CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE
La 5e Réincarnation : 12e Episode
Printemps 1127
Mimura
Le village aux miracles
LA TETE DE HIRO
En ce début de printemps, le vent soufflait encore froid sur les chemins de la Libellule, tombant des immortelles montagnes du clan du kami Togashi. Le ciel était pur, et les nuages baignés par le soleil merveilleux, comme les légendaires Dragons.
Le chemin rocailleux ne permettait pas à trois samurai d'avancer bien vite.
Le sabot du cheval de Shinjo Kohei heurta une pierre qui roula le long de la pente, et s'écrasa dans un torrent au courant très vif.
Derrière, Mirumoto Ryu restait aussi silencieuse que le paysage, comme à l'habitude.
- Riobe, dit Kohei, tu as été bien silencieux ces derniers jours, depuis que nous avons quitté la Cité des Apparences.
- ...ou plutôt ce qu'il en reste, Kohei-san...
Le rônin, comme à l'habitude allait, par monts et par vaux, à pied. Il n'avait pas perdu sa force d'âme, mais son armure cliquetait, à cause de ses fixations abîmées, et la bataille dans la Cité de feu le général Morozane lui avait laissé un goût amer. Non pas tant, à vrai dire, parce qu'il avait dû se battre avec d'anciens ennemis, les Daidoji, contre d'anciens cousins, les Matsu. Mais plutôt pour les moyens employés dans cette guerre.
- Hmmm, effectivement, dit Kohei, une bien puissante magie a ravagé la Cité...
- Je n'appellerais pas cela de la magie, Kohei-san... Plutôt des moyens prohibés par edit impérial !... Les Daidoji font venir de bien étranges poudres des terres de la Mante...
- Je n'étais pas au courant du contenu des tonneaux.
- Tout de même, s'associer ainsi à ceux qui vont à l'encontre de la volonté de l'Empereur...
- Par Shinjo, j'avais une dette envers eux. ! J'ai été honoré de me mettre à leur service pour la rembourser. Un samurai n'a qu'à obéir, pas discuter.
- Vous avez raison, Kohei-san, admit Riobe.
- N'en parlons plus. Je comprends que tu désapprouves, mais c'est ainsi.
Le sentier de montagne se poursuivait, tortueux, montant doucement dans un impressionnant chaos de rocher. Le soir venu, les trois voyageurs, sentant l'envie de dormir les prendre, virent enfin un chateau perché en haut d'une butte à la pente sévère.
- Par Otaku, nous y sommes enfin. Kyuden Tonbo !
C'était déjà la 3e fois au moins que nos héros passaient par ce château. La première fois, à leur retour des terres du Lion, quand ils avaient pourchassé Hikozaemon le rônin à la langue verte ; la seconde fois, après leur terrible combat contre les minocentaures. Riobe et Ryu y étaient passé une fois de plus, après le séjour à Inchu, pour revenir à Heibetsu.
Un samurai portant les couleurs de la Libellule se tenait en haut d'un rocher, vigilant.
- Samurai ! qui êtes-vous ? cria t-il.
- Je suis le nikutai [caporal] Shinjo Kohei, de la Cité du Lac aux Rives Blanches ! Je suis accompagné de Mirumoto Ryu, de la vallée d'Heibetsu ! Et du rônin Riobe.
Riobe, Riobe... obe... obe, reprenait l'écho.
- Soyez les bienvenus pour ce soir chez nous. Notre clan vous offre l'hospitalité.
Kohei poussa son cheval au petit trot dans la pente, puis finit le chemin à pied, tout comme Ryu, tant l'accès était malaisé.
Rapidement, nos héros furent logés.
Ils prirent un bain, puis dînèrent en compagnie du seigneur Toryu. Celui-ci était content de revoir nos héros. Riobe, naturellement habile aux contes, narra leurs dernières aventures, en finissant par la chute de la Cité des Apparences.
Nos héros durent avouer que le voyage avait été fatigant. Ils ne tardèrent pas à aller se coucher. Le seigneur Toryu recevait en permanence des délégations de clans qui désiraient accéder aux terres du Dragon. Son château était le poste frontière pour tout le clan. Il y avait ce soir-là une petite troupe de Phénix qui allaient poursuivre leur chemin le lendemain matin. A vrai dire, les Phénix, cousins des Dragons, obtenaient toujours l'autorisation des Libellules.
Ainsi, après une bonne nuit de sommeil, nos héros s'éveillèrent à l'aube. Kohei-san et Riobe saluèrent Ryu qui bifurquait vers les montagnes, pour rentrer chez elle, à Heibetsu, puis ils continuèrent leur chemin.
-
Teyandee, s'exclama Kohei, j'ai parfois l'impression que mon destrier est plus bavard que Mirumoto Ryu...
- Leur sagesse nous est inaccessible, sourit Riobe.
Les deux hommes voyagèrent plusieurs jours, quittant les arides montagnes pour descendre vers la plaine où deux fleuves convergeaient en bifurquant vers le sud. C'était la plaine de la Grenouille Riche, celle de la cité gouvernée par les rônins et du fief du seigneur Shinjo Bunjiro, et de son avisé conseiller, l'honorable Iuchi Kumanosuke.
Les deux samurai firent leur entrée, par une belle journée, dans la grouillante cité de la famille Kaeru. Kohei-san détonait dans le paysage, monté sur son grand destrier, dominant toute la foule du peuple et des samurai sans clan.
Riobe l'avait pourtant prévenu :
- Ce n'est pas un endroit pour un samurai comme vous, Kohei-san. S'il vous arrive malheur, personne ne donnera sa parole pour soutenir la vôtre.
- Allons, il ferait beau voir qu'il m'arrive quelque chose ! Le seigneur Bunjiro ne permettrait pas qu'on bouscule un samurai de son clan !
Riobe avait toussoté, sans rien répondre : officiellement, la Cité était sur les terres de la Licorne ; en réalité, elle était indépendante.
Toisant de haut la populace, Kohei avançait parmi les rues encombrées, tandis que Riobe marchait devant.
- J'ai quelqu'un à rencontrer dans cette cité, Kohei-san, dit le rônin.
- Entendu, retrouvons-nous plus tard, à la sortie de la ville.
Riobe se rendit au bureau du capitaine qui l'avait engagé à la fin de l'automne dernier. Après avoir longuement attendu, en compagnie de frères des Loups, plus ou moins crasseux, il fut introduit. Il s'assit sur un tatami, un sac posé à côté de lui.
- Assieds-toi, lui dit l'officier Kaeru. Comment te nommes-tu ? je crois t'avoir déjà rencontré, non ?
- C'est exact, Kaeru-sama. Vous m'aviez confié la mission de retrouver ce criminel, Hiro... Mon nom est Riobe.
- Oui, c'est exact. Je m'en souviens. Il nous avait abominablement trahis. Il méritait d'être pourchassé jusqu'à la mort. J'imagine que si tu reviens me voir, c'est parce que tu as réussi.
- Tout à fait, seigneur.
Ce disant, Riobe ouvrit le sac qu'il avait porté depuis la Cité du Chêne Pale. La tête de Hiro, empaillée, apparut.
Avec une grande curiosité, se grattant le menton, l'officier la regarda de près.
- Oui, c'est bien lui. Il a donc cessé de nuire. Très bien. Peux-tu me raconter ta chasse ? Car cela t'a pris tout l'hiver si je ne me trompe pas.
- Tout à fait, seigneur. Hiro était lié à plusieurs associations criminelles, des yakuzas, sur les terres du clan du Dragon ; il a aidé à l'enlèvement d'enfants. Puis, il a fui vers les terres du Phénix, où je l'ai traqué. Il comptait fuir par la côte, sur l'océan. J'ai réussi à l'attraper dans les terres Phénix, où il s'était associé avec la pègre.
- Décidément, il n'a reculé devant rien ! il méritait plusieurs fois la mort !...
- C'était un sinistre personnage, seigneur. Il m'a donné du fil à retordre.
- Bon, l'essentiel est que tu en aies fini avec lui ! Tiens, dit l'officier en sortant une bourse, voilà ta récompense. Reviens me voir, si tu veux chasser d'autres primes !
Riobe s'inclina et partit. Dehors, il ouvrit le sac : il compta cinq beaux kokus. Il se renflouait enfin ! Les Daidoji avaient payé autant pour la caravane, mais pour réparer son armure, Riobe avait dépensé une fortune. Sa bourse grossissait et maigrissait par à-coups. Il se souvenait encore de cette après-midi, chez le marchand Taka, de Kohei achetant des cadeaux pour sa famille, pour la modique somme de 7 kokus ! et sans sourciller le moins du monde !
Avec cinq kokus, il avait de quoi tenir un bout de temps.
A la sortie de la ville, l'heure vint pour les deux hommes de se séparer.
- Hé bien, Riobe, que vas-tu faire, maintenant ?
- J'ai rendu des comptes à la famille Kaeru. Je dois maintenant retourner voir le capitaine Taro, à Heibetsu. Lui aussi voulait la mort de Hiro.
Riobe tenait à la main le sac avec la tête.
- Très bien. Tu retournes donc chez les Dragons...
- Hé oui, une fois de plus, sourit Riobe.
- Que vas-tu faire ensuite ?
- Je ne sais pas encore. Et vous mêmes, Kohei-san ?
- Je rentre dans les terres de ma famille, retrouver mon père, ma femme et mes frères.
- Vous devez être un homme heureux, Kohei-san...
- Ecoute, Riobe. Je connais ta valeur. Comme rônin, tu vaux mieux que plusieurs samurai de clan que nous avons rencontrés. Je sais que j'ai tort de le dire.
"Au début de l'été prochain, va se tenir le tournoi d'Emeraude. A l'issue de cette compétition, l'Empereur désignera son nouveau Champion. C'est alors que Kakita Hiruya sera nommé magistrat d'Emeraude ! Oui, magistrat d'Emeraude, par Benten ! Et il compte me prendre parmi ses assistants. Sois à la glorieuse Otosan Uchi au début de l'été. Je suis sûr qu'il aura besoin d'un rônin. Il te connait, et sait que tu es honorable.
Un peu surpris, Riobe hésita un moment.
- Très bien, Kohei-san. Votre proposition me tente.
- Si tu acceptes, sois le 3e jour du mois du Cheval, dans cette auberge où nous avons fait étape avec la caravane, dans les faubourgs du village stratégique de l'ouest.
- Entendu, je serai là-bas le jour dit.
- J'ai apprécié te connaître, Riobe. Tu as de l'honneur.
- J'ai été moi aussi content de voyager à vos côtés, Kohei-san.
Les deux hommes se saluèrent. Kohei remonta à cheval, et Riobe tourna les talons pour reprendre le chemin du chateau de la Libellule.
LE PRINTEMPS DE NOS HEROS
Ayame
La shugenja rentra à la Cité du Repos Confiant, et reçut de nouveaux enseignements de son bien-aimé senseï Isawa Akitoki, en compagnie de son amie, l'aimable Isawa Kogin. Elle apprit à courir plus vite que le vent, à invoquer des nappes de brouillard et à invoquer les kamis du feu en un endroit précis.
Tous ces pouvoirs, Kogin-san les apprit aussi, plus vite et mieux, mais Ayame concéda de bonne foi que sa camarade lui était supérieure.
Enfin, au début de l'été, Akitoki-sama décréta qu'Ayame ne lui faisait pas trop honte, et accepta sa nomination au poste d'assistante du magistrat Kakita Hiruya.
Bokkai
L'honorable courtisan et duelliste Scorpion retourna dans sa famille, qui avait retrouvé son honneur, ses terres, sa gloire et l'estime de tous. Il apprit à son dojo à mieux frapper sous la ceinture avec son sabre, et à bien connaître les différents elixirs naturels à base de crachat de serpent ou de champignons comme l'amanite phalloïde. Il fit d'intéressantes expérimentations sur quelques etas choisis au hasard, et s'entraîna également à mieux faire parler les gens grâce aux fers chauffés à blanc et autres outils métalliques auxquels il sut trouver un usage tout nouveau.
Il fut très fier en voyant son fils revêtir pour la première le costume noir des guerriers du clan, et apprendre à lancer des étoiles de fer en marchand au plafond.
Il fut choisi pour devenir assistant du magistrat Kakita Hiruya et dut promettre de ne pas le trahir trop souvent.
Hiruya
L'honorable courtisan, origamiste, duelliste, connaisseur du Tao et amateur d'art rentra chez lui, et retrouva son honorable senseï, le beau, séduisant, amateur d'art et de cerisiers en fleurs, duelliste et origamiste de grand talent, Kakita Yobe. Il apprit à manier le sabre avec encore plus de finesse et de classe. Il consola ses amis Doji qui avaient rencontré Ryu et en avait été traumatisés. Il eut confirmation qu'il allait être nommé magistrat d'émeraude ; il fut félicité par toute la noblesse de sa région, remarqué par Doji Hoturi, et apprécié par Kakita Toshimoko !
Kohei
Le Licorne rentra au petit galop d'abord, puis au grand galop à travers les plaines sauvages de son pays, et retrouva son village, sa famille et sa femme. Il dut aller une fois par semaine en cure thermale, pour son plus grand bonheur, et s'habituer à vivre à nouveau dans sa maison, avec les amies que sa femme invitait régulièrement.
Il prit plusieurs kilos lors de plantureux repas avec son ami Shinjo Saranku. Il fut envoyé à son dojo, et fit la terreur des chevaux dans les premières semaines, car il était trop gros !
Il apprit à tirer à l'arc presque aussi bien que son senseï, Shinjo Hanari, et à monter et descendre de cheval à la vitesse de l'éclair.
Enfin, il rentra chez lui, et sa femme l'obligea à perdre tous les kilos qu'il avait pris lors des beuveries entre bushis. Puis il partit à Otosan Uchi retrouver son ami Kakita Hiruya, dont il devenait l'assistant.
Ikky
La courageuse yojimbo retourna au dojo de la Cité du Repos Confiant. Elle apprit à mieux recevoir les coups à la place d'Ayame, et à ne pas grimacer quand elle se faisait frapper par plusieurs adversaires à la fois.
Elle n'osa montrer sa joie quand elle apprit qu'Ayame allait repartir sur les routes avec elle comme yojimbo, et que les deux samurai-ko seraient assistantes du magistrat Kakita Hiruya, et exposées à des dangers plus terribles que jamais.
Riobe
Riobe retourna à Kyuden Tonbo. Il fut autorisé par le seigneur Toryu à entrer sur les terres du Dragon. Une délégation de Matsu, bloquée ici depuis trois mois, exprima sa rage en rugissant qu'un rônin passe avant eux !
- Ce n'est qu'un rônin justement, dit aimablement Toryu-sama. Qui se soucie de sa sécurité ? Les nobles seigneurs Mirumoto au contraire, ne voudraient pas vous inviter avant de pouvoir vous assurer un voyage paisible.
Riobe retourna à Heibetsu, passa sur la pointe des pieds près de la maison de Ryu, retrouva le capitaine Taro, et lui raconta l'histoire sinistre de Hiro.
Il partit ensuite à la recherche d'un sage ermite, Ujisato, qu'il avait rencontrés lors de sa précédente venue, peu après la chute de Ryu dans le trou. Des jours et des jours durant, il monta les interminables montagnes, arriva au pied des terres Togashi. Là, il retrouva le village de l'ermite, encore sous la neige (le village, pas l'ermite).
Le vieil Ujisato était mort peu auparavant. Desespéré, Riobe marcha dans la tempête de neige, des heures et des heures et tomba à genoux, épuisé.
Là, dans un halo brillant, éblouissant, Ujisato lui apparut, alors que la tempête s'apaisait.
- Tu retourneras à Kyuden Tonbo, voir le seigneur Toryu, lui dit-il d'une voix spectrale. Il continuera ta formation.
Riobe s'exécuta, redescendit toutes les montagnes, passa à Heibetsu en étant discret (mais pas assez pour perdre de l'honneur) quand il arriva près de chez Ryu, arriva chez le Libellule. Toryu-sama accepta de le prendre comme élève.
Le matin, Riobe gardait un poste avancé et apprenait à réparer son armure. L'après-midi, il courait avec un boulet au pied, faisait des tractions attaché par les chevilles à une corde au-dessus d'un précipice, marchait sur les mains, et le soir, il achevait de renier son ancien clan en osant plonger son regard dans le tao de Shinsei ! Heureusement, sa conscience lui faisait fermer bien vite les yeux, et il sombrait dans un sommeil aussi honorable que profond.
Ryu
La stoïque bushi retourna dans la vallée d'Heibetsu, où elle fut accueillie par une mère en larmes, une fille qui ne la reconnaissait plus, et le yojimbo de la famille qui s'inclina bien bas devant elle, et dit combien il regrettait de quitter ces deux adorables femmes sur qui il avait veillé pendant des mois et des mois, loin de sa propre famille.
Ryu alla au dojo, apprit de son sensei qu'elle était mauvaise en Nitten, que sa garde était pleine de trous et qu'elle ne savait pas se servir de son wakisashi. Au début de l'été, elle fut nommée assistante du magistrat Kakita Hiruya. On compta qu'elle avait prononcé presque une vingtaine de phrases en trois mois.
Shigeru
Le Crabe retourna dans sa famille, installée sur les terres de la famille Daidoji, non loin de chez Hiruya-sama.
Il participa au rude entraînement des "Grues de Fer", les Daidoji, vécut avec sa femme et ses quatre enfants, entendit de vilaines rumeurs comme quoi son clan devenait entièrement corrompu par la maho-tsukai, et serra les trois mains du messager Hida venu lui donner des nouvelles du Grand Ours. Il initia la famille Daidoji aux compétitions de lancer de tetsubo. Il mangeait tant qu'un shugenja Asahina déclara que son estomac devait être relié à une autre galaxie.
Au début de l'été, il retourna à Otosan Uchi, alors que le tournoi du champion d'Emeraude allait commencer, pour y devenir l'assistant de Kakita Hiruya.
LE TOURNOI D'EMERAUDE
Par ce beau jour d'été, Dame Soleil avait revêtu sa robe la plus étincelante, et moins que jamais, le moindre mortel n'aurait osé la contempler directement, de peur d'avoir les yeux brûlés par son insurpassable beauté. Les pieuses shugenja du clan du Mille-Pattes, parmi lesquels Moshi Wakiza, devaient dans ces jours-là entrer dans une sorte de transe amoureuse, qui les transportait, les ravissait, les emplissait d'un indicible sentiment de grâce.
Les tribunes du grand tournoi d'Emeraude étaient pleines. Autour du trône où allait prendre place le divin fils du ciel, des dizaines de samurai Otomo et de shugenja formaient un cercle infranchissable de protection. Les couleurs de tous les clans de l'Empire d'Emeraude éclataient sous la lumière parfaite, sans aucune ombre, à l'heure la plus chaude de la journée, et les étendards, les armures étincelantes rivalisaient d'éblouissement, pendant que les délégations, avec la lenteur que qu'autorisait rang, prenaient place. Les Matsu avaient été placés loin des Grues, avec les Phénix et les Dragons entre eux. Les Grues avaient accepté les Scorpions près d'eux, et leurs alliés Licornes de l'autre. Les Crabes finissaient de remplir les gradins, formant une zone tampon entre les Scorpions et les Lions.
Crabe - Lion - Dragon - Phénix - Grue - Licorne - Scorpion
Cette dernière journée du tournoi promettait d'être chaudement disputée.
Déjà, les honorables Seppun Larke et Miya Rolan, présentateurs officiels impériaux, pour meubler le temps, résumaient les journées précédentes :
- Ce tounoi d'Emeraude restera dans toutes les mémoires comme particulièrement disputé, Larke-san.
- Oui tout à fait, Rolan-san. En effet, c'est le tournoi qui élira le successeur du noble Doji Satsume, le père de Doji Hoturi, l'actuel daimyo de sa famille, et on sait quelles traces laissera le seigneur Satsume dans l'imaginaire collectif. Il laisse le souvenir d'un homme puissant, dévoué, qui s'est battu jusqu'à la mort pour le vieil Empereur Hantei XXVIII. Donc le moins qu'on puisse dire, c'est que son successeur aura fort à faire pour se montrer à la hauteur.
- Jusqu'ici, on a eu un niveau exceptionnel de compétition, avec des huitièmes de final, et même des éliminatoires qui valaient bien certaines demi-finales des tournois précédents. On a vu en effet le puissant Doji Kuwanan, éduqué aux dojo des familles Matsu, Hida et Daidoji (excusez du peu) s'incliner face au terrible duelliste Bayushi Aramoro, garde du corps et beau-frère de l'Impératrice. Et le lendemain, coup de tonnerre : c'est ce même Aramoro-sama qui doit s'incliner face à Mirumoto Hitomi, qui est maintenant l'une des favorites de ce tournoi.
- Oui, tout à fait, Rolan-san. Alors les mauvaises ont dit que c'était en fait un arrangement entre Hitomi et notre Impératrice, que, comme on dit vulgairement, Bayushi Aramoro s'est "couché" au bout de la 3e reprise -mais on sait ce qu'il faut penser de ce genre de rumeurs, hein...
- Et puis, nous avons eu aussi un quart de final de toute beauté entre le champion de la Licorne, Shinjo Yokatsu, Maître des Quatre Vents, et Shiba Tsukune, dite la Petite Tortue, la talentueuse duelliste de nos amis Phénix -duel qui s'est conclu par une courte victoire du champion Licorne.
- Oui, et d'ailleurs à cette occasion, on a pu voir l'honorable sensei Akodo Kage faire une apparition remarquée, pour saluer les deux combattants, l'un, Yokatsu, étant un ami de longue date, et l'autre, Tsukune, son ancienne élève à l'académie impériale.
- Et c'est d'ailleurs ce même jour, Larke-san, qu'un incident a émaillé la cérémonie, quand l'honorable Isawa Tsuke, Maître du Feu, a menacé de faire démonstration de ses pouvoirs si on lui refusait encore de participer à ce tournoi. Il a fallu l'intervention des très diplomates Kakita Yoshi et Ide Tadaji pour calmer le bouillant Phénix.
- On me signale qu'il a accepté un compromis, en retirant sa plainte en échange de la promesse de la tenue d'un tournoi de Jade très bientôt, rien que pour lui.
- Signalons également le forfait de Hida Yakamo, fils du Grand Ours, et grand rival devant l'éternel de Mirumoto Hitomi, toujours favorite de ce tournoi, donc.
- Hé oui, tout à fait, Rolan-san. Hitomi qui va affronter donc aujourd'hui en finale son dernier adversaire, Matsu Agetoki, le puissant général en chef de la cavalerie du clan du Lion.
- Oui, Agetoki-sama, dont on peut dire, sans vouloir le moins du monde froisser la fierté de nos amis du Lion, qu'il est arrivé en final un peu par le hasard des circonstances, puisqu'il n'est pas vraiment un duelliste reconnu, c'est vrai.
- Là encore, des rumeurs ont couru que plusieurs adversaires d'Agetoki-sama auraient été "approchés" pendant le tournoi par des hommes de l'Impéatrice, afin d'assurer à Mirumoto Hitomi un adversaire "facile" en final, mais là encore, ce sont de vilaines accusations que nous nions en bloc.
- Oui, parfaitement, tout comme les accusations d'homosexualité refoulée de la divine Impératrice, et de certaines soirées très privées avec Mirumoto Hitomi et Matsu Tsuko...
- Mais l'éthique sportive nous interdit d'en parler, et de toute façon, cela... ne nous regarde pas !
- Ah !... On me dit par un sort d''Air de communication à distance que nous allons rendre l'antenne, le temps de la réclame. Donc on vous retrouve juste après pour l'arrivée des deux grands finalistes de ce tournoi d'Emeraude. A vous Otosan Uchi !
C'était dans une de ces faubourgs de la capitale, là où on ne sait pas trop si on est dans la campagne ou déjà dans la ville, que les roturiers devaient, pour entrer dans leur restaurant habituel, demander poliment à un puissant destrier de la famille Shinjo, de bien vouloir se pousser de devant l'entrée.
C'était une de ces auberges qui aurait dû être bondée, mais qui ne l'était pas.
Le seul client était le maître du cheval qui bloquait l'entrée.
Shinjo Kohei-san avait le nez dans son bol de poisson et de riz, et la main toujours à portée de la bouteille de sake. Le patron de l'auberge et sa femme étaient agenouillés devant lui, et se prosternaient bien bas, gémissant et pleurant à qui mieux mieux :
- Shinjo-sama ! ordonnez seulement à votre monture de faire quelques pas de côté ! Vous savez que mes clients n'oseront jamais froisser cet animal, ni passer derrière, de peur de recevoir sa noble ruade !
Mais notre héros ne l'entendait pas de cette oreille, ni d'aucune d'ailleurs, et continuait à manger, agacé par le roturier.
Le patron promettait tout ce qu'il pouvait à Kohei, des repas gratuits à vie, une nuit avec sa femme et ses trois filles, du saké à volonté, mais rien n'y faisait : Kohei-san était aussi têtu qu'intègre.
- Par les quatre vents, heimin ! si mon cheval a choisi de se poster là, dis-toi que c'est peut-être par la volonté de Shinjo elle-même ! Veux-tu donc que la Déesse vienne te rosser pour avoir contrarié ma monture !
Et c'était les pleurs, les cris d'agonie qui recommençaient, pendant que le patron voyait la clientèle déserter l'établissement, et aller manger chez le concurrent, établi de l'autre côté de la rue. Etablissement qui accueillait complaisamment tous les affamés en ricanant et qui avait ordonné à son garçon de salle de repasser un coup de peinture sur le panneau : "Ici, meilleur qu'en face."
Enfin, Kohei baîlla, s'étira, et décidément qu'après ce bon saké, un petit somme, bercé par la musique de la joueuse de biwa locale, et les hennissements de sa fougueuse monture, était le bienvenu. Il n'écoutait déjà plus le patron se lamenter, et le chassa d'un geste agacé de la main, alors qu'il s'endormait, bien aise.
Il se passa un certain temps, où Kohei partit au pays des rêves heureux, et se vit en train de galoper dans des plaines féériques, avec de l'herbe et un ciel multicolores, sur une monture extraordinaire, et il se sentait léger, léger, et il galopait à travers des rivières de sake, puis abattait d'une flèche, tirée avec détachement, une dizaine de sangliers et recevait tous les honneurs, et on le fêtait pendant des jours et des jours. Toutefois, le banquet était soudain interrompu par les cris aigres de sa femme, la douce Iuchi Shizuka, qui lui sommait de se réveiller, en tapant sur des casseroles, et lui ordonnait d'accueillir son ami Riobe.
Kohei sortit de son lourd sommeil. C'était la femme du patron qui tapait sur sa batterie de cuisine :
- Seigneur ! un certain rônin appelé Riobe vous fait demander.
La bouche pâteuse, Kohei se remit sur son séant. Effectivement, Riobe se tenait derrière Teyandee, et essayait de se faire voir du Licorne.
- Par Otaku, gémit notre héros, en se tenant le crâne.
Il avala une bonne rasade d'eau, et cria à son cheval de s'écarter. Sa voix de stentor manqua faire s'écrouler l'établissement.
- Ohla ! oh ! Teyandee ! ohla ! pousse-toi donc de là !... ouste !
Le cheval rua fièrement, refusant d'obéir.
- Tu te pousses, ou je viens te traîner moi-même !!
Le cheval soupira, et partit au petit trot dédaigneux.
Riobe entra d'un pas décidé et salua son ami. Il n'avait pas fait quelques pas à l'intérieur que la foule des affamés, massée devant le restaurant, n'en put plus tenir, et se déversa brusquement à l'intérieur, trépignant, au coude à coude, et se rua sur les tables. Bientôt, il fallut refuser du monde.
A Otosan Uchi, pendant que tout le monde attendait l'arrivée des deux champions, c'était la pause réclame. Des geishas tenant de grands panneaux défilaient maintenant sur la piste.
"Prix cassés pour les croisières dans les îles de la Mante ! -20, -30, -40% !! Prenez votre billet dès maintenant !"
"Coca-Kolat au citron, le vrai goût de la conspiration."
"Bienvenue chez Bayushi, assassinats à moitié prix."
"La nouvelle collection automne/hiver 1127 : tous les plaisirs de la Rive Gauche de la Cité Impériale, à petits prix."
Pendant que les filles défilaient, la plupart des spectateurs baîllaient d'ennuis, buvaient, grignotaient, sifflaient les geishas (c'était le cas de jeunes Doji) ou les huaient (c'était le cas de vieux Phénix Asako).
- Alors, Larke-san, on parle de plus de l'invasion de la publicité dans notre vie quotidienne, et d'aucuns s'élèvent contre une telle débauche de moyens, qui favorise beaucoup trop la classe marchande, selon les adversaires de ces procédés.
- Oui, tout à fait, Rolan-san, et nous avons rencontré d'ailleurs ce matin même un des opposants à cette réclame. Voici son interview, il s'agit de l'honorable Isawa Akitoki, de la Cité du Repos Confiant.
La vision de la matinée apparut dans un bassin magique, près des deux commentateurs.
- Vous comprenez, disait le shugenja, avec toute cette publicité, on est sans cesse sollicités. Regardez un peu ma boîte à pigeons ! elle est remplie à craquer, les oiseaux s'étouffent, compressés à cinquante dans un pigeonnier prévu pour dix !... Et toutes ces geishas, vêtues de plus en plus court ! vous croyez que c'est normal qu'elles quittent leurs maisons ? Bientôt, on verra ces nanbanjin venus de l'autre côté de l'Océan nous bombarder de leurs messages de propagande pour leur civilisation commerciale et décadente !... Et je ne parle pas de la menace pour notre marché intérieur de l'invasion des produits Yobanjin, produits à bas prix par des rustres !... J'en appelle donc à la responsabilité de tous les Rokugani, pour refuser cette camelote étrangère !
- Un bien virulent message en tous cas, Rolan-san.
- Mais c'est déjà la fin de la réclame. Voici venu le grand moment !
Kohei fit s'asseoir le rônin, et redemanda du sake.
- Ca me fait plaisir que tu sois venu, Riobe. Je suis content que tu te joignes à nous.
- Je suis honoré de répondre à votre invitation, Kohei-san. Je suis content également de servir à nouveau des samurai honorables. Après tout, Kakita Hiruya est un noble samurai.
Kohei rit, et fit servir des fruits.
- Alors, tu as passé le printemps chez les Dragons ? c'est hors du commun !
Riobe commanda à manger à son tour, et raconta ses péripéties dans les montagnes, puis son séjour au château de la Libellule.
Kohei approuva, puis, quand le repas fut fini, les deux hommes se levèrent, le ventre bien plein :
- Allons, partons pour les abords de la Cité Interdite ! C'est aujourd'hui que nous connaîtrons le nouveau champion de l'Empereur, et que Hiruya-sama sera nommé magistrat d'Emeraude, et nous, ses assistants ! Teyandee ! Toutes nos familles sont déjà là-bas !...
- Le grand moment est arrivé ! Les deux finalistes entrent maintenant sur la piste, sous les ovations de leurs clans respectifs. Les tempêtueux Matsu -vous les entendez derrière nous- rugissent tous en choeur pour accueillir Matsu Agetoki, et menacent de faire crouler toute leur tribune, tandis que les Dragons, d'ordinaires absolument silencieux en toutes circonstances, laissent entendre de petits applaudissements, et quelqu'uns se laissent même aller à siffler leur championne. Les Crabes soutiennent évidemment Matsu Agetoki, de même que les Licornes. Les Phénix et les Grues, à l'inverse, désirent voir Hitomi l'emporter contre le Lion. On devine les commentaires acides que les Scorpions réservent aux deux finalistes, et ce, malgré des rumeurs d'accord entre notre Impératrice et Mirumoto Hitomi -mais nous n'y reviendrons pas.
- Voilà donc, Rolan-san, une finale qui divise les opinions, et qui promet d'être très disputée. L'ambiance est lourde ici, à Otosan Uchi, et Dame Soleil ne se couvre pas d'un seul nuage au-dessus des participants.
- Voilà maintenant les deux adversaires qui vont s'agenouiller au pied de la tribune de l'Empereur, pendant que les hérauts des familles Miya, Otomo et Seppun se sont levés pour jeter trois poignées de riz béni. On a vu le héraut Miya demander le silence aux délégations supportant Matsu Agetoki, et les sourires entendus des Grues, se déclarant que cela est juste et que les Lions offensent le divin fils du Ciel par leurs éclats de voix.
- On a remarqué la présence, non loin de notre Empereur, de l'unique délégué du clan de la Mante, signe manifeste que Hantei XXXIX serait prêt à entendre les revendications du seigneur Yoritomo.
- Voilà, les deux finalistes ont prêté serment sur leur honneur, et rejoignent maintenant leur place. C'est le grand silence maintenant. On entend plus que le cliquetis des armures des combattants. Les shugenja Kitsu et Agasha, après avoir béni leur champion respectifs, se sont retirés, ainsi que les moines, qui ont béni la piste. Ils ne sont maintenant plus que deux. Deux, et, comme on dit, il ne doit en rester qu'un !
- L'Empereur a baissé la main... Ca y'est ! le combat peut commencer !!...
- Oui, et il sera féroce parions-le !!...
- Tout de suite, Hitomi s'est mise en garde, katana pointé en haut, wakisashi en retrait, pointé vers le sol. La garde est parfaite, impénétrable... Face à elle, Agetoki a tiré son sabre, et avance posément vers elle.
- Quel suspens, ici à Otosan Uchi !... Hitomi exécute quelques gestes aux sabres, sans doute pour impressionner l'adversaire. Agetoki s'est arrêté à quelques pas, et trépigne à son tour, exécutant le célèbre cri de guerre, le haka du dojo Holblak. Impressionnant !
- Oui, et pourtant, Hitomi ne montre aucun signe d'émotion. Elle semble parfaitement en paix avec elle-même. Sa concentration est parfaitement réussie.
- Mais attention ! attaque soudain de Hitomi !
- Ohlala ! Agetoki, trop pressé de faire le foudre de guerre, ne l'a pas vue venir !
- Si ! parée ! de justesse... Contre-attaque violente du Lion ! Oh, il charge !
- Mais Hitomi est prête à le recevoir !....... Quel choc ! elle a refermé sa défense ! L'art du Nitten !...
- Agetoki revient à la charge, et rugit de plus belle ! quelle violence !
- Paré encore une fois ! Hitomi est impassible !... elle va-
- Ca y'est !... elle a frappé ! Agetoki saigne !
- C'est fini !
- C'est fini !... elle a gagné !
- Elle a gagné ! Agetoki est à genoux !
- Ohlala ! frappé au flanc ! il ne peut plus se relever !
- Ca y'est ! le juge lui fait signe ! Hitomi enlève son casque ! elle lève les bras, ELLE A GAGNÉ ! Elle est championne d'Emeraude ! Mirumoto Hitomi !
- Les Lions protestent déjà ! Les Dragons applaudissement même des deux mains !
- Les shugenja nous envoient le ralenti... Oui, regardez :
elle a paré le coup d'Agetoki du wakisahi, et tout de suite, elle a contre-attaqué ! Le Lion n'avait aucune chance !
- Non, aucune !... Elle a gagné ! Fantastique ! En un éclair ! C'est parti très vite !...
- Du très beau Nitten ! ses Ancêtres là-haut peuvent être fiers d'elle ! et Togashi Yokuni, son champion, également !...
- En effet, en effet... Agetoki se retire vaincu... Ayayaye ! cruelle défaite pour les Lions, qui, on le sait, n'aiment pas perdre !...
- Matsu Tsuko, pour le coup, pourrait exiger son seppuku à Agetoki.
- Elle le pourrait, c'est certain. Nous en saurons plus d'ici peu mais avant ça-
- Attendez !... attendez ! que fait Hitomi ?... le juge relève la main. Il suspend sa décision ! Hitomi s'est arrêtée au milieu de la piste... Elle reste interdite... que se passe t-il ?...
- Quoi ? ça alors ! Non, attendez, c'est très confus... Il ne conteste pas la victoire... Il dit...
- Ohlalalala ! Sensationnel !...
- Un nouveau participant entre en lice au dernier moment !
- Sensationnel ! inouï !
- Par Benten, un vrai coup de tonnerre !
- Regardez LA TÊTE que fait l'Impératrice ! Elle broie du noir ! elle voyait déjà Hitomi championne d'Emeraude, et là, c'est le drame pour elle.
- Et ce nouveau participant n'est autre que Kakita Toshimoko ! le senseï de l'école Kakita en personne !
- Et la délégation Grue !... elle va tout casser ! c'est le délire dans leurs rangs !
- Ils sont fous de joie ! on les comprend !
- C'est Kakita Toshimoko en personne qui va venir contester au dernier moment son titre à Hitomi !...
- Alors là, pour un coup de théâtre, c'est un sacré coup de théâtre !...
- Ohohoh ! vous parlez d'une histoire !
Imaginez un peu la tête que vont faire les Dragons si jamais Hitomi perd maintenant ! Ils vont l'avoir mauvaise, comme disait mon grand-père.
- Oui, mais votre grand-père n'a pas connu pareil événement, et ce n'est pas sûr que vos petits enfants en connaissent un pareil !
- Extraordinaire en tous cas !...
- Voilà Kakita Toshimoko ! Tonnerre d'applaudissements de la Grue !... Les Phénix sont consternés de ce subterfuge de dernière minute, les Scorpions meurent de rire en voyant la tête de la malheureuse Hitomi, qui s'y voyait déjà. Les Crabes et les Licornes, pas mécontents que le combat continuent, applaudissent très sportivement l'arrivée du sensei.
- Et voyez un peu la TÊTE que font les Lions !
- Pour le coup, ils seraient prêts à descendre sur le terrain pour tout faire annuler !
- Apparemment, le juge n'émet pas d'objection. Le combat aura bien lieu !
- Nous allons marquer une courte pause, et on se retrouve juste après, pour assister à ce combat qui promet d'être aussi exceptionnel qu'inattendu ! A tout de suite !
La foule innombrable des heimin massée aux abords de la Cité impriale avait attendu plusieurs jours de savoir le nom du nouveau champion d'Emeraude. Sévèrement encadrés par des samurai des légions impériales, ils formaient une mer compacte et bariolée.
Shinjo Kohei, monté sur son destrier, suivi de Riobe qui profitait de ce chemin ouvert devant lui, s'arrêta en arrivant en vue des hauts murs de la Cité où se déroulait le tournoi. Il sortit de sa besace un artefact venu des Sables Brûlants : une longue-vue. Il colla son oeil dessus, et fixa l'horizon.
- Vous voyez quelque chose, Kohei-san ?
- Haha ! dit Kohei, je vois de la fumée blanche sortir de la cheminée ! Ca y'est ! nous avons un champion !
Et déjà, comme un tremblement terre, la nouvelle se répandait de proche en proche, à l'allure du vent. Le peuple acclamait déjà le nouveau champion d'Emeraude, sans même encore connaître son nom.
Kohei-san et Riobe, malgré les autorisations du premier, eurent bien du mal à approcher. Ce n'est qu'au crépuscule qu'ils purent atteindre la grande maison du magistrat Miya Katsu, où les attendaient déjà nos autres héros et toute leur famille. On savait maintenant que Hitomi avait été battue, et que le successeur de Doji Satsume était bel et bien le sensei Kakita Toshimoko !
On disait que l'Impératrice était furieuse, de même que les Lions. En ce premier jour de l'été, il faisait déjà très chaud, et plus chaud encore dans les têtes des samurai de tout l'Empire !
LES SAMURAÏ D'EMERAUDE
Ils étaient tous alignés, dans la gigantesque cour du palais impériale, admirés par les centaines de soldats et surveillés par les statues de milliers d'ancêtres ; impeccables, dans leurs tenues d'Emeraude, à quelques pas seulement de l'entrée de la Cité Interdite. Les couleurs chatoyaient sous la lumière, sur les dalles de marbre, resplendissant sur les hauts et puissants murs millénaires.
Kakita Hiruya était parmi eux, l'un des plus jeunes, tremblant d'admiration, entouré qu'il était des hommes les plus honorables, les plus courageux, les plus nobles et les plus dévoués à l'Empereur. Il était l'un des leurs à présent, un serviteur direct du Fils du Ciel, gardien de la justice éternelle, l'incarnation de l'Ordre Céleste, un membre de l'élite de l'Empire : oui, un magistrat d'Emeraude !
Et cette centaine de samuraï se tenaient parfaitement immobiles comme les statues, alors que le plus grand duelliste que l'Empire ait connu, le maître absolu de l'art du sabre, Kakita Toshimoko, le champion de l'Empereur, passait devant eux, un par un.
Comment ne pas être transporté dans ces moments-là, et sentir que l'on touche le ciel un instant, que l'on s'est élevé si haut dans l'Ordre Céleste que les étoiles sont à portée de mains !
Le Champion d'Emeraude était accompagné d'un dignitaire de la famille Miya, qui lui présentait chacun des magistrats d'une petite phrase.
, Kakita Toshimoko adressait alors un bref signe de salutation, et approuvait ce qu'on lui disait, sans mot dire.
- L'honorable Otomo Keryu, qui a maté voici trois ans une grande révolte paysanne dans le sud, et honore nos temples de plus de 3000 kokus par an.
"L'honorable Matsu Soronote, cousin germain du général Matsu Tsuko, qui a tant fait pour débarrasser nos routes de vastes bandes de pillards. "L'honorable Miya Katsu, qui a déjà déjoué trois complots contre l'Empereur ou sa famille.
C'était le tour de notre Grue maintenant. Il avait 25 ans, et il sentait une grosse boule lui coincer la gorge.
- L'honorable Kakita Hiruya. Il a beaucoup voyagé déjà, et combattu de nombreux ennemis de notre Empereur.
La description que venait de faire le dignitaire était plutôt banale : elle pouvait s'appliquer à la plupart des autres magistrats.
Soudain, Toshimoko marqua l'arrêt, surprenant manifestement le Miya. Il regarda Hiruya dans les yeux, de son regard de feu et de glace.
- Tu es l'élève de Kakita Yobe ?
Toutes les têtes se tournèrent vers notre héros : Toshimoko posait une question !
Hiruya sentit toute sa fierté lui venir à la bouche ; elle lui permit de balbutier :
- Ou... oui, seigneur.
- Bientôt, il rejoindra les rangs des kenshinzen. Toi aussi, suis cette voie.
- Oui, Toshimoko-sama.
Le champion fit un petit sourire, et continua sa marche.
Déjà, le dignitaire avait repris sa récitation.
- L'honorable Shiba Gonjuko...
Hiruya ne se sentait plus de joie !Il aurait pu s'envoler à ce moment-là, ou voir le ciel s'écrouler sur lui, rien ne l'aurait étonné ! Ses voisins le regardèrent tous un moment, fascinés par ce jeune homme qui avait mérité de recevoir une parole d'encouragement du champion à rejoindre la prestigieuse école kenshinzen, autrement dit la crème de la crème des duellistes !
Hiruya resta encore deux longues heures, le temps que la cérémonie se termine, par un retentissant discours du champion, et il flottait sur son petit nuage.
Les invités étaient réunis dans le grand jardin de la propriété de Miya Katsu, sous les ordres de qui Kakita Hiruya se mettrait dans les premiers temps, afin de devenir un parfait magistrat.
Miya Katsu, de réputation, était un fin enquêteur, qui savait flairait les mauvais coups. Il ne procédait pas du tout comme les inquisiteurs Kitsuki, par preuves méthodiques. Il marchait plutôt à l'instinct au flair, comme les chiens de chasse. Il passait pour utiliser des méthodes peu orthodoxes, mais pouvait réussir là où d'autres échouaient à force de suivre aveuglément les prescriptions des codes de lois. On le disait préocuppé depuis de nombreuses années par une sombre affaire, mettant en cause un rônin accusé de crimes graves. On disait que plusieurs fois, il avait été distrait de cette enquête par d'autres obligations plus urgentes. On disait que personne ne souhaitait vraiment le voir poursuivre cette funeste affaire, mais qu'un jour, il ferait toute la lumière dessus.
Pour l'heure, Katsu-sama accueillait ses invités. Il y avait là Kakita Yobe, celui qui avait tout appris à Hiruya, de la vie, de l'art du sabre et de la courtoisie Grue, autant un grand frère qu'un maître. La mère de Hiruya était venue également. Veuve depuis presque aussi longtemps que la naissance de son fils unique, elle sortait pour la première fois de son village depuis bien longtemps.
Hida Shigeru était là, également, accompagné de ses quatre enfants et de sa femme. Depuis qu'il avait eu quelques ennuis sur la Muraille, le Crabe vivait sur les terres de la famille Daidoji, non loin du village natal de Hiruya.
Shinjo Kohei était venu avec son frère aîné Kenzan, son père Shinjo Zenzabûro, seigneur du village du lac aux rives blanches et sa femme, la shugenja Iuchi Shizuka, qui veillait de si près à la santé de son époux en l'envoyant régulièrement en cure thermale !
Isawa Ayame était venue avec sa yojimbo Ikky et la famille de cette dernière, ainsi que quelques membres de sa famille, sans oublier son daimyo, le sévère Isawa Akitoki, qui n'en revenait toujours pas que la brebis galeuse de ses élèves ait réussie à obtenir un poste si prestigieux. Il était en grande discussion avec Mirumoto Akuma, l'orageux daimyo de la vallée d'Heibetsu, très fier de cette jeune bushi, Mirumoto Ryu. Il est vrai qu'Akuma-sama ne connaissait pas Ryu, pas comme le capitaine Taro ou Riobe la connaissaient, et ne découvrait d'elle que les bons côtés.
Il y avait également là, petite surprise pour nos héros, Bayushi Bokkai, rencontré par nos héros à la cour d'hiver
Riobe attendait à l'écart, poliment, car il n'osait pas s'immiscer parmi ces seigneurs. Mais il pouvait observer avec du recul tout le petit manège social de ces grands seigneurs parlant avec forces effets de manche, et admirer la rencontre de gens aussi dissemblables que Yobe-sama et Akuma-sama, ou encore une conversation de pure forme entre Isawa Akitoki-sama et Shinjo Zenzaburo-sama, un maître shugenja Phénix et un seigneur des lointaines plaines Licornes ayant par définition peu à partager !
Hiruya considéra ses nouveaux assistants. Etait-ce bien sérieux de les avoir chois ? Etaient-ils à la hauteur de la tâche surhumaine qui les attendait ? Méritaient-ils bien, par leur naissance et leur bravoure, d'être ses assistants ?
Son ami de longue date, Shinjo Kohei. A moitié gaijin, bon vivant, insouciant, les jambes arquées par le cheval.
Hida Shigeru. Un foudre de guerre, mais sans aucune finesse Grue.
Isawa Ayame, shugenja opiomane, manchot, trop curieuse, désobéissante, attichée d'une yojimbo trop peu douée au sabre.
Un courtisan Scorpion, traîtreux et méchant par définition.
Riobe, un rônin.
Mirumoto Ryu, dont on connaissait les exploits en société.
Pas brillant, tout ça. Il y allait avoir du travail.
Qu'elle était dure, la tâche du vaillant magistrat d'Emeraude, fin duelliste, amateur d'origami, de belles phrases, de sake (consommé avec modération), habitué aux exploits et aux honneurs !
Le soir, il y eut un fantastique et plantureux repas, sous l'hospitalité de Miya Katsu. Hida Shigeru et Shinjo Kohei ne se privèrent pas de profiter de l'excellente nourriture, burent jusque tard, chantèrent le soir, avant de se faire taper par leurs femmes pour aller au lit. Même Bayushi Bokkai avait participé à la bonne humeur du repas, en levant plusieurs fois son verre. Il n'avait même pas empoisonné le sake, ni invité ses amis en habits noirs et semelles de crêpes !
Le lendemain matin, à la première heure, alors que la plupart de nos héros avaient un tetsubo en fer forgé en travers du crâne, tous étaient convoqués par Miya Katsu.
Celui-ci avait à ses côtés l'honorable ambassadeur Ide Tadaji, lui aussi à la cour d'hiver d'Isawa Masanaga, car c'est lui qui avait aidé nos héros à obtenir ce poste.
L'idée de Katsu-sama et Tadaji-sama était de constituer une équipe de samurai représentant tous les clans, afin de symboliser plus que jamais l'union de l'Empire, en ces temps incertains. Seul le clan du Lion avait refusé de jouer le jeu.
Après avoir expliqué à nos héros l'ampleur de leurs nouvelles responsabilités, Miya Katsu leur assigna leur première mission : débarrasser un lointain village d'une bande de dangereux pillards.
C'est ainsi que nos huit samurai quittèrent Otosan Uchi ce matin-là, après avoir dit au revoir à leurs proches, et partirent sur les grandes routes impériales, le
mon d'Emeraude maintenant cousu sur leurs kimonos.
Chemin faisant à travers la riante campagne, nos samurai entreprirent un voyage qui les mena immédiatement au sud de la Chaîne du Toit du Monde, au pied des immenses montagnes.
Des nouvelles circulaient dans l'Empire que Toturi avait regroupé chez les Dragons une importante armée, et se dirigeaient vers le col de Beiden, où nos héros passèrent sans y trouver âme qui vive. On disait que les Crabes au sud étaient de plus en plus agités, et avaient commencé à prendre sous leur "protection" plusieurs territoires au nord des terres des marchands Yasuki. A la cour impériale, l'Alliance Tripartite (Moineau-Renard-Guêpe) avait protesté contre l'avancée piétinante des Crabes, et la menace qu'ils représentaient. Mais les diplomates Hida assuraient sur leur honneur que le Grand Ours n'avait nulle intention belliqueuse en tête, sinon contre les horreurs de l'Outremonde.
La destination de nos héros était le village appelé Mimura, situé à une demi-journée de cheval au sud du château de la famille Miya. (Les Miya sont les diplomates et porte-paroles de l'Empereur, les Seppun étant les gardes du corps et les Otomo les garants de son honneur.)
Nos samurai étaient suivis d'un important convoi, comme il sied à un magistrat impérial en déplacement. Toutefois, Kakita Hiruya avait insisté pour emmener avec lui le minimum d'escorte. Il ne venait pas en visite de prestige, mais pour découvrir et détruire des ennemis du trône d'Emeraude.
Sur son grand destrier de l'Ouest, Shinjo Kohei s'arrêtait parfois pour observer le paysage. Il avait reçu, lors de son retour printanier au dojo Shinjo, un magnifique objet venu des lointaines terres gaijin : c'était cette longue-vue qu'il avait utilisée pour observer la foule des heimin, à Otosan Uchi.
Isawa Ayame demanda si c'était magique, et Riobe dit qu'en tous cas, cela aurait un grand intérêt stratégique pendant une bataille, pour observer l'ennemi.
- Nous ne devrions plus être loin de Mimura, dit Bayushi Bokkai, qui connaissait la région, car on était sur les terres de son clan.
- Voyons cela, dit Kohei en regardant dans sa lunette.
Il observa la campagne vallonnée qui ondulait devant lui, sous le grand soleil d'été,
- Ca alors... dit-il soudain. Incroyable !
- Qui y a t-il, Kohei-san ? demanda Hiruya.
- Regarde plutôt ! c'est incroyable vraiment !
Le magistrat prit l'artefact, et observa à son tour.
- Ah oui ! incroyable !
Il tendit la lunette à Bokkai, qui se dit aussi stupéfait après avoir regardé ; Bokkai la passa à Shigeru, qui la donna à Ikky ; Ryu l'eut ensuite, puis Riobe.
Tous s'exclamaient pareillement : "Oh oui ! incroyable ! mais qu'est-ce que c'est que ça ?!! "
Seule Ayame boudait : on avait oublié de lui passer la lunette. Charitablement, Ikky tint l'objet devant l'oeil d'Ayame, qui put ainsi l'observer en le tenant de sa main.
Ce qu'elle vit -elle qui en avait pourtant vu d'autres, et des pas mûres !- la stupéfia aussi :
Au sommet d'une colline, marchant à grands pas, allégrement, presque comme s'il dansait, avançait un gros panda habillé en samurai ! Il mesurait la taille d'un humain et ne portait aucun signe de clan. Un samurai rônin panda !
- Il se dirige vers le village, dit Ayame.
- Alors, nous aurons donc l'occasion de parler à cette créature, dit Hiruya. En avant !
Journal de l'abbé Agatamori, chef de la communauté monastique de Mimura
Rouleau 1
C'est aujourd'hui mon 41e anniversaire. Le printemps fleurit déjà, précocement. Puisse Dame Soleil protéger, en cette année 1117, son divin fils, l'Empereur Hantei XXVIII, les familles impériales et tous les samuraï de Rokugan.
Jusqu'à hier, je me nommais Doji Agatamori. Depuis vingt ans, j'étais connu dans mon clan pour être un bon courtisan, un intrigant à ses heures, et parmi mes amis, j'avais la réputation d'être prêt à tout sacrifier pour l'amour d'une geisha, et d'être souvent l'ami de l'épouse des autres. J'ai vu avec tristesse la Cité des Apparences tomber aux mains de nos ennemis du Lion, emmenés par la famille Akodo. J'ai entendu parler de grandes festivités cette année pour l'anniversaire de notre Empereur, et j'ai entendu que son vieil ami, le seigneur Bayushi Shoju-sama, daimyo des Scorpions, allait être invité lui aussi.
J'ai la chance d'avoir échangé quelques mots il y a peu avec Doji Satsume-sama, notre Champion d'Emeraude.
Mais aujourd'hui, je dois tourner le dos à cette vie de guerre, de cour et d'intrigues. J'ai rasé ma tête, et sans regret, j'ai quitté la terre de mes Ancêtres, ainsi que les jeunes samuraï sous mon commandement. Il est temps pour moi de penser à ma prochaine vie. Je crois avoir été honorable dans celle-là, du moins autant que l'ont permis nos ennemis si impitoyables.
Je vais rejoindre la communauté des moines du lointain village de Mimura, aux confins des terres du château de la famille Miya, de celles du clan du Renard et de la profonde forêt Shinomen.
C'est là-bas que je veux terminer paisiblement ma vie, avec des hommes assagis, ayant bien vécu et laissant derrière eux les tumultes de l'âge du guerrier.
...
Rouleau 43
En ce premier jour du printemps 1127, je me souviens que cela fait maintenant dix ans que je suis arrivé à Mimura. J'étais alors le plus jeune moine de la communauté ; j'en suis maintenant le doyen.
L'Empire a bien changé durant ces années, bien plus que pendant la vie de dix de nos ancêtres. Le jeune Empereur Hantei XXXIX n'est pas entouré d'aussi nobles conseillers que son père. Pour la première fois, son épouse vient du clan du Scorpion, et c'est la propre femme de l'assassin de l'Empereur !
Au sud, la guerre menace, tandis que le Grand Ours gronde de plus en plus fort, et se gausse tout haut du jeune homme assis sur le trône d'Emeraude. On dit que près d'ici, dans la forêt Shinomen, un ancien peuple se réveille après un sommeil de mille ans. Les prophéties nous disent que l'Empereur céleste pourrait se transformer en Roi-Démon, achevant un immense cycle qui précipitera la fin de ce monde.
Nos anciens ennemis Akodo ont déchu, et maintenant, les samurai sans clan sont plus nombreux que jamais sur les routes de notre Empire. La plupart deviennent les bandits et les pillards qu'ils devaient combattre auparavant.
Qui nous rendra donc la sénénité des anciens temps, et nous préservera des malheur de ce monde évanescent ?
...
Rouleau 45
Alors que nous arrivons au milieu de l'été, en ce mois du Cheval, je suis encore confus par ce qui s'est passé, il y a de cela deux semaines. Comme je l'ai raconté, nous étions menacés par de dangereux maraudeurs, brûlant et pillant les villages de la région. Hélas, nos paysans ne savent pas se battre, et nous ne pouvons compter que sur de maigres troupes d'ashigaru, venues soit de Kyuden Miya, ou des sombres Shiro de la famille Bayushi.
Qui plus est, un de nos shugenja avait découvert des traces de souillure chez l'un des pillards que nous avons réussi à abattre. Et certains disent apercevoir certaines nuits un démon marchant sur le pont du village.
Le seigneur Ekkaido, longtemps sourd à mes appels, a fini par accepter de prendre des mesures. Il faut bien dire que c'est dans un de ses rares moments de lucidité, quand les démons de l'alcool le laissent en paix, qu'il a voulu entendre ce que j'avais à lui dire, au sujet de la ville dont il a la charge !
Ekkaido-sama a donc fait partir un messager à destination de Kyuden Miya. Moins de vingt jours après, la magistrature d'Emeraude arrivait à notre village, en la personne de l'honorable Kakita Hiruya-sama, et de ses sept assistants.
J'ai été étonné de constater qu'ils viennent de tous les clans majeurs, à l'exception du clan du Lion. C'est l'honorable Miya Katsu, qui fut plusieurs fois mon hôte, ici à Mimura, qui a envoyé ces courageux samurai.
Ils ont eu fort à faire pour combattre les maho-tsukai de la région.
Le jour où ils sont arrivés, le lunatique samuraï-panda était parti se promener dans les collines environnantes. Il était le plus souvent triste, morose, ce samuraï, ruminant la malédiction lancée contre lui, et parfois, comme c'était le cas ce jour-là, gai comme un pinson.
C'est donc lui que nos héros virent en premier en arrivant dans notre village. Ils furent plus étonnés encore de voir combien nos heimin acceptaient bien la présence de ce guerrier insolite parmi eux. Le demi-peuple admet volontiers que bien des choses le dépasse, et c'est là une attitude fort sage.
Je ne sais si cela tient au samurai-panda, à ces magistrats honorables, ou à la rencontre des deux, mais il me semble qu'un vent de folie a soufflé sur notre village pendant quelques jours.
Pendant que Hiruya-sama était en visite auprès d'Ekkaido-sama et des autres seigneurs de la région, ses assistants ont commencé leur enquête sur les menaces qui pesaient sur nous.
Elle est arrivée le deuxième jour au temple, alors que mes moines finissaient de couper le bois, et que je transcrivais plusieurs parchemins de sagesse ancienne. Elle se nommait Isawa Ayame. Elle pouvait avoir passé la vingtaine d'années. Elle avait perdu son bras gauche, je ne sais comment. J'ai tout de suite vu briller dans ses yeux une lueur que j'avais déjà vue chez certains. La lueur de la volonté implacable.
Elle est venue cette première fois, étudier nos parchemins, bien poliment, doucement. Elle est revenue les autres jours,
tous les autres jours, chercher dans notre bibliothèque : elle s'y sentait déjà comme chez elle. C'est à peine si elle saluait nos moines. J'ai déjà vu des courtisans, dépendant à l'opium, se précipiter chez eux pour consommer de suite une pipe. A peu de choses près, Ayame-san était aussi dépendant qu'eux, mais aux bibliothèques.
Du reste, elle était également dépendante à l'opium -et cela va avoir de l'importance dans la suite des évènements.
Ayame rendit visite au vieux Yoson, devenu doyen du village à l'âge canonique de 81 ans. C'est l'un des fils de l'Oja-san [grand-père] qui avait vu le démon marcher sur le pont. Et il y a de cela soixante ans, Yoson avait assisté au combat de courageux samurai contre un horrible démon. Yoson pressentait que le démon était de retour, invoqué à nouveau par quelque maléfique shugenja. La shugenja Isawa parla aussi à Sayako, la patronne de la Cheminée du Biwa. C'était son fils qui gardait les abords de la rivière la nuit, et il s'était noyé. D'après ce qu'on m'a rapporté, elle avait fondu en larmes en parlant à Ayame-san, car elle jurait sur tous ses ancêtres que son fils était bien mort emporté par le démon, et pas en tombant dans la rivière à cause du sake, comme on l'en avait accusé.
C'est le troisième jour que les bandits passèrent à l'attaque. Les samurai d'Emeraude étaient là pour les recevoir. Le samurai Bayushi Bokkai frappa comme l'éclair (je connaissais bien les techniques viles de son clan ; il ne semblait pas trop en abuser ; il frappa à la cuisse des bandits, mais pas dans le dos). Mirumoto Ryu fut prise à partie par un terrible bandit, qui nous avait défiés plusieurs fois : Yoshinao. Il avait développé ses propres techniques de combat : en observant la garde d'un ennemi, il devenait capable de parer presque toutes ses attaques. Malgré l'attaque conjuguée de ses deux armes, Ryu-san ne fut pas capable de le vaincre. Yoshinao s'enfuit alors que le Crabe Hida Shigeru mettait en déroute ses complices.
Ceux-ci osèrent même profaner le temple, alors qu'Ayame-san s'y trouvait. Heureusement, sa yojimbo Shiba Ikky, bientôt aidée du rônin Riobe et de Mirumoto Ryu-san mirent en fuite les agresseurs.
Kakita Hiruya-sama, accompagné de son assistant Shinjo Kohei, revint peu après. Comme il devait repartir bientôt, il ordonna à ses assistants de préparer la défense du village contre de nouvelles attaques. Le lendemain, le magistrat partait chercher des renforts sur les terres du Scorpions, à proximité.
Pendant ce temps, Ayame-san se renseigna sur le samurai-panda. Elle apprit des paysans ce que nous savions, c'est à dire peu de choses : qu'il était arrivé ici il y a un mois, qu'il était victime d'une malédiction, qu'il cherchait dans la région celui qui lui avait jeté ce sort -en espérant trouver le moyen de l'inverser.
Il était grand, et bien enveloppé, ce panda. Il avait ses yeux tristes qui en disaient long sur son desespoir. Il avait sans doute été chassé de son clan, après avoir subi une malédiction si gênante.
Ayame-san parla également à Mirumoto Saito, la descendante de la samurai qui, il y a 60 ans, avait combattu le démon qui voulait détruire ce beau village.
Pendant ce temps, Hida Shigeru préparait la défense de Mimura avec l'aide du rônin Riobe. Je soupçonne ce dernier d'avoir été un tacticien en herbe avant de déchoir. Tous les deux, ils apprirent aux paysans quelques rudiments de maniement des armes à nos paysans.
Il fallait être prêt à combattre l'ennemi quand il reviendrait, et nous avions remarqué que les attaques se faisaient selon les cycles de la lune -sans doute un rituel sanglant pour ses pillards propagateurs de souillure !
Rouleau 46
J'ai entendu pendant ces quelques jours une vilaine rumeur, répandue par quelques-uns de nos paysans. Lors de l'attaque des bandits, les courageux magistrats avaient capturé deux des criminels pour les interroger. Bayushi Bokkai en particulier semblait (qui s'en étonnerait ?) apte à faire parler les gens. Lui assisté de Mirumoto Ryu et Isawa Ayame avaient donc commencé à mettre les fers sur la braise pour délier les langues trop entortillées. Il fallait que cette canaille qui avait pu les pousser à attaquer notre pacifique village.
Au bout d'un moment, il fallut en venir aux plus vilaines méthodes, de celles que seuls pratiquent les Scorpions. Assisté de deux etas, Bokkai-san a donc dû forcer quelque peu la confession des criminels.
Là n'est pas le plus grave. Le monde est ainsi fait qu'il faut parfois un grand mal pour faire parler les mauvaises gens.
Non, en revanche j'ai été choqué par les rumeurs que propageaient l'un des assistants, un eta -ce qui en dit long sur la fiabilité de son témoignage. Il disait, sans rire,
que Mirumoto Ryu s'était proposée de séduire un des accusés !!
Mais il aurait fallu quelqu'un d'incommensurablement plus honorable qu'un interrogateur eta pour me convaincre d'une pareille énormité ! Par Benten, Ryu-san est aussi belle qu'une femme a le droit de l'être (moi-même, si j'avais dix ans de moins...), et je ne vois pas comment elle imaginerait seulement avoir commerce avec la plus basse engeance de la terre, alors qu'elle pourrait rendre fou d'amour nos plus beaux courtisans ! Comment serait-ce possible ! Et qui plus est, par dessus le marché, devant un Scorpion ! Qui serait assez fou pour ça ?
(Toutefois, je dois noter que ces derniers jours, Bokkai-san et Ayame-san m'ont paru fâché contre Ryu-san, mais je peux me tromper.)
Les paysans, qui ont décidément les yeux et les oreilles partout, me rapportent une anecdote amusante (Décidément, c'est un grain de folie qui a dû faire germer ce village, et on y trouve pas précisément la tranquillité sereine des provinces reculées...). C'était le jour où le magistrat Hiruya-sama était de retour au village, entre deux voyages dans la région.
Pour une raison que j'ignore, Ryu-san et Ayame-san s'étaient entretenues seule à seule, et Ryu-san en était ressorti rouge et la tête basse, comme si elle venait de se faire fortement réprimander.
Pendant ce temps, à l'auberge du Voyageur Repu, le plantureux Hida Shigeru, encouragé par le rônin Riobe, avait engagé un concours de nourriture contre le samuraï-panda. Les participants avalaient à une cadence infernale les bols de riz, pendant que l'aubergiste et sa femme s'activaient pour faire cuire la nourriture et l'amener aux mangeurs.
Mais à 1 contre 2, Panda-san était encore en tête. Arriva à ce moment entra Shinjo Kohei, impatient de se reposer des fatigues de son voyage dans la région avec Kakita Hiruya.
- Kohei-sama, dit Riobe, venez-nous aider. Il a 5 bols d'avance, on peut encore le rattraper !
Aussitôt, le Licorne se joignit à la partie, et l'équipe des trois samuraï commença à combler son retard. Panda-san n'avait plus qu'une maigre avance, quand Hiruya-sama fit son entrée dans l'auberge, l'air très fâché :
- Kohei-san, trouve-moi Ryu. Tout de suite !
Ni une ni deux, le Licorne dut lâcher son bol, et s'enquérir de l'enquêtrice Dragon. (Qu'avait-elle donc pu faire de si grave ? ce n'était quand même pas vrai cette histoire de séduction ?? je n'ai jamais su le fin mot de l'histoire...).
Réduite à deux membres, l'équipe d'emeraude ne put vaincre Panda-san, dont l'estomac était sans doute connecté à une autre galaxie.
- Il a dix bols d'avance ! gémit Riobe, à bout de force.
Shigeru-san avait aussi la panse prête à éclater. Ils posèrent leur baguette, vaincus.
Panda-san poussa alors un joyeux et énorme rot de victoire, qui fit trembler toutes les bâtisses alentours.
C'est deux jours après qu'Ayame-san décida d'avoir une conversation avec notre Panda. Elle avait parlé avec Mirumoto Saito, qui vivait au village, conformément à la volonté des ancêtres, en attendant d'avoir à combattre le démon qui nous menaçait.
Instruite par la discussion, Ayame-san eut la chance de trouver devant la porte le grand et gros samuraï-panda, qui l'attendait. De tout son poids, il se mit lentement à genoux devant elle et baissa la tête. Il attendait tellement d'elle ! Muet, il ne pouvait répondre que par des hochements de tête approbateurs ou non, et il remercia vivement la shugenja quand celle-ci promit de le délivrer de son sortilège.