[Nouvelle] Le jour où je suis mort

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Pénombre
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[Nouvelle] Le jour où je suis mort

Message par Pénombre » 14 avr. 2004, 17:33

Le Jour où je suis mort.

"Vous allez bien, Togashi-sama ?"
Je secoue la tête et ma vision brouillée par la douleur s'éclaircit.
Mirumoto Daiori me regarde, soucieux. Son armure de guerre n'est plus qu'une ruine, une parodie de ce qu'elle était. Mais sa main tient fermement le katana souillé jusqu'à la garde de sang rouge, noir, vert… toutes les teintes de toutes les corruptions.
"Oui, je vais bien…. L'ogre ?"
Le jeune bushi fait un imperceptible signe de tête et je me retourne. La dépouille du monstre git à quelques pas derrière moi. Plus précisément, elle git là ou je me trouvais encore à l'instant ou le tronc d'arbre de la brute m'a envoyé voler dans les airs. Loués soient les tatouages du Crabe et de la Montagne sans lesquels je ne serai plus qu'un pantin désarticulé gisant sur le sol.
Les empennages aux couleurs du dragon qui dépassent du monstreux cadavre parlent pour eux-mêmes et disent comment le monstre est mort.

Un seul instant, moins d'un souffle d'hésitation et j'ai failli mourir. Trop tôt.
Mais je n'ai aucune maitrise sur ces visions et ces voix qui m'assaillent à l'improviste. Comment pourrais-je les exorciser, les repousser ou les oublier alors qu'elles viennent du plus profond de mon âme ?
Comment pourrais-je faire barre aux souvenirs de mes vies passées ?

Je regarde le champ de bataille autour de nous. Nos armées et celles des autres clans combattent avec acharnement, aux côtés des renégats du Scorpion, des ronins de Toturi et même des Nagas sortis de leurs sombres forêts.
Face à nous, défendant les murailles de la Cité Impériale, les derniers fidèles de notre empereur damné et les hordes venues de l'Outremonde. Le clan de la Grue est parvenu à briser la défense adverse le long de la muraille orientale mais la bataille est loin d'être gagnée.
La plus grande bataille a laquelle un homme ait été donné de participer. Celle qui déterminera sans doute le sort de tout l'Empire.
Tout au moins, pour tous ces hommes qui combattent et meurent avec autant de courage que possible.
Parce que les enjeux ne sont pas vraiment les mêmes en ce qui me concerne.
"Togashi-sama ?"
"Tout va bien, Daiori-san. Je suis juste un peu étourdi". A la vérité, chaque muscle de mon corps est au supplice mais la magie des tatouages m'a protégé du pire.

Il fronce les sourcils mais ne dit rien et baisse respectueusement les yeux. Nos troupes repoussent l'ennemi et si nous pouvons gouter à quelques secondes de paix alors que d'autres meurent à quelques pas de là, nous avons tous deux hâte de retourner au combat. Pour des raisons bien différentes.

Je lui fais un sourire, ce sourire rassurant qu'il connaît depuis son enfance. Depuis l'époque ou je n'avais pas encore escaladé la montagne et changé de nom. Lorsque j'étais encore son père.
Nous sommes deux étrangers désormais et bien qu'il connaisse mon nouveau patronyme, il se contente d'un prudent "Togashi-sama" alors que dans le même temps, le simple fait qu'il soit resté sur mes talons à mon insu au cœur de la bataille en dit long. Bien trop long…
Mais moi non plus, je ne dis rien. Ise Zumi ou guerrier de la voie du Niten, nous sommes tous deux samurai.
Il secoue brièvement sa lame, celle qui appartenait à mon propre père autrefois, pour la débarrasser d'une partie du sang souillé qui la macule. Le geste est vain mais il témoigne bien du respect qu'il porte à l'arme de notre… de sa famille.
"Allons-y, samurai"

Il hoche la tête et, plus jeune et moins accablé par ses blessures que je ne le suis, il me précède alors que la mélée s'est encore éloignée de quelques mètres. Quelques pas vers la capitale de l'Empire payés au prix du sang.
Mais la bataille que nous livrons aujourd'hui n'a pas vraiment d'importance.
Pour moi, elle n'en a plus depuis le jour ou je suis arrivé devant Kyuden Togashi. Le jour ou j'ai rencontré notre seigneur et maitre.
Le jour ou nous nous sommes reconnus.

Les samurai du Crabe qui se jettent sur nous ne sont plus que des parodies d'hommes. Le regard possédé, la peau déjà marbrée de tàches noirâtres et de bubons sanguinolents. Toucher ces pauvres âmes déchues à mains nues serait dangereux et c'est avec mon bo fidèle que je les affronte tandis que mon… que Daiori-san se dresse à mes côtés.
Je fais très attention et heureusement, aucun souvenir de ma vie d'autrefois ne vient m'assaillir durant ce combat.
Aucun souvenir du jour ou il y a mille ans j'ai combattu ici même pour défendre les murailles de notre toute jeune capitale contre les hordes de Fu Leng. Le jour ou je suis mort…
Tout comme je dois à nouveau mourir aujourd'hui.
Mais pas face à ces Egarés, non.

D'ailleurs, ils sont déjà à terre tandis que Daiori-san et moi courons vers nos frères de clan en pleine bataille.
Je ne l'ai su qu'en rencontrant Togashi Yokuni. Je ne l'ai su qu'à ce moment là mais je ne l'ai compris que bien plus tard.
J'ai su lorsque j'ai levé les yeux vers lui, avant mon premier tatouage, avant que son sang et le mien ne fassent qu'un, lorsque nous nous sommes reconnus.
Il m'a regardé, jaugé, jugé.
Et puis, il a dit simplement
"Pas cette fois ci".

Je me rappelle très bien, alors que nous entrons dans la mélée Daiori et moi, la peur que j'ai éprouvé lorsque le kami, le dragon, le frère de Hantei a dit "pas cette fois ci".
J'ai cru qu'il me chassait de sa présence. Mais j'avais tort.
Quinze ans et quatre tatouages plus tard, j'ai enfin compris. Cette nuit. La nuit qui précèdait le jour ou je dois mourir. Et cela n'a rien à voir avec le samurai que j'étais ou l'ise zumi que je suis. Non, rien à voir.

Tout petit, on m'a enseigné que la Roue Céleste régentait toute chose. Qu'un cycle incessant nous ramenait à la chair pour retourner à l'oubli et en revenir. Encore, et encore, et encore, et encore jusqu'à ce que nous parvenions à atteindre ce qui se trouve au-delà. Ce que l'on appelle l'Illumination.
Et il existe autant de manières d'atteindre l'Illumination qu'il existe de vies pour la rechercher. Toutes ne passent pas par la mort, mais je ne saurai dire si celle de la jeune femme qui tombe et s'étouffe dans son propre sang alors que mon baton brise le crâne de son meurtrier en fait partie ou pas.
Certaines âmes ont un chemin à trouver. D'autres doivent se forcer à demeurer immobiles car tout leur sera donné tant qu'elles ne cherchent pas. Certaines ont quelque chose à accomplir, d'autres ont quelque chose à subir.
Moi, je sais désormais quelle est le prochain pas que je dois faire. Et je sais que je le ferai en vain.
"Pas cette fois ci" a dit le kami au cœur de sa forteresse qui change à chaque battement de paupière et reflète bien des choses oubliées, possibles, probables ou simplement à venir.

Mais c'est aujourd'hui. Aujourd'hui que je dois le retrouver. L'abomination que j'ai tué il y a mille ans et qui m'a tué dans le même temps.
Pour que la Roue Céleste tourne, une multitude de choses doivent avoir lieu. Mais si elles se contentent d'avoir lieu, si elles n'ont pas lieu de manière absolument parfaite, chacune d'elles et chacune par rapport aux autres, alors la Roue tourne mais n'avance pas comme elle le devrait. Et il faut recommencer.
Quelque chose me dit que puisque cette fois ne sera pas la bonne, qu'il va me falloir mourir. Et recommencer.
Au Troisième Jour des Tonnerres.
Au Quatrième Jour des Tonnerres
Au Millième Jour des Tonnerres… et au-delà si nécessaire. C'est ma destinée, mon rôle, mon but, ma raison d'être. Et je l'oublierai à nouveau pendant mille ans et mille vies.
Jusqu'à la prochaine fois.

Tant que tout ne sera pas parfait, la Roue ne tournera pas comme elle le devrait. Le cycle ne sera pas bouclé et devra recommencer.

Est-ce ma faute si cette fois n'est pas la bonne ? Je ne peux le dire. Mais quelque part, une des nombreuses et infimes petites choses qui devaient avoir lieu n'a pas eu lieu.
Et donc, même si nous remportons la victoire aujourd'hui, cette victoire ne sera pas plus grande que celle que nous avons remporté il y a mille ans.
Elle portera en elle les germes de notre prochaine guerre.
Nos armes étaient de fer brut et d'acier primitif. Elles sont devenues plus élégantes et mortelles. Qui sait ce qu'elles pourront être la prochaine fois ?

Aux côtés de mes frères de clan, j'avance vers les murailles. Même à cette distance, il est visible que pour l'instant nous avons l'avantage. Les combats sont si acharnés qu'en comparaison le cœur des mélées les plus denses des guerres entres clans semblent presque calmes. Les oni sont les plus voyants de nos adversaires mais, et cela ne peut que nous réjouir, ils ne sont pas les plus nombreux. Nous avons presque autant à redouter de ceux qui portent encore les armures du Lion ou du Crabe mais qui n'ont plus rien à voir avec leurs anciennes allégeances. Fort heureusement, la plupart n'ont pas encore acquis une expérience comparable à celle des esprits venus du Jigoku.

A nouveau, c'est la violence qui établit son règne sur chacune de mes inspirations. Il n'est plus un instant ou cette partie de moi qui vit intensément le moment présent ne doit combattre. Très vite, au milieu des cris et des bruits du massacre, nous pataugeons dans le sang et les entrailles d'autres hommes tombés pour nous ouvrir la voie. Très vite, ce ne sont plus des forces, des armées qui s'opposent mais des hommes, des monstres et des morts-vivants. Ca n'est plus eux contre nous mais chacun pour soi.

Il est là.
Je ne le vois pas encore, mais je sais qu'il n'est pas très loin.
Je ne saurai dire quelle sera son apparence cette fois ci mais il est là.
Un choc dans mon dos, je me retourne.
C'est Mirumoto Daiori. Mon fils. Ses blessures saignent abondamment mais il tient encore debout et la résolution n'a pas faibli dans son regard.
Un regard qui pendant un instant ne me reconnaît pas, obscurci par la violence et le carnage.

"Daiori…"
"Tog… père. Père, j'ai cru que vous étiez mort".
Je sens que mon ennemi se rapproche et qu'il devine ma présence.
Bientôt, nous nous reconnaitrons et nous mourrons. Une fois de plus.

Alors, au beau milieu du champ de bataille, je lui souris. Pour la dernière fois.
"Mort ? Tu t'inquiétais pour rien, mon fils. Il n'était pas encore temps pour cela…"
Un hurlement inhumain et je me retourne.
Le voilà.
Adieu mon fils. J'aurai eu tant de choses à te dire. Puissent les Fortunes et la Roue Céleste nous mener à nouveau l'un à l'autre. Pour que nous puissions partager ce que j'ai appris. Et faire à nouveau route ensemble.
Un jour, un jour, nous trouverons. Nous réussirons. Le cycle sera achevé, la boucle bouclée, le long passage des vies et des siècles terminé pour nous. Nous nous accomplirons pour renaitre une dernière fois. Une première fois. La seule fois qui aura vraiment de l'importance.
Un jour…

Mais pas cette fois ci.

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Message par Hida Koan » 15 avr. 2004, 07:27

:snif: C'est beau... [EDIT: nan, mais je plaisante pas, je pleure pour de vrai... d'accord je pleure facilement mais quand même...]

Mais tu devrais changer le titre, comme ça on garde la "surprise"...
Dernière modification par Hida Koan le 15 avr. 2004, 07:40, modifié 1 fois.
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Yamato

Message par Yamato » 15 avr. 2004, 07:31

Admirable.

Yamato

:toturi:

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Message par Mirumoto Hijiko » 15 avr. 2004, 07:39

:clap: C'est du beau ! Et le suspense insoutenable en ne voyant pas la nemesis du Togashi. Du coup, on l'imagine un peu chacun à sa sauce.
Ca fait un peu comme dans Atmosfear : "quel est ton pire cauchemar ?" ;)

En tout cas :jap:
Et vive les :dragon:
Excuse-moi de pratiquer un héroïsme raisonné, cohérent et responsable. Moderne en somme.
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Message par Pénombre » 15 avr. 2004, 08:28

Domo :jap:

je connais pas Atmosfear

qu'est ce ?

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Message par Mirumoto Hijiko » 15 avr. 2004, 08:32

Un jeu de société utilisant une cassette vidéo pour rythmer la partie. C'est dans une ambiance film d'horreur et au début de la partie, chacun écrit son pire cauchemar sur un petit cercueil. Le perdant voit son pire cauchemar se "réaliser" :peur:
Enfin, c'est nostalgique maintenant.
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Message par Seppun Kurohito » 15 avr. 2004, 08:35

:jap: :jap: :jap: :clap: :clap: :clap:
Peu de mots pour rendre honneur à un si beau texte, si bien écrit, et si profond.
Merci beaucoup pour cette agréable moment.

Seppun Kurohito

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Message par Irazetsu » 15 avr. 2004, 09:57

Superbe texte pénombre...

Mirumoto Hijiko a écrit :Ca fait un peu comme dans Atmosfear
lol, bon souvenir ce jeu, bien stressant (à cause du temps, pas à cause du "Maître des Clefs" :akuro: ).
pour info, Atmosfear ça se jouait en 1H, parce que quand la cassette était fini, si aucun des joueurs n'avait réussi à gagner, tout le monde perdait !
Buy less, play more !

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Message par Iuchi Mushu » 15 avr. 2004, 10:07

Très très beau texte, empreint de tout ce qu'il faut pour que chaque phrase vibre à la lecture et emporte son lecteur de l'espoir à l'inéluctable.

:jap:
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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Togashi Yokami
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Message par Togashi Yokami » 15 avr. 2004, 10:07

Bravo !!! C'est beau c'est beau ....je t'ai dit que c'était beau ?
Yokami, Petit Dragon qui deviendra Grand ... un jour !

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Message par Isawa Yoshimitsu » 15 avr. 2004, 10:33

tres beau texte
:jap:

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Shosuro Akae
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Message par Shosuro Akae » 15 avr. 2004, 13:08

C'est un très beau texte, vraiment très beau, tension et suspense, le némesis est super bien amené, le contexte très bien retranscrit. Bref, j'aime beaucoup. :clap: :jap:
"Et les p?tales de fleurs de cerisiers tombent d?j?..."
Mon site : http://shosuroakae.wixsite.com/sanfilippo
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