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par matsu aiko » 27 juin 2010, 16:50
Le lendemain de l'incident des grenouilles.
Les appartements de l’impératrice étaient vastes, clairs, et d’un luxe feutré, de ce luxe discret qui transparaissait dans la qualité des matières, l’harmonie parfaite des teintes et des textures ; la soie des tentures était d’un tombé lisse comme une chute d’eau, le bois des meubles et des cloisons d’un poli parfait, les arrangements floraux superbes ; l’ivoire et l’or impérial y étaient présents, non comme une surenchère mais comme une partie intégrante de cet univers sophistiqué. Chaque chose était à sa place, tout y était lumineux et d’un goût exquis.
La visiteuse eut l’impression d’avoir pénétré dans un autre monde ; chaque objet, chaque mot, chaque geste se devait de participer à cette harmonie délicate et raffinée.
Le thé qui venait d’être servi à la dame du clos des glycines ne faisait pas exception à la règle. La tasse qu’elle tenait en main, tremblant de la renverser ou de la briser par inadvertance, était d’une porcelaine si fine qu’elle en était transparente. Les fleurs de chrysanthème qui l’ornaient étaient dessinées avec une minutie telle qu’il aurait fallu une loupe pour en examiner les détails. Le service à thé à lui seul valait probablement plus que tout ce qu’elle possédait.
Le thé lui-même était d’une fragrance délicate et subtile, une composition florale et recherchée qui devait probablement être réservée à l’impératrice et à ses visiteurs.
- Bonjour Fuji-hime, soyez la bienvenue dans mes modestes appartements.
- Bonjour, Votre Majesté.
Fuji hime était on ne peut plus impressionnée d'entrer ainsi dans ce haut lieu, symbole de la plus grande puissance sur le royaume après celle de l'Empereur. Elle avait passé des heures à choisir sa tenue, à changer d'avis à plusieurs reprises finalement, elle avait opté pour quelque chose sans ostentation mais du meilleur goût par la qualité des matières, le dégradé des couleurs de ses différents kimono, d'un rouille rappelant les feuilles de la saison tourbillonnant sous les premiers vents à un ivoire damassé garni de feuille de ginko d'un beau jaune doré toutefois bien modeste en regard de l’or impérial.
- Je vous remercie pour votre invitation, Votre Majesté.
Elle avait beau avoir tourné cent mille fois dans sa tête l'entrevue qui allait se dérouler, elle ne savait toujours pas ce que l'Impératrice avait en tête.
- C'est moi qui vous remercie d'avoir accepté mon invitation. Le thé est-il à votre goût ?
- Il est délicieux, Votre Majesté.
Etant donné sa qualité, il aurait été difficile qu'il en soit autrement. La jeune femme posa avec une extrême délicatesse sa tasse puis posa ses mains sur ses genoux, ne sachant pas très bien quoi en faire d'autre vu sa nervosité.
Voyant l'anxiété de son interlocutrice, avec délicatesse l'impératrice parla des différentes qualités de thé disponibles au Palais, du temps qui avait été favorable pour le séchage des feuilles, de choses sans importance, uniquement destinées à la mettre à l'aise.
Puis elle entama le sujet qui lui tenait à coeur.
- Ma chère enfant, je suis complètement navrée et choquée de la mésaventure qui vous est arrivée. C’est totalement inacceptable, et j’entends bien faire en sorte que cet incident ne se reproduise pas.
- Je suis confuse que cet incident ait perturbé l'ordre du Grand Intérieur, dit timidement la jeune femme.
- Vous n'y êtes pour rien, ma chère, vous avez été la victime dans cette histoire. Et qui sait quelle intention maligne animait le coupable ?
- Des grenouilles, ce n'est pas bien méchant, rétorqua naïvement la jeune femme. Vraiment, je suis confuse que votre précieux temps ait été requis pour cette mauvaise plaisanterie. Votre Majesté a tant de choses à faire.
- Si l'incident est anodin, ce n'est pas le cas du symbole, dit sévèrement l'impératrice. En plus, votre bien-être me tient à coeur, comme je vous l'ai déjà dit, et je pense qu'il est important que cela soit manifeste aux yeux de tous, ce qui vous évitera d'autres déconvenues similaires.
Mais je ne souhaite pas vous ennuyer plus avant de ces considérations. Profitons donc de cette opportunité pour faire plus ample connaissance. Parlez-moi un peu de vous.
Timidement, la jeune femme lui parla d'elle. Une vie sans souci en somme, éduquée dans un cocon familial d'excellente famille et en tous points modèle. Elle avait peu de choses à dire sur sa petite vie modèle. Fille cadette d'une famille de huit enfants, elle avait été élevée pour faire une bonne petite épouse sans autre possibilité d'ambition, de désir personnel ou autre et en fille obéissante, elle s'était toujours conformée à la volonté de ses parents y compris quand on avait requis sa présence au palais sur la demande de l'Empereur. Mais elle ne fit pas part à l'impératrice de cette angoisse depuis le jour où la volonté du Fils des Cieux avait modelé son destin. Jamais elle n'aurait pensé qu'un homme aussi puissant puisse poser les yeux sur une fille comme elle.
- Voilà Votre Majesté, une vie comme celle de tant d'autres jeunes femmes à la Cour. Je n'ai rien d'extraordinaire.
Cette modestie, cette naïveté, cette fraîcheur, tout cela avait sans nul doute contribué à cet envol des sentiments de l'Empereur au point que maintenant chaque jour il souhaitait sa présence à ces côtés.
Elle semblait être dépourvue d'ambition, de cet esprit retors qui anime les courtisanes lorsque la présence d'autres femmes menace leur position. Jeune, fraîche, naïve et belle à en faire tomber les fleurs de cerisiers avant la saison.
- Ne vous sous-estimez pas, dit l'impératrice avec douceur. Ainsi, c'est mon époux qui vous a convoqué à la cour, sans que vous sachiez pourquoi ?
- Il a fait la requête auprès de mon père et je n'ai su que j'allais désormais vivre ici que le jour où j'ai rencontré Sa Majesté l'Empereur.
Sans doute l'Impératrice savait-elle déjà tout cela, mais Fuji hime ne pouvait que répondre aux questions que lui posait l'impératrice.
Celle-ci soupira.
- C’était il y a longtemps…mais il y a une histoire qu’il faut que je vous conte. Vous en avez peut-être entendu des bribes, sans nul doute amplifiées et déformées par la rumeur.
C’était il y après de vingt ans.
La dame du clos des paulownias est venue à la cour. Elle était jeune, belle, fraîche, et sa beauté a attiré l’œil de l’Empereur, qui en a fait sa concubine. Elle était son soleil, sa raison de vivre. Elle est morte brutalement, en pleine floraison. L’Empereur ne s’en est jamais remis.
Vous êtes son portrait craché.
J’ai fait tout ce que je pouvais pour ramener un peu de paix dans le cœur de mon époux, mais mes efforts furent vains. Depuis, il n’a jamais été le même.
Or rien ne m’est plus cher que le bonheur et la sérénité de mon époux.
L’impératrice inspira. Il lui en coûtait de prononcer ces mots.
- Vous avez la jeunesse et la beauté que je n’ai plus, vous pouvez ranimer en lui la flamme, la joie de vivre qu’il a oubliée.
Fuji-hime, je vous en conjure, prenez soin de mon époux.
Je n’ignore pas que c’est une lourde responsabilité. Je l’ai portée, il fut un temps. Mais le bonheur d’un souverain est celui de son peuple. Si l’Empereur rayonne, l’Empire rayonne aussi.
Ne croyez pas que ce soit pour moi démarche facile. Il est dur pour une femme d’admettre qu’elle ne peut faire le bonheur de son conjoint, mais je dois me rendre à l’évidence.
Des larmes perlaient au coin de ses paupières alors que cette femme orgueilleuse et puissante délivrait sa supplique.
- Fuji-hime, jurez-moi que vous ferez tout ce que vous pouvez pour rendre l’Empereur heureux…
La jeune femme rougit lorsque Hantei Kokiden aborda ce sujet aussi intime et lui fit cette confession. Quelle attitude devait-elle adopter ? Montrer ses sentiments pour l'Empereur ? Mais tout ce qu'elle avait entendu à propos de l'Impératrice .... Cette femme si sévère, si impitoyable qu'on lui avait décrite. Pourquoi lui confiait-elle des choses aussi intimes ?
Fuji hime était dans la plus grande confusion aussi ne fut-elle capable que de murmurer
- Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour répondre aux attentes du Fils des Cieux
C'était bien loin de ce que ressentait son coeur pour l'Empereur mais en dire plus c'était dangereux. Quand elle avait évoqué la Dame du clos au paulownia, Fuji hime avait senti un frisson lui parcourir l'échine. Un tel mystère entourait la mort de la mère du prince cadet, de telles rumeurs que la jeune femme était consciente que lui ressembler n'était nullement un cadeau du ciel sauf aux yeux de l'Empereur
On murmurait déjà que le souverain ne l'aimait pas elle mais qu'il revivait à travers elle sa passion pour la dame morte il y avait deux décennies.
Même si elle savait que l'Empereur éprouvait de réels sentiments à son égards, elle ne pouvait se départir de cette impression en regardant son reflet dans le miroir que sa ressemblance avec la Dame du clos au paulownia y était pour quelque chose. Cette question la hantait tellement depuis son arrivée au palais que oui, elle avait cherché à en apprendre plus sur cette histoire, sur la mort de la dame mais malgré ses précautions, son tact, ses questions suscitaient toujours des toussotements, un embarras ou des rumeurs. Alors pour peut-être enfin en voir plus clair dans cet écheveau de "on-dits", mensonges, rumeurs ou supposition, elle osa la question auprès de l'impératrice.
- De quoi est-elle morte ?
- Personne ne le sait au juste, dit l'impératrice sombrement. Une consomption foudroyante, ont dit les médecins. Elle était de nature délicate.
Ces mots firent froid dans le dos de Fuji hime, elle avait entendu évoquer la jalousie de l'impératrice face à la dame du clos au paulownia qui avait ravi les faveurs impériales, qui lui avait donné un second fils. Que devait-elle penser de ce que lui avait dit l'impératrice ?
Cette femme pouvait très bien lui jouer la comédie, elle était consciente que sa jeunesse, sa naïveté la rendaient incapable de discerner si l'impératrice se jouait d'elle.
Et il était inconcevable de tenter de savoir la vérité sur un sujet aussi délicat et intime.
- Vous vous défiez de moi, n'est-ce pas ? dit l'impératrice avec douceur. Pourtant mon seul souci est le bonheur de mon époux. Pourquoi sinon vous parlerai-je de ces histoires ? Vous m'avez dit vouloir répondre à ses attentes. Pourtant prenez garde à ce qu'il ne s'attache qu'aux apparences, qu'à travers vous il n'aime qu'un fantôme . Il faut que vous lui donniez plus que vos faveurs, Fuji-hime, sinon, il sera inévitablement déçu. Vous devez vous donner à lui corps et âme.
Fuji-hime, jurez-moi que vous ferez tout ce que vous pouvez pour rendre l’Empereur heureux…
La jeune femme rougit violement sous les propos de l'Impératrice et l'évocation de n'être aimée que comme un fantôme lui fit l'effet d'un coup de poignard en plein cœur, mais se livrer, livrer ses sentiments, elle ne pouvait le faire auprès de l'épouse de l'homme dont elle était la maîtresse. Elle ne pouvait avouer que dans la chambre impériale, ses ébats avec l'Empereur étaient bien au-delà du simple plaisir des sens, elle ne pouvait décemment avoir qu'elle était tombée éperduement tombée amoureuse de l'homme le plus puissant du Royaume à celle qui était son épouse, la mère de son fils aîné. Faire preuve d'une telle impudeur aurait été du plus mauvais goût.
- Je ne me défie pas de vous Votre Majesté, comment pourrais-je ne serait-ce qu'oser y penser ? Mais j'avoue que je suis très mal à l'aise d'évoquer avec vous, votre époux.
- Pardonnez-moi, ma chère enfant, je vois bien que je vous embarrasse, et c’est probablement délicat, à ce stade prématuré. Mais nous sommes maintenant alliées dans cette mission commune et sacrée. Procédons ainsi, si vous le voulez bien. Je vous propose de venir prendre le thé chaque semaine ici. Ainsi vous pourrez me tenir au courant, et je pourrais vous donner quelques conseils qui pourront, je l’espère, vous être utiles, et vous faire bénéficier de mon expérience.
Qu’en dites-vous, ma chère enfant ?
- Je suis fort honorée que vous consentiez à m'accorder de votre précieux temps, Votre Majesté, mais si vous me pardonnez ma question, de quoi Votre Majesté veut-elle que je la tienne précisément au courant.
La pression était telle sur les épaules de la jeune femme, qu'à ce stade de la conversation, il n'était nullement clair à son esprit qu'elle allait devoir évoquer chaque semaine avec l'impératrice sa situation avec l'empereur.
- Allons, ma chère enfant, réfléchissez-y à tête reposée, et je suis sûre que les choses s'éclaireront d'elles-mêmes, dit l'impératrice d'un ton affectueux. Maintenant que nous avons fait connaissance, nous sommes faites pour nous entendre...
Fuji hime osa poser ses yeux sur la femme la plus puissante de l'Empire pour tenter de cerner mieux les émotions qui l'animaient.
- Ne voyez pas en moi l'impératrice, considérez-moi plutôt comme une soeur aînée.
Elle lui sourit avec affection.
Fuji hime lui rendit un sourire timide. Elle était toujours aussi troublée et ne savait que penser de cette soudaine attention bienveillante de l'Impératrice. Pourquoi prenait-elle son parti alors que toutes les dames la jalousaient ? Le faisait-elle sur la demande de l'Empereur ?
Ou de sa propre initiative ?
La jeune princesse était incapable de répondre clairement à ces questions
Kokiden sourit aimablement. La petite princesse ne savait plus où se mettre. Et encore, elle avait évité de lui donner des "conseils fleuris"...sinon, elle se serait probablement enfuie sur le champ.
Il ne fallait rien hâter. Une chose après l'autre...
- Eh bien, c'est entendu. Je vous attends donc la semaine prochaine, à cette même heure.
- Oui, Votre Majesté.
La jeune femme s'inclina profondément dans les règles puis se retira en ayant salué autant de fois que l'exigeait le protocole. Mais en sortant, le poids qu'elle avait ressenti en venant ne s'envola pas. Sa préoccupation était grande. Devait -elle parler à Sa Majesté de la visite dans les appartements de son épouse ?
Elle décida de ne pas ennuyer le Fils des Cieux avec cela. Après tout, l'impératrice ne lui avait pas demander de livrer tous les petits secrets de leur alcôve intime, elle s'était soucié du bien être de son époux, s'était montrée aimable et protectrice. Il n'y avait là rien d'inquiétant ou de significatif.
Elle décida d'attendre ce que donneraient leurs prochains entretiens.