Chapitre 1: Quelques graines semées...
Le retour vers Kyuden Bayushi fut triste et silencieux. Nulle imposante compagnie pour émettre ce bruit caractéristique de vaisselle qui frotte. Le chant de la guerre s’était tu. Par décence. Et celui de la victoire n’avait pas eu le courage de reprendre. Les cœurs, les âmes, étaient silencieux, car trop peu nombreux pour résonner à l’unisson. A peine entendait-on un murmure, un murmure de pleurs, pour les camarades tombés au combat. Et face à ce bruyant silence, le chant de la victoire n’osait s’élever.
Le voyage du retour fut plus rapide que celui de l’aller. Comme si les cœurs n’avaient plus qu’un objectif, rentrer auprès des êtres aimés.
Le premier geste de Yukie, en arrivant au dojo, ne fut pas pour elle. Elle s’installa devant son écritoire, et rédigea un mot pour les parents de Noriko. Elle leur annonçait la nouvelle de la mort de leur fille, valeureuse, au service du clan et de l’Empereur. Le Dojo l’avait probablement déjà fait, mais Yukie ressentait le besoin d’en finir elle-même avec Noriko. Elle les prévint aussi de sa venue prochaine. Elle refusait qu’un autre qu’elle ramène le sabre de Noriko à sa famille.
Ensuite, seulement, elle fit porter une missive à ses parents pour leur annoncer son retour. Avant leurs retrouvailles, Yukie devait passer voir son senseï, Bayushi Eiji. C’est lui qui avait demandé l’entrevue. Yukie pensait que Eiji souhaitait la voir pour parler avec elle du Mur. Mais pourquoi avec elle précisément ? Elle ne trouvait pas de réponse. Elle rangea son armure, plaça ses armes sur leur râtelier, mit un kimono d’intérieur, puis prit la direction du dojo principal, où devait se trouver le senseï.
Il était effectivement en train de donner un cours de sabre à de jeunes recrues. Yukie s’agenouilla dans l’entrée du dojo, regardant les jeunes s’entraîner. Les souvenirs affluèrent. Noriko et elle s’étaient rencontrées dans un cours comme celui-ci, et étaient rapidement devenues amies. Des heures passées à souffrir, de longues courses dans la neige, leur gempukku, mais aussi les jeux dans la rivière en été, les amours naissants… Autant d’images qui se bousculaient dans sa tête, et qui l’entraînaient dans une triste rêverie.
« Hum hum... »
Une quinte de toux tira Yukie de sa langueur. Bayushi Eiji se tenait devant elle. Le cours était terminé, les élèves sortis.
Yukie s’inclina respectueusement.
«– Bayushi Eiji-senseï…
– Tu peux te relever Yukie, lui dit son vieux maître.
– Vous avez demandé à me parler, Bayushi Eiji-senseï ?
– En effet Yukie, mais rendons-nous plutôt dans les jardins. »
Le jardin avait été aménagé idéalement. Un petit pont de bois avait été posé par dessus un agréable petit lac, empli de nénuphars. Deux cerisiers trônaient majestueusement. Mais l’époque n’était pas à la floraison. Malgré cela, le jardin conservait une ambiance calme et zen, propice à la discussion.
Yukie et Eiji s’installèrent sur un banc de pierre placé au centre du jardin.
« – Bien, Yukie, je souhaiterais avoir tes impressions sur ton séjour sur la Grande Muraille Kaiu.
– Mes impressions… Ce fût difficile Eiji-senseï, très difficile…
– J’ai appris pour ton amie. Ne sois pas triste. Elle a fait son devoir. L’ogre qu’elle a retenue aurait pu faire bien plus de victimes. Elle est tombée, mais sa famille peut être fière d’elle. Et toi aussi, tu dois être fière d’elle.
– Oui, senseï, je le suis. (Sa voix avait retrouvé un peu d’assurance)
– Tu me parlais de la difficulté de cette tâche ?
– Oui senseï. Là-bas, même l’attente est pesante. On sent, on sait que l’Outremonde vous regarde. De jour comme de nuit. La tension ne faiblit vraiment jamais. Même lorsque vous n’êtes pas de service, l’ombre de la muraille pèse sur vous.
Et… puis-je parler librement, maître ?
– Bien entendu Yukie, je veux tout savoir.
– Et bien, outre l’hostilité prévue d’une grande partie des troupes Crabes, il m’a semblé que notre division de Mur n’était pas aussi bien pourvue que les autres en guerriers de la famille Hida. De plus, il m’a semblé que les « renforts » avaient mis bien peu de motivation à venir nous rejoindre…
– Merci de ta franchise. A vrai dire, nos rapports collectés nous avaient dirigés vers cette hypothèse. Les Crabes semblent avoir volontairement réduits leurs effectifs afin de nous donner une leçon. Et de faire preuve du même coup de LEUR efficacité.
– C’est comme cela que je l’ai ressenti, Eiji-senseï. Mais tous les Crabes ne nous méprisaient pas. Certains ont combattus à nos côtés et…
– Je suis au courant Yukie. Bien, j’ai su ce que je voulais savoir. Tu peux retourner vers ta famille maintenant.
– Bien… Eiji-senseï. »
Yukie se leva, salua, puis sortit. Un peu de colère s’était infiltré dans son cœur. Ainsi donc, Noriko était morte car les Crabes avaient voulu humilier le Clan Scorpion. Elle espérait sincèrement que cela ne reste pas impuni.
Bayushi Eiji regarda son élève sortir du jardin.
« – Tuko, j’ai besoin de toi. (un homme se présenta, semblant sortir de nulle part. Un homme au kimono simple. Presque un heimin.)
– Hai Eiji-senseï, je suis là, dit-il en s’inclinant devant le maître.
– Bien. Tu vas te rendre à Shiro Shosuro.
– A vos ordres Eiji-senseï.
– Je sais qu’ils ont placé des agents près de Kaiu Shuya. Il faut qu’il trahisse Bayushi Yukie, nous nous comprenons ?
– Parfaitement Eiji-senseï. Il en sera fait selon vos volontés. »
Yukie, elle, avait pris le chemin de sa maison natale. La joie de revoir ses parents avait pris le pas sur tous ses autres sentiments. Elle avait hâte de raconter à sa mère sa belle histoire avec un jeune Crabe.