[Nouvelle] Licorne

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Otaku Sh?am
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[Nouvelle] Licorne

Message par Otaku Sh?am » 19 déc. 2004, 20:02

Le marchand n’avait pas souvent vu de rokugani, il savait qu’ils vivaient au-delà des plaines sèches et qu’ils ne s’aventuraient jamais aussi loin de leur Empire… Pourtant, cette femme qui arrivait était rokugani à n’en pas douter… Ce qui frappa Tarik, ce fut la pâleur de sa peau, elle avait la couleur de cette poudre qu’il n’avait vu tomber du ciel qu’une fois quand il était enfant… Elle marchait d’un pas lent, ses vêtements en lambeaux, exposant un peu plus sa peau claire, de longs cheveux noirs cascadaient jusqu’au milieu de son dos. Elle prenait appui sur un long bâton noueux, deux épées, une courte et une longue pendaient à son flanc gauche ; en bandoulière sur son épaule, un sac de toile grossière et un arc court.
- Elle est belle ! s’exclama son fils en tendant le doigt vers l’étrangère.
Tarik le gratifia d’une tape sèche derrière la nuque mais il disait vrai, les jambes de la femme étaient fines, fuselées, sa taille mince serrée par la ceinture qui portait ses armes. Elle était magnifique…
- Range un peu les articles, qu’elle aie au moins envie d’en acheter ! gronda l’homme.
Le garçon déguerpit sans demander son reste. La rokugani atteignit l’étal et leva ses yeux vers Tarik, ses cheveux mangeaient le côté gauche de son visage mais on devinait son ovale parfait, son œil droit était magnifique, d’une couleur ambrée, un fin sourcil s’arquant au-dessus de sa paupière. Le gaijin connaissait des rudiments de la langue de la femme, son père avait tenu à ce qu’il soit capable de vendre à ceux qui vivaient de l’autre côté, le vieil homme croyait qu’un jour, leur pays serait le plus puissant et que tous viendraient à lui… On attendait encore ce jour-là…
- Bonjour ! fit-il d’un air jovial.
- Bonjour, marchand.
Sa voix était éraillée, celle de quelqu’un qui n’a pas bu depuis longtemps…
- Un peu d’eau ?
La femme hocha la tête, fouilla dans une des poches de sa veste et lui tendit une pièce en cuivre.
- Gratuit, gratuit ! fit-il en lui tendant un bol en bois rempli d’une eau légèrement brunâtre.
- Merci.
Elle rangea l’argent et porta le bol à ses lèvres avec lenteur.
- Comment t’appeler ?
La femme sembla mettre un temps à comprendre puis articula lentement.
- Haruka.
- Moi, Tarik ! Je peux vendre à toi choses très utiles pour désert !
- J’aimerais que tu me vendes ces choses dont tu parles…
Le marchand hocha la tête et pria la jeune femme de l’attendre, il allait chercher des choses pour elle dans sa cabane.
Haruka finit l’eau, elle avait un goût de terre mais elle lui permettait au moins de rafraîchir sa gorge… Trois longues années mais elle avait fini par y arriver… Les terres brûlées, enfin… Le clan du Scorpion n’irait pas la chercher ici.
Tarik revint, vu l’allure de l’étrangère, il doutait qu’elle survive plus de quelques jours dans la fournaise mais les affaires sont les affaires ! La jeune femme observa attentivement ce qu’il lui présentait et troqua ses sandales de bois pour des bottes de cuir, ses jambières de laine et sa veste de coton contre tunique et pantalon bouffant blancs, ajoutant parfois quelques pièces en contrepartie. Pour Tarik peu importait le nom de koku ou de bû, ce qui comptait c’était le métal dont ces pièces étaient faites.
- Toi ferait mieux de prendre ça pour ta tête. fit Tarik en lui tendant un turban.
- Hum…
Haruka se saisit de l’étoffe et releva ses cheveux. Tarik retint une exclamation d’horreur. Son œil gauche n’était plus qu’un cratère de chair boursouflée et une longue cicatrice courait sur sa joue. Elle enroula ses cheveux dans le tissu et laissa une mèche cacher son œil mutilé.
Quelques temps plus tard, l’étrangère repartit finalement avec une gourde de cuir, de nouveaux vêtements, de la viande séchée et cinq cent grammes de semoule fine.
La longue silhouette s’éloigna petit à petit de la cabane du marchand dont le fils revint enfin.
- Tu lui a dit où était le puit, papa ?
- Oui mais elle ne tiendra pas sept jours…
- Pourquoi ?
- Le soleil, mon fils est le pire des ennemis. Cette femme est sans doute pareille aux amazones que nos grand-pères virent passer, il y a de cela des siècles, elle a connu semble-t-il moult ennemis mais le soleil elle ne le connaît pas et elle le sous-estimera.
- Elle va mourir ?
- Sans doute, à moins que les Mercenaires n’en décident autrement, après le soleil, c’est eux qui commandent.
- Les Mercenaires ?
- Je t’expliquerai une autre fois.


Haruka secoua sans conviction la flasque de cuir… Dire qu’il y a quelques années en arrière elle aurait été dégoûtée par un tel objet… Elle vérifiait enfin le précepte de son ancien clan selon lequel la fin justifiait les moyens.
Elle avait terminé le lapin qu’elle avait tué il y a de cela deux jours et elle était affamée, autour d’elle, que du sable ; du sable et du soleil… Amaterasu la déesse, mon oeil ! Un démon plutôt ! Le soleil brûlait tout ici, à cause de lui pas de vie possible… Elle n’avait pas vu un seul arbre depuis bien longtemps… Sa dernière blessure à la jambe la faisait atrocement souffrir et les distances parcourues étaient bien maigres, son œil gauche la lançait terriblement, elle n’avait jamais guéri complètement du coup de sabre porté par son daimyo… Elle avait voulu fuir Rokugan et elle était piégée par les terres brûlées, sale destin. Elle posa sa tête sur le sable, elle aurait presque crié au contact de sa peau brûlée par le soleil avec les minuscules grains. Tout était fini et personne n’entendrait son cri, à quoi bon ?


- Qu’est-ce que tu fous, Hassan ?
L’homme voilé de noir se tourna vers son frère.
- Il y a un corps là-bas !
- Et alors, t’es un de ces foutus vautours ?
- Y’a peut-être quelque chose d’intéressant…
- Tu es un guerrier, pas pilleur de tombes, merde ! grogna Hassim.
Hassan l’ignora et dévala la dune. Son frère le suivit à contre cœur.
- C’est une femme et elle est vivante !
- Une femme ? Dans le désert ?
Hassan regarda l’inconnue, sa peau ne devait pas avoir l’habitude du soleil, il fallait l’amener à l’ombre et l’hydrater sans quoi elle mourrait… Une femme dans ces étendues sablonneuses était une véritable aubaine, les hommes seraient contents, il avait encore eu une sacré intuition !
- Aide-moi, Hassim !
Il la saisit aux jambes tandis que son frère la prit aux épaules.
- Oh bordel, qu’est-ce que c’est que ça ? hurla-t-il en la lâchant.
- Fais gaffe, tu vas l’abîmer !
- Regarde son œil, Hassan !
Son orbite gauche grouillait de vers blancs, l’homme réprima un frisson.
- Ce doit être une guerrière, Malika pourra sans doute quelque chose pour son œil…
- Mais personne n’en voudra !
- Oublierais-tu le devoir de l’hospitalité ? fit Hassan. Allez, soulève-la.
- L’hospitalité si la personne la réclame !
- T’auras qu’à cacher son œil si y’a que ça qui t’intéresse !
Hassim soupira et reprit la femme par les épaules, évitant de regarder son visage.


Haruka sentit une odeur de plante, elle essaya d’ouvrir ses yeux et fut tristement rappelée à la réalité, seul son œil droit y voyait. Autour d’elle une toile de tente, de l’ombre, de l’eau, une femme à la peau brune.
- Qui êtes-vous ? murmura le ronin.
La femme lui répondit dans une langue inconnue.
- Seigneur Hassan, elle est réveillée.
- Elle parle ?
- Une autre langue, je crois…
- Et son œil ?
- J’ai retiré les insectes mais il faudra brûler les chairs pour éviter l’infection… Je me demande comment elle a fait pour survivre…
- Cautérise la plaie, alors. Les cadavres attirent de sales bêtes.
- Oui, Seigneur Hassan.
Haruka suivit l’échange sans en rien comprendre. La femme avait sûrement la trentaine mais ses traits étaient tirés et son visage fatigué, creusé de rides. L’homme était immense, sa peau brun foncé, une épaisse barbe noire lui mangeait le bas du visage, il semblait dominer la femme et lui donner des ordres. Il se rapprocha d’elle.
- Tu comprends ce que je dis ?
Sa langue était bizarre, faite de sonorités gutturales… Il se pencha encore vers elle et lui caressa la joue.
- Ma foi, tu n’es pas trop mal avec un œil bandé correctement…
L’étrangère essaya de se contorsionner pour lui échapper, Hassan la retint, son œil droit le foudroya.
- Tu ferais mieux de lui expliquer qu’il faut obéir, Malika. Sinon, nous la jetterons dehors !
- Oui.
Haruka détestait qu’on la touche, surtout au visage, elle aurait pu tuer quelqu’un pour moins que ça !
L’homme grommela quelque chose puis sortit. La femme posa une main sur sa poitrine et articula lentement.
- Malika.
Haruka la regarda de son œil ambré puis posa difficilement une main sur sa poitrine.
- Haruka.
La femme désigna l’extérieur.
- Hassan.
Ce devait être le nom de son agresseur… Son œil étincela de colère et aussitôt Malika secoua la tête en répétant des mots étranges.
- Non, non, non !
Elle s’inclina à plusieurs reprises devant la sortie de la tente. Haruka soupira, pourquoi ceux qui détenaient l’autorité étaient-ils toujours des imbéciles ? Malika désigna l’œil blessé puis le feu.
- Quoi ? demanda Haruka.
Malika s’approcha du feu et en retira un pointe de flèche chauffée à blanc. Haruka comprit soudain et essaya de se redresser mais elle n’avait pas vu un autre homme à sa gauche qui la maintint sur le matelas.


Hassan expliquait l’arrivée de l’étrangère au campement quand un long hurlement s’échappa de la tente des femmes.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda le chef des Mercenaires.
- On soigne les blessures de la femme, grand Mahir…

Haruka bouscula l’homme avec une force qui surprit Malika et se leva d’un bond, des larmes de sang ruisselant sur sa joue gauche, elle tituba jusqu’à la sortie, se heurtant et renversant divers objets, écartant violemment ceux qui voulaient la retenir. Elle n’y voyait plus rien, la douleur était terrible, on lui avait pris son daisho, on…

Hassim lui asséna un violent coup dans la nuque et elle s’effondra sans crier. Il n’avait pas apprécié qu’elle l’envoie dans le feu… Il tira son cimeterre quand Malika s’interposa en le suppliant.
- C’est une intervention très douloureuse qui fait perdre les esprits, laissez-la se rétablir, seigneur Hassim, je vous en prie !
Il hésita quelques instants, sa lame suspendue au-dessus des deux femmes puis la rengaina.
- Tiens-la hors de ma vue jusqu’à ce qu’elle soit remise. Après, elle aura son compte !
- Oui, seigneur Hassim !
L’homme quitta la tente furieux. La femme du désert réfléchit quelques instants et ordonna aux hommes qui montaient la garde à l’entrée de rallonger l’étrangère. Il y avait bien un homme qui parlait une langue étrange et qui était arrivé au campement il y avait deux ans de cela… Akizo… Malika attendit que les hommes aient fini puis elle leur demanda d’aller chercher le guerrier. Haruka recommença à bouger, elle s’approcha d’elle et lui indiqua d’un geste doux qu’il ne fallait pas bouger. Les pans en peau de bête de la tente furent écartés et un homme de haute taille rentra, il avait la peau brune lui aussi mais les yeux bridés, son visage n’était pas celui d’un homme des terres brûlées et il parlait la langue des Mercenaires avec un accent étranger.
- Seigneur Akizo, il y a une femme qui vient d’arriver au campement et je crois qu’elle parle votre langue…
- Ma langue ?
Akizo s’approcha, sur un matelas de plumes recouvert d’une peau de chèvre était allongée une femme blessée, à l’œil crevé et sanglant mais sa peau et son allure étaient celles d’une rokugani.
Haruka observa l’homme, malgré sa peau foncé, il ressemblait à l’un des siens. La peur lui serra la gorge, serait-elle revenue près de Rokugan ?
- Comment tu t’appelles ? fit l’homme dans la langue de l’Empire d’Emeuraude.
- Haruka, samouraï-sama…
- Je ne suis plus samouraï. Que fais-tu ici ?
- J’ai quitté Rokugan, on m’accusait à tort.
- Quel était ton ancien clan ?
- J’appartenais à la famille Bayushi du clan du Scorpion.
- Qu’est-ce qui est arrivé à ton œil ?
- Mon bien-aimé daimyo l’a crevé ! fit-elle d’un ton sarcastique malgré la douleur.
- Je suis Akizo, j’ai appartenu à la famille Hida du clan du Crabe. Où est ton daisho ?
- Ils me l’ont pris.
Akizo hocha la tête et se leva. Il s’adressa à Malika dans sa langue.
- Cette femme est une guerrière, jamais les soldats ne pourront faire d’elle leur putain, elle préférera la mort que rompre son serment.
- Quel serment ?
- Dans mon pays, une guerrière doit faire vœu de chasteté et elle ne le rompra que si elle venait à se marier.
Haruka observa le grand Crabe discuter et sortir de la tente, elle n’était peut-être pas perdue…


- Comment ? s’exclama Hassim.
- C’est une guerrière, mon frère…
- Et alors, elle n’en reste pas moins une femme !
- Tu n’arriveras jamais à en faire une esclave. insista encore Akizo.
- Eh bien il n’y a qu’à la mettre à l’épreuve, Hassim contre l’étrangère et celui qui perdra sera banni. Trancha finalement Mahir.
- Soit ! Ce n’est pas cette fille borgne qui va gagner ! fit-il en riant. Je serai clément, je lui donne le temps que sa vision se répare et le choix de ne pas se battre !
- Il faut que tu lui rendes ses armes, Hassim.
- Elles sont dans ma tente, prend-les.
- Merci.
Akizo salua ses camarades et son chef puis quitta la tente de commandement.
- Il est toujours un peu raide, non ? fit Hassan en regardant le grand Rokugani s’éloigner.
- C’est dans leur culture. répondit doctement Mahir.


Haruka s’efforça d’ignorer la douleur pour saluer Akizo qui revenait. Avec des gestes imprécis, elle quitta son matelas et s’inclina.
- Akizo-sama.
- Il n’y a pas de titres ici, les hommes connaissent leur valeur et cela leur suffit, Haruka-san.
- Bien…
- J’ai récupéré votre daisho.
Il lui tendit les deux fourreaux écaillés de rouge ainsi qu’une longue robe noire et un pantalon bouffant assorti.
- C’est la tenue des Mercenaires.
- Mercenaires ?
- Des hommes qui se battent pour l’argent, les maîtres du désert, son armée.
- Des ronin des sables ?
- Oui.
Akizo se retourna sous l’œil surpris des autres femmes de la tente. Haruka se dévêtit lentement, épargnant sa jambe bandée par les soins de Malika, la douleur dans sa tête était intense. Elle enfila les habits noirs et autorisa Akizo à se retourner. Il lui tendit un bandeau.
- Il protégera ta blessure de la poussière et du soleil.
Elle l’enfila. Ainsi, elle recouvrait sa beauté, celle qu’elle avait du avoir avant son accident… Elle prit le katana et le wakizashi et les passa à sa ceinture de cuir puis elle suivit Akizo dehors, enfilant des sandales de cuir. Haruka fut stupéfiée par l’extérieur, en plein milieu du désert se trouvait la vie, des plantes, de l’eau, des fruits. Autour d’eux, de nombreuses tentes étaient installées, de toutes les couleurs, de teintes claires ou bariolées de rouges, de bleu et de jaune. Elle observait tout avec une révérence inattendue.
- Comment est-ce possible ? murmura-t-elle.
- C’est une oasis. Une forêt en plein désert, l’espoir de survie de tout voyageur. Peut-être aimeriez-vous vous rafraîchir un peu ? Je surveillerai les alentours.
- Volontiers.
Haruka suivit l’homme mais une chose l’étonnait, en bon Scorpion elle avait appris la méfiance, peut-être à l’excès.
- Pourquoi faites-vous ça pour moi ? demanda-t-elle soudain.
- Parce que les miens me manquent. Parce que vous êtes une guerrière et que vous avez mes valeurs, celles de notre Empire, parce que vous êtes une goutte d’eau précieuse dans le désert et l’aridité de ce peuple.
Haruka avait mal à la tête et elle décida de le croire, accueillant avec bonheur l’eau claire de l’oasis, Akizo la laissa en compagnie des femmes des Mercenaires qui l’aidèrent sur ses ordres à se laver et à soigner ses plaies. La plupart furent étonnées de voir tant de cicatrices sur un corps de femme. Elle se sécha dans une peau de mouton et rejoignit l’ancien Hida.
- Peu d’hommes décident d’entreprendre le voyage vers les terres arides… commença-t-il. Je suis arrivé il y a deux ans, dans un état guère meilleur que le vôtre, un autre homme pareil à vous et moi n’a pas survécu à ses blessures et au soleil et il est mort peu après mon arrivée ici. Les Mercenaires m’ont accepté car dans leur pays et surtout dans le désert, quand les clans ne sont pas en guerre, l’hospitalité et la charité sont nécessaires à la survie… Je leur dois la vie et je resterai avec eux. J’ai été banni injustement, lors d’une cour d’hiver... Je ne connaissais rein aux usages et j’ai commis une faute mais ce sont des Doji qui m’ont jugé, je ne représentait qu’un peu de distraction pour eux, nul n’a fait preuve de clémence à mon égard… Mais comment aurais-je pu savoir que je m’étais adressé à une princesse impériale et que j’avais insulté notre Empereur ! Elle ne s’était pas plainte de mes faveurs !
Akizo marqua une pause et baissa la tête.
- J’ai fui, j’ai été lâche. Mais je ne voulais pas mourir pour une faute aussi ridicule ! Je rêvais de gloire sur le mur et maintenant je me bats pour de l’argent dans un pays qui n’est pas le mien, je n’ai pas de camp, pas de clan, pas de patrie…
- Je comprends…
Haruka avait été magistrat d’Emeraude pendant un temps avant d’être le plus jeune sensei de son clan… mais c’était là bien loin derrière elle. Elle regarda Akizo, il n’était pas si vieux… A peine plus d’une vingtaine d’années…
- Et vous ? fit-il soudain.
- J’ai été trahie. J’ai payé, fit-elle en désignant son bandeau, pour ce que je n’ai pas fait.
- Qui vous a trahie ?
Oui, il était jeune, la stupeur de son ton, la naïveté de ses questions tout le prouvait…
- L’insoupçonnable, évidemment. fit Haruka avec un rictus amer.
- Et ?
- Ce n’est pas vraiment une conversation intéressante mais disons pour simplifier que j’ai fui pour échapper à mon clan, j’ai fui pour revenir. Je reviendrai et ils paieront…
Akizo regarda la femme avec un léger sourire.
- Vous aurez besoin de plusieurs personnes pour faire payer à un clan entier !
- Je ne veux faire payer qu’à quelques personnes… fit-elle en souriant. Je n’ai pas tant d’ambition !
- Je reviendrais peut-être un jour moi aussi… fit Akizo en regardant l’horizon.


Hassim regarda l’étrangère, sa peau était plus foncée qu’à son arrivée et son œil était correctement bandé, elle avait coupé ses longs cheveux noirs qui se dressaient en pointes hirsutes. Elle tenait à deux mains un sabre comme celui d’Akizo, légèrement recourbé à la lame fine, le Mercenaire connaissait son tranchant… Un cordon rouge enroulé sur la poignée du katana retombait sur les poignets de Haruka. Ses longues jambes étaient écartées et fermement plantées de le sol. Hassim tenait son cimeterre d’une main et arborait un sourire de loup ; la femme allait perdre.
Tous deux s’élancèrent, Hassim poussa le cri que les guerriers des sables poussaient au combat depuis des siècles mais quelle ne fut pas sa stupeur en constatant que dans sa main droite, il ne tenait plus rien. Il se jeta en arrière assez rapidement pour éviter que son propre cimeterre ne vint lui trancher la gorge mais pas assez pour éviter le katana.
Les guerriers virent médusés le sable boire le sang d’un des meilleurs d’entre eux qui retomba en deux morceaux sur le sol.
Haruka laissa tomber l’arme de son adversaire et essuya calmement sa lame au vermeil luisant.
Un lourd silence tomba sur le camp puis Mahir s’avança.
- Sois bienvenue, guerrière de l’Empire d’Emeraude.
Haruka s’inclina. C’étaient donc des hommes de parole.


Quatre ans avaient passé, le ronin avait appris à lire dans le ciel et le soleil les tempêtes de sable, il avait appris à parler la langue du peuple du désert, il avait rencontré divers peuples, tribus, clans, il avait visité des dizaines d’oasis, il avait appris à connaître les serpents mortels qui se cachaient dans les roches et sous le sable, il avait appris à débusquer la nourriture, rongeurs, oiseaux, il avait rencontré les grands poneys que montaient les hommes des terres brûlées et les grands animaux bossus qui transportaient leurs campements d’un bout à l’autre de étendues de sable. Le ronin avait parfait son art du combat, son art du poison, en en découvrant de plus mortels hors de Rokugan, son art de la tromperie et de la discrétion, son art de la séduction, découvrant avec Akizo les plaisirs charnels. Mais le ronin n’était satisfait.
- Qu’y a-t-il plus loin ? demanda un jour Haruka à Mahir.
Le vieil homme ne regrettait pas le choix qu’il avait fait en prenant cette femme dans ses rangs, elle valait cinq de ses guerriers quand il l’avait connue, elle en valait maintenant dix malgré son œil… Sa peau était de la couleur du cuivre, elle portait ses cheveux mi-longs, protégée par un turban et un voile noir comme ses compagnons, sa démarche était souple et silencieuse et c’est à peine s’il l’avait entendue approcher.
- Je ne sais pas trop…
- Pourquoi ne pas y aller ?
- Pourquoi y aller ? rétorqua-t-il.
Haruka le salua et s’en alla, le vieil homme soupira, elle allait partir, encore.
Le ronin approchait de ses trente-quatre hivers, il aurait dû rentrer à Rokugan pour réclamer une vengeance mais un appel résonnait dans sa tête… Haruka l’entendait depuis plus de deux ans… C’était la voix d’une femme mais elle n’était pas sûre d’en comprendre la langue… C’était comme une mélange de rokugani et de tous les dialectes du désert… Elle s’éveillait souvent en sueur avec une envie irrépressible de quitter le camp et de descendre encore vers le sud… Elle regarda le Soleil se coucher, assise sur un rocher, elle attendit l’ascension de la Lune et sourit ; cette nuit, elle partirait.
Dernière modification par Otaku Sh?am le 03 mars 2005, 17:23, modifié 1 fois.
Otaku Sh?am
Floodspeakeuse, supp?t de l'outremonde.
Inclinez cette carte et les unit?s ennemies s'en iront ramasser des petits cailloux...

Et dire que des gens oublient les petits cailloux, quelle honte!

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Message par Otaku Sh?am » 03 févr. 2005, 14:25

Akizo s’étira et tendit la main vers l’autre côté du tapis de sol. Rien. Il se redressa.
- Haruka-chan ?
Pas de bruit, juste le souffle du vent, présage d’une future tempête. Il rejeta ses couvertures et bondit hors de la tente. Dehors tout était calme, quelques hommes assis en rond fumaient le narguilé en discutant des provisions à faire avant de repartir vers l’ouest.
- Vous avez vu Haruka ? demanda le jeune homme en enfilant ses sandales.
- Elle est partie il y a trois heures, pourquoi ? fit un des gardes d’un air ensommeillé.
Il jura en rokugani et s’élança vers la tente de Mahir. Celui-ci était déjà levé et affûtait tranquillement son cimeterre. Il passa le pouce sur le tranchant de la lame, grimaça quand la peau s’ouvrit puis reposa l’arme d’un air satisfait.
- Tu as constaté l’absence de Haruka, on dirait ! fit Mahir en souriant.
- Vous saviez ?
- Bien sûr. Elle est venue me voir hier, elle m’a parlé du sud. C’est une femme très curieuse et intrépide.
Le vieil homme se leva et s’étira.
- Alors, elle est partie ? demanda le guerrier d’un air désemparé.
Mahir regarda sa recrue, on aurait dit un enfant de deux mètres. Il éclata de rire et Akizo se rembrunit.
- Tu ne t’en doutais pas un peu, Akizo ? Une femme qui voyage seule depuis votre lointain Empire, croyais-tu vraiment qu’elle resterait avec toi ?
- On s’entendait bien...
- Elle est libre, c’est toi-même qui nous l’a dit quand elle est arrivée ici. Oublierais-tu tes propres leçons ?
- Non.
Akizo baissa la tête.
- Elle n’est pas partie à pied au moins ? Elle a pris un chameau ?
- Non, elle ne les trouve pas fiables. Ils marchent tranquillement tout le long des routes puis s’affalent d’un coup sans signes avant coureurs... Elle a toujours détesté les chameaux. Elle est partie à pied, le cheval n’est pas son fort...
- Sans signes avant coureurs... répéta Akizo d’un ton morne.
- Bah, tu finiras bien par l’oublier !


Haruka rabaissa son voile et déposa son sac dans le sable, il lui restait peu de temps. Elle commença à creuser et quand elle jugea le trou suffisamment long et profond, elle s’y terra, se recouvrant d’une couverture de voyage qu’elle avait emportée. La tempête arriva, comme le vent et le ciel l’avait annoncé. Elle humidifia son voile et s’en recouvrit le visage. Le sable déferla, la recouvrant presque toute entière, giflant sa peau, s’insinuant dans les moindres recoins. Elle resta calme, ce n’était pas sa première tempête. Elle respirait doucement, le voile mouillé était un filtre sûr mais elle préférait respirer lentement. Elle attendit et d’un coup, le vent retomba. Elle se redressa en s’ébrouant, faisant fuir quelques rongeurs des sables qui s’étaient installés sur ce qu’ils pensaient être un petite dune. Elle toussa et ôta son voile. Le sable s’était aggloméré en petites boules humides mais il commençait déjà à sécher. Si la tempête avait duré plus, il aurait été difficile de continuer à respirer. Elle secoua le bout de tissu et ôta son bandeau, après avoir nettoyé sa main du sable environnant, elle entreprit de sentir la présence de grains dans l’orbite vide. Il n’y avait apparemment rien mais elle appliqua quand même le baume que lui avait donné Malika pour ses douleurs. Elle nettoya le bandeau et le remit. Il y avait une oasis à six heures de marche, elle pourrait y être pour le soir et là-bas, elle ôterait le sable de ses vêtements. Pour le moment il lui fallait marcher avec les grains qui crissaient désagréablement contre sa peau...


Mei Hua gémit, elle n’avait pas prévu ça... Elle oubliait toujours les pumas...


Haruka soupira en entrant dans l’eau presque fraîche de l’oasis. Elle jeta un coup d’œil à ses vêtements étendus sur les branches des palmiers bordant la source et se détendit. Apparemment, rares étaient ceux qui descendaient aussi loin vers le sud et l’endroit était désert. Elle quitta l’eau tandis que le soleil déclinait et se sécha vigoureusement, elle enfila ses vêtements déjà secs et s’étendit sur un rocher, grignotant quelques figues séchées puis elle tendit la main vers son arc. Un peu de viande serait la bienvenue. Elle ignorait ce qui se trouvait dans le sud et Mahir aussi, de sorte que sa carte était des plus imprécises. Elle tendit la corde et prépara sa flèche. Le sable crissa doucement, par à coups, quelque chose bondissait... Haruka plissa l’œil droit et visa le lapin. Il s’effondra avec un petit cri, la flèche en travers de la gorge. Le ronin sourit et se leva. Les lapins des sables sortaient toujours au crépuscule... Elle le dépeça sans états d’âme et prépara un feu. Elle l’embrocha sur une baguette de bois ignifugé et attendit.

J’ai tellement mal... Je t’en prie ne me laisse pas !

Haruka sursauta, portant la main à son sabre. Il n’y avait personne. Elle attendit puis finit par se détendre. Elle ôta le lapin du feu et commença à le déchiqueter avec appétit. Elle emballa les restes dans un morceau de cuir et jeta quelques brindilles de plus dans le feu puis elle étendit sa couverture et posa son daisho tout à côté. Elle s’allongea, guettant les bruits nouveaux qu’apportait la nuit. C’était à la montée de la Lune que le désert commençait vraiment à vivre. Onnotangu était meilleur qu’Amaterasu ici, songea-t-elle avec ironie puis elle s’endormit.

Je ne veux pas mourir...

Haruka se réveilla en sursaut, les braises du feu finissaient de mourir. Elle se leva. Quelque chose hurlait de douleur là-bas et dans sa tête. On aurait dit un hennissement. Il y avait un voyageur ? Elle passa ses armes à sa ceinture et se laissa guider par la pâle lueur de la Lune et par les cris.
Allongé dans le sable se trouvait un cheval au pelage d’une blancheur immaculée, mais un large tâche sanguinolente venait gâcher cette beauté. Le flanc était ouvert.
- Merde...
Haruka s’approcha, il n’y avait pas de cavalier mais elle ne pouvait pas laisser la bête comme ça... Elle retourna à son campement et mouilla sa couverture puis elle prit le baume de Malika. C’est là qu’elle la remarqua ; la corne sur le front du cheval. Elle décida de ne pas y faire attention, elle avait après tout rencontré des animaux bien étranges de l’autre côté de la frontière... De gigantesques chats des sables, des serpents immenses, des lapins étranges, des oiseaux de proie immenses et hideux, signe de mort, des poneys géants, les chevaux, des animaux au dos bossu, alors pourquoi pas une Licorne ? Si un ancien clan de Rokugan l’avait pris pour emblème c’est que ça existait quelque part, non ? Elle essuya la plaie, évitant les coups de sabots que donnait l’animal puis elle étala le baume cicatrisant, serrant les flancs dans la couverture. La licorne semblait plus calme, elle avait posé sa tête sur le sable et respirait doucement. Haruka s’allongea à ses côtés. Cet animal pourrait lui être utile s’il survivait. Elle se rendormit.


La licorne avait disparu... Haruka jura, elle n’avait plus de couverture maintenant ! Hors de question de rebrousser chemin et d’admettre devant Mahir et Akizo qu’elle avait eu tort. Elle saurait se débrouiller ! Elle regagna son campement.
- La licorne est partie, j’ai nettoyé votre couverture.
Haruka sursauta, une jeune femme était assise sur la rive, vêtue des amples vêtements du désert. Elle avait la peau mate des gens du désert mais ses traits semblaient vaguement rokugani. Elle passa une main aux longs doigts fins dans sa chevelure d’ébène et sourit. Elle était magnifique...
- Je m’appelle Mei Hua. Et vous ?
Comment était-elle arrivée jusque là sans qu’elle l’entende ?
- Euh... Haruka.
Le sourire de la jeune femme s’élargit devant l’air ahuri du ronin. C’était bien celle qu’elle attendait, sa grand-mère avait eu raison.
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Message par Otaku Sh?am » 16 août 2005, 16:21

Haruka avait considéré l’arrivée de Mei Hua avec méfiance. Comment une fille aussi frêle qu’elle avait-elle pu arriver aussi loin au Sud sans dommage ? Peut-être y avait-il une cité dont elle était originaire ? Une cité dans laquelle, malgré les années passées au service de Mahir, elle n’avait jamais mis les pieds parce qu’elle était trop au Sud ?
En tout cas, l’arrivée de cette fille ne pouvait que lui donner raison dans son débat avec Mahir et Akizo. Il fallait aller plus loin vers le Sud, il y avait encore des choses à découvrir...
Ce qu’en revanche, Haruka n’arrivait pas à s’expliquer, c’était ce dialecte étrange que parlait la jeune fille. Cela ressemblait à un mélange de rokugani et de gaijin.... Cela sonnait plus rokugani que gaijin d’ailleurs, seuls quelques mots et constructions avaient été empruntés à la langue du désert. Haruka avait appris plusieurs dialectes en quatre ans mais aucun ne ressemblait à celui-là et aucun n’avait jamais ressemblé autant à sa langue maternelle.
Quoiqu’il en soit, malgré les doutes qu’Haruka éprouvait à l’égard de Mei Hua, elle avait accepté la proposition de celle-ci : l’accompagner vers le Sud.
- Pourquoi veux-tu aller vers le Sud ? demanda soudain Mei Hua.
Haruka n’hésita pas un seul instant à lui donner sa réponse.
- Quelque chose m’appelle.
- Quoi ?
- Je ne sais pas.
Mei Hua éclata de rire, Haruka se renfrogna.
- Cela semble stupide, n’est-ce pas ? marmonna-t-elle.
- En effet. Mais j’ai le sentiment que ça ne l’est pas.
Haruka haussa un sourcil.
- Et toi ? Pourquoi vas-tu vers le Sud ?
- Je dois aller chercher quelqu’un.
- De ta famille ?
- Pas vraiment...
Le ronin rajouta une brindille dans leur feu de camp. Sa compagne de voyage était décidemment quelqu’un d’étrange... Cela faisait quatre jours qu’elles marchaient vers une destination inconnue. Mei Hua prétendait vouloir chercher quelqu’un et pourtant, elle ne donnait aucune instruction quand à la direction à prendre. Comptait-elle trouver celui qu’elle cherchait par hasard ?
Haruka tira la couverture à elle et s’allongea dans le sable, indifférente aux grains qui s’insinuaient dans ses vêtements, elle avait le sentiment qu’on l’appelait.
- Pourquoi as-tu quitté ton pays ? demanda Mei Hua en s’allongeant à ses côtés.
- Pour devenir plus forte.
- L’es-tu devenue ?
- Oui. Mais pas assez.
- Que feras-tu quand tu le seras assez ? demanda la jeune fille après un long silence.
- Je retournerai dans mon pays.
- Pourquoi ?
Haruka se mit à fixer son katana avec intensité. Sa haine et sa douleur refirent surface, une bile noire semblait vouloir envahir sa bouche. Elle dut faire un effort pour continuer, ses lèvres se serrèrent comme si elle devait cracher les mots pour pouvoir parler.
- Je dois y retourner.... pour faire payer quelqu’un. Pour faire payer tout un clan.
- Ton passé semble bien sombre... murmura Mei Hua. Peut-être devrais-tu t’ouvrir uniquement à la lumière de ton avenir.
- Il n’y a pas d’avenir pour moi, seulement un passé à modifier.
- On ne modifie pas son passé.
La mâchoire de Haruka se crispa, ses mains agrippèrent la couverture, elle ferma son œil. Les larmes ne coulèrent pas. Son œil gauche était de toute façon condamné à ne plus pleurer. Mei Hua effleura son épaule.
- Bonne nuit, Haruka.
Le ronin ne tarda pas à être happé par un sommeil agité, les paroles de la jeune fille la torturaient. Mei Hua la regarda dormir un moment avant de soupirer. Un obstacle venait de se présenter...

- Croyais-tu vraiment y arriver, Haruka ?
- Raclure !
L’étau comprimait tous ses muscles, sa tête bourdonnait, le sang ruisselait sur son visage.
- Tes mots sont vains. Tout comme tes paroles. Tu n’es rien Haruka. Tu es aussi insignifiante que la servante tapie dans ce coin. Tu aurais pu arriver à de grandes choses, Haruka...
- Sale fils de pute !
- Possible... Je ne connais pas ma mère, vois-tu. Elle est morte en couches... C’était peut-être une putain.
- Je te retrouverai !
- Ah bon ?
On tira sa tête en arrière, sa gorge s’exposa.
- Tu vas mourir, Haruka...
Un sabre. Elle donna un violent coup de pied. La lame manqua sa gorge, faucha son œil.


Le ronin se réveilla en hurlant, le poing fermé plaqué sur son œil.
- Haruka !
Elle comprima son oeil crevé. La douleur revenait chaque nuit. Chaque nuit aussi forte qu’au premier jour. Mei Hua contemplait horrifiée Haruka tentant de creuser l’intérieur de son orbite.
- Arrête !
Elle saisit les deux mains du ronin et planta son regard dans le sien.
- C’est juste un rêve !
Haruka s’apaisa peu à peu au son de la voix de Mei Hua. La jeune fille écarta les cheveux emmêlés de sa compagne pour mieux voir l’étendue des dégâts de ce cauchemar. Son sourcil et sa paupière étaient lacérés, elle s’était griffée assez fort pour faire couler le sang. Son œil valide, couleur d’ambre semblait la fixer sans la voir. Mei Hua versa de l’eau sur les griffures avant de placer un nouveau bandeau sur l’orbite vide. En principe, ça ne s’infecterait pas. Elle l’avait arrêtée à temps. Mais Haruka n’avait toujours pas prononcé un mot, elle semblait perdue dans une sorte de transe, son regard était vide, son œil braqué sur le ciel étoilé, un ciel aux étoiles froides.
Mei Hua se rallongea auprès d’Haruka. C’était un sérieux problème qui venait de se présenter là....

Le lendemain matin, le rônin s’était levé le premier. Les deux femmes partirent avant que l’aube ne se change en jour brûlant. Haruka serrait les dents, son œil la brûlait. Ce n’était pas la première fois qu’un cauchemar prenait une telle ampleur. Il avait parfois fallu plusieurs des hommes de Mahir pour la convaincre d’arrêter de se lacérer le visage. Akizo restait souvent éveillé de longues heures après qu’elle ait trouvé le sommeil, pour être sûr qu’elle ne tenterait pas à nouveau d’arracher un œil qui n’existait plus. Le jeune homme l’avait souvent questionnée sur ses cauchemars mais Haruka n’arrivait pas à en parler. Le mal était trop profond, trop lointain, sa blessure, la vraie, s’étendait sur des années et elle n’avait jamais cicatrisé. Son œil arraché n’était que sa représentation, il y avait bien plus. Et c’est ce plus que Haruka ferait payer...
- Merci pour cette nuit. fit-elle alors qu’elles s’arrêtaient pour la première fois pour se désaltérer.
Mei Hua sourit.
- De rien.
Elle n’ajouta rien. Haruka ne lui aurait pas parlé de son cauchemar.

Des semaines longues et brûlantes s’écoulèrent. Haruka rêvait presque toutes les nuits mais elle arrivait maintenant à distinguer ses cauchemars de la réalité. Si elle n’arrivait toujours pas à retenir ses hurlements de douleur, au moins savait-elle qu’il ne servait à rien d’arracher son œil. Il lui semblait que la présence de Mei Hua y était pour quelque chose. La jeune fille était toujours souriante et pleine d’entrain, quelle que soient les heures qu’elles avaient passées à marcher sous le soleil brûlant ou les journées où elles avaient jeûné faute de nourriture. Cet enthousiasme venait bien souvent à bout des pensées noires de Haruka. Leur association étrange fonctionnait bien.
- As-tu laissé des gens auxquels tu tenais, derrière toi ? demanda Mei Hua un soir.
Haruka essuya son tanto et posa le lapin qu’elle avait réussi à attraper après de longues heures de traque. Elle n’aimait pas cette question.
- Non. répondit-elle finalement en reprenant son tanto et en entamant le dépeçage.
Elle se mit à penser à Akizo. Y tenait-elle ? Non... Pas réellement, sinon elle ne serait jamais partie. Akizo était gentil, elle l’aimait bien pour cette raison mais jamais elle n’avait pas pu s’attacher à qui que ce soit.
Mei Hua s’enroula dans la couverture, la nuit commençait à tomber et elle n’était pas particulièrement chaude. Elle observa Haruka trancher sèchement le lapin en deux, dans le sens de la longueur. Ses entrailles se répandirent sur le sable qui, à cause de l’absence de soleil, sembla se teinter de noir. Le rônin s’était écarté pour se livrer à cette répugnante besogne. Depuis que la jeune fille lui avait posé cette question, son visage semblait s’être refermé. Tout en continuant à regarder sa compagne de voyage, elle s’amusa à faire couler du sable entre ses doigts, c’était froid et cela chatouillait, elle sourit.
Quelques minutes plus tard, leur repas était prêt. Elles étaient assises dans le sable, toutes deux enveloppées dans la couverture. Depuis le début de leur voyage, c’était la seconde oasis qu’elles atteignaient. Toutes deux en avaient profité pour débarrasser leurs corps et leurs vêtements de la poussière du voyage.
- C’est très bon ! s’exclama Mei Hua en attaquant la viande avec ferveur.
Haruka eut un sourire. C’était vraiment une gamine. Elles étaient perdues au Sud et n’avaient croisé personne depuis le début de leur voyage et ce lapin squelettique suffisait à l’enthousiasmer ! Le rônin mangea un peu, laissant la plus grosse part à sa camarade. Peut-être était-elle attachée à quelqu’un tout compte fait ?
Elle s’allongea et presque aussitôt, elle s’endormit. Elles avaient marché sans relâche depuis qu’elles avaient aperçu l’oasis et Haruka était épuisée.
Mei Hua posa une main sur son front, ses traits s’agitaient déjà. Un cauchemar devait être en train de venir, comme chaque nuit. Elle prit une mèche de cheveux noirs et l’embrassa doucement.
- Porte-toi bien, Haruka-chan...

- Viens avec moi, Haruka-kun.
- Où va-t-on ?
- C’est une surprise !
L’enfant tendit sa main, confiante et suivit en trottinant l’adulte qui marchait bien plus vite. On ouvrit une porte.
- Rentre, Haruka-kun. N’aie pas peur. fit une voix inconnue.
- Je n’ai pas peur...


Mei Hua se retourna une dernière fois, Haruka gémissait dans son sommeil, ses mains agrippaient le sable en vain.
- Ne rentre pas...
La jeune fille hésita puis se résigna, elle devait la laisser là. En principe, elle dormait mieux maintenant...

La porte se referma, l’adulte la laissa. Elle leva les yeux vers lui, intimidée. Il était grand et fort, ses yeux noirs brillaient d’un éclat effrayant, elle recula.
- N’aie pas peur, Haruka-kun. Mon nom est Bayushi Kimura.
Elle hocha la tête, ses parents parlaient souvent de lui. Ils disaient que c’était un seigneur.
- Tu es très jolie, Haruka-kun.
Il caressa ses cheveux, s’agenouilla près d’elle. Elle se recula. Les yeux noirs cessèrent de sourire pour se durcir.
- Crier ne sert à rien, petite fille.
Il l’emprisonna dans l’étau de ses bras.
Dehors les deux gardes restèrent impassibles lorsque les cris commencèrent à s’élever de la chambre de leur daimyo. On leur avait dit de ne pas bouger...


Haruka se réveilla en hurlant, l’aube pointait mais elle n’était pas la seule. Trois femmes, vêtues de tuniques et de pantalons bouffants violets se tenaient devant elle, leurs naginata pointées à l’instar de l’aube, sur elle.
Le rônin enserra la garde de son katana, elle jeta un coup d’œil sur le côté et constata avec stupeur que Mei Hua n’était plus là. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle leva à nouveau son regard sur ses adversaires. Une Licorne dorée était cousue sur le dos de la tunique d’une des femmes.
- Vous êtes du clan de la Licorne ? articula-t-elle en rokugani.
Les naginata s’abaissèrent à peine. La plus âgée des femmes s’avança pour s’arrêter avec stupeur.
- Elle porte sa marque !
Haruka reconnut la langue de Mei Hua. Les femmes baissèrent leurs armes. Leurs manches arboraient des ronds violet pâle en guise de mon.
Si Haruka n’avait pas dormi, elle aurait su que la mèche que Mei Hua avait embrassée était celle qui s’était teintée de blanc et qu’observaient maintenant les trois femmes du clan de la Licorne.
- Mon nom est Otaku Yui. fit la femme la plus âgée en s’avançant. Nous sommes en effet du clan de la Licorne. Pardonnez notre accueil.
Haruka relâcha sa main sur son katana et se leva pour s’incliner.
- Mon nom est... Haruka.
- Suivez-nous, je vous prie, Haruka-san. Nous allons vous conduire à notre clan.
Les trois femmes l’entourèrent. Haruka chercha désespéramment une trace de Mei Hua près de leur campement mais en vain. Elle ne trouva que des traces de sabot. Tout devint plus clair. La Licorne blessée... Mei Hua...
- Pouvons-nous y aller ? s’enquit poliment Yui.
- Hai... murmura Haruka en finissant de rassembler ses affaires.
Cette fois-ci, c’était elle qui avait été abandonnée, peut-être aurait-elle du répondre différemment à la question que la jeune fille lui avait posée la veille...
Yui et ses acolytes l’aidèrent à monter en selle, observant cette étrange femme. Etait-elle bien celle qu’ils attendaient ?
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Message par Otaku Sh?am » 16 août 2005, 20:47

Mei Hua observa le petit groupe descendre au galop vers la cité. Elle soupira et pour la première fois depuis le début de ce voyage aux côtés de Haruka, son sourire s'effaça.
Le rônin allait lui manquer. Elle ne pouvait pas l’accompagner, elle-même, pendant que Haruka s’occuperait à devenir plus forte, avait des choses à faire. Peut-être un jour, leurs routes se recroiseraient-elles ?
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Message par Otaku Sh?am » 17 août 2005, 16:23

Haruka se cramponna à la selle de Yui. Elle détestait ces foutues bestioles ! Et celles que montaient les trois femmes étaient encore bien plus grandes et nerveuses que celles qu’utilisaient Mahir et ses hommes. Elle baissa son regard sur le sol, le sable défilait à toute allure et elle ne distinguait même plus les détails. Il lui semblait qu’elle chevauchait sur une mer jaune. Au moins, si elle tombait, songea-t-elle, elle ne se ferait pas trop mal...
Yui sourit en sentant le rônin se raidir derrière elle. Personne n’était à l’aise sur les montures Otaku, à part leurs cavalières. Par jeu, elle accéléra la course de son cheval. Haruka serra les dents. Cette amazone se foutait d’elle ! Mais elle eut bientôt un autre sujet d’occupation. La cité se profilait devant elle.
C’était une ville perdue en plein désert et pourtant, elle fourmillait d’occupants comme si la dureté des conditions de vie leur était indifférente. Même de loin, elle put observer la taille imposante de la cité et le nombre faramineux de ses habitants.
Des pierres avaient été apportées en nombre pour bâtir ce qui se dressait devant elle. Le rônin se demanda où le clan de la Licorne avait bien pu trouver tant de ce matériau, comment il avait pu travailler aussi longuement à ériger une cité dans ce lieu de mort où la vie était vouée à se terrer dans des trous obscurs pour espérer survivre. Mais pourtant le résultat était là, la vie remplissait la cité. Elle comprit le travail que cela représentait ; cette cité était un monument voué à l’ingéniosité.
Au centre, au milieu des sables, se tenait une immense citadelle, dont les formes rappelaient vaguement les constructions rokugani, à ceci près que celle-ci semblait se fondre dans le milieu environnant et y être parfaitement adaptée. Haruka, pressentait, en voyant les angles abrupts des remparts que tout ici avait été conçu pour se protéger des rayons mortels de l’astre solaire. De petites habitations se répartissaient ça et là, à l’abri des imposants remparts, certaines étaient en pierre, d’autres n’étaient qu’en toile. Il n’y avait de bois nulle part ou presque. Le bois n’avait pas raison d’être ici. Il n’isolait pas de la chaleur, pire, il s’embrasait quand les rayons se faisaient trop ardents. Seule la pierre pouvait constituer une protection suffisante.
- Comment s’appelle cet endroit ? demanda Haruka alors que le trot chaotique du cheval de Yui s’interrompait pour adopter une cadence plus douce.
- C’est la cité de la dernière étape. Cette citadelle appartient à la famille Moto. Son emblème flotte sur le plus haut des créneaux. Fit Yui en tendant le bras.
Haruka aperçut le fameux mon qui en surplombait quatre autres. Le mon Moto était un masque grimaçant, noir.
- Qu’en est-il des autres familles ? s’enquit Haruka, fascinée malgré elle.
Yui eut un sourire.
- Moto, Shinjo, Otaku, Ide et Iuchi. fit-elle en pointant successivement son doigt sur l’horizon étincelant.
Une licorne à la crinière de flammes pour les Shinjo. Un rond violet pâle pour les Otaku, une main ouverte pour les Ide et un parchemin où étaient tracés divers kanji pour les Iuchi.
Ce que remarqua ensuite Haruka fut le nombre impressionnant de chevaux. L’appellation de Licorne semblait trouver sa justification. Tous les samouraï qu’elles croisèrent menaient un cheval par la bride ou alors, étaient juchés en haut d’une selle. Tous, même les shugenja, portaient des bottes d’équitation.
Tout ce que vit Haruka semblait être le mélange des cultures rokugani et gaijin. Les samouraï portaient le daisho mais arboraient en même temps les vêtements du désert, de même, ils portaient du cuir, matériau honni à Rokugan. Tout était à l’image de cet exemple, un mélange des cultures, ce qui semblait, aux yeux de Haruka du moins, très judicieux.
Elle réalisa que Yui prenait la direction de la forteresse et s’aperçut que son attitude était pour le moins imprudente. Une inconnue la menait dans un endroit dont elle ignorait tout et elle se laissait guider sans protester. La disparition brutale de Mei Hua l’avait atteinte dans ses réflexes mais elle se ressaisit.
- Où me menez-vous, Otaku Yui-san ?
- A Shiro Moto.
- Que suis-je censée y faire ?
- Nous rencontrons très peu d’étrangers à notre clan aussi loin dans le Sud et chaque fois qu’il y en a un qui se présente, il est dans les usages de le mener à la forteresse où le karo du daimyo en place décide de ce qu’il convient de faire de cet étranger.
Haruka tressaillit. Se pouvait-il qu’on décide de l’exécuter ? A cette pensée, elle se mit à maudire Mei Hua pour l’avoir abandonnée là.
- Rassurez-vous. fit Yui comme si elle avait deviné ses pensées. Dans votre cas, je ne pense pas qu’il y aura de problèmes.
- Pourquoi ?
- Vous venez de l’Empire d’émeraude, n’est-ce pas ?
- Hai.
- Vous êtes comme l’une des nôtres...
Haruka eut une moue. Tant de tolérance, c’était pour le moins douteux... Les quatre cavalières traversèrent la cité. En plus des samouraï, Haruka remarqua des heimin. Ce qu’on disait était donc vrai, le clan de la Licorne et ceux de ses serviteurs qui avaient voulu le suivre avaient disparu dans les terres brûlées. Ceux que Haruka voyait étaient donc les descendants des heimin qui avaient suivi Shinjo.

Moto Kakuzo leva la tête de ses papiers.
- Qu’y a-t-il ? marmonna-t-il, un peu agacé qu’on l’interrompe dans son travail.
- La patrouille de ce matin a trouvé une étrangère.
Le karo posa définitivement sa plume. Le fait était assez rare pour qu’on le dérange.
- Encore une gaijin égarée ?
- Non, Moto Kazuko-sama... Une rokugani.
Kazuko se leva.
- Faites-la entrer.
- Hai.
Haruka vit revenir Yui. Pendant son absence, elle avait observé l’intérieur de la forteresse dans un état avancé d’excitation. Découvrir de nouvelles choses la mettait facilement dans cet état. Son œil d’ambre brillait d’un éclat espiègle alors qu’elle évaluait les possibilités qu’offrait une telle construction pour résister à un siège. Elle ne s’était pas trompée, à l’intérieur, la température était beaucoup moins élevée qu’à l’extérieur.
- Moto Kazuko-sama accepte de vous recevoir.
- Bien.
Yui s’inclina et lui céda le passage. Bien entendu, ses armes lui avaient été retirées dès son arrivée.
Haruka pénétra dans une pièce qui contrairement à ce qu’elle attendait d’un appartement de karo était plutôt spartiate. La table basse qui trônait en son centre semblait être le seul mobilier de cette pièce pourtant spacieuse. Les rouleaux de parchemins envahissaient tout l’espace restant. Elle s’inclina devant l’homme qui lui faisait face.
- Moto Kazuko-sama.
Kazuko était un homme mince et nerveux, dont les yeux noirs semblaient comprendre les choses avant même qu’elles aient été dites. Il n’arborait pas la coiffure traditionnelle des samouraï à laquelle Haruka avait été habituée mais ses longs cheveux bruns cascadaient librement dans son dos. Il s’inclina lui aussi.
- Quel est votre nom ? demanda-t-il.
Sa voix était âpre, celle d’un homme habitué à donner des ordres mais néanmoins non dénuée de sentiments. Il était pour l’instant courtois. Haruka décida de ne pas le sous-estimer, elle connaissait des personnes dont le regard était semblable à celui de Kazuko. Il valait mieux avoir ces personnes-là de son côté.
- Je m’appelle Haruka.
- N’avez-vous pas de nom de famille à revendiquer ?
- Non.
Ses mains, placées le long de son corps se crispèrent imperceptiblement. Sa rage effleura la surface de son visage l’espace d’un instant.
- Vous pouvez vous asseoir, Haruka-san.
Kazuko prit place à la table, posant ses mains à plat sur le bois brun. Le rônin s’assit avec souplesse. Le karo comprit sans peine qu’il avait à faire à une guerrière, elle en possédait l’art du mouvement. Il posa son regard calculateur sur elle. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage qui avait du autrefois être beau mais dont le côté gauche était affreusement balafré, une cicatrice épaisse partait de son sourcil pour s’arrêter au milieu de sa joue. A la vue du bandeau, l’homme ne douta pas un instant de la probabilité que l’œil ait survécu à un coup pareil. L’œil droit, couleur d’ambre de Haruka le fixait avec autant d’attention. Tout dans l’attitude du rônin indiquait la maîtrise, l’adresse mais aussi la douleur. Il observa un instant la mèche blanche dans la chevelure de jais. Ainsi, c’était elle qui avait été choisie ? C’était sans nul doute quelqu’un de talentueux... La prophétie était au moins claire à ce sujet...
- Avez-vous toujours été rônin, Haruka-san ?
- Non, Moto Kazuko-sama.
- A quel clan des terres de nos lointains cousins apparteniez-vous ?
- Au clan du Scorpion. J’appartenais à la famille Bayushi.
Kazuko sourit. Une famille dont les guerriers étaient redoutables pour ce qu’il en savait. Il l’aurait parié.
- Que faites-vous si loin de votre pays d’origine ?
Haruka commençait à être agacée par cet interrogatoire mais elle décida de garder un profil bas.
- Rokugan ne m’offrait plus rien à découvrir. Je suis partie pour trouver de nouvelles choses.
- Vous parlez notre langue étonnamment bien...
- Je vivais avec des hommes du désert avant de vous rencontrer. J’ai appris leur langue.
- Pourquoi n’êtes-vous pas restée auprès d’eux ?
- Je... devais aller plus loin...
Kazuko sourit à nouveau. Le fameux appel. La marque blanche.
- Je vois...
- Puis-je vous poser une question ? demanda alors Haruka.
- Allez-y.
- Tout le clan de la Licorne vit-il dans cette cité ?
Kazuko rit.
- Il est vrai que beaucoup de nos membres sont morts au cours de notre traversée du désert mais tout de même ! Nos effectifs en auraient pris un sacré coup si cette cité les regroupait tous !
Haruka sourit.
- Cela m’étonnait en effet mais j’ignore tout de votre clan... La Licorne avait quitté l’Empire bien avant ma naissance.
- C’est vrai. Cela fait plus de sept cents ans que Shinjo-kami nous a entraînés avec elle dans sa soif de découverte...
Haruka écouta avec intérêt Kazuko lui raconter l’histoire de leur clan. Le karo fut satisfait de l’attitude du rônin. Elle correspondait avec les attentes de leur prophétie... bien que celle-ci soit des plus obscures, comme tous les textes prophétiques.
- Voudriez-vous rester parmi nous, Haruka-san ? Plus loin au Sud, il y a des garnisons appartenant à notre clan puis la mer. Il n’y a rien d’intéressant à découvrir pour vous.
Haruka baissa les yeux sur son wakizashi. Elle en avait gratté le saya jusqu’à effacer le mon Bayushi qui y était gravé. Elle n’appartenait plus à aucun clan. Elle était un rônin et sa rencontre avec ce clan venait de le lui rappeler cruellement. Elle repensa à Mei Hua.

Peut-être devrais-tu t’ouvrir uniquement à la lumière de ton avenir ?

- Si vous voulez de moi... finit-elle par acquiescer. J’accepterai votre proposition.
- Il y aura quelques épreuves à passer mais pour une combattante aguerrie comme vous l’êtes, ce devrait être simple !
Haruka planta son regard dans celui de l’homme. C’était manifestement de l’ironie. Elle décida d’en sourire.
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Message par Otaku Sh?am » 19 août 2005, 19:31

Yui tendit les brides du cheval à Haruka.
- Que voulez-vous que j’en fasse, Yui-san ?
- Dans notre clan, tout le monde sait monter à cheval. Je voudrais vous voir à l’œuvre...
Haruka leva la tête vers le pommeau de la selle et déglutit. Apparemment, la Otaku semblait beaucoup s’amuser de sa peur panique des grands chevaux...
- Je n’ai jamais prétendu pouvoir égaler les guerriers de votre clan, Otaku Yui-san.... murmura Haruka en lui retendant les rênes.
- Bien sûr. Mais Moto Kakuzo semble penser que vous les égalez.
- C’est beaucoup d’honneur. marmonna Haruka entre ses dents.
- N’est-ce pas ?
Elle sourit et lui tendit à nouveau les lanières de cuir que le rônin commençait à détester. Haruka les prit de mauvaise grâce et se hissa sur le cheval, ignorant le sourire goguenard de Yui.
- Votre posture n’est pas trop mauvaise... Je devrais pouvoir tirer quelque chose de ces jambes... fit-elle en tapotant amicalement les jambes de Haruka, crispées contre les flancs de l’animal pourtant immobile.
- Vous êtes trop aimable.
Haruka eut un sourire aigre. Elle se laissa glisser à terre avec soulagement. Elle considérait Yui avec prudence. Celle-ci semblait à la fois être son ennemie et lui vouloir du bien. C’était Moto Kakuzo qui l’avait chargée de tester les aptitudes de Haruka. De cette amazone dépendait son entrée au sein du clan de la Licorne. Le rônin ne savait pas réellement pourquoi cela lui tenait tellement à cœur mais il fallait qu’elle intègre ce clan à tout prix. Il fallait qu’elle impressionne Yui.
La jeune femme leva sa main par réflexe. La shiotome venait de lui lancer un bokken, du côté gauche. Celui de son mauvais œil. Haruka tiqua et se mit en posture de combat. Yui la rejoignit tranquillement ; cette étrangère avait tout de même de bons réflexes mais il en faudrait plus pour arriver à la battre.
- Montez-moi ce que valent les guerriers de l’Empire d’Emeraude !
Haruka eut juste le temps de reculer, la vitesse des coups de cette femme était stupéfiante ! Avec son œil en moins, suivre ses déplacements était un vrai calvaire... Le rônin modifia légèrement la position de ses mains sur le bokken avant de contre-attaquer. Yui l’évita de justesse et un sourire, plus large encore que les précédents, fleurit sur ses lèvres. Ce combat allait être très intéressant !
Les coups étaient vifs, violents, le bois des sabres pliait, craquait mais les deux combattantes étaient attentives à les conserver intacts. Si les sabres se brisaient, c’était la défaite. Yui basait tout sur la vitesse, ses coups n’étaient pas réellement douloureux mais nombreux. Et leur grand nombre en augmentait la puissance. Haruka sentait ses épaules chauffer désagréablement. Le rônin était moins rapide à cause de son œil mais il compensait son manque de vitesse en lançant des attaques imprévisibles. Aucun de ses coups ne découlait d’un autre. Tout était désordonné et confus. Tout était fait pour déstabiliser Yui. Les coups ne portaient pas forcément mais une dizaine de frappes vaines aboutissaient à un coup violent. La shiotome eut beau chercher une logique, il n’y en avait pas et ses mains peinaient de plus en plus à soulever le bokken. Haruka était vive, imprévisible, brutale, agressive. Malgré les coups successifs de Yui, jamais elle ne se retirait pour reprendre son souffle. Elle harassait la shiotome de ses coups.
Le rônin perçut soudain une faille, celle qu’il guettait depuis le début du combat. D’un coup, elle désarma Yui, récupéra son arme et abattit les deux sabres avec une égale intensité. La shiotome se laissa tomber au sol, haletante, les deux sabres plaqués contre la gorge.
- Vous êtes bien meilleure avec un sabre entre les mains que sur une selle, Haruka-san... souffla-t-elle.
- Dômô.
Yui se releva en serrant les dents. Elle aurait juré que demain, un énorme hématome couvrirait son épaule. Kakuzo ne s’était pas trompé, cette femme était une vraie furie, elle ne semblait même pas fatiguée par leur combat. Une lueur de détermination farouche brillait dans sa prunelle d’ambre. Avec deux yeux en parfait état, cette femme aurait été la meilleure escrimeuse du monde ! Pourquoi les kami avaient-ils choisi d’amoindrir son don ? Yui était parfois perplexe face aux tours que jouait la destinée. Mais si Haruka avait été choisie en dépit de cet œil mort, peut-être son potentiel n’était-il pas encore épuisé...
- Vous méritez une place au sein de ce clan. finit par dire Yui lorsqu’elle eut récupéré.
Haruka serra ses mains sur les deux bokken, mal à l’aise. On venait de la tester. Elle avait réussi mais en dépit de cela, quelque chose la dérangeait, elle n’aurait pas su dire quoi exactement. Cependant, elle s’inclina profondément devant Yui.
- C’est un honneur, Otaku Yui-san que de me savoir digne d’un clan tel que le vôtre.
La shiotome hocha la tête, satisfaite. Elle était sincère.
- Reposez-vous, Haruka-san. Je viendrais vous chercher quand le moment sera venu pour vous d’intégrer officiellement le clan. La cité vous est ouverte. Soyez néanmoins prudente. Tous les Licornes ne voient pas d’un bon œil les adoptions.
- Hai, Otaku Yui-san.
Yui regarda la femme quitter le dojo avant de soupirer. Cette marque blanche était en réalité ce qui pouvait lui attirer des ennuis... Les prophéties n’étaient pas forcément appréciées,bien que les termes en soient inconnus de la plupart.

Haruka se laissa glisser dans l’eau avec bonheur. De l’eau froide. Il n’y aurait pas réellement eu d’intérêt à se baigner dans de l’eau chaude sous des températures pareilles et cela faisait longtemps que le rônin avait fait fi des traditions. Les bains chauds n’étaient plus vraiment les bienvenus... Elle plongea ses cheveux dans l’eau et les ressortit dégoulinants. Elle regarda de son œil valide, comme chaque fois qu’elle en avait l’occasion, l’étrange mèche blanche qui était apparue dans sa chevelure noire. Elle avait mis du temps avant de la remarquer car elle était située du côté de son œil gauche mais le regard intrigué que posaient certains yeux sur elle avait fini par l’alerter. Elle ne comprenait pas d’où cela pouvait provenir. Kakuzo avait semblé gêné et lui avait dit qu’elle l’avait à son arrivée.
Ses cheveux auraient-ils blanchis la nuit où Mei Hua était partie ? Pourquoi ? Elle se rappela son cauchemar avec un frisson. Non pas d’horreur mais de haine.
- Kimura... murmura-t-elle.
Les jointures de ses mains craquèrent dans l’eau claire. Et comme à chaque fois qu’elle évoquait le souvenir de son daimyo, son œil gauche se mit à la brûler. Elle plongea à nouveau son visage dans l’eau avant de quitter le bassin et de se sécher.
Mei Hua avait-elle vraiment raison ? Pourquoi était-elle partie en la laissant face à cet avenir effrayant ? Pourquoi avait-elle déserté, elle qui lui faisait la morale ?

Kakuzo tendit une tasse de thé à Yui.
- Alors ? Pourquoi êtes-vous venue me trouver, Yui-san ?
- Cette Haruka est digne du clan de la Licorne.
- Bien.
Il but une gorgée. La femme quand à elle ne toucha pas sa tasse.
- Je souhaite qu’elle aille dans la famille Otaku.
Kakuzo manqua de s’étrangler en avalant son thé de travers.
- Pardon ?
- Je souhaite qu’elle intègre la famille Otaku, Moto Kakuzo-sama.
L’homme dévisagea son interlocutrice intensément. Depuis dix jours que Haruka était là, elle n’avait cessé de rire de sa maladresse à cheval et de remettre en question le choix qu’avaient fait les kami. Otaku Yui était une femme orgueilleuse mais pas sans raison, c’était une femme talentueuse qui, de ce fait, reconnaissait rarement ses erreurs. Si Yui voulait du rônin auprès d’elle c’est que cette femme devait avoir un potentiel spectaculaire !
- Bien. Vous serez donc celle qui l’adoptera ?
Il avait retrouvé son calme. La femme hocha la tête.
- Hai, Moto Kakuzo-sama.
- C’est une lourde responsabilité.
- Je sais.
- C’est l’essentiel. répondit-il avec un sourire ironique.

Haruka observa son reflet dans l’eau des bains. Longue, mince, le teint aussi hâlé que celui des hommes du désert, ses longs cheveux noirs lâchés, coulant dans son dos, l’intrigante mèche blanche cachant son orbite vide, une tunique violette, par-dessus son pantalon, cousue du mon de la famille Otaku...
- Etes-vous prête, Haruka-san ? demanda la heimin qui l’avait aidée à se préparer.
- Hai.
Haruka passa son daisho dans la ceinture de cuir. Le mon Bayushi avait été râpé une fois de plus à l’aide d’une pierre. Il avait maintenant totalement disparu. Sa mâchoire se crispa à l’évocation du nom de son ancienne famille et la lueur farouche de son regard se mit à briller plus fort. La heimin tressaillit lorsque le rônin passa devant elle. Elle aurait aimé que quelqu’un soit avec elle pour la rassurer, pour qu'elle puisse être sûre que l’air qui semblait vibrer autour de Haruka, ne vibrait pas vraiment, que tout cela n’était qu’une illusion.

Yui avait revêtu un habit de cérémonie. La chaleur était étouffante et plus encore pour elle mais elle s’en fichait. Aujourd’hui était un jour important. Elle portait un kimono rokugani, long, bouffant, aux longues manches bordées de dorures. Le mon de son clan était cousu en relief et la Licorne semblait vivre dans son dos. La femme vit arriver Haruka, lame au côté, vêtue comme les autres amazones. Mais même ainsi, elle semblait différente. Son bandeau et la mèche cachaient son œil gauche mais l’intensité du regard de son œil droit la fit vaciller.
- Tout va bien, Yui-san ? demanda Kakuzo.
- Hai.
Il sortit un poignard de sa manche, la lame recourbée étincela dans le couchant du soleil. Haruka s’agenouilla devant Yui.
- Relevez-vous, Haruka-san.
Elle s’exécuta sans dire un mot, bizarrement conforme aux traditions Otaku dont elle ignorait encore tout.
Le daimyo de la Cité de la dernière étape était assis sur son trône, il observait la scène avec un sourire tranquille.
Un jeune émissaire de la famille Ide apporta un gobelet d’argent dans lequel avait été versé un liquide à l’odeur alcoolisée. Kakuzo se tourna vers Yui et leva le menton. Sans un mot, elle tendit son bras. Il releva sa manche avec douceur et appliqua la lame contre la chair avant de trancher d’un mouvement vif. Yui ne dit rien, tandis que l’émissaire recueillait son sang dans la coupe. Kakuzo se tourna ensuite vers Haruka qui tendit son bras. Il procéda de la même manière, un peu dérangé par le regard ardent qu’elle posait sur lui. L’émissaire recueillit le sang puis il se redressa et tendit le gobelet à Haruka.
Elle but une longue gorgée. C’était brûlant. Sa vision lui parut un instant plus précise, le monde plus net.
Elle tendit le gobelet à Yui en s’inclinant. La shiotome finit de boire le liquide de leurs sangs mêlés.
- Otaku Yui, en buvant, vous avez adopté le rônin Haruka. déclama Kakuzo.
- Hai. Je la prends comme membre de ma famille et suis prête à en assumer toutes les conséquences.
Le daimyo de la Cité, Moto Wu Chen hocha la tête et se leva.
- Je vous souhaite la bienvenue, Otaku Haruka-san.
- Dômô arigato gonzaimasu. murmura Haruka en s’inclinant, le goût du sang de Yui encore sur les lèvres, le regard finalement apaisé.
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Message par Otaku Sh?am » 15 sept. 2005, 17:33

Haruka s’éveilla, en sueur. Cette voix...

- Haruka-chan ?

La jeune femme tourna son regard vers l’autre coté de la couche. Son mari, Moto Hideo venait lui aussi de s’éveiller. Elle mit un moment à se ressaisir. Un cauchemar venait à nouveau de l’assaillir. Comme maintenant presque toutes les nuits... comme si quelque chose se faisait plus pressant dans sa mémoire.

- Est-ce que ça va ?
- Oui.

Elle se rallongea. Hideo resta un moment à l’observer avant de l’imiter.

- Tu... devrais peut-être en parler à Iuchi Takumi... Ce... n’est pas normal.
- Peut-être...

Haruka se détourna, elle n’avait pas envie de discuter de ses rêves avec lui. Hideo soupira. Depuis que leur fille était née, pas une nuit n’avait pu s’écouler paisiblement. Toutes étaient troublées au moins une fois par les cris de sa femme. Des cris non pas de rage mais de peur, d’une peur si profonde qu’il avait lui-même du mal à ne pas hurler en réponse. Dans ces moments-là, elle était... différente. Elle ne ressemblait en rien à la femme qu’il avait épousée. Elle devenait comme un animal apeuré, traqué. Il n’essayait jamais de parler de ses cauchemars avec elle directement après qu’elle les eu fait. Dans ces moments-là, elle n’était pas normale et ses réactions étaient imprévisibles...
Il fut bientôt rassuré par le souffle profond et régulier de Haruka. Elle s’était rendormie...
En réalité, il n’en était rien. Haruka savait respirer de manière suffisamment régulière pour imiter le sommeil. Pas Hideo.
Lorsqu’elle se leva, il dormait profondément. Elle se déplaça silencieusement jusqu’à la chambre de leur fille. L’enfant dormait. Haruka avait pris la précaution de l’installer suffisamment loin d’elle pour que ses cris ne la réveillent pas. Elle écarta une mèche de cheveux qui semblait chatouiller son petit nez puis elle quitta la maison.
Dehors tout était sombre, le sable blanc luisait sous la Lune et il n’y avait pas une âme pour troubler cette nuit parfaite. Haruka sella sa monture sans bruit, une monture aussi noire que le ciel. Elle semblait être née pour qu’elle la monte. Silencieuse. Vive.

- Seishuku...

Avec les années, elle avait dompté sa peur des chevaux et elle les montait aussi bien que ses sœurs Otaku. Elle avait même appris à utiliser ces deux étranges bouts de cuir qui pendaient de chaque côté de sa selle pour se battre en continuant de chevaucher. La jument ne piaffa même pas lorsqu’elle se glissa en selle. Seishuku s’ébroua à peine et s’élança, à foulées souples dans le sable. Elles arrivèrent rapidement à la demeure de Otaku Yui. Haruka ne prit même pas la peine d’attacher la jument ; elle s’éloigna et frappa un léger coup contre le panneau de bois qui faisait office de porte. Au bout de quelques instants, Yui apparut, sortant visiblement du sommeil.

- Haruka ?
- Mère...

Haruka se mordit les lèvres nerveusement, cela lui faisait toujours bizarre d’appeler cette femme, à peine plus âgée qu’elle, de cette façon.

- Entre... fit Yui en soupirant.

Haruka la suivit sans se faire prier. A l’intérieur, des braises mourraient dans le poêle de terre cuite, au milieu de la pièce. Yui souffla quelques instants dessus avant d’ensevelir la renaissance des braises rouges sous une avalanche de brindilles qui s’embrasèrent presque aussi tôt. Elle referma le poêla avec une plaque de métal.

- Vas remplir la théière s’il te plaît, Haruka.

La femme acquiesça, attrapa une outre de cuir, pendue non loin de là et déversa son contenu dans la théière qu’elle tendit à Yui, puis elle s’agenouilla à la table. Observer sa mère d’adoption préparer du thé l’avait toujours apaisée, elle ne savait pourquoi...

- Tu as encore... ces cauchemars ?
- Oui.
- Tu ne veux toujours pas me parler de leur contenu ?

Haruka songea en frémissant de haine et de dégoût à Bayushi Kimura.

- Non.

Yui s’installa à côté d’elle, un léger sourire accroché au visage. Un sourire dont, malgré sa connaissance de l’âme humaine, Haruka ne pouvait dire s’il était bienveillant ou ironique. L’eau ne tarda pas à bouillir, Yui l’ôta de la plaque de fer et y ajouta quelques feuilles. Elle revint avec la théière et deux tasses.
Les deux femmes burent leur thé sans prononcer un mot. Haruka avait trouvé quelque chose dans cette famille et cela ne se limitait pas à sa monture. Elle avait trouvé le silence. Lorsqu’elle était avec Yui, ce n’était pas la pièce qui était silencieuse mais son âme elle-même. Dans ces moments-là, elle pouvait presque oublier Kimura. Presque.
Yui avait un don, rien d’extraordinaire mais quelque chose qu’elle considérait comme précieux. Elle pouvait sentir les vibrations qui émanaient des gens. Beaucoup de vibrations flottaient dans l’air autour des gens agités, très peu autour des gens calmes, posés. Haruka avait toujours été de ceux autour desquels l’air vibre en permanence mais aujourd’hui, ça n’était plus pareil. Les vibrations autour de Haruka étaient si violentes que Yui se sentait presque blessée si jamais elle était trop proche de sa fille adoptive. L’air était dangereusement agité autour de Haruka. Et cela l’inquiétait énormément. Les choses avaient commencé à changer après la naissance de sa fille. Haruka avait changé. Son ardeur au combat, sa manière de monter à cheval, sa façon de parler, de bouger, même ses rêves avaient changé.
Très bientôt, Yui pouvait le sentir, il allait se passer quelque chose.


Alors que le soleil se levait, Haruka rompit le silence.

- Merci.
- De rien... Porte-toi bien. ajouta-t-elle soudainement.

Haruka la regarda un moment avant de hocher la tête.

- Prend soin d’elle... Yui-chan.

Yui ne la reprit pas. Elle savait maintenant.


Haruka ramena Seishuku chez elle et fut de retour au lit avant même que Hideo ne soit levé. Le heimin qui était à leur service vint les réveiller.

- Comment a été ta nuit ? demanda Hideo.
- Bonne. répondit simplement Haruka en se levant.
- Pas de cauchemars ?

Haruka tressaillit en réajustant son bandeau sur son œil.

- Non.

Hideo était sûrement le seul être humain qui pouvait se targuer de savoir si Haruka mentait ou non. Il observa sa femme avec tristesse. Il l’aimait beaucoup et sa méfiance le blessait. Elle était ce qui comptait le plus pour lui. Elle et leur fille.
Haruka quitta la pièce sans plus un mot, ses longs cheveux blancs flottants dans son sillage. Désormais, seule une mèche rappelait quelle avait été la couleur de sa chevelure avant qu’elle n’arrive. Cela aussi l’intriguait...

- Maman ! s’exclama une petite voix.

Haruka s’agenouilla en souriant pour prendre sa fille dans ses bras.

- Comment vas-tu ce matin ? As-tu mangé du riz ?
- Mais non ! Je viens de me lever !

Haruka sourit à nouveau. Elle était si jeune, si naïve... Sa vision se brouilla et elle se revit, au même âge, encore insouciante, ignorant ce qui allait lui arriver.

- Maman ! Tu me serres trop fort !
- Pardon...

Haruka relâcha doucement l’enfant. Elle n’avait pas le choix...

- Maman ?
- Hum ?
- Tu ne m’écoutais pas... Tu dis toujours qu’il faut que j’écoute...
- Excuse-moi... Je suis un peu fatiguée...

La main de la petite fille effleura le bandeau qui cachait le visage défiguré de sa mère.

- C’est ton œil qui te fait mal ?
- Oui. Un peu.
- Est-ce que ça t’a fait très mal... quand tu l’as perdu ?

Haruka avait préféré inventer une histoire pour justifier l’absence de cet œil. Elle se voyait mal expliquer à la fillette que des gens se haïssaient parfois au point de vouloir s’arracher les yeux et autres morceaux de chair utiles. Elle avait raconté qu’elle avait égaré son œil gauche, au détour d’une dune et que tous les jours, elle partait avec Seishuku pour le chercher.

- Oui, ça m’a fait très mal.
Mais celui qui a fait ça, connaîtra des souffrances encore plus terribles...
- Et si je perdais mon œil moi aussi ?
- Ne t’inquiète pas. J’empêcherai les dunes de te voler tes jolis yeux !

Hideo sourit en arrivant dans la pièce.

- Papa !

Haruka se releva en ébouriffant les cheveux noirs de sa fille.

- Je vais aux bains.
- A tout à l’heure. fit doucement Hideo en soulevant sa fille de terre.
- A tout l’heure. répondit Haruka.

Et pour une fois, il ne remarqua pas qu’elle mentait.
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Message par Otaku Sh?am » 16 sept. 2005, 23:05

Une fois baignée, Haruka enfourcha à nouveau Seishuku et quitta la ville au galop. Elle n’emporta pas grand-chose avec elle, son sabre ; elle savait maintenant qu’elle n’était plus digne de son wakizashi ; des vêtements de rechange, un peu de riz et d’eau. Elle pourrait refaire le plein de provisions dans cette oasis où Yui l’avait trouvée la première fois.
Faire le chemin entre l’oasis et la ville lui prit plus de temps que la première fois, elle veilla à éviter les patrouilles, ce qui, étant donné le peu de cachettes qu’offraient les dunes, ne fut pas une chose aisée. Seishuku zigzagua sans renâcler, attentive comme sa cavalière à rester silencieuse. Elles atteignirent les rives du lac à la nuit tombée.
Dès qu’elle eut débarrassé Seishuku de son harnachement, Haruka entreprit d’allumer un feu. La soirée était loin d’être chaude.

- Quand comptes-tu te joindre à moi ? finit-elle par lancer à la végétation, agacée.

Son œil d’ambre fixa avec colère la silhouette fine qui se dégagea des troncs entrelacés. Mei Hua la rejoignit sans un mot.

- Pourquoi es-tu là ? demanda le rônin avec humeur.
- Pour t’empêcher de faire quelque chose que tu vas regretter.
- J’avais oublié que tu étais ma morale de substitut. grinça Haruka en brisant un morceau de bois sec. Je sais ce que j’ai à faire. ajouta-t-elle en se levant brusquement.

Mei Hua la regarda s’éloigner avec douleur. Elle sentit des larmes perler au coin de ses yeux, ce n’était pas comme ça qu’elle avait imaginé leurs retrouvailles, mais elle se força à garder une contenance.

Haruka s’approcha doucement de Seishuku et caressa son encolure soyeuse. La jument fourra un nez mouillé dans son épaule avant de se pencher à nouveau sur le lac pour boire. Comme la veille, la nuit était noire, le ciel seulement éclairé par la lueur de la Lune, les étoiles semblaient avoir disparu.
Le rônin sursauta en sentant deux mains fines plonger dans sa chevelure.

- L’accomplissement de ta destinée est proche, Haruka... murmura Mei Hua derrière elle.

Elle prit entre ses doigts la dernière mèche de cheveux encore noire du rônin. Haruka se rappela soudain que c’était après que Mei Hua l’ait quittée que ses cheveux avaient commencé à blanchir.

- Tu étais censée me guider ici, c’est ça ? demanda Haruka.
- Oui.
- Cette mèche blanche marquait le début de l’accomplissement de ma tâche ?
- Oui. Ta mèche noire symbolise ce qu’il te reste à accomplir...

Haruka soupira et se retourna, faisant face à Mei Hua. Elle ôta doucement les mains de la jeune fille de ses cheveux.

- Pourquoi... est-ce que tu m’as laissée ?

Mei Hua sursauta.

- Peu importe. Tu ne peux pas partir, Haruka. Pense à Yui, Hideo... à ta fille.
- Etonnant que tu ne saches pas son prénom alors que tu sembles si renseignée au sujet des autres... marmonna Haruka.
- Après ton mariage, je...
- Elle s’appelle Mei Hua. coupa Haruka.

La jeune fille ouvrit la bouche pour parler mais aucun son ne s’échappa de ses lèvres, il n’y eut que des larmes pour rouler sur ses joues.

- Mais tu as raison, il n’est pas important que je sache pourquoi tu es partie. Peu importent les raisons de mon départ. Je pars. C’est tout.

Seishuku se redressa et s’ébroua. Haruka se détourna à nouveau, la main crispée sur la poignée de son sabre. Contre la paume de sa main, le mon Bayushi érodé par ses soins la démangeait, comme une vieille plaie. Une plaie vouée à ne jamais cicatriser, une plaie dont on ne peut s’empêcher de soulever les bandages, pour la gratter encore et encore, au sang...

- Ta fille s’appelle Mei Hua ?
- Oui.

Haruka retourna vers le feu.

- Il ne va pas tarder à s’éteindre...

Mei Hua ne pouvait pas s’arrêter de pleurer. Chaque fois qu’elle essuyait son visage, d’autres larmes remplaçaient celles qui avaient séché. C’était trop dur... Elle frissonna. La monture de Haruka s’éloigna, se fondant dans les ténèbres qui environnaient les flammes pâles sur lesquelles le rônin rajoutait du bois. La Licorne se rapprocha et s’assit près de la femme à l’œil bandé.

- Ne peux-tu pas oublier ce qui s’est passé à Rokugan ? demanda Mei Hua d’une petite voix, connaissant déjà la réponse.
- C’est impossible.
- Tu vas vraiment... partir ?
- Oui.
- Tu sais... ce qui va arriver.
- Quelle importance ?
- Tu vas mourir ! s’écria Mei Hua, agrippant les épaules de Haruka avec fureur.
- Tu crois vraiment que si je reste ici, je vivrais éternellement ? Je ne veux pas vivre éternellement ! Pas comme je le fais depuis bientôt dix ans ! Je me fous de cette destinée à laquelle je suis promise ! Il n’y aura pas d’autre destin que celui que je me suis choisi !
- Si tu meurs là-bas, sans avoir fait ce qui était prévu, tu erreras comme un fantôme ! Ton âme ne connaîtra jamais le repos et il n’y a rien de pire que ça !
- Tu crois vraiment qu’il n’existe rien de pire ? hurla Haruka en arrachant son bandeau.

Elle attrapa la main de Mei Hua et la plaqua contre son œil meurtri. La Licorne réprima un cri de douleur.

- Est-ce que tu peux sentir la brûlure sous ma peau ? continua-t-elle sur le même ton.

Mei Hua chercha à se dégager mais Haruka la retint.

- Répond ! Est-ce que tu la sens ?
- Hai. reconnut-elle à contrecoeur.

Haruka lâcha son poignet.

- C’est ce qui existe de pire. C’est pour ça que je dois m’en aller. J’ignore de quels pouvoirs tu disposes réellement mais crois-moi, il n’y a rien qui pourra m’empêcher de retourner là-bas.

Mei Hua détourna son visage pour laisser sa tristesse glisser librement sur ses joues. La force du lien qui existait entre elle et l’ancienne Scorpionne la frappa avec violence. Ça ne pouvait pas se terminer comme ça... De toutes façons, elle n'avait pas la force de s'opposer à elle.

- Tu es vraiment bornée, Haruka-chan...
- Je sais. fit le rônin avec un sourire.

La jeune fille laissa le silence s’écouler et se blottit contre la femme à l’œil de feu.

- Est-ce que ça veut dire que tu vas me laisser partir ? fit Haruka alors que Mei Hua effleurait à nouveau sa mèche noire.
- Non.

Haruka tiqua.

- Ça veut simplement dire que je viens avec toi.
- Tu... viens ?
- Définitivement.
- Comme il est rassurant de constater que je ne suis pas le seul être borné vivant dans ces étendues sablonneuses. murmura le rônin.
- Haruka-chan ?
- Hum ?
- Ferme-la.

Mei Hua sourit pour la première fois depuis le début de la soirée. La destinée attendrait.
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Message par Otaku Sh?am » 04 nov. 2005, 13:40

Mahir jeta quelques feuilles dans le feu, leur fumée apaisait les rhumatismes qui lui étaient venus avec l’âge. Il fit craquer ses os et alluma sa pipe à l’aide de braises flamboyantes. Aspirant une profonde bouffée, il émit soudain un gloussement.

- Une revenante !

Haruka émergea des ombres, silencieuse. Ses pieds bottés ne laissant aucune trace dans le sable. Mahir sourit largement en expirant la fumée.

- Tu n’étais pas obligée de venir de nuit, tu sais. Akizo n’est plus parmi nous depuis un moment maintenant.

Haruka stoppa le mouvement qu’elle avait amorcé pour s’asseoir auprès du vieillard.

- Comment ça ?

Il étrécit son regard.

- Te soucierais-tu donc de l’homme que tu as abandonné ?
- C’est possible. Fit Haruka avec un mince sourire en s’asseyant quand même.

Mahir lui tendit la pipe qu’elle refusa d’un signe de tête. Il haussa les épaules et jeta encore quelques plantes sèches sur le feu. La nuit les enveloppait. Haruka avait comme à son habitude, pénétré le cœur du camp sans se faire remarquer et Mahir, comme à son habitude également, trouvait ça follement amusant.

- Il n’est pas aussi malin que toi mais il est loin d’être idiot... Chaque année, moi et dix de mes meilleurs hommes partons pour un pèlerinage.
- Pour honorer les anciens chefs, c’est ça ? fit Haruka en regardant les volutes qui montaient en spirale du brasier.

Mahir éclata de rire.

- Ça, c’est la version officielle des choses, Haruka ! Nos chefs ne se succèdent pas dans le respect des traditions ainsi que tu le sais. Le plus rusé, le plus habile mais aussi le plus fou des guerriers prend la place de l’ancien chef. Pas parce que celui-ci le désigne comme son successeur mais parce que celui-ci aura réussi à le tuer ! Alors, figure-toi bien que dans ces circonstances, le prétexte d’honorer les anciens chefs n’est rien de moins qu’une plaisanterie !

Haruka eut un sourire approbateur. Elle imaginait très bien Mahir plus jeune, assassinant un vieillard sénile pour prendre sa place. Il sembla surprendre ses pensées.

- Mon prédécesseur n’a pas eu le temps de souffrir ! En revanche, j’ai bien failli perdre mon statut trois fois au cours du dernier mois... Mais ne t’en fais pas, j’ai veillé à ce que les prétendants au titre comprennent bien leur erreur. Je crois que même ceux qui n’étaient pas intéressés par ma place ont compris mon explication implicite.

Haruka connaissait l’inventivité du vieillard en matière de punitions.

- Et le rapport avec Akizo va sans doute surgir de ce passionnant récit ? fit-elle en haussant un sourcil.
- Parfois, je regrette de ne pas t’avoir eu pour fille ! fit-il en riant.
- Au fait, Mahir.

Il soupira et reprit une bouffée de sa pipe.

- Oui. Donc Akizo a compris que moi et mon élite guerrière nous n’allions pas honorer la mémoire de nos prédécesseurs. En réalité, pour faire simple, nous allions vers le sud.
- Surprenante révélation. murmura Haruka d’un ton narquois.

Elle n’avait pas oublié que Mahir lui avait dit tout ignorer des contrées plus au Sud.

- Il s’est mis en tête de nous accompagner. Pour te retrouver bien sûr. Il était persuadé que c’était moi qui t’avais envoyée là-bas ! Ridicule, hein ? Comme si c’était mon genre de faire des cachotteries !
- Ridicule. appuya Haruka.
- Il s’est entêté et il menaçait de révéler mon trafic avec les marchands du sud lors du conseil qui nous réunissait, moi et les autres chefs de clans.
- Un trafic ?

Haruka était cette fois-ci réellement intéressée. Mahir cachait encore mieux son jeu que ce qu’elle avait d’abord cru. Si cet homme était né à Rokugan, il aurait fait fortune !

- D’où crois-tu que viennent tous ces objets qui nous donnent cet avantage sur tous les autres clans du désert ? Du Sud, ma petite Haruka. Du Sud.

Elle sourit, impressionnée par le talent de son ancien chef.

- Bref, Akizo est venu. Tu sais qu’il vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi et j’aurais vraiment répugné à la tuer pour avoir découvert mon petit secret. Il était plus loyal qu’aucun de mes autres hommes. Sans doute une caractéristique raciale... Quoique... murmura-t-il en jetant un regard en biais à Haruka.
- L’exception qui confirme la règle. fit-elle en continuant à sourire. Et ensuite ?
- Nous sommes allé jusqu’à la mer, là où je retrouvais mes marchands. J’ai fait mes affaires. Il s’est aperçu que je ne mentais pas et que tu n’étais pas là et il a embarqué sur un bateau.
- Quoi ?
- Un truc qui flotte sur l’eau et qui transporte des hommes.
- Je sais ce qu’est un bateau. grinça Haruka.
- Ah, dans ce cas...

Il vida la pipe et entreprit de la bourrer à nouveau. Haruka finit par rire.

- Un homme qui traverse un océan dont il a une peur bleue juste pour te retrouver, tu trouves ça drôle ?
- Oui.
- Tu aurais vraiment dû être ma fille...

Il lui tendit la pipe et cette fois-ci, elle ne la refusa pas.

- Pourquoi me révéler tout ça ? demanda soudain le rônin.
- Parce que tu t’en fiche.
- Ce n’est pas faux. Vous êtes très perspicace, Mahir. Il est dommage de penser que vous finirez assassiné pour un jeune loup ambitieux.
- Bah ! S’il arrive à me tuer, il aura mérité sa place ! Et j’ai semé bien des jeunes loups sur ma route. Peut-être qu’avec de la chance mon assassin sera mon fils.

Haruka lui tendit à nouveau la pipe.

- Pourquoi es-tu revenue ?

Le ton de voix du vieil homme changea. Il était à nouveau sérieux.

- J’ai un service à vous demander.
- Pourquoi te le rendrais-je ?
- Parce que vous vous en fichez.

Il eut un sourire inquiétant, faisant écho à celui qui dansait déjà sur les lèvres de Haruka.

- Tu t’es donc enfin décidée à retourner là-bas ? Intéressant... Qu’attends-tu de moi ?
- Un peu de votre poudre magique...
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Message par Otaku Sh?am » 04 nov. 2005, 13:41

Mei Hua tenait les rênes de Seishuku lorsque Haruka revint vers elle. Elle portait un sac sur l’épaule mais son contenu ne semblait pas vraiment lourd.

- Tu as récupéré ce que tu voulais ?
- Hai.
- C’était long... fit-elle d’un ton de reproche.
- J’ai vu un vieil ami là-bas. Tu ne pensais pas que j’allais t’abandonner ?

Mei Hua eut une moue boudeuse. Elle tendit les rênes au rônin qui bondit en selle devant elle. Elle suspendit le sac de toile aux sacoches de la jument. La jeune fille ne put s’empêcher de frissonner à son contact. Quelque chose était différent....
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Message par Otaku Sh?am » 06 nov. 2005, 11:33

Au cours des semaines qui suivirent, le changement de Haruka se confirma. Elle ne parlait plus que très peu, répondait aux questions de Mei Hua à demi mot, n’avalait presque plus aucune nourriture. Mais le pire, pour la jeune Licorne était peut-être les cauchemars du rônin, plus intenses et violents chaque nuit. Dans ces moments-là, le corps de Haruka se convulsait, de rage ou de douleur Mei Hua n’aurait su le dire... Et son œil valide brillait d’un éclat incandescent.

Silencieuse et sombre...

Le rônin, cependant, finit par s’apaiser à son entrée dans les plaines sèches et le groupe qu’elle formait avec Mei Hua et Seishuku regagna un peu de vigueur. Le soleil était moins chaud, les deux femmes commençaient même à sentir le froid pendant la journée. La jument semblait ivre en permanence, elle galopait furieusement dès que Haruka et Mei Hua n’étaient plus sur son dos. Pour la première fois depuis sa naissance, ses sabots foulaient autre chose que du sable... L’herbe avait beau être sèche et piquante, l’animal était ravi au plus haut point. Les nuits furent moins agitées. Haruka connut un sommeil paisible, comme il y avait bien des années auparavant mais cela ne rassura pas Mei Hua, bien au contraire...

- Pourquoi vouloir te venger à tout prix ?

Haruka releva à peine le regard de son sabre. Elle posa sa pierre à affûter sur une motte de terre craquelée et fit courir son index le long de la lame grise. Elle sentait depuis plusieurs jours l’anxiété de sa compagne. La fin du voyage se rapprochait. Sans jeux de mots...

- Ton ennemi finira par mourir un jour. appuya la jeune fille qui ne recevait pas de réponse.
- Je veux le tuer de mes mains.

La Licorne soupira et s’agenouilla auprès du bushi. Elle ne comprenait pas les motifs des vengeances. Elle ne l’avait jamais compris. Elle ne comprenait pas ce qui, chez Haruka était si radicalement différent.
Elle l’avait longuement observée depuis le premier jour de leur rencontre. Elle avait vu le rônin, capable de rester allongé sans bruit durant des heures dans le sable, à l’affût d’une proie pour son dîner. Elle l’avait vu bander son arc vers le ciel, tous ses muscles immobiles, son oeil d’ambre fixant le soleil sans ciller, attendant le moment précis où un oiseau croiserait l’axe de sa flèche. Elle le savait patient, calculateur, posé. Mais dès qu’elle évoquait Rokugan, l’œil d’ambre glacé s’animait d’une haine brûlante, ses mâchoires se serraient, comme le faisaient les mâchoires de ceux qui s’apprêtaient à pousser un violent cri de rage, un cri de désespoir. Haruka n’affûtait pas sa lame mécaniquement, elle l’affûtait avec passion. Sa vie ne semblait tendre vers aucun autre but que Rokugan, que cet homme qui l’attendait là-bas, qui attendait la mort. Une mort silencieuse et sombre.
Le rônin sourit malgré tout face à la consternation de Mei Hua.

- Pourquoi me suis-tu ? demanda-t-elle à son tour.

Il y eut un long silence au cours duquel le rônin ne repris pas sa pierre. Haruka aussi avait les lèvres brûlantes de questions. Elle avait compris depuis longtemps maintenant que Mei Hua n’était pas humaine, pas dans le sens ordinaire du terme en tout cas. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Les vingt ans que semblaient lui conférer sa frêle apparence ? Des centaines d’années ? De quels pouvoirs disposait-elle ? Beaucoup ? Peu ? Aucun ?

- Si ton but était de me guider jusqu’à ma tâche, pourquoi ne m’as-tu pas laissée lorsque je m’y suis dérobée ? Tu pensais me faire changer d’idée ?
- Non.

Mei Hua eut soudain l’air plus grave. Plus âgée que ses habituels vingt ans aussi. La question du rônin la troublait. Elle n’avait jamais réfléchi. Il lui semblait naturel de suivre Haruka. Comme si un il invisible avait liés leurs deux destins. La Licorne tenait à cette femme d’une manière irrationnelle... Cette idée sembla la frapper avec violence et elle se renfrogna, tirant une couverture à elle.

- Arrête ça tout de suite. marmonna-t-elle à l’attention d’une Haruka hilare.

Le rônin s’exécuta et se leva, abandonnant son sabre. Aussitôt le visage de Mei Hua reprit une teinte adolescente, presque de peur.

- Où vas-tu ?
- Ramener Seishuku.

La jeune fille hocha la tête, s’emmitoufla dans la couverture et rangea la pierre à affûter de Haruka alors qu’elle s’éloignait.
Le rônin avança à pas lents vers sa jument. Sa décision venait de s’affirmer, à cet instant. Celui où elle avait vu Mei Hua lui sourire d’un air confiant. Elle ne pouvait pas lui imposer ça... Elle porta une main à sa ceinture et y trouva son tanto, vieux souvenir de Rokugan... Elle le fit glisser hors de son entrave et caressa longuement la poignée, ses doigts glissèrent vers le pommeau de la lame. Elle le dévissa. Un hennissement signala la présence de Seishuku. D’un claquement de langue, elle l’envoya rejoindre Mei Hua. Son œil d’ambre avait repris son éclat froid, triste. Ses doigts caressaient le creux dans la poignée de son arme. Elle s’agenouilla dans un amas de rochers et fit crisser l’herbe en la caressant du bout de sa lame. Ce qu’elle cherchait ne tarda pas à apparaître, dardant sa langue pour humer l’air. La lame perça les écailles, stoppant le sifflement de colère du reptile. Les doigts fins du rônin pressèrent les crochets. Un liquide incolore s’écoula, remplissant le vide béant du tanto...

Mei Hua tordit le nez devant la viande du serpent mais dut finalement reconnaître que ce n’était pas mauvais. Un nouveau nuage semblait être passé sur l’humeur de Haruka qui s’était assombrie.

- Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle alors que le rônin ôtait l’eau du thé du feu.
- Rien.

La jeune fille remarqua le tanto de Haruka planté dans le sol. La lame était tâchée par le sang du reptile. Elle frissonna.

- Bois, ça te réchauffera.
- Merci.

Mei Hua eut un sourire et prit le pot de terre tendu par Haruka. La plupart de ces objets venaient de la générosité de Mahir. Le liquide doux amer l’apaisa, une douce chaleur l’envahit. C’est alors qu’elle sentit sa langue s’engourdir.

- Ha... ruka?

Le rônin prit la frêle jeune fille dans ses bras et la déposa doucement sur une couverture. Ses grands yeux bruns la fixaient, incrédules. Elle caressa le visage fin avec douceur, écartant les larmes, elle posa un doigt sur ses lèvres tremblantes, taisant les sanglots.
La Licorne perdit lentement connaissance, en silence, serrant avec désespoir la main de Haruka. Celle-ci se dégagea doucement et recouvrit le corps d’une autre couverture. L’inconscience provoquée par le venin durerait une journée tout au plus. Cela serait amplement suffisant pour qu’elle disparaisse.
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Message par Otaku Sh?am » 07 nov. 2005, 23:10

La fin du voyage fut longue et éprouvante pour le rônin. Elle avait laissé derrière elle Seishuku et toutes ses affaires. Mei Hua en aurait davantage besoin... Son seul bagage était le sac confié par Mahir ainsi que bien sûr, son sabre.
Les journées se suivaient et se ressemblaient. Haruka dormait roulée en boule, enveloppée dans l’herbe des chemins et se levait à l’aube puis, la corde de son paquet lui sciant l’épaule un peu plus chaque seconde, elle entamait sa course vers l’Empire d’Emeraude. Lorsque son œil aperçut enfin la barrière naturelle qui séparait les Terres brûlées et l’Empire, elle sut que désormais, plus rien ne pourrait l’arrêter.
Son costume dépareillant au sein de l’Empire, elle décida d’en changer. Les occasions furent nombreuses, la frontière était surveillée et voler l’équipement d’un des gardes fut une chose aisée. Le rônin regretta quelque peu que le Daidoji en faction n’ait pas été plus coopératif... Son sabre avait fait un accroc au kimono qu’il portait sous son armure. Heureusement, celui-ci était déjà tâché par la rouille provenant de la cuirasse et le sang une fois sec ne ressembla pas à autre chose. Le rônin chassa rapidement l’émotion qui la submergea lorsque ses longs cheveux blancs balayèrent sa vision. Mei Hua lui avait bien rendu service... Son apparence sous cette armure évoquait plus le clan de la Grue que celui du Scorpion et même si elle était encore recherchée, une femme aux cheveux blancs avec un œil en moins éveillerait moins de soupçons qu’un rônin crasseux, borgne, aux cheveux noirs et emmêlés. Haruka dissimula le corps du garde sous un amas rocheux avant de reprendre sa route.
Rien n’avait changé. Contraste saisissant avec les Terres brûlées. Là-bas, tout était perpétuellement en mouvement, les hommes, les coutumes... Ici, les choses restaient immuables. Son faux statut de samouraï lui assura l’hospitalité des auberges et la gratuité de leurs services. Le clan de la Grue paierait la facture pour elle. Sachant ce qu’elle allait accomplir contre le clan du Scorpion, la Grue ne lui en voudrait sûrement pas...
Quelques magistrats un peu trop curieux disparurent mystérieusement au cours des quelques mois que dura son voyage mais heureusement pour elle, dix ans plus tard, Rokugan semblait l’avoir oubliée.

Elle atteignit Kyuden Bayushi en soirée. La Lune éclairait de ses rayons blafards les hauts créneaux sur lesquels elle voyait des silhouettes évoluer, surveillant les alentours. Elle resta prudemment à distance. Son déguisement de Daidoji ne convenait plus à la situation... Ses doigts glissant presque amoureusement sur le mon Bayushi râpeux, elle sourit. Ses dents étincelant dans l’obscurité, elle se glissa à nouveau dans le refuge offert par l’auberge aux abords du Kyuden. Dans deux jours, Kimura serait mort. Et sa famille avec lui...

Non loin de là, un dénommé Shosuro Tanochi possédait une auberge réservée à l’élite des samouraï. Officiellement du moins. Officieusement, il s’agissait en fait d’une salle de jeu doublée d’un bordel. Pour peu que l’on porte un masque et que l’on soit membre du clan du Scorpion, son accès était ouvert. Haruka se délesta de son armure et uniquement vêtue du kimono couleur de rouille, elle se dirigea sur la route qui menait à la demeure de Tanochi. Celle-ci n’était pas visible pour ceux qui ne connaissaient pas l’endroit. Haruka appartenait à la catégorie des connaisseurs. Depuis l’extérieur, tapie en bordure de route, elle guettait sa proie. Au bout de longues heures passées couchée dans un tapis de feuilles mortes humides, elle finit par l’apercevoir. Un homme à la démarche hésitante, escorté par un yojimbo tout aussi vacillant, quitta l’auberge. Remerciant silencieusement les kami pour la pluie qui avait trempées les feuilles, rendant sa marche silencieuse, Haruka leur emboîta le pas. La suite se déroula sans un cri. Sortant le fourreau de son obi, le rônin se jeta entre les deux silhouettes et frappa. Deux fois. Les corps tombèrent avec un bruit mou. Les deux hommes assommés et par le coup reçu et par l’alcool. Le rônin entraîna sans hâte ses deux victimes vers un fossé tapissé de feuilles. Les bruits de fête lui parvenaient, étouffés. D’autres samouraï, ivres, hommes et femmes ne tarderaient pas à quitter les bons soins de Tanochi pour regagner leurs pénates. En attendant, le temps restant serait amplement suffisant. La femme débarrassa le yojimbo de ses vêtements ; ceux du courtisan étant tâchés d’alcool régurgité et d’autres liquides tout aussi peu agréables. Elle considéra le butin récupéré, les habits de l’homme lui iraient et son masque, six griffes noires sur un fond rouge qui dissimulaient son œil gauche était absolument parfait pour son cas. Elle jeta un coup d’œil hors de sa cachette et la quitta d’un bond, un large sourire aux lèvres. Les Bayushi allaient beaucoup rire en découvrant les deux hommes, ivres, couchés l’un sur l’autre, dans une tenue pour le moins minimale.
Comme quoi, même au seuil de la mort, il était possible d’avoir le sens de l’humour...

Le rônin regagna l’auberge, prit un bain et essaya sa nouvelle tenue. Le mon Bayushi, sur son cœur la démangeait violemment. Mais heureusement, tout finirait très bientôt. Elle enfila le masque, éprouvant quelques difficultés à respirer, déshabituée des mascarades Scorpionnes, ceignit son sabre et encore une fois, esquissa un sourire sous la soie.
Elle prit le paquet de Mahir, sentant dans le poids du coffret à l’intérieur, quelque chose d’éminemment rassurant...
C’est d’un pas tranquille qu’à l’aube, elle se dirigea vers le château. Son fardeau plus lourd. Elle avait ajouté au coffret, le poids d’un chien mort...
Elle profita de la brise automnale qu’elle savait sentir pour la dernière fois. Malgré sa haine, elle remercia Bayushi pour la règle implicite qu’il avait énoncée. Sous son masque, nul ne pouvait la reconnaître. Et d’ailleurs, personne ne lui posa de question ni ne l’arrêta lorsqu’elle pénétra dans la demeure de son ancien daimyo. Dans le clan du Scorpion, chacun vaquait à ses affaires...
Kyuden Bayushi. Un frisson de rage, de peur et d’excitation courut le long de son échine. Elle touchait enfin au but. Son paquet dans les mains, elle changea d’environnement, quittant les couloirs sillonnés de heimin pour un endroit plus sombre.
Le labyrinthe. L’endroit où Kimura avait choisi de cacher son vice... Paradoxalement, c’était ici qu’Haruka était le moins sujette à éveiller les soupçons. Peu importe qui se trouvait dans le dédale sous le Kyuden. Ici, on ne parlait pas. Si quelqu’un se trouvait là, c’est qu’il devait s’y trouver. A mesure qu’elle avançait, ses jambes se faisaient moins sûres. Son cœur battait plus fort. Le passé la rattrapait. Lorsqu’elle atteignit la porte derrière laquelle elle avait tant souffert, elle était au bord de l’évanouissement.

- Que veux-tu ? siffla une voix.

Le rônin se força à ne pas sursauter. Un garde veillait dans l’ombre. Pas un Bayushi. Une de ces saloperies de Shosuro.

- J’ai reçu des ordres. gronda Haruka retrouvant sa détermination.
- Quels ordres ?
- Des dispositions à prendre pour la soirée de Kimura-dono.

Son âme se tordait dans sa poitrine mais elle réussit à partir d’un rire grinçant qui sonna convaincant même à ses propres oreilles. Elle ravala sa bile et leva le sac. Le chien crevé était encore chaud à l’intérieur du sac et son poids et sa forme évoquaient grossièrement dans l’obscurité, ceux d’un enfant. Haruka avait tout fait pour. Le Shosuro s’effaça.

- Fais vite.

Haruka répondit par un autre caquètement et pénétra dans la pièce. Une odeur révoltante l’assaillit. L’odeur de la peur. Une odeur qu’elle connaissait bien. Une odeur qui avait suinté de ses propres pores. Elle jeta le cadavre de l’animal au sol et posa précautionneusement le coffret de bois cerclé de fer.
Elle ressortit.

- Va lui dire que tout est prêt. Je te remplace.

Haruka ne cilla pas lorsque le regard soupçonneux du Shosuro la transperça. Un novice aurait pensé que Kimura ne venait ici qu’à la tombée de la nuit mais Haruka savait à quel point il affectionnait l’aube pour s’amuser à son jeu préféré. Cela acheva de convaincre le garde.
De toutes façons, pensa-t-il, personne ne connaissait le secret de Bayushi Kimura en dehors de sa garde.
Ce fut son erreur.
Quelques instants plus tard, elle reconnut son pas. Boiteux. Elle constata avec satisfaction qu’elle aussi lui avait posé sa marque. Il avait vieilli. Soixante ans s’accumulaient sur ses épaules mais la même perversion et la même sauvagerie se lisaient dans son regard noir. La peur de Haruka s’évanouit, remplacée par la haine. Elle se força à s’incliner. Le Shosuro n’était pas revenu, comme elle l’avait escompté.

Kimura, frémissant d’un plaisir anticipé, pénétra dans la chambre. Il passa sa langue sur ses lèvres desséchées, ses mains dénouant déjà son obi et s’arrêta net.

- Qu’est-ce que ça signifie ? éructa-t-il.

Il ouvrit la porte à la volée mais fut repoussé avec violence par un coup porté par un fourreau, il glissa sur le sol, sa jambe blessée cédant sous le choc et s’écrasa contre le cadavre tiède du chien, le nez ensanglanté par le coup. Il hurla de douleur et de rage.

- La pièce est insonorisée si mes souvenirs sont bons... murmura une voix douce.
- Haruka ?

La femme ôta son masque, révélant sa chevelure blanche et son orbite vide, la longue balafre de sa joue luisante de haine.

- Kimura... dono...
- Même si tu me tues, tu ne sortiras pas vivante d’ici ! cracha l’homme et tentant vaguement de refermer les pans de son kimono et d’essuyer son nez.
- Vous n’étiez pas si pudique auparavant, Kimura-dono.

Le corps du vieil homme étalé à ses pieds la rendait étrangement euphorique. Elle abattit violemment son pied dans sa cage thoracique. Il poussa un hurlement asthmatique et tenta de la repousser, redoublant sa rage et sa joie. Elle frappa jusqu’à ce que les os de ses poignets cèdent et qu’il la lâche. Le rônin eut la satisfaction de lire la peur dans les yeux de son ancien tortionnaire. Son arrogance l’avait laissé tomber.
Elle s’agenouilla près de lui. Il tenta d’effleurer la garde de son sabre.

- Tu voudrais que je t’achève ? demanda-t-elle, voyant les lèvres éclatées de Kimura tenter de formuler les mots.

Il toussa. Haruka éclata de rire. Une joie malsaine dans le regard.

- Entendu.

Ses mains se resserrèrent autour du cou du vieillard. Elle sentit les artères, battre violemment contre les paumes de ses mains, le souffle écaillé de bulles de sang, effleurer ses poignets, les yeux rands ouvert la supplier, les dents brisées se répandre sur le menton sanglant.
Elle sourit et commença à serrer. Peau contre peau.

Je veux le tuer de mes mains.

Contre lui, elle ne dégainerait pas. Ne souillerait pas sa lame. Pour le retrouver et arriver jusqu’ici, elle avait vendu son honneur, si tant est qu’elle en eut jamais possédé un. Mais elle ne le laisserait pas toucher à sa lame.

Elle sentit le sang se presser dans les artères, brûler ses mains. Elle vit le visage gonfler, les yeux s’écarquiller plus encore. Elle sourit.

- Tu sais quoi, Kimura ? Je prends vraiment mon pied !

Elle serra une dernière fois. La nuque se disloqua. Le regard s’éteignit. Elle relâcha son étreinte et soupira. Elle dégaina son sabre, marcha jusqu’au coffret, l’ouvrit, huma l’odeur de poudre et enclencha le mécanisme.

- Merci, Mahir... murmura-t-elle.

Elle songea à Mei Hua. Elle ne l’aurait pas approuvée...
La porte s’ouvrit avec fracas. Inquiets de ne pas voir de garde, les Shosuro étaient entrés.
Le corps disloqué et sans vie de leur daimyo les accueillit, derrière lui se tenait le rônin recherché depuis dix ans, le sabre à la main, une lueur rougeâtre dans son œil valide.

Elle sourit. Une dernière fois. Le mécanisme signala sa présence par un léger cliquetis.

Je suis curieuse de voir comment les Shosuro vont pouvoir étouffer ça...

Un pan entier de Kyuden Bayushi tomba en poussière, soufflé par l’explosion. Une centaine de bushi du clan du Scorpion périrent. Des corps entiers avaient disparu, on ne retrouva pas de trace de celui de Kimura ou de Haruka. En revanche, aussi étrange que cela puisse paraître, l’épée de cette dernière fut retrouvée. Le nouveau daimyo la fit sceller dans la pierre dans le bosquet des traîtres.

Cent ans plus tard, au retour du clan de la Licorne, la pierre fut inexplicablement brisée et l’épée disparut.
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Message par Otaku Sh?am » 10 nov. 2005, 16:36

Au milieu du désert, Mei Hua hurla.
Le souffle coupé, ses jambes cessèrent de la porter. Sa cage thoracique sembla se briser, refusant de se soulever, l’air sortait de sa bouche ouverte sur un cri béant. Elle s’effondra, ses mains se plantèrent, raides, dans un sable qui dont les grains étaient aussi doux qu’un millier d’épées.

Le lien venait de se briser... Haruka était morte et Mei Hua souffrait comme jamais plus elle ne souffrirait dans sa vie entière.

Lorsqu’elle s’était éveillée un mois plus tôt, Mei Hua s’était maudite pour sa bêtise. Elle avait fait confiance à Haruka, aveuglément. Chose qu’un rokugani sensé n’aurait jamais fait. Haruka était un membre du clan du Scorpion avant d’être un membre du clan de la Licorne. Ses premières amours n’étaient ni l’équitation, ni la lance mais le poignard et le poison. La jeune fille l’avait regardé dépecer le serpent avec son tanto, l’avait vue mettre les morceaux coupés en rondelles sur le feu, retirer les glandes empoisonnées encore pleines de liquide de la chair couleur beige-roux. Elle avait docilement bu le thé de Haruka. Comment avait-elle pu être aussi bête ? Comment avait-elle pu ne pas voir venir cet instant ? Les regards que Haruka lui jetait le soir, à la dérobée avant de se replonger dans la contemplation des flammes mouvantes. Sa nervosité, sa soudaine pâleur et la disparition de son appétit. Tout cela aurait dû l’avertir mais sa confiance était aveugle.
La jeune fille donna un coup de pied dans les pierres noircies par les flammes qui avaient servi pour préparer leur repas un ou deux jours plus tôt. A côté, Seishuku la lorgnait d’un air placide. Même en galopant de toutes ses forces, Mei Hua ne rattraperait pas Haruka. Pas dans cette étendue où tout pouvait servir à se cacher. Elle se laissa retomber sur le sol, en colère et frustrée. Mais surtout terrifiée. Ce n’était pas un voyage vers Rokugan que Haruka avait entrepris mais un voyage vers la Mort.
Lorsque la jument noire vint frotter son nez contre ses cheveux, provocatrice, Mei Hua la repoussa d’une main sèche avant de l’insulter dans sa langue. L’animal eut un regard blessé puis s’éloigna.
La Licorne se redressa, il ne lui restait plus rien. Rien. Les siens étaient morts depuis longtemps. Ceux qui vivaient encore, vivaient seuls et elle n’avait plus la force de les chercher. Son existence n’avait qu’un but, aider l’étrangère dans l’accomplissement de sa tâche. L’étrangère l’avait convaincue d’oublier son devoir, lui promettant de demeurer à ses côtés puis elle l’avait trahie... La Licorne comprenait ses raisons. Haruka savait vers quoi elle se dirigeait et elle ne voulait pas la voir à ses côtés dans la mort.
La jeune Licorne souffla profondément. Il lui restait bien quelque chose... Mei Hua...l’enfant abandonné par Haruka...


Allongée sur le dos, là, dans le désert, Mei Hua supplia la Mort de l’emporter. Sa douleur était immense. Elle rouvrit les yeux, aveuglé par le soleil et les larmes. Cette fois-ci, ça y était. Haruka était vraiment partie. Elle se recroquevilla sur elle-même, sentant l’amertume remplacer la douleur. Elle allait continuer à vivre. Ce serait sa punition pour avoir bravé le destin. Elle vivrait jusqu’à trouver une autre personne capable d’accomplir ce que Haruka avait refusé. Et elle continuerait à sa souffrir, tiraillée par le manque, incapable d’être complète à nouveau....
Des années durant, elle sillonna le désert, sans but, idée de destination ou même envie de trouver quoi que ce soit à part du sable. Mais jamais la Mort ne lui ouvrit ses bras. Le soleil brûlait sa peau, desséchait sa gorge mais refusait de la tuer.
Elle vit mourir Mahir, vit son successeur.
Son cœur ne cessait de saigner depuis le jour où Haruka avait versé le poison dans sa tasse mais elle se résigna à regagner la Cité de la Dernière Etape, comprenant qu’elle ne pouvait pas mourir.

Là-bas, les choses avaient changé. Hideo était mort, rendu fou par la douleur. Sa fille vivait chez Otaku Yui, sa « grand-mère » en quelque sorte.
Mei Hua, ainsi que l’avait prénommée Haruka, était une petite fille à l’air triste, dont les yeux étaient bruns et les cheveux noirs, comme ceux de sa mère autrefois. Yui faisait en sorte de la laisser en paix, même si l’enfant ne manifestait pas sa douleur, elle savait qu’elle souffrait. Elle espérait qu’elle finirait par se mêler aux autres enfants mais elle était solitaire. Le sourire et le rire semblaient être des mots vagues, lointains dont elle avait oublié la signification. Souvent, elle regardait les dunes à l'horizon et repensait aux paroles de sa mère. Le sable lui avait volé son œil. Peut-être était-elle partie le récupérer ?
Tous les jours, la fillette sortait en courant de la maison de Yui, son regard fixé sur les dunes. Elle courait jusqu’à atteindre les portes de la ville où les gardes de la famille Moto qui avaient fini par bien la connaître, l’arrêtaient. Elle aimait rêver qu’un jour, elle arriverait à sortir de la cité et à courir dans le désert. Où sa mère l’attendait sans aucun doute. Même si elle savait que chaque jour, Moto Zuhra allait l’attraper et la sermonner, son regard ne cessait jamais de fixer les dunes, ne serait-ce que pour avoir l’impression de les voir se rapprocher d’elle.

Tous les matins, l’histoire était la même. Sauf un.

Mei Hua fit claquer la porte derrière elle, défia le soleil du regard et s’élança, ses cheveux battant le rythme contre ses oreilles brûlées par le vent. Les mèches noires obscurcirent soudain sa vue, son pied avait buté. Elle comprit trop tard que son rythme avait été brisé, elle foudroya la pierre fautive du regard et s’effondra. Ses genoux se déchirèrent contre le sol et sans qu’elle l’eu voulu, car elle avait horreur de ça, elle se mit à pleurer.

- Tu t’es fait mal ? fit une voix douce derrière elle.

Elle mordit ses joues pour arrêter les pleurs mais n’y arriva pas. En plus d’être tombée, elle avait perdu les dunes du regard. Une jeune fille s’agenouilla près d’elle. Elle était belle et avait de longs cheveux d’un noir très foncé, ses yeux eux aussi étaient du noir le plus foncé que la fillette eut jamais vu.

- Laisse-moi regarder.

Mei Hua renifla et laissa l’inconnue l’approcher. Ses mains effleurèrent le sang et elle commença en entonner une prière mélodieuse. Le flot carmin s’interrompit et ses plaies se refermèrent, ne laissant derrière elles qu’une légère marque de peau claire là où elle était auparavant foncée. La douleur disparut. Mei Hua cligna plusieurs fois des yeux, stupéfaite. Bien sûr elle avait entendu parler des shugenja par Yui mais n’en avait jamais vu un invoquer les kami devant elle.

- Merci.

La jeune fille sourit. Malgré sa beauté, Mei Hua lui trouva un air étrangement triste.

- Mei Hua-chan ?

Yui s’avança dans la ruelle et souleva l’enfant de terre. Ses yeux se posèrent sur la jeune fille qui était agenouillée au sol. Elle se releva, époussetant les pans de son kimono violet, ses cheveux noirs et lisses revenant encadrer son visage.

- Otaku-san. salua-t-elle.
- Je ne vous ai jamais vue avant. Fit Yui en essuyant les larmes de Mei Hua avant douceur tout en dardant sur l’étrangère un regard perçant.

Mei Hua vit le visage du shugenja se crisper comme de douleur, mais son sourire ne disparut pas. Yui n’en remarqua rien.

- Je suis Iuchi... Jun.

Yui leva un sourcil avant d’écarquiller les yeux et de s’incliner, confuse.

- Bien sûr ! Comment ai-je pu vous confondre avec quelqu’un d’autre ? s’exclama-t-elle, réellement désappointée.
- Ce n’est rien. fit Jun en souriant toujours.

Après s’être copieusement confondue en excuses, Yui et l’enfant s'éclipsèrent. L’ancienne Mei Hua sentit son cœur éclater.

Iuchi Jun, hein ?
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Message par Otaku Sh?am » 23 nov. 2005, 11:33

Jun s’intégra rapidement à la communauté. On ne souvenait pas de sa présence mais il suffisait de la croiser dans la rue pour avoir l’impression de la connaître depuis toujours. Jun n’usait pas spécialement de ses pouvoirs. Tout ce qu’elle souhaitait à présent, c’était demeurer auprès de la descendance de Haruka. Le nom qu’elle s’était choisi n’avait rien de spécialement remarquable et cela lui convenait très bien.
Mei Hua grandit sans bruit. Jun ne retrouva pas grand-chose des traits de sa mère en elle. Ce fut une belle jeune femme, avec le regard de sa mère tel qu’il aurait pu être si son œil gauche était resté. Elle se maria très tôt, selon le choix d’Otaku Yui et eu deux enfants. Fille et garçon. Elle servit avec honneur son clan, devenant une guerrière talentueuse même si elle ne possédait pas la virtuosité de sa mère.
Peu après le départ d’Haruka, le clan avait décidé qu’il était temps de regagner Rokugan. Il n’avait plus rien à attendre du désert. L’élue s’en était allée et on ne vit apparaître aucune remplaçante. Les préparatifs furent longs, rassembler les membres éparpillés du clan de la Licorne, tout autant. Quand, enfin le départ fut donné. Mei Hua était morte, son mari Shinjo Tayaki, également et leurs deux enfants approchaient de la trentaine d’année. Otaku Yui eut une vie étonnamment longue, même si elle ne vit pas le départ de son clan vers son foyer d’origine.
Jun s’intéressa très peu au retour du clan. En tant que Licorne, elle aurait dû veiller au mieux mais elle avait compris à présent que telle n’était pas la tâche qu’on lui avait assignée. Elle demeura près des enfants de Mei Hua, soignant leurs plaies, devenant leur confidente, leur amie. Elle conserva ses éternels vingt ans et personne ne sembla s’en étonner. Yui l’avait connue jeune, Mei Hua également et ses deux enfants ne remarquèrent pas que le temps n’avait aucune prise sur elle. Evidemment, son cœur et ses émotions vieillissaient. Plus le temps passait et plus son espoir de voir surgir l’incarnation d’Haruka dans sa descendance devint mince.
Les premières générations conservèrent un peu de son talent dans les armes et de son goût du sarcasme. Au fil du temps, seul la compétence guerrière demeura. Tous étaient droits, loyaux, épris de grands espaces, de chevaux. Aucun n’avait la passion de Haruka pour les mystères et les ombres. Aucun n’allait voir plus loin que ce qu’on lui demandait de voir. Bien que fidèles à leurs clans, jamais ils ne remirent en cause les décisions injustes. Ses descendantes Otaku avaient sa fureur au combat mais celle-ci n’était pas compensée par le calme et la maîtrise de soi. Qualités que Haruka possédait. Jun finit par abandonner tout espoir. Rokugan ne semblait pas propice au développement de la perle rare. Néanmoins, elle demeura présente sans trop savoir ce qu’elle attendait. Par dépit, ou désoeuvrement ? Parce qu’elle n’avait nul autre endroit où se rendre ? Ou simplement parce qu’elle aimait la vie paisible au sein de sa famille Licorne....
Le retour ne fut pas aisé. Poursuivi d’une part par des créatures souillées et de l’autre par leurs anciens frères, les Licornes mirent du temps à se réadapter à leur ancien pays. Mais les choses, avec le temps finirent par s’arranger. La victoire de l’armée montée des Licornes sur les armées Lionnes et Scorpionnes l’aida à redorer son blason et à se faire une place plus ou moins honorable dans l’empire. Les Grues ne refusant jamais une occasion de se gausser des Lions, accueillirent à bras ouverts le nouveau, ou ancien, clan.
Jun explora quelque temps les terres de ses ancêtres et finit par sentir une présence attirante.

Le bosquet des traîtres... Un endroit qui sentait la mort, la souffrance et... la puissance, la jubilation ? La Licorne sentait les âmes tourmentées que l’on avait enchâssées au bosquet. Des âmes qui essayaient de l’atteindre. Dans le clan du Scorpion, on disait que celui qui s’aventurait seul dans le bosquet, sans connaissance, risquait la folie. Jun ignorait tout cela et, pour dire la vérité, ces fantômes hurlants lui inspiraient uniquement la pitié et non pas l’effroi. Le bosquet était gardé mais si Jun savait se faire remarquer et inventer des souvenirs d’elle-même dans l’esprit des gens, elle savait aussi passer totalement inaperçue.
Dans un coin reculé du bosquet, un amoncellement de pierres l’attira. D’ici venaient la force et la jubilation...

- Haruka-chan...

Elle effleura le pommeau éraflé par les intempéries et l’explosion. Sous ses doigts, chaque éraflure la faisait frémir.

Tsurugi wa jitai...

Elle resserra sa prise autour de la lame, sentant un peu de son sang couler. Elle l’ignora, c’était tellement agréable, ce liquide qui coulait doucement le long de ses doigts, contre le métal... Elle murmura une vague prière, la pierre éclata sans bruit et l’arme fut entre ses mains.

- Haruka-chan...

Elle emporta la lame avec elle, sous le regard vide du garde Bayushi. Le lendemain, il fut empalé dans ce même bosquet pour manquement grave. On ignorait qui avait emportée la lame mais l’action ne soulagea pas le clan du Scorpion. Tout avait été mis en œuvre par la famille Shosuro pour que les rokugani n’apprennent jamais qu’un simple rônin avait réussi à détruire la moitié de leur château. De plus, les shugenja murmuraient beaucoup de choses à propos de cette épée. Non pas qu’elle ait possédé un quelconque pouvoir, c’était une arme banale. Mais la lame était l’âme de tout samouraï et il était hors de question que l’âme d’Haruka sorte du bosquet.


Jun conserva précieusement ce vestige auprès d’elle, comme s’il avait eu le pouvoir d’apaiser sa souffrance d’avoir perdu un être cher. La lame à la lumière du jour avait une teinte gris foncé, les cordages avaient brûlés pendant l’explosion du labyrinthe et le mon Bayushi avait complètement disparu. Pourtant, malgré son pitoyable état, quelque chose émanait du katana. Quelque chose qu’aucun des katana flamboyants et impeccablement astiqués de la famille Otaku ne possédait.

Des années plus, tard, dix ans peut-être, la lueur tant attendue se présenta.
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Message par Otaku Sh?am » 24 nov. 2005, 23:32

Des yeux gris pâle, nervurés de gris foncé. Une chevelure dense, d’ébène. Des lèvres pleines, un visage mince, anguleux. Une impression de calme, de froideur. Ce fut ce dernier élément qui frappa Jun.
Un filet de sang coulait sur son front clair mais aucune peur ou douleur ne perçait dans son regard pâle. Chez un bushi rompu au combat, cela n’aurait rien eu d’étonnant mais chez une enfant...

- Approche. fit le shugenja en souriant d’un air rassurant.

L’enfant fit quelques pas. Une de ses camarades se tenait à côté d’elle, visiblement en proie au plus intense des conflits intérieurs.

- Vous allez la soigner ? demanda-t-elle nerveusement, une fois la blessée assise par ses soins.
- Bien sûr.

L’autre enfant était plus petite, plus trapue aussi et ses yeux bruns avaient l’air fou des yeux des jeunes poulains. Comment lui avait-elle dit qu’elle s’appelait déjà ? Ah oui ! Moshiko.

- Ça va aller, Moshiko-chan. ajouta Jun en voyant qu’elle regardait toujours sa camarade d’un air effrayé.
- Ha... hai !
- Bien. Maintenant, dites-moi toutes les deux... Que s’est-il passé pour que cette vilaine blessure arrive ?

Moshiko allait répondre quand l’enfant aux yeux gris la coupa.

- Je suis tombée.

Jun arqua un sourcil. Les yeux gris étaient toujours aussi froids mais Moshiko se tortillait plus nerveusement encore. Le shugenja hocha la tête sans un mot et s’affaira à préparer les plantes aux propriétés antiseptiques nécessaires pour nettoyer la profonde entaille des lèvres et du front.

- Tu ferais peut-être mieux de repartir, Moshiko-chan. fit doucement Jun.

L’enfant détacha son regard de la préparation avant de s’incliner.

- Hai, Iuchi Jun-sama !

Le shugenja la regarda partir avant de reporter son attention sur la blessée. Malgré le calme apparent de son regard, la Licorne perçut une douleur sourde. Elle continua de sourire et nettoya le front sanglant avec un linge mouillé avant d’appliquer le baume odorant et verdâtre.

- Qui est ton sensei ?

Le regard gris étincela, un instant seulement mais un instant tout de même. Jun manqua de lâcher le bol de terre cuite qui contenait ses herbes médicinales.

Ce regard...

- Otaku Aiko.

Otaku Aiko... L’exception qui confirmait la règle du mérite. Un sensei nommé à son poste, uniquement grâce à des faveurs arrachées à la jeune et influençable Otaku Kamoko. Sa mère, avant sa mort, comptait Otaku Aiko dans son entourage proche et même si Jun ne doutait pas un instant que l’ancien daimyo de la famille Otaku avait eu pour cette jeune shiotome, beaucoup d’affection, elle n’en restait pas moins convaincue que cette affection était celle qu’un maître portait à un chien fidèle. Pour preuve, jamais Kamoko n’avait nommé Aiko à un poste de responsabilité... Mais sa jeune fille éplorée qui manquait à présent de repères avait insisté auprès de sa tante Otaku Tetsuko, qui tenait à ce moment les rênes de la famille à sa place, pour que Aiko soit nommée. Voilà comment une incompétente dangereuse s’était retrouvée sensei. Jun ne pouvait s’empêcher de tiquer à chaque mention de son nom. Otaku Aiko... Nommée par une gamine de treize ans...

L’enfant fronçait le nez devant l’odeur insistante du mélange vert. Malgré le doute qui gonflait sa poitrine et roulait dans sa gorge, Jun étouffa un rire. Elle posa ses mains sur le front dont l’hémorragie était à présent arrêtée. Les plaies ne tardèrent pas à se refermer. Le shugenja saisit un autre linge et essuya le baume à présent qu’il était devenu inutile. Le regard pâle la fixait sans ciller. Une fois de plus, son cœur manque un battement. Elle se détourna pour rincer le linge qui avait changé de couleur.

- Ton sensei sait que tu t’es blessée ?

Le regard fut brûlant quelques instants, suffisamment pour que Jun se sente à nouveau mal à l’aise.

- Elle le sait.
- C’est elle qui t’envoie ?
- Oui.

Ce ne fut peut-être qu’un effet de son imagination mais il lui sembla sentir dans ce simple « oui » une ironie mordante. Elle comprit à cet instant que l’enfant n’était jamais tombée de cheval et qu’Aiko était probablement la cause de cette blessure. Une sueur glacée glissa le long de ses côtes.

Ce regard...

- Qu’est-ce que c’est comme herbe ? fit soudain la fillette avec un ton d’intérêt surprenant.

Jun sourit, à demi soulagée. Elle prit entre ses doigts une baie noire et la posa dans la paume de l’enfant.

- Une baie très dangereuse qui, heureusement, quand elle est associée à une autre plante devient un puissant anesthésiant.
- Anesthésiant ?
- Quelque chose qui endort la douleur.

Le regard gris fixa la petite baie qui roula sur la paume ouverte. L’enfant la restitua avant de se redresser, quittant la chaise où une Moshiko affolée l’avait propulsée quelques instants plus tôt. Elle porta sa petite main à son front, presque étonnée de ne sentir aucune douleur, de ne pas voir de sang en la ramenant devant ses yeux. Son regard calme se posa sur Jun avec respect et elle s’inclina.

- Merci, Jun-sensei. murmura-t-elle.
- De rien. Si jamais, tu tombes à nouveau, n’hésite pas à venir.
- Je ne tomberai plus. fit-elle.

Jun la crut et un nouveau frisson la secoua. Quelque chose allait arriver. Maintenant. L’enfant se détourna pour sortir et son regard se posa sur l’épée de Haruka. Elle hésita.

- Quel est ton nom ? demanda Jun.

Elle le lui donna.

Silencieuse et sombre...

Jun sourit. L’enfant s’éloigna du katana.

- Au revoir.
- Au revoir.


Trois jours plus tard, le shugenja apposait ses mains sur le corps en sueur et agité de spasmes de Otaku Aiko. Ses yeux noirs roulaient fiévreusement, de la bave coulait de sa bouche tordue et des cris s’échappaient de ses lèvres dès que la salive lui manquait. Otaku Tetsuko arborait une mine sidérée.

- De quoi s’agit-il ?
- Empoisonnement.
- Qui ?
- Je l’ignore.
- Va-t-elle s’en tirer ?
- Oui. C’est une sorte d’indigestion aiguë. C’est impressionnant mais sans conséquence.
- Tant mieux.

Jun haussa un sourcil. Le hatamoto avait une voix soulagée. Elle n’allait pas devoir acheter de chien en remplacement pour Kamoko... Etait-ce là toute l’estime qu’elle portait à Otaku Aiko ? Lorsque les spasmes cessèrent. Jun rebroussa chemin, faisant un détour par les écuries. Elle n’avait que trop peu le temps de passer au milieu des chevaux.

- Jun-sensei !

Elle sursauta. Juchée sur une pouliche noire, l’enfant lui adressa un signe de la main. Elle était si à l’aise en selle qu’on aurait dit que l’animal faisait partie d’elle. Le visage anguleux était calme sous la brise qui faisait embaumer l’écurie de l’odeur de l’herbe fraîchement coupée que l’on commençait à entreposer pour qu’elle sèche et serve de fourrage en Hiver.

- Comment va ton front ?
- Très bien. Je ne tomberai plus.

Les yeux gris brillèrent dans la semi pénombre. Jun esquissa un sourire alors que la pouliche détalait dans la plaine en contrebas.

Enfin, je te retrouve...
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