Message
par Kakita Inigin » 07 juin 2006, 17:08
Après l'hiver, le printemps
Munefusa pensait à ses enfants.
Le soleil venait de forcer ses premiers rayons à travers les bois qui jouxtaient la colline, égratinant le mempo d'ombres de feuilles rougeoyantes. Le daimyo attendait ce moment depuis une heure, accoudé à un arbre.
Kakita Ishinoko venait d'atteindre ses trois ans. Un grosse carpe violacée avait été pendue au dessus de Shiro Sano Kakita pour son anniversaire. quand Munefusa rentrerait, peut-être qu'on aurait oublié de la décrocher ?
Autour de lui cinquante bushi de l'école Daidoji soulevèrent leur yari en le voyant s'écarter de l'arbre. Il avait un peu plu dans la nuit : des gouttes perlaient encore sur leurs haori.
Kakita Jinako était une gracieuse enfant qui gambadait dans les jardins privés du château, et qui adorait déjà les parfums. Avant son départ elle avait offert sa poupée porte-bonheur à son père.
Le contingent s'enfonça sous les frondaisons, marchant silencieusement à travers l'armée rouge et noire des grands saules. On entendait, à l'autre bout de la forêt vaste comme les mythiques forêts de l'aube de l'Empire, les rugissements des officiers appelant leurs hommes sur les lignes.
Encore une heure.
*
L'armée du Lion avait stoppé. Du haut de la colline, Matsu-daimyo contemplait son aile gauche, écrasée par une masse de fer presque compacte, qui se repliait vers la forêt. Un peu plus loin, à portée des flèches de la Grue, quelques douze cent ashigaru gisaient morts.
Mille morts, et ils fuient ? Ils ne valent rien. Maudits Akodo qui m'ont laissé avec des troupes si faibles !
Son centre s'était arrêté, le temps de recevoir des ordres. Aujourd'hui les guerrières Matsu étaient trop peu nombreuses : les taisa en première ligne ne voulaient pas risquer les jeunes samourai dans une armée Daidoji qui n'avait pas été affaiblie par les heimin, et qui attendait, repliée derrière une ligne de bosquets peut-être hérissée de pointes, que le Lion charge ...
Du moins n'ont-ils pas eu le temps de creuser des tranchées. Les méthodes Daidoji avaient toujours été sa hantise, et le contournement avait souvent compliqué inutilement ses plans de bataille, transformant les lieux d'affrontement en subtils déplacements de lignes derrière d'autres lignes ... des jeux de ruse sans fin pour lancer un mouvement imprévu au bon endroit.
*
- Munefusa-daimyo ?
- Oui, parle.
Le messager était éreinté.
- Sama, l'aile gauche de l'armée de la forêt a été attaqué par un groupe d'ashigaru en déroute. La question est réglée mais vous serez sans garde sur votre gauche : nous sommes trop faibles.
- La prochaine fois, appelez des renforts. En avant.
- Hai.
Voila bien un problème ... quand ils sont attaqués dans les bois, les Daidoji se cachent derrière les arbres et montent une embuscade au lieu d'aller chercher des secours. Bon, je devrai avancer plus vite.
Deux heures qu'il traversait la forêt. Autour de lui les groupes épars envoyés la veille s'étaient coalisés après avoir nettoyé les éclaireurs Lions : la forêt était à eux, jusqu'à la colline. Deux mille hommes avançaient presque en silence, tournant l'armée du Lion. Lorsqu'ils s'enfuiraient, ce serait pour gagner des positions sûres ... mais hérissées de lances bleues et blanches.
Munefusa sourit.
*
La shireikan Kakita Munedori retira son mempo, plissant les yeux pour observer la plaine. Le soleil était presque absent, privant les deux camps de cet avantage notable. L'infanterie de l'aile qu'elle commandait s'était établi juste en haut d'une minuscule butte de terrain, vaguement dissimulée par quelques modestes taillis. Munefusa-daimyo avait disposé sa troupe ainsi, de sorte à donner une impulsion supplémentaire à sa cavalerie. C'était aussi un piège pour une éventuelle charge des Lions, la pente soudaine devant briser la charge des samourai lourdement cuirassés.
Au loin sur la plaine, un ruban étincellant venait de devenir visible. L'aile droite Lion ... Que faisaient-ils ?
Quelques minutes plus tard, la réponse était évidente. Des chevaux ... Les Lions chargeaient ! Ecrasés à gauche, stoppés au centre et désormais immobiles, ils tentaient d'emporter la décision en frappant de l'autre côté.
Si ton bras gauche est faible, frappe du droit. Les vieilles règles de bataille revenaient à Munedori. Les Lions étaient si prévisibles.
*
Matsu-daimyo avait calculé juste. Munefusa plaçait toujours sa cavalerie sur sa gauche. Elle avait donc envoyé la sienne frapper à l'endroit même où se trouvait l'auxiliaire de la victoire Grue, pour que sa propre cavalerie rétame celle de ses ennemis.
Là où ton ennemi est fort, rends le faible.
La ligne d'infanterie Grue venait de reculer en prévision du choc. La cavalerie n'était plus qu'à cent longueurs. Matsu-daimyo avait toujours trouvé que c'était un peu loin pour charger, mais le taisa n'en avait apparemment cure. Il venait de lancer sa masse de fer et de muscles à pleine vitesse. Mille cavaliers en armure lourde, les poitrails bardés de fer ... Mille lances achetées aux Licornes. un bon investissement. Et plus loin Matsu-daimyo voyait les lances du second groupe se préparer.
Les rangs de la Grue scintillèrent.
*
- Lachez !
Deux mille traits partirent d'un coup, fauchant d'un bang sonore puis d'un mur de fer la ligne écumante et ocre qui n'était plus qu'à trente mètres. Les chevaux s'écroulèrent, entremêlant leurs pattes avec celles des suivants. Les archers avaient tiré des perce-armure : le carnage avait été effroyable, la cavalerie s'arrêta dans un gigantesque grincement de métal. Cent hommes de large, dix de profondeur ... deux ou trois rangs détruits. Les blessés se comptaient par dizaines.
- Bandez !
Les blessés commençaient à s'extraire du chaos hennissant.
- Lachez !
Ce fut un autre carnage : les cavaliers en train de reculer étaient fauchés, abattus dans le dos sans protection, les hommes à terre pourfendus de même ...
- Bandez !
Il n'y aurait pas de belle charge glorieuse, songea Munedori.
- Lachez !
La troisième salve fut la bonne : la cavalerie Lion se délita, galopant ou clopinant à perdre haleine. Huit cent morts en moins de dix minutes, songea Munedori. quik s'occupa aussitôt d'envoyer des troupes récupérer ce qu'on pourrait sauver de flèches. Plus loin, l'infanterie Lion s'écartait pour laisser rentrer les survivants.
*
Quelqu'un paiera pour ça. Il faut qu'ils meurent.
La première salve de cavalerie était tombée, écrasée en un instant par une pluie de flèches. Autour de sa position, Matsu-daimyo sentait l'humeur de ses gardes s'assombrir. Son corps d'élite avait été foudroyé et maintenant détalait comme un lapin ...
- Je veux le commandant de cette unité ici immédiatement !
- Hai sama !
Il faudra faire des changements dans cette armée ... trop de jeunes fous. Mais bientôt un sourire carnassier la reprit. Ils seront bientôt à court de flèches ... Je vais lancer les ashigaru lourds pour récolter les tirs. Tapissés de planchettes de bois comme ils sont, j'aimerais bien voir les flèches les transpercer.
- Sama, au vu de la situation, Akodo VIII recommandait d'abréger la bata ...
Le jeune fou qui avait osé faire cette remarque de pur lâche, ces Akodo ne valent décidemment rien n'aut pas le tmps d'achever : le sabre de la vieille daimyo était déjà dressé vers le ciel ensanglanté. Une tête roulait, sa course ralentie par le chignon.
- Ecoutez tous ! Nous allons écraser ces chiens sans honneur ! Lancez les ashigaru lourds contre leurs archers ! La cavalerie derrière, cent éclaireurs montés sur le flanc gauche !
- Hai sama !
Les assistants autour d'elle s'étaient précipité au sol. Un messager partit aussitôt. Qu'ils voient commet on traite les lâches. Abréger la bataille ? Comme si les Grues étaient à notre disposition !
*
Les archers pensaient en avoir fini. Mais lorsque Munedori vit la ligne grise se reformer, elle sentit ses mains trembler.
- Combien reste-t-il de flèches ?
- Deux par homme, sama.
- Distribuez les réserves. Préparez les naginata et les yari. Il reviennent.
Les Lions étaient à deux cent mètres. A cette distance, il devenait évident que les fantassins étaient équipées de planches de bois, les transformant en véritables tours d'assaut. Au moins cinq mille et le reste de la cavalerie derrière. Ils ont trouvé une parade aux flèches. Nous allons tous mourrir.
La mêlée qui allait s'ensuivre serait une infâme boucherie. Munedori connaissait bien ces étapes classiques des batailles, dont la sauvagerie expliquait qu'elle ait choisi les archers lorsqu'elle avait eu sa promotion. L'acherie était considérée par le vieil état-major Kakita comme une arme inférieure : les jeunes daimyo Kakita en faisaient pourtant grand cas, comme les Daidoji. Mais au contact ...
*
Autour de la tente de commandement, l'ambiance était meilleure. Quelques assistntes étaient encore choquées, mais l'issue de la bataille devenant moins inéluctable (en bas, les archers Kakita étaient désormais engagés dans un corps à corps furieux), la détermination habituelle (les Grues parlaient de triomphalisme) reprenait le dessus.
- Sama ! Sur notre gauche !
Matsu-daimyo tourna la tête machinalement. Encore un problè ...
Munefusa sortit de la forêt.
Autour de lui, cinq cent Grues se mettaient en place sur la colline, face à la tente du commandement. Il y avait bien une aile supplémentaire cachée dans les bois. Mille Lionnes, sans doute l'élite de la Garde Matsu, que seules la Fierté égalait en sauvagerie pure, et qu'on gardait pour donner le coup de grace. Commandées par une cousine de Munefusa. Les Daidoji leur étaient tombés dessus par surprise ou plutôt par mégarde ... mais avaient su tirer leurs flèches au bon moment. Avant que la mêlée ne s'engage la partie était gagnée.
Enfin ... gagnée ... mille Lionnes, dont deux cent tuées à l'arc, pour mille cinq cent Daidoji tués, ce n'est pas vraiment une victoire ... du moins avaient-ils survécu.
Et en face : la tente de commandement. Vingt membres de la Garde Matsu, deux aides de camp, un daimyo ... Au corps à corps, un régal d'officier sadique. Pour Munefusa, une capitulation facile. Sans que Munefusa aie le temps de parler, les arcs se tendirent, les bras se levèrent, les flèches vrombirent.
Tout tomba. Gardes, tente, tante ... Munefusa se précipita ... pour voir sa parente s'écrouler dans l'herbe rougie.
Se retournant, il avait un regard de tueur.
- Kakita-taisa, je veux votre tête dans moins d'une heure. Ce tir était un acte de lâche. Je vous laisse choisir votre assistant parmi vos hommes.
Kakita-gunso, faîtes encercle le sommet de la colline. Il nous faut maintenant tenir ce point. Et veillez à nettoyer les lieux.
- Hai !
Le grand étendard de bataille fut installé promptement, et en quelques secondes il fut aperçu. Un choeur enfla dans l'armée Grue. Lorsque les officiers Lions se retournèrent pour comprendre l'origine de cette clameur, le délitement de l'armée Lion commença, et se termina en débandade.
*
Ruine des cités
Civilisations en feu
Ah ! Revoir l'été !
Dernière modification par
Kakita Inigin le 05 mars 2007, 12:58, modifié 2 fois.