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par Iuchi Mushu » 29 janv. 2005, 09:57
Seuls les faibles mettent des années à s'affranchir d'une émotion. Celui qui est maître de soi peut étouffer un chagrin aussi aisément qu'inventer un plaisir
Kijuro ouvrit le shoji, le bruit de la cascade s’amplifia dans la froideur de la nuit. A n’en pas douter il allait neiger. Ses yeux traînèrent vers les appartements d’Hananatsu, il avait pensé à elle toute la journée. Verrait-il sa silhouette ? Il avait pris beaucoup de plaisir à l’initier aux subtils jeux de l’amour. Pourtant son désir allait au delà de son devoir. Rien que de penser à sa silhouette, sa peau légèrement dorée , son ventre plat, ses seins, ses sens s’emballaient. Une autre leçon ? Ce soir ? Pourquoi pas ! Il referma le shoji gardant sa propre chambre à l’abri de la tourmente à défaut de savoir en garder son corps.
Elle était agenouillée, un set d’écriture devant elle. De jolis caractères étaient tracés avec élégance. Etait-elle douée pour tout ? Elle posa son pinceau et s’inclina à son entrée front contre le sol. Il était avec Ayame et Shigeru dôno un des seuls à pouvoir venir à toute heure du jour ou de la nuit. Lorsqu’elle se releva, elle sut qu’il n’était pas là pour lui dire qu’elle partait ce soir en mission mais pour son propre plaisir .
Ses relations avec Kijuro étaient des rapports de forces silencieux et rebelles. Elle le détestait pour sa suffisance, pour ce perpétuel élan de supériorité écrasante qu’il ne cessait d’afficher. Ses leçons de corps à corps avaient depuis quelques mois pris un caractère beaucoup plus intime. Révoltée d’abord que le choix du clan se soit porté sur lui, elle n’avait pu cependant qu’obéir et se plier à tous ses exigences. Il était aussi doué pour les atémi que pour la lecture du corps des femmes. Elle avait été impressionnée par son savoir et les incroyables choses qu’il lui avait fait découvrir sur son propre corps mais depuis une semaine, il ne lui donnait plus de leçons, il assouvissait ses propres désirs. Elle n’était pas sa chose, elle s’y refusait.
Un serviteur entra, apportant du thé. Du thé noir et fort, elle détestait son odeur, elle lui rappelait son enfance. Se doutait-il qu’elle n’aimait pas cette odeur ? Faisait-il exprès de boire ce thé qu’elle trouvait infect. Elle s’en fichait.
- Continues
Elle reprit son pinceau et se pencha sur le parchemin pour qu’il ne lise pas la petite violence au fond de ses yeux gris. Il allait rester là à l’admirer pendant de longues minutes, comme on admire un objet de collection, une peinture. D’autres filles auraient été fières que Kijuro pose ce regard sur elle pourtant sans savoir pourquoi Hananatsu était presque certaine qu’il ne les regardait pas de la même façon. Ce regard scrutateur était parfois pour elle comme un viol, pire que la manière dont il l’avait prise certains soirs. Elle s’appliqua à ce que sa main ne tremble pas, il se servit à nouveau du thé. Au bout de longues minutes, leur regard se croisa dans le silence. Hananatsu aimait le silence autant que la danse, elle pouvait s’y blottir, s’y cacher, s’y recroqueviller des heures entières sans que ses sens exarcerbés n’en soient altérés. Kijuro devait aussi aimer le silence, s’ils avaient quelque chose en commun ce ne devait être que cela. Elle reposa ses yeux sur sa calligraphie et amplifia son désir par cette sorte d’indifférence rebelle mais si respectueuse. Elle ne l’aimait pas, il le savait mais personne ne le lui demandait. Il sentit le désir de la posséder monter en lui. Il n’avait pas été choisi par hasard, il avait tout fait pour devenir l’amant d’Hananatsu, pour être le premier à lui faire connaître un homme, pour l’initier et faire d’elle un précieux joyaux de séduction.
Sa surprise avait été grande quand il avait découvert qu’il n’était pas le premier et quand elle avait attisé son appétit par son petit regard de défi. Ce défi s’était mué au cours des mois lentement vers une sorte d’indifférence que campait de plus en plus profondément son savoir faire sur les hommes. Bientôt les leçons seraient finies. Et plus cette échéance s’annonçait proche, plus il perdait pied tant parfois il avait l’impression d’avoir affaire à un cheval indomptable alors que l’instant d’après, sous ses mains expertes elle s’offrait à lui dans une telle ferveur que son propre plaisir en était décuplé. Cette fille serait une arme redoutable, elle était capable d’anéantir n’importe quel homme qui aurait l’imprudence de croiser son regard et de s’y attacher. Cette soumission totale qu’elle pouvait avoir, cette obéissance quand il pliait son corps pour le soumettre, cette douceur que démentait sans cesse cette force rebelle au fond des yeux rendait fou. Etait-ce là le prix à payer pour l’approcher ? La folie en l’esprit et un corps plus jamais en paix ! Il lui arrivait de rire de lui même, comme s’il voulait se convaincre qu’elle n’avait rien de mystique, rien de spécial, aucune emprise sur lui.
Il se leva et se vint se placer derrière elle. Elle continua à calligraphier. Doucement il dégagea sa nuque pour y poser les lèvres. Elle s’abstînt de frissonner contrôlant les émotions que lui envoyait son corps. Il dégagea plus largement l’encolure de son kimono, et s’enhardit dans le même voie. Elle le laissa faire juste assez que pour l’irriter puis posa le pinceau mais ne se retourna pas. Elle se mettait à sa disposition. Elle commençait à connaître parfaitement son mode de fonctionnement, ce qu’il aimait, ce qu’il détestait, ce qui l’excitait. Ce soir pourtant, elle n’avait pas l’envie d’être l'élève, elle avait envie de lui montrer où était ses limites, le pousser jusqu'à lui donner la consciente mesure de son corps et de ce qu’il pouvait endurer comme retenue avant qu’elle n’accède à soulager la torture de son désir. Oui ce soir, peut-être le dernier, allait-il être différent.
Peu à peu il se fit plus entreprenant et elle le laissa faire jusqu’à ce qu’il ait l’impression de maîtriser le jeu puis elle en changea les règles. Elle se plaça derrière lui ôtant son obi, elle fit tomber son kimono et sortant de son propre obi une fine corde en soie tressée, elle lui ramena les poignets derrière le dos. D’abord un peu surpris, l ‘idée lui plût et il la laissa faire. Il ne savait pas à quel point le jeu allait être dangereux et au-dessus de ses forces. Alternant le toucher de sa peau de ses lèvres et de sa langue, il laissa le plaisir s’emparer de lui lié à son caprice mais bien vite, son corps et son esprit furent en feu la désirant au plus haut point.
- Détaches-moi.
Caressant son torse, ses lèvres remontèrent jusqu’à la naissance de son cou et dans un souffle, elle lui glissa un « non » doux et insupportable. Il tira sur ses liens. Ce n’était pas un fin ruban qui allait lui résister ! Mais la soie ne céda pas. Elle sourit alors que sa bouche et ses lèvres honorait chaque partie de son corps.
- Le concept est intéressant mais il m’est déjà connu.
Il tentait de sembler aussi blasé qu’il le pouvait mais tout en lui indiquait que l’effet recherché par Hananatsu était en train de naître amenant un désir violent et son cortège de peurs.
- Alors vous n’avez rien à craindre Kijuro sama.
Loin de stopper ses investigations, elle réduisait son calme au néant et sourit quand une fois encore il tenta de briser ses liens.
- Inutile. La soie est tressée, ce qui renforce la solidité de ses fils.
Il lui jeta un regard de colère et au lieu de la calmer, cela surenchérit dans sa détermination.
- En plus les cours de Fujimaro san sur les nœuds sont plus qu’instructifs.
Elle dépassait les bornes !
- Détaches-moi, c’est un ordre !
- Allons, c’est vous qui m’avait appris que la précipitation dans les jeux amoureux est source de frustration et de déception. Voilà que maintenant vous contredisez vos propres enseignements.
Au fond de ses yeux, il voyait brûler cette petite flamme de défi, petite violence silencieuse mais efficace puisqu’il était à sa merci. Elle passa derrière lui et ses caresses langoureuses le mirent au supplice.
Mordillant sa nuque, elle lui glissa.
- Si vous avez vraiment peur, vous pouvez toujours appeler les gardes.
Il fulminait laissant un étrange mélange alchimique s’emparer de son corps, envahir son esprit comme des flots en fureur. La colère se mêlait au désir, rejointes par cette envie rageuse de la remettre à sa place et cette sensation désagréable d’être à la merci de sa propre faiblesse. Quand elle en aurait terminé avec son petit jeu, il la laissera là emplie de désir qu’il ne satisferait pas. Mais cela c’était sans compter les talents d’Hananatsu. Après de longues minutes, l’amenant sur le chemin qu’elle avait choisi et lorsque la froideur de la lame se fit sentir entre ses poignets rompant la soie, il ne pensa qu’à une chose : la posséder, lui montrer qui donnait les leçons mais quelque part, elle l’avait vaincu, elle l’avait dompté et les élans de ses reins répondant aux ondulations de sa croupe n’étaient que l’expression de sa dépendance. Plus grande, plus forte, plus insoutenable, plus réceptive que jamais à ses caresses et autres délices qu’il lui avait appris à maîtriser. Plus il y pensait plus il enrageait. Cette dualité le poursuivit et son esprit ne s’apaisa que quand son corps épuisé, rassasié jusqu’à plus soif s’écroula sur le futon, la nuit était fort avancée. Il sombra dans un sommeil sans rêve. Sa maîtresse se rhabilla et rengaina son tanto, elle n’avait pas envie se réveiller à ses côtés au petit matin, pas envie de sentir l’odeur de son thé noir, pas envie de calquer ses pas sur les siens pour aller au dojo. Non cette nuit, elle avait gagné son indépendance. Elle l’avait vaincu.
La maison était silencieuse et l’écrin ouaté dont commençait à l’envelopper la neige avait quelque chose d’unique et de merveilleux.
Elle avait envie de s’exprimer dans la danse, dans le silence, dans la solitude, il était de toute façon trop tôt pour réveiller les servantes de la maisonnée.
Bientôt ce serait la fin de l’année, l’hiver les bloquerait là pour quelques mois. Elle sourit, les leçons de ji-jutsu allaient être mortifiantes à n’en pas douter. Peu lui importait, son instinct lui disait qu’elle avait éloigné Kijuro d’elle. Elle allait être libre, enfin d'une certaine manière, libre de dormir seule, de ne plus subir ses assauts , de rêver à tester ses talents sur d’autres hommes, ceux que son clan lui désignerait, d’explorer les fantasmes de ses futurs amants, de les conduire doucement sur le chemin de la dépendance et de l’extase. Pour la première fois, elle sentit le goût du pouvoir, un pouvoir bien mince et bien particulier mais tellement efficace. Quelque soit les hommes qu’elle croiserait, qu’ils soient guerriers, poètes, courtisans, diplomates, ils avaient leurs propres chemins, la voie de leur ancêtres, la voie de leur cœur mais aussi la voie de leur corps. Il suffisait de s’y poster adroitement. Elle était certaine de ramener ce que son clan attendait d’elle même si ce devait être une chose rare comme celles que l’on ramène d’un long voyage, initiatique, dangereux mais révélateur.
Elle s’asseya dans la salle. Il n’y avait aucun musicien mais elle n’avait pas besoin d’eux pour entendre les chants et les tambours, même sans avoir encore conçu ses vêtements, elle imaginait parfaitement chacun des pas de cette nouvelle danse. L’amour l’avait fasciné comme la mort, elle en retirait une grande force, elle les avait approchées tous deux sans leur succomber guidée par un destin dont elle ignorait encore beaucoup. Elle se mit en mouvement, ses gestes se firent précis et tel le spectre qu’elle interprétait dans sa danse, elle fut impermanente, transparente, insensible, à l’abri de tout ce qui pouvait la toucher. Il n’en serait pas toujours ainsi mais là dans l’espace du dojo, seule dans le silence d’avant le petit matin, elle savourait la maîtrise de sa vie, de son art, de son corps
Quand l’aube pointa, elle alla prendre un bain et revêtir son kimono d’entraînement, la nuit n’avait eu aucune incidence sur son visage, sa jeunesse et sa fraîcheur respiraient l’insolence d’une force nouvelle bravant et défiant tout ceux qui se mettrait sur son chemin.
Kijuro quitta le village le lendemain après-midi pour "parfaire l'enseignement d'autres filles du clan"
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Iuchi Mushu le 13 mai 2005, 11:49, modifié 1 fois.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)