[Roleplay 0] Au hasard du chemin, dans le clair obscur...

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Hida Koan
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[Roleplay 0] Au hasard du chemin, dans le clair obscur...

Message par Hida Koan » 11 juin 2004, 11:01

Pénombre va être un ronin que l'on croisera sur le chemin de la caravane (on ne sait quand encore), je fais ce topic ici pour le jour de la rencontre (parce que je sens que rechercher le post dans plusieurs jours ça va être coton...)

En ce moment donc Pénombre est en vadrouille sur les routes... ca tombe bien ;)
Dernière modification par Hida Koan le 11 juin 2004, 11:33, modifié 1 fois.
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Message par Pénombre » 11 juin 2004, 11:33

Les kami remarquèrent sans guère y attacher d'importance une petite anomalie qui venait de se produire…
L'instant précédent, il n'y avait aucun homme allongé dans l'herbe et maintenant, il y en avait un.
La curiosité des kami s'éveilla légèrement parce qu'ils sentaient qu'aucun d'eux n'avait été sollicité pour provoquer cette subite apparition. L'homme immobile n'avait pas été transporté ici par l'intervention d'un shugenja, les Dragons et les Fortunes n'avaient pas fait appel à leurs nombreuses prérogatives pour faire intervenir les esprits inférieurs et pour tout dire, tout ça n'aurait même pas du avoir lieu.
Pendant un temps indéterminé, l'homme demeura froid et absolument sans vie. Puis, ce qui aurait pu sembler être un cadavre se mit à respirer doucement tandis que les yeux de l'homme se mettaient à bouger sous ses paupières closes.
Finalement, les paupières s'ouvrirent et dévoilèrent deux puits d'absolue et infinie noirceur.
Alors les kami comprirent en partie de quoi il retournait et décidèrent pour des raisons complexes de retourner à leurs petites affaires et d'oublier l'incident au plus vite.

L'homme aux yeux d'ébène pur s'étira de manière grotesque puis ses mouvements devinrent plus fluides comme si son corps se souvenait de ce qu'il était capable de faire.
Il resta un long moment assis car il n'éprouvait pas le besoin de faire autre chose.
J'existe… et je n'existe pas la pensée surgit tout à coup dans l'esprit vierge et elle l'emplit pendant un instant qui pouvait également être une éternité avant de disparaître. Cette simple pensée provoqua un phénomène étrange et donna naissance à d'autres pensées qui s'entremélèrent, se bousculèrent, se heurtèrent dans une clameur silencieuse jusqu'à ce qu'un ordre impératif rétablisse le silence.

Les pensées se mirent à s'ordonner d'elles-mêmes bien qu'elles ne sachent pas pourquoi.
A défaut d'avoir un sens, les choses eurent alors une certaine cohérence

Finalement, l'homme se leva et s'approcha du petit étang près duquel il était allongé
Il se pencha vers la surface de l'eau, le regard attiré par son reflet… et tomba dans l'étang.
L'eau n'était pas profonde mais il ne se souvenait pas qu'il savait nager et il fut submergé par des émotions étranges en même temps que par le liquide. Il se débattit mais l'eau pénétra dans sa bouche et son nez pour s'accumuler dans ses poumons.
Il suffoqua et ne tarda pas à mourir.


Le corps demeura quelques instants à moitié immergé dans l'étang avant de devenir de plus en plus évanescent pour finir par disparaître.

Les kamis notèrent cette disparition et l'apparition d'un autre homme absolument identique au précédent, allongé à l'endroit même ou le noyé s'était réveillé.

Le nouvel homme ouvrit lui aussi les yeux et se leva. Il s'approcha de l'étang, fasciné par son reflet…
Il s'accroupit et sa main descendit jusqu'à l'eau pour la toucher.
Il demeura un instant là et finalement, il dit
"Eau"
Puis
"Etang… Lac, Mer, Rivière, Océan, Mare, Marécage, Flaque, Pluie, Soleil…"
Il leva alors les yeux par réflexe vers l'astre majestueux au dessus de lui. Et les baissa aussitôt, son corps frissonnant d'une sensation étrange et plutôt désagréable.
Il préféra s'absorber dans la contemplation de son propre reflet tout en surveillant discrètement celui du soleil, à toutes fins utiles…
Il réfléchit un long moment et il comprit enfin ce qui n'allait pas.
Les ténèbres au cœur de son regard se dissipèrent en partie et finalement, ses yeux eurent des pupilles et des iris, comme ceux de n'importe qui.
Pour le reste, il semblait jeune, d'apparence relativement banale et était vétu comme un ronin qui gagnait suffisamment bien sa vie pour se permettre une tenue correcte.
Cette pensée l'amena à considérer autre chose… qui manquait ?
Il se retourna.
Le daisho gisait toujours dans l'herbe près de l'endroit ou il s'était éveillé.
Il se leva et récupéra les deux armes qu'il passa à sa ceinture dans un mouvement témoignant d'une très longue pratique qu'il ne possédait pas vraiment mais qui ne demandait aucun effort.

Sous le coup d'une inspiration inexpliquée, il dégaina brutalement la lame la plus longue et frappa le vide, découvrant le son de l'acier qui n'en était pas lorsqu'il fendait l'air, suivi par le petit claquement métallique lorsque ses mains qui n'étaient pas de vraies mains replacèrent l'arme dans son fourreau d'un geste qu'il réalisait pour la première fois bien qu'un observateur extérieur puisse penser qu'il avait passé un ou deux siècles à pratiquer le sabre tant le mouvement apparaissait fluide et naturel.

Il demeura à nouveau immobile, comme s'il gardait la pose avant de réaliser un kata. Puis, sa voix se fit à nouveau entendre
"Katana"
Et ensuite
"Wakizashi, Daisho, Bushido, Vie, Mort, Honneur, Samurai, Clan, Ronin, Nom…"

Ce dernier mot l'arréta et il considéra sa situation. Longtemps. Son regard errait librement tandis qu'il s'habituait à penser et à ordonner cette pensée.
Lorsque ses yeux virent le bosquet de saules et l'ombre qu'ils projetaient, il eut son premier sourire et se déplaça jusqu'à l'abri frais des arbres.
Il se retourna et considéra à quelques pas de lui l'herbe brillante sous le soleil tandis qu'il demeurait à l'ombre. En sécurité. Là ou il devait être ?
Le temps passa mais il découvrait tout juste que le temps existait alors il le regarda passer sans rien faire. Fasciné. Il vit les libellules, les moucherons, le vent dans les herbes et les branches des saules.
Il découvrit la chaleur écrasante du Soleil et la fraicheur rassurante de l'Ombre.
Il entendit au loin l'aboi d'un loup et le reconnut comme tel bien qu'il n'ait jamais entendu de loup auparavant
Il découvrit l'instant, la durée, la vie et le mouvement. Il se rappelait être mort ici même un peu plus tôt et l'accepta pour ce que cela signifiait. Et il ne fit rien. Ne dit rien. Il resta là immobile.
Lentement, la lumière finit par décroitre tandis que dans les cieux, Yakamo poursuivait son éternel parcours.
Puis, les ténèbres lui succédèrent et pendant un bref instant, il songea qu'il allait disparaître.
Mais ce ne fut pas le cas.
Alors, il trouva enfin son nom.

Et le ronin Pénombre se mit en route, cherchant un sentier ou un chemin qui le ménerait à d'autres hommes. Il savait que la plupart n'aimaient pas voyager de nuit mais lui, il n'en avait cure car l'obscurité ne le génait pas.
Il sentit cependant qu'on l'observait avec attention et il leva la tête.

Au dessus de lui, la Voie Lactée se déployait dans toute sa magnificence mais il n'avait pas encore appris à l'apprécier. L'instant d'avant, il ne se souvenait même pas qu'elle existait. Il devinait la présence du Néant au cœur de la nuit mais le Néant n'était pas la source de cette étrange sensation d'être observé.

Finalement, il comprit.
Il scruta longuement Dame Lune dans le ciel et il reconnut le lien qui les unissait depuis toujours.

Alors, il sourit à l'astre d'argent et reprit son chemin sous les étoiles.

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Message par Pénombre » 11 juin 2004, 14:55

Taka le Balafré plissa les lèvres et observa attentivement l'autre ronin en face de lui. Autour d'eux, les villageois de ce trou perdu sans nom demeuraient prudemment à l'écart, attendant de voir si le chef brigand arriverait à vaincre l'homme qui venait de tuer ses quatre comparses.
Taka d'ordinaire si braillard se taisait, le regard méfiant et empli de colère. Lorsque l'étranger était arrivé, il avait joué son numéro habituel, proposant à l'homme de dégager ou d'accepter ses ordres. Et lorsque l'étranger avait simplement répondu par un silence perplexe, il avait ri et l'avait insulté en espérant que l'idiot allait dégainer et se faire tailler en pièces. Il n'était pas question de le laisser partir en vie de toute manière mais si au moins il faisait semblant de se battre, ce serait plus amusant que de massacrer un type qui n'était peut-être qu'un paysan porteur d'un daisho volé sur un cadavre.
Mais l'autre s''était contenté de le regarder, avec quelque chose de froid, de mort, au fond des yeux. Et ce regard avait amené Le Gros a brandir sa yari pour en frapper l'étranger, pour lui fendre le crâne et effacer une fois pour toute cette attitude si anormale.
Et l'instant d'après, Le Gros ainsi que Naru et Le Manchot étaient morts. Vicieuse, la maitresse de Taka, n'avait trouvé rien de plus idiot à faire que de hurler en se jetant sur l'homme et son hurlement s'était arrété en même temps que sa vie.
Cela n'avait eu lieu qu'une dizaine de secondes plus tôt et depuis, Taka n'avait pas bougé d'un millimètre. Pas plus que l'autre qui ne le regardait même pas et se contentait d'observer les dernières convulsions du Manchot d'un air pensif.
Taka ne bougeait pas parce qu'à l'époque ou il était encore samurai, il avait vu bien des styles en action et qu'un ronin qui maitrisait avec une telle aisance des mouvements appartenants à des écoles bien distinctes était… était impossible. Les ronins de clan n'étaient pas si nombreux que cela et les ronins qui avaient suivi l'enseignement de plusieurs écoles relevaient plus du conte populaire que de faits réels.
Taka en était tellement persuadé qu'il n'avait même jamais pensé consciemment à une autre éventualité. Jusqu'à cet instant précis.
Cet instant ou l'homme en face de lui conservait la Première Posture d'Akodo alors que son regard ne quittait pas Manchot agonisant. Mais le sabre de l'inconnu avait une tenue basse, comme seuls les adeptes du Niten la pratiquaient alors que le wakizashi demeurait encore à sa ceinture. Et Taka avait encore une vieille cicatrice pour preuve de sa défaite face à un élève de l'école Kakita bien des années plus tôt. Il se souvenait comme si le duel avait eu lieu la veille de chacun des mouvements du samurai de la Grue. Des mouvements qu'il venait d'entrapercevoir chez l'inconnu alors qu'il taillait en pièces ses compagnons. Comme si l'autre ne maitrisait véritablement aucun style défini mais s'inspirait des bases de chacun d'eux et les combinait sans le moindre effort.

Le regard de l'inconnu quitta Le Manchot alors que le corps de celui ci se raidissait enfin, pour se poser sur Taka.
Le chef brigand déglutit. Il pouvait fuir mais il avait vécu toute ces années sur le dos des paysans gràce à sa réputation. S'il tournait les talons, la couardise de Taka le Balafré ferait le tour des provinces et il lui faudrait marcher pendant des semaines avant d'arriver dans un endroit ou l'on aurait pas entendu parler de sa fuite. Un endroit ou d'autres brigands n'apprécieraient pas forcément son arrivée. De plus, il n'avait absolument aucune envie de prendre ses ordres d'un autre homme. Il avait assez donné quand il était un vrai samurai et il préférait commander plutôt qu'obéir.
Non… fuir était hors de question. Mais se jeter sur l'autre était suicidaire. Il fallait ruser…
"On peut discuter ?" demanda Taka, tentant d'avoir l'air sûr de lui. "Tu m'as l'air d'être beaucoup plus valable que ces idiots et nous pourrions nous associer".
L'autre cligna des yeux.
"Nous associer ? pour quoi faire ?"
Taka se demanda si le type était fou. En tous cas, il n'avait pas l'air très net et il allait falloir le manier avec précautions.
"Hé bien… je me disais qu'on pourrait se faire de l'argent en rançonnant les gens du coin" expliqua posément Le Balafré, essayant de faire comme s'il s'adressait à un gamin un peu simplet.
Le "simplet" eut un haussement d'épaule presque imperceptible et d'un simple mouvement, il rengaina son arme tout en tournant les talons.
Taka n'en croyait pas ses yeux. L'autre était vraiment dingue !! Il aurait du répondre. Quelque chose. N'importe quoi. Ou attaquer. Mais non…il tournait les talons.
Pour s'approcher du corps de Vicieuse. Sans la moindre hésitation, il retourna le cadavre et entreprit de fouiller la femme, ignorant le sang et les boyaux alors que tout le village le regardait avec horreur. Même Taka se sentit révulsé car lorsqu'il tuait une de ses proies, il prenait bien garde à la fouiller en s'aidant d'un chiffon ou d'un morceau de kimono qu'il brulait ensuite pour ne pas souiller sa propre chair.
L'autre se releva et dans sa main recouverte de sang, il tenait toutes les richesses de Vicieuse.
Il dévisagea Taka et d'un air songeur, il demanda.
"C'est très mal, n'est ce pas ?"

Par toutes les fortunes !! Ce type est un Egaré !! C'est ça !! Une sâle ordure de l'Outremonde qui…

Les années de service humiliant chez les Hida prirent le dessus et les réflexes entretenus par la haine ancestrale jouèrent alors que Taka se ruait sur l'étranger, le peu d'honneur et de fierté qui lui restaient lui hurlant de frapper l'être immonde, le traître corrompu devant lui.
Et lorsque le sabre de l'autre lui trancha la colonne vertébrale, il vit son regard. Il vit l'obscurité absolue l'espace d'un souffle avant de mourir.

L'âme de Taka jaillit hors de son corps et se précipita hurlante vers le Meido, vers le chatiment qui l'attendait au delà. A l'instant ou cette âme quittait la vie de Taka et entamait le douloureux périple vers sa prochaine existence, elle sut et comprit ce qu'elle venait d'affronter. Et malgré tout ce qui devait l'attendre avant que les crimes de sa vie passée soit purgés, l'âme qui s'appelait encore Taka un instant plus tôt se sentit soulagée de pouvoir au moins continuer sa route. Une route que jamais son adversaire n'emprunterait.

Les paysans virent le ronin rengainer à nouveau son arme et poser les yeux sur le cadavre de Taka le Balafré.
Le ronin demeura un long moment immobile, les bras ballants. Puis, il poussa un étrange soupir et laissa tomber dans la poussière les pièces encore tachées de sang qu'il avait prises sur le corps de Vicieuse. Il essuya soigneusement la main souillée par le sang sur un pan du kimono de Taka encore relativement propre et sans ajouter un mot, il quitta le village. Il semblait absent et ils virent son regard pensif, comme absorbé dans ses souvenirs.

Ils le laissèrent partir sans rien dire. Trop heureux qu'il s'en aille.

Ils ne voulaient même pas connaître son nom.

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Message par Pénombre » 11 juin 2004, 16:44

"Vous devriez être mort, Pénombre-san" parvint à articuler Doji Kanjiro avant de se remettre à cracher du sang. Il avait vu le crâne de l'homme éclater sous un moellon lorsque la tour s'était effondrée. Le tremblement de terre avait du provoquer la mort de la plupart des hommes de l'avant-poste et l'odeur des flammes à proximité, probablement le foyer de la cuisine désormais libre de se propager, indiquait clairement ce qu'il allait advenir de ceux encore en vie sous les décombres.
Le ronin sans papiers enfermé depuis deux jours dans la cellule près de son bureau ne répondit rien, se contentant d'examiner d'un œil critique les gravats qui pesaient sur le magistrat impérial.
"Je vous ai vu mourir" affirma Kanjiro, tentant de dévisager le ronin malgré la douleur. Le ronin sans la moindre égratignure lui rendit son regard.
"J''étais mort, en effet".
"Qu… quoi ?"
"J'étais mort et vous n'allez pas tarder à mourir vous aussi".
"Com…" il toussa à nouveau et quelque part, un des fragments de maçonnerie qui l'écrasait bougea légèrement, lui arrachant un gémissement de douleur.
"Je n'ai pas survécu, je vous l'ai déjà dit. Mais pour moi, ce genre de choses n'a plus grande importance. Je suis mort tellement souvent…"
"Qu… quoi ?"
"Oui. La douleur, le néant… mais ça n'est pas vraiment la mort comme vous la concevez. Ce genre de choses ne m'est pas accessible. D'ailleurs, puisque vous vivez encore, il y a peut-être quelque chose que je peux faire pour vous être agréable ?"
"M'être agréable ?"
Regard songeur du ronin, comme s'il cherchait dans ses souvenirs.
"Hai… je crois qu'il est important pour les samurai de partir en s'assurant qu'il ne leur reste rien à faire avant d'entamer leur nouvelle vie, non ?"

Doji Kanjiro n'en croyait pas ses oreilles mais il sentait qu'il lui restait trop peu de temps pour ergoter. Même s'il ne devait jamais connaître la réponse à certaines questions, il fallait effectivement ne pas gàcher le peu qu'il lui restait à vivre.
Pourvu que cette douleur cesse bientôt… il réalisa que depuis un bon moment, le ronin se tenait accroupi près de lui et attendait silencieusement, le regardant avec cet étrange regard à la fois si intense et si… absent.
Fortune… Dragon… kami… il ne saurait jamais quoi mais le ronin qui se faisait appeler Pénombre n'était pas un ronin, ni même un homme.
"Pourquoi ?"
Froncement de sourcils, puis la réponse après quelques secondes.
"Pour comprendre. La vie, la mort… ce genre de choses. C'est tellement difficile à comprendre. Vivre, tuer, mourir, donner la vie et la reprendre…"

Je dois déjà être mort et tout ça n'est qu'un prélude à mes tourments ne put s'empécher de songer Kanjiro. Une nouvelle quinte de toux et un jaillissement de sang lui firent comprendre qu'il n'était pas encore aussi loin sur la route qu'il le croyait.
"Si… si je vous demande en tant que samurai de… de m'être agréable comme vous dites… vous le ferez ? Vous ferez ce que je demande ?"
"Oui, sinon je ne vous l'aurai pas proposé"
"Je vous ai…"
"Emprisonné ? Oui… et non. Voyez vous, vous ne pouvez pas vraiment emprisonner quelqu'un qui n'est pas vraiment là".
On se croirait dans une fable tirée du shintao, c'est idiot non ? pensa le magistrat mourant.
"Alors… " il sentit que le moment de son trépas était tout proche "alors…mon oncle… "
"Comment s'appelle t'il ?"
"Dites lui… dites lui que son neveu est mort et que je… je suis désolé. J'aurai aimé honorer… nos ancêtres autrement…"
Il se tut. Parce que sa mort n'avait rien de glorieux, ni même d'utile. Il avait espéré que sa carrière de magistrat serait source de fierté et de satisfaction pour le dernier de ses parents proches qui soit encore en vie mais… à défaut d'avoir une mort utile ou honorable, il devait au moins se montrer correct et contrit envers celui qui attendait tant de lui.

"Vous n'avez plus beaucoup de temps" dit le faux ronin.

"Je sais… mon oncle… sert l'Empereur. Il s'appelle… Seppun Kurohito…" il parvint à émettre un dernier râle et se tut. Mais la mort n'était pas encore là. Tout près, vraiment très très près, mais pas encore là.
Il ne pouvait plus parler. Il se demanda comment un ronin anonyme qui n'était d'ailleurs même pas un être humain pourrait approcher un membre de la garde impériale. Il se demanda si quelque oni n'avait pas joué avec ses derniers espoirs.

Mais il n'avait pas le choix. Parce que celui qui se faisait appeler Pénombre était le seul à se tenir auprès de lui alors qu'il allait mourir.

"Je trouverai Seppun Kurohito. Et je lui dirais que vous êtes mort" énonca calmement le ronin. "Je vais attendre avec vous ici encore un moment. Le temps que le feu ou le plafond nous achèvent, puis je reprendrai la route".

Comment peut-il dire des choses aussi idiotes ? se demanda le magistrat agonisant. Mais au moins, il ne mourrait pas seul et la sérénité de son étrange compagnon était une sorte de réconfort. Comme si d'une manière ou d'une autre il avait fait ce qu'il fallait et que cela lui était confirmé, de bien étrange façon.

Il leva les yeux et pour la première fois, il vit dans le regard du "ronin" quelque chose d'inattendu.
De la tristesse.
Une tristesse si particulière qu'il sut immédiatement en quoi elle consistait et qu'il eut ainsi la dernière surprise et le dernier regret de son existence.

Alors que la mort l'emportait, emmenant avec elle la douleur et la vie de Doji Kanjiro il sut qu'il s'était trompé.
Il avait parlé aux ombres et il avait cru qu'elles lui répondaient.
Mais il était mort seul.
Il n'y avait personne.

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Message par Pénombre » 17 juin 2004, 19:16

"Je ne vois pas très bien à quoi ça sert" dit le ronin, ce qui lui attira un haussement de sourcils de Kato le moine.

Les enfants auxquels il faisait la classe les regardaient tous deux et pour une fois, il n'y avait pas le moindre rire étouffé. D'habitude, les gamins avaient la tête ailleurs et bien que le clan de la Grue insiste depuis des siècles pour que l'on donne au moins un semblant d'éducation aux heimin installés sur ses terres, la plupart des moines qui acceptaient de s'en charger éprouvaient quelques difficultés à s'assurer une coopération silencieuse de la part des gosses. Ils étaient… tellement bruyants par rapports à ceux que le monastère recueillait et qui étaient éduqués dans la perspective d'une vie de prières, de méditation et de labeur.
Kato n'était pas comme bien de ses frères et pour tout dire, il devait reconnaître qu'il n'était pas encore assez éloigné du monde pour ne pas gouter l'innocence et les chamailleries des mômes. Si certains de ses frères appréciaient tout comme lui l'humour très présent dans les écrits du très vénérable Shinsei, la plupart étaient souvent tellement sérieux…
Mais de là à laisser n'importe quel traine-sabre ridiculiser les enseignements du Tao.

"Pourquoi définir les choses en termes d'utilité ?" rétorqua le moine.
Le ronin à l'air songeur plissa les lèvres un moment avant de répondre.
"Parce que ce qui n'est pas utile n'a pas de raison d'être".

Typique… ne put s'empécher de songer Kato, se rappelant sa propre arrogance, quand il portait un autre nom et qu'il combattait pour la gloire de la famille Daidoji. Il n'avait pas la prétention d'être plus sage que d'autres mais il pouvait mesurer les changements que ces huit années de vie monastique avaient provoqué en lui.

"Pourriez vous définir l'utilité de ce qui nous entoure, samurai-san ?" demanda poliment le moine.
La réponse vint sans attendre.

"Aucune"

Kato s'y attendait à moitié mais il fut quand même géné par cette réponse. L'homme avait prononcé ce jugement d'une manière si spontanée, si neutre, si… impersonelle. Comme s'il énonçait un fait et non une conviction.

Cela n'est qu'une épreuve… il s'agit sans doute d'un mauvais plaisantin, ou de quelque esprit facétieux.

A moins… a moins qu'il ne s'agisse de quelque chose de plus sinistre…

Kato était encore très loin de maitriser les arts secrets de son monastère mais il avait toujours été observateur et les exercices quotidiens avaient renforcé son intuition ainsi que sa compréhension.
Il sentit confusément que l'homme était effectivement quelque chose de très différent mais il n'en éprouva aucune peur.
Lorsqu'il comprit qu'il ne ressentait rien de particulier à son égard parce qu'il n'y avait rien à ressentir, Kato sut à quoi s'en tenir.
Ce qui posait un nouveau problème au moine.
Mais d'abord…
"Les enfants… ce ronin et moi avons à parler de choses que vous êtres trop jeunes pour comprendre… allez jouer un moment". Il parvint à sourire et à rester apparemment serein mais il sentit la tension ramper en lui et il dut pratiquer discrètement un des exercices respiratoires de base pour la garder à l'écart.
Il suivit les enfants du regard, le sourire aux lèvres alors qu'ils s'éloignaient. Deux d'entres eux se retournèrent pour voir ce que le moine et son interlocuteur pouvaient bien faire mais Kato les incita à repartir sans demander leur reste d'un simple froncement de sourcils.
Dés qu'ils furent assez éloignés pour être en sécurité, il se retourna vers le "ronin".

"Vous êtes un pion du Dragon de l'Ombre", il énonça la vérité et se tint prèt à l'explosion de violence qui n'allait pas manquer de suivre.

"Non" fut la réponse. "Je n'ai aucun lien avec lui."
"Non ? mais pourtant…"
"Vous êtes perceptif, moine. Très perceptif. Oui, je suis une émanation du Rien. Mais pas du Dragon de l'Ombre. Pas d'un serviteur du Néant mais du Néant lui-même".

Les implications de cette petite phrase ne manquèrent pas de troubler l'ancien bushi. Soit il me ment et je ne sais pas encore dans quel but, soit c'est la vérité et alors… alors la Bataille de la Porte de l'Oubli s'est avérée inutile. Nous n'avons fait que repousser un ennemi qui finira tôt ou tard par revenir… et le Dragon de l'Ombre pourrait bien devenir son atout le plus puissant … mais cette créature, ce faux ronin, que veut-il ?

Kato demeura vigilant car il se rappelait très bien comment les serviteurs de l'Ombre agissaient, bien des années auparavant. Ils pouvaient se montrer si parfaits dans leurs imitations que même en sachant de quoi il retournait, il était extrèmement difficile d'accepter le fait qu'ils n'étaient que des copies de ceux qu'ils avaient tué ou que l'Ombre avait pris en elle.
Mais ce "ronin" n'était pas une copie aussi parfaite… et il avait avoué ouvertement sa véritable nature.

Ou était-ce sa véritable nature ?

Si je lui demande ce qu'il compte faire… il me mentira ou au mieux tentera de me manipuler avec des demi-vérités… mais qu'est ce qu'un moine comme moi peut avoir d'intéressant pour le Néant ? Je n'ai plus aucun contact avec les miens, je n'ai pas de relations influentes et mon avis est de bien peu de poids même dans notre monastère

Son interlocuteurs ne bougeait pas et semblait absorbé dans la contemplation des bancs de bois grossièrement taillés ou les enfants s'asseyaient pendant les cours.

"Pourquoi ?" mais à la grande surprise de Kato, ce fut l'Autre qui posa cette question.

"… p… pourquoi quoi ?"

"Pourquoi enseigner toutes ces choses à des êtres qui vont si rapidement les oublier, s'activer, se marier, vieillir, mourir et disparaître ?"

"Parce que… parce que si cela ne leur est pas utile dans cette vie, ça le sera peut-être pour mieux préparer la suivante…"

"Et ?"

"Et un jour, de vie en vie ils finiront peut-être par atteindre l'Illumination."

Silence. Kato soupira mais ne relacha pas sa vigilance. Parler d'illumination à… à rien…

Puis, le ronin reprit la parole.
"Il semble que les inciter à rejoindre leur existence suivante ne soit pas forcément une bonne chose, c'est bien ça ?"

"hé bien… cela dépend des Fortunes et de la destinée que la Roue nous a fixée."

"Ah… Définissez l'Illumination je vous prie".

"Je… je ne peux pas la définir.Elle est, tout simplement"

Nouveau silence. Puis…

"Comment faire la différence entre ce qui est et ce qui semble être ? Comment savoir si vous croyez avoir atteint l'illumination ou si c'est vraiment le cas ?"

Le moine n'eut même pas besoin de réfléchir pour répondre

"Je ne sais pas. Je le saurai quand j'y serai"

Le ronin qui n'en était pas un cligna des yeux. Une fois, deux fois… et sa voix devint alors si songeuse…

"Comment pouvez vous être certain d'y parvenir alors qu'il n'est même pas certain que vous existiez vraiment ?"

Et dans les yeux de l'étranger, Kato vit le reflet de ce qui s'y tenait tapi depuis bien avant le commencement.
La peur, de n'être rien, d'être seul et d'imaginer tout le reste pour se le dissimuler
Le désir, de trouver une réponse à cette peur, de trouver quelque chose de réel, de vivant, quelque chose d'autre qui permettrait de définir l'existence car s'il y a un Autre, il y a donc un Moi

Et le regret. Le regret de ne jamais jamais savoir. Le regret de l'amertume alors que ce que l'on croit être ne correspond pas à ce que l'on voudrait et que l'on se demande encore et toujours si cela est vraiment.

Le Néant… la soif de revenir au début. Avant la peur, avant le désir, avant le regret. La soif de ne plus avoir à chercher de réponses en faisant en sorte qu'il n'y ait plus aucune question.

Kato sentit les larmes lui venir aux yeux car à travers la chose devant lui, il reconnut la part d'obscurité qui vivait aussi sa vie, qui était présente en toute chose car toute chose découlait d'elle… à moins que toute chose, Kato compris, ne soit rien d'autre que… que des ombres ?

Nous sommes tous si seuls… que nous pourrions bien n'être qu'un seul… ou même moins que cela|/i]

Et pourtant… pourtant…

Le Vide est tout, le Vide est rien. Le Vide est chaque chose et n'est aucune d'elle. Le Néant est la source et la fin. Mais la fin de quoi ?

Et la réponse lui apparut. Sans violence ni soudaineté… comme si elle avait toujours été là. Comme si elle s'était toujours tenue juste sous ses yeux mais qu'il n'avait jamais pensé à la regarder vraiment…

La chose qui se faisait appeler Pénombre fronça les sourcils lorsqu'elle vit le doux sourire s'étendre sur les traits du moine. Un sourire qui rayonnait des profondeurs de son être et qui englobait même ce soupçon de rien qui se tenait devant lui.

Kato sourit et il se détourna. Tranquillement. Sereinement. Il se détourna car il savait qu'il n'avait plus rien à faire ici. Il se détourna car la vérité lui était apparue et qu'il savait que cette vie ne recélait plus rien pour lui. Il n'aurait rien à enseigner, rien à apprendre, rien à dire et rien à découvrir.

Il était arrivé au but et il lui fallait désormais poursuivre sa route tout seul. Au-delà de cette chair et de cette matérialité… vers… vers…

Il se détourna sans cesser de sourire et laissa derrière lui quelqu'un ou quelque chose qui ne pourrait jamais ressentir cela ou qui n'aurait jamais besoin de le ressentir. Quelque chose que son Illumination avait atteint jusqu'à des profondeurs que cette chose ignorait posséder puisqu'elle ignorait même qu'elle existait vraiment.

Il se détourna de l'étranger et aussitôt, il l'oublia.
Il oublia qu'il vivait.
Il oublia qu'il allait mourir.
Il oublia même que cela pouvait avoir une quelconque importance.
Car dans le fond, cela n'en avait en réalité absolument aucune.

Et derrière lui, il laissa près de la petite école ou jamais il ne retournerait un ronin qui n'en était pas un.
Un homme qui n'en était pas un.

Mais dont les larmes étaient bien réelles.

Verrouillé