunes guerriers s'étaient engagés à se battre : ils ne voulaient plus reculer d'un pas. Tous la main sur la garde, ils défiaient du regard nos héros, qui regrettaient de devoir les expédier.
Le chef de la bande vida les secrets de sa vilaine âme. Il se nommait Hikozaemon. Bushi Crabe, il avait été envoyé avec son daïmyo et d'autres samourai dans l'Outremonde. Trahis par ses autres hommes, Hikozaemon et son seigneur avaient tentés de retrouver la grande muraille. Ils s'étaient perdus, et le daimyo étaient morts sur les terres de Fu-Leng.
Les bushis revenus à la muraille avaient été dégradés au rang de ronin. Revenu lui aussi, Hikozaemon s'était fait ronin à son tour. Des années durant, il avait traqué les déserteurs. Il avait retrouvé les derniers au tournoi des ronins. Il les avait assassinés, par le fer ou le poison.
Au Village du Poisson, près du chateau de la Libellule, aidé d'une forte troupe de ronins, il avait dérobé des poissons dont les oeufs auraient pu le guérir de la souillure.
Mais il était trop tard.

Mirumoto Ryu exécutait le serment prêté à son maître. Elle s'avança la première pour engager le combat. L'affrontement fut bref, âpre et sans pardon. Cliquetis d'armes, lame qui taille la chair, cris d'agonie. Shiba Ikky abattit deux adversaires et Riobe démontra sa bravoure en tuant Hikozaemon le souillé, au péril de sa vie, pour sauver la vie de celle qui l'avait engagé.
Nos héros nettoyèrent leur lame, et s'éloignèrent des cadavres, dont se chargeraient les etas.
Les Matsu arrivaient peu après.
Au chateau du fleuve, nos héros furent accueillis sèchement. Un message était arrivé pour Hiruya : il devait retrouver rapidement son daïmyo dans les terres du Dragon. Un autre message était de la main d'Akuma-sama : le Seigneur invitait nos héros à participer aux festivités d'ouverture des vendanges. C'était une invitation qui leur faisait grand honneur.
Les samourai passèrent la nuit à la Cité des Apparences, chez le général Daidoji Morozane (vainqueur l'avant-veille veille), qui écouta leurs exploits, déplora l'aveuglement des Lions et espéra des jours meilleurs, même si rien n'annonçait une accalmie, bien au contraire. Une mystérieuse maladie, foudroyante, se déclenchait sur la côte de l'océan. Il fallait parfois brûler des villages entiers...

:samurai:

CHAPITRE 2 : DANS LEQUEL NOS HEROS SEJOURNENT AU CHATEAU DE LA LIBELLULE

Le lendemain, nos héros repassaient le fleuve, ce qui les ramenait sur les terres de la Libellule. Hida Sotan et ses bushis les attendaient : il devait obtenir une audience auprès des Dragons, et desespérait d'en avoir une par leurs diplomates, les Libellules.
Le seigneur Tonbo Toryu accueillit nos samurai. Comme promis par Mirumoto Akuma-sama, Isawa Ayamé pourrait consulter les précieux parchemins de la Libellule. Pour l'heure, le daïmyo Tonbo convia nos héros à une cérémonie du thé.

Les Libellules pensent le monde comme l'écoulement de l'eau, qui change toujours de forme, s'adapte, se transforme au gré du mouvement des autres choses. Il est nécessaire de s'adapter à ces changements. Cette philosophie est généralement réprouvée par les autres clans, sauf les Dragons et les Phénix, les deux clans tutélaires de la Libellule.
Tonbo Toryu était homme de sagesse et de pacifisme. Il voulait que chacun puisse s'exprimer librement dans cet asile qu'était son jardin.
Il déplorait les excès de l'orgueil, s'inquiétait de ce que la folie obscurcissait trop souvent l'honneur des hommes.
Isawa Ayamé partageait cette idée : trop souvent les passions menaient à la guerre, à la mort.
Riobe maintenait que la vie devait être mise au service de l'honneur.
Pour une fois, Kakita Hiruya tombait d'accord avec le ronin : l'honneur est l'unité de l'homme, sa noblesse au même titre que son sabre.
Shiba Ikky disait que l'honneur ne devait pas être confondu avec la folie guerrière, et que les menteurs et traîtres disparaîtraient bientôt.
Enfin, Shinjo Kohei disait que la vaillance ne pouvait être confondue avec l'aveuglement.

Nos héros restèrent une semaine au Chateau des Libellules. Isawa Ayame trouva plusieurs parchemins de grand intérêt sur la sagesse des Dragons. Anti-conformiste dans ses opinions, elle prit soin de choisir des récits de sagesse en désaccord avec l'orthodoxie Phénix, en les mêlant à de pieux parchemins sur les vertus de l'Ordre Céleste. Ikky apprenait la cithare, et certains soirs, allaient au village cherchait des plantes qui, fumées, réconforteraient la shugenja, victime des douleurs de son bras manquant. Kohei desespérait d'apprendre l'équitation à Ryu, et s'entraînait à l'arc avec Riobe.

Un groupe d'Ize Zumi, ces mystérieux hommes tatoués, se trouvaient sur les terres de la Libellule. Ils parlèrent à nos héros. Ils voulaient les mettre en garde, mais ils parlaient dans un langage si énigmatique qu'ils ne se firent pas comprendre. Des ombres rodaient, même derrière les créatures de feu et de lumière, disaient-ils. Les vents soufflaient de mauvais présages. Des démons remontaient du sud ; certaines terres seraient mauvaises, et pourraient infester les autres.
Nos héros comprenaient qu'ils évoquaient de mauvais présages pour la fête des vendanges chez Mirumoto Akuma.

Par l'intermédiaire de Ryu, les Ize Sumi obtinrent l'escorte de Hida Sotan dans les terres du Dragon. Tout surpris, le Crabe partit peu après. Seul Kakita Hiruya n'avait pas passé la semaine chez les Libellules : il devait retrouver son daïmyo au plus vite ; il fut autorisé à partir dès le lendemain de son arrivée, escorté d'un passeur de montagnes.

:samurai:

CHAPITRE 3 : OU NOS HEROS VOYAGENT VERS HEIBETSU

Nos héros, remis de leurs fatigues et des blessures du combat, partirent vers les hauts sommets enneigés des montagnes Dragons. Avec un guide, ils montèrent pendant de longues journées, laissant derrière eux les vallées de la Libellule. Ils montaient sur des chemins souvent abruptes, et devaient tenir leurs montures en bride.
Par un jour de grand soleil, Shinjo Kohei aperçut dans le ciel une grande créature, lumineuse et fantastique. Ikky confirma avoir vu aussi cette créature, juste sous le soleil. Etait-ce une hallucination ? ou un présage ?... Elle était éblouissante, puissante et rapide comme les tourbillons de vents.

Maintenant vêtus d'épaisses fourrures, les samourais atteignaient les hauts plateaux. Ils eurent à affronter des pillards à moitié gaijin, venus du nord. A deux reprises, ils purent sauver une caravane de marchands qui se rendait dans la vallée d'Heibetsu, chez Akuma-sama. Les pillards déclenchaient des avalanches de roches et fonçaient ensuite sus à la précieuse cargaison. Mais ils trouvèrent ce jour là la lame de nos héros et par conséquent une mort rapide dans ces pentes enneigées.
Un incident sans gravité survint : alors qu'elle descendait une pente, Ikky fit une chute légère, qui fit tomber son grand chapeau chinois. On découvrit alors une longue et légère chevelure, ainsi que ses fines épaules. Tous purent alors constater que le groupe comptait en réalité trois samurai-ko ! Jusqu'ici, on croyait en effet qu'Ikky était un homme.

Après ces journées dans les hauteurs solitaires, à ne croiser que de petits villages isolées, ce fut enfin le passage du col et la redescente vers la riante vallée d'Heibetsu, village natal de Mirumoto Ryu. Cette cité luxuriante accueillait un important trafic commercial et nombre de d'hôtes du clan du Phénix.
Cette période de l'année attirait de gros marchands, venus vendre et acheter leurs produits précieux. Plus encore, de nobles bushis Phénix, Dragons, Licornes, Grues se rencontraient dans ces lieux, ajoutant à la richesse des costumes et aux chatoiements des couleurs.
En ville, un soir, les deux Phénix croisèrent encore des Ize Sumi : "même l'être de la lumière, même la créature du feu a derrière elle une ombre qui la suit..." Cet avertissement rendait le même son de cloche que celui du chateau de la Libellule...

:samurai:

CHAPITRE 4 : OU NOS HEROS SONT CONFRONTES AUX OMBRES D'HEIBETSU

Les samourai furent reçus au palais de Mirumoto Akuma. Kakita Hiruya s'y trouvait déjà depuis quelques jours.
Le seigneur les recevrait à dîner pour les glorifier devant ses bushis, pour la réussite de leur mission. Ryu allait auparavant retrouver sa fille et sa mère, qui s'étaient tant inquiétées pour elle. Nos héros burent ensemble une collation, Phénix exceptés, car Ayamé était déjà partie dans sa chambre : elle devait s'assoupir dans ses vapeurs opiacées pour se remettre du voyage.
Le lendemain soir, ce fut une glorieuse réception. Akuma-sama, en présence de ses bushis et de Kakita Yobe (le maître de Kakita Hiruya), désigna de son éventail d'honneur nos héros, afin qu'ils soient justement glorifiés. Tous s'inclinèrent brièvement devant eux, puis Ryu fit un récit prosaïque, en quatre phrases, de leur aventure, avant que ses compagnons de voyage n'y ajoutent quelques précisions, pour rendre la chose plus vivante. Puis on but et on mangea, en profitant, sur les conseils d'Akuma-sama, de ces moments heureux au milieu d'une époque troublée.

La nuit même, Isawa éprouve le besoin de se rendre dans une de ces fumeries d'opium. Elle désire du calme et de la paix, pour lutter contre le chagrin qui la menace. Elle veut oublier son triste passée dans les narcotiques.
La bienveillante Ikky parla aux serviteurs, afin que la sortie des deux Phénix soit discrête. De même, elle parla aux soldats. Les deux samourai passèrent la nuit dans l'établissement d'opium d'Heibetsu, sans être dérangées. Elles rentrèrent à l'aube.
La servante les prévint qu'elle avait disposé des coussins dans leur couche, afin que les yorikis croient que les Phénix n'avaient pas quitté leur chambre. La shugenja remercia la prévenante femme.

En inspectant la chambre, Shiba Ikky vit alors que la fenêtre était restée ouverte. Or, elle était certaine de l'avoir fermée... Elle se précipita sur le coffret qui contenait les parchemins d'Ayame : ils s'y trouvaient tous. Elle respira. Mais à nouveau elle eut le souffle coupée : dans sa couche et dans celle de son yojimbo se trouvaient plantées des shurikens.
Le signe de ceux que les paysans, dans leur superstitions, appellent ninjas...
Dans la couche de la shugenja, un serpent était lové. N'ayant pu mordre, il s'était endormi ici. Les connaissances médicinales d'Ayamé lui indiquaient que le venin de l'animal tuait à coup sûr... Et les esprits du vent soufflaient à la shugenja qu'un ignoble serviteur en noir s'était bien introduit dans la chambre...

Fallait-il prévenir Akuma-sama de ces funestes évènements ?
Les deux Phénix décidèrent de n'en rien faire. Ils ne parleraient pour le moment pas de cette visite nocturne. Pourtant, Shinjo Kohei, qui ne trouvait pas le sommeil, avait vu une silhouette courir sur les toits, et disparaître en sautant hors du mur du palais.
Riobe s'était levé tôt : il alla proposer ses services au capitaine Mirumoto Taro, le chef de la garde d'Akuma-sama. Il fut chargé de collecter des renseignements en ville sur d'éventuels troubles à venir, et de faire son rapport à la première heure, chaque matin.
Il ne restait que deux jours avant le début des fêtes des récoltes.

En début de matinée, Mirumoto Ryu arrivait au palais accompagnée de sa fille pour présenter celle-ci au seigneur Akuma. Mirumoto Akiko n'était encore qu'une enfant de trois ans, emerveillée et intimidée par le palais d'Heibetsu. La famille Mirumoto passa l'après-midi à l'Auberge des Sommets.
Quand Ryu, sa mère et sa fille entrèrent dans cette belle auberge, Riobe était accoudé au comptoir, à deviser avec le patron, tandis que dans le fond de la pièce, trois Licornes avalaient un copieux repas. Ils portaient les couleurs de la famille Moto, connue pour être proche des Crabes et traîner une sinistre réputation d'avoir vu certains de leurs frères déchoir et servir désormais Fu-Leng...

Riobe s'eclipsa discrêtement à l'arrivée de Ryu. Dans les rues, il croisa les deux Phénix et Shinjo Kohei. Il leur dit qu'il partait en enquête, puis passa son chemin. Isawa Ayamé passa le reste de la journée en bibliothèque, rejointe quelques heures par Agasha Nahoko, la shugenja d'Akuma-sama. Quant à Hiruya et son maitre Yobe, ils instruisaient de jeunes Dragons des merveilles de la technique du sabre de Kakita.

:samurai:

CHAPITRE 5 : OU RIOBE LE RONIN ENQUETE DANS LES BAS-FONDS D'HEIBETSU

L'enquête de Riobe le mena dans les bas-fonds d'Heibetsu, là où les honorables samourai de clans ne pourraient jamais aller sans transgresser le bushido.
Le ronin entra dans un établissement où des parieurs échauffés formaient cercle autour d'une table de Go. Les deux joueurs étaient au coude à coude pour la victoire. Les paris montaient, chaque coup provoquant encouragements, stupeur et passions dans la foule.
L'un des deux adversaires finit par perdre à deux reprises. Il était ivre. Riobe lui offrit de jouer contre lui, perdit et put lui tirer quelques vers du nez. Le pauvre diable, un dénommé Kazu, avait beaucoup trop bu. Il parla, avec confusion, d'une mauvaise affaire qui se tramait dans le village des Toits Noirs, à l'est d'Heibetsu. C'était un repaire de crapules : une bande y préparait quelque sale opération. Riobe accompagna le bavard à une pension miteuse et partit pour le village à l'Est.
Au bout d'une heure de marche dans la campagne, il arrivait dans ce vilain hameau des Toits Noirs. Dans une auberge, il trouva une foule de mauvais garçons, occupés qui à jouer à des jeux de hasards deshonorants, qui à comploter, qui à fomenter quelques projets crapuleux.
A une table était assemblé un beau ramassis de canailles. Riobe avait l'intention de s'introduire dans la bande. Mais la haute idée qu'il se faisait du Bushido lui interdisait tout mensonge.
Il tâcha donc d'en apprendre incidemment sur ce qui se préparait. Il put déterminer qu'il y avait beaucoup d'argent à gagner dans cette opération, et des yorikis à affronter. Il devait s'agir soit d'un marchand important, soit d'un protégé d'Akuma-sama, soit d'un samourai voyageant avec des soldats.
Riobe ne put convaincre le chef des bandits de le prendre avec lui, car l'honneur l'empêchait de mimer le vaurien. Notre ronin s'éclipsa donc rapidement sans tourner le dos à la tablée, de plus en plus méfiante. Comme bandit, Riobe ne pouvait décidément pas être crédible, ce qui était au fond tout à son honneur ! Au moins connaissait-il visage du chef de la bande et avait-il l'assurance que ces malfrats préparaient un coup important.
De retour à Heibetsu, il reçut un avertissement sans équivoque : on lui lança une petite boite qui contenait une shuriken... A la pension, il ne put retrouver Kazu, son informateur : il était parti, avec deux autres ronins.

Riobe passa la nuit à la pension. Il alla le lendemain à l'aube faire son rapport au capitaine Taro. Celui-ci craignait une attaque des ronins contre la ville. De ce fait, il décida de faire un exemple : organiser une descente sur le village des Toits Noirs, avec des samourai et des yorikis, afin de signifier aux ronins de se tenir tranquilles, et éventuellement mettre la main sur quelques-uns d'entre eux. Sa résolution fut renforcée quand Riobe lui parla de la shuriken.

Arrivèrent les deux Phénix, qui parlèrent des shurikens reçus la nuit d'avant. Taro-san peinait à garder contenance face à ces abominables évènements. Hiruya et Kohei vinrent ensemble aux nouvelles. Le Licorne parla de l'ombre qu'il avait aperçue. Toute l'assemblée, réunie dans le bâtiment des gardes yorikis, essayait de faire le lien entre ces évènements.
Mirumoto Ryu arriva alors avec sa fille : on avait planté dans la nuit deux shuriken contre la porte de sa maison. La mère de la samourai-ko était morte de peur et d'inquiétude.
Peu après, Hida Sotan et ses trois bushis faisaient leur entrée au palais. Le seigneur Crabe avait escorté jusqu'à Heibetsu les Ise Zumi depuis le chateau de la Libellule.
Taro-san était certain que les Crabe participeraient à l'expédition contre les ronins.
On était tôt le matin et les fêtes des vendanges se tiendraient le lendemain...


:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
Dernière modification par rahsaan le 18 avr. 2006, 16:51, modifié 1 fois.
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rahsaan
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Message par rahsaan » 17 avr. 2006, 22:14

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 3e Episode ; Mois du Coq (début de l'automne)


Le conte des douze heures de Heibetsu

Les récits officiels de la cité d'Heibetsu mentionne que de nombreux incident émaillèrent la journée précédent celle du début des fêtes des vendanges, cinq jours de célébration dont s'enorgueillissait le puissant et respecté Mirumoto Akuma.

Il est dit que trois Licornes de la famille Moto vinrent sans s'être annoncées, poursuivirent une vengeance d'honneur et repartirent tous aussi rapidement ; que de puissants Bushi Crabes les assistèrent, avant d'être tués par de féroces rônins ; que des gaijins des montagnes s'associèrent en bande criminelles avant d'être durement châtiés par les guerriers d'Akuma-sama ; qu'une shugenja du feu disparut et fut déchu de son rang par contumace ; et enfin, que le temple de la Fortune des oiseaux fut réduit en cendres par un énorme et brusque incendie, en plein milieu de la nuit.

Rien dans ces récits de magistrats ne permet d'établir un lien entre tous ces graves évènements.
En réalité, ils étaient bien liés entre eux. Et au coeur de cette tourmente se trouvaient d'honorables jeunes samuraï, invités d'Akuma-sama, qui évitèrent que de graves déshonneurs n'entachent la cité d'Heibetsu et ses nobles dirigeants.
Voici le récit complet de cette journée où l'honneur des Dragons faillit être frappé en plein coeur...

:samurai:

SOLEIL

Dame Soleil commençait son somptueux lever par dessus les montagnes des neiges éternelles, et déjà, Riobe le rônin était en armure. Il retournait au palais, marchant dans l'air frais du matin, pour y faire son rapport à Mirumoto Taro, chef de la garde d'Akuma-sama. Les deux hommes s'assirent dans la salle de garde réservée au capitaine, puis furent rejoints par les deux Phénix Isawa Ayamé et Shiba Ikky. Vinrent ensuite Kakita Hiruya et son Shinjo Kohei, ainsi que Mirumoto Ryu et sa fille, qui passa la journée au palais à jouer avec les servantes.
Toute cette compagnie avait mis en commun ce qu'elle savait des évènements graves qui se préparaient pour les fêtes des vendanges, le lendemain.
Taro-san était décidé à monter une expédition punitive contre le village des Toits-Noirs, à l'est d'Heibetsu, vrai repaire de brigands et de mercenaires sans honneur. Tous acceptèrent de l'accompagner, lui et ses hommes. Arriva alors par la grande porte du palais Hida Sotan le Crabe, et ses trois Bushis, qui avaient convoyé depuis le Chateau de la Libellule un groupe d'Ize-Zumi, à la demande de ces derniers.
Alors que l'heure de dame Soleil s'achevait, le seigneur Akuma-sama, accompagné de Kakita Yobe, maitre de Hiruya, sortait en grande pompe de son fier palais. Il découvrait toute cette compagnie, levée de si bon matin. Il s'en étonna et rappela au capitaine Taro qu'il répondait sur son honneur du bon déroulement des fêtes du lendemain. Le capitaine s'inclina et fit serment que tout se passerait bien. De fait, il n'aurait pas trop d'une journée pour démasquer les malfaiteurs et risquer son honneur s'il n'y parvenait pas...

Peu après, chevauchant sa grande monture, Shinjo Kohei quittait le palais, en direction du village des Toits Noirs : le Licorne s'était porté volontaire pour partir en éclaireur là-bas.

:samurai:

LUNE

Kohei chevaucha rapidement, profitant du calme de la campagne et de l'air vivifiant, tandis que Seigneur Lune s'estompait peu à peu dans le ciel. Au galop, il arriva à la moitié de l'heure au village des rônins. Alors qu'il rentrait dans le village, il vit sortir d'une auberge les trois Bushi Moto. Il les salua poliment et leur demande s'il pouvait les aider. Il annonçait qu'il venait sur la demande d'Akuma-sama dans ce village.
Les Moto, l'air sombre, remercièrent sans fioriture Kohei-san et déclarèrent qu'ils étaient pressés de reprendre leur chemin. Ils remontèrent à cheval et partirent vers les montagnes au loin, sans plus de cérémonie. Kohei-san resta interdit : que pistaient donc ces cavaliers ?

A Heibetsu, les membres de l'expédition achevaient de s'équiper : on fixait des armures légères, on nettoyait les armes. Les volontaires s'alignèrent dans la cour, où Taro-san fit la revue des troupes. Il s'agissait de donner une leçon aux crapuleux rônins, de leur faire comprendre qu'ils devaient se tenir tranquille. Le capitaine Taro espérait bien mettre la main sur quelques canailles, pour l'exemple.
Les hommes fin prêts, l'expédition s'ébranla, passant au pas l'imposante porte du palais Mirumoto. Dans la ville, en tête du groupe, Hida Sotan et ses Crabes, dans leurs solides armures, avançaient de leur pas lourds et cadencé, frappant le sol et faisant trembler les demeures en bois des citadins qui regardaient passer cette troupe imposante.
Fermant la marche, Ayame-san, la pacifique shugenja, toujours épaulée de sa fidèle Yojimbo Ikky, se demandait s'il était bien nécessaire qu'elle se joigne à cette expédition guerrière. A la sortie de la ville, elle fut soudain interpellée par le groupe des Ize-Zumi, qui la saluèrent bien bas et, parlant dans leur langage sublime, lui rappelèrent "que le plus brillant des Phénix traîne derrière lui son ombre". L'expédition s'arrêta, les samurai se retournèrent.
Les Ize-Zumi qui intervenaient de manière impromptue désiraient emmener avec eux les deux Phénix, afin que, par une cérémonie magique, ils découvrissent les vrais coupables qui se cachaient dans les ombres. Taro-san était persuadé que la magie n'était pas requise pour mettre la main au collet de ses brigands. Néanmoins, il se soumit au voeu des hommes tatoués et salua les deux Phénix, qui quittèrent l'expédition.

:samurai:

HANTEI

Alors que la troupe conduite par Taro-san arrivait en vue du village des Toits Noirs, elle vit venir au-devant d'elle Kohei-san au galop. Le Licorne rapporta sa rencontre avec les Moto, bien trop peu bavards. Taro-san en prit note, puis ordonna à ses hommes de passer au peigne fin le village. Les Bushi rentrèrent sans ménagement dans les habitations, plusieurs vantaux craquant sous leurs coups d'épaules ou de wakisashi. Il surprirent un bon nombre de canailles recherchées depuis longtemps. La patience de Taro-san était épuisée : il fallait montrer où se trouvait la force et le droit !
Pendant que les Dragons opéraient leur rafle, nos héros se dirigeaient vers la méchante auberge où, la veille, Riobe avait parlé avec la bande de rônins qui préparait un mauvais coup. A l'intérieur, nos samurai furent accueillis par un obséquieux tenancier, s'assirent et commandèrent à boire. Le patron disait qu'il n'avait que quelques voyageurs dans son auberge, que l'endroit était calme. Manifestement, il en gardait par devers lui. Suivant l'exemple d'intransigeance de Taro-san, Ryu-san ordonna alors au patron d'aller chercher tous les clients et de les amener dans la salle à manger.
Affolé, le patron rameuta alors tous ses domestiques qui réveillèrent les quatre dormeurs de la maison. Ils étaient trois hommes du peuple et un rônin, dont Riobe assura qu'il faisait partie du groupe de la veille.
Le rônin, appelé Gonkuro, avait beaucoup de choses à vider de son sac. Il jurait sur ses ancêtres qu'il ne faisait pas partie de la bande, qu'il avait abandonné le coup avant de trop en savoir. Il confirmait qu'il y avait beaucoup d'or en jeu.
Maintenant, il maudissait même les crapules avec lesquelles il s'acoquinait la veille. Ses effets de comédiens ne trompèrent pas nos jeunes bushis : ils amenèrent le vilain Gonkuro devant Taro-san, qui réunissait ses hommes et leurs prises dans la grand'rue du village. Tous les habitants étaient en émoi, scrutant depuis leur fenêtre les soldats, qui emmenaient avec eux une bonne partie des mauvais garçons des Toits-Noirs.
Interrogé sur place par Taro, Gonkuro jura ne pas connaître l'identité des autres membres de l'expédition. Mais il cachait encore des choses, c'était sûr. Le capitaine ordonna qu'il fût ramené au palais.
Comme la troupe repartait vers Heibetsu, Riobe suggéra de faire un détour par les mauvais quartiers de la cité, là où la veille il avait rencontré les joueurs de go. Taro-san accepta : il chargea nos héros d'aller enquêter dans ces rues, pendant qu'au palais, il interrogerait Gonkuro. Ce Riobe commençait décidément à lui plaire.

Les rayons de Dame Soleil luisaient sur tout le pays ; la campagne était belle, mais la chaleur avait beaucoup monté depuis le matin. Avec les Crabes en tête de troupe, ricanant d'aise en repensant aux coups de Tetsubo qu'ils avaient lancés dans les demeures pour effrayer les malfrats qui s'y terraient, l'expédition regagna Heibetsu.
Au même moment, Isawa Ayamé et Shiba Ikky faisaient route, mais d'un pas plus léger, à travers la paisible campagne, accompagnées des Ize-Zumi, dont les tatouages multicolores resplendissaient au soleil.
Le petit groupe arriva en vue d'un sanctuaire, à l'orée du bois, près d'un ruisseau. L'eau coulait en chantant à travers le domaine des hommes tatoués, arrosant les champs et le verger.
Les deux Phénix furent invitées à se rafraîchir dans une salle dénuée de décoration. Ils découvrirent qu'en ce moment, une dizaine d'Ize-Zumi vivaient dans ce sanctuaire. Il n'y avait de domestique que pour les tâches ignobles, celles réservées aux eta. Pour le reste, les hommes tatoués s'occupaient de faire pousser leur champ, d'où ils tiraient presque toute leur nourriture. Les Ize-Zumi n'entretenaient que peu de contacts avec le monde extérieur : leur méditations ascétiques réquerraient en effet le plus de détachement possible avec le monde des soucis matériels.
Le chef des Ize-Zumi assura ses deux hôtes qu'ils étaient parfaitement en sécurité ici. Il parla avec Ayame-san des troubles que connaissait l'Empire d'Emeraude. Qui pouvait prévoir quels lourds bouleversements se produiraient à l'avenir ?

L'interlocuteur de la shugenja était du reste plus inquiet encore pour les évènements qui se préparaient à Heibetsu. Il parlait de manière simple, directe, ce que la shugenja appréciait. Il révéla à celle-ci que ses semblables utilisaient à dessein un langage incompréhensible avec les gens de l'extérieur, pour mettre de la distance entre eux.
Maintenant, il fallait parler des ombres qui rôdaient autour d'Akuma-sama... Ce n'était sans doute pas les rônins la plus dangereuse menace, mais plutôt d'autres créatures qui se cachaient derrière eux.
L'Ize-Zumi proposa alors à Isawa Ayame de participer à un rituel très particulier, qui aiderait grandement à percer ces mystères. Par divers techniques de méditations, d'hypnose, de transe et de musique, il serait possible à la shugenja d'entrer en communication directe avec les esprits.

Ayame-san accepta : elle ne courait aucun danger chez les hommes tatoués. Comme son affinité magique était celle de l'air, ce serait les esprits du vent qui seraient sollicités.

:samurai:

AKODO

Afin de préparer la cérémonie magique, Ayame dut revêtir un kimono particulier, fabriqué par l'art secret des Ize-Zumi. Il était décoré de plusieurs tatouages semblables à ceux des Togashi et des motifs bleutés évoquant des élèments aériens de nuages, d'oiseaux, d'ailes et de souffles de vent. L'ayant revêtu, elle but une boisson incolore, qui n'avait non plus aucun goût, mais qui devait l'aider à accueillir en elle les esprits, en ouvrant ses sens au monde invisible des fortunes.
Calme et sereine, Ayame s'assit au centre d'une salle en bois décorée de motifs magiques, au sol recouvert de sable. Les dix Ize-Zumi s'assirent en cercle autour d'elle, puis se mirent à jouer de divers instruments de musique : des flûtes, des clochettes, des tambourins, des instruments à cordes, développant un thème répétitif, obsédant, qui gagnait peu à peu en intensité.
Shiba Ikky se tenait au cercle de la salle, aux côtés de la shugenja, jouant elle aussi le motif répétitif au biwa.
A tour de rôle, les Ize-Zumi s'arrêtaient de jouer pour venir dessiner des motifs de sable coloré autour d'Ayamé, en psalmodiant des invocations mystiques.
Les musiciens jouant de la flûte soufflaient de plus en plus fort dans leurs instruments ; Ayame-san sentait le décor autour d'elle se transformer peu à peu en une mer sable qui ondulait doucement. Elle entrait peu à peu dans une transe, bercée et transportée par le breuvage, la musique et les rituels magiques.
Accroupi devant elle, un Ize-Zumi lui parlait à voix basse et l'aidait à se concentrer. La shugenja utilisa d'abord des invocations qui lui permettaient d'éloigner d'elle toute créature de l'Outremonde puis, alors qu'elle atteignait un seuil de méditation profonde, elle fit appel aux élèments de l'Air, alors que les mélopées développées par les musiciens soutenaient sa transe et amplifiaient l'appel aux Fortunes de l'Air.
Un grand coup de vent balaya soudain la pièce, et des tourbillons d'air se formèrent autour d'Isawa Ayamé, soulevant le sable magique. Les esprits tournaient follement puis entrèrent dans le corps de la shugenja, la possédant soudain. Transie, elle se mit à écrire des formules dictées par les esprits sur le parchemin disposée devant elle.
Les esprits se retirèrent brusquement dans un courant d'air qui quitta le sanctuaire. Ayamé tomba alors d'un coup, frappée de léthargie.
Shiba Ikky accourut mais put constater qu'elle dormait.
- Le rituel est fatigant, dit un des Ize-Zumi. Elle va prendre du repos.

Pendant que se déroulaient ces rituels mystérieux, Kakita Hiruya, Mirumoto Ryu, Shinjo Kohei et Riobe partaient enquêter dans les mauvais quartiers d'Heibetsu. A cette heure, Dame Soleil passait à son point le plus haut, mais sans écraser le monde de sa puissance comme en plein été. Déjà l'automne amenait une chaleur plus clémente. Il faisait bon à l'ombre des vieilles bâtisses.
Riobe commença par retourner à l'auberge des joueurs de go. A l'intérieur ne se trouvaient que deux rônins, qui remarquèrent aussitôt son arrivée. Les deux joueurs vinrent s'asseoir à côté de lui, pour parler entre samurai sans maître. Ils faisaient mine de jouer, mais s'intéressaient bien plus à Riobe. Celui-ci cherchait des informations sur Kazu, le joueur ivre rencontré la veille, qui était parti avec deux rônins.
Les deux samurai conseillèrent à demi-mot à Riobe de ne plus trop s'intéresser à Kazu : c'était un mauvais sujet, qui avait traîné dans plusieurs mauvais coups. Il avait eu des ennuis avec des yorikis, qui avaient dû venir le chasser de sa pension, où il vivait aux crochets de la propriétaire. Notre héros obtint tout de même l'adresse de cette pension, qui n'était pas celle où Riobe avait dormi la nuit d'avant.
Pendant ce temps, Ryu-san flânait en ville et découvrait un endroit excellent d'où observer les alentours : le temple d'une Fortune des marchands, au 2e étage duquel veillaient souvent des yorikis. Si les rônins préparaient un coup important en ville, il serait bon de les surveiller.
Quant à Kakita Hiruya, en parlant à un pauvre musicien qui n'avait que quelques zeni pour vivre... et deux oreilles bien à l'écoute, il apprit aussi l'histoire de Kazu, mais également que les Moto étaient passés le matin même interroger le musicien pour savoir où trouver ce Kazu. Il ressortait que les trois Licornes étaient passés vers Soleil, peu avant que Kohei-san ne partent vers le village des Toits-Noirs.
Nos quatre samuraï se rendirent à la pension où avait logé Kazu.
La propriétaire était une vieille mégère, à la peau tâchée par l'excès de boisson. De mauvaise grâce, elle répondait aux questions : le matin même, deux rônins étaient passés à la pension, avec Kazu, pour lui annoncer que le mauvais garçon partait avec eux, qu'elle n'aurait donc plus d'ennui avec lui.

Ryu-san avisa alors un garçon qui écoutait la conversation, dissimulé derrière un panneau entr'ouvert. Elle lui sauta dessus et le somma de parler aussi. La vieille mégère lançait des regards courroucés vers son domestique : elle le menaçait de sa cravache pour avoir collé l'oreille ainsi ! Mais le garçon parla à son tour : ivrogne, sa patronne était trop imbibée de soshu pour bien se souvenir, mais les Licornes Motos étaient passées aussi le matin même, peu après Kazu et les rônins.
De plus, le jeune domestique savait que Kazu transportait avec lui une bourse qu'il avait interdit à quiconque d'ouvrir. Hiruya-san comprit immédiatement que la curiosité du garçon avait pris le dessus : de fait, le domestique avoua qu'en fouillant dedans, il avait trouvé de magnifiques perles, très brillantes. Quant à la patronne, elle n'avait pu se retenir d'en voler une.
Nos héros reconnurent en cette perle un des oeufs de jade dérobés par la bande de Hikozaemon, le rônin tué sur les terres du Lion. Les oeufs qui guérissent de la Souillure...


:samurai:

DOJI

De retour à Heibetsu, les samurai trouvèrent le palais en agitation. Un messager était arrivé peu avant eux, porteur d'un message des Moto : ils étaient dans les montagnes à la poursuite de rônins et de gaijins et requéraient l'aide des Mirumoto. Hida Sotan et ses Crabes s'étaient alors portés volontaires pour partir en renfort avec les Licornes.
Encore avant, quand l'expédition dirigée par Taro-san rentrait des Toits-Noirs, la shugenja Agasha Nahoko partait avec une troupe de bushis en direction du sanctuaire des Ize Zumi. Que se passait-il ?
Taro-san invita nos héros à prendre une collation et à discuter de ce que chacun avait découvert sur les rônins.
Ryu-san interrogea les yorikis qui avaient la garde dans le temple, à l'heure du Soleil. Ce temple était situé non loin de la pension où avait logé Kazu : les yorikis purent confirmer le passage des rônins, suivis de près par les Licornes Motos. L'interrogatoire du rônin Gonkuro avait poussé ce dernier à de nouveaux aveux : Kazu était un des informateurs de la bande qui se préparait à un mauvais coup. Après l'avoir vu parlé la veille avec Riobe, deux rônins l'avait emmené avec eux de force, pour rejoindre le groupe. Kazu devenait trop bavard...

Selon Gonkuro, c'est dans ces contreforts de la montagne, habités par les gaijins, que la bande de malfrats avait établi ses points de rendez-vous. Nos héros mirent Taro-san au courant pour les oeufs de jade ; il devenait urgent d'en finir avec tous ces criminels venus du tournoi des rônins.

Alors que la rapide collation se terminait chez le capitaine de la garde, un important remue-ménage se fit entendre depuis la poterne du château.
Le groupe commandé par Agasha Nahoko était de retour. Et avec elle se trouvaient les deux Phénix, serrés de près par des Bushi.
Shiba Ikky, furieuse, défiait du regard quiconque la toisait, déclarant à toute l'assistance qu'elle défendrait jusqu'à la mort l'honneur bafoué de sa maîtresse. Celle-ci, entourée comme une prisonnière, ne payait pas de mine...
Taro-san, indigné, demanda pourquoi on traitait ainsi les deux Phénix. Agasha Nahoko pointa rageusement le doigt vers Ayamé-san et, pleine de hargne et de douleur, l'accusa de faire usage de la maho-tsukai, la magie noire !!
L'assistance stupéfaite écouta Nahoko-san délivrer vertement son accusation. Shiba Ikky avait déjà demandé réparation par le duel de cette offense mortelle. La main sur la garde, elle défiait quiconque de relever ce défi.
Taro-san, abasourdi, ne pouvait croire à pareille révélation. Pourtant, pendant que la troupe partait vers les Toits-Noirs, une servante avait trouvé chez Ayame, en faisant le ménage, un parchemin plein de dessins démoniaques et avait failli en perdre la raison. Nahoko-san avait confirmé que c'était un parchemin maléfique. Ayame-san jurait qu'il ne lui appartenait pas, qu'on l'avait glissé parmi ses propres parchemins.

Nahoko se frappait et gémissait de devoir accuser une shugenja qu'elle croyait bonne, mais jurait qu'elle n'avait pas le choix... Ayamé niait, poliment mais fermement, avoir commerce avec les démons. Taro-san, qui cachait bien son affolement, ordonna que les deux Phénix fussent isolées dans une pièce gardée, où on leur servirait une collation. De même pour Nahoko-san, qui avait bien besoin de calmer ses humeurs.
Taro-san rassembla les samurai encore une fois dans la salle des gardes. Hiruya, Kohei, Ryu et Riobe étaient persuadés de la bonne foi d'Ayamé. Il ne faisait aucun doute que c'était une machination. Qui avait pu monter ce traquenard ? Et quelle piste suivre maintenant ? Il y avait bien les repères gaijins indiqués par Gonkuro. Maigre piste...

Taro-san décida d'aller interroger les deux Phénix. La shugenja niait toujours être détentrice de ce parchemin. Entre la veille au matin et maintenant, on avait pu glisser ce parchemin maudit dans ses papiers. La servante qui voulait épousseter était tombée dessus par malchance.
Par ailleurs, s'il devait y avoir duel pour l'honnneur d'Ayame-san, ce serait assurément avant le début des fêtes, le lendemain midi. Impossible de faire traîner cette affaire. Le soir même, à l'heure de Shinjo, Taro-san recevrait un magistrat Kitsuki, chargé d'enregistrer la demande de duel. Cette demande pourrait être satisfaire dès le lendemain matin.

En son for intérieur, Taro-san ne croyait pas à la culpabilité de la shugenja. Il devait pourtant agir selon les rituels imposés. Il imaginait déjà Akuma-sama, apprenant cette affaire et celle des perles de jade. Il lui en venait des sueurs froides. Ce serait le deshonneur pour tout le monde, la dégradation au rang de rônin, le seppuku dans le meilleur des cas. Taro-san se vit alors retomber d'où il venait ; car s'il avait accédé à ce poste, ce n'était pas par la naissance mais parce que, jeune rônin, il avait sauvé la vie du seigneur Akuma, qui l'avait annobli.

Ryu-san pouvait trembler aussi : c'est à elle qu'Akuma-sama avait confié la charge de tuer tous les rônins coupables d'assassinat pendant le tournoi. Or, il en restait encore, réfugiés dans les montagnes autour d'Heibetsu.
Sans doute les Moto et les Hida en avaient abattu une partie... mais il fallait vite en finir avec toute la bande !

Un des morceaux de phrases dictées à Ayamé par les esprits du vent était celle-ci :
"...Alors que, pour le brillant d'oeufs de jade,
Galopent les Licornes..."
Nos héros en déduisirent sans mal que les Moto voulaient mettre la main sur ce précieux remède à la souillure de l'Outremonde... D'où leur zèle à exécuter cette bande.

Beaucoup d'indices indiquaient qu'il fallait se rendre dans ces montagnes... Taro-san eut alors la générosité d'accorder un répit à tous les samuraï. Il fermerait les yeux sur leurs agissements jusqu'à l'arrivée du magistrat à l'heure de Shinjo. Cela leur laissait trois heures rokuganis pour dénicher les rônins chez les gaijins, trouver les preuves de l'innocence d'Ayame et surtout : découvrir le vrai coupable...

:samurai:

SHIBA

Dame Soleil descendait lentement dans le ciel, éclairant cette belle après-midi d'automne de sa douce lumière.
Nos héros, lancés à bonne allure sur leurs chevaux à travers la campagne d'Heibetsu, ne partageaient pas la bonne humeur des paysans qu'ils croisaient : ils ne préparaient pas les festivités du lendemain avec la bonne humeur et le souci impatient, dans l'attente de ces réjouissances.
Ils ne ménageaient pas leurs montures, sur les routes caillouteuses qui les menaient vers un petit bois, au pied des montagnes qui cernaient la vallée.
Avec Kohei en tête sur son grand destrier Shinjo, ils arrivèrent dans un petit village où l'on préparait des guirlandes et des lampions de couleur. Le chef des yorikis, qui se permettait d'aider la population alla vers nos héros sans inquiétude. Nos samurai, empressés, ne mirent pas pied à terre : ils demandèrent où se trouvaient les villages de gaijins de la région. Le yoriki, surpris de cette agitation en cette veille de fête, leur indiqua le chemin : il fallait traverser la groupe qui grimpait en serpentant à travers le bois.

Les montures furent sommées de repartir au galop. Le tremblement provoqué par le passage des cavaliers avait inquiété les paysans qui pensaient que la région était paisible. On ne pensa ensuite plus à ces jeunes guerriers qui cravachaient sous le soleil.
Taro-san avait prévenu que, dans les montagnes, se trouvaient des villages occupés par des organisations de bandits appelés yakuzas. Malandrins des plus féroces, ils s'occupaient de toutes les activités deshonorables qui n'échoyaient pas aux étas, comme le commerce des geishas, les drogues... Akuma-sama devait tolérer ce commerce, tant qu'il gardait des mesures raisonnables.

Après avoir quitté la forêt, ils croisèrent un chemin qui montait sur la pente de plus en plus dénudée. Au loin, un important soulévement de poussière s'annonçait : c'était trois cavaliers lancés à vive allure.
Les Licornes Moto.
Les samuraï attendirent l'arrivée de ces bushis de sombre réputation. Les deux groupes se saluèrent froidement. Les Motos voulaient régler une dette d'honneur avec les rônins. Ils avaient profité de l'aide de Hida Sotan, resté en arrière avec ses hommes. Maintenant, ils montaient vers le domaine des gaijins. Nos héros déclarèrent qu'ils cherchaient Kazu pour l'interroger. Les Moto voulaient simplement sa tête.
Il ne restait donc plus qu'à faire route ensemble.

Ayamé-san était certaine qu'ils étaient sur la bonne piste. Voici ce que disait la première sentence de son parchemin, dicté par les kami-kaze :
"Des montagnes gaijins viennent
Les faux parchemins menteurs."

Après une montée plus rude, les samurai atteignirent le village des yakuzas. Le chef vint à leur rencontre, s'inclinant bas face à cette troupe impressionnante. Il avait un visage dur, un maintien raide, des expressions coupantes et des gestes nerveux. Derrière lui, de plusieurs bâtisses sortaient des fumeroles de pavot séché ; on entendait aussi le bruit de travailleurs cloîtrés dans leur boutique. Il faisait bien vilain en cet endroit ; d'autant plus que le chef se montrait réticent à aider les samurai. Il ne voulait rien savoir de cette prétendue bande de rônins. Malgré les menaces répétées de Ryu-san, il refusait de parler, se protégeant derrière les traités officieux passés avec Akuma-sama, qui assuraient la paix aux yakuzas. Or, en l'occurrence, il prenait cette enquête de nos héros pour une déclaration de guerre.
L'insistance de Ryu-san, aidée de la persuasion de Kakita Hiruya, eut raison de la résistance du bandit. Il murmura que la bande de rônins se terrait dans les écuries, avec des otages.
Sans attendre, les samurai se dirigèrent vers le bâtiment, à la sortie du village et le cernèrent. De l'intérieur, un des rônins cria qu'il avait le couteau sous la gorge des otages, qu'il voulait pour lui et ses hommes des montures.
Conditions inacceptales évidemment.
- Laissez au moins sortir les montures, bande de moins que rien ! cria Kohei, touché par le sort des pauvres bêtes.

La patience des Moto était déjà à bout. D'un commun accord, les samurai décidèrent d'enfumer les canailles dans les écuries. Kohei, les trois Moto et Riobe enflammèrent leurs flèches malgré les protestations des yakuzas. Ils criblèrent l'intérieur du bâtiment ; une abondante fumée de paille se dégagea bientôt des écuries. Plusieurs otages parvinrent à courir au-dehors, pleurant et toussant. Les rônins durent se précipiter à leur tour vers l'air frais.
C'était le signal de la curée ! L'un des mauvais samurai voulut s'enfuir à toutes jambes. Il fut aussitôt transpercé de 4 flèches Licorne : Kohei et les Moto avaient tiré à l'unisson.
Les cinq autres étaient décidés à se battre en duel honorable. Depuis leurs montures, les Moto observaient d'un air goguenard nos jeunes héros se lancer au combat au katana.
La mêlée fut rapide et violente. L'échange de coups commença avec Ryu, Kohei et Riobe : le rônin fut blessé, avant que la bushi Dragon, payant sa dette, n'expédie de ses deux sabres l'adversaire de Riobe. Kohei eut raison de son opposant et acheva les agonisants. Il reçut une éraflure à la joue.
A leurs côtés, Hiruya se préparait à en découdre selon les règles du iaijutsu. Shiba Ikky, secrêtement jalouse de l'art du sabre de la Grue, se plaça à ses côtés.
Leurs deux adversaires avaient la main sur la garde. Foudroyantes, les lames jaillirent des fourreaux d'Ikky et de son adversaire. Ce dernier s'écroula, mortellement frappé. Ikky battit l'air de sa lame pour la nettoyer du sang ennemi et rengaina sereinement.
Hiruya n'avait pas eu à sortir sa lame : son adversaire avait reconnu sa supériorité. Il préféra s'avouer vaincu sans coup férir.
Ce rônin fut interrogé et promit de répondre si on lui laissait la permission de mourir dans l'honneur.
Mirumoto Ryu l'accorda, contre l'avis des Moto, pressés d'en finir. Le rônin savait que Kazu avait aidé Hikozaemon-la-langue-verte à rencontrer un empoisonneur au tournoi des rônins. Kazu se cachait dans un repaire troglodyte de gaijins, où il devait retrouver le chef de toute la bande... Qui était donc ce personnage à la tête de tous les rônins et malfaiteurs ?...

:samurai:

BAYUSHI

Pendant que les samurai montaient dans l'étroit sentier, Ayame-san demanda à parler à part à Hiruya-san. Elle était inquiète à cause de la seconde phrase dictée par les kamikaze.
"Nemesis a placé le Crabe sur le chemin de la Grue.
Le Crabe vient du sud, riche mais souillé."
La shugenja n'était pourtant pas certaine que cette phrase lui ait été dictée par les esprits : elle craignait que des puissances maho n'aient réussi à pénétrer dans le cercle de méditation, ayant ainsi altéré le message des vents. Cette phrase pouvait être une ruse des démons... Toutefois, il convenait de se méfier, même si, le coupable vraisemblablement désigné, Hida Sotan, n'avait pas fait montre d'hostilité à l'égard de Kakita Hiruya. Il convenait de surveiller les Crabes à tout le moins...

Du coin de l'oeil, Mirumoto Ryu surveillait les trois cavaliers Moto, qui ne le remarquaient pas, montés qu'ils étaient sur leurs grands destriers. Ils désapprouvaient surement le fait que la bushi Dragon ait aidé le rônin à pratiquer son seppuku : ce dernier avait faibli, donc Ryu-san lui avait tranché la tête. Beaucoup d'honneur pour un rônin indigne, pensaient les Moto. Ce qu'ils ignoraient, tout comme les autres samuraï, c'est que le rônin s'était confessé à voix basse : selon lui, les Moto étaient là pour retrouver les oeufs de Jade. Ils venaient expédier les témoins de leurs activités louches. C'était bien, à l'en croire, un réglement de compte avec la bande à laquelle appartenait Kazu...

La course du soleil l'amenait déjà à décliner : Dame Soleil se parait de sa robe de plumes de phénix à mesure qu'elle descendait vers l'est. Le temps accordé par Taro-san était bientôt écoulé. Le chemin montagnard devenait de moins en moins praticable. Nos héros durent descendre de cheval pour s'engager dans un pierrier. Les repaires gaijins se trouvaient, selon les Moto, dans des grottes un peu plus haut. Alors qu'ils s'arrêtaient pour attacher les montures, un sifflement aigu retentit et résonna dans tous les alentours.
Plusieurs hommes, semblables à ceux qui attaquaient les caravanes près du col d'Heibetsu, apparurent de derrière des rochers, en surplomb des samurai. L'un d'eux, dans un mauvais Rokugani barbare, leur conseilla de faire demi-tour.
Cela ne fit bien sûr que renforcer la détermination de nos héros. Plusieurs flèches s'écrasèrent à leurs pieds ; puis, alors qu'ils avaient commencé à monter dans le pierrier, les gaijins déclenchèrent un éboulis. Hiruya et Ryu avaient eu le temps de se mettre à couvert d'un rocher, ainsi qu'Ayamé et Ikky. Mais Riobe, blessé lors du dernier combat, peinait à rejoindre une roche derrière laquelle s'abriter. Un des montagnards allait déclencher un ébboulis sur lui : Kohei se jeta devant lui, décocha une flèche au brigand qui l'abattit net. Les trois Moto mirent un genou à terre, visèrent : leurs trois flèches partirent dans un bel ensemble, mais ratèrent leur cible.
Kohei et Riobe visèrent aussi ; vexés de leur échec, les Moto encochèrent à nouveau. Cinq flèches partirent à l'unisson, perçant les gorges des gaijins. D'autres pierres roulèrent encore, mais cette fois, tout le monde était à l'abri. Les derniers opposant, voyant six des leurs à terre, se dispersèrent dans la montagne.
Les neuf samuraï grimpèrent la côte : à l'avant, les Licorne, la Grue et le Dragon ; les deux Phénix et le rônin montaient au pas.
Dans la paroi de la montagne était creusée une grotte : une habitation troglodyte, renforcée par des poutres, avec des torches accrochées aux murs. A l'intérieur, plusieurs rônins se mirent en travers de la route des samuraï. Cette fois, il n'y eut pas de quartier ; le sang coula et les corps s'écrasèrent à terre, privés de vie en un coup de lame. Kazu se nichait au fond de la grotte, bleu de peur, tandis que l'air glacée des hauteurs sifflait en s'engouffrant dans la grotte.

Les Moto voulaient en finir avec Kazu immédiatement. Ryu et Hiruya demandèrent à l'interroger auparavant : il savait trop de choses. Dos au mur, main sur le sabre, Kazu tremblait comme une feuillle dans le vent. Riobe le fixait d'un regard lourd de reproches : la veille, il pensait parler avec un samurai un peu perdu, mais honnête, pas avec le complice d'une bande de criminels...
Les Moto ricanèrent en voyant Kazu se liquéfier de peur. Ils tournèrent le dos et ressortirent de la grotte. Ils savaient que nos héros le tueraient après l'avoir interrogé. Riobe lui aussi ressortit, pour s'asseoir au calme, afin de soulager ses douleurs.

Ayame-san voyait en Kazu l'unique espoir de prouver son innocence à Taro-san. De plus, elle savait que la quatrième phrase du parchemin était celle-ci :
"Un Dragon aux écailles noirs
Se niche au palais."
Elle l'avait lue à ses compagnons, qui comprirent qu'un traître se trouvait au palais d'Akuma-san.
Kazu implorait nos héros de lui laisser la vie sauve s'il parlait. Condition inacceptable : ils dirent qu'il pourrait plutôt faire seppuku s'il donnait des informations précises. En particulier, qui était le chef de toute la bande ? Quand viendrait-il ?
Kazu l'ignorait, car ce mystérieux personnage portait toujours un masque de samuraï. Nos héros pensaient qu'il avait d'ailleurs abandonné Kazu : il ne viendrait jamais le retrouver ici...
Le rônin reculait tant qu'il pouvait, devant le cercle menaçant qui se formait devant lui. Il savait que la Grue pouvait dégainer et le frapper aussitôt. Il regardait affolé tous les samuraï. Il se savait perdu. Avisant l'entrée de la grotte, il vit que les Moto étaient partis.
Il cria alors que ces Licornes étaient complices de la bande ! Ryu répondit qu'elle savait déjà ça : cela correspondait à la confession du rônin au village. Affolé, Kazu répété que les Moto avaient besoin des oeufs de jade pour guérir leur souillure ! Mais les oeufs avaient été emportés par le sombre maître de Kazu...
Cette révélation ne surprit pas outre mesure : la facheuse réputation des Moto n'allait pas contre celle-ci. Kazu lâcha soudain que les Crabes de Hida Sotan étaient également complices ! Souillés eux aussi, ils étaient alliés des Moto depuis longtemps. Tous venaient récupérer les oeufs de jade après avoir tué les rônins. De plus, Hida Sotan connaissait Hikozaemon-langue-verte (un ancien Hida ne l'oublions pas) et, pire encore, l'avait aidé à monter la troupe des rônins qui avaient attaqué le village aux poissons précieux. C'était pour cela que Hida Sotan était allé chez les Libellules : car le village des poissons était à proximité. Mais comme nos héros étaient à la poursuite de Hikozaemon, Sotan n'avait pu rencontrer ce dernier avant sa mort, chez les Lions.
Et c'était bien lui, Kazu qui avait aidé Hikozaemon à trouver un empoisonneur au tournoi des rônins, et qui avait conseillé d'éliminer Honzo, le rônin qui avait parlé à Riobe.
Tout se tenait.

:samurai:

SHINJO

Dame Soleil disparaitraît bientôt derrière les montagnes. Et la parole donnée par les samuraï à Mirumoto Taro ne pourrait être tenue.
Malgré toutes les révélations qu'il venait de faire, nos héros ne voulaient pas laisser repartir Kazu. De fait, il appartenait à la même bande de rônins dont Akuma-sama avait exigé les têtes. Le laisser partir, c'était ne pas respecter son devoir, donc se condamner au deshonneur. Il fallait donc tuer Kazu. Kakita Hiruya allait brandir son sabre, de même que Mirumoto Ryu, quand le rônin tomba à genoux et supplia les samurai de l'écouter encore.
Il demandait la parole d'honneur des samurai de pouvoir partir, en échange d'une dernière information qui sauverait l'honneur d'Ayame-san. C'était à Mirumoto Ryu que revenait la décision : Kazu répéta qu'elle devait jurer sur l'honneur de laisser la vie sauve au rônin. Celui-ci s'enfuirait chez les gaijins et sa route ne croiserait plus celle d'Heibetsu, ni de nos héros.
Grave décision à prendre. Fallait-il faire une entorse au serment prêté à Akuma-sama pour sauveur l'honneur de la shugenja Isawa ?
Mirumoto Ryu accepta, en jurant qu'elle truciderait Kazu si jamais elle le retrouvait. Celui-ci implora sa pitié, la remercia à genoux de sa bonté.
Nos héros attendaient la dernière révélation.
Elle était terrible en effet : il y avait un traître au palais d'Akuma-san, et c'était Agasha Nahoko, la shugenja du feu qui accusait Ayamé ! Elle était l'âme damnée du maître de Kazu. Elle seulement avait pu glisser des parchemins de maho dans le coffre d'Ayame...

Jusqu'où croire la parole d'un rônin ? Pendant que, étonnés, les samurai réflechissaient à cette révélation, Kazu partit en courant sans demander son reste. Il grimpa vers les hauteurs gaijins, aussi vite que si les démons le poursuivaient.
Il était plus que temps de redescendre vers le palais Mirumoto, car l'heure de Shinjo avançait dangereusement. Riobe avait redescendu la pente : il attendait à côté des montures. Les Moto étaient déjà bien loin. Ils avaient salué Riobe puis étaient partis. Une intuition suggérait à nos héros qu'ils ne les reverrait pas de sitôt. Ils avaient éliminé les rônins trop génants. Maintenant, ils allaient sans doute rentrer au pays, ou chercher ailleurs un remède à leur souillure...

Comme le temps pressait, Shinjo Kohei, monté sur son rapide destrier, offrit à Isawa Ayame de la porter sur les ailes du vent jusqu'au palais. Shiba Ikky, quoique l'offre fut bonne, ne pouvait vraiment l'accepter. Elle galoperait à dos de poney à côté de la Licorne. Quant à Riobe, blessé, il assura qu'il rentrerait plus lentement : on avait pas d'inquiétude à se faire pour lui, il serait bientôt au palais.
Ayame monta derrière Kohei, sur le haut destrier et le Licorne lança sa monture au galop. La shugenja s'agrippait comme elle pouvait, tandis que les poneys de Ryu, Hiruya et Ikky peinaient à suivre. La Licorne passait dans la forêt comme un coup de vent violent, les branches craquants de toutes parts sur son passage, dans le bruit du sol martelé par les sabots fougueux.

A la sortie du village que les paysans décoraient, les cavaliers eurent une mauvaise surprise : des hommes armés les attendaient en travers de la route. C'étaient les yakuzas, armés de lames et de serpes de paysans. L'ignoble valetaille ! Alors que ses compagnons arrivaient sur leurs poneys, Kohei demanda poliment à la shugenja de descendre. Les autres samurai mirent aussi pied à terre. Les yakuzas attendaient, faisant tournoyer leurs nunchakus.
Kohei les défia du regard en ricanant, pendant que Ryu, Ikky et Hiruya avançaient pas à pas, menaçants.
La Licorne sortit alors, avec délectation, d'un grand fourreau attaché à son cheval, un magnifique no-daichi, long katana de bataille. Puis il frappa les flancs de son cheval et le lança à l'assaut des yakuzas !
La charge en jeta un à terre, pendant que la lame du no-daichi fendait le crâne d'un deuxième. Le Grue, le Phénix et le Dragon étaient arrivés au combat : les sabres jaillirent vivement, taillant bientôt en travers des poitrines yakuzas, dans de grands jaillissements de sang.
Kohei poussait des cris vengeurs et les yakuzas hurlaient sous les coups assénés par les samuraï. Les paysans du village, effrayés, assistaient à la bataille depuis la rue.
Les ennemis furent tous frappés à mort. Un lourd silence retomba après cette brève mais fulgurante explosion de violence.
Sans attendre, les samurai firent claquer les rênes des montures, repartant pour le château Mirumoto. Arrivé peu après, Riobe put constater le carnage. Les habitants osaient enfin sortir de chez eux. Il était temps d'appeler les eta pour dégager les cadavres mutilés...

Dame Soleil avait presque disparu à l'horizon. Elle lançait ses rayons d'adieu, orangés tirant sur le rouge, quand les cavaliers franchissaient à toute allure la poterne du palais, dans le tremblement du galop.

:samurai:

HIDA

L'aura dorée de Dame Soleil achevait de s'estomper dans l'obscurité grandissante. Seigneur Lune paraissait déjà à l'horizon, montant dans le ciel.
Fatigués, nos héros revenaient des montagnes gaijins juste à la limite de l'heure accordée par Taro-san. Ce dernier était dans la cour du palais, avec le magistrat Kitsuki, à qui il devait transmettre la demande de duel. Pour cela, il fallait la présence des deux shugenja. Or, si Isawa Ayame était à l'heure, en revanche, Agasha Nahoko ne se présentait pas. Elle avait peut être était retardée.
En l'attendant, nos héros racontèrent leur périple dans la montagne et les informations arrachées à Kazu. C'était bien sûr révéler à demi-mot que Ryu-san avait dû laisser le rônin s'enfuir : la bushi assura fermement que cette entorse valait largement l'honneur de sauver Ayame de la déchéance. C'est la shugenja elle-même qui dit que Agasha Nahoko était complice des bandits, qu'elle avait introduit ce parchemin maudit dans le coffre d'Ayame afin de la perdre. Sans doute la shugenja du feu craignait que son alter-ego du Phénix ne mette au jour sa souillure.
Taro-san dut encaisser cette accusation. De fait, rien ne prouvait la culpabilité de Nahoko-san. C'était une parole contre une autre. Toutefois, quand la shugenja se présenterait, il suffirait d'examiner son omoplate droit : si Kazu avait dit la vérité, on y trouverait la marque de la Souillure...
Nos héros avaient conscience que leur destin était pendu à la parole d'un rônin criminel... Si Kazu avait menti, leur honneur subirait un coup fatal...
Agasha Nahoko ne se présentait toujours pas ; le magistrat s'impatientait. Le capitaine Taro ordonna aux yorikis de fouiller le palais : nulle part on ne put la trouver. Fouiller la ville aurait demandé des moyens trop important, surtout à la nuit tombée.
Akuma-sama ne tarderait sans doute pas à rentrer... Taro-san se rongeait les sangs. Que faire ? Où restait la shugenja Dragon ? Qui croire ?
Le champion de Nahoko-san assurait qu'elle viendrait bientôt, que son retard s'expliquait.
Mais chaque minute qui passait renforçait les soupçons sur elle...

Taro invita toute l'assistance à manger un repas et à se reposer des galopades et combats de la journée. Il est vrai que nos héros n'avaient pas épargné leurs efforts, depuis Soleil, pour mener à bien l'enquête et démasquer les crapules. La shugenja était-elle sortie du palais ? Peut-être qu'un yoriki l'avait vue. Mais si jamais elle était sortie déguisée, alors son cas deviendrait grave...
Un des yorikis, posté à la poterne nord du palais avait bien vu sortir une femme qu'il n'avait jamais vue. En faisant un effort de mémoire, il admettait qu'il pouvait s'agir de Nahoko-san. Elle était partie peu après le départ de nos héros vers les repaires gaijins.
Maigre certitude. C'était pourtant la dernière : retrouver la shugenja permettrait de laver les soupçons pesant sur Isawa Ayame. La poterne nord ouvrait sur un chemin peu emprunté, qui menait au village de la Fortune des Oiseaux.
C'est là-bas que les Crabes étaient partis rejoindre les Moto, après l'expédition au village des Toits-Noirs. Qui sait si Nahoko-san n'était pas partie rejoindre son maître ?...

Il ne fallait pas négliger cette dernière chance. Riobe se proposa sans attendre pour partir vers le village. De même, Hiruya-san et Kohei-san étaient prêt à partir en pleine nuit si cela pouvait laver l'honneur de la shugenja. Taro-san chargea Mirumoto Ryu de prendre la tête de l'expédition et de veiller sur la shugenja Isawa. De plus, le capitaine de la garde confia deux solides bushis à nos héros : rapides et puissants, ils ne craignaient rien des obscurités maléfiques.
A nouveau harnachés et à dos de cheval, nos héros quittèrent le palais d'Akuma-sama pour la campagne endormie et noire...
Le cinquième et dernier message délivré par les kamikaze était celui-ci :
"Et quand les ombres triomphent,
L'oiseau noir étend ses ailes."

:samurai:

TOGASHI

Escortés des deux solides Bushis Dragons, qui portaient les torches pour éclairer un peu la lourde et froide nuit, nos samurai parcourent rapidement le chemin qui les emmenait vers le village où était allé les Crabes. Leur galop réveilla sur leur passage plusieurs maisons endormies. Il est si inhabituel que des samuraï voyagent de nuit.
Mais le temps pressait trop.

En arrivant au village dit, ils trouvèrent les habitants debout, les maisons éclairées et un grand remue-ménage en train. Le yoriki de garde courut vers nos héros et les avertit que les paysans venaient de trouver les corps des Crabes, tués à coups de sabre. Seul l'un d'eux avait survécu à la bataille. Les samurai mirent pied à terre ; les gens du peuple, affolés par tous ces évènements graves s'écartaient devant les guerriers. On les amena à la maison du médecin du village.
Les corps de trois Crabes étaient là, recouverts d'un drap. Allongé dans un lit, ensanglanté, respirant faiblement se trouvait Hida Sotan, le seul survivant. Isawa Ayame l'examina rapidement : sa puissante constitution l'aiderait à échapper à la mort, bien que le coup de sabre eût failli porter au coeur. Sa blessure était fraîche. Nos héros virent alors que sa main gauche était rongée par une sorte de lèpre verte, repoussante : la Souillure de l'Outremonde !
Sotan-san put murmurer quelques mots à nos héros : le maître sombre qui avait pris la tête de tous les criminels se trouvait au temple, à la sortie du village. Il allait bientôt partir. Puis Hida soupira : il ne trouvait plus la force de parler ; il devait se reposer.
Aussitôt, nos héros remontèrent en selle. Il ne fallait pas laisser s'échapper la shugenja du feu et son maitre...

:samurai:

FU-LENG

A la sortie du petit village se dressait un sanctuaire : deux temples érigés sur deux buttes jumelles. Les deux temples dédiés aux Fortunes des Oiseaux. Des corbeaux, des hiboux, des pigeons et autres volatiles logeaient librement dans ces pagodes. L'obscurité, la nuit, le sentiment de danger donnait aux deux temples des allures fantastiques. De faibles lueurs violacées brillaient à l'intérieur. Autour, tout était noir ; les deux torches faisaient peu pour éclairer. Des paysans arrivaient du village, eux aussi porteurs de flammes. Y avait-il du monde à l'intérieur de ces bâtisses ?

Mirumoto Ryu, les deux autres bushis Dragon et Riobe partirent vers le temple de gauche. Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Shiba Ikky et Isawa Ayame allèrent vers celui de droite.

Comme ils montaient la butte pour atteindre le temple, les trois Dragons et le rônin furent attaqués par un groupe de sept de ces combattants souples et traîtres que les paysans appellent ninjas dans leurs légendes. Tout habillés de noir des pieds à la tête, marchant sur des semelles feutrées, ils arrivaient en exécutant des lunes successives. Ceux-ci avaient dégaîné leurs armes ; les ninjas se battaient avec des nunchakus et des serpes tranchantes. Les trois Dragons maniaient leurs six lames.

Les ninjas se lancèrent à l'assaut, encerclant les samurai. Le combat fut âpre : les bushis ne parvenaient pas à placer leurs coups efficacement. Riobe se battait avec vaillance, mais les coups de nunchaku s'abattirent sur lui comme de la grêle : frappé à plusieurs reprises, il tomba à terre, vivant mais épuisé. En revanche, un des Bushi après avoir abattu plusieurs ennemis, succomba sous les coups. L'autre Bushi le vengea, aidé de Ryu-san, qui subit aussi de graves blessures.
Les coups avaient plu rapidement, comme une averse. Les sept ninjas étaient expédiés dans l'autre monde, mais la victoire avait coûté cher.

L'autre groupe de samuraï approchait du second temple. De nombreux oiseaux croassaient sinistrement dans les ombres effrayantes. Les silhouettes des volatiles évoquaient des êtres décharnés et torturés.
Isawa Ayame restait un pas en arrière. En arrivant devant l'entrée, nos héros virent surgir deux rônins de l'intérieur du temple : ils se postèrent, main sur la garde, devant Shiba Ikky et Shinjo Kohei.
La voix était libre devant Kakita Hiruya. Il pénétra lentement dans le temple, tandis qu'un terrible pressentiment le faisait frissonner...
L'obscurité du temple de la Fortune des Oiseaux était colorée par des torchères, qui éclairaient des motifs de divinités d'oiseaux, devenues soudain inquiétantes, de par leur regard obsédant, surnaturel...
Du fond du temple, Hiruya vit venir à lui une silhouette imposante, noire, inquiétante. La silhouette passa à côté d'un présentoir creux, rempli de charbons brûlants, qui diffusaient un rougeoiement chaud alentour.
La silhouette était celle d'un grand rônin, portant un masque de démon grimaçant. Son allure n'était pas celle d'un rustre, mais d'un guerrier svelte et élégant.
Kakita Hiruya s'était mis en garde. Le guerrier sombre prononça ces paroles :
"Les esprits déchus de l'Ordre Céleste n'ont d'autre choix que de devenir des démons..."
Sa voix était lugubre et froide.
"Il y a des hommes de valeur égal qui sont ennemis par la force des circonstances, et qui auraient pu être amis ; mais nous, Kakita Hiruya, ni dans cette vie ni dans une autre, nous n'aurions pu être amis... Nous expions la colère des Fortunes Nemesis..."
A ses pieds se trouvait, tenue par les cheveux, Agasha Nahoko, meurtrie, en pleurs. Le guerrier lui ordonna de partir en vitesse. La shugenja s'en alla aussitôt, la peur au ventre.
Le guerrier s'était mis en garde devant Hiruya-san, à la distance prévue par le code iaijutsu.
"Tu as ce fardeau à porter", répondit notre héros.

Les deux adversaires mortels, choisis par la Fortune de la vengeance pour exécuter la danse des lames jusqu'à la mort, s'étaient mis face à face. Ils entendirent dans leur dos les sabres des quatre duellistes qui jaillissaient des fourreaux. Des cris d'agonie suivirent de peu la frappe du iaijutsu. Deux guerriers s'étaient écroulés.

Un souffle d'air glacé parcourut le temple, soufflant au passage plusieurs bougies Hiruya était parfaitement en position de combat, ferme et prêt à frapper, le corps conforme dans tous ces gestes à déployer la force et la rapidité de l'école Kakita.

Les deux lames furent sorties à la vitesse de l'éclair : Hiruya fut le plus rapide. Il blessa son adversaire. Trop légèrement. Celui-ci manqua son premier coup ; les deux adversaires remirent leurs lames en garde. Kakita dévia un coup, répliqua. Son adversaire bloqua sa lame et contre-attaqua à une vitesse fulgurante. En un éclair, Hiruya-san reconnut là une technique de combat Daidoji !
Hiruya lança à nouveau sa lame meurtrière, qui s'enfonça profondément dans la chair de son adversaire. Ce dernier répliqua mais affaibli, il fut terrassé par l'attaque de la Grue.
Il s'écroula, dos à terre. Il vivait encore. Hiruya allait lui arracher son masque quand une énorme boule de feu fusa soudain en direction du bushi. Hiruya se jeta en arrière, imité par Ikky et Kohei, vainqueurs de leurs duels. Le météore explosa en une énorme gerbe de flammes, qui se propagèrent aussitôt à tout le bâtiment. Les murs en bois furent pris d'assaut par les langues enflammés.
Nos trois bushis dévalèrent la pente, suivis par Ayame. Tout le temple s'embrasait maintenant ; le gros incendie ronflait déjà, jetant ses terribles lumières alentour. Le toit s'effondrait quand les paysans commençaient à former la chaîne pour l'eau. Parmi les flammes qui dansaient, Hiruya avait eu le temps d'apercevoir Nahoko, la main encore brûlante du sort qu'elle venait de lancer.

En bas de la butte, tous les bushi en vie se retrouvèrent. Le bushi Dragon et Shiba Ikky portaient Riobe bien mal en point, incapable de se déplacer. Kohei le fit monter sur son cheval et partit au pas vers le village. Là, nos héros virent Hida Sotan debout, appuyé sur de rudimentaires béquilles en bois. De larges bandages lui cernaient le torse. Il était lui aussi très affaibli. Il put dire qu'il avait déchu de l'Ordre Céleste. Il s'était associé à des criminels, avait causé la mort de ses hommes. Il partait en exil. Il n'était plus Hida, mais seulement Sotan le rônin. S'il parvenait à racheter son honneur, à se venger du sombre maître auquel il s'était soumis, il demanderait aux Crabes l'autorisation de faire seppuku.

La panique avait gagné le village, mais maintenant, le peuple s'organisait pour mettre fin au terrifiant incendie. Lentement, nos héros suivirent le chemin du retour jusqu'au palais d'Akuma-sama.

:samurai:

DIXIEME KAMI

Sous le firmament, nos héros rentrèrent, épuisés et victorieux. Riobe et Ryu furent portés dans un lit, où on se dépêcha de laver et de bander leurs blessures. Ils auraient besoin d'un long repos.
Hiruya-san put assurer à Taro-sana que les fêtes des vendanges se dérouleraient sereinement. Toute menace de gaijin, de rônin ou de créatures de l'ombre avait été châtiée ; il est vrai que les efforts conjugués des Moto, des Hida et de nos héros avaient permis d'abattre quantité de crapules en une seule journée ! Les gaijins remontaient haut dans les montagnes, les yakuzas se tiendraient à carreau.
Taro-san se sentait soudain le coeur (et le wakisashi !) léger. Les jeunes samuraï s'étaient battus contre des créatures de l'ombre, ils ne pourraient dont être glorifiés pour ça par Akuma-sama. Mais ils pouvaient s'honorer de leur dévouement.

La nuit était bientôt finie, Dame Soleil paraîtrait avant peu dans le ciel, pour éclairer la première journée des festivités d'automne.
La porte principale du palais s'ouvrit pour laisser entrer Akuma-sama, qui rentrait de sa tournée d'inspection de la veille. Il vit toute la compagnie assemblée dans la cours, en bien moindre état que le matin précédent.
Taro-san s'avança, se courba bien bas et assura fièremet à son seigneur que l'ordre était rétabli pour les festivités comme prévu. Akuma-sama, et Kakita Yobe à ses côtés, devinaient, en voyant les samuraï, que la journée avait dû etre longue et difficile...

Akuma-sama sourit légèrement, puis souhaita une bonne fin de nuit à ses guerriers.
Taro-san conclut en disant que nos héros s'étaient battus avec honneur, sans espérer de gloire au bout de leurs épreuves. Ils n'avaient comme récompense à présent que de se lever un peu plus tard que la veille, juste avant le début des fêtes des vendanges !


:samurai: Force et Honneur, Samuraï ! :samurai:
Dernière modification par rahsaan le 20 avr. 2006, 19:36, modifié 2 fois.
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Message par rahsaan » 18 avr. 2006, 17:00

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 4e Episode
Mois du Chien (milieu de l'automne)

Le lion sous la peau du loup

LES VENDANGES ET LA GLOIRE

Nos héros profitèrent des festivités des vendanges d'Heibetsu pour panser leurs blessures. Mirumoto Ryu dut garder le lit, veillée par sa bonne mère, folle d'inquiétude, et par sa fille, qui virent avec un soulagement immense ses blessures se refermer.
Riobe le rônin dut aussi rester alité et se divertissait de journées d'inaction en jouant au go.
Les autres vaillants samuraï assistèrent, aux côtés de Mirumoto Akuma, aux splendides cérémonies des vendanges, qui grâce à leur intervention se déroulèrent avec fastes.
Le capitaine Taro veillait, avec une rigueur en fer trempé, à tenir à l'écart les trouble-fête et à prévenir les désordres. Il se faisait informer régulièrement de l'état de Riobe.

Les fêtes se terminèrent au bout de dix jours. Akuma-sama se réjouissait d'avoir renforcé son prestige : c'était bien lui le maître puissant et respectable de la vallée d'Heibetsu. Même les Ize Zumi lui étaient reconnaissants de son autorité protectrice, qui leur permettait de se consacrer uniquement. à leurs méditations.

Le lendemain de la clôture des festivités, Akuma-sama réunit tous les protagonistes des évènements tragiques qui avaient mené à l'incendie des deux temples et à la déchéance de la shugenja Nahoko.
Isawa Ayamé fut interrogée : mis en cause dans son honneur, accusée de pratiques maho, elle avait été au centre de la conspiration. Grâce à l'aide de nos samuraï, elle avait pu laver son honneur. Elle confirma à l'ombrageux seigneur Mirumoto que sa shugenja avait cédé à la souillure de la maho. C'était bien à elle qu'appartenaient les parchemins maudits...
Le capitaine Taro confirma que les gaijins ne s'agiteraient plus avant longtemps. Ces canailles avaient subi une vraie saignée, et ne s'en redescendraient pas de leurs montagnes de sitôt...

:samurai:

Le lendemain, Mirumoto Ryu et Riobe étaient conviés chez le capitaine Taro. Celui-ci, qui avait pu éprouver leur fidélité et leur détermination, exigeait une nouvelle chose d'eux. Le clan ami de la Licorne avait rendu par le passé un service à la vallée d'Heibetsu, qu'il convenait aujourd'hui d'honorer. Mirumoto Ryu se rendrait donc à la Cité de la Grenouille Riche, accompagné du rônin, et se mettrait au service de son daimyo, jusqu'à ce dernier considère la dette payée.
Ce même matin, arrivait au palais d'Heibetsu un important personnage : Isawa Akitoki du clan du Phénix, daimyo d'Isawa Ayamé. Ce respecté shugenja, traditionnaliste, était au courant des opinions hétérodoxes de son élève et en concevait de noires humeurs rien qu'à y penser.
Et il avait été prévenu de l'affront fait à celle-ci. Ayant rencontré Akuma-sama, il avait rétabli de bonnes relations avec le clan du Dragon.
Mais Isawa Akitoki-sama en voulait malgré tout à son élève d'avoir été au coeur de cette affaire qui aurait pu brouiller deux clans ! De plus, à la honte d'Ayame, il comprit que celle-ci n'était toujours pas prête à continuer sa formation à l'Académie Isawa. Décidément, elle ne méritait pas son excellent yojimbo, Shiba Ikky, si dévouée pour elle ! Akitoki-sama ne manqua pas de tancer sévèrement la jeune shugenja.
Une importante réunion de l'Académie de shugenja Phénix allait se tenir pendant l'hiver. Il était exclu désormais qu'Ayame-san puisse s'y présenter. Elle serait donc priée de rester à l'écart. Elle irait porter des parchemins au clan de la Licorne. Peut-être qu'ainsi elle y réfléchirait à deux fois quant à son goût pour les magies biscornues de l'Ouest !
Plus inquiet que jamais pour son élève, Isawa Akitoki leva la séance.

Durant la matinée, Kakita Hiruya était resté à l'écart. Les festivités terminées, il étaot allé se promener dans un des jardins du palais. De longues heures durant, il méditait devant son sabre. Le coup porté par cet adversaire terrifiant avait failli l'emporter. La cicatrice laissée sur son visage en témoignait.
Le murmure seul du vent accompagnait la méditation du jeune Grue. Kakita Yobe, le noble et respecté duelliste, son maître, s'était approché le plus silencieusement possible. Il s'était assis en tailleur face à son élève.
Un long moment de silence en avait suivi. Mais il convenait maintenant de parler.
Yobe-san avait entendu parler de ce criminel, appelé la Grue Noire. Il sévissait ses dernières années sur le territoire des Daidoji. Assassin redoutable, on disait qu'il avait servi les Scorpions et le clan de la Mante. Bretteur acharné, il tuait de sang-froid quiconque louait ses services, à prix d'or.
Et Hiruya avait reconnu sans aucun doute possible la technique de combat Daidoji chez son adversaire. Il avait senti pire que cela : un lien archaïque, mystérieux, fatal, qui l'unissait à la Grue noire. Comme deux ennemis mortels de toute éternité, par le seul jeu des Fortunes, sans qu'ils se soient jamais rencontrés...
Selon toute vraisemblance, ce guerrier était mort dans les décombres enflammées du temple, avec son âme damnée, Nahoko. Mais l'âme de Hiruya n'était pas en paix. Or, Yobe-san ne voulait pas sentir fléchir l'âme de son élève : elle devait rester droite et fière comme son katana.
Hiruya jura qu'il resterait fidèle à la rigueur apprise.

:samurai:

Il ne pouvait s'empêcher de cogiter à propos de ce qui s'était passé. Que les Moto et les Hida eussent été à la recherche des oeufs de jade pour guérir la Souillure, qu'ils eussent ainsi les arracher aux rônins et aux gaijins, c'était compréhensible.
Il semblait que c'était la Grue Noire qui avait tué les Crabes et manqué de peu d'expédier aussi Hida Sotan, au moment où le Crabe s'était rebellé contre lui. Mais comment en était-il venu à servir la Grue Noire ? Et que recherchait ce criminel à Heibetsu ? Hiruya savait qu'il avait corrompu l'âme de Nahoko au point de la convaincre de déchoir de son clan, pour partir avec elle. Et elle n'avait pas hésité à mettre un parchemin de maho dans les affaires d'Ayame.
La Grue Noire était le chef de la bande de pillards ; mais lui ne venait pas que pour les oeufs de jade. Alors, pourquoi avait-il semé ainsi la peur et le deshonneur à Heibetsu ?

:samurai:

Le soir, un banquet, présidé par Akuma-sama, célébrait les mérites de nos samouraï, qui avaient mis leur vie en péril pour défendre l'honneur d'Heibetsu. Devant tous les nobles de la vallée, ils furent glorifiés par le maître des lieux, afin que l'on se souvienne d'eux et de l'exemple qu'ils donnaient.


LA COLERE DES KAMI-KAZE

Le lendemain de leur célébration, nos héros se retrouvaient à la porte sud d'Heibetsu, pour accomplir en sens inverse le passage des montagnes. Ils découvrirent en effet qu'ils se rendaient tous à la Cité de la Grenouille Riche, près de la frontière des Dragons, des Licornes et des Lions.
L'automne avait bien avancé depuis leur arrivée sur les terres de Mirumoto Akuma. Les vents, glacés, parfois coupants comme des lames, soufflaient sur le chemin de pierre et de terre, maîtres incontestés de la montagne.
Ils tournaient, couraient, s'envolaient, de plus en plus forts à mesure que les samuraï, guidé par un solide paysan de la région, approchaient du col d'Heibetsu. Ils durent passer une première à la belle étoile, dans un abri sur le chemin.
Le lendemain, leur marche fut à nouveau contrariée par les vents froids. Le manteau neigeux, blanc, éblouissant, s'épaississait à chaque heure et la température baissait en conséquence.
Au milieu du deuxième jour, ils virent, sur un chemin en contrebas, de nombreux paysans qui descendaient la route, affolés, emportant à la hâte avec eux bagages et enfants, comme forcés de fuir leur village proche, sous la menace de quelque danger soudain et terrifiant.
Encore quelques mètres à monter vers le col, et des Ize Sumi, presque nus au milieu de l'air glaçant, se dirigeaient vers nos héros. Ils n'avaient pas leur stoïque fierté habituelle : ils étaient inquiets, et impatients de voir arriver les samuraïs. Dans un village juste avant le col d'Heibetsu, les kami-kaze, qu'Isawa Ayame avait sollicité au temple des Togashi, déchaînaient leur colère.
Des créatures monstrueuses avaient surgi d'un vortex électrique, et envahi le village, tuant les habitants avec une férocité bestiale !
Après le col, le climat serait plus clément : la descente vers la vallée des Libellules se ferait sous un ciel plus serein. Mais pour mériter de sortir d'Heibetsu, nos héros n'avaient pas d'autre choix que d'aller affronter les monstres envoyés par les esprits des vents.

En approchant du village, ils les distinguèrent peu à peu, dans la légère brume qui obscurcissait les bâtiments. Des monstres gros, d'une pièce, solide, immobiles encore. Un corps de cheval, un buste et des bras d'homme, une tête de taureau. Des minocentaures.
Les sages Togashi s'étaient disposés autour du village, pour tracer des glyphes de protection. Ils essayaient d'apaiser les esprits en colère. Mais seule Ayame-san pouvaient les calmer pour de bon : il fallait pour cela s'adresser à eux par la méditation. Mais les terribles chimères étaient bien réelles, et ne seraient jamais rappelées par les esprits.
Kakita Hiruya accompagna les deux Phénix pour rejoindre le plus vite le centre du village ; Mirumoto Ryu et Shinjo Kohei, accompagnés de Riobe, prirent l'autre voie d'accès, dans l'espoir de créer une diversion.

Le village du col était un vrai petit labyrinthe, formé de murs et de bâtiments entrelacés, étroits, meurtriers pour une embuscade : à peine si deux hommes pouvaient passer et combattre côté à côté. Après avoir marché pendant quelques rues, le groupe mené par Ryu-san arriva en vue d'un étrange tourbillon parcouru de serpentins électriques : une des sources d'arrivée des minocentaures.
Deux de ces créatures faisaient face. Le choc fut brusque, d'une violence sans concession. Riobe obligé de rester en arrière, le Dragon et la Licorne se lancèrent à l'attaque.
Le katana de Kohei rebondit sur le cuir solide de son adversaire. Un coup de corne en retour le blessa grièvement. Seule un moment face aux deux bestiaux, Ryu en blessa un, et reçut une navrure encore plus grave que Kohei en retour. Riobe arriva en renfort, pendant que Kohei dégageait le passage : il aida la samuraï-ko à tuer les deux puissantes chimères, qui s'écroulèrent lourdement, en faisant trembler le sol.
La blessure des deux samuraï était assez grave pour les empêcher de combattre avant longtemps.
Mais déjà, un nouvel adversaire, frappant du sabot à terre, fulminant des sabots, contractant les muscles de ses abdominaux et de ses bras, s'approchait dans le couloir des rues.
Entre temps, nos héros avaient juste eu le temps de secourir un malheureux paysan, armé d'un javelot. Le pauvre bougre pointait la bête pour l'empaler dans sa course. Riobe était monté à la hâte sur un des muret. Il avait bandé son arc, pendant que Ryu et Kohei, souffrant de graves blessures, le sabre à la main, attendait l'assaut qui allait être lancé.
Il fut formidable, bref, et meurtrier. Mugissant, de ses quatre lourds sabots, la chimère lança sa course. Riobe lançait sa flèche, et une fraction d'instant plus tard, la bête rentrait en plein dans Kohei, le piétinant affreusement, brisant de plus tous les os du paysan. Retourné comme la terre après le passage du sillon, Kohei gisait inconscient à terre.
Riobe avait intercepté la course de l'animal : il avait sauté sur lui, vaillamment, tranchant net sa jugulaire dans son élan héroïque. Mugissant comme les vents, beuglant comme un démon, le minocentaure s'effondra sur le sol.
Riobe n'avait reçu qu'une blessure superficielle. Ryu accepta de rester veiller Kohei. Le rônin allait rejoindre l'autre groupe.

:samurai:

Isawa Ayame, entourée de Ikky-san et Hiruya-san, avait atteint la place centrale du village. La Grue avait dégaîné son sabre pour tuer instanément une, puis deux des formidables chimères. Les vents sifflaient, sinistres, en s'engouffrant dans les rues étroites. Le sang avait giclé de la gorge, le sabre avait passé dans un éclair bleuté, et rejoint son fourreau.
Le tourbillon magique des élèments de l'air se dressait sur la petite place. Il se tordait comme un serpent pris de convulsions. Ayame-san alla s'agenouiller devant lui. Se concentrant, elle fit le vide en elle, dissipa les doutes de son esprit et oublia de se préoccuper du monde, pour pénétrer dans celui des Fortunes.
Pendant que la shugenja plongeait dans sa transe, un monstre plus gros que les autres était arrivé. Plus puissant, plus cruel, il conduisait le troupeau des chimères. La Grue et le Phénix firent face.

L'énorme minocentaure tournait lentement autour d'eux, pour leur couper toute retraite. Puis vint la charge. Hiruya frappa juste mais pas assez pour que la blessure affaiblisse le monstre. Ikky se lança le sabre en avant, au mépris du danger, et entailla encore une fois le monstre, mais là encore pas assez pour l'arrêter. Hiruya ne réussit pas à s'écarter du chemin de la bête et fut blessé, mais il en fallait plus pour le mettre en difficulté. En revanche, la samourai-ko eut à payer chèrement sa bravoure : elle fut littéralement fauchée par la bête en furie. Se détournant de sa victime, le monstre se retourna alors contre le bushi Kakita. Ce dernier réussit encore à le blesser : jamais son katana n'avait eu à frapper plusieurs fois de suite un adversaire pour l'anéantir ! Mais bouillant de rage comme un volcan de lave, le minocentaure tenait bon. Sur le point de mourir, il eut le temps de lui envoyer un dernier coup de sabot. Ikky en fut grièvement blessée. Contenant sa douleur, le vaillant Hiruya finit par l'achever. Il aida la yojimbo à s'appuyer contre un mur.

Ignorante de ce combat, Ayame s'était plongée dans le tourbillon des vents. Un kami-kaze était là. Il s'adressait bien à la shugenja.
C'était bien lui qui avait envoyé les créatures vengeresses. Humble face à cette force surhumaine, Ayame-san cherchait le moyen d'apaiser la colère de l'élémentaire. Mais le kami n'avait sans doute qu'indifférence pour les humains. Sollicité au temple des Ize Zumi pour donner un bien (en l'occurrence mettre nos héros sur la piste des criminels), il devait rétablir l'équilibre cosmique en déchaînant un mal. Etait-ce un jeu pour lui de déchaîner ces minocentaures ? Non, certainement. Mais la shugenja avait eu la folie de croire que l'on pouvait en appeler aux Fortunes sans les remercier. Elle avait eu le privilège de se voir dicter sa conduite, d'écrire les paroles des élèmentaires et n'avait pas pris le temps de les remercier.

Injurié par cet oubli, l'esprit avait donc envoyé cette punition pour rappeler que les hommes ne sont pas libres de disposer de ces pouvoirs. Ayame baissait la tête, pour montrer qu'elle comprenait la leçon : elle n'oublierait plus désormais de faire offrande.

Mais il était trop tard pour qu'elle sorte indemne : sa méditation fut soudain interrompue par une attaque traîtresse d'une chimère. Les sabots frappèrent de plein fouet la shugenja, qui fut jetée à terre, impuissante.
Elle aperçut alors sa yojimbo, grièvement blessée, appuyée contre un mur.

:samurai:

Alors que surgissait le monstre qui frappa traitreusement Ayame, le destin des deux Phénix aurait pu s'arrêter là. Leur vie n'avait tenu qu'à un fil : celui de la lame de Hiruya-san et de Riobe. Le rônin avait couru à travers la ville, et était arrivé juste à temps pour seconder Hiruya. Tous deux, ils tuèrent le minocentaure, puis un second.
Ils se précipitèrent vers la shugenja, frappée de plein fouet par les sabots. Tout comme Ryu, Ikky et Kohei, elle survivrait, mais il lui faudrait du temps pour panser ses plaies.

L'esprit du vent avait accepté les excuses d'Ayame-san. Il se retirait. Et ses créatures étaient toutes mortes.
Mais à quel prix... Seuls la Grue et le rônin étaient encore en état de combattre. Les autres avaient été terrassés. Ils ne pourraient pas tenir sur leurs jambes avant plusieurs jours...

AU CHATEAU DE LA LIBELLULE

Les vents s'étaient enfuis ailleurs, loin du col d'Heibetsu. Un beau ciel d'automne embrassait les sommets, répandant une immense nostalgie sur les hauteurs, celle de l'adieu de l'été qui se retire en déversant ses dernières et plus grandes splendeurs rougeoyantes.
Seules quelques bourrasques troublèrent, dans les jours suivants, la tranquillité du village. Encouragés par les Ize Zumi, les paysans avaient retrouvé leur village. Ils avaient enterré les morts et commencé à rebâtir les bâtiments saccagés par les combats furieux.
Le brave peuple de la montagne s'était agenouillé, face contre terre, devant les héros accourus à leur secours. Ayame, Ikky, Kohei et Ryu durent garder le lit pendant trois journées complètes. Les fièvres s'emparèrent de leur corps. Heureusement, on veillait sur eux continuellement. Des infusions médicinales aidèrent les plaies à guérir.
On fabriqua pour eux des civières de bois, attachées derrières les poneys et montées sur des planches lissées. Il faudrait les transporter allongés vers le château de la Libellule. Ils pouvaient à peine tenir debout.
Le voyage serait rallongé d'une bonne journée, pour ne pas secouer les guerriers blessés. Les coups de griffes et de cornes n'avaient pas porté sur des organes vitaux. Mais le piétinage subi par Kohei lui vaudrait pendant longtemps des élancements de douleur partout dans le corps. Il en était actuellement perclus.

Kakita Hiruya en tête, Riobe le rônin fermant la marche, le groupe entreprit sa descente vers la vallée de la Libellule. Un clément soleil roux les accompagna sur les pentes, réchauffant les corps meurtris sans les accabler de sa chaleur. Les paysans travaillaient tout le jour aux récoltes, et saluaient bien bas les nobles samouraï.
Trois jours après, on arrivait en vue de la Libellule : le château, perché en haut d'un pog abrupte, austère dans le grand air de la montagne, accueillit les blessés. Le daimyo du clan, Tonbo Toryu, accueillait pour la seconde fois nos héros. Et pour la seconde fois, dans des circonstances dramatiques.
Un pigeon fut envoyé à la Cité de la Grenouille Riche pour prévenir du retard accumulé. L'étape au château de Toryu-san ne pourrait durer moins d'une semaine. Le temps pour les blessures de se refermer.

:samurai:

L'hospitalité de Toryu-san fut comme la première fois : simple et chaleureuse. Les samouraï avaient été logés à l'écart, au calme. Ils évitaient ainsi l'agitation du bâtiment principal, où s'affairaient en permanence des émissaires des clans majeurs, qui demandaient à entrer sur les terres du Dragon. Une délégation patientait ici depuis plus d'une semaine, sans que Toryu-san puisse leur avouer que le clan du Dragon ne voulait pas d'eux. Il devait juste les prier de patienter, espérant qu'ils se décourageraient.
Après sept jours de repos complet, tous les héros pouvaient monter à nouveau sur un poney. Il était de partir chez le daimyo de la Licorne. Tonbo Toryu souhaita bonne route aux voyageurs, espérant les voir en meilleure forme la prochaine fois...


LA CITE DE LA GRENOUILLE RICHE

Après un voyage sans histoire qui les menèrent sur les rives de deux grands fleuves de Rokugan, à la frontière des Lions, des Licornes et des Libellules, nos héros franchissaient les portes de l'opulente cité de la Grenouille Riche. Shinjo Bunjiro en était officiellement le daimyo. Mais dans la réalité, la cité était dirigée par les rônins de la famille Kaeru. Ceux-ci dirigeaient les affaires et négociaient avec les clans au mieux de leurs intérêts. Un intense commerce s'y déroulait en permanence : la foire de la place principale se tenait presque en permanence. Et nos héros purent découvrir, avec un dédain et un amusement mélangé, les rônins des lieux maintenir l'ordre en assommant les agitateurs à l'aide de grosses pipes en bois !! Evidemment, l'usage de cette arme manquait à tel point de style que Kakita Hiruya en était proprement effaré. Des gaijins ne se rendaient pas plus ridicules !...

:samurai:

La légende raconte qu'un riche marchand passa dans cette région, quand il rencontra un autre marchand qui attrapait les mouches. Le premier marchand se moqua de lui : que d'efforts inutiles ! Le second répondit que les mouches avaient plus de valeur que l'or n'en aurait jamais. Le premier marchand n'avait pas fini de rire qu'il se retrouva transformé en grenouille !
"Que vaut ton or maintenant ?" lui dit le second marchand, qui était un puissant magicien. Il lui redonna alors sa forme humaine. Le marchand, touché par la grâce de cet enseignement, donna tout son or au magicien, se rasa la tête et devint moine. Le magicien, avec cet or, fonda une cité à cet endroit, qui devint riche et prospère et fut nommée la Grenouille Riche pour cette raison.
Enfin, il est à noter que c'est de cette cité que Toturi, dit le Lion Noir, lança un appel à tous les rônins pour former une armée.

Les samouraï se rendirent au château de Shinjo Bunjiro, à quelques lieues de là dans la campagne. Seul Riobe resta à la Cité, pour se faire connaître auprès de l'administration.
Au milieu des groupes de rônins défraichis, fatigués d'attendre depuis des heures, qui se grattant, qui buvant du saké, qui éternuant, Riobe eut à passer un moment pénible. Il engagea la discussion avec un pauvre ère, attaqué par les poux, les jointures de sa pauvre armure craquant de concerts, et qui ne mangeait pas souvent ces temps-ci. Il apprit de lui qu'une armée de rônins s'amassait à la frontière des Dragons, au pied des montagnes. De plus, on disait que Toturi rôdait dans la région, franchissant sans cesse l'une ou l'autre frontière pour échapper aux autorités.
Le rônin miséreux ne savait pas quoi trouver comme travail pour gagner quelques zenis. Riobe lui-même, malgré le traitement de faveur que lui avait fait les Dragons, voyait sa bourse s'amaigrir peu à peu. Son armure était aussi en mauvais état. Après des heures d'attentes, il fut enfin inscrit au bureau de la cité.
En fin d'après-midi, fatigué, il partit dans la campagne vers le château Shinjo et passa la nuit dans une grange à proximité. Pendant ce temps, les autres samouraï profitaient de l'hospitalité de Shinjo Bunjiro.
Ce dernier était un homme affable, bon vivant, tout d'une pièce. Ryu-san était chez lui pour rendre un service au clan de la Licorne. Bunjiro-san, qui n'aimait pas que les dettes traînent, promis à la bushi Dragon qu'elle pourrait s'en acquitter rapidement.
Ayame-san confia au daimyo les parchemins qu'elle convoyait pour l'académie Isawa. Le shungenja du château, Iuchi Kumanosuke, les examinerait le lendemain matin. Et Bunjiro-san donnerait ses instructions le lendemain, à la collation de mi-journée. Il salua également Kakita Hiruya, qui accompagnait Shinjo Kohei.


DANS LEQUEL SHIBA IKKY FAIT PREUVE DE MULTIPLES TALENTS

Après une nuit sans histoire, nos héros se réveillèrent dans le chateau de la Grenouille Riche. Riobe avait donc dormi dans une mauvaise grange, d'où on l'avait fait partir à la pointe du jour. Il partit vers la Cité, de bon matin dans la campagne, et y passa la journée, à rencontrer ses frères les samuraï du clan du Loup, autrement dit les rônins.
Il n'avait plus que quelques zenis en bourse. Il en perdit encore en jouant au go. Son adversaire était vraiment très fort, car Riobe lui-même était un adversaire estimable à ce jeu. La misère recommençait à lui taper sur l'épaule : c'était la première fois depuis la fin de l'été, depuis le tournoi d'Akuma-sama et sa rencontre avec les samouraï.

A l’heure d’Akodo, nos héros furent convoqués chez Shinjo Bunjiro. A sa mine sévère, on put deviner que l’heure était aux propos graves. Il annonça tout d’abord à Mirumoto Ryu que celle-ci, afin de payer la dette due par son clan, se mettrait quelques jours au service du clan de la Licorne. Sa mission consisterait à rejoindre, sur la frontière du Lion toute proche, un jeune magistrat nommé Ide Soshu. Celui-ci avait été envoyé pour répondre à l’appel de paysans inquiétés par des bandes de brigands sur leurs territoires. Dans la région d’Inchu, les Matsu partaient en masse à la guerre, sur le front est, contre le clan de la Grue. Par conséquent, il restait peu de guerriers pour défendre la région. Des conflits avaient éclaté entre villages, faute d’autorité pour maintenir l’ordre.
Ide Soshu avait été chargé d’y mettre bon ordre, mais il n’aurait pas de trop de l’appui d’une enquêtrice du Dragon, pour démasquer les fauteurs de troubles.

Shinjo Bunjiro se tourna ensuite vers les deux Phénix. Il avait transmis les parchemins apportés par Ayame à son shugenja, Iuchi Kumanosuke. Celui-ci fit alors son entrée dans la pièce. Il s’assit sur un tatamis. L’air sévère, la tête allongée, âgé de plus de cinquante ans (peut-être même bientôt soixante), des grimaçes figées par les années, sûr de lui, comme un vieux professeur qui sait déjouer toutes les ruses des mauvais élèves, Kumanosuke-san fit aussitôt part de sa vive déception à la lecture des parchemins. Ceux-ci n’étaient en fait que de valeur médiocre. Il y avait mieux à attendre de la part de la prestigieuse maison Isawa ! Avec tout le respect que l’école de magiciens Licorne pouvait avoir pour les Phénix, Kumanosuke-san dit que ces parchemins ne contenaient aucun savoir mystique très poussé. Rien que du très accessible à un shugenja débutant ! La valeur de ses parchemins restait bien en dessous du cadeau promis par les Isawa. Du moins, à ce qu’en avait compris le shugenja Licorne...

:samurai:

Intérieurement, Ayame-san dut faire un effort pour réprimer son désarroi : elle s’était bien fait piéger par son daimyo. Celui-ci ne lui pardonnait pas sa conduite déviante. On la mettait à l’épreuve.
Le vieux shugenja fit passer les parchemins à l’assistance (quelques élèves de l'école Iuchi) et on put constater qu’ils ne renfermaient pas d’enseignements profonds. Dépitée, Isawa Ayame dut s’excuser platement. Elle savait qu’il n’était pas possible d’en accuser une erreur d’échange ou une perte pendant le voyage. Elle baissa la tête. Shinjo Bunjiro, pourtant peu homme à se fâcher, dut pourtant s’associer au mécontentement de Iuchi Kumanosuke. Les deux hommes se parlèrent à voix basse, pendant qu’une pesante incompréhension régnait dans l’assistance.

Après quelques propos, Shinjo Bunjiro rendit son verdict : pour se faire pardonner de ce léger affront, les deux Phénix serviraient la cause Licorne quelques temps. Le temps de contacter l’honorable Isawa Akitoki pour éclaircir le malentendu. Le daimyo ordonna donc à Isawa Ayame et à son yojimbo de partir épauler eux aussi le magistrat Ide Soshu. Une négociatrice pacifique serait tout à fait précieuse pour régler les conflits villageois.
Shinjo Kohei et Kakita Hiruya serviraient de force d’appoint, au cas où il faudrait intimer plus fermement aux bandits l’ordre de se calmer…

Sur ce, la réunion fut levée. Pour le reste de l’après-midi, la shugenja Phénix s’enferma dans sa chambre, parmi les volutes opiacées, tirées de sa pipe, qui lui procuraient l’apaisement. Kakita Hiruya discuta un peu avant avec les deux Phénix, puis partit méditer, seul avec son sabre.

Le lendemain, la yojimbo Shiba Ikky se rendit à la Cité de la Grenouille Riche. La brave yojimbo devait régulièrement pénétrer dans les très mauvais quartiers des villes pour se procurer de quoi remplir la pipe de la shugenja…
Ikky-san avait renoué ses cheveux et mis son chapeau conique sur la tête. Après avoir bien marché dans la campagne que les rayons de dame Soleil chauffait peu à peu, et trouvé les mauvais quartiers de la cité rônin, Ikky fit halte dans un vilain bouge appelé "La Morue Rance", où étaient présents quelques ivrognes et autres sombres compagnons. Bien sûr, le patron accueillit le nez contre terre un si noble visiteur, et l'aida à se fournir en herbe. Ikky but encore du soshu avant de rentrer, plus guillerette vers le chateau de Shinjo Bunjiro. Sous le soleil qui passait à son zénith, elle cheminait gaiement, en serpentant légèrement sur la route.
L'après-midi, après avoir discuté avec Isawa Ayame et Kakita Hiuya, elle s'en retourna à la Cité, où elle retrouva Shinjo Kohei et Riobe qui jouaient au go dans une taverne mieux fréquentée que la "Morue Rance"...
Elle ignorait que les deux samurai avaient évoqué le passé de Riobe. A demi-mot, Kohei avait laissé entendre qu'il savait de quelle famille déchue il provenait. A demi-mot encore, Riobe avait confirmé cela. Mais ce que l'Empereur avait fait, seul l'Empereur pourrait le défaire... Et Kohei n'avait pas fait allusion à Toturi, ni demandé pourquoi Riobe ne l'avait pas rejoint.
Kohei ne voulait pas importuner plus longtemps le rônin, qu'au fond il appréciait, plus que son rang de samourai de clan ne lui permettait de montrer. Et il n'était pas temps d'évoquer les sombres heures du passé. ll était temps de passer une après-midi agréable, avant de partir sur la frontière. Kohei-san décréta donc qu'il voulait se divertir plutôt que se chagriner. Il commanda une bouteille de saké. Riobe lui demanda alors s'il savait jouer au go. Le Licorne n'y connaissait rien, mais apprendrait volontiers.

:samurai:

C'est un peu plus tard qu'arriva Ikky-san. Il faisait assez chaud, et l'ambiance de la taverne montait chaque fois que les coupes s'entrechoquaient. La yojimbo avait déjà le rouge aux joues. Elle salua ses deux compagnons, et décida de jouer de la musique pour égayer encore l'ambiance. Elle joua de son biwa, pour accompagner Riobe, qui dévoilait maintenant ses talents de barde. Le rônin chanta la légende de valeureux samourai affrontant les tempêtes et les monstres des sommets. Kohei, qui s'initiait à la flûte, procura un accompagnement plus modeste. La musique et l'alcool aidant, l'après-midi passa vite, et en rentrant, nos trois samouraï ressemblaient plus à un groupe de yorikis permissionnaires, égarés dans une distillerie de saké, qu'à trois fiers servants de l'Ordre Céleste... :P
Isawa Ayame sortait elle-même de vapeurs narcotiques, et Mirumoto Ryu avait sommeillé. Seul Hiruya avait médité dignement, et regarda avec dédain les fêtards enivrés.
La nuit se passa paisiblement.
Le lendemain, à l'aube, nos héros partaient en direction de la frontière d'Inchu.


LE MAGISTRAT SOSHU

Il fallut une journée à nos héros pour voyager de la Cité de la Grenouille au fleuve de la vallée d'Inchu. Les montagnes du sud couraient d'ouest en est, des plaines de l'ouest jusqu'au centre de l'Empire. L'automne s'installait paisiblement sur Rokugan, tandis que les récoltes se faisaient dans chaque village. Le froid de l'hiver soufflait déjà par endroits. Dans la soirée, apparurent enfin au loin les rives qui forment la frontière ouest du territoire des Lions. La région était relativement déserte. De maigres cultures à proximité d'insalubres marais nourrissaient le peuple de cette région.
Depuis l'annonce de ce départ pour Inchu, Riobe avait perdu son élan habituel. Il ne semblait plus si volontaire. Kohei l'avait bien remarqué : le rônin devait connaître cette région, et y être lié par quelque mauvaise aventure. Du moins ne lui était-elle pas indifférent...
Nos héros descendirent de monture dans une petite bourgade de bons paysans. Ils furent accueillis avec humilité par le chef du village. La nuit tombait déjà, et il s'inquiétait de ce que le magistrat Licorne, parti en tournée d'inspection pour la journée, ne soit toujours pas rentré.
Les samouraï furent conduits aux appartements où ils dormiraient. Ils s'y installaient tandis que l'heure de Shinjo avançait bien. Enfin, près d'une heure après le coucher du soleil, on vit arriver, sur son grand destrier, un cavalier mince, l'air hautain, indifférent, qui tenait mal sur sa monture : Ide Soshu.
Il n'avait reçu aucune blessure, sinon celle de l'alcool de riz qu'il affectionnait beaucoup, et à qui il avait emprunté le nom : soshu, sorte d'alcool cousin du saké, en plus fort. Des paysans, Kohei avait déjà appris que l'homme était bien porté sur les flacons.
Le magistrat salua rapidement ses nouveaux assistants, puis alla tout de suite se coucher, et ronflait à l'aise quelques minutes plus tard.
Kohei, qui dut dormir dans la même chambre que lui, passa une désagréable nuit, tournant dans sa couche, priant les kami-kaze de déboucher le nez de l'agaçant magistrat !

Le lendemain matin, le magistrat Ide Soshu, remis de ses déboires alcooliques de la veille, salua de manière plus polie les deux Phénix et Mirumoto Ryu. La shugenja l'aiderait dans les négociations diplomatiques, tandis que la bushi Dragon enquêterait sur divers troubles dans la région. D'un côté, des villages de paysans, laissés à eux-mêmes, qui se disputaient des arpents de terre. De l'autre, des bandes de malfaiteurs qu'il fallait surprendre au plus tôt.
Il y avait du travail à faire. Le magistrat proposa à tous les samuraï de leur faire découvrir la juridiction qu'on lui avait confiée. Ils feraient le tour de la région et reviendraient dormir le soir chez les mêmes paysans.

:samurai:

Riobe n'avait toujours pas retrouvé son humeur habituelle. Il marchait à côté des montures des samuraï, la tête basse, feignant poliment d'être content quand on lui parlait. Mais Kohei, du coin de l'oeil, l'aperçut plusieurs fois ruminant de sombres pensées...
Le magistrat Ide Soshu, en plus d'être un buveur du matin, était un incorrigible bavard. D'un ton monotone, il tint la conversation aux deux Phénix, sans arrêt durant la journée. Il dissertait sur tout et n'importe quoi, la bouteille à la main, racontant d'interminables procès et recherches de textes anciens. Autant d'histoires de parchemins bien peu magiques. Ayame écoutait poliment, soutenue par Ikky. Kohei n'avait d'autre choix que de rester près du magistrat, mais discutait dès qu'il le pouvait avec Hiruya, tandis que Ryu restait silencieuse, comme à son habitude.

La journée avançait bien. Après la pause du déjeûner, à l'heure d'Akodo, ils repartirent, à travers des collines verdoyantes, de plus en plus près de la rivière. Riobe signala plusieurs à Kohei qu'ils se rapprochaient dangereusement des territoires Matsu... Le bushi Licorne ne savait pas quoi faire pour interrompre le soliloque du magistrat, qui continuait à ouvrir la route, sans s'inquiéter de franchir la frontière.
Il état pourtant le premier à dire qu'il ne fallait pas rentrer sur les territoires des Lions. Mais Riobe finit par être persuadé qu'ils avaient quitté le territoire Licorne... Il eut beau suggéré au magistrat qu'il avait quelques connaissances de la région : rien n'y fit, il ne détourna pas sa route.

:samurai:

En fin d'après-midi, le magistrat émergea un peu des brumes de l'alcool. Il se rendit alors enfin compte qu'il fallait faire demi-tour ! Le soleil se coucherait avant-peu, et il fallait, théoriquement, pour revenir chez les paysans, refaire tout le chemin parcouru depuis le matin...
Riobe s'inquiéta de savoir à qui appartenait une belle demeure de l'autre côté du cours d'eau. Ide Soshu répondit simplement qu'il s'agissait d'une maison Matsu : et surtout, ne pas aller les déranger !
Très inquiet, le rônin n'en continuait pas moins de suivre la troupe.
Dame Soleil avait presque atteint la ligne de l'horizon. Le magistrat se rendait maintenant bien compte de son erreur. Nos héros contenaient leurs reproches envers lui. Il y avait longtemps qu'ils avaient pris conscience, eux, du grand détour qu'ils faisaient.
Nerveux, Ide Soshu décréta qu'ils demanderaient l'hospitalité dans la première ferme venue, pour la nuit. Il ne pouvait plus nier qu'ils étaient entrés sur le territoire des Lions ! Pas chez les Matsu, par chance, mais sir les terres de la famille Ikoma, plus pacifiques, connus pour former d'excellents historiens. Le rônin cachait mal aux yeux de Kohei son malaise. Malaise qui alla de mal en pis quand le magistrat désigna justement une petite ferme où tous pourraient passer la nuit.
Le rônin voulut quitter le groupe pour dormir à la belle étoile, mais le magistrat lui refusa la permission : un rônin non signalé pourrait être chassé et pendu par les yorikis du secteur. Il fallait se faire connaître des autorités locales pour éviter les ennuis. Riobe dut se résigner à suivre le groupe.
On mit pied à terre devant la petite ferme, bien entretenue.
Deux solides paysans armés en gardaient l'entrée. Un jardin coquet, de goût, menait au perron de la demeure. Ide Soshu, qui se savait responsable, alla frapper à la porte pour se présenter...


LE LION SOUS LA PEAU DU LOUP

Riobe le rônin avait rejoint la grange où il passerait la nuit. Assis sur la paille, une lanterne à côté de lui pour l'éclairer, il avait retiré son armure, et méditait sur son sabre.
Méditer était un trop grand mot. Il résistait comme il le pouvait au retour inéluctable d'un passé, qu'il ne pouvait plus rejeter. Il sentait ses blessures se rappeler douloureusement à son présent.
Et pourtant il n'était pas venu ici de son propre chef. Il venait sur ordre d'abord de Taro-san, puis de Shinjo Bunjiro, et enfin par la faute du magistrat Ide Soshu.
Mais derrière ces évènements fortuits, Riobe savait que se cachaient la volonté des Ancêtres. Les Ancêtres qui le ramenaient vers Inchu et vers le choix d'Akodo Watanabe de suivre son daymio dans la déchéance, plutôt que de rallier une autre famille du clan du Lion ou encore de faire seppuku. Alors il ne lui avait plus resté comme choix que de reprendre son nom de jeune homme et devenir Riobe le rônin...

Décision que notre rônin avait payé de la perte de sa fiancée, Ikoma Yoko et d'une brouille durable avec le frère de celle-ci, Ikoma Akira... Maintenant, avançant les pions sur leur table de Go, les Ancêtres avaient réuni les deux anciens fiancés. Le Lion partit sur les chemins humides et froides, la fiancée resta seule au pays, vassale de son frère, à tenir courageusement sa ferme.
Mais Riobe ignorait tout de la tactique des Ancêtres. Il ne pouvait que se plier à leur jeu. C'est à dire qu'il devait supporter l'idée d'être revenu dans la maison même de sa fiancée, où les autres samurai dormaient maintenant...

:samurai:

Durant le dîner, le rônin et la maîtresse de maison avaient évité de croiser leurs regards. Les autres s'étaient-ils douté de quelque chose ? Riobe avait eu à peine à dissimuler sa stupeur. Une fêlure avait parcouru son assurance : ses genoux avaient failli se dérober sous lui.
Maintenant, tout le monde était parti se coucher. Et la nuit serait longue. Le lendemain, le rônin ne serait pas en forme, après n'avoir pas fermé l'oeil...

Riobe entendit des pas qui approchaient de la grange. A cette heure-ci ? Des volutes de fumées bleues s'échappaient de la fenêtre de la shugenja. Qu'est-ce qui avait bien pu l'amener à dépendre de cette drogue ? La douleur de son bras amputé ?

Riobe sortit de la grange : c'était Shiba Ikky qui traversait le petit jardin de la ferme. L'eau de la fontaine murmurait doucement dans le soir qui tombait. Les bambous qui conduisaient l'eau sur les massifs de fleurs se balançaient doucement au rythme du système hydraulique. Trois soldats, l'un à la porte principale, l'autre perché dans un arbre, le troisième assis près du bâtiment, montaient la garde.
Comme à son habitude, la yojimbo marchait de son pas assuré, mais avec finesse. Pourquoi dissimulait-elle plus ou moins sa féminité sous ce chapeau chinois ? Décidément, ces Phénix étaient de vrais labyrinthes de complications...

La yojimbo salua poliment le rônin. Elle voulait parler un peu. Elle avait surpris les échanges de regard entre Riobe et Ikoma Yoko. Elle ne s'y était pas trompée.
Pour se donner une contenance, Riobe s'était appuyé contre la porte de la grange, et accueillit Ikky-san avait un sourire d'assurance feinte.
Ikky-san avoua que les regards d'amoureux ne trompent pas. Elle voulait s'assurer qu'ils ne commettraient pas d'actes contraires à la bienséance. Riobe encaissa le coup, et assura la yojimbo qu'il se comporterait bien. L'ironie ne manquait pas de pointer dans sa voie. Ikky-san, quoique bien intentionnée, se montrait un peu trop prévenante... Elle insistait sur des règles que le rônin ne connaissait que trop.
Elle comprenait que l'on puisse avoir un passé lourd à porter, et elle n'en faisait pas le reproche à Riobe. Mais celui-ci répondit que, par décret impérial, il n'avait plus de passé...
Sur ce, il remercia la yojimbo pour sa visite. Elle n'insista pas, salua poliment et partit rejoindre la shugenja, qui avait dû finir de consommer sa drogue...

:samurai:

Riobe, qu'avait mis à mal la visite de la yojimbo (il avait dû prendre sur lui pour garder une apparence convenable), alla se rasseoir dans la paille. Il sentit passer les heures, comme l'eau qui tombe goutte à goutte sur la peau du crâne. Plus tard encore, Riobe entendit des pas s'approcher. Un papier que l'on glisse sous la porte. Et les mêmes pas, discrets (ceux d'une servante) qui s'éloignent aussi vite.
Le rônin endura un nouveau coup. Sur le papier, ces mots : "Retrouvons-nous au début de l'heure de Fu-Leng". Et cette écriture qu'il connaissait bien. L'écriture d'une historienne de la famille Ikoma, soignée, assurée. L'écriture, qui tremblait par endroit, d'une femme que l'amour fait tressaillir, comme le vent pour la feuille, et qui pourrait mêler ses larmes à l'encre.

Le rônin se rongea les sang pendant que les kami du temps prenaient successivement leurs règnes. Shinjo finit ; vint Hida, puis Togashi, qui passa très lentement et très vite à la fois, comme n'importe quel temps que l'on utilise qu'à espérer et craindre celui d'après.
L'heure de Fu-Leng allait prendre ses droits sous peu.
Des pas approchèrent de la grange : posés, fermes, ce n'étaient pas ceux d'une femme, mais d'un bushi habitué à ne pas faire de pas en arrière. C'était Kakita Hiruya. Lui aussi voulait parler : tout dans son regard indiquait qu'il avait compris, lui aussi. Il fixait Riobe, d'un air grave tout en en ne paraissant pas hostile.
Oui, l'heure de Fu-Leng allait être longue, et très court le sommeil.


PISTE DE LOUP, PLEURS DE LIONNE

Kakita Hiruya venait pour parler d’homme à homme. Il dit à Riobe que celui-ci observait le code de l’honneur de manière remarquable, que cela n’avait bien sûr échapper à personne. D’autres, à commencer par le magistrat Soshu, se comportaient de manière bien moins remarquable…
Riobe restait réservé, humble, en apparence, mais il voulait aussi défendre farouchement son honneur. Il ne voulait pas être en position de dépendance vis-à-vis de Hiruya, ni de Shiba Ikky, ni de quiconque. Il n’avait pas besoin de leur aide, ni de leur sollicitude, même s’il accueillait favorablement leurs bonnes dispositions. Hiruya ne voulait pas lui faire la morale, du reste. Il voulait juste lui servir de médiateur, au cas où de choix difficiles se présenteraient à lui. Il savait que dans une telle situation, l’honneur du samouraï, c'est-à-dire toute sa personne, est mise à l’épreuve.
Riobe resta simple et digne, et un peu distant. Il devait se contenir, ne pas se laisser aller. Il remerciait Hiruya-san comme il se devait, mais sans excès, au contraire. Il se sentait bien plus fragile qu’il ne le voulait, et beaucoup plus qu’il ne pouvait le montrer. En même temps, il ne pouvait en vouloir au samouraï Grue de l’aider. Mais sa présence lui était trop pesante. Injustice de ne pouvoir accepter la main, tendue avec franchise, par un noble bushi.
Oui, il était cruel le jeu de Go que les Ancêtres jouaient, et dont Riobe était le pion. Maintenant, tout le monde savait que ce rônin était un Lion sans tête, et pas simplement un coureur de chemins. Mais Riobe ne fléchirait pas dans sa résolution : retrouver sa famille déchue, en restaurer l’honneur.
« Il est des moments dans la vie de chacun, dit-il à Hiruya, où se présente un choix grave et dont dépend la suite de sa vie. Je suis arrivé devant un tel choix. Il n'appartient qu'à moi. Personne ne peut prendre la décision à ma place… »

Pour ajouter à la mise à l’épreuve du rônin, des pas s’approchaient, qui traversaient le jardin endormi. Des pas prudents et légers. Les pas de la maîtresse de maison, qui venait vers la grange, un peu plus vite que ne le prévoyait le code de la bienséance. Qui était agitée de sentiments contraires, qui s’agitaient comme de la vapeur brûlante. Rien de ce qu’une digne femme, seule ou presque pour tenir une ferme, ne devrait éprouver… Elle s’était approchée timidement, inquiète de la présence de Hiruya-san, dont elle feint de s’étonner. Le bushi Grue accueillit la maîtresse de maison sans être surpris non plus, et avec la déférence qui lui était due. Encore une fois, il assura Riobe de son soutien moral, et se retira, posément.
Maintenant, ils étaient seuls, tous les deux.
Hiruya-san s’était retiré dans le jardin. Sur le petit pont qui enjambait le ru, au milieu du jardin, il resta à méditer, sous les fines aiguilles de pluie.

:samurai:

La nuit était claire, à peine troublée par la pluie argentée, et les étoiles de cristal.
La voix d’Ikoma Yoko était chargée d’amertume et de souffrance.
La douleur d’une femme, privée de l’homme qu’elle aimait. Qui avait dû tenir seule sa demeure, aidée de quelques servantes dévouées, en tâchant d’oublier le passé, de faire comme s’il n’avait jamais existé. Son frère s’était éloigné d’elle : il la laissait administrer une partie du domaine. Les Matsu régnaient sur la région : ils se taillaient la part du lion, au sens propre. Et pour Yoko, il y avait l’aigre blessure des souvenirs. Et aujourd’hui, un spectre du passé, qui revenait la hanter, un rônin.
Ce rônin n’était plus que l’ombre d’un jeune et brillant Lion. Yoko peinait à contenir son chagrin. Hiruya la Grue était restée à l’écart dans le jardin ; immobile, il semblait méditer. Yoko et Riobe devaient murmurer pour ne pas être entendu. Et pour ne pas perdre la face, Riobe devait contenir ses sentiments.

Les Matsu régnaient sur la région depuis la chute de Toturi. Et plusieurs d’entre eux voulaient épouser cette femme seule. Ikoma Akira lui-même commençait à se ranger à l’avis des prétendants. Sa soeur Yoko pourrait-elle longtemps refuser la force et l’honneur d’un homme Matsu en invoquant une ombre du passé ?... Des brigands de tout acabits rôdaient dans la région. Organiser des hommes, tenir la maison, Yoko en trouverait toujours la force, seule. Mais seule, elle ne pourrait longtemps résister aux atteintes du souvenir. Surtout si un spectre revenait se présenter devant elle. Et Riobe avait choisi l’honneur de sa famille, l’honneur du général Toturi : il avait déchu avec lui. Ainsi étaient-ils : comme des frères, ils se battent ensemble, et tombent ensemble. Mais désormais, en tant que rônin, Riobe devait vivre seul, et tomber seul.
Il aurait pu rejoindre la famille Ikoma, épouser Yoko, être apprécié de son beau-frère. Au lieu de cela, il avait choisi la déchéance et la route. Ikoma Watanabe aurait pu être un mari bon, et un grand guerrier. Mais pour Riobe, ce Watanabe là n’aurait pas été le vrai Watanabe, mais une imitation, sans honneur qui plus est.
Yoko, emportée par le chagrin, l’accusait d’avoir perdu toute gloire et tout honneur. A cette accusation, Riobe réagit vivement : non ! jamais il n’avait perdu son honneur. L’honneur était la seule chose qui lui restait : il l’avait aidé à résister au froid, aux dangers, à la nuit… Jamais il ne s’était laissé aller à la déchéance. Mais pour Yoko, Riobe avait choisi le peuple des loups plutôt que la terre des Lions. Elle avait pensé en finir, certains soirs où le chagrin l’accablait. La rivière qui coulait, toute proche, avait déjà accueilli plusieurs samouraï désespérés… Riobe y avait pensé aussi. Et si Yoko devait épouser un autre qu’elle, il murmura qu’il y finirait aussi…

:samurai:

Pourquoi les Ancêtres imposaient-ils cette épreuve aux deux amants ? Leur volonté était-elle de voir Riobe mourir ? de le voir rejoindre un autre clan ? de le voir retrouver son titre déchu ? Mais dans cette région, les ancêtres Matsu étaient de loin les plus honorés. Et les aïeux de ceux qui ont rejoint la piste des loups ou du chagrin sont toujours trop silencieux…
Il restait un espoir : que Riobe retrouve un nom. Qu’il se fasse même Licorne ou Dragon… mais qu’il revienne comme membre d’une famille. Et alors Yoko pourrait repousser les prétendants et l’épouser. Même si pour cela Riobe devait défendre ses droits les armes à la main. Mais l’homme qui avait été Watanabe ne voulait pas transformer la vallée d’Inchu en champ de ruines, comme savent si bien faire les Matsu. Riobe ne voulait pas d’une lutte rangée. Et surtout il ne voulait pas d’un autre nom que celui qu’il avait porté. Ce que l’Empereur avait défait, l’Empereur seul pourrait le refaire. Yoko ne croyait pas qu’on puisse recoudre le passé. Mais Riobe croyait de toutes ses forces la chose possible. Récupérer le nom qu’il avait perdu. Redevenir Watanabe et avoir le droit d’aimer Yoko.
Peu importait à celle-ci le nom sous lequel reviendrait Riobe. Qu’il revienne avec un nom, et un droit légitime à la terre et elle l’épouserait. Mais le temps était compté. Les demandes des prétendants se feraient de plus en plus pressantes dans les mois à venir. Que Riobe fît vite, ou bien Yoko deviendrait la femme d’un Matsu.

:samurai:

Les pleurs coulaient maintenant, libres, sur leurs joues. La voix de Riobe tremblait, comme une corde qui vibre trop. Yoko pleura encore, cachant son visage dans ses mains. La flamme de la lanterne qui éclairait la grange mourait peu à peu. Elle dansait, de plus en plus faible. « Il est temps pour moi de partir » murmura Ikoma Yoko. Riobe voulut la retenir. Elle hésita, fit deux pas en arrière, revint. Elle croisa les yeux de Riobe et partit, à pas rapides, à travers le jardin.
Kakita Hiruya méditait, non loin de là devant son sabre. Yoko passa près de lui, s’arrêta et sans le regarder lui dit :
« Noble Grue, puissent ne jamais vos ancêtres vous infliger une douleur grande comme la nôtre… »
Pénétré du drame qui se jouait entre les deux amants, Hiruya murmura seulement un souhait de bonne chance. Riobe était rentré dans la grange. Ikoma Yoko disparut derrière le panneau en bois. L’heure de Fu-Leng était bien entamée. La nuit ne serait plus très longue maintenant.
Le 10e kami commençait à monter dans le ciel, clair et silencieux.












Il est des moments dans la vie de chacun où se présente un choix grave et dont dépend la suite de sa vie. Je suis arrivé devant un tel choix. Il n'appartient qu'à moi. Personne ne peut prendre la décision à ma place…








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La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 18 avr. 2006, 23:27

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 5e Episode (I)
Mois du Chien (milieu de l'automne)

LES SCORPIONS DE LA VALLEE D'INCHU

VOLUME I
L'EVENTAIL VOLE


ET AU MILIEU COULE UNE RIVIERE

« Inshu est située sur le flanc Ouest des collines vertes, et regroupe deux vallées, venant du Nord-Est et de l’Est, qui se rejoignent ensuite pour tourner vers le Sud. Les rivières étant trop petites pour être navigables, la principale voie de commerce restait la grande route qui traverse le fief du Nord au Sud. Le pont de Inshu était d’ailleurs une source de revenus importants pour [le clan du Lion]. Le climat local a toujours été très tempéré et même doux, et si les récoltes n’ont pas toujours été bonnes, il n’y a jamais eu de famine. Le Sud Sud-Ouest constituait sans doute la partie la plus peuplée et la plus riche du fief. Ceci sans doute grâce aux terres plus fertiles de la vallée et à la route qui permet le commerce.
Ce sont ces terres qu’[un ancien seigneur] avait apporté lors du mariage. Plus au Nord se trouvaient le pont, et des terres moins fertiles et plus pentues donc plus pauvres et moins peuplées. C’étaient surtout les marchands de passage qui contribuaient aux revenus de cette région. Au Nord-Est la vallée de Inshu devenait plus étroite et un peu plus boisée. […]
C’était un grand domaine au bord de l’eau, séparé des habitations des heimin par un mur d’enceinte centenaire. L’ensemble avait été bâti à l’origine pour être une place forte facilement défendable, mais la sage politique du gouverneur et de ses prédécesseurs avait amené une longue période de paix, et, peu à peu, un véritable village s’était construit tout autour. A l’Est enfin, la région devenait sauvage. La petite vallée de Jitsaido devenait de plus en plus encaissée et boisée vers l’amont. Ensuite venaient des plateaux qui marquaient la limite du fief.»
Ikoma Akira, Histoire des héros perdus

:samurai:

La rivière de la vallée d’Inchu déborde à l’automne de son lit et arrose de ses bienfaits les rizières que cultivent les braves paysans. Ceux-ci, quand ils vivent sur la rive du clan de la Licorne, rendent hommages aux bonnes fortunes de l’eau ; quand ils vivent du côté du Lion, ils prient les esprits des Ancêtres de commander à la rivière d’être toujours aussi favorable. Sur les deux rives, les paisibles moines des temples d’Inchu méditent de longues heures devant le courant qui passent. Samouraïs et hommes de religion contemplent dans le courant d’eau soit la continuité du temps entre l’époque des Ancêtres et le présent, soit le jeu incessant des Fortunes, dont la vigueur est celle du courant de la rivière, impassible et imprévisible.

La rivière a creusé la vallée, favorisé les Rokugani et tracé les frontières. Son courant est parfois serein comme les nuages de printemps, parfois colérique comme un orage d’été. Son grondement est celui du lion avant la bataille, sa vitesse est celle du galop des licornes dans la vaste plaine. Toute plante, tout animal, tout homme a un jour bu l’eau de cette rivière ; tous se sont rafraîchis sur ses rives et ont redouté sa puissance inextinguible en période de crue.

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Après avoir passé par la cité d’Inchu des Licornes, nos héros avaient pénétré par erreur sur le territoire des Lions, gouverné par l’ombrageux et redoutable seigneur Matsu Matasaka. Obligés de demander abri pour la nuit, le groupe de samouraïs conduits par le magistrat Ide Soshu avait trouvé refuge à la ferme d’Ikoma Yoko, une honnête jeune femme qui tenait son logis aidée par ses deux servantes. Pourtant, cette méprise n’était pas innocente de la part des Ancêtres, ni sans conséquence pour l’un de nos héros.
Riobe le rônin pressentait pourtant depuis quelques temps que ses pas le ramenaient sur le chemin de son passé. Mais un tel retour était bien plutôt un saut vers l’inconnu. Depuis qu’il avait perdu son nom, Riobe avait également perdu le droit de regarder en amoureux la belle Ikoma Yoko. Et il encourait de plus la colère du frère de cette dernière, Ikoma Akira. Il fut une époque où Akira avait été ami avec un vaillant jeune Lion, héritier désigné du domaine. Depuis la catastrophe qui avait frappé le clan du Lion, ce jeune bushi avait été rayé de l’Ordre Céleste et des archives impériales. Aujourd’hui, ce n’était pas tant un rônin en chair et en os qui revenait, mais l’ombre d’un disparu…
En ramenant, côte à côte sur le jeu de Go céleste, Riobe et Yoko, les Ancêtres jouaient une partie cruelle et dangereuse. Témoin de ces retrouvailles impossible, Shiba Ikky, et plus encore Kakita Hiruya avaient pu mesurer l’épreuve déchirante imposée aux amants.

La nuit fut courte pour les protagonistes de ce drame. Le magistrat Ide Soshu avait en revanche passé une parfaite nuit. Il réveilla les samuraï à son service et les réunit dans le charmant jardin d’Ikoma Yoko. Celle-ci s’était fait excuser par sa servante : fatiguée, elle honorerait la présence de ses invités plus tard.
Le magistrat était encore jeune : il avait un teint de pêche, encore de l'acné et une barbe jeune. L'année d'avant, il devait encore ressembler à un gamin, qui prend la charge de magistrat pour un amusement passager.

Ide Soshu informa nos héros de la mission pour laquelle ils se trouvaient dans la vallée d’Inchu. Isawa Ayame et Shiba Ikky seraient chargées de régler un conflit entre deux villages voisins. Il faudrait s’informer des causes de trouble et y mettre bon ordre. Kakita Hiruya se chargerait d’escorter les deux Phénix, ainsi que de prêter son jugement, et éventuellement son sabre, pour cette affaire.
Une servant vint alors interrompre la discussion : elle s’excusait humblement d’annoncer que le seigneur Ikoma Akira requerrait l’honneur d’un entretien avec le magistrat Ide. Celui-ci, comprenant qu’était venu le temps de justifier sa présence et de s’en excuser au mieux, rentra dans la demeure. A l’annonce de cette arrivée, Riobe avait poliment demandé à se retirer : il était temps pour lui d’aller se laver… Un petit ruisseau, venu de la rivière d'Inchu, passait à travers le jardin et se poursuivait vers un champ derrière. Le rônin partit faire ses ablutions, pendant que les autres samuraï patientaient dans le jardin.
Ide Soshu et Ikoma Akira passèrent une bonne partie de l’heure de Lune à parlementer. Enfin, nos héros furent invités à rentrer dans la maison. Riobe resta prudemment en retrait.

Voici ce qu’annonça Ide Soshu, qui avait été décidé à l’issue de sa discussion avec Ikoma Akira : le seigneur Shinjo Egawa, de la petite cité d’Inchu, organisait le lendemain une partie de chasse dans le bois du Daim d’Argent. Le magistrat invitait l’historien à se joindre à cette chasse, afin de s’excuser d’avoir empiété sur son territoire par accident. Ikoma Akira acceptait, se disant flatté de pouvoir participer aux célèbres chasses du clan de la Licorne. Il allait de soi que nos héros étaient également conviés à cette journée. La tâche dont Ide Soshu avait été chargée serait retardée de quelques jours. Pourtant, sans l’accord amiable du clan du Lion, rien ne pourrait être mené à bien. Et inviter Ikoma Akira faciliterait l'obtention de cet accord... Dès lors, mieux valait se joindre à cette chasse auparavant.

Ikoma-san partit, accompagné de deux de ses guerriers, en compagnie du groupe mené par Ide-san. La petite troupe repassa le pont de la rivière et arriva dans la cité d’Egawa-sama dans la soirée. Le lendemain matin, arriveraient Shinjo Bunjiro, sous l’autorité de qui se déroulerait la partie de chasse.

PARTIE DE CHASSE

Après une journée de voyage, les samuraï arrivèrent à la cité d'Inchu. Ils furent reçus chez Shinjo Egawa. Celui-ci eut plaisir à discuter avec nos héros, en particuliers les trois samuraï-ko Ayame, Ikky et Ryu. Visiblement, il appréciait particulièrement la compagnie des femmes. Ils parlèrent des bonnes relations qu'entretenaient Egawa-sama et son voisin, Ikoma Akira, avant d'en venir à la chasse : le seigneur Egawa se ferait un plaisir d'initier les jeunes samuraï-ko à cette noble occupation. Etant lui-même très amateur, il ne voulait pas que les trois samurai-ko repartent sans avoir appris les rudiments du repérage et de la traque de gibier. Il leur proposa donc de former un groupe qui resterait d'abord sur le pourtour du bois, afin de dénicher quelques proies faciles. Ce à quoi les deux Phénix et la Dragon donnèrent leur assentiment.

Pendant ce temps, Riobe avait droit aux honneurs de la cuisine des domestiques. Gens bien intentionnés et sympathiques, quoique parfaitement rustres, ils mangeaient de la viande rouge, mets répugnant partout sauf chez les Licornes, en accompagnant leur repas de force bruits de déglutition, ingestion, succion et autres bruits corporels désagréables. Dépourvus de manière, ils mettaient mal à l'aise le rônin, qui dut leur apprendre quelques rudiments de politesse. Ces gens du peuple ne se privaient pourtant pas de manger avec les doigts, en les léchant de la sauce saignante, buvant du saké préparé à la manière des barbares de l'Ouest (avec du lait).
Dans leur patois épais à couper au katana, ils déploraient le peu d'appétit de Riobe, qui n'avalait pas plus qu'un oisillon. Le rônin mangea rapidement un bol de riz et un morceau de poisson, avant de prendre congé de ces encombrants compagnons.

Dans la grange où il était autorisé à dormir, Riobe trouva un autre rônin, nommé Kakachi. Hébergé lui aussi par Egawa-sama, il n'avait pas toute sa tête, visiblement. Il parlait avec un ton de familiarité, comme si Riobe était une vieille connaissance. Jeté sur les chemins comme tous les samourais de la confrérie du Loup, Kakachi se demandait bien comment Riobe faisait pour survivre au jour le jour, et quels projets il avait pour l'avenir.
Et entre rônins, ils ne pouvaient manquer de parler d'honneur. Kakachi se demandait jusqu'où aller pour de l'argent. Pour Riobe, il était clairement défini qu'il ne s'abaisserait pas à des tâches deshonorables pour des kokus. Kakachi acquiesça. A vrai dire, cette réponse de la part de Riobe ne le surprenait pas.
Enfin, la conversation les amena aussi à parler de Toturi, le Lion noir : Kakachi ne se sentait pas de taille à rejoindre cette armée, ce n'était pas son affaire. Pourquoi Riobe n'irait-il pas ? Notre rônin répondit que l'heure n'était pas encore venue pour l'armée de Toturi de se réunir...
Kakachi déclara qu'il était fatigué. Riobe sentait ses membres lourds aussi, si bien que d'un commun accord, les deux rônins se trouvèrent un coin dans la paille et s'endormir bien vite.

Le lendemain, à l'heure de Hantei, une vingtaine de samuraï à cheval, accompagnés de rabatteurs, de chiens de chasse et d'etas approchaient au pas du bois du daim d'argent, à travers la bruyère sèche de la lande. L'honorable daymio Shinjo Bunjiro dirigeait la troupe. A ses côtés, son conseiller, le shugenja Iuchi Kumanosuke, au profil de vieux cheval, avec ses yeux malins, et son vassal Shinjo Egawa, daymio de la cité d'Inchu.
Suivaient plusieurs samouraïs du domaine de la Grenouille Riche, puis le magistrat Ide Soshu, aux côtés d'Ikoma Akira et ses deux hommes. Derrière eux, nos héros : Isawa Ayame, en chaise à porteurs et Shiba Ikky ; Kakita Hiruya aux côtés de Shinjo Kohei ; Mirumoto Ryu, accompagné de Riobe, à pied.

La troupe mit pied à terre à l'orée du bois. Devant l'assemblée des nobles membres de l'ordre céleste, Shinjo Bunjiro prit la parole pour déclarer ouverte cette journée de chasse. Les équipes se composeraient de deux ou trois samouraï, qui auraient jusqu'au coucher du soleil, à l'heure de Shinjo, pour ramener les plus belles proies.

Déjà expérimentés, Kohei-san, Hiruya-san et Riobe s'associèrent de leurs côtés, tous les trois impatients de lever du bon gibier. Ils partirent sans hésiter jusqu'au plus profond du bois, là où galopaient les biches... et rugissaient des ours !
Les équipes se dispersèrent alors que Dame Soleil arrivait à son zénith d'automne, dans sa robe lumineuse.
Egawa-sama, accompagné des trois samouraï-ko, resta longtemps en bordure du bois, pour son plus grand dépit. L'heure d'Akodo, de Doji s'écoulaient, et aucune proie valable n'avait été aperçue. Or ne rien ramener était particulièrement deshonorant, surtout pour un chasseur d'expérience comme lui. Quand ils aperçurent enfin une biche, Shiba Ikky et Mirumoto Ryu ne bandèrent pas leurs arcs à temps : leurs flèches se plantèrent dans les herbes hautes. Quelques temps plus tard, les Fortunes voulurent bien mettre sur leur chemin non pas une biche, mais tout un groupe ! Elles cavalaient à bonne allure et cette fois, une flèche alla se planter dans le flanc de l'une d'elle. Mirumoto Ryu se lança à leur poursuite. Mais l'animal n'était que légérement blessé : il put continuer sa course légére à travers des taillis de plus en plus épais. La bushi Dragon ne put suivre longtemps. Essoufflée, elle revint bredouille auprès de son groupe...

Egawa-san commençait à sentir peser sur lui le poids du deshonneur. La journée était déjà bien avancée, et il ne pouvait être question de rentrer les bras balants devant les autres invités qui, à coup sûr, auraient traqué de l'excellent gibier. De plus, ne pas ramener de proie signifiait provoquer le mécontentement des fortunes de la chasse... l'automne pourrait alors être particulièrement défavorable : les récoltes pourrir sur pied, la rivière déborder et apporter la maladie... Le daymio prit l'initiative d'emmener plus loin les trois samuraï-ko. Qu'elles le veuillent ou non, on raménerait du gibier ! Après avoir passé plusieurs épais taillis, le groupe aperçut un daim, resté en arrière de son groupe. Ikky-san et Ryu-san l'avaient aperçu, caché derrière un buisson. Ni une ni deux, Egawa-san banda son arc, son regard traça jusqu'à la biche la ligne parfaite que suivit aussitôt sa flèche. L'animal fut mortellement touché !
Shinjo en soit remercié, ils ramenaient enfin une proie !
Le temps de prévenir les etas, le temps de la chasse serait terminée. Amaterasu commençait déjà à décliner à l'horizon, vêtue de son kimono orangé.

UN GLORIEUX TABLEAU DE CHASSE

Dès le début de l'heure de Doji, Kakita Hiruya, Shijo Kohei et Riobe s'étaient enfoncés au plus profond du bois. Progressant à bonne allure à travers les arbres, ils n'hésitèrent pas à braver les profondeurs de taillis entrelacés du bois pour y dénicher le meilleur gibier. Pour Kohei, c'était honorer la noble activité de la chasse, si chère aux Licornes. Pour Hiruya, c'était une question d'excellence. Le bushi Grue ayant séjourné déjà dans les plaines de l'Ouest, il s'était déjà exercé à pister le gibier.

Ils ne tardèrent pas à aviser la présence d'une biche isolée. Elle buvait à un ruisseau. Hiruya l'avait aperçue le premier. Les trois bushis bandèrent leurs arcs : la volée de flèche partit, blessant l'animal.
Un deuxième daim fut abattue peu de temps après, grâce à l'alliance des yeux d'aigle et de l'habileté au kyujutsu de nos héros : la flèche de Kohei-san avait frappé juste.
Se sentant favorisés par les Fortunes, les trois chasseurs choisirent de s'enfoncer encore plus profondément, à la recherche de plus gros gibier.
Les fortunes Kitsune (du Renard, clan des chasseurs) ne tardèrent pas à mettre sur leur piste un sanglier bien replet, qui fouissait du groin dans la terre, à la recherche de glands. Il grognait et ronflait, ignorant qu'à pas feutrés, trois samurai, mains sur le katana, se disposait autour de lui, lentement. L'animal finit par sentir la menace.
Pris d'un coup de sang, il chargea brusquement sur Kakita Hiruya. Celui-ci, inébranlable, attendit l'animal. Au dernier moment, le Grue se jeta sur le côté en dégainant son sabre. La foudre d'acier s'abattit sur le sanglier : il eut la gueule tranchée proprement en deux, tandis que Hiruya roulait dans les feuilles, se rétablissait assis et rengainait son sabre.
L'animal agonisait : Kohei-san et Riobe l'achevèrent bien vite.

La journée continuait sous les meilleures auspices. Les etas se chargeaient derrière nos héros de ramasser les cadavres d'animaux. Ils restaient à distance respectueuse de ses chasseurs bénis par les Fortunes.
Après quelques temps de marche, nos héros firent une découverte des plus surprenantes : dans une petite clairière, un campement était aménagée, avec trois cabanes rudimentaires. Riobe se mordit les lèvres : Kakachi lui avait parlé de rônins vivant dans les forêts du seigneur Egawa. Gêné, Riobe suggéra à Kohei-san, représentant d'Egawa-sama en l'occurrence, qu'il ne fallait pas trop prêter attention à ce campement, que sans doute il s'agissait de chasseurs autorisés à...
Mais ni le Licorne ni le Grue n'écoutaient Riobe. Les deux amis se comprenaient bien : ils ne voyaient qu'une chose, c'est que ce campement n'était probablement pas autorisé par Egawa-sama. Si c'était le cas, le daymio en aurait touché un mot aux chasseurs susceptibles de s'aventurer vers le coeur de la forêt.
Non, il fallait voir de quoi il retournait.
A contrecoeur, Riobe suivit la marche. Kohei-san interpella au nom de la Licorne les occupants des lieux. Mais les cabanons étaient vides, quoique les occupants aient seulement vidé les lieux depuis peu (un feu fumait encore sur la braise chaude). Etaient-ils partis en entendant les samuraï arriver ? Shinjo Kohei était enclin à le penser.

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Nos héros en étaient là de leurs recherches quand ils entendirent, venus des fourrés proches, un gémissement plaintif. Après quelques pas rapides en direction de la voix, ils découvrirent un bushi Shinjo, la figure en sang, blessé à l'épaule. Il murmurait qu' "ils" avaient été attaqués. Son compagnon était grièvement blessé : il gisait non loin de là. Les agresseurs étaient-ils les rônins ? Non, la blessure au visage ressemblait plutôt à celle laissée par la patte d'un gros animal... d'un animal dangereux !
Les trois samurai se relevèrent. Une forte odeur animale venait de non loin de là, accompagnée de grognements caractéristiques. Le guerrier Shinjo était blessé mais il pouvait rester seul un moment.
Nos trois héros approchèrent : la créature était là. Haute de près de deux mètres, le poil épais et sombre, puissante, dressée sur ses deux pattes arrières, la gueule ouverte : un grizzli noir. Un trophée de chasse magnifique. Un adversaire redoutable.
Nos trois samourai firent face. La bête allait attaquer. Les trois katanas jaillirent ensemble. Celui de Hiruya-san traversa dans la largeur le corps de l'animal. Kohei-san et Riobe firent le reste du travail, tailladant dans un bel ensemble. L'ours s'abattit à terre, lourd comme un tronc d'arbre. Le sol trembla sous son poids. Le sang fut nettoyé des lames, les lames rengainées. Le monstre avait expiré.

Shinjo Kohei appela à l'aide. Shinjo Bunjiro, qui chassait non loin d'ici en compagnie de Iuchi Kumanosuke, accourut le premier, suivit de plusieurs de ses hommes pour prendre les deux blessés en charge.
La journée se terminait maintenant. En ressortant de la forêt, nos trois héros, dont on connaissait déjà le tableau de chasse, eurent droit à des salutations respectueuses des autres samuraï. Deux biches, un sanglier et un ours, sans compter le sauvetage de deux honorables samourai Licorne !
Shinjo Bunjiro décréta la fin de la journée de chasse. Tous les participants seraient invités d'ici trois jours à en déguster les produits. Et pour ceux qui répugnaient à manger de la viande rouge, ils pourraient goûter les excellents poissons de la rivière d'Inchu.
La nausée prenait les Phénix, Ryu-san et Riobe rien qu'à l'idée de manger de la viande rouge. Mais les bushis de la Licorne salivaient déjà à l'idée de mordre à belles dents dans une cuisse de cerf ou une côte de sanglier, assaisonnées cela va de soi de sauce au saké, à l'occidentale !

Ikoma Akira se déclara fort satisfait de sa journée. Ide Soshu avait réussi à se réconcilier les bonnes faveurs du seigneur Lion. La mission dont il était chargé pourrait donc s'accomplir dans de bonnes conditions.

L'EVENTAIL VOLE

Deux jours plus tard, nos héros, sous la direction du magistrat Ide Soshu, étaient de retour sur les bords de la rivière d’Inchu.
Ils logeaient dans un petit village paysan, non loin de la frontière. Mais cette fois, il ne pouvait plus être question de la traverser inconsidérément… Le jeune magistrat avait manifestement cessé la boisson, sans doute dégrisé par sa bourde vis-à-vis d'Ikoma Akira. En privé, il avouait qu'il n’avait, c'était le moins qu'on puisse dire, pas reçu de félicitations de la part de Shinjo Egawa : il avait quand même failli causé un incident diplomatique frontalier ! A son tour, Iuchi Kumanosuke, l'honorable shugenja de la Grenouille Riche, était venu lui souffler dans les bronches : il n’avait plus droit à l’erreur !
Ide Soshu avait reçu de nouvelles instructions. Le seigneur d’Inchu, le très noble et très ombrageux Matsu Matasaka avait probablement eu vent de cette affaire de frontière. Kumanosuke-sama, quoique fin renard et expérimenté dans l’art de la diplomatie, n’entendait pas aller traiter avec le Lion d’Inchu pour des querelles de territoire. Les Matsu étaient plus guerriers que jamais : leurs assauts à outrance contre le clan de la Grue le prouvaient assez. Il n'était pas bon de les provoquer : ils mordaient facilement !
Le soir de leur arrivée à Inchu, Ide Soshu convoqua séparément nos samouraï : d’abord Mirumoto Ryu, Shinjo Kohei et Riobe, puis les deux Phénix et Kakita Hiruya.
Au premier groupe, il confia une mission diplomatique : afin de conclure les réconciliations avec les Lions, Shinjo Kohei irait offrir un bel éventail de guerre à Ikoma Akira. Ce dernier pourrait à son tour l’offrir à Matsu Matasaka, et les Licornes seraient alors irréprochables.
Mirumoto Ryu accompagnerait Kohei-san (les chemins n’étant pas sûr dans cette région à peu près dépourvu d’autorité réelle). Riobe étant toujours au service de Ryu-san sur ordre du capitaine Taro, il épaulerait lui aussi le Licorne.

Le lendemain matin, à l’heure de Lune, alors que Dame Soleil nimbait de ses cheveux d’or la campagne fraîche et endormie, les trois samuraï terminaient d’enfiler leurs armures. Ils devaient se présenter en tenue impeccable devant Ikoma Akira-san pour la cérémonie de remise du présent.
La ferme fortifiée du Lion n’était qu’à une heure de marche de là. Kohei-san pourrait offrir l’éventail à l'heure d'Akodo. En recevant les samuraï pour le repas, Akira Ikoma signifierait l’oubli du petit incident frontalier. Le précieux éventail avait été déposé la veille dans un coffret satiné, et attelé à un beau destrier Shinjo.
Kohei se rendit avec Ryu et Riobe à l’écurie. Il vérifia que le coffret était bien attaché à la monture. Il l’était. Kohei ouvrit le coffret…
L’éventail n’y était plus !

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Le sang des trois samouraï ne fit qu’un tour. Kohei-san eut la vision fulgurante de son wakisashi lui perçant le ventre. Il porta la main à sa bouche, très pâle. Ce n’était pas possible, l’éventail était bien là la veille… on avait pas oublié de le mettre dans la boîte !
Percevant tout de suite le poids qui venait de lui tomber sur les épaules, Riobe assura Kohei de son soutien. Désarçonné, comme s’il venait de tomber de monture, ce dernier accusait le coup. Il savait pourtant qu’un samuraï n’a pas le droit de fléchir ainsi face à l’adversité.
Ryu proposa d’engager immédiatement une enquête. C’était bien là la spécialité du clan du Dragon : la méthode de recherches de preuves et de recoupement des témoignages appelée Nazodo. Une telle manière de procéder provoquait le sourire de la part des autres clans, surtout des Lions et des Grues, qui moquaient ces méthodes terre-à-terre qui refusaient de s’en tenir au témoignage sur l’honneur. Ceci et le Nitten, la technique du combat à deux sabres, achevait de classer le clan de Togashi à part…
Mirumoto Ryu commença par inspecter, avec Riobe, la grange et les alentours. Ils relevèrent dans la terre humide des traces de pas qui allaient vers l'arrière de la bâtisse, mais n’en repartaient pas. Mais le voleur n’était pourtant plus à l’intérieur. Il était certain qu’il s’était introduit. Kohei-san alla interroger à l’auberge du village le yoriki de garde la nuit. Celui-ci jura sur l’honneur n’avoir rien vu. Kohei et Riobe ne furent alors pas trop de deux pour dissuader Ryu-san d’aller faire subir un second interrogatoire au soldat… Ces Dragons ne voulaient pas se fier à la parole d’honneur !

La samurai-ko commençait déjà à spéculer sur les raisons de ce vol : sans doute voulait-on provoquer une fâcherie, sinon pire, entre les Licornes et les Lions, donc les entraîner à la guerre !... En examinant une seconde fois, les traces de pas, nos enquêteurs découvrirent que le voleur avait sans doute marché dans ses pas à reculons. Les traces menaient jusqu’à une petite route, derrière le village. Kohei reconnut au sol des traces de sabot de poney… lui aussi se mettait à la méthode Dragon !
Sans tarder, nos trois samuraï se mirent en marche sur la route. Ils avançaient d’un bon pas, malgré la chaleur qui tombait sur la campagne. Le bushi Licorne ne s’attendait pas du tout à pareil coup du sort… Le voleur pouvait être bien loin maintenant. S’ils n’amenaient pas l’éventail, Kohei n’aurait plus qu’à offrir son honneur en sacrifice. Riobe ne put s’empêcher de lui rappeler, au passage, qu’il y avait des sorts pire que la mort…
Pour le Licorne, ce vol ne pouvait s’expliquer que par la volonté des Fortunes : elles le mettaient à l’épreuve après lui avoir accordé toutes leurs faveurs pendant la chasse. Il allait peut-être payer sa gloire de sa vie… Riobe était d’accord pour parler d’une mise à l’épreuve. Toutefois, ses croyances lui suggéraient plutôt une épreuve imposée par les Ancêtres. Peut-être Ancêtres et Fortunes étaient-ils un même mot pour désigner les puissances qui règlent le destin des mortels… Mais il n'était pas l'heure d'en débattre !

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La chaleur ne pesait pas plus lourd sur les épaules de Kohei-san que l’accablement. Ils avaient jusqu’au coucher du soleil pour amener le présent à Ikoma Akira. Perdu comme un voyageur au milieu du brouillard, Kohei avait en ce moment bien besoin d’assistance. Discutant avec Riobe, il se souvint alors qu’un temple se trouvait non loin de là, dans la campagne. Les bons moines de la rivière d’Inchu gardaient une fontaine dont on vantait les propriétés curatives et apaisantes. Le temple n’était pas certes sur la route du prochain village, vers où le voleur avait dû s'enfuir. Riobe exprima alors le désir de se laver… Il n’en fallait pas plus. C’était décidé : ils feraient un détour par le temple d’Inchu. Kohei avait trop besoin d'assistance spirituel : il voulait comprendre le sens de l'épreuve envoyée par les Fortunes !

Kohei et Riobe s'arrêtèrent près de la rivière. Ils suaient déjà beaucoup. Ils ne voulaient pas se présenter au temple en dégageant une odeur de palefrenier ! Ou plutôt : sans le sage conseil de Riobe, Kohei-san se serait malencontreusement présenté couvert de poussière au temple !
Mirumoto Ryu partit devant, seule à travers la campagne paisible. Les paysans assistèrent au spectacle rarissime d’une bushi du Dragon marchant solitaire dans leur champ ! Et des bushi du Dragon, il n’en passait pas une par siècle dans cette région frontalière ! A soi seul, cet évènement tenait du prodige. Une croyance forte et largement partagée par le peuple disait qu’apercevoir un serviteur de Togashi annonçait de grands bouleversements. Les moines du temple d’Inchu ne furent pas moins estomaquées d’accueillir Mirumoto Ryu dans leur sanctuaire ! Et ces moines ne passaient pas pour faciles à impressionner. Ryu-san déclara simplement qu’elle venait trouver des réponses à ses questions...
La stupeur des bons moines grandissait à chaque instant : ainsi donc, les Fortunes avaient guidé jusqu’ici une samuraï-ko, descendue de ses montagnes pour se rendre spécialement dans ce temple-ci ! Pour le coup, le sol allait au moins s’ouvrir sous leurs pieds !
Les moines invitèrent poliment Mirumoto-san à la cérémonie du thé. Ils tentèrent avec mille délicatesses de lui poser des questions sur sa venue, auxquelles, selon les coutumes propres au Dragon, Ryu-san répondit obligeamment par d’autres questions.
Les moines ne s’étaient jamais senti si profondément remis en question ! L’un d’eux commença à prendre en notes les minutes de la discussion. La communauté n’aurait pas assez du prochain siècle pour comprendre toutes les énigmes posées par Ryu-san !

Pendant que cette cérémonie débutait, Kohei et Riobe avaient fait halte à la rivière pour leurs ablutions. Ce n’était pas la première fois que Riobe se lavait dans cette rivière, mais c’était la première fois en tant que rônin… Les deux hommes se frottèrent avec des pierres ponces et s’aspergèrent de l’eau bien fraîche et riante d'Inchu. Ils se surprirent à jouer comme de vrais garnements à s’éclabousser et à rire comme ils n’en avaient pas eu l’occasion depuis longtemps !
Ils se rhabillèrent ensuite, le vent les faisant frissonner au sortir de l'eau, alors que même Dame Soleil souriait de leurs gamineries. Les paysans durent arrêter un instant leurs travaux, stupéfaits de voir ces deux guerriers sortir de l'eau, nus comme des vers, n'était leur daisho à la ceinture ! On en voyait de belles décidément dans le pays ! Ca ne trompait pas, l'arrivée d'une bushi du Dragon : avant la fin de l'hiver, de grands changements se produiraient !...
Kohei-san et Riobe arrivèrent au temple d'Inchu, frais et toniques, alors que la cérémonie du thé se poursuivait dans la méditation : ils s’installèrent en silence.

L’eau bouillait lentement, un moine effeuillait le thé, un autre écrivait sur un parchemin, les autres réfléchissaient en leur for intérieur. Un grand calme et une grande paix s’était installés sur les bords de la rivière d’Inchu.

DANS LEQUEL NOS HEROS REPARTENT A LA CHASSE EN FORET

L’heure de Doji commençait quand la cérémonie du thé se termina. Kohei avait retrouvé la paix. Et avec la paix, le courage. Il avait compris que s’il ne commençait pas lui-même à affronter le danger, les Fortunes ne l’aideraient jamais. Il se releva doucement. A la sortie du temple, il remit son katana à la ceinture. Il se sentait la vigueur du destrier au galop. Ils allaient retrouver les voleurs et les punir pour leur affront. C’est donc d’un bon pied que le groupe repartit. Les moines saluèrent de révérences bien basses Mirumoto Ryu, dont ils n’oublieraient pas de sitôt la venue. Celle-ci leur dit au revoir alors qu'elle avait déjà tourné le dos.

Nos héros avancèrent d’un bon pas vers le prochain village, dans la campagne silencieuse. A l’entrée, derrière un buisson, ils trouvèrent un vieux chiffon, plein de la poussière du chemin. Le Licorne connaissait cette ruse, consistant à attacher un tissu au bout de la queue du cheval, de manière à brouiller les pistes. Kohei dit que les armées de son clan utilisaient parfois cette tromperie, pour dérouter l’ennemi. Ryu-san et Riobe firent semblant d’admirer la hardiesse ingénieuse des Shinjo… mais pour eux, cela relevait de la ruse gaijin !
Kohei serra de rage le tissu dans son poing, puis le rejeta par terre. Il allait faire rendre gorge à la crapule qui s’était emparé de l’éventail !
Ils entrèrent dans la petite auberge des lieux. Le patron, nerveusement, multipliait les courbettes et leur proposa un verre de saké. Nos héros ne tardèrent pas à flairer quelque méchante intrigue. Ils demandèrent à l’aubergiste s’il n’avait pas vu passer un marchand du nom de Chikaro. C’était un nom qu’on leur avait donné au village d’avant, en sous-entendant que ce Chikaro aimait à trafiquer entre les deux côtés de la frontière pour arrondir sa bourse. On leur avait de plus murmurer que si ce Chikaro trempait dans des affaires louches, un autre rônin n’avait pas non plus patte blanche : un certain Kakachi, celui-là même avec qui Riobe avait discuté dans les cuisines de la cité d’Inchu. Mais Riobe croyait déjà Kakachi innocent : ce n’était qu’un pauvre bougre, qui n’avait plus toute sa tête.

:samurai:

Kohei tapota sur la table : la réponse de l’aubergiste se faisait attendre. Celui-ci déglutit, et dit qu’il n’avait pas vu passer ce Chikaro. Il mentait, c’était palpable. Trois katanas glissèrent alors en même temps hors de leur fourreau, de quelques centimètres. Mirumoto Ryu répéta la question. Riobe voulait croire que l’aubergiste peinait à produire un effort de mémoire. Ce dernier dit alors en vitesse que Chikaro était passé ici peu de temps avant, avec son ballot de riz sur les épaules. Kohei secoua l’aubergiste : un demi koku tomba de sa manche. Le prix de son silence. Le fixant d’un air de profond mépris, Kohei l’agrippa par le col et ordonna que cet argent soit remis au temple des moines d’Inchu. Ainsi, cet argent sale finirait quand même entre de bonnes mains. Riobe salivait en voyant une telle fortune ! Un demi-koku, autant dire des kilos et des kilos de bon riz !... Il n’avait de plus pas encore mangé aujourd’hui, mais il approuvait la décision du Licorne.
Les samuraï sortirent de l’auberge rapidement. En interrogeant d’autres paysans et un yoriki, ils apprirent que Chikaro se dirigeait vers la forêt. Etrange itinéraire pour un marchand… A l’entrée de la forêt, ils parlèrent à des bûcherons qui leur apprit que Kakachi le rônin, avec l’autorisation de Shinjo Egawa, logeait dans une petite cabane dans la forêt.

Nos héros commencèrent à gravir la pente. Ils parcoururent le sentier, sous les arbres qui filtraient les rayons de soleil de leurs feuillages tremblant au vent. Maintenant, ils n’étaient plus en chasse d’un animal… Ils ne tardèrent pas à trouver la clairière où vivait Kakachi. Faite de quelques planches, sa demeure ne payait pas de mine… On avait déjà vu des etas mieux logées. Elle devait prendre l’eau facilement. Kakachi en sortit en entendant les samuraï arriver. Il s’agenouilla devant Shinjo-san et Mirumoto-san. C’est Riobe qui lui adressa la parole. Kakachi avait bien vu passer Chikaro, mais il jura qu'il n’avait rien à voir avec ce vilain marchand.
La conversation n’eut pas le temps d’aller plus loin. Ils virent sortir des taillis, pareils à des chiens errants affamés, des brigands pouilleux, sales, maniant des armes de paysans, tonfas et nunchaku. Ces crapules venaient en découdre avec Kakachi. Pour leur malheur, nos trois samouraï formaient écran. Dans la paisible forêt d’Inchu, on put entendre le cliquetis des armes, le frottement métallique des katanas jaillissant de leurs fourreaux pour de bons, les lames coupant la chair, les hurlements d’agonie des brigands sans honneur. Nos héros tuèrent sans difficulté plusieurs des canailles. Mais des guerriers armés de katana étaient arrivés en renfort. Le sang coulait en abondance sur la verte clairière.

L’entrechoquement des katanas était rapide et presque silencieux, comme la mort, nette et précise, qu’infligeaient nos héros. On entendait surtout les souffles courts des combattants, où se mêlait la peur et la rage du combat. Kakachi avait été pris à parti par deux rônins : Riobe alla à son secours pendant que Kohei et Ryu s’interposaient. Par deux fois, les lames des brigands percèrent la chair de Kakachi. Il tomba à terre, juste avant que Riobe n’expédie ses ennemis.
Toutes les crapules avaient rendu gorge. Les toisant le nez et la lèvre retroussés par le mépris, Kohei nettoya sa lame et la rengaina posément, avant d’appeler à l’aide.

Riobe s’approcha de Kakachi : durement blessé, le rônin craignait pour sa vie. On entendait déjà la troupe des bûcherons qui montaient en vitesse la pente. Kakachi dévoila alors son rôle : il s’était fait passer pour fou afin de discuter avec Riobe et de tester son sens de l’honneur. Riobe avait fait preuve d’un respect sans tâche du bushido, dans toutes ses déclarations. Et Kakachi était lieutenant d’un célèbre rônin déchu, qui réunissait ici et là une troupe de fidèles guerriers pour monter une armée. La douleur crispait tous les mouvements du pauvre Kakachi. Il luttait contre les blessures infligées par les bandits. C’était bien Chikaro le voleur, le rônin l’avait découvert… Il fallait que Riobe le retrouve, lui et ses complices, tous ses complices venus d’un clan maudit et qui n’aurait jamais dû exister ! La colère froide dictée par l’honneur unissait en ce moment les deux rônins, frères d’armes dans l’honneur et la défaite. Riobe jura de laver l’honneur de Kakachi, dans ce monde-ci ou l’autre… De plus en plus affaibli par ses blessures, Kakachi conjura Riobe de ne jamais oublier qui il était et de rejoindre Toturi au plus vite… Le Lion Noir l’attendait…

:samurai:

Déjà les bûcherons arrivaient, et fabriquaient à la hâte une civière pour le rônin blessé. Shinjo Kohei ordonna qu’il fût transporté chez les bons moines d’Inchu. Sans attendre, lui, Mirumoto Ryu et Riobe se remirent en marche. Kakachi avait parlé d’un village au sortir de la forêt, où les crapules se réunissaient, terrorisant la population. Il était temps de rétablir la justice de l’Ordre Céleste en ces lieux…


OU NOS HEROS RETROUVENT L'EVENTAIL VOLE

Le ciel bleu prenait des teintes orangées. Les ombres s'allongeaient. La chaleur de la journée pesait encore lourd. Un petit vent du soir soufflait dans le village. Des feuilles mortes passaient à travers le chemin, dans un bref tourbillon. Le panneau en bois d'une demeure abandonnée claquait régulièrement, comme les dents d'une vieille, vieille femme...
Deux groupes de samurai avançaient séparément vers les deux entrées opposées du village. Rien ne remuait dans les habitations. Aucun yoriki dans la rue, les champs déserts, des instruments abandonnés sur le sol. Les Fortunes kaze murmuraient une indicible angoisse, qui allait en augmentant.
Les ombres de Kohei, Ryu et Riobe s'avançaient lentement sur le chemin, pareilles à de grands épouvantails noirs. De l'autre côté, trois rônins à la posture digne, au regard attentif avançait aussi. Ces rônins, nos héros les avaient rencontré en forêt. Ils avaient d'abord cru à d'autres bandits du groupe de Chikaro. En réalité, il s'agissait d'anciens frères d'armes de Riobe, du même groupe que celui de Kakachi. Shinjo Kohei avait accepté qu'ils viennent au village tenu par Chikaro et sa bande. Eux aussi avaient un compte à régler...

Les six nouveaux arrivants avaient la main près de la garde de leurs sabres. Tandis qu'ils avançaient résolument, leurs yeux scrutaient les ruelles, les habitations les toits. Riobe vit le soleil luire sur la pointe de métal, Ryu vit l'ombre qui se précipitait, depuis l'intérieur de la maison, vers le panneau en papier.
Kohei et Riobe se jetèrent de côté : trois flèches, lancées de derrière eux, depuis le toit, vinrent s'écraser à leurs pieds. Sans regarder, Ryu passa son katana à travers le panneau à sa gauche, et sentit sa lame pénétrer la poitrine de l'adversaire.
Trois rônins surgirent de derrière la maison, juste dans le dos de Kohei et Riobe. La tête du premier roula à terre : le bras du Licorne avait dégainé et frappé dans le temps d'un éclair, comme Hiruya lui avait appris. Ryu passa à travers le panneau déchiré et coupa vivement le second assassin, puis un autre encore. Les deux agresseurs dans la rue s'effondrèrent sous les coups furieux et précis des deux autres samuraï.
Les lames rejoignirent le fourreau. Les guerriers sans honneur avaient expié leur déchéance.

Il semblait que le vent s'était arrêté un instant. Il recommença à emporter les feuilles mortes à travers le chemin, dans le silence des morts. Nos héros avancèrent jusqu'à la sortie du village. On voyait reparaître les têtes des paysans, qui contemplaient ces samuraï et leurs victimes, dans le soir rougissant.
Des trois rônins qui avaient demandé l'honneur de se joindre à nos héros, un avait succombé face aux adversaires, un autre était blessé.
Kohei fit signe qu'il reconnaissait leur courage. Maintenant, il fallait trouver au plus vite l'éventail. Le soleil disparaissait lentement, comme une sentence d'échec prochaine. Les talents experts de Mirumoto Ryu permirent de mettre la main sur le précieux cadeau, caché dans un des bâtiments.
Nos héros prirent ensuite trois poneys à l'écurie : ils devaient galoper à bride abattue. Ce soir-là, Mirumoto Ryu et Riobe, pas cavaliers pour trois zenis, firent un grand effort, et suivirent Kohei dans sa course vers la ferme d'Ikoma Akira.
Ils y furent reçus, sans qu'on fît de commentaire sur leur fatigue, la poussière et le sang qui maculaient leurs armures. Akira-san se contenta de hocher la tête. Non, les routes n'étaient pas sûres... mais Matsu Matasaka ne tarderait pas à y mettre de l'ordre.

La cérémonie eut lieu comme prévu, sans fioriture. Mais elle fut faite dans les règles. Kohei décrivit l'éventail. Il avait appartenu à une brave Vierge de Bataille Otaku, qui avait remporté quatre victoire successives contre l'Outremonde, alliée à une puissante infanterie Matsu. Les dessins de l'éventail racontaient la dernière bataille de la samurai-ko, avant qu'elle ne succombe face à un monstre qu'elle venait de blesser à mort. Cet éventail symbolisait la bonne entente entre les deux clans, montrant à un bout du papier une Licorne et à l'autre, un Lion.
Ikoma Akira refusa poliment par deux fois, car il ne pouvait accepter un si beau cadeau. Kohei-san insista et la troisième fois, le Lion accepta en remerciant infiniment le clan de la Licorne pour cet éventail somptueux.
Le repas servi fut honnête, sans prétention. Akira Ikoma s'excusa alors platement de ne pouvoir héberger ses nobles visiteurs. Il leur rendit toutefois service en signant un permis de circuler pour cette nuit.

Avant qu'ils ne repartent, pendant que Mirumoto Ryu et Shinjo Kohei observaient les montures d'Akira-san, ce dernier échangea quelques mots avec Riobe. Les deux anciens amis étaient maintenant des étrangers, sinon des ennemis potentiels. Matsu Matasaka avait l'intention d'épouser Ikoma Yoko. C'était un grand honneur pour elle, et pour Akira. Si le seigneur Lion croisait la route de Riobe, il y aurait certainement un duel à mort. Matasaka-sama tenait à effacer pour de bon les traces du passé. Riobe en était conscient. Il se désolait de provoquer tant d'agitation par sa seule présence. Mais s'il le fallait, il tirerait le sabre face au daimyo d'Inchu. Pourtant, il promit à Ikoma Akira qu'il ne reviendrait plus dans la région. Jamais plus Riobe le rônin n'approcherait Ikoma Yoko. Akira-san subodorait que Riobe avait une idée derrière la tête, mais il ne parvenait pas à savoir quoi... Le rônin espérait-il retrouver un mon chez un autre clan ? Il semblait bien s'entendre avec les Licornes...

Akira-san salua ses visiteurs et leur souhaita bonne route. Nos héros remercièrent leur hôte et reprirent la route. Une heure après, ils retrouvaient le village où ils avaient logé la nuit d'avant.
La lumière était encore allumée. Kakita Hiruya et Isawa Ayame veillaient sur Shiba Ikky, allongée. La yojimbo avait été blessée gravement. Et Ide Soshu n'était pas là.
Kohei, Ryu et Riobe s'assirent et écoutèrent ce qui était arrivée à leurs compagnons...


LE CONFLIT DES DEUX VILLAGES

Le matin même, alors que les autres samurai préparaient leur départ pour la ferme d'Ikoma Akira, Ide Soshu convoquait Isawa Ayame, Shiba Ikky et Kakita Hiruya.
A eux, il confiait une mission d’une nature différente. Non loin du village où ils se trouvaient, deux villages paysans étaient entrés en conflit. Chaque parti avait à sa tête quelques riches paysans qui, ayant commencé à engager mercenaires et rônins, menaçaient de créer une petite guerre locale. Il était hors de question de laisser la situation dégénérer. La population avait fait appel au clan de la Licorne pour résoudre ce conflit au mieux. Et les magistrats Ide ne pouvait refuser leur secours au peuple sans défense…
Le conflit avait une autre dimension : l’un des villages demandait son rattachement au clan de la Licorne, l’autre à celui du Lion. En conséquence de quoi, c’était le tracé même de la frontière qui était discuté. Or, aucune carte précise ne permettait vraiment de trancher. Il n’y avait pas d’autres solutions que de se rendre compte sur les lieux. Ide Soshu insista alors particulièrement sur l’obligation que les deux Phénix devaient au clan de la Licorne. Il serait temps, au moment où ils rendraient leur avis, de s’en souvenir… Le magistrat comptait bien que le conflit soit résolu au mieux des intérêts de son clan, et que le tracé de la frontière soit repoussé le plus à l’est possible… Autant dire qu’il faudrait une oreille plus complaisante au village fidèle à la Licorne… Isawa Ayame, adepte de l’impartialité et de l’honnêteté, accueillit mal cette nouvelle clause. Elle se demandait quel poids aurait le jugement qu’elle rendrait. Ide Soshu lui déclara, en termes à peine voilés, que si son jugement était conforme à ce qu’on attendait d’elle, elle serait bien évidemment écoutée, et y gagnerait les faveurs de Iuchi Kumanosuke. La shugenja promit d’écouter les avis des uns et des autres, puis de trancher selon la justice. Ide Soshu insista une dernière fois : la shugenja servait la Licorne… Elle ne pouvait donc entrer dans cette querelle en juge tout à fait impartial. Ayame-san sourit et assura Soshu-san de son aide...

:samurai:

Ainsi, Kakita Hiruya et les deux samouraï-ko Phénix partirent visiter les deux villages. Ils demandèrent quelques renseignements à des paysans qui commençaient leur journée de labeur. Ils arrivèrent aux deux villages rivaux, alors qu'une querelle y éclatait. Le village qui se réclamait de la Licorne opposait quelques paysans armés à une bande de paysans et de rônins venus de l'autre village. Nos trois samorai durent intervenir pour étouffer le conflit dans l'oeuf : l'un des assaillants reçut la punition d'un coup de sabre Kakita.
Après cette entrée en matière, les deux factions se retirèrent : des samuraï prenaient les choses en main, les négociations sérieuses allaiet pouvoir commencer !
Bien vite, Isawa Ayame se rendit compte que chacun des villages parlait avec une certaine mauvaise foi, mais également une part de vérité. Il était de son devoir de la démêler. Pendant que la shugenja commençait à entendre les deux partis, Kakita Hiruya repartit sur les pas des rônins.

La shugenja entendit des témoignages concordants sur des ombres s'introduisant la nuit sur les champs de la Licorne, soit pour déplacer le poteau frontalier, soit pour saccager les pousses et provoquer le débordement des canaux d'irrigation. Tout laissait penser évidemment que ces saboteurs venaient du village d'en face, mais Ayame ne voulaient pas s'arrêter à de si rapides conclusions. Rien ne lui prouvait que ces saboteurs ne venait du village même...
Quand Kakita Hiruya revint, il avait essuyé un affrontement : son bras saignait, frappé légèrement du tranchant d'un sabre. De coriaces adversaires. On lui fit rapidement un bandage. Le duelliste Grue avait connu pire...
Après avoir interrogé l'autre village, Isawa Ayame commençait à comprendre que des enjeux plus larges s'étaient mis en place autour de ce conflit villageois.
Après avoir écouté ce que confessaient plusieurs paysans, nos héros furent orientés vers une vieille folle qui habitait non loin de là. Parait-il que la vieille avait l'oreille creuse et qu'elle en savait beaucoup. Peut-être même était-elle responsable des malheurs de la région... Cela méritait à tout le moins le détour.

La vieille femme habitait à l'écart des villages, non loin d'un vilain marécage. Sa demeure était pourtant loin d'être misérable : c'était un logis propre, grand, avec une servante qui accueillit nos samuraï. Il était vraiment surprenant de trouver cette grande demeure au milieu d'un tel endroit. L'intérieur prouvait que la vieille ne manquait pas de ressources : était-elle protégée par quelqu'un ?

:samurai:

Elle accueillit nos visiteurs comme si elle les attendait pour le thé. Elle n'avait pas cette pudeur extrême auxquelles sont confinées les femmes de Rokugan. Elle s'imposait plutôt en maîtresse-femme.
Nos héros durent lui apprendre qu'ils avaient eu son nom par les paysans locaux, et qu'ils étaient au service de Shinjo Bunjiro. Ils voulaient jouer franc-jeu. La vieille, qui se nommait Kitabatake, accusa tout de même le coup. A son tour, elle avança ses pions à découvert en disant qu'elle ricanait doucement de l'autorité prétendue du magistrat Ide Soshu. Elle le traita d'incapable, sur un ton qui révélait qu'elle le connaissait déjà... Notre magistrat alcoolique était-il déjà célèbre dans la région ? Kitabatake ajouta, avec une pointe de miel et une pointe de poison, qu'au palais de la Grenouille Riche, ce n'était du reste pas vraiment Shinjo Bunjiro qui tirait toutes les ficelles. Ayame-san ne se priva pas de conclure, pour elle-même, que c'était bien le vieux shugenja, Iuchi Kumanosuke, qui y dirigeait de fait la politique...
La vieille Kitabatake connaissait enfin les querelles de villages locaux : des "amis" bien renseignés la tenaient informés. Elles refusaient pourtant de les présenter à nos samuraï.
Quoiqu'elle fût du rang d'un paysan, ou moins (à en juger par ses manières de courtisane aguerrie), elle en imposait à nos héros. Ils se doutaient qu'elle n'était pas tombée de la dernière pluie. Une femme si éduquée, si rusée, si perspicace, si solide... non, elle n'était pas une femme rônin ordinaire...

Elle demanda alors ce que nos héros pensaient des visiteurs nocturnes.
Pour Ikky-san, il s'agissait à l'évidence d'espions. Quant aux deux villages, leur conflit n'était pas né seul. Les paysans étaient manipulés par des agents embusqués. La vieille Kitabatake acquiesça, avec un sourire entendu...
Elle ajouta brusquement, allusive :
"Shinjo Bunjiro n'est qu'un pantin... Soshu aussi, mais c'est normal venant d'un fils qui..."
Puis elle finit en maugréant quelques mots incompréhensibles.

Décidément, elle connaissait les ficelles, la vieille... Soshu était-il le fils de Bunjiro ?
Elle finit en disant à nos héros qu'ils trouveraient de l'aide auprès d'une personne non loin d'ici, en remontant le fleuve, à trois ou quatre heures de marche. Elle dispensait conseils et révélations, comme on paye au compte-goutte une geisha après chacune de ses bonnes actions...
La journée était déjà bien avancée. Il était temps de réfléchir à tous ces élèments. Nos samurai se dirigèrent donc de nouveau vers le village où ils avaient dormi. C'est là qu'Ide Soshu avait élu domicile pour la durée de l'enquête.
Là, surprise du plus mauvais augure : un shuriken était planté sur la porte. Deux katanas sortirent de quelques centimètres des fourreaux. Ikky-san et Hiruya-san approchèrent prudemment de la demeure. Rien ne remuait.
Hiruya venait de repérer un adversaire masqué en embuscade sur le toit. Il fit comme si de rien n'était. Soudain, l'agresseur sauta du toit. Hiruya était prêt à le recevoir : il n'avait pas touché terre que le katana le coupait de part en part : le misérable atterrit en deux fois sur le sol...
Deux autres bandits surgirent, armés de katanas. Une embuscade bien préparée.
Les deux bushis firent face. Ils jetèrent des coups de katanas que les crapules esquivèrent souplement. Plusieurs fois, les lames des opposants tranchèrent l'air. Soudain, un coup mieux placé frappa de plein fouet Shiba Ikky, puis un second. La yojimbo tomba à terre, gravement atteinte.
Hiruya fit face aux deux adversaires et rendit coup pour coup : il sortit vainqueur ; Isawa Ayame vint au secours de sa yojimbo et l'emmena avec son bras unique à l'intérieur de la bâtisse. Hiruya-san avait repéré un tireur embusqué : il ne put éviter une flèche, qui lui perça une entaille profonde dans le bras. Il était trop tard pour le rattraper : l'archer avait décampé.
Isawa Ayame commençait déjà à prodiguer des soins magiques à Shiba Ikky. Celle-ci avait frôlé la mort, et n'en était pas encore très éloignée : elle aurait besoin de meilleurs soins avant peu.
Ide Soshu n'était pas dans les environs. Il ne revint pas dans les heures suivantes. La nuit tomba sans qu'on le vit reparaître. Rien ne pouvait expliquer cette absence, sinon un enlèvement...
Dans la nuit, Shinjo Kohei, Mirumoto Ryu et Riobe revinrent. Nos héros n'allaient encore pas beaucoup dormir, malgré une journée éprouvante.

Quelles épreuves les jeux des Ancêtres et des Fortunes réservaient encore à nos héros, dans la vallée de la grande rivière d'Inchu ?...

:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMOURAI ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 12:24

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 5e Episode (II)
Mois du Chien (milieu de l'automne)

LES SCORPIONS DE LA VALLEE D'INCHU

VOLUME II
AU MILIEU COULE UNE RIVIERE


DU SUD AU NORD D'INCHU

La fièvre avait gagné le corps de Shiba Ikky. La lame du fourbe ennemi avait manqué de peu de lui enlever la vie. La shugenja-kaze Isawa Ayame priait silencieusement les fortunes du Vent de venir en aide à la yojimbo. Le calme était revenu, provisoirement, au village de l'île d'Inchu.
Après une courte nuit, alors que le dixième Kami se retirait devant Dame Soleil, Kohei-san alla requérir l'aide des paysans : qu'ils construisent un lit solide et amènent une charrette avec deux poneys, pour que Ikky-san y soit transportée. Le Licorne et la shugenja accompagnèrent en ce début de matinée la yojimbo au temple des moines d'Inchu. Ils ne purent rester longtemps, car d'autres affaires les appelaient déjà. Les bons moines promirent de refermer rapidement les blessures d'Ikky. Elle était solide et forte comme un phénix : la magie des élèments et l'eau d'Inchu, aux propriétés curatives, feraient le reste.
Après avoir humblement remercié les moines, Isawa Ayame et Shinjo Kohei entreprirent de remonter la rivière vers l'amont, selon les indications données par Kitabakate, la vieille femme isolée dans sa cabane. Ils ne tardèrent pas à croiser Mirumoto Ryu. La bushi venait de fouiller minutieusement la maison où ils avaient dormi. Elles n'avaient rien pu trouver de plus.
Quant à Riobe le rônin, il était parti d'un pas de marcheur aguerri vers le nord, tôt le matin. Il devait avoir une bonne avance.
Le Dragon, la Phénix et le Licorne, rejoints par Kakita Hiruya, marchèrent plusieurs heures, en direction du nord, le long de la rivière, écoutant ses murmures infinis. La rivière finit par leur barrer le passage en obliquant vers l'est, embrassant un bois noir et profond. Après avoir grimpé sur une butte, ils aperçurent au loin un fort Shiro (château) arborant fiérement les couleurs de la famille Matsu, à quelques lis de là. La frontière n'était donc pas loin. Il ne ferait pas bon s'en approcher, d'autant plus qu'on pouvait entendre le rugissements de fauves... Les féroces lions accompagnaient parfois leurs frères humains au coeur des batailles les plus terribles...

:samurai:

En redescendant la butte vers le bois, nos héros retrouvèrent Riobe, près d'une masure, qui était bien celle de Kitabakate, la "vieille folle". Quoique sa demeure fût bien modeste, elle était maintenant gardée par deux yorikis de la Licorne. Très surpris, Kohei-san estima qu'il devait, au nom de son clan, rencontrer cette dame. Par devoir, par courtoisie, et par curiosité...
Shinjo Kohei fit des présentations officielles de ses compagnons de route. La vieille dame était toujours polie et délicate dans ses manières. Elle ne semblait s'étonner de rien, comme quelqu'un qui a sur vous plusieurs renseignements d'avance. Le Licorne expliqua qu'ils recherchaient le magistrat Ide Soshu, manifestement enlevé la veille. Ryu-san ajouta que des ennemis jetaient de l'huile sur le feu dans les rivalités entre Lions et Licornes : on cherchait à plonger la vallée d'Inchu dans la guerre civile. Kitabakate écouta attentivement ce qu'on lui dit, puis affirma de nouveau que nos héros pourraient trouver de l'aide en amont du fleuve encore, tout au nord de la vallée. Elle révéla également que c'était le shugenja de la Grenouille Riche, Iuchi Kumanosuke, qui avait envoyé les deux yorikis.
C'était décidément beaucoup de sollicitude pour une dame isolée sans môn de clan ! Nos samurai présentèrent leurs hommages à la vieille Kitabakate. Riobe avait attendu dehors, car il s'était déjà entretenu avec la vieille femme, avant l'arrivée de ses compagnons. Lui et tous les autres en arrivaient à la même conclusion : elle ne méritait pas son titre de vieille folle, et elle en savait beaucoup sur beaucoup de choses !

Décidant de suivre le conseil de Kitabakate, nos samurai s'aventurèrent dans l'épais bois. Grâce aux talents de pisteur de Kohei-san, ils purent se tenir à l'écart de la frontière Matsu. Pour autant, ils ne connaissaient pas les lieux : difficile dans ces conditions de se repérer. Les grondements de fauves se perdaient dans le lointain. En revanche, ils entendaient maintenant des murmures de voix humaines.
Soudain, comme un chien d'arrêt, Riobe se planta sur ses deux pieds, scrutant les buissons qu'ils venaient de passer. Des hommes les encerclaient... Hiruya piqua alors une course vers l'avant. Le Licorne allait le suivre : "Non, Kohei, reste près de la shugenja !" Déjà les vils guerriers resserraient le cercle, et se préparaient à attaquer. Aux côtés de Riobe, Kohei lança l'assaut contre les crapules. Les sabres fusèrent hors de leur fourreau. Le rônin abattit son adversaire. Mais le Licorne n'avait infligé qu'une blessure superficielle à son ennemi, et il reçut deux coups de katanas qui, malgré sa résistance supérieure à l'ordinaire, l'abattirent comme un arbre. Riobe fracassa dans la seconde qui suivit la tête de l'assassin. Mirumoto Ryu brandissait ses deux sabres, parant du court et frappant du long ses adversaires. Sa technique lui permit de percer plusieurs poitrines. Ayame-san était restée isolée. Elle avait tiré son wakisashi pour se défendre. Hélas, l'un des Scorpions fut sur elle. Comme d'un coup d'aile, Hiruya revint à la rescousse et infligea la mort, comme d'un coup de bec de diamant.
En quelques secondes, toute la canaille avait payé pour sa vilénie.
Ayame-san s'était approché de Kohei-san : il vivait encore. Il avait essayé de la protéger, en l'absence d'Ikky, puisqu'elle était sur les terres de la Licorne. Mais les coups qu'il avait reçus auraient tué net plus d'un solide guerrier. Elle lui procura quelques soins magiques. Par la grâce des Fortunes, la vitalité reprit le dessus sur les blessures. Le Licorne s'agenouilla devant Isawa Ayame pour la remercier de ses bienfaits. Par trois fois, il promit ensuite à Riobe qu'il lui revaudrait la pareille. Le rônin n'avait pu refusé que deux fois, selon les règles de la politesse.

Ils virent alors, gémissant, gargouillant, vraiment pitoyable et ignoble, l'un des assaillants, qui avait survécu, essayer d'avaler quelque capsule empoisonnée. Ils lui arrachèrent des mains, lui écrasant la main et le bras. Le misérable ne voulut rien dire. Il répétait seulement : "mourir, mourir..." Nos samuraï estimèrent qu'il ne méritait pas qu'on l'achève, mais Kohei-san était dégoûté de voir une pareille créature salir la terre de ses Ancêtres. Ils détournèrent le regard, et laissèrent le misérable en finir avec la vie.
Les assaillants étaient habillés de tissus verts pour se camoufler dans la forêt. Ils maniaient de mauvais sabres et portaient des morceaux d'armures ramassés ici et là. Maintenant, ils pourriraient dans le bois ou serviraient de nourriture aux animaux.

Le jour tombait déjà. La fatigue de la longue marche et du combat se ressentaient à présent. Nos héros étaient vraiment fourbus ! Après avoir encore marché, ils arrivèrent à l'entrée d'un petit village, établi dans une clairière, de cabanes de bois. Un village semblable à celui rencontré lors de la partie de chasse, dans le bois du Daim d'Argent.


AU CAMP DU LION NOIR

C'était bel et bien un camp de rônins qu'ils venaient de découvrir. On pouvait loger ici une quinzaine d'hommes. Nos samuraï s'avancèrent vers le milieu du camp. Ils firent accueillis par un rônin qui s'agenouilla devant eux. Il disait être seulement un des hommes du chef du camp. Ils avaient obtenu de Shinjo Egawa le droit de séjourner ici, depuis un mois. Et ils s'apprêtaient à quitter les lieux. On fit entrer, avec maints révérences humbles, nos samurai dans la demeure principale du campement. On leur servit à boire. Kohei sentait des élancements de douleur l'attaquaient, comme après la charge monstrueuse du minocentaure. Malgré la magie d'Ayame-san, il tombait de sommeil.
Nos samurai acceptèrent de passer la nuit dans ce campement : il était de toute façon trop tard pour repartir.

Peu après la tombée de la nuit, le chef du campement arriva et alla immédiatement s'incliner devant nos samuraï. Riobe n'était sans doute pas préparé à un tel choc, et la foudre aurait frappé à ses pieds qu'il n'aurait pas été plus surpris : le chef du camp, l'homme qui venait d'entrer, c'était Toturi !
Toturi, l'ancien général et tacticien de génie du clan du Lion ; Toturi le Lion Noir, déchu pour être monté sur le trône d'Emeraude ; Toturi qui avait lancé un appel depuis la Cité de la Grenouille Riche à tous les rônins qui voulaient se joindre à son armée.
C'était bien ce Toturi là, ce combattant déjà à moitié légendaire, qui venait d'entrer dans la modeste cabane, dans ce petit bois perdu au nord de la vallée d'Inchu !
Et cet homme qui avait défié directement l'Empereur après avoir vaincu l'immonde Bayushi Shoju, il s'inclinait devant nos jeunes héros !
Mais Riobe avait posé un genou à terre en voyant entrer le grand homme. Nos héros n'eurent dès lors plus de question à se poser sur le passé du rônin... sinon de savoir jusqu'où il avait suivi Toturi dans sa quête. Avait-il approuvé le geste qui avait provoqué sa perte : s'être assis sur le trône des Hanteï ?

Du reste, Toturi n'adressa jamais un regard à Riobe, et ce dernier baissa tout le temps les yeux, n'osant plus prononcer un mot.
Toturi parla de la colère des Matsu tout proche, et écouta le récit de nos héros à propos des crapules qui sévissaient dans la région. Le Lion Noir comprenait qu'il faudrait avertir au plus vite Shinjo Egawa : car ces crapules refluaient maintenant vers le nord, après avoir subi une défaite sanglante au sud. Les éclaireurs de Toturi avaient aperçus ces guerriers sans honneur qui portaient leurs camarades blessés, pendant qu'ils passaient dans les bois, comme des lapins apeurés. Ils méritaient de finir dévorés par les lions des Matsu voisins !...

A propos de Matsu, Toturi et ses hommes prenaient d'ailleurs bien garde de ne pas approcher de la frontière. Les Lions auraient été trop heureux de trouver un prétexte pour sonner l'assaut !
Après avoir séjourné sur les terres Licornes, Toturi voulait remonter vers le nord : la cité de la Grenouille Riche, puis les terres du Dragon. Et les Dragons depuis quelques temps recrutaient des rônins sur leur frontière ouest. Ceci expliquait sans doute cela...
Toturi connaissait la vieille Kitabakate. Depuis les quelques semaines passées dans la région, il avait eu l'occasion de la connaître, et de parler avec elle. Il avait bien sûr compris qu'elle était très fine, très manipulatrice, qu'elle en montrait autant qu'elle voulait et qu'elle en cachait plus encore. Elle avait ces manières charmeuses et désarmantes que les femmes savent si bien acquérir...

:samurai:

Arriva alors un des éclaireurs de Toturi, Otawara, qui rentrait avec une patrouille. Ils venaient d'être attaqués par les mêmes crapules qui rôdaient tout au nord de la vallée. Toturi laissa ostensiblement paraître sa colère, et serra le poing aussi fort qu'un Crabe. Il ne pouvait laisser pareil affront impuni ! Il signalerait ce nouveau crime à Shinjo Egawa et proposerait ses services pour exterminer la vermine.

Le Lion Noir, voyant que nos héros étaient tous près de tomber de sommeil, ordonna à ses hommes de préparer des lits et de libérer des cabanes pour eux. Il s'excusa de n'avoir rien de mieux à offrir. Mais nos héros sauraient se contenter de cette hospitalité. C'était le premier lieutenant de Toturi, nommé Sasuke, qui se chargeaient d'organiser le campement. Il était entré dans la cabane où tous étaient réunis, en jetant un regard torve et coupant à Riobe. Cela n'avait duré qu'une fraction de seconde, mais Ayame-san et Hiruya-san avaient perçu ce regard...

Alors que tous étaient partis dormir, Riobe ne put éviter de rencontrer Sasuke. Une fois de plus, le passé revenait à la charge. Et la querelle qui avaient séparé les deux hommes revenait sur le tapis. Pour Sasuke, dès après la fin du coup d'Etat, il était impensable de ne pas rejoindre Toturi. Mais Riobe disait que se réunir trop tôt, c'était donner un prétexte aux Matsu pour attaquer et écraser l'armée des Loups. Sasuke reprochait à Riobe de trop attendre, de n'avoir rien fait d'utile pendant ces années, tandis que lui, Sasuke, avait assisté sans cesse Toturi pour survivre et bâtir le grand projet du général déchu. Riobe se déclarait plus que jamais fidèle à Toturi, mais pour lui, disait-il, le moment n'était pas encore venu. Attitude que Sasuke ne pouvait admettre. Il est vrai que Sasuke ne pouvait remettre en question l'honneur de l'ancien samuraï d'Inchu. Il était tombé devant les remparts et il avait survécu de peu. Ni Sasuke ni Riobe n'avaient à rougir pour leur honneur. Ils n'avaient pas fini comme ce rônin, Honzo, qui s'était acoquiné avec Hikozaemon, le rônin souillé, avant de mourir, tué par ce dernier lors du tournoi chez les Dragons.
Leur échange de paroles aigre-douce attira l'attention de Toturi, qui restait toujours le dernier levé. "J'ai entendu prononcé mon nom plusieurs fois" dit-il en venant s'asseoir avec eux.
Sa présence, sa voix posée, pleine d'autorité et de mesure, imposa le silence, comme toujours. Riobe baissa la tête, Sasuke également. Le Lion Noir dit qu'il ne pouvait être question de se querelle entre frères. Il fallait garder sa colère, et ses envies d'en découdre, pour ses ennemis. Les souvenirs du passé ne devaient pas empêcher de se consacrer au présent.
Paroles qui n'attendaient aucune réponse, ni surtout aucune contestation.
Toturi se releva, sûr que la querelle cesserait là.
Sasuke repartit s'occuper de l'intendance du campement.
Riobe était resté assis. Soudain -et ce fut la seule fois- Toturi s'adressa directement à lui :
" Riobe... le Loup peut tracer son chemin. Mais il ne peut pas oublier qu'il appartient à la meute."
Riobe reçut ces mots en silence. Il n'y avait rien à y ajouter.
Toturi rejoignit Sasuke, et Riobe put entendre le Lion Noir tancer son lieutenant pour ses paroles querelleuses. Sasuke jura que cela ne se reproduirait plus.


LA FERME ENCERCLEE

Le lendemain, le réveil fut assez brutal. Un messager, affolé, accourut vers Toturi, alors que l'on prenait le repas du matin en commun. Il annonçait qu'une attaque allait avoir lieu, contre un lieu stratégique de la région. Ainsi donc, les crapules qui hantaient la vallée d'Inchu, et qui avaient subi tant de pertes de la part de nos héros, se décidaient à passer de front à l'attaque !
Quel pouvait être cet objectif, le messager l'ignorait encore. Nos héros pensèrent soit à un village, soit une ferme isolée, soit au pont d'Inchu, près de chez Ikoma Yoko. Si l'on voulait déclencher une guerre dans la région, comme le supposait fortement Mirumoto Ryu, on ne pourrait s'y prendre autrement.
D'urgence, il fallait revenir au sud. Mais Toturi allat-il suivre le mouvement ? Il avait envoyé un messager à Egawa-sama pour le prévenir des déplacements des bandits. Il en envoya un second pour prévenir de l'attaque imminente dans la vallée d'Inchu.
Volontiers, il aurait assisté nos samurai, mais il avait également un compte à régler avec ceux qui avaient assailli sa patrouille la veille. Ces crapules nichaient plus au nord. Nos héros convinrent au bout du compte avec le Lion Noir que ce dernier marcherait au sud jusqu'à la maison de Kitabakate. Là, ils attendraient éventuellement une attaque par le nord : il feraient bouclier.
Pendant ce temps, nos héros repartiraient tout au sud, jusqu'au pont.
Aussitôt dit, aussitôt mis en oeuvre.

Ayame, Ryu, Hiruya, Kohei et Riobe marchèrent toute la journée pour rejoindre la ferme d'Ikoma Yoko. Ils y arrivèrent en fin de journée -et ils n'avaient pas eu le temps de passer au temple prendre des nouvelles d'Ikky.
Une nouvelle fois troublée et émue, Yoko accueillit néanmoins les samuraï, leur proposant de passer la nuit à sa ferme, même si aucune attaque ne survenait effectivement. Kohei s'excusa au nom de tous de ce nouveau dérangement. S'ils osaient à nouveau entrer en territoire Lion, c'était avec la certitude que ces lieux étaient en danger. Il fallait donc organiser rapidement la défense.
La ferme se composait de la maison, d'un grand jardin devant, fermé par une solide palissade ; un petit jardin derrière, décoré, avec un petit cours d'eau qui serpentait, enjambé par un pont, et la grange ; le cours d'eau allait ensuite vers un petit bois et irriguait un champ ; Riobe s'était baigné là, quelques jours avant.

La question était de savoir comment attaquerait l'ennemi : en particulier, une attaque par derrière, par le champ et le jardin, était vraiment à craindre. Comment se répartir pour couvrir au mieux les défenses ?
Un évènement imprévu vint perturber une situation déjà bien difficile : une troupe arriva, composée de deux Shinjo à cheval, qui accompagnaient un groupe d'enfants. Ikoma Yoko se souvint alors avec affolement que ce groupe était attendu chez son frère, Akira. Les enfants Licornes venaient observer et apprendre auprès des réputés historiens Lion...
Il fallait agir encore plus vite : comment mettre ces enfants à l'abri ? Soit les laisser à l'intérieur du domaine, soit les faire sortir, en prenant le risque d'être surpris en rase campagne, la nuit.
Les deux guerriers Shinjo et Kohei estimèrent qu'ils seraient plus efficaces à défendre la porte principale. Ryu et Riobe se joignirent à eux. A l'arrière, Ayame et Yoko s'occuperaient des enfants et Hiruya assurerait la défense.

:samurai:

Peu après, d'affreux guerriers rampants commençaient à escalader la palissade principale. Nos samurai étaient à l'affût devant. Il y avait au moins cinq de ces êtres détestables, qui utilisaient des méthodes dignes de serpent pour attaquer. Des volées de flèches partirent contre eux, avant que Ryu et les deux Shinjo ne se lancent à l'assaut. Mal leur en pris : les adversaires, pour être fourbes, n'en étaient pas moins puissants. La lame ignoble d'un des mercenaires passa à travers le coeur d'un des Shinjo, dont l'âme s'en alla courir sur les plaines éternelles. L'autre fut blessé, de même que Ryu. Et les Fortunes n'aidaient pas les flèches de Kohei à toucher leur but. A l'arrière, le sabre de Kakita faisait merveille contre plusieurs vils assaillants. Les enfants furent protégés des coups par traîtrise. A l'avant, on se rabattait vers la maison. Dans l'embrasure du panneau de bois, Kohei et son frère Shinjo, ainsi que Ryu, lancèrent une volée de flèches, blessant des assaillants. Mais il y avait maintenant près d'une dizaine de ces maudits traîtres, dissimulée derrière arbres et fourrées, épiant l'occasion d'attaquer. La nuit était presque tombée. On entendait la respiration des combattants dans le crépuscule finissant, le halètement rauque des guerriers qui jouent leur vie au fil du sabre...

Riobe rejoignit Hiruya-san à l'arrière. Les deux bushis observèrent un moment les assaillants qui progressaient dans le jardin. Etait-il -moralement parlant- envisageable de mener une action détournée, de surprendre l'ennemi par l'arrière ? Evidemment non, se dirent les deux hommes en souriant. Ils encochèrent ensemble leur flèche, tirèrent, et la mort vint percer, fulgurante, le coeur de deux ennemis. Avant peu, les deux sabres -qui à une autre époque auraient été rivaux- frappèrent dans un bel ensemble les rônins sans honneur.
A l'avant, les ennemis restaient cachés. Qui savait s'ils allaient lancer une attaque frontale, assaillir la maison, ou bien préparer un encerclement ?


LE SCORPION SOUS LA PEAU DU LION

Alors que la tension était extrême à l'avant, on entendit des pas de marcheurs en armure approcher. Soudain, une voix de stentor retentit. C'était un puissant Matsu, accompagné de plusieurs hommes et de rônin.
"Mon nom est Matsu Sarutobi, serviteur du puissant et terrible gouverneur Matsu Matasaka ! Le maître de la région d'Inchu a appris qu'à plusieurs reprises, des étrangers se sont infiltrés sur nos terres sans y être invités ! Apprenant cela, Matasaka-sama a compris que Ikoma Akira et sa soeur Ikoma Yoko s'étaient acoquinés avec d'autres clans. Nous considérons désormais que leurs fermes sont passées à l'ennemi et je suis ici pour reprendre ces territoires perdues. Foi de Matsu, nous allons prendre d'assaut cette ferme et en chasser tous les élèments étrangers !"

Son rugissement était bien digne de ceux des lions entendus dans la campagne, tout au nord de la vallée. C'était rien moins que l'état de siège que décrétait l'envoyé du gouverneur ! Ryu et Riobe revinrent à l'avant de la ferme, avec Ayame. Pendant ce temps, les enfants et Yoko s'étaient exfiltrés : ils avaient couru se mettre à l'abri derrière le domaine.
Matsu Sarutobi rugit à nouveau :
"Nous allons entrer pour rétablir la justice. Que tous les occupants des lieux se présentent devant moi. S'ils implorent ma clémence, ils pourront quitter les lieux immédiatement. Je suis l'envoyé de Matsu Matasaka et j'entends qu'on me respecte tout comme on le respecterait, car je le représente en personne !"
- Que le Matsu s'avance, lança fiérement Riobe, en voyant entrer Sarutobi-san. Celui-ci fulmina devant l'insolence outrageuse du rônin. Comment osait-il ? Lui, Matsu, n'avait pas à négocier avec un samurai sans clan, ni même avec les autres samurai.
Riobe répliqua qu'ils tenaient la maison : raison suffisante pour engager les négociations !
Ayame-san s'avança pour négocier, entouré des autres samuraï. Matsu Sarutobi exigea de voir la maîtresse des lieux, Ikoma Yoko. La shugenja Phénix essaya de lui expliquer calmement qu'elle avait quitté les lieux devant la fureur Matsu. Mais elle, Ayame, voulait engager des pourparlers avec le terrible Lion.
Riobe avait murmuré quelques mots à l'oreille de Hiruya. Ce dernier demanda ensuite à Kohei de gagner du temps. La Grue et le rônin se retirèrent dans la maison pour discuter. Courageusement, Ayame-san engagea les négociations avec le Matsu.
Pourquoi avoir fait preuve de tant de brutalité ?disait-elle. Pourquoi avoir risqué des vies inutilement ? Sarutobi-san répliqua qu'il venait rétablir l'autorité bafouée des Matsu et que cela ne souffrait pas de discussion. Si des rônins étaient morts pour cela, ils en étaient honorés. Et d'ailleurs, Ayame-san n'avait pas à discuter la conception de l'honneur Matsu.
La shugenja essayait pourtant de calmer la fureur Matsu. Celui-ci s'impatientait : il demandait à voir immédiatement tous les occupants de la maison. Autour de lui, les rônins s'étaient regroupés, à côté des bushis de clan.
Hiruya et Riobe ressortirent alors de la maison, un sourire très ironique aux lèvres.
Ryu et Kohei entouraient Ayame, la soutenant face au grondant Sarutobi-sama. La situation était lourde, comme l'atmosphère avant l'orage.
Hiruya s'avança alors, plein d'assurance, et lança à Matsu Sarutobi :
- Allons, finis de jouer la comédie à présent. Tes ruses ne trompent plus personne !
Interloqués, Ayame, Ryu et Kohei n'osèrent rien répondre. Si Hiruya prenait ainsi le risque de mettre à plat toute négociation, il devait bien avoir ses raisons...
Sarutobi rugit devant l'impertinence du Kakita. Comment osait-il le défier ainsi ?!
Mais Hiruya gardait le même sourire en coin, ce qui excita la fureur du Lion : il menaça de donner l'assaut, pour montrer ce que valait la colère des Matsu.
- Il n'y a pas de Matsu dans cette place.
La réponse de Hiruya avait été ferme et amusée. Elle fit l'effet du tonnerre sur l'assistance. Il toisait directement Sarutobi, tout comme Riobe. Ces deux-là étaient complices, pour sûr.
Au comble de la rage, Matsu Sarutobi défia en duel iaijutsu Kakita Hiruya. Il demanderait avant peu l'autorisation de ton maître.
Hiruya souriait encore :
- Ah oui ? Allons demander à Matsu Matasaka, je serais curieux qu'il te rencontre.
- Qui est le nom de ton maître, Grue-san ? Inutile maintenant de te défiler, car ce duel sera à mort !!
- Battons-nous maintenant, les hommes comme toi n'ont aucun maître à qui demander. A moins que tu ne préfères repartir en rampant et en te cachant comme tes amis.
L'insulte était gravissime. Elle aurait pu valoir une dégradation d'honneur sanglante au Grue. Mais tous connaissaient son respect du bushido : soit il était devenu fou, mais il n'en avait pas l'air, soit il avait une idée derrière la tête.
L'insolence de Riobe suivait celle de Hiruya. Lui aussi insinuait que Sarutobi était un moins que rien. Cette fois, c'en était trop : le Matsu dit qu'ils allaient charger, et piétiner tous les insolents.
Sûr de lui, main à la garde, le Grue répliqua :
- Je ne vais pas vous demander de venir un par un. (®)

Et Riobe proposa de régler tout de suite son propre duel : un rônin n'a nulle personne à qui demander la permission. Sarutobi-san désigna un de ses hommes, qui s'inclina et alla se mettre en garde devant Riobe.
Le rônin et le Lion se regardèrent longuement, leurs mains glissant doucement jusqu'à leur garde. Les deux sabres jaillirent, mais les coups portèrent dans l'air : les deux adversaires avaient manqué leur coup ; les lames brandies, Riobe et le Matsu, féroces, s'observèrent le temps d'un battement d'oeil. Le coup du rônin partit le premier, et fit gicler à grands flots la vie hors du corps du Matsu.
Riobe nettoya posément sa lame et rengaina, pendant que adversaire s'écroulait à terre. Sarutobi poussa un grognement de défaite. Il reconnut la vaillance de Riobe.

:samurai:

A ce moment, l'approche d'une nouvelle troupe de bushi se fit entendre. Leur pas était pressé. Sarutobi exulta :
- Voici sans doute les renforts envoyés par Matsu Matasaka. Ils vont me confirmer que je dois raser cette ferme où nichent tant de traîtres !
Les cinq bushis qui arrivèrent portaient bien le mon du clan du Lion.
Ce n'était pas des Matsu, mais des Ikoma. Et à leur tête, Akira-san, le frère de Yoko. D'un regard, il jaugea la situation : les mêmes samuraï que ceux qui avaient déjà dormi chez Yoko, face à un groupe de Matsu. Il s'approcha tout de suite de Sarutobi-sama, prêt à s'agenouiller devant lui. Soudain, il leva les yeux vers lui : une grande stupeur le prit. Il recula précipitamment de plusieurs pas, la main sur la garde :
- Que les Ancêtres me frappent à mort, cria Ikoma Akira, si tu es Sarutobi-sama ! Je connais bien le meilleur bushi du puissant Matasaka et tu n'es pas celui-là, vil imposteur !
Tous les Ikoma avaient mis la main sur leurs sabres. Les Matsu se ressérèrent autour de Sarutobi. Quant aux rônins de Sarutobi, ils s'éloignèrent de deux pas, apeurés devant cet affrontement de Lions.

Ayame, Ryu et Kohei comprirent alors ce qui venait de se jouer. Riobe avait pressenti, au ton de l'imposteur, qu'il n'était pas le Matsu. Dès lors, lui et Hiruya avaient tenté, sur la base de cette intuition, un énorme coup de bluff. Ce qui s'avérait payant. Hiruya s'adressa poliment à Ikoma Akira :
- Cet homme a gravement mis en cause mon honneur. J'aimerais lui faire payer son affront.
- Je vous en prie, Hiruya-san, dit Akira-san en fixant le faux Sarutobi droit dans les yeux, c'est un plaisir de vous aider à laver votre honneur.
- Enlève ce heaume, lança Riobe, tu le salis !
Le faux Sarutobi, écumant de rage, jeta son casque à terre. Il regarda Hiruya avec un sourire cruel et ironique, lui aussi.
Il alla se mettre devant lui. Hiruya avait mis la main sur son sabre, les yeux fermés, la tête inclinée. Le vent souffla doucement pendant quelques instants, tandis que le silence s'était fait.
Le sabre de l'imposteur jaillit le premier, frappant légèrement Hiruya. Kohei tremblait pour son ami : le faux Sarutobi n'aurait pas dû avoir le temps !... il aurait déjà dû sentir la lame de Hiruya lui percer le ventre. La réplique du Grue fut cinglante : une première blessure profonde, dans le thorax. L'imposteur gémit, tout en continuant à afficher un rictus entre le sourire narquois et la douleur. Grièvement frappé, il se ressaisit et se lança en criant sur Hiruya. Ce dernier l'accueillit comme il se doit : le crapuleux comédien tomba à terre, en deux fois.
Aussitôt, les faux Matsu sortirent leurs wakisashi et se laissèrent tomber dessus. Méthode de suicide que ne pratiquent pas les Lions, mais plutôt certain clan qui n'a plus droit de cité...

:samurai:

Les Ikoma Akira-san, en tête, entrèrent pour de bon dans la ferme.
- Où est ma soeur ? demanda t-il.
- Elle est en sécurité derrière le domaine, assura Hiruya.
Aussitôt, les Ikoma se dirigèrent vers le petit jardin. En chemin, à voix haute, Akira lança :
- Que les rônins complices de l'imposteur se dépêchent de faire seppuku avant mon retour.
Derrière le jardin, à l'orée du bois, Akira retrouva les enfants et sa soeur, tous blottis les uns contre les autres, pour se préserver du froid nocturne. Le frère et la soeur tombèrent dans les bras l'un de l'autre :
- C'est fini, Yoko, c'est fini... Tout ira bien maintenant, ne t'inquiète pas, je suis là... Tout ira bien.
Les samurai assistèrent à ces belles retrouvailles fraternelles. Seul Riobe s'était rapidement éloigné...

Quand tous revinrent vers la maison pour y passer la nuit, Kohei passa plus lentement près de Riobe, debout sur le pont et lui dit :
- Nous n'allons pas tarder à partir, Riobe. Il vaut mieux pour tout le monde que nous quittions pour de bon la vallée d'Inchu. Certaines blessures anciennes se réveillent facilement.
- J'ai l'éternité devant moi, Kohei-san, répondit simplement Riobe.


LES FRONTIERES D'INCHU

Par petites étapes, nos samuraï accomplirent le voyage de retour d'Inchu à la Cité de la Grenouille Riche.
Ils avaient quitté, le lendemain de l'affrontement, la ferme de Yoko-san. Elle et son frère s'inclinèrent devant nos samuraï pour leur aide : ils ne manqueraient pas de faire part de leur dévouement à Matsu Matasaka, quelle que soit la colère que cela puisse provoquer. Officiellement, le clan du Lion reconnaîtrait sa dette envers la Licorne. Akira-san leur apprit de plus qu'Ide Soshu avait été retrouvé par les rônins de Toturi : en attaquant les crapules au nord, ils avaient découvert le magistrat, enlevé et séquestré depuis deux jours.
Les enfants partirent comme prévu chez Akira-san. Le Shinjo tué fut ramené à la cité du fleuve d'Inchu. Nos samuraï quittèrent donc les terres du Lion, passèrent par le temple d'Inchu pour y retrouver Shiba Ikky. Celle-ci était presque entièrement remise de ses blessures. Kakachi le rônin était reparti déjà la veille. Sans doute avait-il retrouvé Toturi à côté de la demeure de la vieille Kitabakate.
Une cérémonie de méditation et de prière fut organisée avec Isawa Ayame. A l'issue de celle-ci, Shinjo Kohei fit une donation de 2 kokus au temple pour leurs bons services. Puis, la troupe passa une journée à voyager vers la cité d'Inchu. Elle fit étape chez Shinjo Egawa. Le daimyo du Bois d'Argent réitéra son invitation aux célébrations de la chasse. Puis nos samuraï remontèrent vers la Cité de la Grenouille Riche. Là, ils furent reçus en comité restreint par le daimyo Shinjo Bunjiro et son conseiller, Iuchi Kumanosuke, qui voulaient entendre les conclusions de nos héros sur leur enquête dans la vallée d'Inchu.

Selon Mirumoto Ryu, à l'évidence, un tiers parti, ni Lion ni Licorne, essayait de pousser à la guerre civile. Mais on ne connaissait ni leurs motivations ni leur chef.
Isawa Ayame s'accordait sur cette conclusion. Pour ce qui était de la querelle des deux villages, la shugenja avait le sentiment que les deux étaient en partie de bonne foi, mais qu'ils essayaient parfois de défendre au-delà du raisonnable leurs intérêts. Le plus important était surtout que leur conflit les dépassait en grande partie. Ils n'étaient pas responsables de ce qui leur arrivait. De plus, Ayame insista sur son sentiment selon lequel son enquête n'était pas terminée. En effet, si plusieurs serviteurs des conspirateurs étaient morts, les instigateurs eux-mêmes n'avaient pas été appréhendés. Le shugenja Kumanosuke remercia alors Ayame de son dévouement, mais il lui opposa qu'elle avait rempli sa mission, à savoir juger de la querelle des deux villages.
Les négociations pour le tracé des frontières aurait lieu avant peu, Shinjo Bunjiro l'exigeait : on ne pouvait plus laisser la situation dans le flou où elle se trouvait. On tracerait au cordeau la démarcation de territoire. Les autres samurai présents ne voyaient rien à ajouter à ce qui avait été dit. Le magistrat Ide Soshu était là, mais il adoptait profil bas : il avait été durement réprimancé pour ses erreurs et ses égarements. Il ressortait abaissé de cette affaire.
Ayame-san se permit encore d'insister. Peut-être était-il bon de prolonger l'enquête, afin de découvrir les vraies menaces dans la région. Kumanosuke refusa encore poliment, expliquant finalement, que sa raison était politique : nos héros avaient recouvré la dette contractée auprès du clan de la Licorne -et il faisait sentir à Ayame qu'elle avait tort de l'obliger à s'expliquer clairement. Si la Grenouille Riche exigeait plus d'eux à présent, c'est le clan de la Licorne qui se mettrait en dette vis-à-vis de leurs clans respectif. Intérieurement, le vieux shugenja souriait devant l'insistance de la jeune Ayame.
Celle-ci tenta une dernière chose, ne serait-ce que pour le plaisir de contrarier un tant soit peu le shugenja Iuchi : elle demanda à rencontrer la vieille Kitabakate (elle qui avait laissé entendre que c'était le vieux shugenja qui tirait les ficelles). Kumanosuke haussa les épaules et s'en remit à Bunjiro-sama, qui accepta. Le shugenja approuva cette décision. Ayame marquait un coup contre l'habile Iuchi.
Sur ce, Shinjo Bunjiro libéra officiellement Ayame, Ikky, Ryu et Hiruya de leur attachement à la Licorne. Il les retrouverait chez Shinjo Egawa pour la célébration de la chasse et de leur réussite à Inchu. Shinjo Kohei encourrait un léger blâme pour avoir mal défendu Isawa Ayame dans les bois. A ce moment-là, il aurait dû se comporter comme un vrai yojimbo. Sans doute aurait-il une dette à payer au clan du Phénix.

:samurai:

Le lendemain, Isawa Ayame eut la surprise d'être convoquée à une entrevue avec Iuchi Kumanosuke. Ils avaient rendez-vous dans les jardins exubérant, exotiques et luxuriants de couleurs automnales du palais de la Grenouille Riche. Les yojimbo respectifs des deux shugenja avaient été priés de rester à l'entrée des jardins, attendant stoïquement la fin de l'entrevue.
Kumanosuke-sama accueillit poliment, un petit sourire de vieux singe au coin de la lèvre. Il fumait une longue pipe, semblable à celle d'Ayame-san -mais lui ne fumait que du tabac...
Ayame-san s'inclina poliment devant le respectable Iuchi.
Kumanosuke-san ne passa par par quatre chemins pour parler à la shugenja. Il ne fut aucunement impoli, mais ne s'embarrassa plus de scrupule ni de dissimulations. Puisque nos héros avaient si bien réussi que le clan du Lion avait une dette importante envers la Licorne, les Lions payeraient cette dette avec le nouveau tracé des frontières. C'était bien là ce que voulait depuis le début le shugenja, et Ayame l'avait bien compris. Kumanosuke-san profitait de cette dette pour renforcer les frontières Licorne vers l'est. A la shugenja qui souhaitait scrupuleusement continuer son enquête, non pas pour l'honneur de son clan, mais parce que telle était la volonté de l'Empereur, de rétablir la justice partout, Kumanosuke répliqua en souriant qu'il ne fallait pas trop vouloir en ce monde. Ayame-san serait récompensée pour son discernement et sa perspicacité. L'honneur et la gloire étaient les deux choses les plus précieuses qu'elle pourrait acquérir dans cette vie.
Si en sus elle voulait la vérité, elle devrait atteindre une prochaine vie... Le vieux shugenja tira sur sa pipe, regardant avec bienveillance la jeune Phénix : elle connaissait le souci de la vérité : il était temps pour elle d'apprendre la vie... et la politique. A compter tous les morts chez les crapules d'Inchu, on pouvait inférer que leurs forces avaient été réduites comme une peau de chagrin. Collectivement, ils avaient été dangereux. Mais saignés par les attaques de nos héros et celles de Toturi, ils ne pouvaient plus grand'chose. Une importante victoire venait d'être remportée pour le clan de la Licorne : il fallait en profiter et en tirer le meilleur avantage.

Iuchi Kumanosuke dit alors d'un ton plus solennel, et plus sincère aussi, que ce qu'il faisait, il le faisait pour le bien de son clan.
- Ce ne sont que les paroles d'un vieux shugenja qui a fait bien des erreurs au cours de sa vie, déclara t-il, et qui en a tiré certains enseignements. Plus tard, quand j'aurai quitté ce monde, vous vous souviendrez de ce que je vous ai dit, Ayame-san. Alors, vous comprendrez que j'avais raison. Et si je me trompe, mon erreur vous servira de contre-exemple, et vous aurez quand même appris quelque chose. Vous aussi vous finirez par commettre des erreurs, comme nous tous, et vous aurez à en assumer les conséquences.
- J'espère que je n'entrainerai personne avec moi dans mes erreurs, dit la shugenja.
- Je l'espère pour vous. Vous êtes encore jeune et pleine d'entrain. Puisse cet entrain de la jeunesse ne pas vous quitter. Car l'enthousiasme est une lame qui s'émousse très facilement. Ne l'oubliez pas, Ayame-san.

La shugenja promit de méditer ces conseils. Elle ne doutait pas de la sagesse des paroles du respectable Iuchi Kumanosuke.




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La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 14:00

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 6e Episode (I)
Mois du Sanglier (fin de l'automne)



DEUX CONTES D'AUTOMNE

VOLUME I:


DEUX PHENIX DANS L'AUTOMNE COUCHANT


Kitabakate, courtisane solitaire

Le froid annonçait déjà la venue de l'hiver sur Rokugan. Les arbres achevaient de se dénuder, feuille à feuille. La caresse chaleureuse de Dame Soleil se faisait chaque jour de plus en plus distante. Les récoltes se termineraient bientôt et sur les routes impériales, des messagers de tous les clans se croisaient pour porter dans chaque province les nombreuses invitations aux les cours d'hiver. Avec la venue du mois du Sanglier, l'automne jouait ses dernières notes avant de quitter la scène.

Quelques jours après son entretien avec Iuchi Kumanosuke, Isawa Ayame se leva de bonne heure pour effectuer des recherches dans la bibliothèque.
Le grand château de la Grenouille Riche s'élevait au milieu d'une vaste plaine battue par un vent de plus en plus hostile. L'air s'infiltrait dans la bâtisse par de petites ouvertures, si bien que la plupart des lettrés du lieu travaillaient déjà avec des fourrures sur le dos. Les décorations exotiques, inattendues, les motifs les plus audacieux de décoration de la bibliothèque, surprenaient les visiteurs à chaque rencontre. Ayame-san chercha des informations sur le magistrat Ide Soshu : actes de naissance, prière aux Fortunes, bénédictions, cérémonies officielles et surtout : son ascendance. Elle ne trouva que peu de renseignements : Soshu-san était âgé de 25 ans, et avait passé une grande partie de sa vie dans la région de la Grenouille Riche. Or, Ayame voulait trouver le père de ce magistrat : elle avait sa petite idée sur la question...

Dès qu'elle sortit du bâtiment des parchemins, Ayame-san croisa -quand on parle du loup !- le shugenja Kumanosuke, sa pipe à la bouche, souriant aimablement, son air de vieux singe rusé peint sur le visage. Il s'enquit de l'objet des recherches de la shugenja. Celle-ci répondit qu'elle s'intéressait à la région, aux légendes et à l'histoire des lieux... Ikky-san, arriva sur ces entrefaits, encore faible, mais méfiante, tandis que le vieux shugenja essayait de percer la vérité dans les propos d'Ayame.
Pour donner le change, Kumanosuke-san raconta l'histoire de la ville : un riche marchand persuadé que rien ne valait plus que l'or fut transformé en grenouille par un magicien. Impressionné, le marchand fut rendu à sa forme humaine. Il se fit moine et offrit toute sa fortune à la ville. Ayame connaissait déjà l'histoire mais fit comme si elle l'apprenait.

:samurai:

Les deux Phénix, ainsi que Hiruya, Kohei, Ryu et Riobe, avaient rendez-vous le lendemain à la Cité du Daim d'Argent, pour la cérémonie de chasse de Shinjo Egawa. L'heure d'Akodo se terminait. Accompagnée de sa yojimbo, Isawa Ayame prit une barque pour traverser le bras de fleuve qui séparait le château de Shinjo Bunjiro de la vallée d'Inchu. Un aimable et chantonnant passeur se fit une joie de conduire les deux samuraï-ko. Les deux femmes ne perdirent pas le temps de la traversée : elles s'informèrent de ce que le passeur savait de la vieille Kitabakate. Pour le brave heimin, la vieille femme était une originale, un peu magicienne, un peu voyante, qui lisait l'avenir aux paysans de la région. Elle habitait dans la région depuis environ trois étés. Elle se rendait trois ou quatre fois par an à la Cité de la Grenouille Riche et y achetait chaque fois de nombreux produits.
Les deux Phénix mirent pied à terre à Inchu, et remercièrent le passeur. Il lui fut demandé de revenir les chercher plus tard dans la journée. Gaiement, le heimin s'inclina, bien content de sentir ses poches se remplir d'espèces sonnantes et trébuchantes.

Les deux Phénix marchèrent pendant moins d'une heure dans la fraîche campagne et se présentèrent à la cabane de la vieille Kitabakate. Les deux yorikis s'inclinèrent et la voix familière de la "magicienne" se fit entendre de l'intérieur de la maison. Elle les salua poliment, un peu à la manière d'une grand-mère aimante qui accueille ses petites-filles devenues adultes. Elle leur servit du thé avec ses manières délicates, comme si elle les attendait. Tandis que les feuilles infusaient, elle engagea poliment la conversation.
Ayame venait remercier la vieille femme de son aide dans la lutte contre les comploteurs d'Inchu. Elle savait se souvenir que lors de leur première rencontre, elle les avait informées des activités louches de la région. Kitabakate répondit que les deux Phénix ne lui devaient rien pour cette aide. Elle était heureuse d'avoir contribué à lutter contre quelques mauvais sujets.
Ayame cachait sa méfiance : en venant voir la vieille femme, elle la soupçonnait d'avoir lié partie avec ces agents fauteurs de désordre : mais pourquoi aurait-elle aidé à les arrêter ?
Ayame demanda à son hôte si elle assisterait aux festivités de la chasse chez Egawa-sama. Mais la vieille femme ne voyait pas de raison de se rendre à la Cité du Daim d'Argent : elle n'était pas invitée. Elle ajouta avec un sourire amusée qu'elle n'entendait rien à la chasse. Ayame-san non plus n'était pas versée dans cette activité.

La shugenja et Ikky-san réitérèrent leurs remerciements à leurs hôtes. Ses conseils avaient été précieux, et ses paroles étaient empreintes de noblesse de de sagesse. La vieille Kitabakate sourit. Nos héroïenes allaient tous recevoir la reconnaissance officielle du clan de la Licorne pour leurs services à Inchu. En particulier, Ayame-san serait remerciée pour avoir aidé au réglement du conflit des deux villages. C'est pourquoi Kitabakate disait que les deux Phénix n'avaient pas de raison de tant la remercier. Elle donnait juste les conseils d'une vieille ermite qui avait de l'expérience. Mais s'il fallait parler d'honneur pour quelqu'un, c'était bien pour les deux Phénix. Celles-ci reçurent avec modestie ces paroles, quoiqu'Ayame conservât encore un rien de distance vis-à-vis de la vieille femme. Elle était trop rompue aux subtilités du discours pour ne pas peser tous ses mots.
Elle raconte que dans sa jeunesse, elle avait vécu dans des mondes de faste et d'apparât, qui étaient aussi des lieux de mensonge et de dissimulation. Maintenant, elle coulait des jours heureux à Inchu, à lire les astres pour les paysans ; elle s'en satisfaisait. D'autant plus que le shugenja Kumanosuke lui avait accordé la protection de deux yorikis.

La conversation se poursuivit sur un ton poli. Ikky-san essaya de savoir ce qu'elle pensait de la situation à Inchu. Les deux Phénix savaient pertinemment que leur hôtesse en savait beaucoup, et en disait très peu. Elle restait allusive quant à ses pensées. Pourtant, elle devinait bien que les deux samuraï-ko avaient une idée derrière la tête.
- Si je puis me permettre, honorables Phénix, je pense que vous n'êtes pas venues uniquement pour me remercier et papoter de choses et d'autres autour d'une tasse de thé. Je devine que vos lèvres brûlent d'autres questions. Pourquoi ne pas me les poser ?

Ayame hésita. Elle dit que ce n'était pas si important, qu'elle se réservait ces interrogations pour une autre fois.
- Vous allez repartir sur les terres de votre clan, et vous ne me reverrez pas avant longtemps. Vous êtes de brillantes et fines samuraï-ko. Moi je ne suis qu'une vieille femme, du même rang d'un heimin. Pourquoi vous gênez avec moi alors que vous ne vous gêneriez pas avec un paysan ?... Posez-moi donc une question, Ayame-san, dit-elle en penchant la tête vers la shugenja. Accordez-vous une question...
Assurément, elle s'y connaissait pour tenter le coeur des gens...
Gênée, mais très tentée il est vrai, Ayame prit la précaution de dire que la vieille femme ne serait pas obligée de répondre...
Ceci posée, elle lui demanda à mi-voix comment elle avait connu le shugenja Iuchi Kumanosuke.

:samurai:

La vieille Kitabakate sourit, et ferma les yeux, se plongeant dans ses souvenirs. Elle prit le temps de formuler sa réponse, amusée qu'une jeune shugenja ait commencé à percer certains de ses secrets.
La vieille Kitabakate était arrivée dans la région trois ans auparavant, quand son clan avait été rayé de l'Ordre Céleste. Elle venait de loin, et ne connaissait pas du tout cette région. Elle s'était adressée à la Grenouille Riche, car elle savait que là vivait Iuchi Kumanosuke, un shugenja qu'elle avait connue par le passé, presque un quart de siècle plus tôt... A l'époque, elle lui avait fourni certains renseignements précieux dont le shugenja avait besoin pour le clan de la Licorne. A son tour, le shugenja Iuchi rendit service à Kitabakate, en lui permettant de s'installer dans cet endroit paisible et retiré de la vallée d'Inchu.
En apprenant cela, Ayame reprit de l'estime pour le vieux Kumanosuke. Ainsi, il n'était pas qu'un froid politicien. Il avait aidé cette vieille femme en détresse, et il veillait sur elle depuis. Il lui apparaissait maintenant bien plus noble.
La vieille femme avait vécu entièrement dévouée au clan "le plus loyal de Rokugan" comme elle l'appelait. Quand le clan fut détruit, elle voulut changer de vie. L'arrivée des comploteurs à Inchu n'avait pas été pour la réconforter. Elle avait perçu instinctivement ce qui se cachait derrière ces petits rônins errants, qui se prenaient pour des maîtres de la manipulation. Ils étaient le jouet d'une force qui les dépassaient.
C'est pourquoi Kitabakate avait informé Kumanosuke, puis nos héros, de ce qui se tramait à Inchu. Ces anciens petits seigneurs chassés du sud ne venaient pas seuls. Avec eux, ils apportaient une puissance obscure, sans nom. Et il ne s'agissait pas de l'ignoble souillure de Fu-Leng. Il s'agissait de fragments d'une chose sans nom, une chose que personne n'avait nommé depuis la création du monde, une parcelle de chose non-identifiée, un reflet de néant. Kitabakate avait commencé à percer à jour ce secret noir comme les ténèbres qui rongeait de l'intérieur son clan. Cette ombre furtive s'introduisait dans l'âme et la détruisait de l'intérieur, cherchant à absorber les êtres dans son néant. Et les comploteurs d'Inchu étaient des pantins de ce néant... Terrible adversaire, que celui qui n'a pas de nom et se dérobe à toute appréhension !
C'est pourquoi Kitabakate se réjouissait que les comploteurs aient été expédiés au Jigoku [monde des morts] ; en revanche, les espoirs d'Ayame de mettre la main sur le chef des comploteurs étaient vains. On ne pouvait pas attraper l'ombre vivante et rampante...

- Je suis bien vieille maintenant, honorables Phénix. Et je porte beaucoup de secrets avec moi. Si une parcelle de ce que je sais pouvait être transmise à de jeunes femmes intelligentes, j'en serais contente... Il y a plusieurs années, du temps du 38e Empereur, j'ai connu un jeune acteur talentueux du clan loyal. Il se nommait Emmon, et avait un frère du nom de Takashi. Ce frère eut le visage effacé par cette chose... appelons-là l'Ombre Vivante. Mais Emmon résista à l'appel lancinant de cette chose sans nom. Takashi mourut, et Emmon disparut peu avant le coup d'Etat. J'ignore à présent ce qu'il est devenu, mais s'il est encore en vivant, je suis sûr qu'il pourrait nous en apprendre beaucoup sur cette entité. Mais qui sait sous quel nom il se cache maintenant ?

Les deux Phénix avaient écouté attentivement. Elles savaient qu'avant, la famille des acteurs en question se nommait Shosuro.
Shosuro Emmon. Cet homme avait approché de près l'Ombre, et il était peut-être encore en vie pour en parler...
Isawa Ayame sut qu'elle méditerait longuement les paroles de la vieille Kitabakate. Respectueusement, la shugenja lui souhaita que la Fortune de la Longévité la protège encore longtemps. La vieille femme recommanda à la shugenja d'aller chercher dans les bibliothèques de la famille Isawa. Là, elle pourrait trouver sans doute trouver des informations sur l'Ombre.
Les deux femmes espéraient se revoir bientôt. Peut-être cela prendrait-il plusieurs saisons... Les deux Phénix s'inclinèrent devant leur hôte puis quittèrent la cabane à l'orée du bois et retournèrent au bord du fleuve. Elles se firent transporter par leur passeur jovial jusqu'à la cité d'Inchu. Le lendemain, elles assistaient à la cérémonie d'honneur pour la chasse au bois du Daim d'Argent.

"Ainsi vous n'avez pas pu vous empêcher de retourner voir cette vieille femme" dit avec amusement Iuchi Kumanosuke, quand Ayame-san retourna le voir pour s'excuser de certaines de ses paroles à son égard. Le shugenja Licorne n'en prit pas ombrage. Lui aussi souriait sous cape de l'audace d'Isawa Ayame, et il pensait à la vieille courtisane, seule dans sa cabane, entre le fleuve et le bois d'Inchu.


Tonbo Toryu, la Libellule du changement

Après le repas de chasse chez Shinjo Egawa, les deux Phénix partirent avec Kakita Hiruya, Mirumoto Ryu et Riobe. Shinjo Kohei restait sur les terres de son clan. Il souhaita bon voyage à ses compagnons d'aventure, triste de les quitter mais heureux de revoir les plaines de la Licorne.

Le voyage emmena nos héros à Kyuden Tonbo, le château de la Libellule, chez l'aimable Tonbo Toryu. Plusieurs fois déjà nos héros étaient passés chez ce daïmyo paisible et éclairé. La dernière fois, ils venaient d'échapper aux rugissants minocentaures du col d'Heibetsu. Toryu-sama avait alors veillé à les soigner.
Cette fois-ci, il les accueillit plus préocuppé qu'à l'habitude. Chargé de garder la frontière du clan du Dragon, il devait accueillir de plus en plus souvent des Matsu courroucés, à qui il expliquait poliment que le clan de Togashi Yokuni refusait de les recevoir pour le moment. De plus, en tant qu'interprête du Tao, sa célébrité dans ses interprêtations des paroles de Shinseï lui valait de plus en plus de détracteurs. Puisqu'il prônait la sagesse comme découverte du changement intérieur et adaptation au monde, on lui reprochait, notamment du côté des terres du Lion, de répandre des paroles subversives, une compréhension erronée, hérétique, de Shinseï. Toryu-sama se disait attristé de ces injures selon lui injustifiées.
Ayame-san avait beaucoup de sympathie pour lui. Etrangement, elle s'entendait mieux avec ce Libellule ou avec Kitabakate, qu'avec les gens de son clan. Elle n'avait aucun empressement à rentrer sur ces terres. Toryu-sama lui assurait qu'il n'avait aucune envie de renverser l'Ordre Céleste, simplement de donner une interprêtation plus juste des paroles de Shinseï. Le sage n'était-il pas la preuve vivante que l'homme peut réfléchir par lui-même, sans l'intervention directe des kami ?
Poliment, le daïmyo Libellule souhaita bon voyage à tous ses visiteurs. Il regrettait de ne pouvoir les recevoir à une cérémonie du thé comme les autres fois. Les chemins de nos héros se séparèrent : Kakita Hiruya allait rejoindre son senseï Kakita Yobe à Heibetsu ; il suivait Mirumoto Ryu et Riobe, qui se rendaient eux aussi chez Akuma-sama.
Pendant que leurs compagnons commençaient à gravir les hautes montagnes, les deux Phénix prirent le chemin des plateaux au pied des hautes montagnes. Toryu-sama leur souhaita que les vents les portent rapidement au but de leur voyage. Comme l'hiver approchait, que les chemins étaient escarpés, peu sûrs, parcours de bandits, de crevasses, le daïmyo leur adjoignit un de ses hommes comme guide.
Bravant le souffle froid et cinglant des Fortunes des Airs, les deux samuraï-ko partirent sur le sentier de la Libellule.
Ils cheminèrent lentement, à dos de poney, tandis que les jours du mois du Sanglier s'en allaient, comme les bourrasques de neige et les grands oiseaux des sommets.

Ils leur semblaient entendre parfois, tombant des hautes vallées d'Heibetsu, des cris de rage ressemblant à ceux d'Akuma-sama. Le tremblement de sa voix provoquait d'impressionnantes avalanches, des hauteurs enneigés aux vallées les plus basses.


Kitsuki Hanbeï, Inquisiteur inflexible

Amateratsu illuminait de ses beautés sublimes les montagnes inébranlables des terres du Dragon, et semblait secouer sa robe légère de neige et de vent sur le chemin des deux samuraï-ko. Précédées de leurs guides, elles gravirent des pentes escarpées, marchèrent le long de torrent tumultueux, passèrent des gorges sauvages et des vallées encaissées, toujours dominées par les sommets ineffables où vit le clan le plus isolé de Rokugan.

Deux jours avant d'atteindre la frontière du Phénix, en milieu de journée, elles aperçurent un incendie qui consumait un bâtiment à l'écart d'un petit village à flanc de montagne. La bâtisse finissait de brûler dans un dégagement de fumée âcre. Les heimin, dirigés par le yoriki du village, organisaient la chaîne des seaux d'eau depuis un ruisseau voisin. Les paysans ne ménageaient pas leur peine pour réduire les flammes insatiables.
Des femmes en pleurs vinrent se jeter au pied d'Ayame ; reconnaissant en elle une shugenja, elles la suppliaient de bénir le village ; des hommes accoururent, qui avaient vu des esprits maléfiques déclencher le feu ; d'autres tenaient des propos confus sur des bandits dans la région. Pressée de toute part, Ayame demanda à réquisitionner une auberge, où elle aurait le loisir d'interroger tout le monde. Il était de son devoir de tirer cette affaire au clair.
Alors que le jour baissait, la bâtisse était calcinée, noircie et trempée par l'eau. Les heimin fatigués affichaient leur soulagement : l'incendie n'avait pas gagné de proche en proche, ce qui aurait été facilement le cas si le vent avait soufflé.
Les paysans affichaient leur admiration mêlée de peur devant Ayame-san. La venue d'une shugenja était pour eux un évènement rare. Agenouillés devant elle, ils espéraient qu'elle conjurerait le malheur qui venait de les frapper.
Les témoignages de heimin à la tête plus froide permit d'écarter rapidement l'idée d'une colère des esprits. Le bâtiment qui brûlait était une maison de jeu. De vieilles querelles remontaient à la surface, les uns accusant les autres de fréquenter ces lieux, d'être hypocrite et menteur... Quoiqu'ils s'en défendissent, presque tous les hommes durent reconnaître que, pour la plupart, ils étaient déjà allés dans cet endroit, sans aller s'en vanter auprès du voisin... Mais Ayame ne faisait pas étape ici pour entendre ces ragots. Elle put comprendre que cette maison de jeu était tenue par des yakuzas, qui "protégeaient" le village en échange d'une dîme prise aux paysans. Les récoltes dans la région étant généralement bonnes, les yakuzas s'enrichissaient bien de ces heimin, sans compter qu'ils récupéraient les bénéfices du tripot. L'un des hommes affirma que les yakuzas, habitants d'un village voisin protégeaient effectivement le village des bandits des montagnes.
Ces derniers temps, les paysans n'avaient pas été assez prompts à verser leur dîme, et ils allaient jouer moins souvent... L'un d'eux avait-il voulu attaquer cette source de revenus des yakuzas, ou était-ce une bande rivale qui s'en prenait aux protecteurs des lieux ?

A la nuit tombée, alors que les deux Phénix allaient s'accorder une nuit de repos avant de poursuivre leurs investigations, le yoriki vint annoncer l'arrivée de deux samuraï, descendus de la montagne. Ayame ordonna qu'on les fît venir. Mais c'est elle qui dut s'agenouiller : l'arrivant n'était autre qu'un magistrat du Dragon, d'une place dans l'Ordre Céleste sensiblement plus élevée que celle de la shugenja et de sa yojimbo.
Accompagné lui aussi d'un garde du corps, le magistrat se nommait Kitsuki Hanbeï. L'air sévère, soucieux, attentif, il salua selon les règles, et s'enquit aussitôt de la situation. Son instinct de maître du Nazodo le faisait déjà flairer les pistes et réunir les indices. Ayame exposa l'histoire de la rivalité des bandes yakuzas.
Hanbeï-sama prit le temps de réfléchir. Depuis plusieurs jours, il traquait dans la montagne une criminelle importante ; comme on venait de le prévenir que des esprits malfaisants rôdaient dans la région et comme il avait vu cet incendie, il s'était détourné de sa route. Il pensait trouver des traces de la personne qu'il poursuivait : il s'apercevait en réalité qu'il avait perdu pour de bon l'espoir de retrouver sa proie... Il en vint rapidement à soupçonner des complices d'avoir déclenché cet incendie pour le détourner de sa traque. Il serra le poing de rage et jura qu'on ne se moquerait pas longtemps de la famille Kitsuki.
Ayame voulut s'informer de cette criminelle que poursuivait Hanbeï-sama. Ce dernier dit qu'il venait de la ville d'Heibetsu, où il avait enquêté sur les comploteurs qui avaient sévi au moment des fêtes des vendanges. Il avait inspecté les temples des Oiseaux après l'incendie, avait passé la ville au peigne fin : il avait fini par en conclure que la shugenja déchue, Nahoko, était encore vivante, et s'apprêtait à passer la frontière des Phénix.
De fil en aiguille, il ne fallut pas longtemps pour que Hanbeï se souvienne du rôle pour le moins majeur joué par Ayame dans cette affaire.
Il fut le premier surpris de la coïncidence. Ainsi donc il avait devant lui l'honorable shugenja dont l'honneur avait été mis en jeu...

:samurai:

Le magistrat avait la conviction qu'un jeu de dupes s'était joué à Heibetsu. Et les ninjas n'étaient pas pour rien dans cette affaire. Ayame fut surpris : elle demanda, d'un air naïf, si les ninjas n'étaient pas qu'une invention de paysans effrayés. Le magistrat était naturellement prêt à recevoir cette objection : sans perdre son aplomb, il affirma aux deux samuraï-ko que la famille Kitsuki était depuis peu en mesure de prouver rationellement, par des preuves concrêtes, l'existence des ninjas, ainsi que certains de leurs moyens d'action. Révélation étonnante, pour le moins. Les inquisiteurs du Dragon étaient encore pour le moment les seuls dans Rokugan à être si affirmatifs, et ils savaient qu'il faudrait du temps pour que les mentalités changent à ce sujet.
Toutefois, il fallait convenir qu'entre un "vrai" ninja et un malin qui se déguise en habit noir pour terrifier un village, la différence était ténue. Mais Hanbeï-sama ne desespérait pas de faire concrêtement la différence, en s'appuyant sur des preuves irréfutables.
Ce qui étonnait le magistrat et enquêteur, c'est qu'en enquêtant sur la shugenja Nahoko, il n'avait pas trouvé de preuves concrêtes de sa corruption par la souillure de l'Outremonde. Hanbeï-sama était donc prêt à affirmer que Nahoko, loin d'être souillée par Fu-Leng, avait réussi à le faire croire à tous, y compris à la shugenja Ayame !
Pourquoi un tel tour de force ? Pourquoi une telle tromperie ? On l'ignorait encore. Toutefois, le très respecté médecin de Mirumoto Akuma, Mirumoto Munetaka, partageait cet avis : il avait connu depuis longtemps Nahoko, et jamais il n'avait découvert le moindre indice de sa fréquentation de la maho-tsukaï.
Ayame elle-même pouvait-elle positivement affirmer que le parchemin compromettant était réellement maudit ? L'avait-elle assez lu pour le dire avec certitude ? Non, bien sûr, et c'était tout à son honneur. Cependant, cela allait dans le sens d'une mystification de la part de Nahoko. Mais alors : pourquoi déchoir, pourquoi accuser Ayame ? Le mystère n'en redevenait que plus grand.
La shugenja Phénix dut convenir que sur ce point, les doutes du magistrat étaient fondées. Elle avait parfaitement put se persuader que ces parchemins étaient souillées par le pouvoir corrupteur de Fu-Leng. Elle les avait perçus ainsi, mais l'étaient-ils vraiment ?
Or, tacitement, tant la shugenja que l'inquisiteur savaient que certains pouvoirs peuvent brouiller la perception des choses. Et à Heibetsu, des maîtres de la tromperie avaient dérouté tout le monde...
- Certaines personnes qui manipulent les ombres peuvent créer des illusions, dit le magistrat.
Ayame lui dit alors qu'il était la seconde personne à lui parler de l'Ombre... Intrigué, celui-ci voulut connaître l'identité de l'autre personne. La shugenja sentit que sa langue avait fourché et s'en serait mordu le poing. Maintenant, elle ne pouvait plus retenir ce qu'elle savait. A contrecoeur, et devant l'insistance pressante du magistrat, elle mentionna le nom de la vieille Kitabakate. Hanbeï-sama promit qu'il l'interrogerait uniquement pour en apprendre plus sur ce qu'il voulait, et sans la brusquer. Ayame-san conjura les Fortunes de venir en aide à la vieille femme...

Le lendemain matin, la shugenja fit devant les heimin une prière aux Fortunes pour les apaiser et faire revenir la paix sur le village. La communauté se sendit rassurée par cette intervention bienfaisante. Les gens du peuple s'agenouillèrent en pleurant de remerciement.
Les deux Phénix ne s'attardèrent pas dans le village, puisque l'ordre y était rétabli. Le magistrat Kitsuki avait bien l'intention de retrouver Nahoko et de faire la lumière sur les crimes d'Heibetsu. Il repartit dans la montagne, comme il était venu : soucieux et fermement décidé à mener jusqu'au bout ses recherches.


Isawa Akitoki, daïmyo ambitieux

Laissant derrière eux le village maintenant apaisé, les deux Phénix passèrent la frontière des territoires de leur clan deux jours plus tard. Elles saluèrent leur guide qui s'en retourna à travers monts et vallées à Kyuden Tonbo.
Nos deux samuraï-ko quittait les sentiers étroits, l'air vif des montagnes pour profiter de la douceur de l'automne et de la vie des Isawa. Bois rougis par la saison, lacs de vapeur, montagnes sereines, villages paisibles, campagne harmonieuse : tout incitait ici au repos et à la méditation, entre la plaine du chêne pâle et Shiro Asako, le château du matin radieux.
Rien n'était plus différent des grandes plaines surprenantes de la Licorne que ces paysages traditionnels et immuables, éternels comme l'Ordre Céleste. Un silence propice à la contemplation recouvrait tous ces lieux, ainsi que la beauté simple et élégante des jardins et des palais magiques.

Nos deux samuraï-ko humèrent le parfum de leur terre natale avec contentement. Enfin elles arrivaient au pied de Michita Yasumi, la Cité du repos confiant. Elles retrouvèrent leur demeure respective, où les attendaient leurs domestiques, heureuses de retrouver leurs maîtresses. Il semblait qu'en ces lieux, le temps, les tracas, le fracas des batailles et les soucis du monde n'osaient pénétrer. Fébrile et fatiguée de son voyage, Ayame se laissa glisser ce soir-là dans les volutes épaisses et opiacées qui calmait sa douleur. Si ce n'était pas l'illumination du Tao, c'était au moins la cessation de la souffrance de son corps et du passé.

:samurai:

Le lendemain matin, nos deux samuraï-ko se réveillèrent avant Dame Soleil pour se préparer. De l'heure du Soleil à la moitié de l'heure de Hanteï [soit 3 heures], elles se lavèrent, s'habillèrent cérémonieusement et se maquillèrent avec soin pour se rendre à la convocation de leur daïmyo. Quand elles marchèrent sur le sentier qui menait au palais, elles mirent de la joie au coeur du peuple qui put les admirer, fraîches et pimpantes comme une source d'eau claire.
Elles furent bientôt reçues par le maître de la cité le daïmyo Isawa Akitoki, shugenja du vent du 3e rang. Autoritaire, peu enclin à la plaisanterie et au laisser-aller, celui-ci accueillit les deux samuraï-ko dans sa salle de réception, délicatement décorée, près des jardins du palais.

Isawa Ayame lui remit cérémonieusement pluseurs rouleaux de correspondance confiés par Iuchi Kumanosuke à son intention. Le daïmyo les reçut et les parcourut rapidement.* Il remercia sa shugenja, puis demanda aux deux femmes un récit de leurs pérégrinations depuis leur départ d'Heibetsu, après les fêtes des vendanges.

Ayame-san évoqua la colère des kami kaze qu'elle avait invoqués en omettant de les remercier suffisamment. Elle dit que ses compagnons de voyage l'avait aidée, comme à Heibetsu, à combattre les créatures envoyées par les esprits, pendant qu'elle parvenait à les apaiser. Puis elle raconta comment les parchemins envoyés à Iuchi Kumanosuke n'avaient guère contenté ce dernier. Pour se faire pardonner, les deux Phénix s'étaient mis au service du clan de Licorne pour un temps indéfini. On les avait chargés de faire la lumière sur des évènements graves dans la vallée d'Inchu, après quoi on avait estimé que leur dette était payée. De là, retour chez les Phénix.

Isawa Akitoki avait écouté en silence. Il fit remarquer à Ayame son erreur quant à l'invocation des esprits de l'air. Il était inadmissible de les avoir fâchés. Si elle en avait payé le prix, c'était tant mieux. De plus, elle ne devait pas oublier la dette contractée à Heibetsu auprès de tous ceux qui avaient mis leur honneur en jeu pour la défendre. Ayame promit de ne pas l'oublier.
Sur l'enquête à Inchu, Akitoki-sama se montra en revanche, et de façon assez inhabituelle, satisfait de sa shugenja. Dans sa correspondance, Kumanosuke-sama mentionnait combien il était content de l'aide apportée par Ayame-san. Voilà bien une chose que le daïmyo Phénix lisait rarement à propos de sa shugenja. Il connaissait bien ses divergences théoriques, et son isolement par rapport aux autres membres de l'académie Isawa. Il avait donc fallu qu'elle aille chez les Licornes -autant dire chez les gaijins !- pour prouver sa valeur... Sans parler des parchemins fantaisistes qu'elle avait ramenés de la bibliothèque de Kyuden Tonbo. Décidément, elle n'en faisait bien qu'à sa tête ! Mais pour le coup, Akitoki ne voulut pas perdre une occasion d'être content. Ayame avait aidé de bons alliés du clan.

Les samuraï burent le thé qui finissait d'infuser. C'est alors que le senseï annonça une nouvelle d'une importance capitale : le Fils du Ciel, l'Empereur de Rokugan, avait choisi les terres du Phénix pour sa cour d'hiver !
Des messagers impériaux répandaient la nouvelle dans tout le pays. Kyuden Isawa se préparait fébrilement à recevoir le 39e Hanteï dignement, ainsi que toute l'immense et somptueuse cour des familles impériales. C'était dire que l'hiver verrait une intense activité envahir les paisibles terres du Phénix.
Et avec la tenue de l'académie Isawa, des concours de shugenja allaient être organisés. Qui plus est devant l'Empereur !
Isawa Akitoki insista alors avec la dernière fermeté sur la responsabilité qui allait échoir au clan : comme chaque année, il était impensable qu'un autre clan remporte le concours de magie. A aucun prix les Phénix ne devaient perdre leur trophée, car la pureté de son enseignement était inégalable. La magie des Ancêtres Kitsu, du clan du Lion, ne valait pas la puissance de celles des kami ; les Licornes rusaient plus qu'ils ne lançaient des sorts, avec leur savoir sorti des pays barbares ; la magie Crabe n'était que grossiéreté ; les Grues étaient certes d'habiles artistes, mais leur magie n'avait pas la pureté de celle des Isawa. Quant aux enseignements du Tao proposés par Tonbo Toryu, que Ayame semblait tant apprécier, Akitoki lui conseillait de les oublier.
Enseigner le changement et l'adaptation était certes distrayant, mais dans son château isolé, Toryu-sama n'avait pas toujours idée du poids de ses mots. Pendant tout l'hiver, les shugenja Phénix auraient à se montrer impeccables, absolument impeccables, irréprochables ; leurs ennemis n'attendraient qu'un signe de faiblesse pour en tirer avantage.
Isawa Ayame mettrait donc de côté ses opinions pour ne faire qu'un avec le clan.

Isawa Akitoki avait prononcé des paroles qui, comme souvent, n'admettaient pas la réplique. La shugenja s'inclina, et jura de faire honneur au clan. Son daïmyo annonça enfin que des inquisiteurs de la famille Asako parcouraient les terres du clan pour mettre à l'épreuve la vertu et l'orthodoxie des shugenja. Avant peu, Ayame-san recevrait la visite de ces gens. Elle serait soumise à des questions déterminantes. Ceux des Phénix qui seraient invités à l'une ou l'autre cour d'hiver y gagneraient gloire et honneur ; les autres seraient honteux de ne pas franchir le seuil des palais où entreraient les plus grands seigneurs de Rokugan.
Les deux samuraI-ko s'inclinèrent devant toutes ces paroles. Isawa Akitoki souhaita qu'elles se reposent de leurs voyages dans les jours à venir. Elles en auraient besoin pour affronter l'hiver.


*Isawa Akitoki retint une moue de mécontentement : ce vieux renard de Kumanosuke lui envoyait encore du spam et des mails collectifs inutiles..

- "Lastminute.com : -30% sur les croisières dans les îles de la Mante."
- "Venez découvrir les plaines gaijins. Excursions et frissons garantie. S'adresser à l'agence de voyage Moto-Tsume & frères."
- "Des réductions, des remises, des promotions, des prix de gros : tout ça jusqu'à la fin du mois du Sanglier chez Yasuki Taka, le meilleur marchand des Crabes."
- "Coca-Kolat, çaybon buvézan."
- "Une shugenja se rendit au mémorial de la Ki-Rin et guérit d'une maladie grave. Envoyez ce mail à 15 personnes avant 15 jours, dans 5 clans différents, et vous aurez du bonheur pour trois mois. Envoyez-le à 30 personnes et vous aurez etc."
- "Filatures, assassinats, empoisonnements, chantage, enlèvement : agence "Chez Bayushi". Discrétion assurée."
- "C'est l'histoire d'un moine Licorne et d'un Matsu qui boivent un coup au comptoir. Et là, t'as un Grue qui rentre et qui leur dit..."

Déjà que sa boîte était saturée de pigeons, Akitoki en avait marre de jeter à la poubelle tous ces papiers et tous ces oiseaux. Il allait écrire à Kumanosuke, qu'il le retire de sa liste de diffusion !



Shiba Rosanjin, maître calligraphe

L'école Kakita dit que la peinture ressemble au kenjutsu. Moi je dis que celui qui ne sait pas tenir un pinceau, ne sait pas tenir un katana.
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La nouvelle s'était répandue à la vitesse du vent dans toute la Cité : le célèbre senseï calligraphe Shiba Rosanjin, maître de l'école du pinceau, peintre des panneaux de l'Académie, calligraphe attaché pendant dix ans à la cour impériale, passait en visite au palais d'Isawa Akitoki, et dispensait son enseignement à des élèves triés sur le volet dans les murs de l'école de magie.
Quoique maître Rosanjin passât pour un misogyne au caractère impossible, aussi dur que la lame d'un katana, Ayame-san ne pouvait pas passer à côté de cette chance d'améliorer son art du pinceau.
Accompagnée de Shiba Ikky, elle eut l'honneur de rencontrer le senseï, tôt le matin, alors que les couloirs de l'école Isawa étaient encore déserts.
Le visage impassible, le senseï accueillit les deux shugenja et leur permit de s'agenouiller devant lui, le front à terre. Il écouta la demande de la shugenja, puis fit amener un parchemin et un pinceau, et lui demanda de dessiner les caractères qui lui plairaient. Une prière rituelle conviendrait très bien.
Shiba Ikky attendait patiemment, quand un serviteur lui apporta aussi un parchemin ! La yojimbo n'avait jamais touché à un pinceau, mais cela, le senseï Rosanjin n'en avait cure : puisqu'elle était là, elle n'allait pas se tourner les pouces.
Il sortit de la pièce pendant la moitié de l'heure de Lune, laissant les deux samuraï-ko à leur art. D'une main qui ne tremblait pas, Ayame trempa le pinceau dans le pot d'encre, et commença à exécuter sans se presser, mais de manière alerte, les caractères longuement copiés et recopiés pendant les études de calligraphie. Le texte qu'elle traçait était des plus simples : une invocation aux kami-kaze que tout élève apprenait dès qu'on lui mettait un pinceau entre les mains. Appliquée et consciencieuse, Ayame-san parvint à accomplir un travail honnête et léché.
De son côté, Ikky-san peinait visiblement à aligner des caractères sur le papier...

Le senseï revint assez brusquement, au moment où la shugenja finissait de tracer les derniers mots. L'encre n'avait pas séché que Rosanjin-sama s'emparait du parchemin et l'étudiait de son oeil parfaitement exercé.
Ayame-san eut la désagréable surprise d'entendre le senseï maugréer de mécontentement :
- Ce trait est maladroit... celui-ci surperflu... celui-ci de travers... la composition n'est pas harmonieuse... tous les jeunes étudiants font cette erreur maintenant... c'est scandaleux... ils n'apprennent plus rien... à quoi passent-ils leur temps ?... de mon temps, hein... encore un pâté... on deshonore les kami avec une écriture pareil... quel laxisme... "jin" et non pas "jen", on apprend ça aux enfants...
Le senseï eut un petit mouvement d'humeur hautaine, et rendit séchement sa copie à Ayame-san.
- Vous avez encore tout à apprendre, shugenja. Vous viendrez à mon cours : je ne peux pas décemment laisser votre calligraphie dans cet état-là.

Dans la bouche du senseï, c'était autant de compliments honorifiques. Il ne l'aurait pas admise au cours sinon !

Restait à regarder le parchemin de Ikky-san... La yojimbo n'en menait pas large. La tête basse, le rouge de la honte aux joues, elle ne pouvait croiser le regard du maître. Celui-ci vit sur le parchemin plusieurs tâches de couleur qui rappelaient vaguement des caractères d'écriture, comme après qu'un parchemin plein d'encre humide soit tombé dans l'eau ou qu'un pot se re fût renversé dessus. Rosanjin-sama pensait qu'un âne aurait fait mieux avec sa queue...
- Vous êtes la yojimbo d'Ayame-san ? demanda le maître d'un ton coupant.
- Oui, senseï.
- Vous viendrez à mon cours, vous aussi.
Et le senseï de se lever et de partir, aussi rapidement qu'un katana dégaîné au iaijutsu.

Shiba Ikky ne se sentait plus de joie : le grand senseï venait de l'admettre à son cours ! Quel privilège et quelle chance pour elle !
Voici donc nos deux samuraï-ko passant leurs après-midis avec les autres étudiants en calligraphie, à tracer patiemment, humblement, longuement, des caractères, obtenant par des heures de travail acharné ce que le senseï pouvait tracer en quelques coups précis. La grâce, la facilité, la vigueur, la droiture des caractères du senseï déconcertait tous les étudiants, qui pensaient bien que mille réincarnations ne leur permettraient jamais d'atteindre ce niveau de maîtrise !
Le senseï passait dans la salle entre les élèves, un bâton de bambou en main, distribuant des coups dès qu'il voyait une erreur, ou croyait en voir une, ou pensait qu'il y aurait pu en avoir une.
- Refaites-moi tout ça... droit le pinceau... "Jin" et pas "jen" voyons... plus ferme... plus souple... respirez... concentrez-vous... vous n'écrivez pas le menu d'une maison de geisha... non... mauvais, très mauvais... indigne d'un samuraï du Phénix... un contrebandier de la Mante s'en tirerait mieux que vous... tout est à reprendre depuis le début... vous écrivez avec un tetsubo ou quoi ?...

Un étudiant doué pouvait s'en tirer avec deux coups de bambou par après-midi.

Le premier soir après les cours, Ayame s'endormit vite, épuisée et fit un vilain cauchemar : le senseï Rosanjin était là, à gratter sa longue barbe et disait sentencieusement :
- Je n'aime pas les shugenjas, je déteste les femmes, et par dessus tout je hais les manchots.
Ayame se réveilla, trempée de sueur, puis se rendormit, après s'être allumé une pipe bien copieuse !

Après dix jours d'études, le trait d'Ayame avait gagné en précision et en netteté. Elle pouvait être fière de ses progrès. Quant à Shiba Ikky, elle savait maintenant écrire décemment. C'est peut-être de ses progrès dont se réjouit ce mois-ci le senseï : partie de rien, elle avait acquis les bases de la Calligraphie en peu de temps. D'autres élèves, déjà plus doués, avaient moins progressé.
Les deux samuraï-ko pourraient maintenant se dire qu'une partie de leurs gestes leur venait directement d'un des plus grands maîtres du pinceau.
A la fin de ces quelques journées, le maître prit vivement le papier d'Ayame, daigna y jeter un oeil dit laissa tomber :
- C'est moins minable qu'avant.
Ayame s'inclina respectueusement, cachant la joie que lui faisait le senseï avec un tel compliment.


Isawa Kanera, senseï de lumière

Les fines gouttes de pluie argentées piquent les nénuphars du bassin ; le vent agite les feuilles alourdies par l'eau du ciel ; les bambous taillés en biseau laissent couler l'eau des bassins sur des roches blanches ; mille fleurs brillent alors que les nuages se retirent et laissent apparaître la splendeur nouvelle d'Amateratsu. Les branchages des cerisiers, des pruniers bruissent du vent de l'automne et abandonnent peu à peu leur feuillage, tandis que des musiciennes jouent une mélodie discrête et répétitive aux promeneurs des jardins. Une légère brume fume à la surface des étangs et dans les flaques se baignent de grands reflets du monde.

L'honorable senseï Isawa Kanera, ses yeux presque fermés par les ans, méditait, assis sur un tatami près d'un simple chêne pâle, sans regarder le soleil qui faisait luire tous les bâtiments de la Cité. A côté du vieil homme, son samuraï et yojimbo, immobile, n'osant troubler la méditation du senseï.
Les deux samuraï-ko s'approchèrent respectueusement, s'agenouillant en silence devant Kanera-sama.
- Qui êtes-vous, jeunes femmes ? dit le maître, sans ouvrir les yeux.
- Mon nom est Isawa Ayame, et voici mon yojimbo, Shiba Ikky. J'ai été votre élève à l'académie, senseï.
Le vieux shugenja dévisagea les deux femmes du bout des doigts, sentant chaque trait de leur visage.
- Tu es cette shugenja qui a voyagé au pays des Licornes, dis-moi si je me trompe ?
- C'est exact, senseï. Et aujourd'hui, je viens chercher conseil auprès de vous.
Le senseï resta silencieux quelques instants. Il parut quelques instants plonger très profondément en lui-même, ou dans les profondeurs de toutes choses. Il avait développé une sensibilité surnaturelle à l'anneau du Vide. Lui et les autres shugenja affiliés à cet anneau très particulier passaient pour des sages tout à fait à l'écart, même des autres shugenja. Leurs discours très mystérieux, compréhensibles par quelques initiés, n'avaient leur égal que dans les énigmes de Ize Zumi. Kanera-senseï était l'un des plus vieux shugenja du clan. Il avait atteint l'harmonie des élèments comme peu d'hommes avant lui. Nombre de grands seigneurs s'agenouillaient devant lui, subjugués par sa force intérieure.

- Ecoute-moi, Isawa Ayame. Tu reviens d'un long voyage, qui t'a emmenée plus loin que tu ne pensais, et qui t'a fait découvrir des choses inconnues, étranges, secrêtes. Des ombres observent ton chemin. Méfie-toi, Ayame !
Le vieux senseï parlait comme s'il devinait déjà les questions qu'aurait pu lui poser la shugenja. Il voyait en elle plus clair qu'elle-même.
- Ayame, tu vois cette montagne entourée de nuages, au loin, derrière la Cité ? La montagne se transforme en nuage ; et le nuage se transforme en montagne ; entre les deux se trouve le Vide, l'impermanence et l'unité de la pierre et de l'eau. En toutes choses, cherche l'unité primordiale, comme dans le paysage Shinhuan. [Shihuan = montagne/eau]

Le vieux senseï observait, les yeux clos, autour de lui, comme pour trouver quelque vérité lumineuse.
- Méfie-toi, Ayame, car les vrais maîtres de la tromperie ne se cachent pas dans les ombres. Ceux qui se dissimulent derrière un masque, ceux qui se tapissent dans les recoins mystérieux, ne sont que des comédiens superficiels. Les vrais menteurs se montrent en pleine lumière. Celui qui doit se cacher vraiment s'expose aux regards de tous ! Ne cherche pas tes vrais ennemis cachés dans l'obscurité. Cherche-les dans le plus quotidien, le plus habituel...

Le vieux senseï était parcouru d'une colère muette. Il crispait le poing, comme si, derrière ses paupières closes, il y voyait plus que les autres hommes. Que percevait-il qu'il ne pouvait communiquer à Ayame ?

:samurai:

C'est très troublée que la shugenja quitta ce jour-là son vieux maître. Elle se promit de revenir le voir bientôt.
Entre temps, elle allait mener des recherches en bibliothèque, le matin avant les cours de calligraphie, à l'heure de Doji. Elle voulait profiter de ces jours dévoués à l'étude et à la méditation pour recopier et apprendre de nouveaux sorts. Mais surtout, elle repensait à une piste capitale que Kitsuki Hanbeï lui avait ouverte, volontairement ou non, (mais comment savoir avec les Dragons ?).

Le magistrat avait dit pendant leur rencontre que des paroles interdites avaient été prononcées dans les montagnes, et des textes censurés avaient été retrouvés ici et là, dans plusieurs villages.
Il s'agissait d'un long poème, vieux de plusieurs siècles, dont on attribuait l'autorité à la novice d'un honorable couvent, devenue peu à peu folle, puis mis au ban de la société avant d'être poussée au suicide (voire peut-être exécutée). Dans son délire, qui allait s'aggravant, elle avait retranscrit des paroles de haine et de malédiction sur le papier, et les avait mises en poésie. Le poème de cette Novice Folle avait été interdit partout dans l'Empire. On avait oublié le clan d'origine de cette novice.
Ironie du sort, des versions très différentes de ce conte avaient refait surface depuis un siècle, sous la forme d'un poème édifiant pour les enfants, le Poème des Plaintes de la Novice. Il s'agissait d'un texte qui mettait les jeunes rokuganis en garde contre les monstres et les sorcières. Peu de gens connaissaient la véritable origine de ce texte...
Et Hanbeï-sama avait récolté plusieurs papiers, semés dans la montagne, où l'on avait recopié des morceaux du délire de la Novice.
Dans la bibliothèque de la Cité, Ayame se mit à son tout en quête de renseignements sur cette folle. Ses recherches furent peu fructueuses. Pourtant, il y avait de quoi lui mettre l'eau à la bouche. Elle put lire un court fragment de ce poème ; et elle fut sûr de l'avoir déjà lu ailleurs. Mais où ? Elle avait déjà lu ces quelques lignes, en elles-mêmes innocentes, ailleurs, et récemment. Ce n'était pas dans la version expurgée, car Ayame n'avait jamais appris ce poème dans son enfance... La shugenja eut beau fouiller dans sa mémoire, elle ne put recoller ses souvenirs.

« Ma jolie poupée, j’ai enfermé en toi ma pensée de ce soir.
La ronde des lucioles sur l’eau
Danse, danse, danse
Danse toute la nuit
La lune veille sur nous
Tandis que le soleil dort »


Au bout de longues journées passées au milieu des parchemins, Ayame prit la décision de retourner voir son vieux senseï. Elle n'avait que trop besoin de ses conseils.
Accompagnée par Shiba Ikky, elle le trouva dans les jardins du palais, silencieux, plongé dans la contemplation de la montagne shinhuan. Il ne faisait qu'un avec le vide qui sous-tend le monde. Il entendit s'approcher son ancienne élève. De nouveau, il l'écouta. Respectueusement, prudemment, elle commença à lui parler de ce poème vieux de plusieurs siècles, attribuée à une novice qui...
Le senseï eut un mouvement de colère.
- Par Isawa, tu veux me parler du Parchemin des Hurlements de la Novice !...
Ayame-san ne s'était pas trompé. Le vieux senseï ne réprima pas la colère qu'il éprouvait à évoquer ce poème. Ainsi donc, la jeune Ayame avait remis au jour ce texte qu'on croyait enfoui, oublié pour de bon. Elle qui n'était qu'une petite shugenja aux idées originales : elle avait bien changé depuis son voyage au pays des Licornes. Elle montrait plus de tenacité et de perspicacité que ses camarades, qui, à longueur d'années, se prélassaient entre les jardins, les écoles et les bibliothèques du clan. Ayame avait ramené avec elle quelque chose de ce grand souffle sauvage des plaines de l'Ouest.
- Ecoute-moi, Ayame-san, dit le vénérable Isawa Kanera. Apprends donc qu'il y a cinq siècles de cela, le pouvoir de la dynastie Hanteï fut ébranlé par une conspiration... Une conspiration odieuse, infâme, qui voulut mettre à genoux le fils du ciel en personne. Cette conspiration se faisait appeler Gozoku. Et ses membres venaient de trois des clans majeurs de l'Empire.
Le senseï fit une pause, tant il lui répugnait d'évoquer de si sombres moments de l'Empire.
- Le premier de ces clans n'existe plus aujourd'hui, et nul ne sera jamais surpris de les trouver dans une conspiration...
Les deux samuraI-ko écoutaient avec attention. Il était très rare que Kanera-sama se laisse ainsi aller à montrer une émotion.
- Le second de ces clans est le bras gauche de l'Empereur en personne... je veux parler du clan de la Grue...
Le senseï ressentait pour lui-même la honte que représentait pour l'Empire la conspiration.
- Enfin le dernier clan est peut-être le plus noble, le plus haut dans ses aspirations, le plus dévoué à la spiritualité... il s'agit de notre clan, Isawa Ayame, le clan du Phénix...
Le senseï baissa la tête, une grimace de colère déformant sa bouche. Il aurait voulu ne pas évoquer ce souvenir.
- Et la Novice eut partie liée à cette conspiration. Elle fut une des âmes du Gozoku. Elle composa un poème qui condensait la doctrine de ces scélérats, de ces criminels à la face du divin Hanteï. Elle eut le sort qu'elle mérita, tout comme les conspirateurs... C'était il y a cinq siècles, Ayame, et l'Empire vécut son heure la plus sombre depuis la trahison de Fu-Leng. Peut-être aujourd'hui seulement nous dirigeons-nous vers des temps plus sombres... Alors ne cherche pas le poème de la Novice Folle. Oublie ce texte maudit, laisse-le au fond de nos bibliothèques. Tu n'y découvrirais qu'une doctrine impie, une scélératesse de la pire espèce. Que la Novice Folle disparaisse avec ses complices dans les bas-fonds de l'histoire...

:samurai:

Le senseï avait parlé. Les deux samuraï-ko s'inclinèrent, et remercièrement Kanera-sama pour ses conseils inestimables. Elles quittèrent les jardins, Ayame ayant promis de respecter l'ordre du maître.
Le soir-même, elles apprirent que des magistrats Licornes venaient d'arriver dans la Cité. Ils passeraient l'hiver sur les terres du clan, à s'instruire dans les différentes bibliothèques et à prodiguer leurs conseils juridiques aux familles Phénix. Parmi les magistrats se trouvait Ide Soshu en personne, le fameux jeune alcoolique à cause de qui la situation à Inchu avait failli dégénérer... Et il était accompagné d'un yojimbo qui n'était autre que Shinjo Kohei.
Les deux samuraï-ko, amusées, allèrent saluer ces connaissances.
Une longue cérémonie de présentation et de remises de cadeaux eut lieu entre les magistrats Ide et les Phénix de la Cité du Repos Confiant. Le malheureux Kohei dut rester à genoux plus d'une heure et visiblement, des fourmis lui montaient dans les jambes.
Quand la cérémonie fut finie, Shiba Ikky invita Ayame, Kohei et Soshu-san dans son auberge préférée. Le pauvre Kohei se plaignait de devoir rester assis si longtemps. Pour un Licorne, ce n'était pas concevable. Sa figure s'allongea considérablement quand Ayame lui apprit que des shugenja et des moines restaient des jours assis, immobiles à méditer. Pour le coup, le Licorne faillit en lâcher son bol de riz. Qu'une vierge de bataille chevauche des jours entiers sans mettre pied à terre, il pouvait le concevoir, mais méditer sans remuer un cil pendant des jours, ça non, ça dépassait l'entendement !




:mushu: SAGESSE ET HARMONIE, SAMURAÏ-KO ! :mushu:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 15:50

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 6e Récit (II)
Mois du Chien et du Sanglier (milieu et fin de l'automne)


DEUX CONTES D'AUTOMNE

VOLUME II

LES VOLEURS D'ENFANTS


Les traîtres de la Grenouille Riche

Le lendemain de son arrivée à la Grenouille Riche, Riobe estima qu'il avait terminé sa mission auprès des Licornes, et par conséquent auprès des Dragons. Il avait fait ce que l'honneur lui avait dicté dans le conflit d'Inchu. Hanteï savait combien cela lui avait coûté de retrouver cette région, et plusieurs de ses habitants. Il pensait qu'il aurait même pu rencontrer le gouverneur, Matsu Matasaka. Le duel aurait été inévitable...
Le rônin estima que le temps était venu de recevoir une paye bien gagnée.
Poliment, il se présenta à Mirumoto Ryu, toussota d'un air de sous-entendu, en frottant visiblement son pouce et son index. D'un air détaché et parfaitement innocent, mais assez définitif, Ryu-san lui déclara alors :
- Mais voyons Riobe, c'est Taro-san qui t'a engagé...
Le pauvre rônin crut sentir sa mâchoire se décrocher. En d'autres termes, s'il interprêtait correctement les paroles de la bushi, il ne lui restait plus qu'à remonter à Heibetsu, à des jours de là, sans parler de l'ascension et du passage du col... Riobe avala sa salive et sourit poliment, quoi qu'il lui en coûta : en d'autres lieux, d'autres temps, l'un des deux serait mort de honte...
Inutile d'ajouter qu'il ne s'attarda pas avec Ryu... Il obtint toutefois d'elle la possibilité de remonter avec elle dans les montagnes. Ce qui serait bien pratique pour passer la frontière de la Libellule.

Riobe croisa sur son chemin Kohei-san. Le solide Licorne baillait à pleine gorge en cette heure matinale, en s'étirant et en gonflant sa poitrine. Il salua Riobe avec ce mélange de politesse et de familiarité amicale bien propre à son clan.
Non, on en ferait jamais un courtisan, sourit Riobe intérieurement. Le rônin le salua plus proprement. Kohei espérait que Riobe se présenterait à la cérémonie de la chasse, chez Egawa-sama. Hésitant, Riobe finit par accepter devant l'insistance de Kohei-san : avec Hiruya, ils avaient tous les trois ramené deux biches, un sanglier et abattu un ours noir. Le rônin n'avait pas volé sa place au repas, même en bout de table.
Tant pis pour ce que pourrait en penser Ikoma Akira, qui, après tout, venait au bois du Daim d'Argent, en hôte, pour accepter les conditions du clan de la Licorne.

Riobe salua et partit le long du fleuve vers la Cité de la Grenouille Riche. Il entra dans la ville des rônins, noire de monde même à cette heure matinale. Les fonctionnaires et les soldats de la famille Kaeru [grenouille] dirigeaient réellement cette cité si spéciale, qui jouait le rôle de zone-tampon entre deux clans aux philosophies si différentes qu'ils ne trouvaient rien à se dire, le Dragon et la Licorne.
Notre samuraï ne tarda pas à trouver une maison de jeux. Torses nus, les tenanciers faisaient face aux client passionnés. On jouait à un jeu de dés lancés sous un cornet. Il fallait deviner si la somme des deux dés serait paire ou impaire. Riobe dépensa quelques-uns de ses derniers sous pour entrer dans le jeu, et discuter un peu avec quelques personnes.
Il cherchait du travail. On lui demanda en souriant d'un air mauvais quels types de travail il serait prêt à accepter, puis on lui donna une adresse. Il n'y avait qu'un nouveau-venu dans la Cité pour ignorer que des traîtres avaient quitté la famille Kaeru, en emportant une partie du trésor avec eux ! Et même parmi une bande de mercenaires aux kokus pleins les mains, on ne pouvait transiger sur l'honneur : il fallait retrouver et punir ces déserteurs.
Riobe alla à l'endroit indiqué et fut reçu, après une longue attente, par un important chef rônin. Ce dernier avait un peu entendu parler de Riobe... ce rônin qui s'est frotté aux troubles d'Inchu... Le chef lui dit que ceux qui venaient lui demander du travail savaient pourquoi ils venaient... Les traîtres de la Cité étaient des canailles qui, pour aggraver leur cas, s'étaient alliées avec plusieurs de ces comploteurs d'Inchu. Et le chef Kaeru manquait de ces courageux rônins qui n'ont pas froid aux yeux pour des missions risquées. Il poussa vers Riobe un parchemin qui indiquait le nom des plus dangereux de ces fuyards. Il y avait trop peu de gens qui osaient se lancer à leur poursuite.
- Quel est le premier nom sur la liste principale ? demanda Riobe.
Le chef sourit : ce rônin allait lui plaire. Il acceptait de s'occuper d'un des plus gros gibiers... La parole de Riobe suffirait : qu'il revienne à la Grenouille Riche en jurant que sa cible ne représentait plus de danger pour personne... Celui que notre rônin allait pourchasser se nommait Hiro.

Départ des terres de la Licorne

Deux jours plus tard, Ryu et Riobe retrouvaient Ayame, Ikky, Kohei et Hiruya chez Shinjo Egawa, daïmyo de la cité du Daim d'Argent, pour la cérémonie de commémoration de la chasse. Shinjo Bunjiro et Iuchi Kumanosuke se trouvaient également là, de même qu'Ikoma Akira.
Dans la grande salle du palais, rude, étrange, fait de solides pierres et de décorations aux motifs surprenants, tous les hôtes purent admirer les trophées de chasse, notamment les deux biches, le sanglier et l'ours ramenés par nos héros. On épargna poliment aux invités du clan de la Licorne l'obligation de manger de la viande rouge... Toutefois, les samuraï Licorne ne se privèrent pas de déguster cette bonne chair, qui dégoûtait tant les frères des autres clans.
Devant tous, Shinjo Egawa félicita les chasseurs d'avoir honoré le bois en ramenant de si belles proies. Il fut dit à Kakita Hiruya que le clan de la Grue restait l'ami du clan de la Licorne et que tous s'en réjouissaient.
Tout le monde mangea avec appétit. A la fin du repas, Ikoma Akira se leva, se pencha en avant humblement et reconnut, au nom de Matsu Matasaka, seigneur d'Inchu, que les Licornes étaient venus à point nommé en aide au clan du Lion, et que le nouveau tracé des frontières était le plus convenable qui soit. De fait, le Lion cédait de nombreux arpents de terre sur leur côté du fleuve d'Inchu.
C'était une belle reconnaissance accordée à nos héros, et personne ne retint ses félicitations pour leur bravoure.
Mais c'était surtout une victoire personnelle pour Kumanosuke-sama. Beaucoup y songeait, sans que personne n'ose le dire.

Après la fin des festivités de la chasse, tous les invités s'en retournèrent chez eux. Au palais de la Grenouille Riche, Kohei-san dit au revoir à ses amis, qui repartaient en direction du grand Océan. Le Licorne restait sur les terres de son clan, et espérait revoir bientôt ses compagnons de voyage.
Les deux Phénix, le Grue, la Dragon et le rônin voyagèrent ensemble jusqu'au château de Tonbo Toryu. Puis les deux Phénix partirent seules vers leurs terres, pendant que Hiruya (qui rejoignait son senseï, Kakita Yobe), Ryu et Riobe, avec l'autorisation de Tonbo Toryu-sama, commençait l'ascension des hautes montagnes du Dragon...

Les criminels d'Heibetsu

L'ascension des hautes montagnes prit plusieurs jours. Nos marchèrent dans leurs pas en arrivant vers le col. Ils retrouvèrent l'étroite vallée encaissée, aride et nue, où ils avaient secouru une caravane, à la fin de l'été, puis le col et le village où les Minocentaures avaient attaqué à leur départ, au milieu de l'automne.
Ils arrivèrent dans la riante vallée d'Heibetsu, pays natal de Ryu-san, sorte de havre tranquille de verdure et de champs, protégé du reste du monde par les hautes montagnes solitaires, orgueilleuses et dépouillées.
Hiruya-san salua son senseï, le noble Yobe-sama, qui continuait d'enseigner les vertus de l'école du sabre à de jeunes Dragons, et à démontrer la supériorité de la technique Kakita sur l'art du Nitten. Ce n'était pas une sinécure...

Ryu-san et Riobe ne tardèrent pas à rendre visite au capitaine Taro, chef de la garde d'Akuma-sama. Après tout, c'était bien Taro, aux dires de Ryu, qui avait engagé Riobe.
D'un ton franc et direct, comme l'apprécie peu la politesse rokugani généralement, Ryu déclara que Riobe avait bien travaillé et qu'il méritait d'être payé. Taro-san était bien surpris de revoir le rônin ici. Il commençait à comprendre...
Taro hocha la tête, en souriant d'un air entendu et discret à Riobe, comme pour dire que, question étiquette, on obtiendrait jamais rien de Ryu-san... Taro venait de comprendre que Riobe avait dû remonter toutes les montagnes pour venir se faire payer.
Il paya donc ce qui était dû à Riobe, puis demanda à Ryu de raconter brièvement leur périple sur les terres de la Licorne, et comment s'était passée leur mission.
- Ca va, ça va, répondit placidement Ryu-san.
Pour la briéveté, Taro pouvait s'avouer satisfait.
Riobe fit signe discrêtement qu'il allait s'éclipser. Taro-san le retint, voulant savoir ce que le rônin allait faire maintenant.
Poliment, Riobe expliqua en détail la mission qui lui avait été confiée à la Grenouille Riche.
Ainsi donc, le rônin recherchait ce Hiro, chef criminel... Le capitaine, connaissant la valeur du rônin, lui proposa de travailler avec les Dragons.
Depuis quelques temps, de nouvelles menaces sévissaient sur Heibetsu. Selon ses informations, et des enquêtes de la famille Kitsuki, des bandits remontés du sud, des terres d'Inchu en particulier, se seraient alliés à plusieurs criminels qui avaient sévi pendant les fêtes des vendanges. L'ennemi groupait une seconde fois ses forces pour frapper le clan du Dragon.
Cette fois-ci, les malfaiteurs enlevaient des enfants et demandaient d'importantes rançons. En entendant cela, Ryu frémit de terreur pour sa fille.
Le capitaine Taro organiserait sous peu une battue pour châtier les criminels.
D'un air inquisiteur, à brûle-pourpoint, Ryu-san demanda carrément :
- Taro-san, ne me cacherais-tu pas quelque chose ?
Riobe baissait la tête de honte. Encore une gaffe d'étiquette ! Taro-san ne broncha pas. Sans doute avait-il reçu des instructions pour ne pas relever les paroles hasardeuses de la jeune bushi.
- Je comprends ton inquiétude, Ryu. Rassure-toi, ta mère et ta fille sont en bonne santé. Ta mère a requis les services d’un honorable bushi Mirumoto pour protéger sa famille.

Une chasse serait organisée dès le lendemain. Le criminel Hiro en ferait sûrement partie. Que Riobe se joigne aux équipes : il mettrait la main sur sa proie et rendrait service au clan du Dragon.
Le rônin accepta de se présenter le lendemain à la première heure. Il salua les deux Mirumoto, puis partit en ville, retrouver l'Auberge du Bon Rônin, centre névralgique des lieux pour les samuraï sans clan. Plusieurs mercenaires engagés par le capitaine Taro logeaient à cette enseigne. Au cours de parties de dés au cornet, les langues se délièrent, et on parla d'honneur et d'argent, des missions et des emplois qu'acceptaient ou non les samuraï errants.
- Soit on perd la vie dans l'honneur, soit on en revient et on y gagne de l'argent.
C'est ainsi que Riobe choisissait de vivre, et d'accorder ses standards moraux aux réalités de la vie de rônin.

Dans la même journée, Ryu-san retourna évidemment voir sa famille, dans leur maison à la sortie de la ville. Une discussion tout sucre tout miel s'en suivit entre les trois femmes, la mère de Ryu prenant longuement des nouvelles de sa fille chérie, lui répétant combien elle avait été inquiète, et combien elle avait prié les fortunes de la protéger, et comment elle se faisait un sang d'encre à l'imaginer sur les routes, exposée à tous les périls, et risquant sa vie si loin de la propre petite fille adorée etc.
Consciente des dangers qui pesaient sur la cité d'Heibetsu, la sage Mirumoto Katsumi avait contracté, au nom de Ryu, une dette envers un honorable bushi de la famille, pour que ce dernier protège la petite Mirumoto Akiko des bandits.
Ryu-san rencontra ce jeune et droit bushi, honorée de servir le clan en protégeant cette petite fille. Il était posté près de la maison, à surveiller déjà les lieux contre d'éventuels malandrins.
- C’est un honneur immense de vous voir, Ryu-san. Je veille sur votre maison mais je suis loin d’avoir tous vos talents.
- Mais non, moi au contraire, je ne saurais jamais comment vous remercier.
- Je crains de ne pas être à la hauteur pour défendre votre famille, Ryu-san.
- Je ne doute pas que vous y arriviez.
- C’est par honneur que je le fais.
Ryu-san trouva tout à fait correct ce samuraï, flattée qu'il ait reconnu en elle une valeureuse bushi.

Le lendemain, au palais, Taro-san formait les groupes qui partiraient traquer les criminels dans les montagnes alentours. Chaque groupe serait constitué de deux samuraï de clan et d'un rônin. Riobe se joindrait au groupe de Hiruya-san et Ryu-san. Ses bonnes capacités de chasseur seraient bien utiles pour retrouver la piste d'enfants disparus.
Tous les samuraï s'inclinèrent devant Taro-san et partirent revêtir leurs armures. Riobe discuta avec Hiruya : aujourd'hui serait une dure journée. Beaucoup de Mirumoto quitteraient la ville, la laissant avec peu de surveillance. N'était-ce pas ce que cherchait les bandits, peut-être pour attaquer directement Heibetsu en dispersant ses défenseurs ?
Pendant ce temps, Ryu-san inspecta rapidement une maison qui lui paraissait louche. Mais elle n'y trouva pas de traces des kidnappeurs.
Alors que tous les samuraï, fin prêts, en armure, se réunissaient dans la cour du palais, Mirumoto Akuma-sama se posta devant eux, et les exhorta, de sa célèbre voix où entrait, à des degrés plus ou moins fort, une colère contenue, à purifier la région des criminels qui l'infestaient. En choeur, les samuraï le jurèrent, et partirent aussitôt.
Yobe-sama vint parler à Hiruya : ce dernier, avec Ryu et Riobe, puisqu'ils connaissaient la région et étaient reconnus pour leurs qualités de combattants, auraient le secteur le plus dangereux. Ils avaient instruction de mener à bien leur mission, et de juger s'il s'avérait nécessaire de prévenir d'autres groupes, pendant la journée, pour leur demander de l'aide. Leur discernement prévaudrait face au danger.
Autant dire que le groupe de nos trois héros serait seul face aux criminels et n'avait le droit que de revenir vainqueur...

Le dard du scorpion blesse le dragon

Hiruya, Ryu et Riobe commencèrent à pister les criminels sur le territoire qui leur avait été assigné.
S'enfonçant dans la forêt, ils ne tardèrent pas à reperér des traces de pas. Hiruya commençait à réfléchir, mais la bushi Dragon s'exclama :
- Hiruya, regarde, là !
- Oui, soupira Hiruya, des gens sont passés par là récemment, suivons ces traces...
Peu après, Ryu entendit un bruit d'être vivant, de derrière un arbre. Brusquement, elle dégaina ses deux sabres, et se précipita vers le taillis. Le Grue et le rônin hochèrent la tête de désapprobation. Mais qu'y pouvaient-ils ?
- Ryu-san, il se passe quelque chose ?
Ils aperçurent une forme, une ombre furtive. Encombrée sans doute par ses sabres, Ryu allait les planter à terre, comme pour les laisser de côté en attendant... Hiruya intervint à temps, poliment. Ryu choisit de les rengainer.
Aussitôt, elle banda son arc, encocha une flèche, tendit la corde... Le coup, maladroitement visé, envoya la flèche se ficher dans un arbre, à dix mètres du point visé. Une bête ne tarda pas à détaler : c'était elle que nos héros avaient entendue...

Après une petite marche, ils arrivèrent dans une zone plus clairsemée de la forêt. La lumière étaient moins filtrée par les épais branchages, baignant la terre moussue.
Dans ces lieux paisibles, nos héros aperçurent nettement cette fois leurs criminels : ils avancèrent résolument vers eux. Trois flèches vinrent se planter à leurs pieds.
- Qu'est-ce que vous faites là, lança l'un des bandits, il n'y a rien à voir !
Mauvaise idée que de dire cela : nos héros n'en furent que plus déterminés.
- Vous êtes sur les terres du clan du Dragon,lança Ryu, je n’y tolérerai pas des gens qui n’ont rien à y faire ! l
- N’allez pas plus loin, vous risquez gros, vous n’êtes pas de taille contre nous.
Le défi était lancé abruptement. De la part des membres de ce clan déchu, une telle provocation aurait pu éveiller de légitimes soupçons. Mais quand les affreux se mirent à reculer dans la forêt, Ryu n'hésita pas à les suivre, ventre à terre.
Restés en arrière, Hiruya et Riobe avaient flairé le piège. Plus que flairé : ils pouvaient miser leur tête que c'était une vile ruse des Scorpions.

:samurai:

Ils étaient encore en dessous de la vérité. Il n'y avait pas un piège, mais trois.
Courant dans les taillis, se heurtant aux branches, aux racines, Ryu-san fut successivement la cible d'une flèche, qui se planta juste à côté d'elle, puis victime de ronces qui l'égratignèrent, avant qu'un tapis de feuille, disposées harmonieusement en cercle sur l'humus, ne se dérobe sous ses pieds, la faisant chuter dans un trou profond...
Hiruya et Riobe arrivèrent en courant. Riobe ne ralentit pas, espérant bien en finir avec les bandits. Mieux que ça : le rônin échappait à Ryu-san !
Le malheureux Hiruya, prisonnier du code de l'honneur, n'eut pas cette chance.
- Vous avez besoin d'aide, Ryu-san ? dit-il, haletant, pressé d'aller au combat.
- Oui, s'il vous plaît, sortez moi de là.
Notre Kakita eut comme une crampe : il ne s'attendait pas à cette réponse deshonorable ; implicitement, il était attendu de Ryu qu'elle dise à Hiruya de continuer sans lui.
Kakita Hiruya comprit ce que signifiait l'abnégation du devoir...

Seul face à trois, Riobe lutta longuement, courageusement, pour réduire les canailles. Les lames s'entrechoquèrent violemment, le heurt du métal contre le métal, le halètement des hommes au combat, tout cela retentissant dans toute la forêt, semant l'effroi chez toutes les créatures.
Pendant ce temps, Ryu luttait et haletait pour s'extraire de son trou, avec l'aide de Hiruya-san, qui tirait de toutes ses forces...
Ils ignoraient qu'à ce moment-là, au fond du trou, venait d'apparaître, creusant comme une taupe, un Nezumi, qui observa, curieux la samuraï-ko au fond de son trou, puis choisit de l'ignorer pour retourner à sa vie souterraine.

Kakita Hiruya put enfin venir en aide au rônin, après que lui et les Scorpions aient croisé près de 20 fois leurs lames... Arriva enfin Ryu, au moment où le silence retombait sur les lieux de l'affrontement.
Le pauvre Riobe avait beaucoup donné, et les coups de l'ennemi avaient plu sur lui. Une mauvaise et profonde blessure au flanc allait le ralentir sérieusement. Il serra les dents et cacha la douleur qui le tiraillait. Il n'allait pas faiblir face au devoir.

Au sortir de la forêt, nos héros décidèrent de retourner aux deux temples des Oiseaux, ceux qui avaient brûlé la veille des fêtes des Vendanges. En effet, Taro-san avait la conviction que les bandits actuels étaient liés aux anciens. Ryu inspecta pluseurs maisons brûlées, avant de se mettre à la recherche, songeant aus montagnes alentours, d'une grotte où les Scorpions auraient trouvé refuge. Nos héros se dirigèrent donc vers la grotte la plus proche. Riobe essayait de ne pas trop rire de l'air dépité de la bushi, qui se creusait la tête pour se mettre à la place des criminels (méthode Nazodo de l'empathieu...) -la douleur le relançait chaque fois qu'un rire le secouait.
En montant vers les grottes, nos héros aperçurent en contrebas une petite cabane, à l'écart de tout autre habitation. L'endroit parut suffisamment louche à Ryu-san pour qu'on s'approchât de lui...
De toute façon, l'inspection de la grotte n'avait rien donné.
A l'entrée de la cabane, ils virent un homme portant daisho qui rentrait, les bras chargés de morceaux de bois. Il ressortit à l'arrivée de nos trois samuraï. Ryu l'interrogea onguement sur sa présence dans la région. Le rônin répondit sans éveiller de soupçon de Ryu. Puis elle partit faire le tour de la maison, par habitude.
Pendant ce temps, Riobe parlait à son tour à l'homme, et il ne lui fallut pas cinq questions pour nourrir des soupçons.
Quand ils rentrèrent dans la cabane, deux hommes armés s'y trouvaient, prêts au combat. On entendit alors des bruits venus de l'arrière de la maison. Ryu et Riobe affrontèrent les deux hommes, pendant que Hiruya allait immédiatement vers le fond de la cabane.
Riobe reçut une seconde blessure dans ce combat. Il eut peine à réprimer sa douleur. Ryu expédia à leurs ancêtres les samuraï deshonorés.
Hiruya revint : il avait bien entendu qu'il s'agissait des pleurs d'une femme. On avait enlevé le fils de cette malheureuse. Elle demanda aux samuraï de se mettre sous leur protection pour retrouver sa fille, au péril de sa vie. La femme appartenait à la famille Togashi. Ce n'était toutefois pas une Ize Zumi, car il est rare que les femmes soient admises dans cet ordre ascétique.

Après un court trajet, les samuraï et la femme arrivèrent en vue d'une autre cabane. Là était détenue la fille. Quand ils entrèrent, ils prirent complétement par surprise les deux crapules qui se trouvaient là : l'un d'eux était en train de boire et on entendait la fille qui sanglotait derrière.
L'un des deux Scorpions reprit sa contenance :
- Préférez-vous régler cela à l'intérieur ou à l'extérieur, samuraï ?

Ils ressortirent tous de la maison. Là, face à Ryu-san, avant de mourir, conscient, du reste, de son devoir de se sacrifier par loyauté, le Scorpion dit tout le mal qu'il pensait de Ryu, des Mirumoto et des Dragons en général : de leur inutilité complète, de l'absence complète d'efficacité de la technique du Nazodo, de leur absence d'intérêt dans l'Empire, de leur incapacité à reconnaître leurs ennemis, alors que les Scorpions savent tout d'eux, et peuvent anticiper à long terme et les mener par le bout du nez. Le Scorpion déploya tout l'art de la perfidie, de l'attaque verbale, de la hargne et du venin oratoire dont son clan était devenu le maître. Il en ressortait l'insignifiance et l'impuissance complète du clan du Dragon. Point par point, le Scorpion attaqua, sans rien épargner à Ryu-san...
L'homme mourut, tout comme son compère, face à Ryu et Hiruya, mais dans la mort, il emmenait la victoire par la parole.

Il restait à secourir la pauvre fille qui toussait, très affaiblie. Ryu-san lui donna un peu à boire, puis tous se hâtèrent de rentrer au palais d'Akuma-sama.




:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 16:04

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 7e Episode
Mois du Sanglier (fin de l'automne)


L'OFFRANDE AU CHÊNE PALE


L'interrogatoire d'Isawa Ayame

A la Cité du Repos Confiant, le surlendemain de l'arrivée d'Ide Soshu, de Shinjo Kohei et des autres Licornes, alors qu'Ayame-san travaillait de bon matin dans la bibliothèque, elle fut prévenue par une servante que deux membres de la famille Asako la convoquaient sur le champ. Ils étaient arrivés à l'improviste. Même si Akitoki-sama l'avait prévenue, Ayame fut quand même prise au dépourvu. Aller à l'interrogatoire de deux Inquisiteurs n'est pas chose aisée. Et Ayame avait plusieurs zones d'ombre dans son passé...

La gorge serrée, elle croisa Shiba Ikky, fidèle, qui attendait dans la cour du bâtiment, puis un jeune shugenja qui ressortait de l'interrogatoire. Humilié, vaincu, il retenait des larmes amères. Akitoki-sama n'était pas loin. Il jeta un regard dur et déterminé à Ayame : c'était une menace autant qu'un encouragement.
Ayame-san entra dans une petite pièce mal éclairée. Les deux inquisiteurs étaient assis au fond, sur deux simples tatamis, des parchemins à la main. L'un d'eux finissait de griffonner, tandis que l'autre la regardait entrer du coin de l'oeil.
La shugenja s'assit en silence, et se tint immobile, prête à répondre. Les deux inquisiteurs la regardèrent fixement. Il s'agissait pour Ayame-san, comme pour les autres élèves Isawa, de répondre à une série de questions. Les Inquisiteurs désiraient simplement connaître son avis. Il exigeait d'elle des réponses simples et sincères. Qu'elle dise ce qu'elle pense sur chaque sujet.
Ayame dit doucement qu'elle était prête. Chacun son tour, les deux inquisiteurs posèrent leurs questions et notèrent les réponses.


Q1 : Isawa Ayame, quel est votre élèment de prédilection ?
R : L'air

Q2 : Votre déficience ?
R : La terre.

Q3 : Pour commencer une question simple. Qui est le plus honorable ? Un jardinier impérial ou un Crabe sur la muraille Kaiu ?
R : Les deux peuvent être aussi honorables, s'ils accomplissent bien leur tâche.

Q4 : Qui détestez-vous le plus ?
R : Des rônins sans honneur, que j'ai rencontrés par le passé. Je garde une grande colère contre eux.

Q5 : Qui aimez-vous le plus ?
R : Ma yojimbo, Shiba Ikky. Elle me sert avec un grand dévouement et fait honneur à son devoir.

Q6 : Les Iuchi, shugenja du clan de la Licorne, pratiquent une magie qui n'en appelle pas aux Fortunes. De plus, chaque étudiant peut apporter sa pierre à l'édifice et le faire évoluer à sa manière. Hérésie ou conception neuve de la magie ?
R : On ne peut remetttre en cause la magie des Isawa. Cependant, il est profitable d'étudier la magie des autres clans. J'ai visité les terres du clan de la Licorne. Quelles que soient leurs méthodes d'invocation, ce sont les Fortunes qui répondent aux Iuchi.

Q7 : Quel est le meilleur allié du clan du Phénix ?
R : Du point de vue de la philosophie, ce serait les Dragons, mais ce n'est pas encore tout à fait le cas. Actuellement, ce sont les Grues.

Q8 : Et quel serait alors le pire ennemi du Phénix ?
R : Aucun clan n'est vraiment l'ennemi du clan du Phénix. Ce sont des individus, plus que des clans, qui déclenchent des guerres. S'il fallait nommer un clan, ce serait les Lions, qui s'en prennent trop aux Grues et à ses autres voisins.

Q9 : Avez-vous déjà lu des parchemins de maho-tsukaï ?
R: Non, jamais.

Q10 : Vous connaissez sans doute Ryoko Owari Toshi, autrement appelée la Cité des Mensonges. Si l'on vous donnait 10 kokus, qu'achéteriez-vous dans cette cité ?
R : Je dépenserais cet argent pour acquérir des parchemins de valeur pour le clan.

Q11 : Tonbo Toryu, daïmyo du clan de la Libellule, a écrit : "Le Tao de Shinseï doit nous permettre de nous changer et d'accepter les changements dans le monde" ? Que pensez-vous de cette phrase ?
R : C'est une doctrine intéressante, qu'il est enrichissant d'étudier. Et je ne crois pas qu'elle aille contre l'Ordre Céleste. Au contraire, elle permet de mieux le comprendre.

Q12 : Seriez-vous honorée d'assister un ennemi dans son seppuku ?
R : Il est toujours honorable d'assister quelqu'un pour laver ses péchés et préparer sa prochaine vie.

Q13 : Est-il honorable d'engager pour de l'argent les services d'un bushi Guêpe en vue de venger un tort causé au clan ?
R : Oui, c'est envisageable, si c'est pour l'honneur du clan.

Q14 : Une question plus directe, qui a mis en difficulté plusieurs candidats. Les rônins appartiennent-ils à l'Ordre Céleste ?
R : Ils ont perdu leur place dans l'Ordre Céleste. Ils peuvent toutefois, à la limite, la regagner par une vie d'Honneur et de respect de l'Empereur.

Q15 : L'Empereur peut-il mentir ?
R : Non, si l'Empereur dit quelque chose, ce ne peut pas être un mensonge. Ses paroles sont nécessairement vraies.

Q16 : Dénonceriez-vous un de vos parents si vous découvriez qu'il est touché par la Souillure de l'Outremonde ?
R : J'essaierais d'abord d'aller en parler avec lui et je lui demanderais d'aller voir de lui-même la famille Asako. Je ne doute pas qu'il le ferait, car je ne doute pas de l'honneur des gens de ma famille.

Q17 : Et si votre daïmyo vous demandait de tuer un ennemi du clan en utilisant la maho-tsukaï ?
R : Je pense qu'il existe toujours un meilleur moyen de frapper un ennemi que d'utiliser la maho. Je servirais mieux mon daïmyo et mon clan si je ne recourais pas à la maho pour exécuter son ordre.

Q18 : Quel est votre sort de prédilection ?
R : Un sort de guérison. J'ai eu plusieurs voyages mouvementés récemment. Les kami de l'eau m'ont plusieurs fois aidée à soigner mes compagnons de voyage.

Q19 : Croyez-vous à l'existence des ninjas ?
R : Je crois qu'il existe des gens qui se font passer pour ces créatures de l'ombre en se déguisant, mais je ne crois pas à leur magie.

Q20 : Une parole en désaccord avec une parole de Shinseï est-elle à coup sûr un mensonge ?
R : Si je lisais une telle parole, je passerais beaucoup de temps pour savori si cette phrase est réellement en opposition avec Shinseï (qui peut prétendre dominer toute la sagesse du Tao ?) Si par ma propre étude, je ne pouvais décider, j'en ferais appel à des gens plus éclairés. Et si ces gens me le confirmaient, alors oui, dans ce cas, j'admettrais que cette parole est un mensonge.

Q21 : Si vous aviez la responsabilité d'un village d'eta, et que ce village était ravagé par une maladie contagieuse, menaçant d'infecter les villages alentours, feriez-vous brûler le village ?
R : Non, je crois que toute vie est respectable. Je ne pourrais pas sacrifier ces gens.
Q : Même si la contagion menaçait la vie d'un seul membre de l'Ordre Céleste ? 1 seul samuraï pour la ville de 1000 etas ?
R : Non, je crois que le samuraï devrait comprendre quelle est sa place dans l'Ordre Céleste. Je ne pourrais pas faire tuer 1000 etas pour lui.

Q22 : Etes-vous d'accord pour dire, à la suite de la célèbre Otomo Madoko, "qu'une cour d'hiver est aussi périlleuse qu'un champ de bataille ?
R : Certaines personnes peuvent se deshonorer dans ces cours, alors oui. Les paroles de Sun Tao sur la guerre qu'Otomo Madoko a appliquées à la cour, peuvent être utiles.

Q23 : Faut-il accorder plus d'importance à un témoignage sur l'honneur ou aux preuves matérielles ?
R : Si des preuves matériels existaient, j'insisterais un peu plus dans la discussion avec ce samouraï pour qu'il reconnaisse ses actes (s'il est honorable il le fera). Mais au final on ne peut se permettre de remettre en cause la parole d'un samourai honorable.

Q24 : Envisagez-vous de vous marier ? d'avoir des enfants ?
R : Si cela peut servir la famille et le clan, oui. Mais de moi-même, je préfère me consacrer aux études magiques.

Q25 : Fu-Leng étant un kami, ne faut-il pas le vénérer à l'égal de ses frères et soeurs ?
R : Non, car Fu-Leng a déchu. Ceux qui voudraient le vénérer ainsi seraient des hérétiques.


Premiers frimas d'hiver

Passablement fatiguée par son interrogatoire, Ayame-san trouva dans la cour de l'Académie Akitoki-sama, ainsi que sa fidèle yojimbo, Ikky-san, et Shinjo Kohei. Elle leur déclara qu'elle avait répondu du mieux qu'elle avait pu au question des deux dignitaires Asako. Akitoki-sama informa alors les deux Phénix qu'ils se rendraient le surlendemain à la Cité du Chêne Pâle, pour y recevoir officiellement leurs invitations à la cour d'hiver.
Les deux Phénix passèrent la journée en ville avec Kohei-san, puis Ayame rencontra son daïmyo en privé. Elle désirait s'informer de ce qu'il était advenu du parchemin qui avait servi à l'accuser à Heibetsu, le parchemin prétendûment de maho utilisé par Nahoko. Depuis sa rencontre avec le magistrat Kitsuki Hanbei, Ayame avait des doutes sur ces écrits. Akitoki-sama lui répondit que ce parchemin avait été confié à la sagesse des Asako, que ceux-ci n'avaient pas reparlé de ce parchemin et qu'ils ne le feraient que quand ils l'estimeraient nécessaire. Ayame remercia, s'inclina, puis partit. Voilà une piste d'enquête qui se refermait pour elle.
Durant la journée du lendemain, Kohei-san eut le grand honneur d'être admis dans le dojo où s'entrainait Ikky. Le claquement des botten retentissaient de chaque terrain d'entrainement, ainsi que les cris guerriers des duellistes et les odres de leurs maîtres d'armes. Ikky-san se battit contre trois samuraï et en vainquit deux. En tant que yojimbo, il était essentiel qu'elle ne relache jamais son entrainement. Kohei-san fut invité à combattre face à elle. Fulgurante, échauffée par les combats précédents, la yojimbo ne laissa aucune chance au Licorne et le frappa en moins de temps qu'il n'en faut pour battre un cil.
S'avouant vaincu, et honoré d'avoir pénétré dans ce sanctuaire de l'école Shiba, Kohei-san se retira du terrain.
Une journée se passa dans la paisible Cité du Repos Confiant, puis les deux Phénix, leur daïmyo, ainsi que Ide Soshu et son yojimbo Shinjo Kohei partirent vers la Cité du Chêne Pâle.

:samurai:

Après un voyage dans la douce campagne de Rokugan, sous les rayons incertains et déjà plus froids de dame Soleil, dans les premiers frimas de l'hiver, la délégation arriva en vue de la Cité. Habillés de leurs kimonos et atours cérémoniels, les Phénix et les deux Licornes se rendirent devant l'arbre vénérable au pied duquel un ancien Empereur avait fait enterrer sa bien-aimée. De nombreux pélerins affluaient vers le Chêne, qui pour y acheter des racines aux verts médicinales, qui pour lui demander sa protection, qui pour trouver la sagesse... De longues prières furent dites par Akitoki-sama et son élève Ayame, afin d'attirer la bénédiction du Chêne sur les arrivants. Puis les samurai se rendirent au palais pour y trouver leurs chambres. Le daïmyo de la Cité était absent, mais son intendant veilla à accueillir selon les rituels d'hospitalité la délégation menée par Isawa Akitoki.
Le soir-même, une petite réception fut organisée dans les jardins d'hiver du splendide palais, qui abandonnait sa rougeoyante beauté d'automne, pour se parer de ses ornements d'hiver. Outre nos héros, Akitoki et Soshu, se trouvaient là plusieurs dignitaires Phénix, ainsi que deux bushi du clan de la Grue. Kohei-san eut du mal à rester droit et impassible toute la soirée, aux côtés du magistrat Soshu, à entendre de fines discussions politiques dont il ne saisissait que peu les ficelles. Il apprenait la patience... Ikky-san en revanche se mêla plus volontiers aux conversations. Elle entendit les nouvelles rapportées par Daidoji Yajinden, contrôleur du commerce avec le clan de la Mante. Sévère, froid, une de ses pupilles très pâle, le bushi Grue n'inspirait pas confiance. Il avait typiquement le visage de celui qu'on charge d'apporter les mauvaises nouvelles. De fait, Yajinden-san racontait ses inquiétudes quant au mouvements des armées Crabe. Les marchands itinérants Yasuki démentaient tous fermement que le daïmyo Hida Kisada pût avoir des velléités guerrières. Il n'en restait pas moins que le mépris du Grand Ours pour l'Empereur Hanteï 38 n'était un secret pour personne. Et le jeune Empereur actuel ne semblait pas épargné par les quolibets du chef des Crabes. Daidoji Yajinden craignait que les gardiens de la muraille Kaiu ne faillissent à leur devoir... Il n'osait en dire plus, mais ses sous-entendus étaient lourds de sens, comme des nuages noirs sont lourds d'un orage...

Ayame-san ne s'était pas mêlée des conversations. Elles se promenaient dans les allées du jardin, seule au milieu de ces plantes et ces arbres qui frissonnaient. Elle préférait la compagnie des bassins, des rochers, des massifs de fleur. Au détour d'une allée, derrière un vieux cerisier tremblant, elle rencontra le second samurai de la Grue. C'était un jeune homme à l'air timide, dont le kimono n'était pas orné des motifs somptueux habituels aux gens de son clan.
La shugenja se présenta, et salua le bushi Grue. Ce dernier sourit, toussota et s'excusa, l'air gêné par son aspect sans magnificence :
-Veuillez me pardonner, Ayame-san, mais je n'appartiens pas au riche clan de la Grue. Je ne suis qu'un humble Moineau. Mon nom est Suzume Yugoki, et mon père est le daïmyo de notre clan.
Ayame sourit et se déclara honorée de rencontrer un fils de chef de clan, même mineur. Poliment, Yugoki-san refusa d'être si bien considéré par une shugenja d'un prestigieux clan de Rokugan. Lui n'était qu'un Moineau, et il n'était pas à l'aise dans le monde des cours d'hiver, parmi tous ces grands seigneurs. Il n'en était pas digne. A quoi Ayame répondit que les grandes cours ne recèlent pas plus de sagesse que le plus humble des clans. Elle non plus n'appréciait pas les mondanités fastueuses. Elle sentait qu'elle y perdait son temps. Elle préférait se consacrer aux études et à la sagesse. Content de trouver une personne partageant son sentiment, Suzume Yugoki déclara qu'il serait ravie si Ayame-san acceptait son invitation pour le lendemain. Le jeune homme, le temps de son séjour à la Cité du Chêne Pâle, habitait dans une petite maison à la sortie de la ville. Il y réunissait pour le lendemain quelques invités. Ayame-san refusa par deux fois, et accepta la troisième. Elle accepta également de transmettre l'invitation aux deux Licornes, Kohei et Soshu.


Orages et desespoirs à Heibetsu

Les deux samuraï sortirent les wakizashi des fourreaux, et ensemble, les enfoncèrent dans leur ventre.
Se retenant de prononcer des gémissements de douleur, ils firent couler leurs sangs et répandirent leurs intérieurs sur la natte du sacrifice. Sans plaisir, Akuma-sama regarda la vie quitter le corps de ses deux serviteurs.
Les etas emmenèrent vers le bûcher les deux Mirumoto qui rejoignaient déjà le Jigoku.
Ainsi l'exigeait l'honneur du clan, bafoué une fois de plus par de cruels et insaisissables ennemis. La colère d'Akuma-sama, contenue la plupart du temps, s'accumulait à la manière des nuages noirs, dont on attend qu'ils délivrent leur fureur d'un moment à l'autre.
Piteux, honteux, nombre des samuraï envoyés en battue revenaient bredouilles. On se moquait de l'autorité des Dragons, on s'attaquait à elle sans vergogne, et impunément. Deux hommes avaient lavé de leur sang cet échec retentissant.
Une ambiance lourde comme le couvercle d'un chaudron pesait sur Heibetsu. Akuma-sama ne trouvait plus de mots pour qualifier les échecs à répétition de ses samuraï. Ils étaient mis en déroute par les ravisseurs aussi facilement que des gamins. Même les talents d'enquêtrice de Ryu-san n'avaient pu empêcher une nouvelle tragédie de se produire : le lendemain du retour au palais, la petite fille qu'elle avait secourue succombait à un mal inconnu, dans la nuit, tandis que Ryu se tordait de douleur. Le médecin ne tarda pas à diagnostiquer l'ingestion de poison. Notre héroïne y avait survécu, mais la petite fille était vaincue.
C'était bien une mise en scène : les deux hommes dans la cabane, à dessein, avaient bu à la coupe pour donner le change. Leur piège odieux avait fonctionné.
Même l'honneur du capitaine Taro ne tenait plus qu'à un fil. Et Ryu, malgré elle, avait causé la mort d'une enfant. Quant à la mère de cette enfant, elle avait disparu.
L'ignominie des bandits ne connaissaient plus de limite. D'autant qu'on ignorait leur but. L'interrogatoire d'une de ces crapules mit en évidence une organisation minutieuse, montée pour frapper en plein coeur l'honneur des Dragons.
Quant à Hiro, le traître de la Grenouille Riche, poursuivi par Riobe, il n'était pas le dernier à tremper dans cette affaire...
Apprenant cela, Akuma-sama laissa éclater sa rage et ordonna à Ryu de partir en campagne contre Hiro, et de ne pas revenir avant de lui avoir pour de bon décoller la tête des épaules. C'est ainsi que Ryu-san, Riobe, ainsi que Hiruya-san, qui prenait à coeur de retrouver Hiro, quittèrent Heibetsu en direction des terres du Phénix. Un des complices avaient indiqué que Hiro rejoindrait la côte, puis tenterait de partir en mer grâce à un passeur clandestin nommé Gempachi...

Les Yobanjin

Nos héros avaient profité de plusieurs jours de repos avant d'être renvoyés sur la route, le temps de soigner les plaies ouvertes par les combats dans la forêt et la montagne.
Leur voyage héros les emmena vers la frontière directement, puis vers la Cité du Chêne Pâle. En effet, un Ancêtre de Hiruya avait sauvé jadis un Ancêtre du daïmyo de la Cité, Isawa Masanaga en personne. Si bien que ce dernier était devenu un grand obligé de Hiruya. Et notre Grue comptait lui demandait l'hospitalité pour la route. De plus, les fêtes de l'hiver approchant, et Hiruya étant aussi à l'aise comme duelliste que comme courtisan, ce n'était pas un moindre intérêt que de gagner par Masanaga-sama son entrée pour une cour prestigieuse...
Quand ils arrivèrent en vue de la Cité, un grand tumulte y avait lieu. Des hommes hirsutes, armés de bâtons grossiers et d'armes de paysans, poilus, habillés comme des barbares, attaquaient des bâtiments dans le faubourg de la Cité. Aussitôt, Hiruya, Ryu et Riobe se précipitèrent sus à l'ennemi. A l'autre bout de la rue, d'autres samuraï attaquaient de front les assaillants.
Il s'agissait de Shiba Ikky et Shinjo Kohei, côte à côte, qui faisaient front contre les barbares. Taillant à vif, les katanas luisant au soleil firent jaillir des gerbes de sang et provoquèrent morts et douleurs rapides chez l'ennemi. Ceux-ci ne tardèrent pas à s'enfuir, alors qu'arrivait la garde de la ville. Alors que les fuyards se dispersaient, les flèches les frappaient net. Les sabres n'étaient pas rengainés qu'une forte troupe à cheval entrait au trot dans la ville. Brillant des couleurs coruscants du Phénix, le cortège était flamboyant. A sa tête, Isawa Masanaga, daïmyo de la Cité du Chêne Pâle.
Il remercia nos héros, et spécialement Kakita Hiruya, pour cette arrivée providentielle ! Comme ça tombait bien ! Et nos héros se trouvaient soudain réunis, par le jeu des Fortunes !
Seul grimaçait le modeste Suzume Yugoki : il avait perdu une occasion de converser avec Isawa Ayame.


L’offrande à Isawa Masanaga

La cérémonie de demande des invitations à la cour d’hiver se tenait deux jours plus tard. Nos héros, ainsi que Soshu-san, se réunirent pour réfléchir ensemble aux cadeaux pour Masanaga-sama. Soshu-san avait déjà prévu un présent : un roman écrit par un magistrat Licorne qui relatait des aventures sur les terres du Phénix. Kohei-san avait prévu d’offrir au puissant daymio un biwa traditionnel de son clan.
Il était exclu que Riobe puisse se présenter à une cour d’hiver.
Ayame et Ikky devaient trouver un présent de valeur, en tant que sujets d’Isawa Masanaga ; de même pour Ryu-san, représentante du clan du Dragon, et plus encore Hiruya, en sa qualité d’ami de Masanaga. En effet, la dette du Phénix envers le Grue ne se perdait pas, malgré la différence de statut dans l’Ordre Céleste des deux hommes.
Nos héros se creusèrent la tête ensemble. Puisqu’ils venaient à la cour d’hiver et se connaissaient bien, ils pensèrent lier thématiquement leurs cadeaux. Pourquoi ne pas composer un ensemble harmonieux, une offrande collective ? L’idée aurait de quoi plaire à un amateur de belles choses comme le daymio du Chêne Pâle.

Kohei-san, qui connaissait les talents de calligraphe d’Ayame, lui suggéra l’idée de réaliser une composition devant le daïmyo, sans la préparer à l’avance, pour montrer la force de son inspiration, sa maîtrise du pinceau. N’étaient-ce pas au fond les enseignements du senseï Rosanjin ? Mais Ayame rejeta l’idée : trop dangereux, trop hasardeux ; un geste déplacé et son cadeau deviendrait un pitoyable brouillon, une injure à la face de Masanaga.
Les samuraï continuèrent à réfléchir. Une idée faisait son chemin dans l’esprit de Hiruya.
Et si justement, ils réalisaient tous une offrande non seulement commune, mais réalisée devant le daïmyo ? Pourquoi ne pas risquer ce pari ? Composer ensemble un cadeau, le réaliser sans préparer d’avance !
L’idée parut folle, insensée, au premier abord.
Puis elle commença à titiller l’orgueil de nos héros. Improviser un cadeau, rien de plus dangereux… mais rien de plus éclatant, de plus surprenant, de plus glorieux s’ils réussissaient !

Ils discutèrent de leurs talents respectifs longuement, se prenaient au jeu de plus en plus, voyant leur œuvre commune germer peu à peu, se persuadant de plus en plus que la chose était possible… Oui, ils allaient frapper un grand coup pour commencer ! Ils n’offriraient pas seulement des cadeaux de bonne facture mais ordinaires, comme le daïmyo Masanaga en voyait tant.
Ils allaient l’impressionner durablement par cette tentative sans doute inédite… Les heures filèrent comme le vent, pendant que le projet commun mûrissait.

:samurai:

Deux jours plus tard, dans la somptueuse salle de réception du palais du Chêne Pâle, l’illustre Isawa Masanaga recevait les courtisans qu’il inviterait à sa cour d’hiver. De somptueux cadeaux lui étaient présentés par de nobles samuraï. La grande artiste Asahina Masumi lui présenta un somptueux kimono de sa confection, aux motifs fins, harmonieux, au tissu léger, aux formes amples ; Shiba Rosanjin présenta une magnifique calligraphie qui lui avait demandé des dizaines d’heure de travail : un chef d’œuvre au sens vrai du mot, une réalisation d’un maître en la matière ; Isawa Akitoki, daymio de la Cité du Repos Confiant, offrit pour sa part une cage en ferronnerie délicate, avec deux couples d’oiseaux multicolores et radieux.
D’autres courtisans offrirent eux aussi des présents dignes du Chêne Pâle, des trésors qui réjouissaient la vue.
Entrèrent alors en dernier nos héros. Tous les autres courtisans s’étaient assis sur les coins de la pièce, droits sur leur tatami, jaugeant de leurs regards impitoyables les nouveaux venus, qui faisaient leur première apparition pour une cour d’hiver. C’était pour eux une épreuve critique.
Visiblement, ils n’arrivaient avec aucun cadeau. On s’attendit un moment à ce que des serviteurs arrivent avec les présents, mais non.
Ils s’étaient agenouillés face à Masanaga-sama, rituellement, mais sans ajouter aucun mot de trop. Ryu-san s’était mise devant. Derrière elle, Ayame-san puis Hiruya-san, puis derrière, côte à côte, Kohei-san et Ikky-san, chacun un instrument à corde à la main.
Un serviteur arriva alors, et disposa diverses fleurs en abondance, en demi-cercle, devant Ryu. Puis il disposa un parchemin et de l’encre devant Ayame.
Dans la grande salle, le silence s’était fait. Que préparaient donc ces jeunes coqs ?...

Nos héros restèrent quelques instants immobiles, puis, dans un bel ensemble, se mirent à œuvre . Au son des instruments d’Ikky et Kohei, qui procuraient un accompagnement plaisant, Ryu se mit à composer selon l’art du Ikebana, l’art des bouquets de fleur. Pendant ce temps, Ayame-san commença à exécuter une composition sur son parchemin, qu’elle seule pouvait voir. Seul Hiruya restait immobile, les yeux fermés, concentré.
Les courtisans penchaient la tête en avant pour apercevoir ce que composaient les samuraï. Leur stupeur grandissait, et certains parvenaient (mal) à le dissimuler derrière un sourire ironique et blasé. Au bruit des deux instruments, Ryu assembla avec sûreté et maîtrise un magnifique ensemble floral. Le pinceau d’Ayame caressait le parchemin avec juste ce qu’il faut de nervosité et d’allant. Masanaga-sama ne disait rien, mais ne voulait retenir un sourire de satisfaction. Il pressentait déjà quelque chose de très grand chez ces samuraï.
Et la question qui, tacitement, se posait chez tous les courtisans, était de savoir si nos héros allaient réussir leur exploit. A vrai dire, piqués dans leur jalousie, plusieurs espéraient que non, qu’ils échoueraient lamentablement, et qu’ils seraient poussés au seppuku pour réparer l’affront !
D’autres souhaitaient ardemment les voir réussir cette prouesse, et s’en mordaient les lèvres d’inquiétude : nommément Shiba Rosanjin et Isawa Akitoki, qui surveillaient de très près les doigts d’Ikky se promenant sur les cordes et le pinceau d’Ayame qui voyageait sur le papier.

L’exécution se poursuivit, dans le rythme de plus en plus prenant et envoûtant des guitares, nos héros entraînés dans leur création collective. Immobile, les yeux fermés, Hiruya n’en était pas moins traversé par les mouvements, les formes et les images que créaient ses compagnons.
Enfin, comme elle avait commencé, l’exécution se termina. Le son des guitares tomba brusquement. Les courtisans retinrent leurs respirations. On allait enfin voir ce qu’on allait voir ! C’était enfin le moment de vérité !
Isawa Akitoki avait la gorge nouée. Quelle idée il avait eue de donner son consentement à pareil projet ! Ça ne lui ressemblait pas de céder aux enthousiasmes juvéniles ! Il savait pourtant brimer ses samuraï, à commencer par Ayame. Mais cette fois, c’est elle qui l’avait bien entourloupée. Oh, elle le payerait très cher si elle décevait l’attente de Masanaga-sama !
De son côté, Rosanjin-senseï se réjouissait par avance de pouvoir rendre un jugement impitoyable sur le torchon qu’avait déjà commis Ayame !

Ryu-san s’avança, son bouquet à la main. Humblement, elle le présenta au daymio, et expliqua qu’elle l’avait conçu sous la protection de la Fortune du travail honnête. Elle avait eu de la peine à réunir ses fleurs, et de la peine à composer le bouquet. Ces fleurs représentaient donc le dévouement et l’attachement du samuraï à ses devoirs.
Masanaga-sama la félicita alors pour ce magnifique bouquet - et magnifique, le mot n’était pas de trop. Tous durent le reconnaître : l’alliance des coloris, la vigueur des mariages de senteur, le déploiement épanoui du tout, on ne pouvait rien trouver à y redire. C’était une composition vraiment digne d’un maître du Ikebana, dans un style classique parfaitement maîtrisé. L’assistance en fut soufflée et nos héros les premiers, qui ne connaissaient pas ce talent à Ryu.
Ce fut au tour d’Ayame-san. Plusieurs courtisans, dans l’assistance, au courant de ses idées farfelues, divergentes, sur le Tao, espéraient son déshonneur proche.
L’encre venait de sécher. Sur le parchemin, des formes souples, pleines d’aisances, avaient été dessinés. Les motifs entrelaçaient des symboles représentant l’anneau de l’Eau, élément de prédilection du shugenja Masanaga, le mon de la famille Isawa et celui de la Cité du Chêne Pâle. C’était un travail délicat, très spontané, qui faisait vraiment honneur à tout ce qu’était le daïmyo, en tant qu’il était un samuraï dont tous reconnaissaient les nombreuses vertus, entrelacées vigoureusement pour former un homme complet, qui incarnait toutes les facettes de la culture rokugani.
Ayame fut remerciée pour son cadeau. Et parmi les courtisans, on soupirait de soulagement, ou on s’étranglait de rage. Ou plus simplement, on appréciait cette belle œuvre.

Ayame s’inclina, et se recula. Ce fut au tour de Ikky de s’avancer. Elle posa son instrument sur ses genoux, déplia devant elle un parchemin et lut ce poème de sa composition :

Masanaga-sama,
Noble seigneur des eaux
De la famille Isawa
Vous êtes le hérault

Quels que soient les dangers
Par monts et par vaux
En puissance vous dépassez
Celle des yojimbos.

Mais votre vie si précieuse
Et votre âme si pieuse
Ne mérite qu’un prix :
Le sacrifice de nos vies.

Noble seigneur des sciences
Mon bras est le vôtre
Que rayonne votre connaissance
Que sa lumière soit nôtre.


Le dédicataire du poème remercia Ikky-san pour cette composition, appréciant la justesse si suggestive du portrait, et le dévouement qu’il reflétait de la part de la yojimbo, étant entendu que c’est ce dévouement qu’on attendait des gardes du corps du clan Phénix.

Pendant que Ikky se déplaçait sur le côté, Kohei-san s’avança et joua un morceau de son clan, aux tons étranges et surprenants, parfois envoûtants, parfois mystérieux, toujours plein d’une force assurée. Kohei-san expliqua ensuite, en quelques mots, que cette musique, jouée dans les feux de camp des armées, évoquait les voyages dans les plaines immenses, le sentiment de liberté du cavalier dans le galop, le tonnerre des sabots de dame Shinjo, la vie dans les grands espaces. Masanaga-sama le remercia pour ce cadeau si original et inattendu, à l’image du clan de la Licorne. Puis les deux musiciens se mirent côte à côte et offrirent leurs instruments au daïmyo, avant de s’écarter, pour laisser s’avancer Hiruya. Celui-ci sortait de sa méditation. Droit, assuré, parfaitement présent, ni timide ni arrogant, il déclama avec éloquence ce discours :
Une fois auparavant, un tel cadeau a été fait à un noble daïmyo, par de jeunes samuraï, pour le remercier de leur avoir offert de participer à sa cour d’hiver. La représentation était faite à l’identique, composée de la sagesse des Isawa, de la dévotion des Shiba, de la franchise des Mirumoto, de la vaillance des Shinjo et de l’élégance des Kakita.
Cette cérémonie fut considérée comme un symbole du jeu des Fortunes, protectrices du domaine de leur hôte. Nous espérons ne pas avoir été trop indignes du souvenir de cette époque lointaine, où furent consolidés les liens entre ces jeunes samuraï et leur noble daïmyo.
Ceci eut lieu sous le règne d’Hanteï XXVIII. Puisse cette modeste et éphémère œuvre d’art plaire à Masanaga-sama, daïmyo de la Cité du Chêne Pâle, sous l’égide de Hanteï XXXIX.

Par deux fois, le noble daïmyo refusa le cadeau, s’en disant indigne. Et devant la résolution affichée par Hiruya-san, au nom de tous, il finit par accepter. Intérieurement, il s'inclinait devant cette magnifique prestation, dont se souviendrait longtemps le palais du Chêne Pâle.

Le portail des cours d’hiver s’ouvrait maintenant tout grand devant nos héros !





:samurai: STYLE ET BEAUTE, SAMURAI ! :sun:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 16:31

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

Leur offrande collective ayant été acceptée, nos héros s'inclinèrent ensemble devant le noble Isawa Masanaga, daimyo de la Cité du Chêne Pâle.
Tous les courtisans se levèrent alors, juste après le maître des lieux.
Son intendant, l'honorable shugenja Isawa Naoshige, un homme de grande taille, élégant, annonça aux invités qu'ils étaient invités au jardin d'hiver, en l'honneur des présents qu'ils venaient d'offrir au daymio. Ce dernier pour sa part se retirait, laissant ses invités aux bons soins de Naoshige-san. Masanaga-sama ouvrirait sa cour d'hiver au début du mois du Rat, et alors seulement il paraîtrait devant ses invités comme maître de la réception.
Cette année, les festivités avaient été ajournées de plus d'un mois, ce qui avait causé de grands émois, et nombre de rumeurs sur le fils du Ciel. Etait-il malade ? Avait-il des préocuppations extraordinaires ?
Le clan du Phénix avait été choisi au dernier moment pour accueillir Hanteï 39 Sotorii, et nombre de courtisans avaient passé le mois du Sanglier claquemurés dans leurs grandes demeures, à dépérir d'ennui en attendant l'annonce des festivités.
C'est donc avec un vif plaisir qu'enfin ils pouvaient commencer à jouir de la vie hivernale rokugani. Et l'arrivée de ces jeunes courtisans, qui offraient ensemble leurs cadeaux spontanés à Masanaga, cela promettait de bonnes surprises. Certains se promettaient déjà de ne faire qu'une bouchée de ces prétentieux jeunes samuraï, d'autres espéraient qu'ils apporteraient de l'air frais dans le monde fermé des cours.

:samurai:

Nos héros n'avaient pas mis les deux pieds dans le grand jardin d'hiver qu'ils furent apostrophés par un courtisan. Ce dernier, avec forces exclamations d'admiration, se dirigeait vers Kakita Hiruya. Devant tout le monde, il félicita Hiruya-san pour sa prestation, puis se fit présenter à nos autres héros, les félicitant à leurs tours. Il se nommait Doji Itto. Notre Grue le connaissait au moins de réputation : bon vivant, séducteur, beau parleur, c'était un vétéran des cours, un animal de palais d'hiver, rompu à cette vie d'apparence.
Il s'avérait fort bavard, très dissert à complimenter les jeunes samuraï pour leur oeuvre. Ce ne pouvait être un geste gratuit de sa part... Déjà, l'avisé Doji avait remarqué la très belle Mirumoto Ryu, et il commençait une avancée directe vers elle, semblable à une approche tactique au champ de bataille. Il la félicitait de sa maitrise de l'art floral, le Ikebana : elle avait réalisé une véritable merveille avec ce bouquet !
Et Itto-san se montrait très intéressé par cet art si original. Il voulait tout savoir de l'école Dragon où l'on apprenait, si Ryu-san consentirait à lui confectionner un tel bouquet en échange d'un cadeau etc. Malheureusement, comme naguère un autre ami de Hiruya (lors d'un dîner à Heibetsu), Itto-san se heurta à un mur. Ryu-san répondait en effet qu'elle avait agi sous le coup d'une inspiration quasi-divine, qu'elle ne pourrait jamais refaire cela une seconde fois. C'était une oeuvre unique. Et elle ne se montrait pas intéressée par les présents que pouvait lui apporter Itto-san.
Ce dernier, l'appétit aiguisée par cette jeune femme, prit Hiruya à part.
- Voyons, vous savez sans doute ce qui lui ferait plaisir. Elle me résiste, et j'aime cela. Mais toute femme a un désir dans son coeur. Et moi, je me fais fort de le combler. Que savez-vous sur elle ?
Prudemment, Hiruya tenta de dissuader le courtisan. Puis, comme cela ne faisait que le renforcer dans son envie de séduire Ryu, il dit carrément :
- A vrai dire, Itto-san, je ne sais pas quel cadeau lui ferait plaisir. Je ne l'ai jamais vue si heureuse que quand elle tapait des bandits...

Itto-san fit une moue franchement surprise, puis déçue. Allons, il parviendrait bien à ses fins... Une samuraï du Dragon, d'une beauté si perçante, adepte de l'Ikebana... non, il ne pouvait pas la laisser passer, une telle perle rare ! Sa réputation fleurirait, pour le coup, comme jamais, s'il pouvait l'ajouter à son tableau de chasse !
Il la regarda en coin, d'un air entendu, hochant la tête, préparant déjà ses plans. Elle serait là pour la cour d'hiver. Et lui, Doji Itto, serait prêt.

:samurai:

Ayame-san reçut les compliments, modérés toutefois, de son daymio, Akitoki-sama. Disons que ce dernier ne la réprimanda pas. Ayame-san s'inclina, puis s'approcha de Rosanjin-senseï. Ce dernier était en grande discussion avec une femme d'un certain âge, arborant les couleurs de la Grue. Quand le senseï calligraphe le jugea bon, il fit signe à Isawa Ayame et Shiba Ikky d'approcher, et il leur présenta Asahina Masumi, grande artiste de l'école Kakita. Celle-ci fit chorus aux compliments donnés à Ayame. Elle avait reconnu une grande qualité d'exécution dans la calligraphie de la shugenja, et dans la musique et la poésie d'Ikky. Caressant sa longue barbe pointue, Rosanjin-senseï fit remarquer à Asahina Masumi-sama qu'Ayame avait (presque) tout appris de lui ! La shugenja dit qu'elle n'était pas digne de ces compliments. Mais la grande artiste Masumi insista : la jeune femme se plairait tellement sur les terres de la Grue. Elle pourrait découvrir tellement de choses, elle pourrait découvrir l'école Kakita par exemple. Ayame, qui ignorait quels arts pratiquait Masumi-sama, dit qu'elle serait honorée d'assister à une création de cette dernière.
Les deux Phénix laissèrent Masumi-sama et Rosanjin-senseï à leurs discussions. Dans le jardin, plusieurs dignitaires Phénix se trouvaient là, en discussion avec un important Licorne, dont Soshu et Kohei écoutaient la conversation sans intervenir.

Suzume Yugoki, le jeune Moineau, qui n'avait pas oublié la rencontre manquée avec Ayame-san, vit que celle-ci et sa yojimbo étaient libres de conversation. Prudemment, il commença à s'approcher d'elles, s'intéressant soudainement aux pierres d'un bassin, ou aux feuilles qui tombaient du prunier... Son manège n'avait pas échappé à Ikky-san, qui laissa sortir cette remarque :
- Voici votre petit ami.

Le rouge de la gêne monta aux joues de Yugoki-san, comme la séve dans l'arbre au printemps. Il se détourna et alla observer plus loin un oiseau imaginaire sur sa branche... Plusieurs courtisans retinrent leurs rires. Crispée, Ayame-san remit à plus tard les réprimandes pour la gaffe d'Ikky-san.
Mais le Moineau n'allait pas se laisser décourager. Peut-être que cette yojimbo était jalouse. Il lui vint une idée. Il alla se présenter à Kakita Hiruya, et échangea avec lui quelques mots polis, puis en vint à dire qu'il aimait particulièrement la calligraphie, que lui même pratiquait. Et il avait beaucoup aimé la composition d'Ayame-san. Il se rendait compte qu'il n'avait jamais été présenté à elle dans les formes. Hiruya-san, souriant d'un air entendu, accepta d'introduire Yugoki-san. Il laissa là sa discussion avec Doji Itto, puis alla parler à la shugenja, et fit les présentations dans les règles de la politesse. Suzume Yugoki se disait très honoré. Il bafouillait quelque peu, lui pourtant connu pour son éloquence...
Il dit à Isawa Ayame combien il avait apprécié sa calligraphie. Puis, il lui dit que son père, le daimyo Suzume Kashira, avait coutume d'inviter chaque année un shugenja pour bénir les récoltes du clan, au début du printemps. Quel honneur ce serait, pour les braves samuraï-paysans du Moineau, de voir leurs terres sous la protection des Fortunes, et qui plus est, grâce à une shugenja de la maison Isawa !
Sans doute, si Akitoki-sama faisait cet insigne honneur, Kashira-sama, dans la mesure de ses maigres moyens, ferait tout pour rendre cet honneur au clan du Phénix.
Ayame dit qu'elle était d'accord pour venir sur les terres Suzume. Tout émoustillé, Yugoki-san dit qu'il ferait de son mieux pour persuader l'ombrageux Isawa Akitoki d'accepter ce voyage.

La soirée se termina agréablement.
Dès le surlendemain, nos héros repartaient sur les routes. Ide Soshu et Shinjo Kohei se rendaient à une bibliothèque sur la côte, afin que le magistrat puisse y étudier des textes de lois, avec plusieurs de ces frères d'école. Les deux Licornes furent placés par Akitoki-sama sous la responsabilité d'Ayame. Quant à Mirumoto Ryu et Kakita Hiruya, ils devaient retrouver le passeur clandestin Gempachi sur la côte. Riobe aussi était du voyage, car il avait toujours mission de retrouver le criminel Hiro.
C'est ainsi que tous nos héros partirent vers la côte du Phénix, en direction de la Cité de la Forêt des Ombres...




La 5e Réincarnation : 8e Episode

Mois du Sanglier (fin de l'automne)

TOUS CEUX QUI VIVENT DANS LA NUIT (ET DANS LES OMBRES QUI RAMPENT...)

"Croyez-vous aux coïncidences ?... Moi pas." -Emmon.




Sur les chemins du Phénix

Nos héros partirent de bonne heure, comme à l'habitude. Ils voyageaient ensemble dans l'Empire d'Emeraude depuis plus de trois mois. Depuis la fin de l'été, et leur rencontre au tournoi de Yamasura, jusqu'à maintenant, alors que l'Empire s'enfonçait doucement dans l'hiver, comme un ours qui s'apprête à s'endormir jusqu'au printemps.

La journée avant le départ, Ayame avait passé plusieurs heures en bibliothèque, impatiente d'en apprendre plus sur le Gozoku, cette organisation qui s'était formée pendant une période troublée de l'Empire.
Ce qu'elle lut lui appris que la sécheresse frappa massivement Rokugan, sous le règne de Hanteï V. Les trois clans les plus touchés, le Phénix, la Grue et le Scorpion, demandèrent des pouvoirs exceptionnels afin de prévenir la famine sur leurs terres. Les dirigeants des trois clans ne tardèrent pas à réunir leurs pouvoirs pour former le Gozoku. Ils entreprirent de grands travaux dans tout l'Empire, des routes, des puits, des relais marchands... Le Gozoku, bénéficiant de l'appui de Hantei V parvint à sortir Rokugan de la crise engendrée par la sécheresse.
Les bienfaits qu'il avait apporté à l'Empire étaient très grands.

Le manuscrit que Ayame consultait était sérieux, écrit par un historien connu pour sa sévérité dans la recherche des faits historiques. La shugenja reposa le manuscrit. Pourquoi ce document faisait-il une histoire si élogieuse du Gozoku, alors que le senseï Kanera en parlait avec honte, comme d'une époque deshonorante pour les trois clans en question ? Evidemment, tout historien glorifie son clan... Que savait donc de plus le senseï du Vide que les historiens ?

Le voyage se déroula agréablement. Isawa Akitoki avait exigé de la shugenja qu'en chemin, elle fasse halte dans un petit village, à l'entrée de la forêt des Ombres. Les paysans se plaignaient d'esprits effrayants dans la région. Cependant, rien de grave ne semblait à redouter... Les braves cultivateurs avaient seulement dû être effrayés par des créatures magiques qu'ils ne connaissaient pas. Le daimyo avait beau donner le change, parler d'une affaire bénigne : Ayame redoutait le pire.
Elle s'excusa par avance auprès du magistrat Licorne de devoir retarder leur voyage. Mais Ide Soshu dit qu'il était honoré de voyager sur les terres du Phénix, et ajouta qu'il serait trop heureux d'aider Ayame-san dans sa mission, s'il le pouvait.

:samurai:

Le village qui requérait l'aide d'un shugenja était semblable à des centaines d'autres à Rokugan. Il était bien situé à la lisière de la grande Forêt des Ombres, objet d'incalculables légendes, superstitions et récits fantastiques. Dans ces conditions, croire qu'on discerne la nuit des créatures inconnues dans ces lieux, cela n'avait rien d'étonnant... Les paysans expliquèrent, certains tremblants de peur, que des créatures des bois avaient montré de l'hostilité contre plusieurs hommes des champs. D'autre part, il y avait des bandits, bien humains et pas du tout fantastiques qui rôdaient dans la région -toujours prêts à se réfugier dans la Forêt en cas de retraite précipitée...
Pendant que Kakita Hiruya et Shinjo Kohei, entre amis, allaient s'occuper des bandits, le reste du groupe pénétra dans la Forêt des Ombres...

Ils se mirent à suivre un petit sentier, où les paysans avaient rencontré les êtres mystérieux. Nos héros ne tardèrent pas à trouver ces derniers.
La froidure de la fin d'automne devenait plus sensible sous le couvert végétal. Les arbres se dépouillaient peu à peu de leurs feuilles, que le vent arrachait lentement mais sûrement. Alors qu'ils avaient bien avancé, ils virent approcher d'eux des créatures végétales, ressemblant de loin à des humains. Ils avançaient sur des racines, et se composaient de différentes sortes de plantes, l'ensemble leur donnant un air fantastique, sans doute effrayant pour un paysan, quoi que dans le détail, ils fussent parfaitement communs.
C'était des créatures intelligentes, qui firent preuve d'une maîtrise du langageRokugani. Ayame alla au-devant de celui qui venait en tête. Quand la shugenja exposa la situation, les créatures se plaignirent qu'au contraire, c'était les paysans qui les avaient attaqués. Il y avait un malentendu entre les deux espèces. Ayame engagea les pourparlers, pour tenter d'en apprendre plus.
C'est alors qu'arriva un jeune homme. Vêtu d'un haut de pantalon, coupé aux genoux, de grosses sandales et d'un tissu rustre sur le corps, une étrange lame dans le dos, vaguement semblable à un katana, une tignasse ébourriffée, un air sûr de lui et obstiné...
En plus d'être bizarrement habillé, ce qui pouvait encore passer, il parlait un langage... bien à lui.
- Hé le vieux, c'est qui ceux-là ?
Il s'adressait à l'émissaire des créatures avec qui parlait Ayame. Aussitôt, Ikky et Riobe mirent la main sur la garde... Comment ce heimin osait-il s'adressait à eux ?
- Qu'est-ce qu'ils viennent foutre dans notre forêt ?... Tiens, je me suis occupé des paysans qui vous embêtaient, et puis j'ai pris de quoi manger dans leurs champs...
La yojimbo et le rônin fulminaient déjà de rage. Il n'avait pas froid aux yeux, cet ahuri ! Quand à Ryu, en mission pour son daymio, elle choisit d'ignorer le nouveau venu.
- Salut, j'm'appelle Mugen et vous ? Qu'est-ce que vous faites là ?
"Le vieux", comme l'appelait le dénommé Mugen, montrait plus de politesse dans les propos : du moins essayait-il de comprendre les usages d'Ayame et ses amis avant de les brusquer. Mugen, volontairement ou non, ignorait complétement la politesse rokugani. Pourtant, il était bien humain... Quoi qu'à observer son comportement, c'était à se demander...


Mugen-no-jutsu !

Alors que les défis lancés par Mugen se poursuivaient, Ayame tentait de parler avec le chef des créatures sylvestres. Celles-ci étaient apparus dans Morikage [la forêt des ombres] de nombreuses lunes auparavant. Auparavant – c’est ce qu’Ayame comprit – elles avaient vécu dans Shinomen Mori, où elles avaient fréquenté les Nagas. Mais elles étaient ignorantes de l’existence des humains. Leur esprit collectif se réincarnait selon des cycles. Et maintenant, Morikage était leur nouvelle résidence.
La shugenja essaya patiemment de faire comprendre au chef que la coexistence avec les Rokuganis demanderait de respecter des règles précises. Mais la créature n’y était pas opposé. La vraie difficulté venait plutôt du dénommé Mugen. Il continuait à interpeller Ikky et Riobe. Il les poussa à bout par ses paroles insolentes, blessantes et grossières. C’était à se demander s’il était bien humain, malgré les apparences.
- Bon, vous foutez quoi ? Pffff… on s’ennuie avec vous ! Vous êtes nuls ou quoi !
Mugen s'était assis par terre et faisait mine de s'endormir.
Ikky, n'y tenant plus, se lança au combat.
Mugen, qui se releva au dernier moment, combattait selon une technique parfaitement non-Rokugani. Il esquivait les coups avec une facilité déconcertante, sans même dégainer son étrange épée. Ikky para de sa lame, et d’extrême justesse, un coup porté par Mugen, qui avait dégainé à la vitesse de l'éclair, avant de s’avouer vaincue et de laisser la place à Riobe. Celui-ci se mit cérémonieusement en position de duel devant Mugen. Ce dernier, ignorant des règles honorables du iaijutsu, s’était rassis par terre. Il se grattait, baillait, attendant que Riobe dégaine. Il parlait souvent au chef des créatures végétales, qu’il appelait « le Vieux ». Il semblait qu’il tirait son enseignement au combat de ce Vieux.
- Dis-donc le Vieux, ils ne m’ont pas l’air si forts que ça. Regarde comment j’ai battu facilement la fille. Et maintenant, lui il n’a pas l’air plus dégourdi.
Dénué d’élégance, rustre au possible, la technique du Mugen-no-jutsu était pourtant des plus percutantes. Riobe, bouillant d’une colère contenue, priait Mugen de bien vouloir dégainer, mais celui-ci attendait toujours.
- Alors, le p’tit, qu’est-ce que tu fais ? Tu m’avais l’air bien, et là, tu fais plus rien ! Allez, on s’ennuie là…
Riobe finit par faire jaillir son katana. Mugen esquiva rapidement, se releva, et répliqua par un coup de pied dans la joue de Riobe. Celui-ci se mit à saigner légèrement.
Il avait perdu. Mugen n’en tira aucune gloire. Il accepta seulement de laisser passer nos amis. Quand il apprit que très loin vers le sud-est se trouvait un grand mur qui protégeait l’empire de créatures hideuses et très puissantes, il trouva un regain d’intérêt à parler avec nos héros. Ainsi, il y avait des monstres auxquels il pourrait se mesurer… Aussitôt, il demanda le chemin vers cet endroit fabuleux, et promit de se mettre en chemin.
Restait à savoir comment il allait traverser tout Rokugan, et surtout s’il y parviendrait… Mais le mieux que lui souhaitait Ayame, ainsi que Riobe et Ikky, c’était encore de mourir au combat face aux hordes de l’Outremonde !

:samurai:

Mugen s’en alla de ce pas, aussi vite qu’il était venu. Les créatures, toujours curieuses et diplomates, continuaient à entourer nos héros, mais seul le chef parlait. Arrivèrent alors Hiruya et Kohei, qui revenaient de la chasse au brigand. Ils avaient rappelé à quelques malfaiteurs de bas-étage des rudiments de savoir-vivre…
Les deux Phénix et Riobe expliquèrent alors en quelques mots qui étaient ces créatures de la forêt, et leur rencontre avec le dénommé Mugen. Ryu restait en retrait, toujours silencieuse et méditative, comme à son habitude. Elle n’avait en tête que la mission confiée par Akuma-sama. Le reste lui importait peu.
Apprenant que Mugen se battait à mains nues, Kohei laissa alors sortir de sa grande bouche de Licorne l’interjection la plus malheureuse qui soit :
- Ah ouais, il se battait à mains nues… tu te souviens, Hiruya, comme ces imbéciles du Dragon !
Il y eut un grand silence de mort dans Morikage. Un oiseau s’envola brusquement de sa branche.
Les regards consternés qui tombèrent sur le pauvre Kohei lui firent aussitôt prendre conscience de sa gaffe énorme. Cela eut au moins pour effet de sortir Ryu de sa « méditation ». Brusquement ramenée à la réalité, elle répliqua vertement, mais en direction de Soshu, qui n’avait rien dit, en insultant sans détour son alcoolisme.
On envisageait déjà un duel entre les deux. Du reste, il y avait déjà failli en avoir un, quand Ryu, dans la ferme de Ikoma Yoko, avait insulté les Licornes, on ne savait pas bien pourquoi.
Soshu intervint rapidement avant que la crise ne dégénère. Ses talents de diplomate étaient plus qu’urgemment souhaités.
- Je crois que nous sommes nous un peu fatigués après cette longue journée, et il est possible d’avoir des mots malheureux et irréfléchis. Cependant, je suis sûr que Kohei-san ne pensait pas à mal, et que Ryu-san a juste eu une réaction un peu brusque face à la saillie inattendue de Kohei-san. Je pense qu’un échange d’excuses mutuelles serait acceptable, et nous pourrions oublier ce fâcheux échange.
Le pauvre Kohei, à cette heure, ne savait plus où mettre sa grande carcasse. Il aurait souhaité être plusieurs lis sous terre, ou très loin d’ici. Il sentait son honneur en prendre un coup…
Il s’avança d’un pas, se pencha bien en avant, et demanda le pardon de Ryu-san. Sa langue avait fourché, et cela ne se reproduirait plus. A son tour, Ryu-san prononça des excuses pour sa réplique insultante.
Ainsi, pour tous, l’affaire était close.


La vengeance du Crabe

La discussion avec les créatures de la forêt pouvait reprendre.
- Etes-vous seuls dans cette forêt, ou y a-t-il d’autres créatures comme vous ? avait demandé Ayame.
- Nous pensons qu’il y a d’autres créatures vivantes dans cette forêt… nous en avons croisé une, il y a peu.
Aussitôt sur le pied de guerre, nos héros décidèrent d’un commun accord d’aller chercher cette créature. Qui pouvait bien habiter au cœur de Morikage ? C’était pour le moins bizarre…
Ayame-san pria les créatures de les emmener plus vers le cœur de la forêt, là où ils avaient aperçu cette autre créature. Elles acceptèrent, et commencèrent à ouvrir un chemin parmi les buissons épais, les taillis jamais piétinés par l’homme, sous l’épais feuillage noir qui se balançait lentement dans la brise de l’hiver.

:samurai:

Après une bonne heure de marche, nos héros avaient complètement perdu de vue le sentier forestier habituel. Ils ne pouvaient que s’en remettre aux créatures sylvestres pour se retrouver dans ce labyrinthe inextricable de végétation. Après leur avoir indiqué le chemin à suivre, les habitants de Morikage leur dirent qu’ils n’iraient pas plus loin, mais qu’ils n’étaient plus loin du but. Nos héros arpentèrent encore la forêt, avant d’arriver en haut d’une butte. En contrebas, une clairière s’ouvrait à eux. Ils aperçurent alors une large silhouette, allongée à terre. C’était un homme de forte taille, haletant après une longue course.
Nos héros descendirent prudemment vers lui, la main sur la garde.
Quand ils entrèrent dans la clairière, à la lumière du soleil d’hiver, ils le reconnurent.
C’était Sotan le rônin, qui s’appelait encore Hida Sotan à Heibetsu.
Très surprise, Ayame s’approcha de lui.
- Voyons, Sotan, mais que faites-vous là ?
Aussitôt, le puissant bushi se remit sur ses pieds – et l’on aurait dit un chêne abattu qui se redresse sur ses racines. Il assista, médusé, à l’arrivée de tous nos héros, qu’il connaissait bien.
Plutôt affolé que rassuré, il se jeta alors aux pieds d’Ayame, larmoyant, plein de détresse et de remords :
- Pitié ! honorable shugenja ! Pitié, Ayame-sama, laissez-moi vous expliquer tout ! Je ne suis qu’un misérable ! Je ne mérite pas votre attention, et j’ai mille fois mérité mon sort !...
- Que faites-vous donc dans cette forêt, Sotan ?
- Mais je la poursuis, elle ! Je la poursuis depuis Heibetsu !
La colère reprenait le dessus sur les larmes.
- Qui ? Mais elle voyons : cette putain sans honneur de Nahoko ! Elle qui est la cause de ma déchéance, et de la mort de mes compagnons d’armes !
Sotan s’assit par terre, et commença à expliquer son histoire.
A Heibetsu, il avait espéré trouver des œufs de poisson miraculeux, qui auraient permis de guérir la souillure de l’Outremonde parmi le clan du Crabe. On lui avait fait miroiter la possibilité d’élever des poissons et de préparer des cures avec leurs œufs. Mais pour cela, Sotan avait été amené à s’associer avec le sinistre individu surnommé Tsuru Makkuro [la Grue Noire]. Ce dernier, criminel notoire sur les terres de la famille Daidoji, gravissait les montagnes du Dragon jusqu’à Heibetsu, pour accomplir sa basse besogne : faire taire à coups de sabres plusieurs de ses anciens complices, des rônins et des gaijins réfugiés dans les montagnes. Besogne à laquelle Sotan ne répugnait pas de s’associer.
Seulement, la Grue Noire, et sa complice Nahoko, avaient l’âme bien plus noire que leurs victimes. La nuit, peu avant que nos héros n’arrivent au village des deux Temples des Oiseaux, Sotan et ses bushis étaient allés parler en face à la Grue Noire. Ils refusaient de s’associer plus longtemps avec cet assassin. Ils avaient été dupés, et rompaient leur association. Mais Tsuru Makkuro n’était pas décidé à laisser ses complices partir ainsi.

Sotan et les trois Hida s’étaient reculés de quelques pas puis s’étaient mis en garde devant la Grue Noire. Celui-ci, froid et silencieux, avait lentement amené sa main sur la garde son katana, fixant ses quatre adversaires d'un regard impitoyable.
Dans une explosion de colère, les quatre Crabes sonnèrent la charge. C’était sans compter sans les réflexes, la rapidité, la souplesse terrifiantes de la Grue Noire. Il évita les quatre sabres qui allaient le terrasser, et répliqua en quelques passes d’armes précises. Une foudre glacée s’abattit sur les Crabes, qui les coupa en deux comme des feuilles de parchemin.
Ils s’écroulèrent lourdement à terre, ensemble.
La Grue Noire rengaina posément, rejoignit sa complice Nahoko et partit avec elle en direction des Temples jumeaux, où nos héros les découvrirent.

:samurai:

Seul Sotan avait survécu d’extrême justesse à la mort.
Mais il était coupable de la mort de ses hommes, et d’avoir aidé un homme sans honneur. Il savait qu’il n’avait même pas droit au seppuku. Il n’était plus digne du clan du Crabe. Pendant de longues semaines, accueilli chez les braves paysans des montagnes d’Heibetsu, il se remit de ses blessures. Heureusement, il savait qu’un peu du sang d’Osano-Wo, Fortune du Tonnerre et patron des bushis, coulait dans ses veines. La vie reprit le dessus sur ses blessures. Dans le long sommeil douloureux de sa convalescence, il oublia peu à peu la Grue Noire. Il songeait d’abord à vivre. Quand il fut sur pied, il aida les paysans à rebâtir les deux temples calcinés. Un gaillard comme lui ne répugnait pas à la tache : il portait à lui seul des poutres bois que deux paysans ne soulevaient pas.
Alors qu’il vivait paisiblement à Heibetsu, il fut rattrapé déjà par ses actions passés. Un magistrat du nom de Kitsuki Hanbeï – celui-là même qu’Ayame et Ikky avaient croisé sur la route du retour au pays -enquêtait sur les criminels qui avaient sévi avant les fêtes des vendanges. Tenace, imperturbable, pragmatique jusqu’à la dureté, Hanbei-sama était bien décidé à faire toute la lumière sur ce qui s’était passé. A contrecoeur, tiraillé entre son devoir et son désir de vivre paisiblement parmi les paysans, Sotan avait avoué ses fautes au magistrat, puis était parti avec lui à la poursuite de Nahoko et de la Grue Noire. Peu à peu, l’instinct de vengeance reprenait le dessus. La traque reprit dans les montagnes, pendant plusieurs semaines, longues, épuisantes. Le magistrat Dragon pensait que les deux criminels allaient passer sur les terres du Phénix. Peu après, venaient se superposer à cela les enlèvement d’enfants, et le criminel Hiro entrait en scène.
Une fois, plein de lassitude, Sotan eut un mot déplacé à l’égard du magistrat. Furieux, ce dernier renvoya le rônin comme un malpropre. Il se passerait de lui désormais.
Depuis, Sotan avait patiemment gagné son passage sur les terres du Phénix. Il savait que Nahoko essaierait de fuir par les côtes du Phénix, grâce à un passeur du nom de Gempachi. C’est pourquoi il avait marché jusqu’à Morikage Toshi [Cité de la Forêt des Ombres].
Sotan avait entendu parler de Hiro. Il pensait que lui et Nahoko avaient fait un bout de chemin ensemble. Mais si Nahoko ne tarderait pas à fuir par la mer – si ce n’était déjà fait, Hiro allait se terrer dans les bas-fonds de Morikage Toshi.
Quant à Sotan, implorant de nouveau nos héros, leur promit de tout faire pour les aider, s’ils acceptaient sa présence.

Réfléchissant à ce que Sotan venait de dire, nos héros se concertèrent. Hiruya proposa de se séparer : lui-même, avec Riobe et Sotan, iraient trouver ce Gempachi, puisque c’est déjà ce qu’ils se proposaient de faire en partant d’Heibetsu. Quant aux deux Phénix, ils accompagneraient comme prévu Ide Soshu et Shinjo Kohei à la bibliothèque de Morikage Toshi ; Ryu les accompagnerait, afin d’enquêter sur Hiro, et si possible de le retrouver.
Ide Soshu proposa alors son aide dans la traque du criminel. C’était son devoir d’aider à arrêter une telle canaille. Ses recherches en bibliothèque pouvaient attendre un peu. Lui et Kohei s’arrêteraient à la Cité. Isawa Ayame remercia les deux Licornes pour leur aide.

Les deux groupes se séparèrent, l’un pour trouver Nahoko et le passeur Gempachi, l’autre pour mettre la main sur Hiro, le traître de la Cité de la Grenouille Riche.


Morikage Toshi, Cité de la Forêt des Ombres

Isawa Ayame, sa yojimbo Shiba, accompagnant Ide Soshu et son yojimbo Shinjo Kohei, et accompagnées de Mirumoto Ryu, entrèrent dans Morikage Toshi. Les vols et les cris des mouettes dans le ciel, l’agitation populaire des rues marchandes et des docks des bas quartiers, le ronflement lourd de la mer et des vagues qui s’échouent sur le rivage, les maisons de bois noir, le parfum de l'océan, les brumes humides, l'afffairement sur le port, tout cela composait le décor vivant de la Cité de la Forêt des Ombres.

La délégation des samouraïs se rendit chez la plus haute autorité des lieux, le magistrat Shiba Tadamischi. Homme dans la force de l’âge, les traits tirés par la fatigue, le magistrat reçut les nouveaux venus, et s’entretint de la raison de leur présence. Isawa Ayame présenta alors tous les membres du groupe, et expliqua la raison de la venue des Licornes : le magistrat Ide Soshu désirait compulsait des parchemins de droit de la bibliothèque. Tadamischi-sama acquiesça : il avait été prévenu que des Licornes séjourneraient durant tout l’hiver sur ces terres.
En revanche, il n’était pas prévenu de l’arrivée de Mirumoto Ryu –mais qui n’a jamais été surpris par la venue d’un membre du clan du Dragon ?
Celle-ci expliqua alors, avec tout le pathos de la vengeresse, qu’elle poursuivait un terrible criminel nommé Hiro, que ce dernier avait humilié son clan, qu’il l’avait frappé de la manière la plus cruelle qui soit. Et maintenant, elle le poursuivait, sur ordre de son daimyo, Mirumoto Akuma.
Shiba Tadamischi comprit la raison de ce voyage. Il assura à Ryu-san que ce Hiro serait capturé sous peu. La bushi n’avait pas à s’inquiéter.
Ryu-san insista alors, à l’encontre de la politesse et du respect de l’autorité supérieure du magistrat. Hiro était très dangereux, dit-elle d’un air de sombre menace. Tadamischi-sama répéta, cette fois avec une nuance de colère dans la voie, que le clan du Phénix était capable d’assurer la paix sur ses terres. Si ce Hiro se cachait en ville, il serait capturé sous peu.
Et Ryu d’insister à nouveau, sur le danger représenté par Hiro.
De guerre lasse, le magistrat accorda à Ryu l’autorisation de rester en ville le temps de l’enquête. Il se promettait déjà in petto de l’expulser dès qu’Hiro verrait sa tête se désolidariser de ses épaules…

Les deux Phénix et les deux Licornes allèrent prendre leurs quartiers dans le palais du magistrat. Quant à Ryu, elle avait droit à l’hospitalité d’une auberge de la ville.
Elle ne tarda pas à démarrer son enquête. Il ne fallut pas une journée pour que la Cité dans son entier soit au courant que Mirumoto Ryu, bushi de la vallée d’Heibetsu, recherchait le criminel Hiro. Tout le petit peuple murmurait depuis ses échoppes dans le dos de la bushi Dragon. Elle faisait pour le moins sensation dans la paisible Cité, elle qui venait de si loin. Son enquête la mena dans une maison de jeu. Elle attira l’attention d’un petit malin, à côté de qui elle s’assit. Débrouillard et un peu filou (évidemment…), ce dernier entraîna Ryu dans le jeu, lui délestant sa bourses de quelques poignées de zenis. Puis, quand Ryu, dont la beauté fatale aurait frappé un aveugle, eut obtenu du joueur des informations satisfaisantes, elle le planta sur place, en lui conseillant de filer doux.
Le joueur s’en alla, en se maudissant de s’être laissé avoir par une pareille allumeuse !

Mirumoto Ryu, surveillée par des centaines de paires d’yeux, arriva sur le port, où elle discuta avec des samouraï du clan de la Mante, qui surveillaient des chargements et déchargements de leur bateau. Eux aussi firent un brin de causette à cette jolie bushi. Ils revinrent vite de leurs illusions : c’est tout juste si Ryu ne les soupçonnait pas de dissimuler Hiro !
Elle ne fut pas plus chanceuse avec un brave pêcheur, le premier venu, quand ce dernier fondit en larmes, insulté que Ryu lui pose des questions sur Hiro –comme s’il s’associait à ce genre de criminels, lui qui n’avait jamais volé le moindre zeni !

:samurai:

Ce soir-là, Shiba Ikky rejoignit le Temple des Vagues Blanches, un asile paisible, dans une région presque sauvage sur la côte, où l’on n'entendait que le rouleau des vagues et la sérénité profonde du grand océan sans fin. Accueillie par les braves moines, Ikky-san passa une heureuse nuit grâce à l’hospitalité sans fard des bons moines. Au matin, elle retourna au palais, en paix avec elle-même.
Ayame-san avait passé une nuit moins pieuse. Travaillée par le besoin de drogue, la shugenja, privée depuis plus d’une semaine, se rendit dans le « meilleur » établissement de la ville : « Le pays des Merveilles ».
Elle fut discrètement accueillie, et on lui offrit un tatami, une pipe et la résine qu’elle attendait tant. Elle partit doucement en direction du royaume des songes, dans les épaisses vapeurs apaisantes et traîtresses de l’opium. Tandis qu’elle voyageait comme dans les délires continuels du rêve, il lui sembla entendre distinctement le nom de Hiro.
Etait-ce un effet de l’opium ? Il lui semblait pourtant que ce nom avait réellement était prononcé près d’elle.
Par acquit de conscience, elle tenta de glisser le nom à la patronne des lieux. Si ce Hiro revenait, qu’il sache qu’Ayame désirerait le rencontrer. La patronne promit qu'elle transmettrait le message si jamais un Hiro se présentait. Impossible de savoir si elle était persuadée qu'Ayame avait déliré ou si elle prenait la requête au sérieux.

A l’heure d’Akodo, les deux Phénix retrouvèrent les deux Licornes et Mirumoto Ryu dans une excellente auberge. Avec autant d’amabilité que d’ironie, Ayame demande à Kohei-san s’il n’était pas trop privé de viande depuis son départ des terres de la Licorne. Il soupira qu’il essayait de s’acclimater à nouveau au régime alimentaire du nord de Rokugan, mais qu’un excellent poisson valait bien une bonne viande rouge bien rôtie.
Pendant qu’ils mangeaient, les samouraï ne purent manquer de parler de Hiro. Mirumoto Ryu n’avait pour le moment aucune piste. Elle piétinait, et pourtant les ordres de son daimyo ne pourraient souffrir de retard. Tant les Licornes que les Phénix se proposaient de l’aider, mais eux non plus ne pouvaient user de divination pour détecter le criminel !
Le repas terminé, un marchand ambulant vint proposer des biscuits aux honorables samouraï. Ils contenaient tous des billets avec une petite prédiction. Nos héros se prêtèrent au jeu.
Les deux Licornes lirent avec amusement leurs billets ; celui de Ryu faisait allusion la lutte pour le bien ; celui d’Ikky lui suggéra une piste.
Quant à celui d’Ayame, il ne lui avait pas été donné par hasard : « La vérité dort parfois au pays des merveilles… » La shugenja sut où elle irait passer la prochaine nuit…
Elle ne souffla mot de son billet à ses camarades.
Tous se quittèrent, et la journée passa, chacun vaquant à ses occupations.

Shiba Ikky demanda à parler au magistrat Tadamischi-sama. Elle demanda s’il y avait des membres du clan du Crabe en ville. Le magistrat réfléchit : à sa connaissance, il y avait bien un marchand de la famille Yasuki, qui venait traiter avec le clan de la Mante. Ikky-san demanda humblement à pouvoir l’interroger.
Le magistrat n’y vit pas d’inconvénient et fit convoquer sur l’heure le marchand.
Celui-ci fut amené rudement par deux samouraï. C’était un honorable commerçant du nom de Yasuki Mitsuhirato, qui avait dans les manières tout ce qu’il faut de souplesse, de ruse, de tromperie, pour faire un bon marchand. Cette honorable crapule était bien sûr disposé à répondre à toutes les questions des nobles Phénix.
Ikky lui demanda, sans trop user de détours, s’il n’avait pas, de temps en temps, à traiter avec des individus peu recommandables. Après tout, le commerce étant ce qu’il est… Et puis, cela ne mettait en rien en cause son honneur, lui assura Ikky.
Pressé de répondre par le magistrat, Mitsuhirato finit par avouer qu’il avait à traiter avec les Frères de la Côte, une honorable organisation de contrebandiers qui sévissait sur toute la côte de Rokugan. On ne pouvait rêver meilleure fréquentation…
Quand le marchand eut prononcer le nom des Frères de la Côte, Tadamischi-sama intervint, puis décida qu’il en avait assez entendu.
- Tu peux disposer, Mitsuhirato. Tu ne seras plus dérangé dans tes occupations !
Et il fut renvoyé aussi vite qu’on l’avait convoqué.


Ayame au Pays des Merveilles

Le soir, la shugenja retournait vers le quartier des fumeries. Elle toqua à la porte du Pays des Merveilles. La patronne lui ouvrit, puis ne la surprit pas en lui annonçant que quelqu'un l’attendait pour parler de Hiro. Elle fut poliment guidée vers le jardin intérieur. Cela avait de quoi surprendre dans ce quartier de la ville, mais il était plutôt élégamment conçu. Un style austère, toutefois. Austérité rendue plus sensible par la présence de deux samouraï agenouillés devant un grand kiosque, le daisho bien disposé à la ceinture.
Ayame s’assit en tailleur là où on lui indiqua, sur une natte juste à l’endroit où un rayon pâle de seigneur Lune venait frapper l’herbe.
Un homme sortit du bâtiment face à Ayame, et passa sous le kiosque disposé juste devant. Il portait un kimono noir et blanc. Il s’assit à la limite de l’ombre. L’obscurité ne dissimulait que son visage. Ayame put voir de longs cheveux noirs qui tombaient jusqu’aux épaules.
L’homme parlait d’une voix qui laissait deviner son jeune âge. Il pouvait être né la même année qu’Ayame, ou à peu près.

- Bienvenue au Pays des Merveilles, Ayame. Je me nomme Emmon.

Aussitôt, ce nom sonna familier aux oreilles d’Ayame. Emmon : c’est de lui qu’avait parlé la vieille Kitabakate !
Kitabakate, 7e récit a écrit :Il y a plusieurs années, du temps du 38e Empereur, j'ai connu un jeune acteur talentueux du clan loyal. Il se nommait Emmon, et avait un frère du nom de Takashi. Ce frère eut le visage effacé par l'Ombre Vivante. Mais Emmon résista à l'appel lancinant de cette chose sans nom. Takashi mourut, et Emmon disparut peu avant le coup d'Etat. J'ignore à présent ce qu'il est devenu, mais s'il est encore en vivant, je suis sûr qu'il pourrait nous en apprendre beaucoup sur cette entité.
Bien sûr, il y avait peut-être d’autres Emmon dans l’Empire, mais dans le cas présent, Ayame se refusait à croire à une coïncidence. Non, l’homme qui se tenait à moitié dans l’ombre, dans le jardin de cette fumerie, c’était bien lui. Emmon, celui qui avait eut un contact direct avec l’Ombre et était encore en vie pour le raconter.

- C’est étrange, commença Ayame, il y a peu de temps, une vieille femme m’a parlée d’un samouraï nommé Emmon…
En peu de paroles, la shugenja eut la confirmation de son intuition. Le Emmon qui se tenait assis devant elle essaya de biaiser : il y avait d’autres Emmon, il ne connaissait pas de Kitabakate… Il finit par admettre que son frère avait bien été Takashi, avant de –c’est le cas de le dire – perdre la face…
Pour un début de conversation, Ayame frappait fort. Emmon l’avoua : elle avait une longueur d'avance sur lui. Quoique visiblement atteint, il ne perdit pourtant pas contenance. Mais il ignorait que Kitabakate était encore en vie. Et surtout, il se demandait bien pourquoi la vieille samouraï de l’école Shosuro avait cru bon de révéler l’histoire d'Emmon à une petite shugenja du Phénix.
Il avait peine à croire que la vieille femme soit devenue gâteuse, qu’elle perde la tête. Non, elle avait parlé intentionnellement à Ayame.

Emmon proposa alors d’inviter Ikky et Ryu. Qu’ils puissent discuter ensemble du sujet initial qui amenait Ayame au Pays des Merveilles : le traître et criminel Hiro.
Un serviteur fut dépêché au palais et à l’auberge. Poliment, il pria Ikky et Ryu d’accepter l’invitation d’Ayame, qui les attendait sur l’heure.
Les deux samuraï-ko ne tardèrent pas à venir s’asseoir autour d’Ayame.
Ryu mit peu de temps à déballer son histoire à Emmon. Or, comme on l’avait deviné, le maître des Frères de la Côte était d’une autre trempe, et d’une autre politesse qu’un magistrat Phénix.
Il accueillit avec un rire contenu l’histoire pitoyable du clan du Dragon se faisant humilier sur ses propres terres par une bande de gredins de bas étages. Ryu en avait vraiment gros sur le cœur après Hiro. Sans parler de Kishidayû, un impitoyable Scorpion qui avait assassiné le mari de Ryu, Matsu Isamu. Et pour Ryu, ce Kishidayû pouvait être n'importe qui, pouvait se cacher derrière n'importe quel complot. C'en était devenu une obsession au cours des années.

Derrière le fin rideau d’ombre qui masquait son visage, on put deviner le sourire d’Emmon :
- Voulez-vous que je vous aide à retrouver ce Kishidayû, Ryu ? Je ne le connais pas, mais qui sait ? En me renseignant, je peux peut-être découvrir quelque chose sur lui. Je vous le dirai, et je vous donnerai alors mon prix. Il vous en coûterait… disons une somme raisonnable. Je ne vais pas accabler le malheureux clan du Dragon, déjà mal en point à vous entendre. Disons 20 kokus.
- Hélas, je ne possède pas cette somme d’argent.
- Qui sait si votre daimyo n’accepterait pas de payer cette somme pour retrouver un ennemi de la famille...

:samurai:

Autant il ne connaissait pas ce Kishidayû (et ne s'y intéressait pas), autant Emmon était disposé à mettre la main sur Hiro, ce pantin au service de l’Ombre Vivante. Il était sans doute venu à Morikage Toshi par défi pour Emmon. Pourquoi n’avait-il pas tenté de fuir ailleurs ?
- Mais Hiro n’était qu’un assassin sans cervelle, et il a commis une erreur fatale en s’attaquant à moi, dit Emmon.
- Qu’est-ce qui vous fait croire que vous êtes supérieur à lui, Emmon ? demanda Ayame.
Au cours de la conversation, la voix du samouraï tapi dans l’ombre s’était alterée. Elle laissait maintenant transparaître une colère contenue, noire, comme celle d’un prisonnier reclus qui n’a pas vu le jour depuis des lustres, et que la captivité rend fou. Une colère froide et tranchante, qui ne demandait qu’à se consumer de haine. Seul un mince filet d’honneur devait séparer Emmon de Hiro.
Emmon répéta qu’il mettrait la main sur le serviteur de l’Ombre et lui ferait payer cher de servir l’entité sans nom.
Il se leva, souhaita une bonne fin de nuit aux samuraï-ko. Ils ne tarderaient pas à se revoir. Et c’était plus qu’une intuition : c'était une promesse. Emmon se retira dans ses ténèbres. La patronne de la maison vint, toujours avec la politesse de rigueur, raccompagner les visiteuses à la porte.
Les deux Phénix rentrèrent au palais, et Ryu-san à l’auberge.


Les habitants de la terreur

Ayame se réveilla, après une série de pénibles cauchemars, agitée d'une peur froide. Elle frissonnait et transpirait à la fois. Qui plus est, elle eut l'impression très vive, et c'était extrêmement désagréable, qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. Elle ne pouvait chasser cette idée. A côté d'elle, Ikky respirait régulièrement, légérement agitée, comme quelqu'un en train de rêver.
Mais il y avait une troisième personne dans la pièce. Quelqu'un de trop, quelqu'un présent et obsédant. Par la fenêtre, Onnontangu le Seigneur Lune faisait passer ses rayons pâles, qui n'éclairaient que peu l'obscurité de la chambre, la teintant d'une lueur bleutée. Ayame se leva, tout en chuchotant à Ikky de se réveiller. Elle fit quelques pas dans la pièce. Soudain, elle recula.
Devant elle, une forme apparaissait en relief sur le mur ! Une forme en train de se matérialiser dans la pièce. Une lueur très légère passait par dessous le panneau de la porte. La peur gagnait de plus en plus Ayame. Elle secoua Ikky, qui se réveilla.
Maintenant, c'était le sol qui prenait forme. Il devenait mou sous la pression de quelque chose qui passait au travers. Ayame se plaqua dos au mur, à côté d'Ikky, qui avait perçu l'affolement contenu de la shugenja. Devant les deux Phénix, une silhouette de forme humaine traversait le mur. Pas en le déchirant. Non : en passant au travers. Et sur le sol de même. La forme d'une tête, puis une épaule, apparurent.
Et soudain, le mur derrière les deux femmes commença à remuer à son tour. Il se déforma et une main au bout d'un bras tendu se créa brusquement entre elles d'eux.
- Sortons d'ici, dit Ayame d'une voix blanche.
Elles se précipitèrent vers le panneau, l'ouvrirent, et sortirent de la pièce, l'abandonnant aux horreurs qui s'y matérialisaient.
Les deux femmes regardèrent des deux côtés du couloir. Pas un bruit, tout le monde dormait. Détail troublant : le couloir leur paraissait plus long qu'à l'habitude. Effet de nuit sans doute... Soudain, elles entendirent une exclamation : "Teyandee !"
C'était la voix de Kohei, "teyandee" étant une expression typiquement Licorne... "Teyandee", "Teyandee"... Kohei le répétait. Du moins c'était sa voix.
Les deux Phénix virent le panneau de la chambre des Licornes, contiguë à la leur, ouvert. Soshu ronflait très fort. Très très fort, à un point inhabituel, inquiétant. Kohei était debout, près de la fenêtre. Il venait de se couper le bout de l'index, il le suçait pour arrêter le sang.
- Kohei-san, dit Ayame, qui ne masquait pas sa peur, il se passe des choses bizarres ici. Voulez-vous venir avec nous ? C'est plus prudent...
- Venir avec vous, Ayame-san. Mais c'est impossible voyons, dit-il, sur le ton de l'évidence.
- Pourquoi donc, Kohei-san ? dit la shugenja, la lèvre tremblante.
- Mais parce que Soshu-san est en train de dormir.

:mal:

Le Licorne ne parlait pas tout à fait de sa voix habituelle. Pas tout à fait. Puis, avec le sang qui coulait de son doigt, Kohei se mit soudain à tracer sur le mur plusieurs signes.
Ces signes rougeoyants et dégoulinants disaient : Gozoku !
Effrayée, Ayame recula.
- Vous vous intéressez au Gozoku, Ayame-san ? demanda alors Kohei, la fixant d'un regard sombre, inhabituel. Kohei d'habitude si amical, si grand enfant, si simple, il apparaissait sombre, agressif.
Les deux Phénix reculèrent dans le couloir. Ikky non plus ne comprenait pas ce qui arrivait à Kohei. Elle ne le reconnaissait plus.
Soudain, elles sentirent un frisson dans leur nuque. Il y avait quelqu'un derrière elle !
Elles se retournèrent : Emmon était là.
Mais elles ne discernaient pas sa tête, pas plus que dans le jardin du palais des merveilles. La même ombre qui le dissimulait alors le dissimulait encore. Il était immobile, presque fantomatique. Ikky se mit devant la shugenja et toisa Emmon. Ce dernier parlait avec la même voix assurée et inquiétante. La yojimbo lui sauta brusquement dessus. Elle le plaqua au sol.
- Vous êtes folle, Ikky-san, dit Emmon, sans vraiment se débattre.
Lentement, il s'enfonça dans le sol et passa au travers, en liquéfaction... A ce moment, les deux Licornes sortirent enfin de leurs chambres.
C'était bien leur corps, mais ils avaient maintenant la tête d'Emmon. Plus exactement : le même rayon d'ombre qui lui couvrait sa tête. C'était comme irréel. Les deux Phénix reculèrent, et s'enfuir dans le couloir. Couloir qui leur parut long, très long. Elles arrivèrent à l'escalier qui descendait. Une grande lumière de lune baignait les marches, très brillantes. En bas, Ayame et Ikky virent une affreuse vieille qui commençait à grimper les marches. Et la vieille grinçait autant que les marches, des colifichets nombreux cliquetant comme des machoires de squelette à chaque pas. Ikky voulut aider la vieille femme. Celle-ci, tremblant comme un pendu par grand vent, répondit qu'elle n'avait pas besoin d'aide. Ses phrases étaient disloquées par le tremblement qui la secouait. Par l'autre bout du couloir, arriva alors la bushi du Dragon.
- D'où venez-vous, Ryu-san ?
- Nous sommes à l'auberge là.
- Non, nous sommes au palais.
- Ah non, c'est le couloir de l'auberge où je dors, dit Ryu, avec la certitude habituelle des enquêteurs Dragons.

Les trois femmes ne pourraient pas se mettre d'accord. Du reste, ce n'était pas l'heure. Kohei était à côté d'elles. Son doigt saignait de même. Il était appuyé nonchalamment sur le mur. Il traça soudain sur le mûr d'autres signes ensanglantés : "Kishidayû".
- Vous le connaissez ! s'exclama Ryu.
- Bien sûr, c'est l'assassin de votre mari. C'est l'homme que vous poursuivez. Tout le monde connaît Kishidayû à Rokugan, voyons...

Ayame, Ikky et Ryu en avaient assez entendu. Elles dévalèrent les escaliers, sans plus se soucier de la vieille qui n'en finissait pas de monter les marches. Elles arrivèrent dans la cour d'honneur du palais. Là, Ikky s'empara prestement d'un yari, le prit à deux mains, et se tint prête à défendre la shugenja. Il y avait dans la cour plusieurs ashigaru de veille. Ils n'étaient que des silhouettes dans un coin du palais. C'est alors qu'ils se mirent à avancer vers les trois samuraï-ko. Ou plutôt à ramper : ils tombèrent à plat ventre, et avancèrent dans une lente reptation, comme des salamandres, resserrant un cercle autour des trois samuraï. C'étaient plus que des ombres, car ils étaient plus épais, mais moins que des hommes, car ils n'avaient ni visage, ni peau. Ce n'était que des épaisseurs d'ombres, coagulés dans une forme rappelant les humains. Ils étaient de la nuit agglutinée.
Surgissant d'un des couloirs, pourfendant plusieurs ennemis de leurs katanas aux coups cinglants, Hiruya-san et Riobe arrivèrent en courant au milieu de l'assemblée des ombres, en soutien pour les samuraï-ko. Dos à dos, les deux bushi, assurés et fiers, se préparèrent à affronter les ennemi. Ryu prêta le concours de son sabre : frappés par ses deux lames, les adversaires rampants disparaissaient en silence dans le sol. Mais quand Hiruya et Riobe frappaient, les horreurs nocturnes poussaient des cris de douleurs inhumains, des cris comme échappés du pays des morts, et s'évaporaient rapidement.
On entendait, venu de nulle part, le bruit d'une troupe de cavaliers au galop qui approchaient. Une armée pénétrant dans la ville aurait produit le même bruit. Guidés par la Grue et le rônin, les trois samuraï-ko revinrent vers l'escalier qui menait à l'étage. Accoudés à la balustrade de l'escalier, se tenaient là Kohei, et Nahoko... Tous deux, baignés par l'intense lumière d'Onnontangu, ricanaient comme des Scorpions, en considérant nos héros. Hiruya ne se laissa pas impressionner. Suivi de Riobe, il commença à remonter les marches, sans se soucier des deux complices. Dans le couloir, Emmon était encore; sa tête appartenant encore à l'Ombre. A côté de lui, se tenait un autre homme. Sur un ton déclamatoire, Emmon dit :
- Et alors Takashi eut le visage dévoré par l'Ombre Vivante.
Et Emmon arracha le visage de l'autre silhouette, comme on arrache un papier.

:mal:

A l'étage, ils montèrent encore un escalier qui menait sur une grande terrasse.
Là, à l'air libre, la terreur qui avait grandi en Ayame, comme une plante-vampire, achevait de se réaliser. La shugenja retrouvait hors d'elle la peur qu'elle avait nourri. Une silhouette humaine se tenait debout, agité de tremblements compulsifs. Perçant la nuit, un soleil noir darda ses rayons tout puissant, tandis que le ciel blanchissait. Ciel blanc, couleur de mort, soleil d'ombre, le monde où se meuvaient nos héros leur étaient parfaitement étrangers. Eux qui avaient toujours eu confiance en Rokugan, en l'Empereur, ils réalisaient soudain qu'ils vivaient dans un pays inconnu -et cette contrée inexplorée, c'était Rokugan, c'était ces terres qu'ils croyaient familières depuis toujours.

Hiruya osa s'approcher de la silhouette tremblante. Son visage changeait en permanence. Chacun de nos héros y reconnut plusieurs personnes. Ikoma Akira, Kakita Yobe, Isawa Kanera, Nahoko, Isawa Akitoki, Iuchi Shizuka, Honzo, Mirumoto Akuma et d'autres encore... Puis Hiruya plaqua sa main sur le visage. Alors, à travers le visage maintenant dévoré par l'Ombre passa un rayon doré, merveilleux, un rayon de Dame Soleil.
Et Ayame se réveilla, en sueur, le visage baigné par la douce lumière du matin.






:samurai: COURAGE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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rahsaan
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Message par rahsaan » 20 avr. 2006, 20:04

Une nuit d'hiver...
Sans dormir, j'écoute la mer
Qui ne dort jamais




CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

9e Episode
COUR D'HIVER



AU PALAIS DE LA CITE DU CHENE PALE

DOMAINE DU NOBLE MIZU-NO-SHUGENJA ISAWA MASANAGA
Cour d'Hiver ouverte avec la bénédiction du divin Empereur le 7e jour du Mois du Rat, premier jour de l'hiver, avec deux mois de retard par rapport au calendrier traditionnel.




LISTE OFFICIELLE DES INVITES

Les *invités sont des PNJ officiels.



PHENIX
Isawa Masanaga, shugenja de l’Eau, daimyo de la Cité du Chêne Pâle, shugenja de l’eau ; bon stratège, brillant courtisan, religieux dévoué, amateur d’art.
Isawa Kanera, shugenja du Vide. Vieux, sage, presque aveugle, c’est un des senseï les plus éclairés, et les plus respectés, du clan du Phénix.
Isawa Akitoki, shugenja, daimyo de la Cité du Repos Confiant. Daimyo d’Ayame et Ikky.
Isawa Naoshige, intendant d’Isawa Masanaga.
Isawa Ayame (f), shugenja de l’Air.
Isawa Kogin (f), shugenja de l’Eau. Elève d’Isawa Akitoki.
Shiba Rosanjin, maître calligraphe. L’un des plus grands artisans du pinceau de tout Rokugan.
Shiba Nobuyori, garde du corps d’Isawa Kanera.
Shiba Ikky (f), garde du corps d’Isawa Ayame.

Une foule de gardes du corps, shugenja, assistants, serviteurs etc.

GRUE
Asahina Masumi (f), artiste Grue, en musique, en origami et en confection de kimonos.
Daidoji Morozane, daimyo de la Cité de la Violence derrière la Courtoisie (Cité des Apparences).
Doji Itto, courtisan réputé.
Doji Kafu, courtisan.
Kakita Yobe, duelliste et courtisan réputé.
Kakita Hiruya, duelliste et courtisan. Elève de Yobe.

Deux assistantes pour Masumi ; deux yojimbos pour Morozane ; quatre serviteurs pour Itto et Kafu ; deux élèves de Yobe qui viennent de passer leur gempukku ; 12 serviteurs.

LICORNE
*Ide Tadaji, ambassadeur de son clan à la Cour Impériale.
Ide Soshu, jeune magistrat de la région de la Grenouille Riche. Réputé pour son amour de la bouteille.
Shinjo Kohei, yojimbo d’Ide Soshu.

Trois assistants pour Tadaji, un assistant pour Soshu ; 6 serviteurs.

DRAGON
Mirumoto Munetaka, médecin de Mirumoto Akuma.
Mirumoto Onitsugu, kensaï.
Mirumoto Ryu, vassale de Mirumoto Akuma, le gouverneur d’Heibetsu

Deux assistants pour le médecin, 3 serviteurs.

LION
Kitsu Kameko (f), shugenja.
Matsu Bashô, bushi.
Ikoma (Seizuka) Tsuyoshi, bushi.

Une assistante pour Kameko ; 4 serviteurs.

CRABE
Kuni Ketedore, shugenja.
Kuni Sakurako, bushi. Fille de Ketedore.

Un assistant pour le shugenja et trois serviteurs.

CLANS MINEURS
*Moshi Wakiza (f), shugenja, fille du daimyo du clan du Mille-Pattes.
Une assistante et un serviteur.
*Suzume Yugoki, fils du daimyo du clan du Moineau.
Un serviteur.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

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