[Background] Hananatsu

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Iuchi Mushu
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[Background] Hananatsu

Message par Iuchi Mushu » 30 déc. 2004, 18:30

Voilà, je vais clôturer les aventures de mon duelliste pour un temps ( j'ai encore d'ailleurs des pages à écrire pour fermer le premier volet et revenir pour un temps à un un perso féminin que je jouerai dans la prochaine campagne d'Eiji-kun, nous allons évoluer dans les années 1160 en mixant un Rokugan pour le background historique et temporel et un Sengoku pour le reste.

Nous avons donc créé 4 persos appartenant à une faction et éduqués chacun avec une spécialité à des missions très spéciales. En ce qui concerne mon perso, ce sera une courtisane aux talents bien particuliers, nous aurons un marionnetiste spécialisé en explosifs, un médecin accuponcteur et connaissant admirablement les poisons, très très jeune de plus et un spécialiste en infiltration.

Hananatsu mon perso sera spécialisée en danse de cour, théatre, poésie, calligraphie pour ce qui est des compétences honorables, pour le reste :scotch:

Voici la première partie avec son recrutement.


Il pleuvait à verse et c’est à peine si je pouvais distinguer le contour des maisons où ma mère m’avait envoyé chercher du secours. C’était la saison des prunes et l’air était chaud et suffoquant malgré les pluies torrentielles qui l’accompagne.
Je n’avais sans doute que quelques minutes d’avance sur mes futurs poursuivants. Enfin à l’entrée du village, je me retournais pour voir si dans mon sillage, j’étais suivie. Je ne pus distinguer grand chose dans le rideau de pluie dense et à la tombée du soir.
J’aurais voulu reprendre ma course mais dans mon élan, je me heurtais à une silhouette que je n’avais pas vue devant moi. Poussant un cri de surprise, j’en perdis l ‘équilibre me croyant devant l’un des assaillants de mes parents. Un plus malin qui aurait fait le tour.
La main de l’inconnu sortit du manteau de pluie et me saisit le poignet dans ma chute. D’un geste ferme il me retint et me remit sur mes pieds. Lorsque je levais les yeux , sous le chapeau de paille je découvris son visage fin et doux. Il baissa les yeux sur moi et la force de son regard me sidéra.
Je restais comme cela un temps incalculable, comme un poisson manquant d’air avant de balbutier :
- Je m’excuse…

Mais l ‘homme n’eut pas le temps de me répondre, qu’une voix derrière nous l’invectiva :
- Et toi, laisses cette gamine, elle est à nous !

Je sursautais et ce mouvement n’échappa pas à l’inconnu. Sa voix claqua à travers la pluie comme un coup de tonnerre tranquille, presque comme un défi.
- Que lui voulez-vous ?
- C’est une criminelle et elle est à nous !

Les larmes me montèrent aux yeux devant le sort qui m’attendait cependant je trouvais la force de protester :
- Ce n’est pas vrai, ils sont venus pour nous voler. Ma mère m’a envoyé chercher du secours.

L’inconnu baissa à nouveau son visage sur le mien et me prenant par le bras me fit doucement faire un quart de tour, me plaçant derrière lui à l’abri.
Un des hommes essaya encore de le convaincre :
- Eh l’ami, on va pas se battre pour une petite voleuse, hein ? On a rien à gagner à cela !

Mais son camarade beaucoup plus impétueux avait déjà la main sur la poignée de son sabre. A l’abri un tant soit peu, je pouvais sentir la force de cet homme se dégager et ma sensation s’accompagna du bruit de l’acier que l’on tire du fourreau. Un frisson me parcourut l’échine, la peur et le fait d’être trempée sûrement.
Aucun villageois ne nous avait encore entendu et j’étais partagée entre l’idée d’aller tambouriner aux portes et celle de rester figée là attendant de voir si mon sauveur inconnu aurait le dessus. Je ne pouvais pas m’imaginer qu’il en serait autrement tellement mon cœur espérait.
Les trois hommes s’observèrent pendant de longues minutes puis l’assaut fut donné et en quelques secondes, le corps des deux agresseurs gisait la face dans la boue. L’homme secoua la lame de son sabre, le remis au fourreau et se tourna vers moi.
- Où se trouve ta maison ?

Un instant interdite par la mort et les cadavres à ses pieds contrastant si fort avec le calme de sa voix, je passais devant lui pour lui montrer le chemin.
J’avais tellement espéré ! Mais quand j’arrivais, la maison était en flamme, le feu luttant avec l’eau du ciel pour conserver ce qui avait été mon passé. L’inconnu m’arrêta et me dit d’attendre et de crier si j’étais en danger puis il s’avança calmement. Mon cœur battait la chamade. Devant un tel désastre, qui pouvait être vivant ? Je le vis se pencher à plusieurs reprises puis se relever, il fit le tour de la bâtisse rapidement puis revint vers moi. Il était inutile qu’il parle, je savais que plus personne n’était en vie, mes larmes s’ajoutèrent à celles du ciel et je voulus aller voir ce que je m’imaginais être le corps de mon père ou celui de ma mère mais il me retint.
- Cela ne sert à rien, le jeune garçon est mort aussi.

Je compris alors que mon petit frère n’avait pas su s’échapper quand ma mère nous avait fait glisser dehors, lui pour fuir et se cacher et moi pour chercher du secours.
L’homme me prit par la main et nous sommes retournés au village.

Que dire d’autre sinon que nous avons attendu trois jours et trois nuits que la pluie cesse avant de pouvoir quitter le village. Malgré les protestations des villageois et leur proposition d’aide, j’avais décidé de suivre l’homme qui m’avait sauvé la vie. Trois jours à ses côtés m’avait rapproché de lui comme s’il était de ma famille. Je sentais chez lui bonté, douceur et compassion. Nous avons partagé pendant trois jours le silence et ce que je crus pendant longtemps comme le partage de ma douleur et qui s’averra beaucoup plus tard tout autre chose. Je ne voyais plus d’autre avenir que d’être à ses côtés, consciente malgré mon jeune âge que nous n’étions pas du même monde, lui samouraï, moi heimin. Peu m’importait les sacrifices et ce qui m’attendait, j’avais décidé de lier ma vie à cet homme sans autre explication que mon instinct d’enfant et celui de faire le bon choix.
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Message par Iuchi Mushu » 23 janv. 2005, 22:57

Dix ans plus tard

La répétition venait à peine de commencer sous l’œil critique d’Ayame quand Shigeru sama entra. J’avais l’impression que mon cœur allait s’arrêter de battre. Nous nous inclinâmes tous front contre le sol, conscients de l’honneur qu’il nous faisait d’honorer de sa présence nos simples répétitions. Il s’asseya avec une grande élégance et fit signe à Ayame de poursuivre. Comme je l’enviais pour ce geste et d’être aussi proche de lui alors que moi j’étais au centre de la salle.
Les musiciens reprirent leur place et je m’apprêtais à entamer la première danse qu’Ayame et moi avions sélectionnée pour faire partie de mon répertoire et intitulée « Miryoo ». Certains mouvements de cette danse destinée à la Cour pouvait paraître plus osés et populaires qu’il n’aurait été seyant mais par le kimono que je portais et les aspects « vulgaires » que nous avions gommés, cette danse destinée à captiver l’attention du spectateur et à le charmer n’avait plus rien de la base populaire que nous avions exploitée.
J’avais beaucoup de mal à me faire à l’idée que j’allais adresser cette danse à mon seigneur alors qu’elle avait été conçue pour séduire et m’approcher de ses détracteurs ou de ses ennemis. Mais lorsque la première note retentit, je ne me posais plus de questions et mes mouvements furent guidés par la musique et la fluidité de la soie que je caressais au bord de mes longues manches où le gris était tranché par l’ocre et l’orange vif de l’automne.
Nous avions longtemps cherché avec Ayame comment exprimer le plus de grâce possible au travers cette musique, comment ne pas saccader les mouvements dans les transitions du rythme et c’est un oiseau qui finalement au hasard de mes rêveries dans le jardin me donna la réponse et l’harmonie des couleurs que je porte.
Papillonnant de fleur en fleur, explorant tout dans le jardin comme suspendu dans l’air avec une transition parfaite lorsque son centre d’intérêt variait, il me donna la clef des mouvements de mes manches, la manière de faire virevoleter les longues bandes de soie surcousues et d’évoluer dans mes transitions sans cassure en imitant le mouvement de ses ailes.
Je me demandais ce que pensait Shigeru sama assis sur l’estrade lorsque nos yeux se croisaient fugitivement ou plus longuement derrière la soie transparente. Ces regards à peine empreints par le fait de clore à demi mes paupières mais laissant suggérer l’intensité du regard. Se laissait-il aller au jeu pour mesurer l’impact de mes danses ? Car c’est ce qu ‘il était venu faire je pense, voire l’impact que je porterais et juger de la pertinence de me confier des missions d’un niveau plus important.
Je continuais cependant à danser et les questions finirent par s’envoler comme des oiseaux imaginaires ne laissant plus la place qu’à la musique et à la danse.

Soshi Shigeru regarda le kimono de soie gris perle prendre vie au contact de la musique, son œil esthétique se laissa porter dès les premières notes dans le joli « ballet » proposé à ses yeux. Comme elle avait grandi ! Il l’avait suivi avec intérêt sans jamais lui montrer mais là sur ces deux trois dernières années, elle avait magnifiquement évolué, Ayame ne s’était pas trompée. Elle avait la grâce d’un oiseau, la douceur d’un pétale de fleur, le parfum enivrant de la jeunesse et la fluidité d’un serpent.
Il la regarda évoluer admirant la somme des efforts qu’elle avait accomplis en travaillant ainsi un répertoire propre et différent qui ne manquerait pas d'attiser l’intérêt qu’on lui porterait à son point culminant, ce qui était l’effet recherché. Fini d’utiliser sa douceur, sa gentillesse et son joli minois de petite fille pour tirer des renseignements des cuisines, des coulisses des demeures où le clan la chargeait de s’introduire. Oui c’était fini sous peine de gâcher la magnifique pierre précieuse qu’elle était devenue. A travers ses ailes en soie transparente, il revit le jour où il l’avait sauvée, ce regard qu’elle lui avait adressé. Il n’était pas rempli de peur mais de rage et de colère, celles de ne pouvoir faire face à ses ennemis. Un reflet de jade les illuminait parfois sous la lumière et se mêlait au gris anthracite de ses pupilles. C’était rare, très rare. Les premiers jours il avait cru s’être trompé lorsqu’on l’avait baignée et que les yeux rougis et silencieuse, elle l’avait suivit. Il avait eu l'impression de s'être une fois encore allé à l'expression de son humanité mais le choc passé, elle était devenue telle qu'il l'avait imaginée sous la pluie ce jour-là, justifiant par là même son intervention. L’anéantissement de toute sa famille s’était vite transformé en une force de survie et d’évolution qu’il regrettait parfois de ne pas voir dans les gens de sa propre caste. Etait-ce un fait propre aux gens du peuple de puiser leurs forces dans leurs épreuves et dans la dureté de leur vie sans cesse changeante au gré de la politique, des seigneurs, de la guerre ? Sans elle, peut-être ne serait-il pas revenu, incapable d’étancher son propre chagrin. Il la regardait évoluer lentement, langoureusement bien que cet effet soit estompé par ses mouvements classiques mais l’effet était là : devant l’expression d’un oiseau virevolant, au milieu des mouvements ondulants de ses manches, à travers les gestes mesurés et doux qu’il convient d’exprimer dans les danses classiques, à travers tout cela il voyait l’explosion de sa sensualité, mise à nue comme offerte au regard que lui porterait les hommes, inoffensif ou un tant soit peu provocateur pour les femmes qui assisteraient à cette danse. Il se délecta jusqu ‘au bout de ce qu’elle lui offrait se laissant séduire pour mesurer l’effet sur les ennemis du clan qu’elle serait chargée d’approcher. Et quand l’oiseau quitta l’œil du spectateur, le désir de le revoir était né.
Ayame s’approcha de lui et lui donna l’intitulé de la seconde danse « Kaze to take », il aquièça et reporta son regard sur Hananatsu prosternée au sol dans une corolle de soie mélangée. Ayame donna le signal et les musiciens entamèrent le second morceau. Le kimono gris et les soies ôcres et orangées restèrent au sol comme le souvenir de l'oiseau et vêtue d’un kimono vert-gris sur lequel était peint une forêt de bambou, elle vit le jour. Même les rubans avaient quitté ses cheveux de jais, ils suivaient maintenant le balancement de son corps au vent . Les longues tiges de bambou naissaient sur un tapis de feuilles au bas de son kimono et montaient à l’assaut de sa taille pour se ramifier en feuilles enlaçant ses manches terminées par la même soie longues et diaphane d’un vert plus léger. Sa taille fine n’était pas soulignée par un obi mais le kimono était fermé par des dizaines de petites nœuds tout au longs de son bord donnant un effet tout à fait nouveau mais convenant au mouvement de son corps représentant un bambou bercé par le vent, se pliant à sa force, ondulant à ses caresses, se délectant de sa fraîcheur. L’effet était tout à fait impressionnant, la coupe du kimono tout à fait fermé jusqu’au cou, l’absence de obi et la cascade des nœuds donnait l’envie de les dénouer un par un pour savoir si les soieries s’estomperaient pour découvrir enfin sa peau.
Il était partagé avec amusement entre deux sentiments, celui de lui échapper et celui de se laisser entraîner à son jeu conscient qu’il était venu admirer ses talents et rendre hommage à son travail acharné. De dix ans à son service, il devait décider ce qu’il ferait d’elle à l’avenir quand elle attendait qu’on lui donna la chance de faire autre chose sans en avoir l’exigence exprimée sinon dans l’expression parfois conquérante que prenait ce magnifique regard. La seconde danse se termina et il le regretta. Il fit un signe à Ayame, lui glissa quelque mots à l’oreille. Ayame fit un signe aux musiciens et Hananatsu comprit qu’elle exécuterait une seconde fois sa danse.

Une fois terminé, le seigneur Shigeru quitta la pièce. La satisfaction et le plaisir s’était lu sur son visage, légers mais présents ce qui laissa tout le monde en émoi et en joie lorsque le serviteur referma le shoji derrière lui. Mais au milieu de la salle, un bambou se balançait encore au vent de ses rêveries, sentant ses attentes prendre de concrètes racines. Tout ce temps, il avait fallu tout ce temps mais enfin il l’avait regardée, éprouvée et elle le croyait appréciée, elle en avait la certitude pour l’avoir épié pendant des heures lorsqu’elle était enfant. Elle savait dire lorsqu’il était triste ou simplement morose, en proie à des désirs morbides ou des appétits sexuels inassouvis, quand la colère faisait fureur en lui, s’interdisant cependant tout débordement mal seyant. Elle connaissait sa fatigue, sa lassitude même si des éléments lui manquaient pour comprendre certains de ses états, dans cette maison, elle était peut-être la seule à vraiment le connaître, peut-être même mieux qu’Ayame.

à suivre...
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Message par Iuchi Mushu » 29 janv. 2005, 09:57

Seuls les faibles mettent des années à s'affranchir d'une émotion. Celui qui est maître de soi peut étouffer un chagrin aussi aisément qu'inventer un plaisir

Kijuro ouvrit le shoji, le bruit de la cascade s’amplifia dans la froideur de la nuit. A n’en pas douter il allait neiger. Ses yeux traînèrent vers les appartements d’Hananatsu, il avait pensé à elle toute la journée. Verrait-il sa silhouette ? Il avait pris beaucoup de plaisir à l’initier aux subtils jeux de l’amour. Pourtant son désir allait au delà de son devoir. Rien que de penser à sa silhouette, sa peau légèrement dorée , son ventre plat, ses seins, ses sens s’emballaient. Une autre leçon ? Ce soir ? Pourquoi pas ! Il referma le shoji gardant sa propre chambre à l’abri de la tourmente à défaut de savoir en garder son corps.

Elle était agenouillée, un set d’écriture devant elle. De jolis caractères étaient tracés avec élégance. Etait-elle douée pour tout ? Elle posa son pinceau et s’inclina à son entrée front contre le sol. Il était avec Ayame et Shigeru dôno un des seuls à pouvoir venir à toute heure du jour ou de la nuit. Lorsqu’elle se releva, elle sut qu’il n’était pas là pour lui dire qu’elle partait ce soir en mission mais pour son propre plaisir .
Ses relations avec Kijuro étaient des rapports de forces silencieux et rebelles. Elle le détestait pour sa suffisance, pour ce perpétuel élan de supériorité écrasante qu’il ne cessait d’afficher. Ses leçons de corps à corps avaient depuis quelques mois pris un caractère beaucoup plus intime. Révoltée d’abord que le choix du clan se soit porté sur lui, elle n’avait pu cependant qu’obéir et se plier à tous ses exigences. Il était aussi doué pour les atémi que pour la lecture du corps des femmes. Elle avait été impressionnée par son savoir et les incroyables choses qu’il lui avait fait découvrir sur son propre corps mais depuis une semaine, il ne lui donnait plus de leçons, il assouvissait ses propres désirs. Elle n’était pas sa chose, elle s’y refusait.

Un serviteur entra, apportant du thé. Du thé noir et fort, elle détestait son odeur, elle lui rappelait son enfance. Se doutait-il qu’elle n’aimait pas cette odeur ? Faisait-il exprès de boire ce thé qu’elle trouvait infect. Elle s’en fichait.

- Continues

Elle reprit son pinceau et se pencha sur le parchemin pour qu’il ne lise pas la petite violence au fond de ses yeux gris. Il allait rester là à l’admirer pendant de longues minutes, comme on admire un objet de collection, une peinture. D’autres filles auraient été fières que Kijuro pose ce regard sur elle pourtant sans savoir pourquoi Hananatsu était presque certaine qu’il ne les regardait pas de la même façon. Ce regard scrutateur était parfois pour elle comme un viol, pire que la manière dont il l’avait prise certains soirs. Elle s’appliqua à ce que sa main ne tremble pas, il se servit à nouveau du thé. Au bout de longues minutes, leur regard se croisa dans le silence. Hananatsu aimait le silence autant que la danse, elle pouvait s’y blottir, s’y cacher, s’y recroqueviller des heures entières sans que ses sens exarcerbés n’en soient altérés. Kijuro devait aussi aimer le silence, s’ils avaient quelque chose en commun ce ne devait être que cela. Elle reposa ses yeux sur sa calligraphie et amplifia son désir par cette sorte d’indifférence rebelle mais si respectueuse. Elle ne l’aimait pas, il le savait mais personne ne le lui demandait. Il sentit le désir de la posséder monter en lui. Il n’avait pas été choisi par hasard, il avait tout fait pour devenir l’amant d’Hananatsu, pour être le premier à lui faire connaître un homme, pour l’initier et faire d’elle un précieux joyaux de séduction.
Sa surprise avait été grande quand il avait découvert qu’il n’était pas le premier et quand elle avait attisé son appétit par son petit regard de défi. Ce défi s’était mué au cours des mois lentement vers une sorte d’indifférence que campait de plus en plus profondément son savoir faire sur les hommes. Bientôt les leçons seraient finies. Et plus cette échéance s’annonçait proche, plus il perdait pied tant parfois il avait l’impression d’avoir affaire à un cheval indomptable alors que l’instant d’après, sous ses mains expertes elle s’offrait à lui dans une telle ferveur que son propre plaisir en était décuplé. Cette fille serait une arme redoutable, elle était capable d’anéantir n’importe quel homme qui aurait l’imprudence de croiser son regard et de s’y attacher. Cette soumission totale qu’elle pouvait avoir, cette obéissance quand il pliait son corps pour le soumettre, cette douceur que démentait sans cesse cette force rebelle au fond des yeux rendait fou. Etait-ce là le prix à payer pour l’approcher ? La folie en l’esprit et un corps plus jamais en paix ! Il lui arrivait de rire de lui même, comme s’il voulait se convaincre qu’elle n’avait rien de mystique, rien de spécial, aucune emprise sur lui.
Il se leva et se vint se placer derrière elle. Elle continua à calligraphier. Doucement il dégagea sa nuque pour y poser les lèvres. Elle s’abstînt de frissonner contrôlant les émotions que lui envoyait son corps. Il dégagea plus largement l’encolure de son kimono, et s’enhardit dans le même voie. Elle le laissa faire juste assez que pour l’irriter puis posa le pinceau mais ne se retourna pas. Elle se mettait à sa disposition. Elle commençait à connaître parfaitement son mode de fonctionnement, ce qu’il aimait, ce qu’il détestait, ce qui l’excitait. Ce soir pourtant, elle n’avait pas l’envie d’être l'élève, elle avait envie de lui montrer où était ses limites, le pousser jusqu'à lui donner la consciente mesure de son corps et de ce qu’il pouvait endurer comme retenue avant qu’elle n’accède à soulager la torture de son désir. Oui ce soir, peut-être le dernier, allait-il être différent.

Peu à peu il se fit plus entreprenant et elle le laissa faire jusqu’à ce qu’il ait l’impression de maîtriser le jeu puis elle en changea les règles. Elle se plaça derrière lui ôtant son obi, elle fit tomber son kimono et sortant de son propre obi une fine corde en soie tressée, elle lui ramena les poignets derrière le dos. D’abord un peu surpris, l ‘idée lui plût et il la laissa faire. Il ne savait pas à quel point le jeu allait être dangereux et au-dessus de ses forces. Alternant le toucher de sa peau de ses lèvres et de sa langue, il laissa le plaisir s’emparer de lui lié à son caprice mais bien vite, son corps et son esprit furent en feu la désirant au plus haut point.

- Détaches-moi.

Caressant son torse, ses lèvres remontèrent jusqu’à la naissance de son cou et dans un souffle, elle lui glissa un « non » doux et insupportable. Il tira sur ses liens. Ce n’était pas un fin ruban qui allait lui résister ! Mais la soie ne céda pas. Elle sourit alors que sa bouche et ses lèvres honorait chaque partie de son corps.

- Le concept est intéressant mais il m’est déjà connu.

Il tentait de sembler aussi blasé qu’il le pouvait mais tout en lui indiquait que l’effet recherché par Hananatsu était en train de naître amenant un désir violent et son cortège de peurs.

- Alors vous n’avez rien à craindre Kijuro sama.

Loin de stopper ses investigations, elle réduisait son calme au néant et sourit quand une fois encore il tenta de briser ses liens.
- Inutile. La soie est tressée, ce qui renforce la solidité de ses fils.
Il lui jeta un regard de colère et au lieu de la calmer, cela surenchérit dans sa détermination.
- En plus les cours de Fujimaro san sur les nœuds sont plus qu’instructifs.

Elle dépassait les bornes !

- Détaches-moi, c’est un ordre !
- Allons, c’est vous qui m’avait appris que la précipitation dans les jeux amoureux est source de frustration et de déception. Voilà que maintenant vous contredisez vos propres enseignements.

Au fond de ses yeux, il voyait brûler cette petite flamme de défi, petite violence silencieuse mais efficace puisqu’il était à sa merci. Elle passa derrière lui et ses caresses langoureuses le mirent au supplice.
Mordillant sa nuque, elle lui glissa.

- Si vous avez vraiment peur, vous pouvez toujours appeler les gardes.

Il fulminait laissant un étrange mélange alchimique s’emparer de son corps, envahir son esprit comme des flots en fureur. La colère se mêlait au désir, rejointes par cette envie rageuse de la remettre à sa place et cette sensation désagréable d’être à la merci de sa propre faiblesse. Quand elle en aurait terminé avec son petit jeu, il la laissera là emplie de désir qu’il ne satisferait pas. Mais cela c’était sans compter les talents d’Hananatsu. Après de longues minutes, l’amenant sur le chemin qu’elle avait choisi et lorsque la froideur de la lame se fit sentir entre ses poignets rompant la soie, il ne pensa qu’à une chose : la posséder, lui montrer qui donnait les leçons mais quelque part, elle l’avait vaincu, elle l’avait dompté et les élans de ses reins répondant aux ondulations de sa croupe n’étaient que l’expression de sa dépendance. Plus grande, plus forte, plus insoutenable, plus réceptive que jamais à ses caresses et autres délices qu’il lui avait appris à maîtriser. Plus il y pensait plus il enrageait. Cette dualité le poursuivit et son esprit ne s’apaisa que quand son corps épuisé, rassasié jusqu’à plus soif s’écroula sur le futon, la nuit était fort avancée. Il sombra dans un sommeil sans rêve. Sa maîtresse se rhabilla et rengaina son tanto, elle n’avait pas envie se réveiller à ses côtés au petit matin, pas envie de sentir l’odeur de son thé noir, pas envie de calquer ses pas sur les siens pour aller au dojo. Non cette nuit, elle avait gagné son indépendance. Elle l’avait vaincu.
La maison était silencieuse et l’écrin ouaté dont commençait à l’envelopper la neige avait quelque chose d’unique et de merveilleux.
Elle avait envie de s’exprimer dans la danse, dans le silence, dans la solitude, il était de toute façon trop tôt pour réveiller les servantes de la maisonnée.
Bientôt ce serait la fin de l’année, l’hiver les bloquerait là pour quelques mois. Elle sourit, les leçons de ji-jutsu allaient être mortifiantes à n’en pas douter. Peu lui importait, son instinct lui disait qu’elle avait éloigné Kijuro d’elle. Elle allait être libre, enfin d'une certaine manière, libre de dormir seule, de ne plus subir ses assauts , de rêver à tester ses talents sur d’autres hommes, ceux que son clan lui désignerait, d’explorer les fantasmes de ses futurs amants, de les conduire doucement sur le chemin de la dépendance et de l’extase. Pour la première fois, elle sentit le goût du pouvoir, un pouvoir bien mince et bien particulier mais tellement efficace. Quelque soit les hommes qu’elle croiserait, qu’ils soient guerriers, poètes, courtisans, diplomates, ils avaient leurs propres chemins, la voie de leur ancêtres, la voie de leur cœur mais aussi la voie de leur corps. Il suffisait de s’y poster adroitement. Elle était certaine de ramener ce que son clan attendait d’elle même si ce devait être une chose rare comme celles que l’on ramène d’un long voyage, initiatique, dangereux mais révélateur.
Elle s’asseya dans la salle. Il n’y avait aucun musicien mais elle n’avait pas besoin d’eux pour entendre les chants et les tambours, même sans avoir encore conçu ses vêtements, elle imaginait parfaitement chacun des pas de cette nouvelle danse. L’amour l’avait fasciné comme la mort, elle en retirait une grande force, elle les avait approchées tous deux sans leur succomber guidée par un destin dont elle ignorait encore beaucoup. Elle se mit en mouvement, ses gestes se firent précis et tel le spectre qu’elle interprétait dans sa danse, elle fut impermanente, transparente, insensible, à l’abri de tout ce qui pouvait la toucher. Il n’en serait pas toujours ainsi mais là dans l’espace du dojo, seule dans le silence d’avant le petit matin, elle savourait la maîtrise de sa vie, de son art, de son corps
Quand l’aube pointa, elle alla prendre un bain et revêtir son kimono d’entraînement, la nuit n’avait eu aucune incidence sur son visage, sa jeunesse et sa fraîcheur respiraient l’insolence d’une force nouvelle bravant et défiant tout ceux qui se mettrait sur son chemin.

Kijuro quitta le village le lendemain après-midi pour "parfaire l'enseignement d'autres filles du clan"
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Message par Iuchi Mushu » 03 févr. 2005, 21:09

" Avant que ta beauté ne se fâne, mille hommes peuvent tomber "

L’après-midi était radieux, le soleil frappait de ses rayons chaque volet de la maison, détaillant des quartiers lumineux, merveilleux et vifs dans presque toutes les pièces. Assise silencieusement, les yeux clos, Hananatsu s’entraînait à reconnaître individuellement chaque bruit du jardin cherchant à l’amplifier pour bien le reconnaître. L’ouïe s’exerçait comme les autres sens, elle pouvait s’affiner au-delà de ce que l’on pouvait croire possible. Ainsi elle pouvait entendre non seulement les oiseaux mais les reconnaître au bruit du battement de leurs ailes, à la manière qu’ils avaient de plonger leur bec dans le petit étang. Doucement les bruits du jardin s’offrirent à ses sens, le bruissement des feuilles caressées par le vent, le bruit de la cascade, son eau bouillonnante qui soudain s’apaise sur les rochers couverts de mousse pour ne plus être qu’un murmure, un doux glissement avant de reprendre sa course brève. Puis s’y mélèrent les odeurs, celle des cerisiers en fleurs charriant leur divine et prenante odeur, celle des aiguilles de pin sous le soleil ardent. Perdue ainsi depuis de longues minutes dans ce monde aveugle et tellement riche, Hananatsu laissa dériver ses souvenirs . Ils l’emmenèrent jusqu’à un après-midi similaire, l’année d’avant dans une résidence sur les terres du clan de (…..à préciser). Une chaude après-midi, de celles qui laissent la moiteur s’estomper au souffle léger du soir au soulagement des habitants de la maisonnée. Les yeux clos elle revit Seiichi, crût sentir l’odeur de sa peau, entendre son souffle et ses soupirs. Il ne s’était pas marié, elle avait réussi sa mission. Mais il était allé bien au-delà. Exaltant sa disparition, la rendant comme une déchirure insoutenable. Il l’avait fait chercher mais bien sûr il ne l’avait pas trouvée et une année plus tard il n’était plus. Ses cils furent humectés par des larmes naissantes, elle n’avait pas voulu sa mort, ce n’était pas son but. Mais comment aurait-elle pu comprendre que ces grands yeux noirs se voileraient de ne plus la caresser du regard ?
Elle se rappela comme elle avait été émue par son innocence, comme elle avait goûté à sa peau l’amenant pour la première fois sur les chemins du plaisir. Le bruissement de la soie, elle s’en souvenait comme si c’était hier ! Son bruit lorsqu’elle tombe au sol en une cascade mélangée. Elle le revoyait comme transi de peur de ne savoir que faire. Alors, elle l’avait doucement rassuré, elle avait promené ses doigts sur sa peau comme sur celle d’un enfant mais l’enfant était homme et ses frissons s’étaient épanouis, s’ouvrant au désir comme une fleur sur laquelle glisse la rosée du matin quand elle est chassée par les premiers rayons du soleil, comme les galets perlés des rives du clan de la Mante, lisses et frais.
Il avait répondu à chaque de ses invitations, timide, hésitant puis si authentique. Une des rares fois où elle avait été heureuse de s’offrir, éblouie par leur volupté, par la ferveur de ses baisers, par l’exploration de ses mains, par sa pureté. Comme il était loin de Kijuro, si loin . Elle en était toujours émue et remplie de remords. Elle lui avait offert l’amour, lui montrant le chemin des femmes et ignorant qu’il serait accompagné de la mort. Les choses avaient bien changé dans la maison de (…nom de famille) Noboru mais pour elle, tout resterait à jamais pareil à ce tendre après-midi où elle avait amené Seiichi à la découvrir pour empêcher une alliance. Hananatsu resta ainsi longtemps assise écoutant les bruits du jardin, les comparants, sentant l’âme de Seiichi danser autour d’elle. Lui en voulait-il ? Elle avait fait son devoir, il n’y avait rien d’autre à dire. Elle n’avait pas d’autre réponse à lui apporter. Pourrait-il jamais comprendre que son avenir n’aurait pu être celui pensé par son père et que pour cela on avait mis Hananatsu sur sa route, pas innocemment ?
Ainsi les hommes peuplaient sa vie, venant et s’en allant au gré des saisons et des contrats, jeunes et moins jeunes. Parfois, elle n’évoquait que la danse et la musique parfois elle s’offrait à eux pour ouvrir les portes du succès à son clan. Presque indifféremment, elle prenait le monde comme il venait mais dans ses souvenirs, dans un petit coin de sa mémoire, il y avait des moments qu’elle chérissait comme les étendues de son enfance, riches et verdoyantes dans lesquelles elle courait, la rencontre avec Shigeru dôno, les après-midi avec Seiichi. La joie se mêlait à la tristesse, la tristesse aux regrets et les regrets à l'amertume, lui laissant en bouche le goût d’un kaki pas assez mûr.
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Message par Iuchi Mushu » 13 mai 2005, 12:12

A l'envers des nuages, il y a toujours un ciel.

Hananatsu regarda le temple accroché à la montagne. Dans la douce lumière de l’après– midi finissant, les rayons d’Amaterasu rougeoyant l’inondaient , il semblait plus amical. Son regard resta un long moment sur la bâtisse. Devait-elle faire la paix avec les dieux ? Pourquoi donc ? Que lui avaient-ils apporté ? Qu’avaient-ils entendu de ses prières. Il y avait quinze ans aujourd’hui qu’elle avait suivi Soshi Sigheru, quinze ans que ses parents et son petit frère étaient morts. Chaque année ce jour était particulier pour Hananatsu même si elle n’en parlait jamais à personne.
Elle ne pouvait faire sans y penser, penser à leur fuite, à son père et sa mère obligés de tout abandonner, à ce Dieu unique qu’ils avaient tant vénéré et qui les avaient abandonné la seule nuit où ils en avaient eu besoin. Son cœur s’emplissait encore de colère quand elle pensait aux dieux de ses ancêtres, ceux dont le temple abritait les statues, ils n’étaient pas non plus venus au secours de leurs enfants, ils les avaient condamnés se sentant sans doute trahis de n’avoir pas été honorés. Condamnés eux, oui ! Mais que faisaient-ils d’elle qui était vivante et ne les honorait toujours pas ? Où était leur colère, leur châtiment ? S’ils attendaient d’Hananatsu qu’elle s’en repentisse, ils pourraient attendre l’éternité. Ils n’avaient rien fait pour sauver les êtres auxquels elle tenait le plus . Quant à celui qu’on appelait « Christ », elle avait enfreint ses lois et ses commandements un à un, elle avait menti, volé, tué par procuration, s’était vautrée dans la luxure certaines nuits avec certains seigneurs parce que c’était leur plaisir, elle avait convoité des hommes mariés, les avait ravis à leur épouse. Elle n’en éprouvait pas de remords, elle était faite comme cela, on l’avait élevée pour cela. Elle ne craignait pas sa colère, elle ne le priait plus. Pourtant elle n’avait pas oublié le signe que son père traçait dans sa main et dans celle d’autres qui comme lui s’étaient convertis mais des jours comme celui-ci, le simple souvenir de ce geste dans sa paume lui était douloureux. Comme toutes les petites filles, Hananatsu avait toujours aimé et admiré son père, l’idéalisant plus que de raison, il lui manquait terriblement. Curieusement sa mère lui manquait moins quand à son petit frère, né dans cette époque troublée, elle préférait ne pas penser à sa vie brisée. Pourtant elle ne devait pas se plaindre, elle avait été bien traitée par Shigeru sama, il avait pris soin d’elle, lui avait donné une éducation, elle n’avait jamais manqué de rien. Il l’avait sorti d’une misère certaine et cette admiration qu’elle avait eut pour son père, elle l’avait reporté sur lui. Il avait été bon avec elle et n’avait jamais abusé de ses privilèges comme d’autres. Souvent elle s’était demandé si lui aussi mentait et tuait et ce qu’en pensait les dieux du temple. Il allait à leur rencontre, elle l’avait vu, suivi même. Elle s’était glissée derrière les grands piliers de pierres et l’avait vu s’agenouiller sur le dallage du temple dans ses robes raffinées de soie. Que leur disait-il ? Leur demandait-il pardon pour leurs actes, pour ce qu’ils faisaient au nom de la loyauté au clan ? Quelle sérénité pouvait s’étendre dans son cœur dans un tel lieu, froid et sec. L’odeur de l’encens, les grands plafonds, les centaines de marches, les grandes statues au regard de granit, Hananatsu trouvait tout cela écrasant, cet endroit ne lui apportait nullement la quiétude à l’intérieur de ses murs. Peut-être que ce qui se passait en sous-sol combattait cette paix. Elle restait pourtant là de longs moments dans l’ombre de son maître, comme pour le protéger dans ces moments où il lui semblait qu’il était le plus vulnérable. Du moins dans son esprit d’enfant était-ce la sensation qu’il lui donnait.

Hananatsu reprit pied dans la réalité et les images du seigneur Shigeru agenouillé dans le temple, celles de sa maison en flamme et de son père s’estompèrent pour ne laisser la place qu’à la silhouette imposante du temple accrochée à la montagne. Parfois elle avait l’impression que les hommes ne l’avaient pas construit mais que c’était les dieux qui l’avaient posé là par une nuit douce et sans étoile comme un gardien de la montagne, dominant la vallée escarpée et leur village.

Elle souleva sa robe pour descendre les marches de la véranda, elle devait l’affronter et le vaincre. Si elle ne le faisait pas, elle ne le ferait jamais et ne trouverait pas la paix, elle laisserait son In et son Yo s’affronter et ne trouverait jamais l’harmonie dont leur parlait Matsaaki sama, elle ne trouverait pas sa place dans l’univers, sa place entre les vivants et les morts. L’après-midi était déjà bien avancée lorsqu’elle se mit à gravir les marches jusqu’à la porte d’enceinte du temple comme le faisaient parfois de lointains pèlerins qui avaient traversé l’Empire pour venir se recueillir ici.

à suivre ...
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Message par Iuchi Mushu » 09 août 2006, 15:01

La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes

Nasake sortit du temple et alors qu’elle prenait la direction habituelle de ses escapades, elle s’arrêta au son d’une flûte. Les notes qui parvinrent à son ouïe n’étaient pas habituelles, elle lui étaient non seulement inconnues mais une sorte d’étrange émotion y transparaissait, une émotion que Nasake n’avait jamais ressentie dans le jeu des moines du temple qui pratiquaient cet instrument.
Cela semblait venir du jardin zen, les pas de Nasake l’attirèrent jusque là. Elle découvrit assise sur le rebord du petit mûret, Hananatsu. Loin des tenues qu’elle lui voyait porter d’habitude, elle était vêtue d’une longue robe grise, simple aux reflets verts, elle avait les yeux clos en jouant de son instrument. De longues minutes s’écoulèrent où elle observa la jeune femme. Sa musique était triste, fort triste, elle semblait l’expression d’un immense chagrin, d’une tristesse qu’Hananatsu portait au regard de la montagne dans la quiétude et la solitude des jardins du temple. Sans doute redoutait-elle de partager quoi que ce soit avec un autre être humain et seule la montagne pouvait la comprendre. Nasake avait entendu plaisanter les filles du village ces derniers temps. S’il y avait quelques mois de cela on avait soufflé que Kijuro leur professeur de ji-jutsu était amoureux d’Hananatsu, son retour au village n’était qu’une confirmation qu’Hananatsu ne pouvait pas avoir tous les hommes qu’elle voulait, les idiots se laisseraient certes séduire mais les hommes ayant un tant soit peu de réflexion aurait vite fait de faire le tour de sa personnalité creuse et de son joli minois. Nasake avait trouvé ces propos fort cruels mais elle ne s’en était pas étonnée, les mêmes filles n’ayant pas été tendre envers elle non plus. En fait ce qu’elles ne devaient pas supporter, c’était la différence et sur ce point là elle et Hananatsu se ressemblaient. Nasake se souvenait de son arrivée au village, du privilège qu’on lui avait accordé de vivre dans la maison de Soshi Shigeru, elle avait suscité de l’envie puis de la jalousie lorsqu’on l’avait autorisée à se joindre à l’entraînement des jeunes enfants. Certains mêmes, parmi les professeur avaient pris ombrage qu’une simple servante soit admise à apprendre de tels arts, des arts transmis par leur famille depuis des générations. Pire Hananatsu s’était révélée parfaitement et naturellement douée et en grandissant, elle était devenue un pur joyaux. Pourtant, elle n’avait jamais été méchante ou condescendante de ce que Nasake avait pu observer. Elle était solitaire, un bel oiseau dans une cage. Nasake ne pouvait s’imaginer ce que c’était que de passer ses journées à danser, chanter, écrire de la poésie mais de l’écouter jouer là dans la plénitude du temple, elle trouvait cela magnifiquement beau.
Nasake écouta jusqu’aux dernières notes. La tristesse qui transparaissait dans la mélodie était comme un écho à la sienne, à sa différence et à sa propre solitude, celle d’être orpheline, aux durs moments qu’elle avait vécus ici, à ses sanglots le soir, comme recluse sur le toit du monde. Sur ce point elle se sentait proche d’Hananatsu qui était arrivée un beau matin seule avec le Seigneur, sans doute sa grand-mère était-elle morte, la laissant seule au monde. Elle n’avait jamais parlé de ses parents ni de sa famille. Nasake sentit un regard posé sur elle, la flûte s’était tue et Hananatsu avait ouvert les yeux.

Le regard de la petite Nasake se fixa sur celui d'Hananatsu. Au bout de quelques interminables secondes, elle sursauta légèrement et se mit à rougir. Elle eut un peu honte d'elle et se dit qu'elle devait avoir l'air un peu idiote. Ca ne se fait pas de regarder les gens aussi fixement... surtout avec l'air aussi hébété!
-"Euh... sumimasen, Hananatsu-chan! Je ne voulais pas te déranger. C'est juste que j'ai entendu la musique et ... euh... enfin...
Nasake s'empêtrait dans ses excuses lorsque Hananatsu l'interrompit pour mettre un terme aux bredouillements maladroits de la jeune fille.
-"Tu aimes la musique?
-Qu.. ? Oh, euh... Haï! Enfin, je veux dire... je ne sais pas jouer d'un instrument comme toi mais j'aime l'écouter. Ta musique est tellement envoûtante qu'elle séduirait même le vieil Eiji!"
Le doyen du village était en effet un ancien forgeron devenu un peu sourd. Certains disent que c'est l'âge, d'autres pensent que c'est à force d'avoir trop tapé le fer, d'autres encore disent qu'il n'est pas vraiment sourd et qu'il fait semblant... tellement de rumeurs circulent au sujet du vieil homme qu'on ne sait plus trop ce qui est vrai. En tout cas, cela fit sourire Hananatsu.
-"La musique n'envoûte pas seulement les oreilles, elle envoûte également le coeur et l'âme de ceux qui l'écoute. C'est ce qui fait sa beauté... et sa force.
Nasake fit quelques pas et s'approcha d'Hananatsu pour s'asseoir à ses côtés. Assises l'une à côté de l'autre, les deux filles faisait un étrange tableau. Autant Hananatsu, malgré ses vêtements simples, semblait se fondre dans la plénitude du jardin Zen, autant Nasake ne semblait pas à sa place avec ses vêtements peu élégants et ses cheveux mal coiffés d'où s'échappaient une petit plume blanche et quelques résidus de paille.
Puis à la surprise d'Hananatsu, Nasake croisa les jambes et se mit en position du lotus. Elle ferma les yeux et mit sa main gauche dans sa main droite .
-"Joue encore un peu... s'il te plaît..."
Hananatsu regarda la jeune fille qui avait l'air soudainement si sérieuse, puis lentement elle repris sa flûte et la porta à ses lèvres.
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Message par Iuchi Mushu » 09 août 2006, 15:03

Hananatsu suspendit son geste dans la récolte des pousses de bambou, elle leva les yeux vers leurs cimes et regarda le vent jouer avec les plus hautes branches en complicité avec le soleil. Elle aimait beaucoup cet endroit, la sérénité qui s’en dégageait, malgré ce perpétuel bruissement, il y avait quelque chose de divin, d’immuable dans cette forêt de bambou. Elle resta un bon moment comme cela puis son panier de récolte plein, elle redescendit en compagnie de Yuki jusqu’au village. Elles étaient presque arrivées quand elles virent Kinsigue au pas de course se dirigeant vers le village. Il ne stoppa pas et ne porta aucune attention à leur groupe. Il dévala la dernière petite pente quand derrière elle, la voix de Yuki se fit entendre
- Ce n’est pas Kinsigue ?
Tout en suivant le jeune homme des yeux, Hananatsu répondit distraitement
- Si.
- Il a dû voir quelque chose
Hananatsu ne releva pas l’évidence de la situation mais reprit sa marche.
- Allons voir ce qui se passe..
Sans courir comme l’avait fait Kinsigue, Hananatsu et Yuki marchèrent cependant d’un bon pas chargée de leur fardeau le long de la petite piste.
Quelques minutes plus tard à leur arrivée, elles croisèrent Soshi Shigeru sama accompagné de ses cinq ji-samuraïs et de Kinsigue descendant vers l'embarcadère.
Du village, on pouvait voir le bac traversant le lac mené avec force par Gozaemon, avec à son bord un cheval et son cavalier. De là où elle était, Hananatsu pouvait voir son étendard de soie d’un blanc immaculé flotter au vent mais par le caprice de celui-ci, la soie se pliait constamment cachant aux yeux des villageois le mon appliqué en son tiers.
Hananatsu alla poser son panier à la réserve puis d’un pas rapide rejoignit la maison de Soshi Shigeru. Okuni saurait bien quelque chose. En arrivant, elle prit soin de se dépoussiérer et d’ôter son chapeau à larges bords. Puis elle pénétra sous la galerie couverte laissant ses zori au bas des marches.
A l’intérieur de la maison c’était l’effervescence, Okuni et sa mère s’agitant en tout sens. Sur le pas de la pièce, Hananatsu regarda les deux femmes avant de les stopper net dans leur agitation.
- Que se passe-t-il ?
- Un samouraï très important arrive pour voir sire Shigeru
- Puis-je aider ?
Okuni dévisagea Hananatsu de la tête aux pieds désapprouvant par son simple examen une fois encore ces tâches paysannes. Mais le statut déjà particulier de la jeune femme attisant les jalousies, elle comprenait que parfois elle doive travailler comme toutes les autres même si à son retour Okuni non contente de l’examiner en détail se lamentait de la moindre écorchure sur sa peau de satin, lui faisait prendre un bain accompagné de mille soins. Mais aujourd’hui la situation ne lui en laissait pas le temps et elle dut se contenter d’une remarque de forme.
- Oui tu peux préparer le thé mais pas dans cet état, dépoussières-toi et surtout laves-toi les mains.
- Hai !
Sans demander son reste, Hananatsu tourna les talons et malgré l’avoir déjà fait frotta une nouvelle fois ses vêtements avant de se laver le visage et les mains pour ôter la poussière. Elle se rinça la bouche avec une louche d’eau fraîche avant de se mettre à préparer le thé.
Ce samouraï sur le bac l’intriguait, son armure était poussiéreuse à un tel point que le soleil ne lui offrait plus aucun reflet, ses rayons dardant pourtant le cavalier.
Après avoir posé l’eau à bouillir, elle jeta un regard par la fenêtre d’où elle pouvait voir l’embarcadère et une partie du lac. Le pot de terre cuite contenant les feuilles de thé dans les mains, elle surveilla l’avancée du bac jusqu’à ce qu’il atteigne l’embarcadère. Gozaemon sauta sur la berge et amarra solidement le bac permettant au cavalier déjà en selle de débarquer.
Elle vit Shigeru s’incliner très fortement à l’attention du samouraï quand les hommes qui l’accompagnaient mirent un genoux en terre. Hananatsu se mit sur la pointe des pieds mais elle put distinguer le mon sur la bannière, quant à l’armure, il ne fallait pas songer à y détailler quoique ce soit. Pourtant cet homme devait être très important pour que Shigeru sama le salua de cette façon. Le regard toujours rivé à la scène, Hananatsu vit le cavalier s’incliner. Une fois encore le vent plia la soie du sashimono comme s’il refusait d’accompagner le cavalier et la nouvelle qu’il apportait. Reprenant pied dans la réalité le regard d’Hananatsu se posa sur le plateau de thé et les bols déjà disposés dessus. Des bols de fine porcelaine richement décorés. Elle porta encore un regard à la scène puis décida de changer les bols, intuitivement elle sentit qu’ils ne seraient pas adaptés à la situation. Elle prit un plateau plus sobre et des bols non laqués mais travaillés avec grand soin par l’artisan qui les avait offerts à Shigeru sama.
Attentif au frémissement de l’eau, Hananatsu se retourna pour l’ôter de sa source de chaleur et alors qu’elle ouvrait le couvercle et que sa main saisissait les feuilles de thé, le bruit d’un galop commença à s’amplifier. Quelques secondes après l’étrange cavalier passa en trombe dans tout le village et sous le regard médusé des villageois, il passa sous le torii et s’engagea sur sa monture à gravir les marches qui menaient au temple sacré ( ? pas trop fort le terme ?). Comme pour couper net à toute protestation, la soie claqua au vent dévoilant cette fois sur son blanc immaculé le chrysanthème impérial. Maîtrisant parfaitement son cheval, il lui fit monter les larges marches.
La surprise passée, tout le monde se tourna vers l’embarcadère pour voir Soshi Shigeru, le visage grave accompagné des mêmes hommes remonter vers le village. Des murmures commencèrent à parcourir la rue.
Laissant le thé Hananatsu rejoignit le perron, Kinsigue resté en arrière parlait à chacun. De là où elle était, elle ne pouvait pas entendre ce qu’il disait mais la stupéfaction se peignait sur les visages et les pleurs qui parfois saisissaient les femmes ne laissaient aucun doute sur le fait qu’un grand malheur était arrivé.
Alors qu’elle posait son regard sur le visage de leur seigneur, elle le trouva tellement pâle.
Elle sursauta quand essoufflé et ne semblant se rendre compte de rien, Shintaro courût vers Shigeru sama. Elle l’examina avec surprise de la tête aux pieds, il était complètement trempé ! Elle se retint de sourire. Une fois encore il avait du perdre l’équilibre sur le pont inondé et s’était étalé. Pauvre Shintaro ! Si sa sœur le voyait ! Mais semblant faire abstraction de son état peu présentable et du fait qu’une de ses chaussures avait disparue, il s’inclina respectueusement devant Shigeru puis la voix encore essoufflée lui dit :
- Shigeru dono, un cavalier arrive.
Il y avait de quoi sourire mais Shigeru sama dans la situation qui était la sienne ne s’offusqua pas de l’entrée en matière du jeune homme et de sa présentation, il se contenta de hocher la tête et de lui dire.
- Oui, je sais Shintaro.

Mais le jeune garçon voyant qu’on ne comprenait rien à son message s’expliqua

- Non seigneur, pas celui qui monte au Gansekiji, un autre.

Joignant le geste à la parole, il étendit le bras en direction du lac

- Il attend sur l’autre rive du lac, il porte les couleurs du clan.

Shigeru se retourna et dans le prolongement de son regard, l’on vit le bac manœuvré par Gozaemon, retraverser le lac pour prendre livraison du second visiteur. Sur son cheval bai, piaffant, les reflets d’une armure rouge étaient parfaitement clairs.
- Qu’on aille le chercher et qu’on l’amène ici. Reprends ton poste Shintaro.
- Hai seigneur !

Shigeru dôno passa à côté d’Hananatsu, elle s’inclina n’ayant pas encore vu son seigneur depuis le matin et sentit le trouble qui était le sien, comme si l’équilibre de son énergie était rompu. Lorsqu’il eut disparu, elle descendit les marches, enfila ses zori et se dirigea vers Kinsigue.
Il la laissa venir à lui et à sa banale question
- Qu’est-il arrivé ?
Il lui annonça la terrible nouvelle :
- L’Impératrice Toturi II est morte

Hananatsu resta un instant interdite par la gravité de son annonce et comme pour donner écho à l’angoisse qui petit à petit s’emparait du village, la cloche de bronze du temple résonna et commença d’amplifier notre douleur dans toute la vallée. D’ici à Pokau, porté par le vent, la nouvelle du malheur qui venait de frapper l’Empire allait se répandre comme la consomption.
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Message par Iuchi Mushu » 09 août 2006, 15:03

Seconde partie

« Quand chute le pin,
Le vent de la montagne
S’arrête aussi »


Les minutes s’égrenaient sans que chacun n’ait plus conscience de leur valeur. Petit à petit les villageois se rassemblaient et se dirigeaient vers le temple, ils allaient aller prier pour l’âme de leur Impératrice. Hananatsu resta un instant au milieu de le rue perdue dans ses pensées.
Qu’allait devenir l’Empire de Jade quand son cœur était mort ? Il renaissait juste de ses cendres à la seule volonté de Tsudao hime et maintenant elle n’était plus.
Hantei Naseru allait régner. On le disait opportuniste et à cent lieues du charisme de son épouse. Pourtant comme il avait fait valoir ses droits et contesté l ‘appartenance unique du trône à Tsudao, il n’y avait aucun doute sur le fait que demain il serait l’Empereur, le maître incontesté de Rokugan.
Ce n’était bien sûr pas ce qu’on leur enseignait en histoire mais Hananatsu avait surpris des conversations où les différents interlocuteurs quoi que tous entièrement dévoués à la cause de l’Impératrice déploraient qu’elle se soit pliée à épouser ce membre de la famille Otomo, sortit d’on ne sait où (là c’est peut-être un peu fort comme image ^_^) et qui sur base de sa généalogie avait prétendu au trône.
Plus soucieuse de son Empire et de sa déjà trop grande fragilité que d’elle-même, Tsudao avait coupé court à tout débat et avait accepté le mariage, mettant Naseru à sa droite et satisfaisant aux lois du sang.
Maintenant il allait régner.
Hananatsu remarqua Kinsigue à ses côtés, il l’avait laissée terminer le cours de sa pensée, lui-même devait avoir des craintes similaires aux siennes.
- Ce soir je jouerais pour l’Impératrice, m’accompagneras-tu ?
Hananatsu acquiesca sans dire un mot, elle en était incapable. Kinsigue la quitta et se dirigea lui aussi vers le temple. Hananatsu reprit le chemin de la demeure.
A son arrivée, Okuni poussa un soupir de soulagement accompagné d’un « Ah !" Elle s’affairait toujours autant bien que le messager Miya n’ait finalement pas fait halte dans la demeure de Shigeru sama pour se désaltérer. Semblant deviner ses pensées, Okuni la pressa quand même.
- Le messager de la famille Miya dînera ici ce soir, il sera l’invité de Shigeru dôno. Notre maître se rend au temple avec Soshi Tomoe qui vient d’arriver, il faut préparer les huiles parfumées et les pétales de rose. Ne restes pas plantée là, occupes-toi des roses.

Plus par automatisme qu’autre chose, Hananatsu obéit et se rendit au jardin. Les pétales de fleur rassemblés, elle les posa dans la boîte (je ne sais plus comment on appèle cette boite de transport ! J’ai cherché mais je ne trouve pas ! ) au coté des huiles.
Distraitement Okuni laissa tomber s’affairant toujours en même temps :
- Il se peut que l’une de nous doive accompagner Shigeru sama au temple, je ne sais pas, il n’a pas donné d’instructions précises en ce sens mais tiens toi prête.
De dos, Okuni ne vit pas les épaules d’Hananatsu se raidir mais l ‘idée de devoir aller au temple au côté de Soshi Shigeru dans des circonstances officielles même pour porter cette simple boîte la glaça d’angoisse.
Mais fort heureusement Shigeru sama apparaissant quelques secondes plus tard annonça qu’il s’y rendrait seulement accompagné de Soshi Tomoe. Hananatsu respira.
La jeune samouraï-ko avait tombé l’armure et revêtu un kimono prêté pour la circonstance par leur maître, Shigeru s’était lui aussi changé. Elégant comme toujours, Hananatsu remarqua cependant par le contraste de la fine soie noire et rouge tressée qui lissait le bord du masque de voile lui cachant la moitié du visage comme la pâleur de son visage persistait. Il était on ne peut plus soucieux.
Il glissa dans sa manche deux missives et Hananatsu reconnût sa facture pour l’une d’elle. L’autre avait du être apportée par Tomoe sama ou le messager Miya pourtant elle ne se souvint pas avoir vu les deux hommes s’échanger quoi que ce fût.
Elle salua la jeune femme très bas puis remis à son seigneur la boîte contenant les offrandes. Elle les regarda partir.
Bien que la maison resta dans une effervescence constante toute l’après-midi, Hananatsu resta bercée par les chants du temple et le bruit continuel du gong, lancinant, accentuant le temps et la triste réalité.
Les jours de deuil se succédèrent et les circonstances de la mort de l’Impératrice virent le jour dans les conversations. Tombée lors d’une chasse à cour, elle avait fait une chute mortelle. On s’étonna qu’une aussi émérite cavalière n’ait su éviter une telle chute, on se lamenta sur le sort funeste qui semblait s’attarder une fois encore sur l’empire, certains maudirent les évènements d’autres les hommes n’ayant su protéger le joyau de leur Empire. Une telle mort pour une guerrière !
Mais dans ce cortège de conversations s’ajouta celui des préparations. Trois jours après l’arrivée du messager Miya, le village fut entièrement dépouillé de ses ninja de haut rang, comme le vent dispersé aux quatre coins. Ils partirent sans que personne ne sache rien. Hananatsu et ses comparses ne firent pas exception à cette première vague. Matsaaki sama rassembla tous les geininsau soir du troisième jour et à la lumière des lanternes dansant et projetant nos ombres comme des spectres sur les murs, les circonstances de la mort de l’Impératrice nous furent exposées de front et chacun sentit l’amertume de ceux qui les prononçaient et la gravité des faits qu’ils annonçaient (là il faudrait peut-être mieux détailler mais mes notes ne me le permettaient pas). Des équipes furent créées, une première sous les ordres d’Amina rassembla Kenko, Shintaro et Hoshi. Ce fut ensuite notre tour et en compagnie de Kinsigue et de Nasake nous furent placés sous les ordres de Shigeru sama. Matsaaki et Kabuto s’attribuèrent les geinins restant. Deux équipes sous les ordres de chaque leader, 4 groupes de ninja du temple et 2 du village se formèrent. Même si nous étions angoissés un peu par ce qui nous attendait, chacun de nous fut plutôt soulagé de voir qu’il se trouvait en compagnie de camarades qu’il appréciait.
Cela fait nous eûmes chacun les ordres de nos chefs respectifs.

Kinsigue, Nasake et Hananatsu agenouillés face à Soshi Shigeru écoutèrent attentivement l’exposé de leur mission. Victime de troubles depuis un mois environ le village de Pokau voyait chaque jour la révolte et les rixes s’accentuer. Notre mission était découvrir l’origine des troubles et de les faire cesser. Tout cela mettait non seulement en lumière le village de Pokau assez proche de nous mais le commerce avec les marchands du clan de la Licorne commençait à être tendu, ces derniers craignant pour leurs marchandises et abhorrant les conflits aussi proches d’eux. Miniers et pêcheurs en étaient venus aux mains et malgré l’intervention de la magistrature, le désaccord commençait à gronder laissant chaque jour dans chaque communauté de nouveaux blessés quand ce n’était pas morts. Il y avait deux jours 5 morts encore avait été le résultat de leurs violents affrontements Si la situation continuait à dégénérer et qu’il ne soit pas possible de l’enrayer, le regard du shogoun (c’est bien le regard du shogoun ou celui de l’empereur ?) finirait par se tourner vers nous et cela devrait absolument être évité pour le clan.
Notre contact sur place était un artisan potier du nom de Shô. Le moyen de le contacter nous fût expliqué (je ne le détaille pas volontairement ici pour pouvoir m’en servir après) et Shigeru sama nous accorda tout l’équipement donc nous aurions besoin. Une certaine liberté nous fût aussi laissée quant à l’approche que nous souhaitions donner au village de Pokau, une seule chose comptait : que les troubles cesse et qu’aucun lien ne soit fait avec Yamadera no mûra. Si nous sentirent nos cœurs gonflés par la confiance accordée, nous avions pleinement conscience que c’était aussi un test sur nos capacités.
Quand les dernières questions furent posées et satisfaites de réponses, Shigeru se retira, lasse et fatigué d’une telle journée. Tous trois, Kinsigue, Nasake et Hananatsu discutèrent fort tard des détails de leur mission, du moment de leur départ, de leur équipement. Quand tout fût arrêté définitivement, chacun rejoignit son futon, la tête remplie de questions et ils eurent difficiles à trouver le sommeil. La journée qui suivrait allait être chargée, ils allaient se préparer et avaient décidé de voyager la nuit.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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