[Récit de partie][Spoilers] La Cinquième Réincarnation

Ce Forum est dédié à être un recueil pour les histoires que les Forumistes rédigent dans le monde de L5R.

Modérateurs : Magistrats de Jade, Historiens de la Shinri

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 11:36

[lecture]

...

De nos jours, Aojiroi Oku Toshi (la Cité du Chêne Pale) est une bourgade de 100.000 habitants, qui réussit cet exploit d’être à la fois paisible et prospère. Bien sûr, les gens de la mégalopole sur la côte nous trouvent un peu provinciaux, parce que nous vivons à l’écart de leur agitation démente, nous qui sommes si tranquilles au pied des montagnes. Je suis fier de vivre dans cette belle région où l’on respire un air pur, alors que ces citadins passent chaque jour des heures dans leurs transports congestionnés, et travaillent comme des fourmis pour leurs patrons de multinationales, dans des bureaux anonymes.
Vous êtes déjà allé à Otosan Uchi, au début de l’automne, quand tout le monde rentre de vacances et qu’il pleut sans arrêt ? Vous avez déjà pris le train régional super-expres qui relie la capitale à Mizu Mura ?… Super-express, mon œil ! D’abord, il ne dépasse jamais le 100 kilomètre/heure, ce train, et en plus, les cheminots font tout le temps grève.
Tout ça à cause de ces maudits syndicats qui passent leur temps à empêcher les honnêtes gens de travailler.
Tandis que si vous venez à toute période de l’année chez nous, à la Cité du Chêne Pale, vous trouverez l’air pur, le calme d’une région magnifique, et dans mon parc d’attraction, vous pourrez vous détendre le week-end en famille, grâce à un forfait spécialement conçu pour…
scratch scratch Je suis fier de vivre dans cette belle scratch - rewind – rewind –rewind – De nos jours, Aojiroi…

…rewind – rewind – rewind – rewind…


Les actualités nationales -et en couleur- du glorieux Empire d’Emeraude !
Du soleil levant au soleil couchant, un seul Empire et un seul peuple unis pour la gloire du Ciel !

Notre glorieux Empereur Toturi 26 a ordonné le retrait des cohortes de la légion impériale de la Cité du Chêne Pale, suite à la reddition du daimyo des lieux, Isawa Achiko. Le séditieux vassal impérial a enfin reconnu sa félonie, et s’apprête à subir les conséquences de ses actes. Ce soir, le drapeau impérial flotte à nouveau sur la Cité des Phénix. scratch
C’est à 17h00 précisément qu’a eu lieu la reddition des rebelles, après un assaut massif de nos glorieuses divisions aéroportées sur les points stratégiques de la ville. scratch Le calme est revenu dans la ville dès l’entrée de nos divisions blindées, saluées par une foule en liesse, qui déjà conspue son ancien tyran. Le peuple, saigné à vif par l’infâme Achiko, n’aspire maintenant qu’à …scratch

…rewind – rewind – rewind – rewind…


- Et moi, Shiba Tokisho, bourgmestre de la cité libre du Chêne Pale, j’affirme que nous serons au premier rang de l’industrialisation dans laquelle s’engage notre pays, depuis que notre divin Empereur a prononcé notre entrée dans le monde moderne, synonyme de progrès, de vie meilleure, de projets grandioses et d’accomplissements encore inimaginables il y a 50 ans. Déjà, la compagnie des chemins de fer à vapeur de l’Ouest inaugurera dans un mois la première grande ligne transcontinentale qui passera par notre Cité, et dans moins d’une semaine, notre grand explorateur Shiba Hito partira pour son grand voyage dans sa montgolfière aux couleurs du Chêne Pale, et à ce moment là, alors enfin, nous aurons prouvé…

…rewind – rewind – rewind – rewind…rewind – rewind – rewind – rewind…



- Planquez-vous ! Voilà Hitomi ! Elle est poursuivie par Yakamo-san ! Elle va encore raser la moitié de la ville !
- Non, heureusement, car notre futur Empereur, Hida Kisada, sera bientôt…
- Kisada, le Grand Ours, Empereur ? ? Mort au traître ! Vive la Cité du Chêne Pale !
- Planquez-vous ! Voilà Hitomi, et elle a l’air en furie !

…rewind – rewind …

- Docteur Kameko, docteur Munetaka, je vous demande de bien vouloir soigner cet homme, et de ne pas en parler à mes autres invités pour le moment…

…rewind – rewind…



CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 9e Episode
Mois du Rat (début de l'hiver)

PROLOGUE

Les rayons caressant de Dame Soleil baignaient la chambre d'Isawa Ayame et Shiba Ikky. Ce soleil d'hiver dorait toute la cité côtière de Morikage Toshi [la Cité de la Forêt des Ombres], tandis que l'océan, insatiable, continuait à ronfler et à mugir, et que ses vagues, inlassablement, venaient se briser contre les falaises et les ronger un peu plus.
Le sentiment de l'affreuse nuit qu'elle venait de vivre étreignit les deux Phénix dès leur réveil. Mais cette fois, elles sentirent qu'elles s'étaient éveillées dans le monde qu'elles connaissaient habituellement. C'en était fini des hallucinations et des cauchemars affolants. Il était temps de chasser ces vilaines impressions, malgré leur permanence dans la mémoire.

Pendant la collation du matin, Shiba Tadamischi, magistrat de la Cité, s'enquit de savoir si la nuit s'était bien passée. Mirumoto Ryu, qui avait été invitée au palais essaya poliment d'assurer que la nuit avait été bonne, mais ses intonations disaient tout le contraire. Avant le repas, Ayame s'était assurée auprès d'Ikky qu'elle n'était pas seule à avoir vécu ce sommeil terrorisant.
- Je ne crois pas avoir mieux dormi que vous, Ayame-san, dit la yojimbo, fatiguée comme si elle terminait une éprouvante journée.

Le repas terminé, Tadamischi-sama dit qu'une lettre venait d'arriver pour les deux Phénix et Ryu-san, lettre écrite de la main de Shiba Mario-Kart scratch Shiba Carioca scratch de - de - de - erase & rewind de la main de Shiba Morioka, daimyo de la Cité de l'Or Bleu, une petite bourgade au nord sur la côte, non loin de Morikage Toshi.
En substance, Morioka-sama requérait la venue d'Isawa Ayame et Mirumoto Ryu pour une affaire importante, dont s'occupait actuellement l'honorable Kakita Hiruya.
Ayame-san hésita un instant, car elle s'était vu confier par Akitoki-sama la mission d'escorter Ide Soshu et Shinjo Kohei jusqu'à la bibliothèque de Morikage Toshi, à la sortie de la ville. Ikky-san se proposa alors de conduire les deux Licornes, pendant qu'Ayame pourrait répondre à l'appel de Hiruya, accompagnée de Ryu.
Réglée ainsi, les choses parurent convenables, et les deux samurai-ko firent préparer leurs affaires pour partir dès que possible.
Ayame-san portée en palanquin, Ryu-san à ses côtés à dos de poney, le voyage se passa sans encombre, le long des côtes battues par les vents, à travers une campagne presque déserte, sauvage. En fin de journée, les deux femmes arrivèrent à la Cité de l'Or Bleu et allèrent aussitôt se présenter à Shiba Morioka pour s'informer de l'appel de Kakita Hiruya.
Le magistrat et le Grue mirent au courant les deux femmes de ce qui se passait dans la région, et de la manière dont Hiruya et les deux rônins, avaient poursuivi leurs recherches, depuis qu'ils s'étaient séparé à la sortie de Morikage.

:samurai:

Or donc, Kakita Hiruya, Riobe et Sotan étaient partis le long de la côte, en direction du nord.
Dans un petit village côtier, Riobe rencontra un vieux maître de go, à l'auberge et disputa contre lui quelques parties. Riobe, après des échanges de coups très serrés et mûrement réfléchis, finit par prendre un léger avantage. Il sentait pourtant que le senseï était trop sûr de lui. Cette facilité apparente ne cachait-elle pas un piège ? Un sixième sens murmurait à Riobe de ne pas se jeter à l'aveugle dans une attaque. Pourtant, le rônin ne voyait pas ce qui pourrait le piéger. Il joua donc le coup qui lui assurait soudain un gros avantage.
Le vieux senseï sourit : il attendait bien du jeune guerrier qu'il jouât ce coup. Trop évident, trop tentant.
Soudain, en quelques coups, le sensei renversa la situation, et accula les pions de Riobe à la défaite.
- Il y a longtemps, dit le vieux maître, notre armée fut dans cette situation. Elle voyait une brèche dans l'armée adverse, par laquelle s'engouffrer et obtenir une facile et écrasante victoire. Le général donna l'ordre de l'assaut, et après avoir percé la défense adverse, nous tombâmes dans un piège et nous connûmes la défaite. Aujourd'hui, tu viens de commettre la même erreur. Tu étais trop pressé de gagner.
Le vieux joueur de go souriait sans malice.
Riobe s'inclina et quitta l'auberge. Il avait compris la leçon.

Plus tard, les trois samuraï arrivèrent à la Cité de l'Or Bleu, ainsi dénommée en hommage à l'océan nourricier où les pécheurs allaient trouver le poisson qui nourrissait tout le monde alentours. Ils furent reçus par le magistrat Shiba Morioka, qui écouta ce que Kakita Hiruya avait à lui dire, concernant Hiro, criminel ayant sévi à la Grenouille Riche et à Heibetsu. Le magistrat accepta d'aider les bushis à trouver ce criminel qui comptait fuir par la côte. Les deux rônins s'adressèrent au dénommé Hiroshi, rônin lui aussi, qui servait d'interlocuteur à Morioka-sama dans la ville. Hiroshi indiqua la localisation de la masure de Gempachi, ce passeur dont Hiruya avait entendu parler dans les montagnes du Dragon. Si quelqu'un pouvait faire partir quelqu'un par l'océan discrètement, c'était lui.
8e Récit a écrit :Un des complices [des kidnappeurs] avaient indiqué que Hiro rejoindrait la côte, puis tenterait de partir en mer grâce à un passeur clandestin nommé Gempachi.
Nos héros trouvèrent sans mal l'endroit où vivait ce Gempachi. C'était dans une masure, au bord d'une falaise. Celle-ci surplombait magistralement l'océan houleux, soulevé par des forces surpuissantes en vagues qui roulaient sans contrainte vers la côte et s'y écrasaient de toutes leurs forces.
Une côte sauvage, d'herbes hautes, battue par les vents. Un endroit à l'écart de la Cité, peu surveillé par les yorikis, idéal pour faire passer des marchandises, et des hommes.
Gempachi se montra aimable, mais n'eut que peu de choses à raconter. Il refusa poliment de laisser les samuraï pénétrer chez lui. Il disait qu'il ne valait mieux pas, et d'ailleurs, les bushis remarquèrent qu'une cloture peinte en rouge vif cernait toute la maison.
Que redoutait donc ce Gempachi ?

Mais l'investigation de nos héros fut interrompue. Le soir tombait, et en rentrant le soir à la Cité de l'Or Bleu, tandis que Sotan passait une nuit de sommeil reposant, Hiruya-san et Riobe voyait leur sommeil et leurs rêves possédés soudain par l'entité la plus noire, la plus dangereuse et la plus vieille de Rokugan... Et au sein de leurs cauchemars bien réels, ils combattaient des monstres informes, échappés des royaumes de la terreur puis retrouvaient Ayame-san et les autres, jusqu'au bout de la nuit...


Le démon de la côte

Le lendemain de l'arrivée d'Ayame-san et Ryu-san à la Cité de l'Or Bleu, Hiruya-san, avec les deux rônins Riobe et Sotan, retournèrent avec elles à la masure de Gempachi. Cette fois, la shugenja Isawa allait voir par elle-même ce qui se passait avec cette maison.
Gempachi ne désirait pas faire entrer les visiteurs. Il se montrait très prudent devant tant de nobles guerriers.
Lors de leur précédente visite, et après enquête à la Cité, nos héros avaient entendu que Gempachi avait tué plusieurs personnes, mais il avait toujours nié avoir accompli cet acte volontairement. Il s'était réveillé, et avait vu les trois cadavres, et du sang partout dans sa masure. Il se pensait le jouet d'un démon. Mirumoto Ryu inspectait déjà de très près la barrière rouge, mais sans y trouver inscrits de signes cabalistiques ou autres glyphes.
Le malheureux Gempachi devait bien avouer devant Ayame-san qu'il redoutait une force telle qu'un oni, qui avait pu le pousser au meurtre, mais il ne pouvait pas l'affirmer.
Sotan le rônin s'impatientait, car, dans son clan, il avait appris à ne rien laisser au hasard quant à tout ce qui pouvait toucher à l'Outremonde. C'était de la dernière imprudence de la part de Gempachi de ne pas avoir auparavant fait appel à des shugenja, pour purifier sa demeure de toute présence infâme. Il avait fallu cette histoire de passeurs clandestins pour qu'il doive avouer qu'un monstre secret le hantait à son insu !

Gempachi avait beau demandé aux samuraï de ne pas passer la barrière de sa maison, nos héros n'allaient pas s'arrêter là cette fois. A ce moment, Ryu-san fit une allusion assez peu allusive, à l'ombre et aux deux criminels Hiro et Nahoko, qui plongea tout le monde dans l'embarras -sauf Sotan, qui ne savait pas de quoi il s'agissait. Gempachi en devint tremblant et terriblement gêné.
- L'ombre ? Sans doute un nom que les Dragons utilisent pour désigner les mauvais esprits, je me trompe Ryu-san ? dit Sotan.
Tout le monde s'empressa de confirmer : oui, oui, chaque clan a ses particularismes régionaux. Sotan fut rassuré. Chacun ravala sa gêne, mais Gempachi ne se sentait pas mieux. Il ne put empêcher nos héros de pénétrer dans son petit domaine, derrière la barrière rouge...
Hiruya-san fut le premier à passer, suivi de Sotan, tetsubo à la main, puis d'Ayame-san.
Soudain affolé, Gempachi courut se réfugier à l'intérieur de sa demeure, et se mit à trembler très fort, comme en proie à la fièvre. Sotan avait déjà vu des cas semblables sur ces terres, et il se méfiait de plus en plus, prêt qu'il était à assommer Gempachi d'un bon coup de tetsubo...
Soudain, une éblouissante lumière se fit, tandis que Gempachi se tordait de douleur et gémissait.
Quand la lumière redevint normale, nos héros virent devant eux, près du rônin, un monstre hideux, grand comme un homme, une tête d'animal comme un cochon ou un bouc, de grandes cornes, un corps aux muscles puissants, et deux lames en feu dans ses mains. Un être monstrueux qui insinua une peur ignoble chez Ayame-san, Ryu-san et même Sotan, ce dernier étant pourtant "habitué" si l'on peut dire, aux horreurs de l'Outremonde...
Sans hésitation, Hiruya-san, Riobe et Sotan se lancèrent à l'assaut contre cette horreur. Ils auraient dû en venir à bout rapidement, mais une puissance surnaturelle animait ce monstre. Il semblait que katanas et tetsubo heurtaient le cuir de la bête en rebondissant dessus, sans provoquer de lésion.
Soudain, Hiruya-san se jeta hors du combat. Deux personnes venaient de rentrer dans la cabane, dont la vue stupéfia la shugenja Ayame : Hiro et Nahoko en personne !
Déjà, Hiruya était sur eux et abattait Hiro.

Contre le monstre, après plusieurs échanges furieux de coups de tetsubos et de katanas, Ryu et Sotan furent blessés par les attaques fulgurantes du monstre, qui frappait de ses deux lames incandescentes, puis Riobe parvint à entamer la bête, dont la blessure se referma presque intégralement. La bête réagit violemment en se lançant avec une fureur aveugle sur notre rônin, qui subit un coup de la lame enflammée. Ryu-san l'entailla encore, mais le monstre tenait bon.
Puis, aussi prestement qu'il était parti, Hiruya se retourna et repartit à l'assaut contre le démon. Il n'était que temps, car bientôt Ryu-san et les deux rônins auraient été hors combat, face à un monstre qui ne faiblissait pas. !
Hiruya abattit le tranchant de sa lame sur le monstre, qui fléchit, mis un genoux à terre ; Riobe porta le coup final.
La bête agonisa rapidement, en quelques gargouillis répugnants puis cessa de remuer.

:samurai:

Ayame avait dégainé son wakisashi, juste avant que, furieuse, Nahoko la traîtresse ne se jette sur elle, katana à la main. Brillamment, avec une vigueur inattendue de la part de la paisible shugenja, Ayame dévia le coup. Pendant que les samourai achevaient le monstre, Nahoko commença à invoquer les kami nécessaires au déclenchement du sort terrifiant appelé "Coeur de l'Enfer", celui-là même qui avait embrasé les deux temples des oiseaux à Heibetsu. Des flammes commençaient à se former autour des poings de la shugenja, possédée par une colère ardente. Hiruya et Ryu se jetèrent sur elle, et l'instant avant que la fureur des kami du feu ne se déclenche, le sabre de Hiruya frappa Nahoko ; hors de combat, celle-ci vit Ryu-san lever son sabre et l'abattre. Ayame-san n'eut pas le temps de crier pour l'en empêcher.
La shugenja poussa un soupir de découragement et de regret. C'était trop bête de l'avoir achevée... Néanmoins, elle se contint et ne fit aucune remarque.
Elle examina Nahoko, car elle peinait à croire que son ennemie était morte pour de bon. Il lui semblait pourtant que c'était bien elle.

Le pauvre Gempachi s'était évanoui, vaincu par la douleur. Mais il était maintenant libre du démon qui le possédait. Sans doute ce dernier allait-il séjourner pour quelques siècles dans un autre monde, avant de revenir dans Ningen-do [le monde des vivants].
Revenu à lui, Gempachi se prosterna le front contre terre, incapable d'exprimer sa gratitude. Il n'avait aucun moyen de rendre le bienfait que venaient de lui faire les samuraï. Il vit Sotan et Riobe blessés, et leur proposa l'hospitalité pour le temps qu'ils voudraient. Affaibli, Gempachi ne tarda pas à sombrer à nouveau dans l'inconscience. Sotan le porterait jusqu'à la Cité, pour que le magistrat Shiba Morioka puisse l'interroger.

:samurai:

Avant de partir, Hiruya, Ryu et Riobe inspectèrent un passage dissimulé sous le sol, dont Riobe soupçonnait l'existence depuis sa venue. La trappe menait à un tunnel creusé dans la falaise, qui descendait lui-même vers en pente raide. En bas, dans une petite crique de galets, se balançait, au rythme de l'eau, le bateau de Gempachi, dans le vent sifflant. Malgré une fouille approfondie menée par Ryu, les samuraï n'y trouvèrent rien d'intéressant. Il était temps d'aller rendre compte des évènements à Shiba Morioka.

Après être repassés à la Cité de l'Or Bleu, nos samuraï laissèrent les trois rônins ensemble, qui retournèrent dans la maison sur la côte. Grâce à l'accueil de Gempachi, Sotan et Riobe pourraient manger chaque jour du produit de la pêche. Sotan voulait retourner dans son clan, maintenant que Nahoko, celle qui avait causé sa perte, était morte. Peut-être aurait-il le droit d'y pratiquer le seppuku. Peut-être se verrait-il envoyé en première ligne sur la muraille Kaiu.
Riobe aussi avait un long voyage à accomplir : jusqu'aux montagnes du Dragon, pour rendre compte de la mort de Hiro auprès de Taro-san, puis à la Grenouille Riche, pour y recevoir le paiement de ses efforts.
Mais l'hiver n'était pas la saison pour entreprendre un tel voyage. Au printemps, Sotan et Riobe repartiraient sur les routes, inquiets pour leur honneur, chacun d'une façon bien différente.

Pendant que les rônins s'installaient dans la maison, Hiruya, Ayame et Ryu repartaient à la Cité de la Forêt des Ombres, où le magistrat Shiba Tadamischi écouta le récit de leurs histoires. Puis ils retrouvèrent Ide Soshu, Shinjo Kohei et Shiba Ikky.
Isawa Ayame, appelée de nouveau par le besoin d'opium, passa la nuit au Pays des Merveilles, dans l'atmosphère malsaine, pesante, de ce lieu sans honneur. Le lendemain matin, la brave Ikky-san attendait devant la porte la sortie de la shugenja ; les deux femmes rejoignirent les autres samuraï, prêts déjà à la première heure, et tous se mirent en route pour la Cité du Chêne Pale.
Le voyage fut paisible, car ce fut l'époque de la fête du courroux de la lune, période de trois jours pendant lesquelles il est interdit de prononcer la moindre parole, sous peine de facher Onnotangu.
Quand nos héros arrivèrent dans le domaine de Masanaga-sama, le jour annuel de remboursement des dettes venait de passer. Le mois du Rat était maintenant entamé, et l'an 1126 du règne de la dynastie Hantei vivait ses dernières semaines.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 16:03

:samurai:



[lecture]

-des Dragons pour la méditat-

<<<< rewind...

Soyez le bienvenu, honorable Suzume Yugok-

<<<< rewind - rewind - rewind...


:samurai:





Une nuit d'hiver...
Sans dormir, j'écoute la mer
Qui ne dort jamais




COUR D'HIVER


AU PALAIS DE LA CITE DU CHENE PALE

DOMAINE DU NOBLE MIZU-NO-SHUGENJA ISAWA MASANAGA

Cour d'Hiver ouverte avec la bénédiction du divin Empereur le 7e jour du Mois du Rat, premier jour de l'hiver, avec deux mois de retard par rapport au calendrier traditionnel.


Konni-chi wa, samuraï.
Le Phénix est mon clan. J'appartiens à la famille Isawa, je suis l'intendant des fêtes du seigneur Masanaga. Je me nomme Naoshige, et il m'incombe la lourde tâche d'organiser ces réceptions exceptionnelles et prestigieuses entre toutes qui ont lieu au palais du Chêne Pale, durant cet hiver 1126.
Le Divin Fils du Ciel a fait l'honneur à mon clan de venir passer les mois de froidure au chateau du Soleil Levant, chez le sage et puissant Shiba Ujimitsu, notre daimyo.
Si le palais de mon seigneur n'est pas aussi radieux que Kyuden Asako, il est pourtant l'un des plus beaux, les plus paisibles et les plus respectables qui soient, et si je puis être pour une part minuscule dans cet accomplissement, j'en remercie à satiété le ciel et prie pour que ma famille et mon clan en soient fiers et se souviennent de moi quand sera venu le temp que je rejoigne les Ancêtres.
Le Tao est mon guide, et je sais mon nom immortel comme le Phénix.
De même, l'hiver, la nature semble t-elle mourir, mais déjà elle se prépare à renaître, radieuse, quand le souffle printanier réveille l'ardeur des plantes, des animaux, des lacs et des montagnes.

Les festivités commencèrent deux jours après la fête du Courroux de Seigneur Lune.
Dans le grand palais encore désert, mon maître et moi, ainsi que les domestiques, avons pieusement observé cette période de silence complet, à méditer sur la danse des Fortunes.
Puis vint la période dévouée à Onnotangu s'acheva, et l'heure était venue pour le bruissement des conversations et l'agitation de la vie mondaine.


1ere journée

Ce 6e jour du mois du Rat, le premier invité que j'accueillais au nom du clan du Phénix et d'Isawa Masanaga-sama, fut le fils du daimyo du clan du Moineau, Suzume Yugoki.
Vêtu d'un humble mais impeccable kimono, le jeune samurai-paysan passa le portail du Phénix et arriva dans la cour d'honneur. Je lisais dans son regard combien il était impressionné par l'endroit où il arrivait le premier.
Mais c'est mon devoir de ne pas faire de remarque aux invités, de m'en tenir strictement à la politesse et à l'agrément, de ne pas m'attacher à eux, de ne pratiquer aucun favoritisme, de plaire à tous sans être familier d'aucun ; enfin de les connaître tous sans qu'aucun n'ait à proprement parler l'occasion de me connaître. Etre attentionné envers tous, et m'effacer sans cesse.

Yugoki-san déposa poliment son daisho à la porte, et je le conduisis devant mon seigneur, dans la grande salle de réception.
- Konnichi-wa, honorable Suzume Yugoki-san. Au nom du clan du Phénix, soyez le bienvenu au palais du Chêne Pale.
- Konnichi-wa, Masanaga-sama, répondit le jeune Moineau, en s'inclinant bien bas.
- Comment se porte votre père, l'honorable Suzume Kachira ?

Pendant que ces quelques paroles étaient échangées, je fis servir un excellent saké, assez fort pour réchauffer les visiteurs du froid, mais assez léger pour ne pas alourdir l'estomac dès le début de la soirée.
L'invitée suivante était du clan du Dragon : Mirumoto Ryu. Ce fut une année exceptionnelle, car nous eûmes cette année pas moins de trois membres du clan du Dragon ! Il est vrai que mon seigneur entretenait de bonnes relations avec le clan de la montagne éternelle.
J'avais été prévenu que Ryu-san avait une conception assez lâche, disons, des relations sociales, qu'elle gardait beaucoup de réserves, mais qu'il pouvait lui échapper des mots malheureux. Je savais donc, c'était mon rôle, que j'aurais sans doute à prévenir malentendus autour d'elle. La suite me prouva que moi et plusieurs courtisans ne purent suffire à la tâche...
Je m'aperçus vite qu'elle n'était guère bavarde, car elle répondait en quelques mots aux salutations et politesses de ma part et de celle de Yugoki.
Il était déjà temps d'accueillir les autres invités qui se présentaient au portail du Phénix.

Kuni Sakurako était une jeune bushi qui avait servi déjà plusieurs années sur la muraille Kaiu, mais qui, en raison de son caractère relativement doux (nous parlons de Crabe, n'est-ce pas), s'était vu envoyer à la cour d'hiver. Il est vrai qu'elle représentait honorablement son clan. Elle parlait avec un fort accent du sud, d'une voix plus grave que celle de bien des hommes du nord, mais elle faisait preuve d'une égalité d'humeur très appréciable. D'un bon naturel, sans un mot au-dessus de l'autre, il lui manquait un peu plus de finesse pour faire une vraie dame de cour. Mais même un kimono porté serré ne masquait la rudesse de ses formes, plus moulées pour supporter une armure que des vêtements de cour...
Sakurako-san apprécia beaucoup le saké et en redemanda, pendant qu'arrivait Shiba Ikky, de l'école de yojimbo de mon clan. J'avais été prévenu que son grand-père avait été adopté dans mon clan, qu'il était né au-delà des frontières de l'Empire d'Emeraude. Ikky-san allait donc devoir déployer des efforts redoublés pour s'élever dans la hiérarchie céleste, car ses yeux verts de gaijins trahissaient sa provenance étrangère, donc ignoble.

A sa suite, arriva la redoutable Isawa Kogin, qui devait faire une carrière diplomatique si brillante par la suite. A l'époque, elle n'avait pas encore la gloire et le renom attachés à ses pas, mais elle avait déjà le mordant de la parole. Des deux mois de cour, elle ne cessa pas d'intriguer, de fouiner dans les affaires des autres, de lancer à la volée des remarques, coupantes comme des rasoirs, sur les uns et les autres. Elle commença dès son arrivée en moquant à mots à peine couverts la passion des Dragons pour la méditation...
- Vous devriez vous retirer pour méditer en vous-mêmes, lui dit sincérement Ryu-san, sans y mettre aucune forme.
Aussitôt, nous étions tous autour des deux femmes, qui auraient pu se sauter à la gorge, n'étaient les convenances, comme un médecin et ses assistants se précipitent sur un blessé pour recoudre la lésion.
Par Isawa, j'en aurais attrapé la fièvre dès le premier soir ! Mais les autres invités m'aidèrent à calmer les malentendus.
La dernière arrivée de ce soir fut Isawa Ayame.
Elève du même daimyo que Isawa Kogin, c'était néanmoins une rivale de cette dernière. Dans des circonstances mal élucidées, Ayame-san avait perdu un bras, il y a plusieurs années. Elle passait pour anti-conformiste. Pendant d'importantes réunions de l'académie Isawa, à l'automne, son daimyo l'avait envoyée en mission sur les terres du clan de la Licorne : sévère punition, ma foi ! Toutefois, Ayame-san, et plusieurs de ses amis, dont Ryu-san et Ikky-san, s'étaient distingués lors de voyages chez les Licornes et les Dragons.
Des années d'observation comme intendant ont aiguisé, je l'avoue, ma curiosité, et je sais deviner ceux qui cachent vraiment un monde derrière leur visage. Pas Kuni Sakurako, simplement courageuse et robuste comme ceux de son clan, ni même Isawa Kogin, jalouse et ambitieuse comme tous les gens de mon clan ; Isawa Ayame en revanche, pour discrête et peu sociable qu'elle était, avait son quant à soi. La suite de son existence nous l'a prouvé...

Puisque tous les invités de ce premier soir étaient là, nous passâmes au repas et j'essayais de dérider l'atmosphère, de briser un peu le froid qui règne toujours au début d'une réception. Réservé et poli, souverain sur lui-même comme sur ses terres, Isawa Masanaga-sama, faisait peu de commentaires et restait bienveillant envers tous.
Pendant le repas, Suzume Yugoki nous régala de légendes épiques comme en connaissent les bardes de son clan, et en racontent à la veillée.
"Nous nous racontons les histoires des héros du passé, a dit Shinsei, pour nous rappeler que nous aussi, nous pouvons être grands."
Ce soir-là, Yugoki-san nous raconta, entre les lignes de son récit, que nous étions héritiers de ces grands hommes qui avaient donné leur vie pour l'Empire, et nous partîmes nous coucher avec en tête ces récits qui façonnent l'histoire merveilleuse du peuple d'Emeraude.

2e journée

Pour le lendemain, Masanaga-sama avait souhaité que je fîs découvrir le palais à nos jeunes invités. Ils participaient à leur première cour d'hiver : il convenait donc de les initier aux rituels de ce monde à part.
Et pour commencer, nous avions pensé les divertir en leur faisant visiter le labyrinthe de haies, l'un des chefs d'oeuvre des jardiniers de notre clan. Construit sur une petite butte en surplomb du lac, on y accédait en montant l'escalier de vieilles pierres vénérables. L'air vivifiant de l'après-midi prenait la place de la froidure brumeuse du matin, pendant lequel les invités avaient pu profiter de la maison de bain, au bord du lac. Ce privilège ne leur était accessible que pendant les premiers jours, avant l'arrivée de plus nobles samuraï.
J'accompagnais donc Yugoki, Ryu, Sakurako, Ikky, Kogin et Ayame, à l'entrée des massifs végétaux, et je les mettais au défi de ressortir le plus rapidement possible du labyrinthe, par l'unique chemin menant à la sortie.
Les Fortunes de la Terre, dit-on, favorisent ceux qui savent tracer leur chemin de manière avisée, en accord avec le chemin que ces Fortunes ont tracé. Je fis donc rentrer un par un les jeunes samouraï, certain de ne pas les voir à l'autre bout avant un moment.
Quelle ne fut pas ma surprise d'apercevoir, alors que j'arrivais de l'autre côté de la butte, Mirumoto Ryu, déjà ressortie ! Quelque kami l'avait sans doute prise par la main !

Peu de temps après, Ayame-san sortait à son tour, surprise la première d'être seconde de la compétition. Elle était entrée avec l'intention visible de ne pas se presser. Ainsi les voies des Fortunes sont assez impénétrables pour favoriser celui qui chemine lentement... et retarder celui qui est trop pressé, à l'image d'Isawa Kogin, que j'avais vu chercher fébrilement le chemin dès son entrée. Stupéfaite, elle retint une expression de dépit colérique en constatant qu'elle était troisième. Et par dessus-tout : derrière Ryu-san et Ayame-san.
Vinrent ensuite Kuni Sakurako, Suzume Yugoki et enfin Shiba Ikky.

Dans la fin d'après-midi, chacun retournait à ses appartements, en attendant le dîner en commun. Dès ce premier jour, je n'avais pu manquer de surprendre des regards qui ne trompent pas entre Yugoki le Moineau et Isawa Ayame. Ils ne sont pas les premiers jeunes samuraï à se "découvrir" pendant une cour d'hiver, même contre ce que leur famille a pu prévoir pour eux.
Il était difficile de s'y tromper. Pendant toute la cour, ils ont parlé entre eux, sous le couvert de la politique ou de leurs inquiétudes sur l'Empire, mais un observateur attentif percevait que déjà, ils regardaient dans la même direction, et savaient quand se retrouvait, par hasard, dans les allées du jardin, ou à la bibliothèque.
Je devinais également que Kogin-san trouvait cette relation parfaitement ridicule. Comme beaucoup d'entre nous, elle n'aimait pas trop laisser l'amour infléchir sa conduite et elle manifestait sa fidélité au clan par ses ambitions en tant que shugenja. Fait aggravant, Yugoki-san était l'héritier du clan le plus pauvre de l'Empire. Jamais Isawa Akitoki, daimyo d'Ayame, n'accepterait une alliance avec un samuraï-paysan ! D'autant que la réputation des shugenja Moineaux n'était plus à faire : le seul d'entre eux s'était brouillé à jamais avec les kamis de l'Eau...
Cette flamme vive de passion entre deux jeunes gens ne trouve guère à s'alimenter dans le jeu des alliances politiques. Mais où irions-nous si les samuraï écoutaient leur "coeur" et leurs "préférences" ?...

:samurai:

Le soir-même, notre palais accueillait ses nouveaux invités.
Tout d'abord, Mirumoto Onitsugu, un brillant duelliste (ou kensaï comme ils se nomment), adepte éprouvé de l'art du Nitten. Ce jeune homme faisait l'admiration tant de ses maîtres au dojo que des shugenja auprès de qui il méditait. On disait qu'il avait tenté le difficile chemin qui mène aux plus hauts sommets, vers le territoire des mystérieux hommes tatoués, sur les plateaux au-dessus des nuages, où règne un soleil éternel. Mais Onitsugu-san avait été refusé par le destin, et depuis, il avait accepté sa condition de bushi avec honneur. En souvenir de sa tentative, il portait sur ses avant-bras des tatouages très raffinés.

Vint ensuite Shiba Nobuyori, de l'école de yojimbo comme Shiba Ikky. Il avait été attaché à la personne du vénérable senseï Isawa Kanera, et s'acquittait de son devoir avec constance.
Je n'ai pas noté qu'il fût un courtisan bien plaisant. Il ne cherchait pas à se mêler des discussions autour de lui. Il savait écouter poliment ce qu’on lui disait, mais il ne cherchait pas à nourrir la conversation. Mais je dois reconnaître à ce propos la hauteur d'âme de Masanaga-sama, qui s'adressait à tous avec bienveillance, et savait dire un mot de bienvenue à chacun, s'enquérissant de sa famille ou de ses affaires courantes.

Le troisième invité de ce soir était Doji Kafu.
- Je suis heureux d'accueillir le premier Grue de cette cour d'hiver, dit Masanaga-sama, car votre clan est reputé à juste titre pour former les meilleurs courtisans, et aucun hiver ne saurait se concevoir sans vous dans nos réceptions.
Doji Kafu était cousin d'Isawa Kogin. Déjà à l'époque, leur alliance était bien scellée. Ils s'épaulaient mutuellement, savaient se communiquer les bons renseignements pour se montrer là où il faut et contrer leurs adversaires. Les deux étaient déjà très habiles en parole, rompus aux intrigues et bruits d'alcôves. En face d'eux, ils avaient Isawa Ayame et Suzume Yugoki, plus discrets et timides en apparence. En apparence seulement...
Il y eut ce soir encore quelques paroles venimeuses d'Isawa Kogin à l'encontre des Dragons. Ils étaient deux contre elle, et cela semblait mettre Kogin en appétit. Kuni Sakurako se tenait à l'écart de ces discussions mouchetées, pleines d'attaques subtiles.

La bushi Crabe trouva un interlocuteur sympathique en la personne de Shinjo Kohei, le quatrième invité de la soirée. Fils du daimyo du Village aux Rives Blanches, dans les lointaines plaines de l'Ouest, Kohei-san avait beaucoup voyagé, avant même de passer son gempukku. Il avait visité le clan de la Grue, où il s'était fait un précieux ami, puis le clan du Dragon, et avait voyagé plus loin encore, disait-on.
Il ne paraissait pas plus à l'aise que Kuni Sakurako dans une cour d'hiver, ce pourquoi ils s'entendirent bien. Kohei-san eut l'occasion le lendemain de nous éblouir de ses talents d'archer lors de la compétition de tir à 80 pas. Il remporta haut la main l'épreuve, en fichant une première flèche dans le noir de la cible, et en envoyant deux autres successivement prendre la place de la précédente !

Mais n'anticipons pas trop, car il me reste à parler du dernier invité de ce soir, celui qui déclencha un premier coup de tonnerre sur cette cour d'hiver -qui n'était rien en comparaison de ce qui vint encore après...

:samurai:

Kuni Ketedore, célèbre chasseur d'oni, père de Kuni Sakurako, avait dépassé l'âge moyen auquel les samuraï commencent généralement à préparer leur prochaine vie. A bientôt cinquante ans, il suivait l'exemple de son daimyo, le Grand Ours, et menait toujours de front la bataille contre l'Outremonde. Il avait visité souvent les bibliothèques de notre clan et jouissait maintenant d'une réputation ambiguë parmi nous. Certains disaient que derrière son air ombre, ses manières rustres, c'était un dévoué serviteur de son clan ; d'autres murmuraient (mais loin de lui) qu'il entretenait toutes sortes de commerces ignobles avec des homme-rats et d'autres créatures souillées vivant au-delà la grande muraille Kaiu.
Isawa Masanaga ne l'avait certes pas invité pour ses talents de courtisan.

:samurai:

Depuis l'attaque des barbares yobanjin, il y a de cela moins d'un mois, Masanaga-sama avait envoyé au clan du Blaireau (ceux qui auraient dû nous protéger contre ces gaijins bestiaux) une lettre demandant des explications au daimyo de la famille Ichiro.
Aucune réponse n'étant parvenue, et sachant que Kuni Ketedore, en voyage sur nos terres, était un cousin de la famille Ichiro, Masanaga-sama l'avait prié d'accompagner une délégation de bushis Shiba, pour demander des explications plus franches aux Blaireaux...
Ketedore-san revenait de ce voyage vers les montagnes inhospitalières, à la frontière des pays gaijins connus sous le nom de Sables Brûlants.
Il fit son entrée dans le palais et y jeta un froid comme s'il était entouré d'un sinistre halo. C'était un homme de grande taille, mais très maigre, inquiétant, comme un arbre mort tourmenté par le vent d'une morne campagne.
Voici retranscrit aussi exactement que possible son récit. Par lui, je concluerai le compte rendu de cette seconde journée, car je crois qu'il se passe de commentaire. Ketedore-san parla d'une voix terrible, portée par son récit, et seules les circonstances exceptionnelles l'ont tacitement autorisé à exprimer autant d'émotions dramatiques.

- Honorable Isawa Masanaga, honorables invités de la cour d'hiver,
je viens parmi vous avec des nouvelles qui, je le regrette, vont jeter tristesse et confusion sur cette assemblée ! Je regrette de venir en porteur de mauvaises nouvelles, mais j'accomplis ainsi mon devoir.
A la suite de ta demande, Masanaga-sama, j'ai accompagné l'expédition qui partit pour les territoires hostiles gardés par la famille Ichiro. Nous n'avons croisé aucun samuraï de cette famille jusqu'à notre arrivée à leur palais. Les montagnes étaient désertes, habitées seulement par les fortunes de la Terre et du Vent.
En arrivant à Kyuden Ichiro, nous eûmes le sang glacé par le spectacle qui s'offrait à nous.

Tous ceux qui habitaient le palais avaient été sauvagement massacrés. De nombreux bushi gisaient à terre, éventrés, décapités, et partout leur sang était répandu. Dans la grande salle du palais, nous avons découvert le daimyo du clan, empalé, et autour de lui, d'autres bushis massacrés. Partout alentours : misère, désolation, agonies, comme après une bataille impitoyable - et croyez-moi, Masanaga-sama et vous autres honorables invités, je sais de quoi je parle pour avoir combattu sur la muraille Kaiu !
Car je suis un Crabe, et un Kuni qui plus est ! Et je peux dire que jamais cette peuplade barbare, désorganisée, ces yobanjin, jamais ils n'auraient pu venir à bout du puissant clan du Blaireau, qui les a tenus en respect jusque là !
Non, ce qui attaqué les Blaireaux était bien plus puissant que cela...
Crois-en mon intuition, Masanaga-sama, c'est un kansen, ou même un oni qui s'est attaqué à la famille Ichiro. Un démon de l'Outremonde, invoqué j'ignore par quel moyen, mais qui seul a pu perpétrer ce carnage.

Car aujourd'hui, je puis l'affirmer : le clan du Blaireau n'existe plus.
Et s'il reste de ses membres, ce sont de pauvres samuraï éparpillés, qui doivent fuir la colère de celui qui a anéanti leur famille !

:samurai:

2e journée (suite)

La tragique nouvelle de la destruction du clan du Blaireau jeta un froid, ce soir-là, plus terrible que toutes les froidures de l'hiver. J'oserais dire que l'apparition d'un kansen grimaçant et monstrueux n'aurait pas provoqué un tel émoi.
Kuni Ketedore se trouva comme entouré aussitôt d'un épais manteau de méfiance, comme une sombre aura, qui isole l'annonciateur de mauvaises nouvelles du reste du monde. Pourtant, le chasseur de démons n'avait fait que son devoir, celui commandé par Masanaga-sama. Et il ne s'étonnait pas de cet effet, non plus qu'il ne s'en attristait.

Mais il avait fait le vide autour de lui. Il semblait y avoir un espace invisible, que personne ne voulait franchir. Peu à peu, les discussions reprirent, mais on tournait le dos au shugenja, qui ne se voyait soutenu que par sa fille, Kuni Sakurako. Je faisais de mon mieux pour dérider l'ambiance, mais j'avoue que ma tâche fut très dure ce soir-là. Je fis des mains et des pieds pour que Ketedore-san trouve un groupe à qui parler, mais décidément, on le considérait comme un pestiféré.
Deux personnes osèrent quand même faire le premier pas, volontairement, vers le vieux shugenja. Il est vrai qu'ils n'étaient pas les plus en danger pour leur réputation. Isawa Ayame, de l'avis de tous, affichait son caractère asocial, en passant autant de temps que possible, soit en bibliothèque, soit en méditation ; Suzume Yugoki, pour beaucoup, était autant un paysan qu'un samuraï. Nul ne lui en voudrait, par conséquent, d'aller parler au sombre Ketedore.
Les deux jeunes samurai s'enquirent donc de la mission du shugenja. Celui-ci, je le discernai bien, éprouva beaucoup de gratitude pour les deux jeunes gens qui s'exposaient pour lui. Je vis Isawa Kogin et Doji Kafu soupirer d'un air hautain en regardant de travers les deux samurai, et en faisant des messe-basses, à l'intention de qui voulait bien les entendre. Heureusement, Yugoki et Ayame avaient attendu que ce fût l'heure d'aller dormir pour parler à Ketedore-san. Les courtisans rejoignaient déjà leurs appartements, et la conversation avec le Crabe ne fut pas trop observée par d'autres.

J'entendis Ayame-san parler à Ketedore d'un certain démon qu'elle aurait croisé récemment. Elle en fit une description exacte, et demanda au vieux Crabe s'il pouvait s'agir d'une créature souillée par l'Outremonde... Encore un sujet qui renforça l'hostilité de Kogin et Kafu contre elle, et refroidit plusieurs autres invités.
Un démon haut comme un homme, à la face animale, aux muscles puissants, brandissant des sabres en feu... Par Shiba, mais où pouvait donc être allée Ayame-san pour rencontrer pareille horreur ? Elle avait la réputation d'avoir beaucoup voyagé -ce qui, faut-il le rappeler, n'est guère un compliment, car il n'est jamais bon d'être loin de la terre de son seigneur.
Tous ces aventuriers insensés qui ne rêvent que de pays lointains, et de terres nouvelles, comme les Licornes... comment ne comprennent-ils pas qu'un samurai appartient à son maître et à sa terre ? Tous ces voyages, ces imprévus, ces étrangers, rien de cela n'est bon. On ne fait que s'épuiser et perdre son temps en fariboles. Pour rien au monde, je ne quitterais notre belle province. L'idée même de me rendre dans les terres de nos amis de la Grue m'est désagréable. Où suis-je mieux que dans le palais dont j'ai à charge l'intendance, auprès de mon seigneur, de ma famille et de mon clan ?

La fin de la soirée fut, comme on l'imagine, morne. Chacun ne parlait que pour remplir ses obligations, mais non pour la beauté de la discussion, pour l'art de plaire ou de combattre par la finesse de la parole.
Le soir venu, alors que Ketedore-san discutait avec les deux samuraï, j'indiquai aux invités leurs chambres, et accompagnai les deux Dragons, Onitsugu-san et Ryu-san, dans le pavillon qui leur était réservé par Masanaga-sama.
Par Isawa, je priais très fort pour que les choses se passent mieux dans les soirs à venir ! Nous avions dû facher les Fortunes pour que la cour d'hiver débute sous de si mauvais auspices. Même la neige avait tardé à venir, mauvais signe également. Masanaga-sama, dans ses appartements, pratiqua ce soir-là plusieurs rituels aux fortunes pour attirer la bonne chance sur son palais. Il en allait de l'honneur de notre clan.

:samurai:

3e journée

Pour le lendemain, Masanaga-sama avait ordonné une journée de deuil, en souvenir de nos frères du Blaireau. Il est vrai que, il y a deux jours encore, chacun riait à plaisir de leur grossiéreté, de leur bassesse, pire que celle des plus rustres Crabes ; certains se gaussaient de leur proximité avec les Yobanjin, et insinuaient qu'ils étaient soit consanguins, soit accouplés avec ces barbares gaijins. C'était la même Isawa Kogin, qui se moquait des Licornes (avant l'arrivée de Shinjo Kohei) en disant qu'ils passaient leur vie à cheval et finissait par former une créature de centaure avec elle...
Mais assez sur les intarissables médisances de Kogin-san.

Ce jour-là, Masanaga-sama montra combien il était pieux, combien il vénérait les Fortunes et se recueillait en méditant sur le destin de notre Empire. Car il fut exemplaire toute la journée, dans nos recueillements à la Pagode, dans nos prières au Chêne Pale, dans nos méditations devant le lac, à invoquer les esprits de l'eau pour qu'ils nous prêtent de leur force.
- Le clan du Blaireau, disait mon seigneur, a accompli son devoir avec constance et endurance. Il fut inébranlable comme la montagne, et n'a jamais failli à son devoir. Si nous les avons sous-estimés, car ils furent toujours solitaires et loin de nous, nous devons maintenant nous rappeler qu'ils furent eux aussi des membres de la caste des samuraï. Ils ne descendaient pas des kami, mais ils servirent selon la mission qu'on leur avait assignée. Cette mission fut ingrate, mais je sais qu'ils ne regimbèrent jamais devant.
"Dès que j'ai appris la malédiction qui les a frappés, afin de nous prévenir contre d'éventuelles incursions de barbares, j'ai fait envoyer dans les montagnes une garde d'élite de la famille Shiba, qui repousseraient dix fois leur nombre d'ennemis, sans faillir. Ainsi, nous sommes assurés que la Cité du Chêne Pale n'aura pas à craindre d'être souillée à nouveau par leur présence. Kuni Ketedore-san m'a assuré qu'il était prête à repartir vers les terres du Blaireau, afin d'identifier la menace qui rôde là-bas."

:samurai:

Rasserenés par ces paroles, nous passâmes la journée à célébrer les rituels ancestraux en l'honneur des guerriers tombés au combat.
Le soir, de nouveaux invités se présentaient à la porte du palais.
Le premier d'entre eux était le jeune magistrat Ide Soshu, venu de la Cité de la Grenouille Riche. On le disait talentueux pour son âge, et on entrevoyait pour lui une brillante carrière de diplomate. Son plus haut supérieur direct, l'honorable Ide Tadaji, ambassadeur du clan de la Licorne à la cour impériale, le connaissait déjà, et l'avait pris sous sa protection. Soshu-san avait pour garde du corps pendant cet hiver le samouraï Shinjo Kohei. Le magistrat avait l'air encore juvénile. Il arriva à dos de poney, habillé des habits étranges mais luxueux de son clan, avec un large bandeau autour de la tête qui tenait une corne finement ciselée et peinte, attachée derrière la tête. Soshu-san avait jusqu'ici servi dans sa province natale, sous les ordres de Shinjo Bunjiro, mais on le disait impatient d'aller exercer ses talents dans l'Est, peut-être même à Otosan Uchi.
J'accueillais Soshu-san, puis, m'étant assuré qu'il trouvait à qui parler, je laissais les conversations se poursuivre. J'entendais le bruit agréable des discussions bien modulé ce soir, et avec les années, je sais reconnaître parfaitement si tout se passe bien. Soshu étaient de ceux qui étaient contents d'être là, et s'entendait bien avec tous. Grâce à son art de la diplomatie, il parvint même à se faire admettre par les cousins Kogin et Kafu, qui avaient ricané en le voyant arriver.

Je retournais alors à l'entrée du palais pour accueillir les invités suivants.
Deux d'entre eux arrivèrent en même temps, et cela produisit un léger incident qui fut réglé dans l'honneur.
La hiérarchie de l'Ordre Céleste m'avait dicté d'inviter en même temps les honorables bushi Ikoma Tsuyoshi et Kakita Hiruya. Mais l'incident arriva : Tsuyoshi-san fit remarquer à Hiruya-san qu'ils ne savaient pas qui aurait préséance sur l'autre. Il fallait décider qui était le plus honorable, et aurait par conséquent le droit de venir après l'autre.
Je vis alors les deux hommes se mettre l'un face à l'autre, très concentrés, comme s'ils s'affronter en duel. Une extrême tension fut visible sur leur visage, tension semblable à l'orage qui menace d'éclater.
Soudain, Ikoma Tsuyoshi-san s'inclina légérement, et passa le premier.

Ce célèbre duelliste approchait la trentaine. Il était l'élève du vénérable senseï Akodo Kage, et avait déjà combattu et vaincu en duel nombre de duellistes de talent. On disait que son rival du moment était Kakita Yobe, le propre senseï de Kakita Hiruya.
Tsuyoshi-san était d'origine modeste. Il portait le sabre de son grand-père avec fierté, mais il ne devait pas être plus riche qu'un bushi du clan du Moineau. Il était né dans la famille Seizuka, une famille vassale des Ikoma, et avait la chance d'être repéré, lors d'un duel, par le vénérable Akodo Kage. Celui-ci, comme il l'avait fait avec d'autres, prit sous sa protection le jeune Tsuyoshi, et l'entraîna aux techniques ancestrales du sabre de Akodo. Comme tous les élèves de Kage-senseï, Tsuyoshi en était venu à exceller dans son art, à tel point qu'il avait eu le droit de suivre l'entraînement de la plus prestigieuse école de duel de l'Empire, l'Académie Kakita. Car même le clan de la Grue respectait le vénérable Akodo Kage, qu'il surnommait le Noble Lion, pour sa grandeur d'âme et ses tentatives d'apaiser les conflits trop sanglants entre la Grue et le Lion.
Kage-senseï était un ami de Masanaga-sama, et chaque fois que le Noble Lion venait profiter de la quiétude de nos terres, il ne manquait jamais de passer à la Cité du Chene Pale pour deviser avec Masanaga-sama.
Je dois dire que Tsuyoshi-san se distinguait à plusieurs titres. D'abord, physiquement, il portait une marque reconnaissable entre toutes. Sa joue gauche avait été brûlée, et de petits éclats de jade étaient restés incrustés dans la peau, formant une constellation étrange, une plaie fascinante. Les morceaux brillaient légérement, et avait valu à Tsuyoshi-san le surnom de "Masque de Jade". J'ignore comment il avait reçu cette étrange blessure. Il éludait toujours le sujet quand on l'abordait, et en montrait du mécontentement.
La deuxième raison pour laquelle Tsuyoshi-san s'imposait tant, c'est sa droiture, son honneur et sa courtoisie, déjà vantée et appreciée. Certains jeunes et impressionnables samuraï voyaient en lui l'incarnation de l'idéal du bushi.
Peut-être était-ce exageré, mais le détail était révélateur.
A tout le moins, on voyait en lui un digne continuateur du vénérable Akodo Kage, lui-même incarnation véritable de l'honneur selon Akodo.
Ikoma Tsuyoshi n'eut aucun mal à trouver de la compagnie parmi les courtisans.

:samurai:

J'accueillais donc Kakita Hiruya. Elève du senseï Kakita Yobe, il avait tout lui aussi de l'incarnation parfaite des vertus de son clan. Bon courtisan, bon duelliste, il prenait la suite de son senseï, et pendant cette cour d'hiver, il eut plusieurs fois l'occasion de briller, à divers titres. Je savais que c'était un ami de Shinjo Kohei, depuis avant même leur gempukku. Hiruya-san avait voyagé sur les terres de la Licorne, Kohei-san sur celles de la Grue, puis, plus récemment, avec Isawa Ayame, Shiba Ikky et Mirumoto Ryu, ils avaient accompli plusieurs missions importantes qui leur avait assuré un renom suffisant pour accéder à la cour d'hiver.
Je serais tout à fait incomplet dans ma description si je ne mentionnais pas enfin le point le plus important à connaître sur Hiruya-san.
Son Ancêtre avait sauvé l'Ancêtre de Masanaga-sama, et Hiruya-san avait donc déjà rencontré mon seigneur, et séjourné sur nos terres, il y a 4 ans de cela. La dette du Chêne Pale pour Kakita Hiruya, premier du nom, et tous ses descendants jusqu'à l'actuel, était solide comme l'Empire. Enfin, j'ai raconté ailleurs comment Hiruya-san et ses amis avaient réalisé un cadeau collectif improvisé, et inoubliable, pour Masanaga-sama.
Ce coup d'éclat leur avait assuré une entrée remarquée dans notre monde. Nous étions impatients de savoir si ce n'était que le brillant d'une fois, ou si leur talent se confirmerait.

La dernière invitée de ce soir fut la fille du daimyo du clan du Mille-Pattes, Moshi Wakiza. Ce petit clan vivait isolé dans une vallée, et pratiquait le culte de Dame Soleil avant toutes autres divinités. Moshi Wakiza était une belle jeune femme, encore timide, mais qui, comme la fleur au printemps, s'épanouit doucement à la lumière. Shugenja de talent, elle révélait pour son jeune âge (elle n'avait pas vingt ans) des dons très prometteurs. Elle aurait à prendre un jour la destinée de son clan en main, et il semblait que, quoique fragile comme le papier, en apparence, elle cachait en fait de grandes ressources de force et de dévouement.
Son clan avait déjà reçu la visite d'émissaires de Yoritomo, le tempêtueux daimyo du clan de la Mante, en vue d'une alliance. Dans le même temps, l'actuelle daimyo du Mille-Pattes espérer sceller d'importants accords avec le clan du Moineau ; c'est pourquoi Moshi Wakiza cherchait à trouver les bonnes grâces de Suzume Yugoki. Nous étions déjà plusieurs courtisans à subodorer une possible rivalité entre Wakiza-san et Ayame-san. Rivalité qui en amusait plusieurs, car elle avait pour objet un samurai-paysan...
Moshi Wakiza ne cacha pas son émerveillement à son arrivée au palais. Elle avait l'air penétrée d'une grande sérénité intérieure, comme touchée de la douce lumière mystique de Dame Soleil. Elle salua tous les invités, comme si chacun d'entre eux l'emerveillait et la ravissait au plus haut point, et rapidement, lança des oeillades à la dérobée en direction de Yugoki-san.
Nous allions nous amuser à voir comment ces intrigues de clans mineurs allaient se dérouler ; nous nobles phénix ou grues, regardons le mille-pattes dans sa parade d'amour pour le moineau...

:samurai:

4e journée

Maintenant que les invités commencent à être nombreux, et que de plus prestigieux arrivent chaque jour, il devenait important que tout le monde se plaise, et conserve un bon souvenir de cet hiver.
J'ai eu l'honneur d'être choisi jeune pour faire partie de la petite académie de Tejina, qui dépend en fait de la prestigieuse académie Isawa. Nous autres shugenja Tejina ne sommes certes pas de taille à rivaliser avec les prestigieux élèves Isawa, qui sont comme des grands frères -et à force de fréquenter d'honorables personnages comme Isawa Akitoki, Isawa Masanaga ou Isawa Kanera, je comprends combien plus profond que le nôtre est leur savoir- ; cependant, l'école tejina forme des shugenja courtisans, dont les pouvoirs doivent avant tout plaire. Nous connaissons la manière de créer d'amusantes illusions, de faire apparaître soudain des images lumineuses de petits phénix, des fleurs magiques et éphémères, des créatures enchantées dans les jardins. Nous embellissons la vie des cours, des palais, nous rendons le sourire à un courtisan morose, nous en distrayons un autre qui a toutes les peines à satisfaire sa courtisane favorite, nous faisons rire les enfants des grands seigneurs, bref nous créons des agréments, de purs plaisirs dans l'instant.
J'attendais que Masanaga-sama me donne l'autorisation d'exercer mes pouvoirs. Cependant, je crois que pour le moment, il ne souhaitait pas trop offrir ces fantaisies aux invités, par égard pour les évènements graves qui s'étaient produits. Hélas, comme il me tardait de montrer fiérement les talents de l'académie de tejina aux invités -non pour me rendre admirable, mais pour rendre admirable mon clan -du moins y contribuer !

:samurai:

Cette journée encore, Ayame-san et Yugoki-san restèrent au centre de mes attentions. Je savais qu'ils passaient du temps ensemble, à discuter, et je peux ne pas m'y tromper -n'importe quel courtisan un peu exercé voit bien la différence entre une conversation simplement polie et celle où les sous-entendus pleins d'espoirs et de sous-entendus comptent plus que le discours apparent.
Ayame-san passait beaucoup de temps en bibliothèque chaque jour ; j'ignorait à cette époque ce qu'elle recherchait avec tant de passion. Ce n'est que plus tard que j'ai su qu'elle fouillait dans les archives historiques, à la recherche de détails sur la période du Gozoku, et sur une hérétique, décapitée à cette époque, appelée couramment la Novice Folle.
Que les mânes d'Isawa m'empêche de jamais plonger mon regard dans ces sombres mystères ! Entre les voyages et les recherches insolites, Ayame-san était décidément bien trop singulière pour être honorable. Mais à l'époque, je la prenais seulement pour une originale. Masanaga-sama écoutait mes remarques à son sujet, et m'incitait à la patience.

J'avoue que je ne me refusais pas, de temps en temps, à interroger (contre retribution) le serviteur qui restait en permanence attaché à Ayame-san. Il avait la langue bien pendu, et je sus par lui nombre de choses intéressantes. Notamment que le jeune Yugoki cherchait à faire passer son désir de se rapprocher d'Ayame sous couvert d'un rapprochement entre le clan du Phénix et celui du Moineau. Mais je crois que la sage et vertueuse Ayame n'avait vraiment jamais eu de préocuppation de cet ordre.
Maudite soit ma curiosité ! Mais serais-je intendant et dévoué entièrement à ma tache, si je ne savais me préocupper de tous les invités à ma charge ?...

Quand je scrutais de loin les promenades au bord du lac entre Kuni Sakurako et Shinjo Kohei, du moins avais-je l'impression d'observer une idylle plus terre à terre, plus villageoise, plus rustique. Il ne manquait c'est vrai à Suzume Yugoki qu'un plus beau kimono pour être un Grue. Il ne manquait à Kohei-san et Sakurako-san qu'un brin de paille dans la bouche pour incarner de parfaits et rudes samuraï des campagnes reculées de l'Empire ! Des samuraï parfois aussi rudes que leurs paysans, plus nobles car sachant combattre, mais au quotidien, partageant sensiblement les mêmes conditions de vie.
Kogin et Kafu riaient bien eux aussi, à moquer la courtoisie balourde supposée entre un bushi Licorne et une bushi Crabe. Par Osano-Wo, je crois qu'il y aurait eu matière à duel plusieurs fois, si Kohei-san et Sakurako-san avait surpris la cinquième partie des perfidies lancées par les deux odieux cousins !
Ils ne ménageaient pas non plus leurs sarcasmes contre Mirumoto Ryu, pieuse au point de passer ses journées dans la Pagode, "à méditer méditativement sur la méditation", disait Doji Kafu. Elle n'était guère surpassée que par Moshi Wakiza, qui se perdait sans cesse en prière, ravie à tout instant, comme si elle pouvait apercevoir le radieux palais, solaire et immaculé de Dame Amaterasu, loin au-delà des nuages. Mais il est vrai aussi que Wakiza-san savait sortir de ses méditations spirituelles pour en revenir aux intérêts politiques de son clan, contrairement à Mirumoto Ryu, et pour s'occuper d'un rapprochement affectif avec Yugoki-san au service d'un rapprochement politique -au contraire de ce que tentait le Moineau avec Ayame...

:samurai:

Le noble Ikoma Tsuyoshi écoutait d'une oreille distraite les propos sans cesse malveillants des deux cousins. Plus volontiers, il conversait avec Shiba Ikky, yojimbo irréprochable elle aussi, ou même avec Kohei-san et Sakurako-san. Il se tenait en revanche à distance de Hiruya-san. Non par simple hostilité. Mais plutôt par respect envers cet adversaire potentiel, car le rapprochement entre Lion et Grue signifie habituellement : un duel.
Il faut dire que Hiruya-san rendait bien cette distance respectueuse à Tsuyoshi-san. Les deux hommes s'observaient, cherchant (j'en étais sûr) un prétexte pour en découdre avant la fin de l'hiver.

Le magistrat Ide Soshu parlait à tous, se faisait connaître, s'informait de chacun, avec une curiosité toujours tempéré. Il avait appris l'art et la manièr de s'adapter aux habitudes de son interlocuteur, de manière à ne commettre aucune faute de tact. Il aurait pu faire un bon intendant, à ce détail près qu'il était avant tout diplomate : il avait la politique de l'Empire en tête, au lieu de l'agrément et du devoir de plaire.
Enfin, tandis que Kakita Hiruya ou Ikoma Tsuyoshi méditaient devant leur sabre au dojo, Mirumoto Onitsugu passait beaucoup de temps en prière (oui, par Isawa, dans ces premiers jours, le palais du Chêne Pale était en passe de devenir un vrai palais de la dévotion et de la pieté !... du moins jusqu'à l'arrivée de Doji Itto et Shiba Rosanjin...). Le duelliste Dragon discutait le reste du temps avec les uns et les autres.
Le soir, Isawa Kogin ne manqua pas l'occasion d'amener le sujet délicat de l'opposition des styles du Nitten et de Kakita, devant Hiruya-san et Onitsugu-san. Il est vrai que dans ce débat, elle était neutre et c'est les autres qui avaient à y perdre ! On aurait pu s'attendre à un déluge, à mots à peine couverts, d'injures sur l'école de l'autre, mais non. Les deux hommes répondirent poliment qu'ils connaissaient mal l'école opposée, et ne voulait pas se prononcer sur le sujet. Kogin en était pour ses frais. Cependant, nos deux duellistes ne s'étaient pas trop mouillés dans cette histoire, ce qu'on remarqua.

:samurai:

La journée se passa agréablement -comme aurait dû se passer toutes autres journées, hélas. Yugoki-san le Moineau eut l'honneur d'aller réciter quelques récits plaisants au vieux Kuni Ketedore, bien chagriné depuis son arrivée. Kuni Sakurako, à l'origine de l'invitation, remercia le Moineau d'avoir quelque peu déridé son père.
Je sentais que les choses prenaient tournure. Pour les jours à venir, je me promettais, avec les deux cousins, de suivre les amourettes d'Ayame et de son Moineau, puis de déterminer si la relation entre Kohei et Sakurako n'était que de la sympathie, ou s'il y avait plus que cela.
Je voulais aussi qu'Onitsugu-san et Tsuyoshi-san demeurent moins à l'écart des discussions.

Le soir, l'heure vint d'accueillir de nouveaux et plus prestigieux invités.

:samurai:

4e journée (suite)

La première invitée de ce soir-là fut la shugenja Kitsu Kameko, médecin du vénérable senseï Akodo Kage. C'était une de ces femmes dont le regard est puissant comme la foudre. Ses longs cheveux, attachés très serrés, évoquaient vraiment une crinière de lionne. Kameko-sama avait cette force magnétique des femmes de son clan, une Matsu Tsuko devenue dame de cour, en intériosant sa fureur guerrière et en la contenant dans les limites de la politesse. Mais la contenant et la maitrisant, Kameko-sama l'avait également aiguisé comme un tranchant de sabre.
Elle et Ikoma Tsuyoshi se connaissaient bien. Mais on n'osait murmurer des ragots sur leur compte que quand ils se trouvaient très loin. La famille Ikoma n'est pas la plus crainte du clan du Lion, et on associe généralement les shugenja de l'eau à l'idée de douceur -mais peu de personne auraient défié Tsuyoshi en duel, et Kameko savait en imposer même aux shugenja du feu.
Le médecin était depuis longtemps une ennemie intime de l'artiste Asahina Masumi. N'étaient les conventions, parfois si fragiles, de la vie de cour, les deux femmes se seraient aisément sauté à la gorge. Elles se saluèrent ce premier soir, comme se salueraient deux duellistes, puis le reste du temps, elle se tinrent à distance l'une de l'autre. Elle auraient facilement allumé le feu de la discorde et de la haine aux milieux des jardins sinueux, délicats, aquatiques de notre beau palais.
Il y avait eu un frisson dans l'assistance quand Kameko-sama était entrée, comme quand vous approchez d'un fauve. Puis, la politesse aidant, le médecin sut passer pour un tranquille félin. Qui savait ne pas s'y tromper se doutait que ses griffes restaient affûtées, prêtes à jaillir. Du reste, le sabre d'Ikoma Tsuyoshi était inconditionnellement au service de Kitsu Kameko.
Certains frissonnaient de plaisir en songeant à la rivalité entre l'artiste Grue et la shugenja Lion. D'autres frissonnaient tout court.

L'invité suivant fut accueilli par nous avec plus d'assurance. Il s'agissait de Doji Itto, le célèbre courtisan, apprécié pour sa courtoisie, son grand esprit, son goût pour les plaisirs et sa largesse dans les offrandes. Nombre de gens lui devaient un ou deux services - de ces services qu'on s'honore de rendre, sans être écrasé par leur poids. Ses terres étaient très riches, et les artisans qui vivaient sur son domaine étaient réputées. Aussi Itto-sama distribuaient-ils souvent sans compter les cadeaux autour de lui.
A ceux qu'ils connaissaient mieux (j'en étais), il proposait des cadeaux plus spéciales et plus raffinées, en les prenant à part, et en faisant bien comprendre qu'il s'agissait de faveurs réservées à ses "bons amis". Il connaissait une courtisane voluptueuse, qui se languissait depuis que son favori était parti à la guerre. Elle désirait tant d'une présence masculine près d'elle, et, à en croire Itto, ses soupirs éplorés auraient poussé n'importe quel bushi, si fier et si réservé soit-il, à se jeter à ses pieds pour la consoler. Itto-sama, avant même le début de la cour d'hiver, avait pensé à des prétendants potentiels pour sa geisha, et nous verrons plus loin quel fut l'heureux élu...

Je savais par ailleurs qu'Itto-sama avait un faible pour Mirumoto Ryu. Comme nous tous, il avait noté sa très grande beauté, mais jusqu'ici, Ryu-san avait répondu par des paroles allusives autant qu'énigmatiques à certaines avances du courtisan. Par ailleurs, la pagode du palais n'était pas un lieu propice aux propositions feutrées -et Ryu-san y passait le plus clair de ses journées !

Son arrivée séparée de celle de Kitsu Kameko par celle de Doji Itto, Asahina Masumi se présenta ensuite à la porte du Phénix. Elle entrait enfin dans la cour d'hiver, cette si célèbre artiste, aux talents si développées et si vastes comme des cerisiers en fleur ! Vêtue d'un magnifique kimono, dont elle avait elle-même dirigé la confection, elle entra dans ce monde qui était vraiment le sien. Pour des femmes comme elle, il aurait fallu que la cour impériale durât d'un bout à l'autre de l'année !
Qui ne connaissait pas sa réputation en musique, en origami et en confection de kimono -n'était vraiment qu'un rustre. C'est dans ce dernier art qu'elle avait acquis sa renommée, et c'est un kimono qu'elle avait offert à Masanaga-sama pour le remercier de son invitation. Et c'est encore un kimono de Masumi-sama que Doji Itto portait ce soir-là. Je le soupçonnais d'ailleurs d'en avoir passé commande d'un autre pour sa courtisane préférée. Mais passons sur ce détail...
Comme j'ai dit, le moment où Masumi-sama alla saluer Kameko-sama fut plein de cette tension que l'on ressent avant que l'orage n'éclate.
Au fait, demanderez-vous, quelle était l'origine de cette rivalité ?
Par Shiba, elle n'était pas bien belle, et je m'abstiendrai d'en dire plus. Il n'est pas convenable d'évoquer ces aspects déplaisants au sujet de ces deux dames...

:samurai:

Le dernier invité fut Mirumoto Munetaka, médecin de Mirumoto Akuma, daimyo de la vallée d'Heibetsu. Qu'on se représente un homme solide, montagnard, moins que rude mais pas non raffiné. Un tempérament affirmé, des manières travaillées, faites pour plaire à tous, une manière pragmatique de considérer les choses. Autant de qualités qu'on ne retrouve pas toujours chez les membres du clan du Dragon... Le docteur, disait-on, avait bien de la peine à guérir les humeurs foudroyantes de son daimyo, l'honorable Akuma-sama, surnommé par mon clan "le ciel noir" en raison de ses colères redoutables et brusques, sans signes annonciateurs. Il est vrai que la riante vallée d'Heibetsu avait subi des désagréments nombreux depuis l'été dernier. Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Mirumoto Ryu, Isawa Ayame et Shiba Ikky étaient de ceux qui avaient contribué à aider le daimyo.

C'est ce soir-même qu'eut lieu le premier incident social de cette cour. En effet, Mirumoto Munetaka, à peine arrivé parmi nous, dut prendre un coup au coeur en entendant distinctement Ryu-san lui parler des incidents à Heibetsu.
Par Isawa, il m'est pénible de rapporter des paroles si indignes. Il est vrai que Ryu-san avait pris la précaution élémentaire de parler au docteur à l'écart. Mais les mots qu'elle prononça étaient si deshonorants que nous ne pouvions pas ne pas entendre.
En substance, elle disait que la famille Bayushi (par Isawa, j'en tremble...) avait attaqué son daimyo, avait humilié son clan, et qu'il fallait détruire ces Scorpions !
Elle bravait ainsi la décision impériale de bannir ce clan de l'Empire et des archives et des mémoires !
Il y eut un silence très lourd, très soudain. Tout le monde baissa la tête, d'autres osaient à cette occasion afficher leur effroi. Tous savaient déjà que ces paroles appelaient réparation.
Qui allait s'en charger ?
Mirumoto Onitsugu ? Non, le kensaï n'allait pas affronter une bushi de son clan.
Kakita Hiruya ? Il avait rendu service au clan du Dragon. Il n'allait pas maintenant l'affronter.
Devant l'hésitation de tous, et face à l'urgence de la situation, celui qui réagit et alla defié Ryu-san en duel fut Ikoma Tsuyoshi.
- Vous avez offensé notre divin Empereur par vos paroles, Mirumoto Ryu. J'en demande réparation.

Sans délai, Masanaga-sama ordonna la tenue du duel. Mirumoto Munetaka n'eut qu'à acquiescer, ainsi que Kitsu Kameko, supérieurs respectifs des deux duellistes, et nous sortîmes devant le palais, dans le grand jardin recouvert d'un épais manteau de neige.
Je rendis aux deux bushis leur daisho, et ils se mirent en garde, alors que de petits flocons de neige dansaient et virevoltaient partout dans la nuit.
La tension du cérémoniel de iaijutsu fut de courte durée. Tsuyoshi-san était à n'en pas douter un futur senseï de cet art. Mirumoto Ryu s'inclina face à lui.
Masanaga-sama déclara que nous acceptions les excuses de Ryu-san. Les deux adversaires se saluèrent et se séparèrent.
Tsuyoshi-san passa près d'Ayame-san, Hiruya-san et Yugoki-san.
- Je crois que c'était la seule chose honorable à faire, samuraï, et je l'ai faite.
Les trois samuraï hochèrent la tête d'approbation.

La fin de soirée se passa à discuter de choses et d'autres, et à évoquer à demi-mots l'honneur, les traditions. Je crois que Mirumoto Ryu avait déjà rejoint la pagode et implorait le pardon des Fortunes.

:samurai:

5e journée

Ce fut une belle journée, par Isawa. Amaterasu nous fit la grâce d'éclairer notre hiver si froid de ses magnifiques rayons, beaux comme du miel glacé.

J'organisai un tournoi de tir à l'arc. J'avais selectionné les meilleurs tireurs de la cour, parmi lesquels Ikoma Tsuyoshi, Doji Itto, Shiba Nobuyori et Ide Soshu, mais le gagnant ce jour-là fut sans conteste Shinjo Kohei. Il visa avec une précision infaillible, et, comme j'ai dit plus haut, chaque flèche chassait la précédente du centre de la cible. Les autres participants s'inclinèrent devant le Licorne. Il est vrai que ce clan enseigne cette manière si particulière de tirer à l'arc. Le bushi bande l'arc très longtemps, et vise soigneusement, alors que tous les autres clans apprennent à tirer à l'instinct, comme pour le iaijutsu en quelque sorte.

Le reste de la journée se passa en conversations, en rencontres opportunes, en discussions sur les uns et les autres, en petites intrigues diverses. Asahina Masumi organisa un banquet sur l'île au milieu du lac. Y participèrent Isawa Ayame et Suzume Yugoki. J'observai de loin les deux jeunes gens, et je voyais l'air amusé de Masumi-sama, qui écoutait leurs roucoulades déguisées. Il y eut de nombreuses parties de go ce jour-là, un peu partout dans les allées du jardin. Nous avions fait disposé des plateaux ici et là, pour que des parties se lancent à l'impromptu, au hasard d'une promenade.
Doji Itto battit Kakita Hiruya, Kuni Ketedore et Kitsu Kameko.
Les cousins Isawa Kogin et Doji Kafu s'affrontèrent longuement, sous l'oeil attentif de Shinjo Kohei et Ikoma Tsuyoshi. Kafu l'emporta de peu ; Ide Soshu affronta Mirumoto Onitsugu et gagna.
Puis, j'organisais plusieurs rencontres de Kemari, ce jeu qui réunit dix concurrents, disposés en cercle, et qui doivent se passer une balle de cuir sans froisser leur kimono cérémoniel : agilité, prestance, destabilisation de l'autre, ce sont les qualités du courtisan que ce jeu met en oeuvre. Doji Kafu remporta une première partie, de justesse contre Suzume Yugoki. Puis dans une deuxième rencontre, Doji Itto fut le dernier en lice, devant Mirumoto Munetaka.

:samurai:

C'est en cette fin d'après-midi que se produisit un incident assez gênant. Un blessé vint se présenter à la porte arrière du château. Je le fis aussitôt transporter vers les quartiers du clan Phénix, et je demandai discrêtement au docteur Munetaka et à la shugenja Kameko de venir soigner cette personne. Isawa Masanaga-sama fut prévenu de cette affaire, et demanda aux deux médecins de garder leur réserve quand à cette histoire. Il convenait pour le moment de ne pas l'ébruiter. Kameko-sama et Munetaka-sama le jurèrent. Grâce à l'art médical du Dragon et aux Fortunes invoquées par la Lionne, le blessé fut mis hors de danger. Avec du repos, il se remettrait rapidement.

Je regrettais tout de même que cette journée plaisante fut ternie par des rumeurs quant à une épidémie de peste sur les terres impériales, et dû côté des possessions septentrionales du clan de la Grue. Doji Itto et Asahina Masumi, ainsi qu'Ide Soshu semblaient au courant de ce qui se passait. Du moins propageaient-ils les rumeurs, inquiets après reçu des courriers de leur clan.
On disait même que l'Empereur avait décidé plusieurs choses à ce sujet, et qu'il avait envoyé des émissaires d'Emeraude depuis Kyuden Asako, pour propager sa volonté.
Par tous les kamis, si nous avions su alors, quel message portaient ces coursiers !

La journée se termina par l'accueil des invités. Après eux, il ne resterait plus qu'à accueillir le vénérable senseï Isawa Kanera, le lendemain soir.
Il manquerait un invité ce soir-là, et je glissais à ceux qui s'en étonnaient (comme Ketedore-sama et Soshu-sama) qu'il viendrait plus tard.
Nous fûmes surpris de voir arriver ces invités avec une mine lugubre. J'aurais pu jurer qu'eux savaient ce que l'Empereur avait annoncé, et quelles étaient ces sombres nouvelles qui endeuillaient les alentours d'Otosan Uchi.
Mais n'oublions pas de présenter ces nobles seigneurs qui honoraient de leur présence la Cité du Chêne Pale.

:samurai:

Le senseï calligraphe Shiba Rosanjin était reputé pour être l'un des plus grands artisans de sa spécialité. Impitoyable à l'égard de ses étudiants, distants avec tous, d'une exigence absolue quand à l'art du pinceau, il était respecté de tous pour sa maîtrise parfaite. Il avait composé une magnifique calligraphie pour Masanaga-sama, si gracieuse qu'elle semblait imiter le mouvement même du vent et de l'eau des torrents. A vrai dire, la seule faiblesse du senseï était la gent féminine. Doji Itto voyait d'ailleurs en lui un candidat sérieux pour sa geisha.

Ide Tadaji était l'ambassadeur du clan de la Licorne à Otosan Uchi. Reputé pour son art de la conciliation et sa parfaite amabilité, c'était aussi un grand joueur de Go. J'appréciais beaucoup ce samuraï, car il était invariablement agréable et distant. Il savait nombre de choses sur tous, mais n'en abusait jamais.

Kakita Yobe était un duelliste réputé de son clan, un bon courtisan et un samuraï honorable en toutes, l'un de ces êtres voués à rechercher l'excellence en toutes choses. Il était le senseï de Kakita Hiruya, et un rival potentiel pour Ikoma Tsuyoshi. Nous étions plusieurs à savoir que les deux hommes s'étaient connus à l'Académie Kakita, et nous avions la certitude qu'ils avaient le désir d'en découdre dans un duel régulier. S'ils en venaient à s'affronter, cela promettait un duel foudroyant, rapide et parfait comme une calligraphie de Rosanjin-senseï.

Daidoji Morozane était le daimyo de la Cité de la Violence derrière la Courtoisie. D'énormes responsabilités pesaient sur ses épaules, car il avait juré à son daimyo, Daidoji Uji, de tenir face à Matsu Tsuko, qui avait juré de prendre la Cité avant la fin de l'hiver. Cela faisait un serment de trop, et déchaînait la guerre entre le bras droit et le bras gauche de l'Empereur. Daidoji Morozane vouait une haine féroce à Matsu Akinori, son voisin direct, et on disait que les deux samuraï s'insultaient du haut des remparts de leur Cité respective. Récemment, Matsu Akinori avait reçu le soutien supplémentaire de Matsu Gohei, cousin de Matsu Tsuko. De tels ennemis, par leurs seules menaces, auraient brisé le courage de plus d'un homme, mais Morozane-sama tenait bon, avec une fermeté qui honorait son clan.

Mais tous ces grands samuraï, qui sont l'élite de notre Empire, ils arboraient une figure pleine de souci ce soir-là, pour leur arrivée. Ils déclarèrent plutôt trois fois qu'une combien ils étaient honorés d'être les invités de Masanaga-sama, et j'essayais bien de les dérider. Rien n'y fit. Par Isawa, nous étions donc maudits ! Masanaga-sama se rongeait les sangs. Les temps étaient décidément bien trop inquiétants. La vieille malédiction d'Akodo résonnaient lourdement à notre souvenir : "puissiez-vous vivre en des temps intéressants !"

:samurai:

6e journée

La raison de tout ceci, nous ne la connûmes que le lendemain matin. Tôt, dans l'aube naissante, un palanquin portant le mon de la famille Otomo arriva en vue de notre palais. Par Isawa, ce n'était pas n'importe quel invité, mais l'un des tout plus importants diplomates de l'Empereur qui se présentait à nous !
Enfin, nous allions savoir de quoi il retournait. Mais combien ce devait être grave pour qu'un magistrat se déplace, et pas simplement un coursier !

Isawa Masanaga-sama fit réunir tout le monde dans la grande salle d'honneur, je veux dire tous ceux présents dans le palais, par ordre de rang, des plus glorieux invités, jusqu'aux plus humbles serviteurs. Les rayons de dame Amaterasu ne perçaient pas encore à travers les feuillages que le magistrat se présenta dans la grande salle.
Nous étions tous inclinés bien bas devant lui, mon daimyo le premier.

- Honorables samuraï, déclara Masanaga-sama, l’honorable Otomo Ichikowa, Haut Magistrat Impérial de la Cité Interdite, conseiller personnel et cousin de l’Empereur, vient nous délivrer un message de la plus haute importance.
Honorable magistrat, nous vous écoutons.
- Samurai, prononça le magistrat en déroulant son parchemin devant lui, (et depuis, ces paroles ont pris un air d'éternité, car elles résoneront à jamais dans nos mémoires), voici retranscrites à la lettre les paroles prononcées par notre divin empereur Hantei XXXIX à Kyuden Asako, voici deux jours :

« Moi Hantei XXXIX, Fils du Soleil et de la Lune, Empereur d’Emeraude, ordonne l’application immédiate du décret suivant :
- Que soit réhabilité le clan du Scorpion, et toutes ses familles, au sein des clans majeurs.
- Toutes leurs terres et leurs titres leur sont rendus, ainsi que leur honneur et leur dignité. Bayushi Yojiro est nommé daimyo du clan.
Qu’il en soit fait ainsi selon ma volonté. »


...

Et le magistrat de saluer et de partir comme il était venu.

...

On s'imaginerait avec difficulté combien fut long le silence qui suivit cette annonce. Par Isawa, c'était comme le silence après la bataille, quand les morts agonisent et que les vaincus se sentent plus misérables que des etas. Asahina Masumi manqua s'évanouir, dans les bras de Doji Itto, qui la soutint, tandis que le docteur Munetaka se précipita vers elle, et dit que ce n'était rien de grave. Ce jour-là, beaucoup d'invités durent puiser dans des réserves insoupçonnées de courage pour demeurer impassibles comme l'exige le bushido. Je vis Ikoma Tsuyoshi serrer les dents et les poings, et contenir une rage comme seuls en connaissent les membres de son clan. Nous étions paralysés par cette annonce.
Le premier, Isawa Masanaga reprit la parole.
- Samuraï, vous avez entendu les paroles de notre divin Empereur, et vous y obéirez tous comme l'ordonne l'honneur, car vous êtes les serviteurs de l'Ordre Céleste. Nous nous inclinerons donc devant la décision du divin fils du Ciel, et nous reconnaîtrons à nouveau le clan du Scorpion parmi les clans majeurs, parmi nos frères et nos égaux, et en les rencontrant, nous reconnaîtrons la gloire et l'honneur qui leur sont dûs.
« Samuraï, je serai le premier à obéir à l'Empereur, et avec moi tout le clan du Phénix. Puissent les Fortunes et les Ancêtres nous montrer le chemin à suivre. Puissiez-vous passer une cour d'hiver agréable, je vous le souhaite de tout coeur, en mon nom et en celui du clan du Phénix.
« Bonne journée, samuraï !






:samurai: GLOIRE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
Dernière modification par rahsaan le 21 avr. 2006, 16:20, modifié 1 fois.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 16:04

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 10e Episode
Mois du Rat (début de l'hiver)


Les subtilités de la cour

VOLUME I
Grands mensonges et petites vérités



« Une décision noble et juste »

Une quinzaine de jours après que l'Empereur l'eût proclamé devant les courtisans de Kyuden Asako, la nouvelle du rétablissement du clan du Scorpion parvint à la Cité de l'Or Bleu.

Gempachi, Sotan et Riobe s'y reposaient de leurs blessures. Gempachi honorait l'hospitalité promise, mais il dut mettre à contribution ses deux invités dès qu'ils furent rétablis. Ce fut rapide pour Riobe : en quelques jours, notre héros était de nouveau sur pied, frais comme l'oeil. Sotan, quoiqu'il voulût le cacher, mit bien plus longtemps à voir ses blessures se refermer.
Gempachi vivait essentiellement de la pêche. Il allait vendre des poissons dès qu'il le pouvait à la Cité de l'Or Bleu, et achetait du riz avec les quelques zénis qu'il récoltait sur le marché. Grâce à Riobe et Sotan, la pêche fut plus abondante, et il pouvait gagner plus d'argent, mais il fallait nourrir plus de monde.
Bref, ce n'était pas la misère, mais c'était loin d'être l'opulence.

Riobe rechignait quelque peu à porter les poissons. Ce n'était guère de son rang de se comporter ainsi. Il fallut quelques paroles de Sotan pour dissiper ses scrupules.
- Allons, Riobe, pourquoi rougir de porter quelques poissons ? Nous le faisons pour aider notre hôte. Tu sais très bien que tu es quelqu'un d'honorable. Nous t'avons vu te battre contre le monstre, tu n'as pas failli à tes Ancêtres. Crois-moi, il y a des choses bien plus deshonorables dans la vie. Il n'y a rien de dégradant à porter ces poissons, tant que tu continues à te comporter comme avant.

La carrure et l'autorité solide de Sotan persuadèrent Riobe de composer avec les nécessités de la vie. Maintenant rétablis, les trois rônins se rendirent à la Cité de l'Or Bleu.
C'était, depuis sa fondation, plus un village qu'une cité, une localité à l'écart de tous, où le plus grand évènement était la fête aux poissons une fois l'an, et le jour de la récolte des impôts. Autant dire que c'était un de ces milliers de village sans histoire de Rokugan.
Mais ce jour-là, fait absolument inédit, une grande agitation régnait. Un crieur public annonçait la convocation de tous les rokugani dans la cour du shiro de la ville. Encore que shiro fût un bien grand mot. Ferme fortifiée était plus convenable.
Le magistrat Shiba Morioka avait une déclaration à faire, devant tous, samuraï, rônins, peuple et non-peuple.
Et on pressentait bien que seule une annonce gravissime pouvait bouleverser ainsi l'immobilité ancestrales des lieux.
Une fois tout le monde réuni dans le shiro, et rangé par ordre de gloire dans l'Ordre Céleste, le magistrat Morioka-sama répéta les paroles mêmes de l'Empereur :

« Moi Hantei XXXIX, Fils du Soleil et de la Lune, Empereur d’Emeraude, ordonne l’application immédiate du décret suivant :
- Que soit réhabilité le clan du Scorpion, et toutes ses familles, au sein des clans majeurs.
- Toutes leurs terres et leurs titres leur sont rendus, ainsi que leur honneur et leur dignité. Bayushi Yojiro est nommé daimyo du clan.
Qu’il en soit fait ainsi selon ma volonté. »


:samurai:

La stupéfaction fut immense, là aussi, comme partout dans Rokugan, où la nouvelle se répandait comme une traînée de poivre gaijin. Le rétablissement du Scorpion, c'était pour beaucoup le retour du démon, de l'égorgeur d'enfant, d'une plaie abominable, du méchant de l'histoire, du monstre qui rôde, du traître qui vous poignarde dans le dos !
Qui dans Rokugan ignorait encore que les Scorpions vénéraient secrêtement des divinités de la mort, étranglaient leurs enfants pour le plaisir, et étaient dirigés par une famille de ninjas voués à l'extermination des braves gens ?

Riobe accusa le coup. C'était pour lui des paroles terribles. Les plus lourdes et les plus fortes qu'il ait entendu, depuis ce soir, trois ans auparavant, après la bataille d'Otosan Uchi, quand il avait eu le choix entre s'ouvrir le ventre ou perdre sa famille et son clan.
Jamais depuis, sur tous les longs chemins et à travers les épreuves, Riobe n'avait entendu de paroles qui lui rentrèrent si profondément dans la chair. Et c'était le même Empereur Hantei XXXIX qui les prononçait à nouveau.
Ainsi le clan de l'assassin de l'Empereur était rétabli, mais pas la famille de celui qui avait voulu sauvegarder le trône d'Emeraude ?
Riobe serra très fort les poings, pour contenir sa fureur.

Dans l'assistance, un rônin, jeune, au sourire sarcastique, sourit d'une manière qui fut aussitôt odieuse à Riobe.
- Une décision juste et noble, disait-il, comme s'il ne se parlait qu'à lui-même, mais de manière à ce que tout un chacun pût entendre.

C'en était trop pour Riobe. Il marcha au-devant de l'impudent samuraï, et au cour d'un court échange à couteaux tirés, il lui envoya à la face tout ce qu'il pensait de lui ; il l'accusa, lui comme ses semblables, d'être un lâche, un homme sans honneur, un menteur qui ne respecte aucune valeur du bushido.
Dans l'assistance, plusieurs heimin ne dirent rien, baissèrent la tête, mais secrêtement, soutenaient de tout leur coeur l'impétueux rônin et tremblaient devant son adversaire, qui puait le Scorpion à quatre lis.
L'accusé ne répliqua qu'à peine.
- Les choses ont pourtant changé, dit-il, d'un ton mielleux. L'ancien daimyo est mort. Maintenant, Bayushi Yojiro est mon maître. Et déjà avant, il était mis au ban de son clan, car il était le Scorpion Honnête. Si mon maître m'ordonne d'être honnête, je le serai, car les Scorpions sont loyaux jusqu'à la mort.
Discours qui puait l'hypocrisie. Riobe lui dit encore que tout cela n'était qu'une façade. Sotan et Gempachi, en retrait, étaient dans leurs petits souliers. Ils n'osaient pas intervenir, mais se sentaient extrêmement mal à l'aise.
Finalement, le Scorpion se retira, après avoir précisé qu'il se nommait Emmon.
Il ne présenta pas son nom de famille :
- Je n'ai pas encore retrouvé mon daimyo. Quand ce sera fait, je présenterai mon nom...

Riobe et lui s'étaient séparés avant d'en arriver au duel. Le Scorpion aurait eu mille fois l'occasion d'exiger une réparation à mort.
L'après-midi, Sotan et Gempachi tentèrent d'oublier l'incident en vendant le poisson.
- Par Osano-Wo, soupira Sotan, tu es fou d'avoir defié ainsi ce Scorpion ! Qui sait quelle vengeance il mijote ! Ces gens-là ne pardonnent rien !
- Qu'avais-je à craindre face à ce lâche, disait Riobe en rigolant fiérement. Ce n'était qu'un Scorpion, Sotan ! Il méprise les rônins. Pourquoi irait-il se battre contre moi ? Il n'a pas de daimyo pour lui ordonner ! Il n'a que faire de moi ! Et que faisait-il, si loin de ces terres, cet Emmon ! Il devait trafiquer des choses ici !...

:samurai:

Riobe fut alors appelé par un jeune bushi Shiba, qui criait à l'intention des rônins :
- Lequel d'entre vous s'appelle Riobe ? Lequel d'entre vous s'appelle RIOBE ?
- C'est moi, dit notre rônin, en s'inclinant comme d'usage.
Le Shiba lui remit une missive :
- Tiens, cela vient de la Cité du Chêne Pale. De la cour d'hiver. Tu peux dire que tu es honoré de recevoir ce courrier !
Intrigué, Riobe remercia et prit l'enveloppe. Le mon de la Licorne était cacheté dessus à la cire.
Riobe ouvrit l'enveloppe et lut l'étonnant message suivant :

Riobe,

Tu dois t’étonner de recevoir une lettre de ma part. Je suis à la cour d’hiver depuis quelques semaines maintenant mais je ne sais pas écrire de jolies lettres, pleines de formules tordues, comme ces courtisans Grue.
Je préfère te parler directement, de samouraï à samouraï.
Nous nous sommes rencontrés à la fin de l’été dernier, et nous avons beaucoup voyagé ensemble. Les Licornes aiment voyager.
Je n’ai jamais caché que j’appréciais ton sens de l’honneur et ton dévouement, Riobe. Tu te souviens que tu m’avais tiré d’un mauvais pas avec cette affaire d’éventail volé à Inchu. -Teyandee !- Par Shinjo, c’était une bonne chose d’être allé prier au temple ce jour-là !
Au début de l’année prochaine, je vais me voir confier une importante mission par la famille Daidoji. J’aurai plusieurs hommes sous mon commandement. Je ne pourrais pas tous les choisir, mais j’ai un peu de marge de manœuvre.
Je voudrais que tu en fasses partie. Il y aura des risques évidemment, mais par Otaku, toi et moi, on en a vu d’autres, pas vrai !
En plus, tu sais que les Grue -sont des richards- vivent dans l’opulence, alors crois-moi, ils te payeront largement pour ta peine. Si tu veux bien accepter mon offre, rejoins-moi à la Cité du Chêne Pale. On pourrait se boire un de ces sakés qu’ils fabriquent ici.

Nikutai [caporal] Shinjo Kohei
de la Cité du Lac aux Rives Blanches
PS : Demande à Sotan de venir avec toi. Je ne veux pas négliger un gaillard comme lui.
PPS : Pardonne-moi de te le dire un peu trop franchement (tu sais comment nous sommes, nous les Licornes) : Mirumoto Ryu sera aussi de cette expédition…


Riobe ne put retenir un sourire vraiment amusé en lisant la fin de la lettre. C'était bon de savoir qu'il y avait des gens comme Shinjo Kohei dans Rokugan...

:samurai:

Le soir, nos trois rônins étant rentrés chez Gempachi, Riobe parla à Sotan de la missive, et lui dit qu'il était convoqué par Shinjo Kohei.
Sotan en fut extrêmement surpris. Il se souvenait du Licorne, croisé lors de l'affaire des vendanges d'Inchu. Mais comment se faisait-il que lui, Sotan, pût intéresser un samuraï de clan, invité de la cour d'hiver ?
Mais le Crabe accepta de partir avec Riobe. Avant peu, ils entreprendraient de suivre le chemin jusqu'à la Cité du Chêne Pale.

A la nuit tombée, alors que Gempachi, à la lumière de deux fragiles lampes, faisait griller le poisson près de la cabane, et que l'océan, éclairé par Seigneur Lune, grondait puissamment, Riobe s'isola pour méditer, assis dans la bruyère sauvage.
- Ainsi oui, il est juste que les Scorpions redeviennent un clan, et que Toturi reste un rônin. Car les complices de l'assassin de l'Empereur ont été exécutés, mais Toturi n'a pas expié son crime. Donc oui, la décision de l'Empereur est juste, et conforme à l'Ordre Céleste...
Il ne le disait pas de gaieté de coeur. Il essayait de s'en persuader, et d'y croire très fort, par la seule logique.
Sotan s'était approché.
- Riobe, écoute... Je comprends ton emportement contre cet Emmon, cette après-midi. Et je comprends que la décision de l'Empereur soit douloureuse pour toi. Mais tu ne dois pas avoir de regrets. Pas de regret, pas de peur, pas de désir. C'est ce qui est interdit aux bushis.
- Qu'allez-vous faire dans les mois à venir, Sotan ?
- Je te l'ai déjà dit. Je vais retourner sur les terres de mon clan. Je vais demander à combattre sur la muraille. Comme rônin ou comme samurai de clan, peu importe, et j'y mourrai glorieusement. J'ai perdu mon honneur contre cette Grue Noire. Mes hommes sont morts par ma faute.
- Vous avez combattu honorablement la Grue Noire, Sotan. Vous n'aviez peut-être pas à déchoir, car dès que vous avez su que c'était un criminel, vous avez refusé de le suivre plus loin. Vous avez un clan qui vous attend. Moi je n'ai pas de but.
- Par Osano-Wo, grognait Sotan, je n'aime pas t'entendre parler ainsi, Riobe. Je suis sûr qu'avec de la persévérance et de l'honneur, tu trouveras ta voie.

Puis les deux hommes discutèrent brièvement de l'honneur et de leur passé. Quand Sotan apprit que Riobe avait combattu sur la muraille, il sentit ce dernier remonter dans son estime.
- Ça alors ! Tu étais sur la grande muraille Kaiu ? Face à un Oni ? Mais c'est très bien !
- Oh, ce n'était qu'une journée.
- Par Hida, si tous ces courtisans Grue effeminés avaient passé au moins une journée sur la Muraille !... Et puis, moi aussi ce Scorpion, je l'aurai volontiers écrabouillé à coups de tetsubo si j'avais pu ! Alors crois-moi, je te soutiens dans ce que tu as fait. Tu n'as pas de regret à avoir. Allez viens, je crois que ce sacripan de Gempachi a encore une réserve de saké. Nous la boirons pour fêter ton combat sur le mur !

La fin de soirée fut plutôt plaisante, comparée au début de journée.
Le surlendemain, Sotan et Riobe disaient adieu à leur hôte, et, quelques provisions et zenis dans la poche, se mirent en route vers la Cité du Chêne Pale. On était en plein coeur de l'hiver. La neige tombait drue sur les chemins de Rokugan.

:samurai:

Réunion des clans de la cour d'hiver

Le lendemain de l'annonce impériale, les invités se réunissaient par pour commenter l'évènement.


Les mystiques Phénix

Isawa Masanaga : J'avais été prévenu, peu avant l'arrivée de l'honorable magistrat impérial, de la teneur de son message, mais il m'était interdit de vous en parler. A présent, nous devons accepter la décision de l'Empereur, car sa sagesse nous dépasse, et nous ne pouvons juger de ce qu'il fait. Sachons simplement que c'était une parole juste. Notre dernier invité arrive ce soir, samuraï, et il s'agit d'Isawa Kanera-senseï. Comme vous le savez, il se retirera du monde pour préparer sa prochaine vie à l'issue de cette cour d'hiver ; je compte donc sur vous pour que ses derniers jours parmi nous soient agréables.
Isawa Akitoki : Pour ma part, je convoquerai mes élèves Kogin et Ayame avant peu, pour parler de ce début de cour d'hiver et m'occuper de la suite de leur formation.
Isawa Masanaga : Bien ce sera tout, samouraï. Comme toujours, notre clan doit faire preuve d'excellence et de perfection, et montrez à tous nos rivaux potentiels que nous pouvons être meilleurs qu'eux non seulement en magie (cela est acquis), mais également dans les autres compétitions. Je compte sur vous pour laisser à nos hôtes un souvenir inoubliable de cette cour d'hiver, et pour prouver à tout instant notre supériorité.


Les honorables Grues

Daidoji Morozane : Kakita Yobe-san et moi-mêmes revenions des terres impériales, et nous avions entendu là-bas d'inquiétantes rumeurs concernant le clan du Scorpion, mais elles se mêlaient aux nouvelles de la peste, qui continue malheureusement d'endeuiller les terres impériales, ainsi que nos possessions au nord. Pour ce qui concerne la Cité des Apparences, vous savez sans doute que Matsu Tsuko a confié à son cousin Matsu Gohei la charge de prendre la ville. Il en répond sur son honneur, et moi je réponds sur mon honneur devant notre daimyo Daidoji Uji de conserver cette ville. Je ne resterai hélas pas longtemps parmi vous, samouraï, car mon devoir me commande de revenir vite combattre aux côtés de mes hommes.
Kakita Yobe : Nous avons hélas fait triste figure en arrivant hier soir, mais désormais, nous devons entrer dans le jeu de la cour d'hiver. Il s'agit donc de montrer notre excellence et notre perfection, non seulement dans l'art du duel (cela est acquis), mais aussi dans toute autre compétition qui se présentera. Je veillerai donc en particulier à ce que les talents de mon élève Kakita Hiruya ne se manifestent pas que dans l'art du iaijutsu, mais partout ailleurs.
Asahina Masumi : Je tâcherai de mettre au service de notre clan mes modestes talents. Nous prouverons ainsi l'excellence de notre art.
Doji Kafu : A la demande de la famille Daidoji, j'ai remémoré à Shinjo Kohei et Mirumoto Ryu l'obligation qu'ils ont envers nous. Ils ont accepté de se mettre à notre service après la cour d'hiver. Ils se rendront directement à Shiro Daidoji, où ils recevront leurs instructions de la bouche du puissant daimyo Daidoji Uji. Kohei-san ménera le groupe de samuraï qui nous serviront.
Kakita Hiruya : Je connais Shinjo Kohei depuis longtemps, et je sais qu'il est honorable et s'acquittera de sa tâche comme l'exigera Uji-sama. Il avait contracté cette dette envers nous, voici plusieurs années et je pense qu'il est heureux de la remplir.
Daidoji Morozane : Bien, samouraï, puisque tout est dit, il ne reste plus qu'à profiter de cette cour d'hiver pour manifester notre excellence en tous les domaines et éblouir nos hôtes !


Les vaillants Licornes

Ide Tadaji : Hélas, des rumeurs concernant le rétablissement du clan du Scorpion couraient depuis longtemps dans les couloirs de la Cité Interdite, mais je n'avais pas le droit de m'en faire l'écho. C'était pourtant vrai. Maintenant, il nous faudra compter de nouveau avec le plus subtil et le plus dangereux des clans majeurs. Souvenez-vous de cela, samouraï : certains nous disent de nous méfier des Scorpions, d'autres nous disent de leur faire confiance ; certains sont nos ennemis et certains nos amis. Alors qui croire ? Les deux bien sûr...
Ide Soshu : Je veillerai toujours à respecter le protocole et l'étiquette à la lettre. Ainsi, ils ne pourront pas prendre prétexte d'une querelle de mots pour s'attaquer à nous. Pour le moment, Tadaji-sama, je dois avouer que je suis tracassé par cet évènement que le retour des Scorpions a occulté...
Ide Tadaji : Lequel ?
Ide Soshu : L'arrivée de ce mystérieux blessé, qui a été soigné par Kitsu Kameko et Mirumoto Munetaka. Les deux médecins ont été tenus au secret par Masanaga-sama, mais j'ai tout lieu de croire que ce blessé pourrait bien être l'invité qui ne s'est pas présenté hier, le troisième Lion : Matsu Bashô.
Ide Tadaji : Vous m'aviez déjà parlé de lui, je crois, Soshu-san...
Ide Soshu : Oui, effectivement, Tadaji-sama. J'avance prudemment en ce domaine, mais je pense que Matsu Bashô est lié à une organisation criminelle importante, quoique j'ignore à quel point il trempe dans leurs sales affaires. Cette blessure pourrait provenir d'un réglement de compte sanglant entre gens du milieu...
Ide Tadaji : Bashô-sama n'est pas le moindre des invités. Je vous conseille donc de redoubler de précaution, car moi-même, si je le rencontrais, je devrais lui parler d'égal à égal.
Shinjo Kohei : A la demande de Soshu-sama, j'ai envoyé une lettre à un rônin que je connais bien, que je prendrai sous mes ordres quand je servirai la famille Daidoji. Je pense qu'il pourra enquêter en ville pour savoir ce qui s'est passé avec Bashô-sama.
Ide Tadaji : Samuraï, je vous recommande une seconde fois une extrême prudence. Je pourrai arrondir certains problèmes, mais pas sauver vos têtes si vous offensez le clan du Lion ou qui que ce soit. Le Maître des Quatre Vents, Shinjo Yokatsu-sama est en ce moment en pourparlers importants avec la famille Matsu : il n'est pas temps qu'un incident avec un notable comme Bashô-sama aigrisse les négociations. Tenez-le vous pour dit. Ceci dit, si le magistrat Soshu pense pouvoir servir la loi de l'Empereur, alors je l'autorise à enquêter, dans les limites de l'honneur !


Les nobles Lions

Kitsu Kameko : Hé bien, comment se passe ce début de cour d'hiver, Tsuyoshi-san ?
Ikoma Tsuyoshi : On ne peut mieux, Kameko-sama. Je remercie les Ancêtres et Kage-senseï de m'avoir envoyé dans ce cadre enchanteur.
Kitsu Kameko : Nos rivaux sont maintenant entre les mêmes murs que nous. Kakita Yobe pour vous, Asahina Masumi pour moi.
Ikoma Tsuyoshi : Je respecte infiniment Yobe-sama, ainsi que tous les élèves de l'Académie Kakita, où j'ai eu la chance de m'entraîner.
Kitsu Kameko : Tsuyoshi-san, je suis sûr que cette garce de Masumi se pose des questions sur Bashô-san. Ce poète va nous créer les pires soucis ! Si on découvre la vérité à son sujet, le deshonneur nous éclaboussera tous les deux.
Ikoma Tsuyoshi : Je défierai en duel singulier, avec votre permission, quiconque prononcera un mot de travers sur un membre de notre clan, et je lui ferai passer le goût de ce genre de propos.


Les énigmatiques Dragons

Mirumoto Munetaka : Par Togashi, ce début de cour d'hiver est bien agité ! Samuraï, je vous rappelle que je suis toujours tenu au secret quant au blessé qui s'est présenté hier au palais. Je vous demande donc du tact et de la discrétion sur ce sujet. Onitsugu-san, continuez à vous comporter comme vous l'avez fait jusque là. Soyez toujours réservé, et ne vous imposez pas. Notre daimyo n'exige pas de nous que nous éblouissions les autres clans, alors soyons simplement des hôtes agréables. Quant à vous, Ryu-san, j'apprécierais que vous quittiez un peu la Pagode des Rameaux ! Pensez donc à ce que dirait Mirumoto Akuma-sama s'il vous voyait passer la journée en méditation ! Et pensez un peu à votre mère : elle voudrait être fière de vous !
Mirumoto Onitsugu : Je pense aussi, Ryu-san, que vous devriez faire un effort pour parler plus, et pour parler bien !
Mirumoto Ryu : Oh, moi, moins j'en dis, mieux je me porte !
Munetaka et Onitsugu : ...


Les puissants Crabes

Kuni Ketedore : Hé bien, ma fille, te plais-tu, parmi nos hôtes Phénix ?
Kuni Sakurako : Oui, père, tout à fait.
Kuni Ketedore : Allons, j'ai bien compris que l'un des seuls à qui tu parlais était ce Licorne, Shinjo Kohei...
Kuni Sakurako : Il est vrai qu'il est plus accessible que les autres. Il utilise un langage moins compliqué. Les Licornes nous sont assez semblables, sur bien des points.
Kuni Ketedore : Ikoma Tsuyoshi aussi est quelqu'un de bien aussi. J'ai voyagé avec lui, il y a de cela quelques années. Il est droit, honorable. S'il y en avait seulement cent comme lui, l'Empire serait sauvé !
Kuni Sakurako : Je vous fais confiance, père. Je lui parlerai aussi.
Kuni Ketedore : Bientôt, nous allons repartir sur les terres de la famille Ichiro. Nous devons venger nos cousins. Nous devons détruire le monstre qui s'est attaqué à eux. Et surtout, nous devons savoir qui a invoqué un oni capable de détruire le clan du Blaireau !


L'humble Moineau et le solaire Mille-Pattes

Moshi Wakiza : Par Amaterasu, je crois que c'est un grand malheur qui s'est abattu sur nous, avec le retour des Scorpions. Ils sont noirs, secrets, ils se cachent pour vous trahir, ils rampent dans les ombres... Pour ma part, je ferai de mon mieux pour les ignorer...
Suzume Yugoki : Mon clan a déjà combattu et vaincu le clan du Scorpion. De toute façon, je ne pense pas qu'ils s'attaqueront à de petits clans comme nous. Nous sommes trop isolés.
Moshi Wakiza : Peut-être justement sommes-nous trop isolés. C'est pourquoi je me demande si une alliance avec Yoritomo ne serait pas profitable pour nous.
Suzume Yugoki : Pour ma part, j'ai déjà refusé cette alliance. L'Alliance Tripartite nous convient très bien. Les Guêpes sont les meilleurs archers de l'Empire, les Kitsune sont d'excellents shugenja, et mes hommes savent se battre. Je ne vois pas de raison de rejoindre le clan de la Mante.
Moshi Wakiza : Oui, mais quel dommage que le clan du Renard reste si isolé. Et je crois que Tsuruchi est favorable à une entente avec le clan de Yoritomo. Après tout, c'est un clan mineur comme nous, mais c'est aussi un clan puissant.
Suzume Yugoki : Un peu trop puissant pour nous, hélas, car je crois que les alliances profitent surtout au plus fort des partenaires.
Moshi Wakiza : Oui mais avec l'Alliance Tripartite, vous pourriez être de force égale dans une union avec le clan de la Mante, ne pensez-vous pas ?
Suzume Yugoki : L'Alliance Tripartite est très unie, et pour le moment, nous ne rejoindrons pas Yoritomo.
Moshi Wakiza : Que Dame Amaterasu nous protègent face à l'avenir ! Je suis également inquiète pour ce qui concerne le clan du Crabe. Les rumeurs qui remontent du sud sont parfois alarmantes. On dit que le Grand Ours est toujours aussi ambitieux, et a autant de mépris pour notre jeune Empereur que pour son prédécesseur.
Suzume Yugoki : Bah, si Hida Kisada voulait marcher vers la capitale, il devrait traverser tout Rokugan. Je ne suis pas inquiet pour nos clans, car jamais il ne pourrait faire passer une armée sur nos terres. Vous vivez dans une petite vallée, et les chemins par chez moi sont étroits et sinueux.
Moshi Wakiza : Eh bien, j'espère que nous pourrons un jour reparler d'une alliance entre nos deux clans. Je suis certaine qu'elle pourrait être très profitable.

:samurai:

Journaux et correspondances


Journal d'Isawa Naoshige, intendant de l'honorable Isawa Masanaga

6e journée (suite)

Après le départ du magistrat impérial, tous les invités se sont réunis par clan et nous avons tous convenus de l'attitude à adopter par rapport au retour du clan du Scorpion.
Puis dans la soirée, le vénérable senseï Isawa Kanera, le dernier des invités de la cour d'hiver, est arrivé. Merveilleuse sagesse de ce samuraï qui nous quittera hélas au printemps !
Je le revois encore, arrivant lentement, son yojimbo à côté de lui, comme concentré sur chaque pas, cet homme d'apparence si fragile mais qui recèle en lui des trésors et des soleils de sagesse !
Il s'est agenouillé sur une natte devant nous, et a récité ce simple haïku, qu'aucun d'entre nous n'oubliera jamais :
Tu vis en brûlant
Et ressuscite en mourant
Glorieux Phénix


Je médite souvent ces paroles quand ma charge m'en laisse le temps, et je sens mon coeur réchauffé, mon courage raffermi pour servir mon clan !
Je me souviens encore des paroles pleines d'humour du vieux senseï, qui ajouta, à la suite de ce poème :
- Hé bien, Masanaga-sama, par Shiba, je crois me souvenir que vous possédez un excellent saké. Pourquoi ne pas y goûter, nous n'avons pas l'éternité devant nous !

:samurai:

Journal d'Ide Soshu, magistrat de la Cité de la Grenouille Riche

6e jour de la cour d'hiver. J'ai invité les protagonistes de l'affaire d'Inchu à une amusante partie de labyrinthe. Kakita Hiruya est sorti premier. J'ai vu Isawa Ayame faire semblant de se perdre parmi les massifs végétaux : elle n'a pas l'esprit de rivalité et de jalousie, habituel à son clan, -ou alors pas là pour les rivalités habituelles. Je n'ai rien pu apprendre de plus sur son compte. Elle sait se dissimuler poliment. Une très remarquable intrigante.

:samurai:

Extrait de l'ouvrage autobiographique d'Isawa Ayame : "Mes petites vérités"

Premier mouvement

Soshu-sama vient me voir pour me dire que ça serait super rigolo de se retrouver tous les anciens du voyage @ Licorne pour se parler. Le labyrinthe semble un bon choix. Je fais la tournée des popotes pour inviter tt le monde, je termine par Ryu :
J'arrive près de la pagode (normal) je reste là qqs minutes debout derrière mais elle ne daigne pas broncher, donc je m'asseois à ses côtés.
Je prie les Fortunes de me délivrer de ce boulet et je prends enfin la parole pour m'excuser de la troubler blabla et qu'on se réunit près du labyrinthe, que ça serait cool qu'elle en soit.
Soshu est tout content à l'idée de faire le labyrinthe. On rentre tous un par un et c'est Hiruya l'Odieux qui se l'accorde suivi de Soshu + Ryu, puis Kohei, puis enfin moi, qui me suis attardée près d’un pety autel ; enfin Ikky qui a picolé dans un coin du lab'.

Soshu est d'humeur loquace : il veut qu'on reparle, et par exemple de nos passés respectifs, enfin surtout du mien le crapaud. Je capte pas son regard en coin vers mon bras amputé, à st'ivrogne, je me contente de botter en touche du mieux que je peux et de faire chier mon auditoire avec une brève allusion aux études passionnantes des jeunes shugenja (saillie mémorable du Shinjo Kohei, du style : « Mais ça alors comment on peut rester tout ce temps, sans galoper cheveux aux vents dans la pampa ?»), puis aux missions enrichissantes (et emmerdantes) aux contacts de ces braves gueux de paysans de la vallée d'Inchu.

Je me dépêche quand même de refiler le baybay à Kakita Hiruya l'Odieux avec force sous-entendus sur ô combien plus passionnante a dû être sa vie. Je crois que tout le monde raconte sa vie (Kohei est un esprit sanglier déguisé en humain, Ryu une mère attentionnée, Ikky une yojimbo gaijin, etc...) mais le Soshu en est quitte pour les révélations fracassantes.


Deuxième mouvement

Invitation de Hiruya : pas grand chose à en dire. Je traînais à la biblio pour trouver l'intégrale des Pif-Poche quand m’sieur l'Odieux est venu me voir pour me dire que lui et ses compagnons seraient contents de me voir à leur cérémonie. Bon, ils ont invité Kogin aussi, évidemment.

Troisième mouvement

- le banquet des petys bateaux
Je ne rappelle pas le principe, il est bien connu. Ma première discussion est avec Yugoki, moi j'arrive smart 'n cool, lunette Police© et kimono Calvin Klein©, toute détendue, tranquille prête à discuter de l'intérêt d'un renforcement des relations commerciales entre nos deux clans, d'une découverte totale de nos patrimoines culturels, voire même d'un raffermissement de nos positions communes en vue d'une action politique durable et en profondeur.
Et voilà que le Yugoki me demande à mots aussi voilés qu'une danseuse du ventre pourquoi Hiruya est venu en pays Licorne et si je n'y étais pas pour quelque chose. On croit rêver !

Il m'avoue que c'est Kogin qui est venu le voir pour lui parler de ça, car la pauvre s'inquiète pour moi et ma vie privée. Trop gentille la camarade. Evidemment les Fortunes étant ce qu'elles sont – c-a-d des filles de joies aux services des MJ proxo – voilà que le pety bateau avec un mot du style "ornithorynque cacochyme" s'échoue près de moi. Owned. Ceux qui sont passés ont tous réussi des petys bijoux et moi je me tape un bide pour déconcentration majeure. La concentration n'étant pas réussie, je me vautre et compose un Haïku digne d'un garçon d'écurie Licorne. J'ai même pas besoin de tourner la tête pour sentir que les boss me jettent des regards qui sont à la limite du cœur de l'enfer.
Yugoki, qui avait cartonné son Haiku je crois, essaie poliment de me remonter le moral en supposant que notre auditoire n'avait sans doute pas saisie l'originalité structurelle de mon poème à 30 syllabes et 5 lignes.

Moi je rumine et décide d'aller voir ma camarade de jeu qui se vautre aussi un peu plus tard à l'exercice gniark, pour la remercier de sa sollicitude mais lui suggérer de s'occuper de ses affaires à l'avenir, que l'Odieux avait, j'en doute pas, de très bonnes raisons politiques de faire ce voyage, qu'un faignant de Grue ne se taperait pas 500 bornes à pieds juste pour mes beaux yeux, ou voir si je cachais pas mon bras dans mon kimono pour faire une blague.

...
Cette histoire est inspiré de faits réels. Des détails ont été toutefois modifiés pour préserver l'anonymat des personnes impliquées. "

:samurai:

Les labyrinthes du coeur

Rokugan était maintenant complétement enfoncé dans l'hiver, comme un ours en son terrier. Les routes, partout, étaient désertes, les armées arrêtées, les marchands oisifs, les paysans inactifs. Tandis que les deux rônins Riobe et Sotan bravaient les rigueurs de la neige, marchants sur les chemins mortellement glacés, dans la solitude des plaines et des campagnes, de la neige jusqu'aux genoux, les festivités de la cour d'hiver battaient leur plein.
Comme un oiseau parmi les fleurs, l'intendant Isawa Naoshige allait et venait entre les invités, et montrait aux plus grands d'entre eux les secrets des illusions de l'école de Tejina : et des oiseaux magnifiques apparaissaient un instant, comme sortis de la volière de Benten. Les discussions allaient bon train, en même temps que les petites intrigues quotidiennes, les invitations, les rumeurs, les rencontres fortuites et les déclarations impromptues.
Le général Daidoji Morozane quitta la cour environ trois semaines après son commencement, s'en retournant à la Cité des Apparences. Kakita Yobe de même s'en alla, invité à une cour plus prestigieuse.
Puis, peu après, Kuni Ketedore et sa fille Sakurako passèrent à nouveau le portail du Phénix, car déjà, une petite armée de bushi Shiba, de shugenja Isawa et d'inquisiteurs Asako s'engageaient vers les sommets du nord, pour aller protéger la frontière Yobanjin et traquer le monstre qui avait anéanti le clan du Blaireau.
Kuni Ketedore reparla à Ayame de ce monstre qui se trouvait chez le passeur Gempachi. Selon le vieux chasseur de sorciers, il ne pouvait s'agir d'une créature de l'Outremonde. Son jugement était maintenant quasi-certain. Il y avait bien d'autres créatures magiques dans Rokugan, et, d'après les centaines de parchemins, de rapports, de descriptions, de journaux de voyage qu'il avait pu consulter dans sa vie, Ketedore pouvait affirmer n'avoir jamais vu ce type de monstre dans le royaume de Fu-Leng. Isawa Ayame remercia le shugenja autant qu'elle put.
Ketedore dit également au revoir au samouraï Ikoma Tsuyoshi, car les deux hommes, par le passé, avaient partagé, le temps d'une incursion éclair dans l'Outremonde, la vie dangereuse de ceux qu'on appelle les Porteurs de Jade. Tsuyoshi-san n'oubliait pas ce qu'il devait au vieux chasseur de monstres, à commencer par son surnom : "Masque de Jade"...

:samurai:

La cour d'hiver comptait maintenant quatre invités en moins. Par une belle après-midi ensoleillée et froide, Asahina Masumi et Doji Itto réunirent au pavillon des Grues plusieurs invités pour une cérémonie du thé. Il y avait là Kakita Hiruya, Shinjo Kohei, Isawa Ayame et Shiba Ikky, Doji Kafu, Isawa Kogin, Mirumoto Ryu et Suzume Yugoki.
Tous ensemble, ils attendirent patiemment l’infusion très lente du thé. L’artiste Masumi proposa aux jeunes samuraï de renouveler la préparation impromptue d’œuvres, comme cela avait été fait pour Masanaga-sama. Ensuite, à l’heure où le thé serait prêt, chacun montrerait son œuvre, et commenterait celle d’un autre.
Les cousins Kogin et Kafu, impatients d’en découdre, se prêtèrent bien sûr au jeu !
Mirumoto Ryu réalisa une belle composition florale, et Shinjo Kohei joua un air de son pays, inspiré des mélodies lancinantes des musiciens réputés de feu le clan du Blaireau.
Suzume Yugoki récita une belle légende, comme il savait si bien le faire. Cette cour d’hiver se souviendrait favorablement du jeune samuraï-paysan venu distraire les nobles de récits inédits, et décidément, il faudrait peut-être inviter à nouveau ces si intéressants provinciaux qui manquent un peu à la ville !

Kakita Hiruya réalisa une belle Grue en origami, de même que Doji Kafu.
Isawa Kogin et Isawa Ayame s’affrontèrent dans le domaine de la calligraphie, et ce fut Ayame-san qui réalisa ce jour-là la plus belle œuvre. Kogin fut bien forcée de le reconnaître, devant l’avis général. Décidément, elle était encore défaite par cette vilaine Ayame, qui restait en retrait de la vie de cour, ne s’exposait pas, ne cherchait pas la Gloire, mais semblait impossible à vaincre dès qu’elle voulait bien faire un effort. De son côté, Kogin se battait pour être reconnue de plus grands seigneurs de la cour, comme le senseï Rosanjin ou Doji Itto. Elle obtenait d’ailleurs quelques succès en la matière.
Mais contre Ayame, rien à faire : elle s’y cassait les dents presque immanquablement. Ce qui la rendait d’autant plus jalouse, et c’est de la jalousie qu’elle tirait sa force !
Kogin pressentait (ou peut-être : espérait ?) qu’Ayame était elle aussi rongée par une profonde jalousie en un certain domaine, une quelconque convoitise secrête, un désir, bref un de ces buts que les puissants shugenja Phénix se font un honneur de poursuivre farouchement, et de protéger, pour en jouer et en profiter comme un chat avec sa proie ! Elle ne pouvait pas être différente de tous les élèves de l’Académie Isawa, éduqués dans le culte de l’excellence.
En fait, Kogin était persuadé que derrière ses airs timides, Ayame cachait une ambition encore plus grande, mais plus subtile, une ambition face à laquelle le succès à la cour serait secondaire ; Kogin n’aurait pu tolérer qu’Ayame soit dépourvue d’ambitions ; à tout prendre, qu’elle vise autre chose que le succès mondain, pourquoi pas ? En forçant sa tolérance, Kogin pourrait l’admettre. Et encore dans ce cas-là, elle n’aurait pas apprécié lire dans le regard d’Ayame le dédain pour les intrigues et la recherche des faveurs, alors que Kogin aimait tant cela ! Enfin, pire que tout : Kogin nourrissait le sentiment diffus, mais tenace, qu’Ayame pouvait se payer le luxe de se retenir d’entrer dans les intrigues, mais que si jamais elle décidait un jour d’y rentrer pour de bon, elle éclipserait soudain Kogin d’un revers de manche, après que cette dernière aurait lutté avec acharnement pour obtenir ce qu’Ayame aurait en claquant des doigts.
Avide donc de percer les désirs secrets de sa rivale, Kogin avait répété à plusieurs reprises son étonnement quant au fait que Hiruya l’ai suivie au pays des Licornes, à la Grenouille Riche. Il n’y avait pas de raison évidente. Kohei-san revenait sur ses terres, Ryu-san avait une dette envers les Licornes, mais Hiruya ?
Ayame ne donnait pas signe de surprise. Kogin savait pourtant qu’à force de la titiller, elle finirait par piquer sa curiosité.

Cette belle après-midi, paisible et sereine, au moins en surface, se termina, alors que le froid était toujours aussi tenace dans le jardin d’hiver et que les kaze-no-kami couvraient soudain de nuage le visage de dame Amaterasu.

:samurai:

De son côté, Ayame passait beaucoup de temps en bibliothèque. Ses recherches commençaient à porter leurs fruits. Elle fouillait dans le passé de l'Empire.
Voyons... tout avait commencé, pour ainsi dire, bien plus tôt qu'elle ne le croyait. Ce n'était pas avec la vieille Kitabakate ou avec le magistrat Kitsuki Hanbei qu'elle avait commencé à toucher de près à l'époque du Gozoku et aux secrets des ombres... Non, il fallait revenir à son premier séjour sur les terres de la Libellule, l'été dernier, à l'époque du tournoi des rônins. C'est alors qu'elle avait été chargée par Isawa Akitoki de procéder à des échanges de parchemins avec le clan du Dragon. Elle savait que son daimyo cherchait à la tester là-dessus. Par malice, elle avait pris dans les bibliothèques de la Libellule le récit d'un voyageur sur les terres de l'actuelle Licorne, à l'époque où la tribu de la Ki-Rin était encore dans les Sables Brûlants. Récit non-orthodoxe au possible, qui contrevenait au traditionnalisme de l'académie Isawa.
Suite à cela, Ayame avait été envoyée par son daimyo chez les Licornes. Puisqu'elle aimait bien les gaijin, elle allait en tâter de près ! Et à la Grenouille Riche, un patelin éloigné, tenu par des rônins, administré par un Licorne débonnaire, et son conseiller retors, le vieux Kumanosuke.
Or, plus tard, sur le chemin du retour à la Cité du Repos Confiant, Ayame apprit qu’on avait semé des poèmes maudits, ceux d’une certaine Novice Folle. En lisant certains d’entre eux, Ayame avait alors eu la certitude de les avoir déjà lus quelque part, alors qu’elle n’en connaissait pas du tout l’existence !
Et maintenant, dans la bibliothèque de Masanaga-sama, elle venait de trouver enfin où elle avait lu ces poèmes !
Elle avait appris par Kitsuki Hanbei-sama que les poèmes dits des Hurlements de la Novice Folle étaient passés dans le folklore dans une version complétement expurgée, sous forme de comptines pour enfants.
Et c’est au château de la Libellule qu’elle avait lu par hasard de telles comptines ! Et ces comptines étaient retranscrites par le voyageur, dont Ayame avait ramené le récit à son daimyo !

« Ma jolie poupée, j’ai enfermé en toi ma pensée de ce soir.
La ronde des lucioles sur l’eau
Danse, danse, danse
Danse toute la nuit
La lune veille sur nous
Tandis que le soleil dort »


Evidemment, il n’était pas en soi surprenant que des contes pour enfants se trouvent dans le château de la famille Tonbo. Elle aurait pu les trouver là comme n’importe où ailleurs. Mais maintenant, à la Cité du Chêne Pale, elle venait de trouver un ouvrage appelé « Récit du voyage d’un Ize Zumi matérialiste sur les terres du clan de la Ki-Rin. » C’était bien un fragment de cet ouvrage qu’Ayame avait ramené à Akitoki-sama.
L’Ize Zumi racontait la présence de la Novice Folle sur les terres de la Ki-Rin, et donnait des transcriptions originales de ces poèmes –des poèmes inoffensifs, pas de ceux qui l’avait menée à l’hérésie.
Ces récits devaient dater de l’époque du Gozoku, cette alliance des Phénix, des Grues et des Scorpions qui mit à genoux le pouvoir impérial pendant près d’un siècle. Ayame allait contre le conseil ferme du senseï Isawa Kanera de ne pas remuer ce passé trouble de Rokugan. Mais si Kogin avait voulu trouver la source de la convoitise d’Ayame, elle n’avait manifestement pas à aller plus loin que la bibliothèque !

Elle trouva dans un ouvrage d'histoire Ikoma quelques élèments intéressants :

« Avec la bénédiction de l’Empereur Hanteï XVIII, nous traiterons des évènements suivants, durant la période dite de la Souveraineté de la Parole du Peuple (Gozoku).
Une grande sécheresse, qui s’abat sur tout Rokugan, amène les trois futurs dirigeants du Gozoku à exiger des pouvoirs exceptionnels au vieil Empereur Hantei IV.
Arrivée des barbares Nanbanjin, dirigés par Manuel Esteban. Ils utilisent de la poudre noire pour leurs armes.
Le jeune Empereur Hanteï V doit accepter de plus en plus l’emprise du Gozoku sur l’Empire.
Le Gozoku impose à chaque clan que plusieurs de ses membres éminents séjournent à l’année à Otosan Uchi.
Apparition des premiers rônins.
Le sorcier Iuchiban déclenche de terribles pouvoirs de maho-tsukaï.
Hantei VI Yugozihime, la 1ère Impératrice, met fin au Gozoku. Elle interdit les gaijins dans l’Empire. Les Nanbanjin sont exterminés ou s’enfuient par la mer.
… »


Un peu plus loin, elle trouva cet autre passage, compilation de traités des historiens Shinri :

« LES DIRIGEANTS DE L’ALLIANCE TRIPARTITE
APPELEE EGALEMENT
GOZOKU

Bayushi Atsuki, daimyo du clan du Scorpion.
Doji Raigu, daimyo du clan de la Grue et Champion d’Emeraude.
Shiba Gaijushiko, scribe impérial, chef du clan du Phénix, après que le daimyo avait sombré dans la folie. »

:samurai:

Second élèment de recherche : l’Ombre. Ayame avait fini par réunir plusieurs fragments d’un ouvrage appelé « Les petites vérités » d’un certain Bayushi Tangen. Il s’agissait de pensées, d’aphorismes, de considérations et de conseils sur l’art du secret et du mensonge. Certains passages pouvaient évoquer, si on lisait d’une certaine façon, cette célèbre inconnue qu’était l’Ombre.

« Le véritable menteur possède cette qualité très rare : il sait parfaitement où se trouve la vérité.

Il a appris à contempler le ciel de la vérité du fond du puits du mensonge.

Celui qui veut parfaitement mentir doit d’abord apprendre à être parfaitement sincère envers lui-même.

La plupart des hommes se mentent à eux-mêmes, et finissent par trahir leur secret devant les autres. »


Pour le moment, Ayame avançait à tâtons dans ses recherches.
Quel rapport entre le Gozoku et l’Ombre ? N’était-ce pas elle, Ayame, qui en voyait un, parce qu’elle avait entendu parler de la Novice Folle et de l’Ombre dans un court intervalle ? Sur quoi allait-elle déboucher ? Allait-elle mettre au jour une calligraphie d’ensemble ?

« Entre ton visage et ton masque se dissimule un monde de secrets. Bien malin celui qui comprend ceci : ton masque ne sert qu’à cacher ce masque parfait qu’est ton visage. »

A Morikage Toshi, cette cité humide, venteuse, Ayame rencontrait, lors de son enquête sur Hiro, cet homme nommé Emmon, qui prétendait combattre l’Ombre et la battre à son propre jeu. Récemment, Asahina Masumi venait de lui transmettre un message venu du clan de la Grue : Daidoji Yajinden venait de procéder à l’arrestation des Frères de la Côte, ces contrebandiers dont Emmon était le chef. Ayame avait en effet rencontrer Yajinden-san lors d’une petite réception donnée chez Masanaga-sama, peu avant l’attaque des barbares Yobanjin.
Yajinden-san était maintenant contrôleur général du commerce de son clan avec celui de la Mante. Qu’était-il advenu d’Emmon ? Ayame ne pouvait croire que ce malin personnage ait pu être bêtement arrêté, comme le dernier des yakuzas. Pendant qu’elle était bloquée dans cette cour d’hiver, sur les terres de son clan, où elle se sentait étrangère, elle se rongeait les sangs de ne pas être à Morikage Toshi.
Kitabakate, Kitsuki Hanbei, Emmon, Nahoko, Daidoji Yajinden, Isawa Kanera, la Novice, Bayushi Tangen… toute cette ribambelle de personnages, chacun de son lieu et de son époque, pourquoi se trouvaient-ils ainsi tous réunis, comme en révolution autour d’Isawa Ayame ? Quels signes devaient-elles comprendre ? Quel mystère déchiffrer ?
C’est dans un tel labyrinthe qu’Ayame s’engageait, acceptant de se perdre dans ses circonvolutions et ses détours, jouant parfaitement au jeu auquel elle ne voulait pas jouer dans le jardin du palais…

:samurai:

Trophée de chasse

Journal d'Isawa Naoshige, intendant de l'honorable Isawa Masanaga
22e jour du mois du Rat, 19e jour de la cour d'hiver

Quel solide gaillard, ce Shinjo Kohei !
Il est intimidé par mon invitation, je le sens bien, malgré sa victoire du jour à la chasse ! Lui qui est bien bâti, il essaye de se faire tout petit. On voit qu'il n'a pas l'habitude de nos luxueuses petites pièces de réunions. Je pense qu'un rendez-vous au sommet, à cheval, dans la grande plaine où gronde le tonnerre d'Osano-Wo lui est plus familier !
- Kohei-san, je vous ai fait venir dans mon cabinet particulier, car je veux vous demander un petit service.
- Tout ce que vous voudrez, Naoshige-sama. Si je m'attendais à être reçu en particulier par l'intendant du noble Masanaga-domo !
- Bien, je voudrais un récit circonstancié de votre chasse au sanglier. Vous nous avez ramené une magnifique bête, et je tiens à avoir votre témoignage. Pour les archives de notre belle cité.
- Eh bien, si ma partie de chasse peut intéresser une cité aussi prestigieuse que la vôtre...
- Allons, nous savons combien les Licornes sont de grands chasseurs.
Il se fait resservir une coupe de sake, la boit rapidement, toussote, gratte sa barbe, et pioche dans les amuse-gueules.
- C'est drôlement bon, dites-moi !
- Alors, ce récit, Kohei-san ? Mon assistant est prêt à retranscrire vos paroles.
- Hé bien, par ce matin brumeux ! nous partîmes ! dans la grande forêt de cette belle cité !... Par Shinjo, la fraicheur des bois nous vivifiait l'esprit, et nos suivants se réchauffaient en vidant copieusement leurs gourdes d'alcool !... [je fis signe à mon scribe de ne pas retenir ces précisions] Les biches et les daims gambadaient gaiement dans les bois ! et le robuste sanglier fouinait de son groin dans le sol gras, à la recherche de précieuses truffes pour nourrir sa petite famille !... pendant que madame la laie nourrissait ses petiots et nettoyait le nid familial avec son petit groin tendre !... et se disait qu'il fallait envoyer monsieur son époux bientôt à la rivière pour l'y laver !...

C'est alors que mon assistant se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire.
- Qui y a t-il ? demanda Kohei-san, surpris au beau milieu de son lyrisme animalier.
Je jetai un regard noir à mon scribe, puis fit un large sourire au Licorne :
- Continuez, Kohei-san. Mon assistant a simplement oublié un instant l'écriture exacte de "laie" et de "groin".
- Ah ? pardon si j'emploie des termes trop techniques...
- Ca ira très bien. Alors, ensuite ?
- Nous nous enfonçû... enfoncîm... non, nous enfonçâmes au coeur de la profonde forêt pour y surprendre les proies que nous raménerions fièrement à la cour d'hiver. Les nobles samuraï s'enfoncèrent plus ou moins profondément dans la forêt, et pour honorer mes ancêtres, je décidais d'aller aussi loin que possible. Je crois qu'à la fin, il restait Ikoma Tsuyoshi-sama, et mon ami Kakita Hiruya, ainsi que moi-même. Les Fortunes ont voulu me pointer du doigt ce jour-là et placer un gros et gras sanglier sur mon chemin. Par Otaku, c'était un sacré gaillard celui-là ! Comment dire ? Il avait des yeux qui exprimaient toute sa férocité ! des défenses énormes ! à vous enfoncer le portail d'une forteresse ! des muscles puissants comme le tonnerre d'Osano-Wo !... Teyandee, un animal comme on en voit pas souvent !
Mon assistant toussa alors exprès, pour cacher son envie de rire.
- Pardonnez-le, Kohei-san, il ne connaît pas le signe "teyandi". :)
- "Teyandee" ? Ah, c'est une expression typique de chez nous. C'est quand même vrai qu'on l'écrit assez peu souvent !
- Tant pis, reprenons.
- J'avais donc la bête en vue, qui, elle, ne m'avait pas remarqué. Elle fouinait dans le sol gras, comme il se doit. J'encochais une flèche dans mon arc, et me souvenant des enseignements du vénéré senseï Shinjo Hanari, le maître de l'art yomanri au dojo Shinjo : je bandais mon arc de toutes mes forces, visais entre les deux yeux du compère, et j'attendis quelques instants, pour bien ajuster mon tir -contrairement à ce que font tous les autres clans, qui tirent au jugé. L'animal frissonna soudain. Il venait de me percevoir ! Trop tard, ma flèche partait en sifflant, et s'enfonçait dans son cuir ! Grièvement touché, il se précipitait soudain vers moi !...
"Si j'ose dire, c'est l'esprit de Kakita que j'appelai cette fois à la rescousse ! Pour avoir fréquenté le clan de la Grue, je connais la noblesse de l'art iaijutsu, et mon ancêtre Shinjo Kohei est mort dans un tel duel. Je lachai donc mon arc, et fermement appuyé sur mes jambes, j'attendais l'arrivée de l'animal, lancé à toute vitesse. Au moment où le choc allait se produire, je fis un léger saut de côté. Mon bras dégaina le sabre de mon grand-père promptement, et l'instant d'après, la nuque de l'animal était sectionnée jusqu'à l'os ! La bête s'effondra, et je l'achevai promptement !
"Par Shinjo, j'adressai une courte prière à tous mes ancêtres, aux 4 Vents ! aux 7 Fortunes ! Peu après, mes suivants arrivaient, puis j'eus l'honneur que Tsuyoshi-san puisse constater ma prise le premier !

...

- Je vous remercie, Kohei-san, c'était très intéressant.
Le Shinjo s'inclina vivement, plusieurs fois, "je vous en prie, Naoshige-sama, je serai trop honoré si mes paroles peuvent rejoindre l'histoire de votre cité" ; il toussota de nouveau, vida une autre coupe et s'inclina encore.
- Allons, Kohei-san, en remerciement de votre récit, j'en ferai faire une copie pour vous !
- Ma famille sera honorée de posséder un document si précieux, venu de la famille Isawa.

:samurai:

J'avoue qu'une fois le Licorne sortit je me permettai d'éclater de rire à mon tour, et mon assistant se l'autorisa alors. Nous n'allions pas oublier de sitôt l'histoire si touchante du père de famille sanglier, avec le groin dans la boue de bon matin ! J'avais le vif sentiment que cette histoire était inspirée de faits réels : Kohei-san envoyé par sa femme à la rivière se laver, ce genre de choses...

Au milieu des récits convenus et polis des autres courtisans, cette entrevue avec Kohei-san nous avait ménagé une pause bienvenue.
Après nous être accordés de rire de bon coeur, je décidai qu'il fallait redevenir sérieux. Je flanquais quelques coups de baton à mon imbécile d'assistant pour avoir ri pendant qu'il écrivait, puis je lui ordonnai de ne plus réitérer une telle faute.
C'était maintenant au tour d'Ide Soshu, qui venait nous parler de la caducité d'un traité entre les Phénix et les Licornes concernant la fourniture de toile de tentes pour les troupes stationnées...

:samurai:

L'éclair silencieux

Tôt ce matin-là, Kakita Hiruya se rendit au dojo du palais, afin d'y pratiquer ses exercices matinaux.
L'air très frais du matin, la belle neige, pure et épaisse déposée partout sur les arbres, donnant un aspect cristallin aux pierres et aux plantes, les reflets d'argent et de lait du lac, le frémissement de la nature endormie : décor très vivifiant, dont l'éclat provenait de celui de Dame Soleil, paisible et heureuse au-dessus de ses enfants.
Le palais de Masanage-sama était encore silencieux. Le docteur Mirumoto Munetaka se rendait aux bains, en compagnie du diplomate Ide Tadaji et du peintre Shiba Rosanjin : ils devisaient tranquillement entre hommes de connaissances.
Au dojo, il se trouvait déjà Mirumoto Ryu, décidée à sortir de ses longues de méditation à la Pagode, pour se consacrer désormais, avec la même ferveur, à l'art du iaijutsu et du nitten. Pour Hiruya-san, c'était de l'hérésie d'associer ces deux arts si opposés, si ennemis, mais enfin, il apprenait à la rude école de la tolérance, grâce à Ryu-san.

Un autre samouraï était déjà à ses exercices : Ikoma Tsuyoshi, dit Masque de Jade.
Le fier Lion, qui avait fait ses années à l'Académie Kakita, avant de rejoindre les Légions Impériales, puis de devenir le duelliste attitré d'Akodo Kage-senseï, pratiquait ses étirements et ses mouvements de relaxation et de méditation, avec la patience d'un moine. Hiruya-san le salua, et commença lui aussi ses exercices du matin.
Le souffle de l'hiver faisait parfois vibrer les murs de bois, et c'était comme si les Fortunes venaient souffler pour titiller les courageux et matinaux samuraï.
Sans doute, Tsuyoshi-san et Hiruya-san n'avaient pu retenir un certain frisson en s'apercevant. Ikoma Tsuyoshi avait déjà acquis une grande réputation de duelliste, et tout le monde attendait avec impatience de le voir affronter pour de bon quelqu'un de la trempe de Kakita Yobe, qu'il avait connu à l'Académie. Au début de la cour d'hiver, certains connaisseurs, comme le senseï Rosanjin ou Kuni Ketedore, auraient fort apprécié un duel régulier entre ces deux samuraï d'élite, hommes d'honneur, de maîtrise et de courage, chacun dans son style : plus raffiné pour Yobe, plus impétueux pour Tsuyoshi. On en frémissait, en voyant les deux hommes s'observer à la dérobée, au milieu des conversations, du bruissement des kimonos, des regards et des mots glissés à l'emporte-pièce. Il semblait parfois que tous les courtisans exécutaient de lentes rondes, assemblés en cercle de conversation, qu'ils évoluaient lentement tandis que leurs vêtements touchaient à peine terre, et que les Fortunes et les Ancêtres faisaient tout pour mettre face à face le Grue et le Lion, et les dérober, au dernier moment, à la vue l'un de l'autre.
Maintenant, Yobe-san était parti.

La réputation du fameux duelliste "Masque de Jade" n'était plus à faire. Et Hiruya-san avait encore tout à prouver. Dans le dojo, ce matin-là, les deux hommes évoluèrent lentement, à quelques distances, échangeant quelques mots polis, quelques formules convenues sur le Tao et l'honneur. Mais peut-être se ressemblaient-ils un peu trop pour pouvoir se parler ? Qu'auraient-ils pu se dire, eux qui avaient fait leurs armes avec les mêmes senseï, défendaient des conceptions identiques de l'honneur et défendaient les mêmes valeurs d'excellence ?
Ils étaient déjà d'accord sur tout.
Ce n'était pas la parole qui pouvait les départager...
:samurai:

En fin de matinée, Kakita Hiruya quitta le dojo, et il s'aperçut qu'il était tendu, comme avant un duel ou un grand danger. La proximité du Lion l'avait plus éprouvé qu'il ne l'aurait cru. Un bon bain le lava de toute la sueur de l'effort, et de l'affrontement tacite qui venait de se produire entre les deux hommes.

Alors qu'en cette après-midi charmante, où tous les courtisans discutaient, ici et là dans le grand jardin, ou à l'abri de l'un ou l'autre pavillon, ou encore sur une barque au milieu du lac, Kakita Hiruya passait dans le sinueux chemin des Fortunes de l'Eau, en compagnie de Doji Kafu.
On entendit alors des éclats de voix, près de la maison de bains. Après s'être longtemps évitées, Kitsu Kameko, shugenja et médecin d'Akodo Kage, et Asahina Masumi, la célèbre artiste, venaient d'échanger des paroles très vives, et des insultes à mots couverts. C'étaient des samuraï et non des paysans : leurs tournures étaient fines et pointues comme des aiguilles mais d'autant plus blessantes.
Certains courtisans, comme Isawa Kogin, Shiba Rosanjin ou Moshi Wakiza, s'étaient approchés pour entendre l'objet de leur discussion, l'air de s'occuper d'autre chose.

Croisant à ce moment Hiruya-san et Kafu-san, le duelliste Mirumoto Onitsugu vint prévenir notre héros qu'avant peu, Masumi-sama aurait sans doute besoin de lui.
Doji Kafu se dirigea avec Hiruya-san vers la grande artiste.
Le rouge aux joues, peinant à se contenir, même avec les paroles apaisantes de Doji Itto, Asahina Masumi trépignait, et quand Hiruya arriva et la salua, elle le pria de défendre son honneur et celui du clan contre les offenses répétées de la shugenja Kitsu Kameko.
De son côté, la redoutable Lionne avait fait venir l'intendant Isawa Naoshige, pour lui signifier qu'elle demandait réparation des propos fielleux de l'artiste Grue, tandis qu'Ikoma Tsuyoshi s'était empressé de venir à ses côtés, et regardait partout sauf en direction du groupe des Grues.
- Je ne m'étonne pas qu'elle vous ait offensée, disait Doji Itto, très sûr de lui, cette shugenja est décidément une provocatrice, elle a le sang qui lui monte à la tête, elle n'aperçoit pas les conséquences de ses actes ! Elle est bien un membre de son clan !
- C'est très malhabile de sa part, de s'emporter ainsi, ajoutait Doji Kafu, car elle compte peu d'alliés dans cette cour, à l'exception de son bras armé, Tsuyoshi-san... Redoutable duelliste, mais les katanas ne font pas tout ! Le clan du Lion l'oublie un peu trop ! Sans doute l'inspiration du général Matsu Tsuko !
- Allons, ajouta Itto-san avec superbe, en bon élève de Yobe-sama, Hiruya-san va défendre votre honneur, Masumi-san, et nous montrerons que l'union fait la force, contre la puissance brute qu'aiment tant les Lions !
D'une voix peu assurée, Masumi-san remerciait les samuraï de leur soutien, tandis que Hiruya-san ne disait plus rien, et se préparait déjà à ce moment de concentration et de violence absolues qu'était l'affrontement iaijutsu !

:samurai:

Le lendemain, les deux adversaires se retrouvèrent devant le palais, leur duel ayant été approuvé par Masanaga-sama, soucieux d'abord de ne pas vexer ses alliés de la Grue, de ne pas provoquer l'ire des Lions, déjà suffisamment remontés, et enfin de complaire aux esthétes qui apprécient le duel comme un art.
Ils avaient revêtu des kimonos légers, attachés aux manches et à la ceinture, tandis que de légers tourbillons de neige allaient et venaient, et que tous les courtisans s'étaient réunis, frémissant d'impatience devant ce spectacle.
Impassible, droit, Masque de Jade, qui défendait l'accusatrice, se présenta le premier. Très maître de lui-même, sans un mouvement de trop, il se mit posément en garde.
A quelques pas de lui, Kakita Hiruya salua, et se vit rendre son salut, puis se mit en garde, ferme et souple sur ses jambes, la tête et le buste légérement penchés en avant, les yeux clos.

Tous les courtisans retenaient leur souffle, seul le vent osait encore souffler, et les arbres trembler, de gros paquets de neige tombant soudain à terre. Le lac ondulait légérement, et parfois un poisson exécutait un saut au-dessus de l'eau, avant de replonger.
Le jardin, du grand labyrinthe aux chemins et aux massifs, frissonnait légérement de l'air hivernal.

Kitsu Kameko et Asahina Masumi étaient très proches de leurs champions. Nerveux, Shinjo Kohei se rongeait discrêtement le pouce, inquiet pour son ami, qui n'avait jamais affronté d'adversaire de cette envergure.

Shiba Rosanjin caressait sa longue barbiche, appréciant en connaisseur, plus calme que Mirumoto Onitsugu, qui aurait voulu être à la place de l'un des deux adversaires.
Shiba Nobuyori murmurait à l'oreille du senseï Kanera-sama (presque aveugle) ce qui se passait, et Moshi Wakiza faisait mine de s'approcher de Suzume Yugoki, tandis que le jeune Moineau, pour chaque pas que la Libellule faisait vers lui, faisait un pas vers Isawa Ayame.

Isawa Akitoki regardait cet affrontement, pour le moment immobile et silencieux, avec un certain détachement, sans qu'il en ignorât pour autant la gravité. L'intendant Isawa Naoshige regardait intensément non seulement les protagonistes, mais aussi les invités et les lieux, afin de ne rien oublier, de ne rien perdre du moment, pour tout retranscrire précisément dans son journal, pour la postérité !
Même Isawa Masanage, le sage daimyo, qui en avait vu bien des duels, et en avait autorisé beaucoup, sentait bien le caractère exceptionnel de celui-ci.

Dans un vieil arbre mort, un corbeau s'envola, en poussant un sinistre croassement.

Un éclair traversa tout le corps des deux duellistes.
Glissement sec, métallique : les deux sabres jaillirent dans l'air glacé, emmenant avec eux le bras de leur porteur et tout leur corps, en un mouvement unique, d'une précision inouïe, à une vitesse défiant celle de la foudre, double arc de cercle qui fendit l'air en deux.
Les spectateurs n'eurent pas le temps de battre des yeux. Les deux hommes étaient l'un face à l'autre, katanas au clair, haletant, déjà immobiles à nouveau, se regardant droit dans les yeux.

Un léger filet de sang apparut sur la joue gauche de Kakita Hiruya. Le rouge de la défaite.
Aussitôt, Isawa Masanaga-sama désigna du bras Ikoma Tsuyoshi vainqueur.
Celui-ci rengaina posément, imité par son adversaire.
Les deux hommes saluèrent, puis se séparèrent.

Ikoma Tsuyoshi alla s'incliner respectueusement devant Kitsu Kameko. Kakita Hiruya en fit de même, plus rapidement, avant de s'éloigner pour méditer, seul.
Quant aux courtisans, ils osaient à nouveau respirer, après avoir eu le sentiment que le temps s'était brusquement arrêté.

:samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 17:49

La Cinquième Réincarnation - 10e Episode (I) : les subtilités de la cour (suite)



Le poète et le criminel

Journal d'Ide Soshu


16e jour du mois du Rat, 13e jour de la cour d'hiver.

Masanaga-sama nous a annoncés aujourd'hui l'arrivée, à la fin du mois, de deux honorables membres du clan du Scorpion.
Déclaration accueillie avec un mélange de frisson et d'excitation, selon les courtisans.

17e jour du mois du Rat, 14e jour de la cour d'hiver.

Nouvelle discussion ce matin avec l'honorable diplomate Ide Tadaji-sama.
Quel honneur pour moi d'être sous ses ordres, et de profiter de ses sages conseils ! Grâce à lui, je parviens à me faire accepter dans des cercles restreints de la cour d'hiver, comme je l'ai raconté dans les jours précédents.
Je crois que Doji Kafu apprécie mes talents de diplomate. Il pense qu'à nous deux, nous pourrions former une alliance fructueuse dans les années à venir. Lui pour les offensives politiques, moi pour les négociations en douceur. L'idée n'est pas déplaisante, d'autant que par Kafu-san, je peux rester en relation avec l'ambitieuse Isawa Kogin, qui elle aussi brigue de grosses responsabilités. Elle peut y prétendre par sa naissance, tout comme son cousin Kafu.
Si je peux compter sur ces deux relations, je n'aurai pas à le regretter. D'autant qu'Ide Tadaji-sama, qui a bien connu Shinjo Bunjiro il y a plusieurs années, est décidé à m'appuyer, même si je ne viens que de la provinciale Cité de la Grenouille Riche.
Doji Itto m'a décrit les merveilles de la capitale, et il m'a même dit qu'il avait pénétré dans la cour de la Cité Interdite. Il y avait aperçu, à ce moment, le vieil Empereur Hanteï XXXVIII, et nombre de dignitaires impériaux. Ce fut le plus beau jour de sa vie. Il m'a également parlé des quartiers du Monde Flottant... Il me tarde de m'y faire présenter !
J'ai promis à Itto-san de l'aider à débrouiller cette affaire compliquée d'héritage qui le tracasse depuis si longtemps. Quel dommage qu'il ne puisse jusqu'à présent prouver qu'il est parent de l'honorable et très riche Daidoji Bakuni ! Mais cela pourrait changer...
Asahina Masumi a même insisté pour que je débrouille cette affaire. Sans quoi, tout l'héritage de Bakuni-sama pourrait partir à un lointain et obscur héritier Yogo, qui a fait miraculeusement sa réapparition ! On ne peut pas dilapider ainsi les biens du clan de la Grue !

18e jour du mois du Rat, 15e jour de la cour d'hiver.

Longue discussion, aujourd'hui, avec le senseï Shiba Rosanjin. Ce merveilleux calligraphe m'a montré plusieurs de ses oeuvres. Par Ide, si je peux en acquérir quelques-unes (et le vénérable homme ne serait pas contre, car il doit à vrai dire offrir bientôt un somptueux cadeau à sa courtisane préférée...), je les offrirai Doji Itto-sama et Doji Kafu-san. Ce sont des samuraï qui savent apprécier les belles choses, ils m'en seront redevables.

19e jour du mois du Rat, 16e jour de la cour d'hiver.

Le vénérable Rosanjin a eu quelques réticences, mais il accepte de me céder plusieurs de ses calligraphies, contre un bon prix. Avant de les offrir, je vais les présenter à Tadaji-sama.

21e jour du mois du Rat, 18e jour de la cour d'hiver.

Enchantés par mon cadeau, Itto-sama et Kafu-san m'ont chaudement remerciés. Kafu dit même que je peux maintenant l'appeler Kafu-kun. Quel honneur pour moi !
J'assure à nouveau Itto-sama que bientôt, l'héritage de Bakuni-sama sera à lui. Il serait immoral que de tels trésors partent entre les mains de la famille Yogo !

26e jour du mois du Rat, 23e jour de la cour d'hiver.

Vilains cauchemars ces dernières nuits. Je revis mon enlèvements à Inchu. Ces rônins étaient bien décidés à m'étriper... Ils se faisaient passer pour ces légendes paysannes appelées "ninja", c'était grotesque. Certains se promenaient en tenue noire, pour effrayer les heimin, et ils lançaient même de ridicules étoiles en fer blanc pour compléter cette mascarade.
Ce serait à croire que les ninja existent vraiment, par Ide ! S'ils ont les pouvoirs qu'on leur prête, mes ravisseurs auraient passer un sale moment contre eux... En réalité, mes ravisseurs devaient être des agents au service des Scorpions, envoyés à Inchu pour envenimer les rapports frontaliers entre Shinjo Bunjiro-sama et Matsu Matasaka-sama.
Mais on prétend bien que le clan du Scorpion est secrêtement dirigé par toute une famille de ces ninjas qui se nourrissent de sang... Pour ma part, j'avais affaire à des rônins en chair et en os, sans pouvoirs surnaturels. Leurs os ont craqué et leurs chairs ont été normalement déchirés par les sabres des hommes de Toturi, quand ils m'ont secouru.

27e jour du mois du Rat, 24e jour de la cour d'hiver.

Shinjo Kohei m'a dit que les rônins Sotan et Riobe venaient d'arriver en ville. Le rônin Kakachi, resté boiteux depuis Inchu, est arrivé également, à ma demande.
Il est grand temps de nous renseigner sur l'invité manquant de cette cour d'hiver, le célèbre Matsu Bashô.
Mes investigations à la Grenouille Riche m'ont appris que ce n'était pas un pur poète, un bel esprit, comme sa légende le laisserait entendre, mais qu'il s'occupait d'affaires bien plus terre à terre, surtout depuis son séjour à Ryoko Owari Toshi, voici quatre ans.
J'ai tout lieu de croire que Bashô-sama connaît bien le criminel Hiro. Si je peux parvenir à démanteler toute leur organisation, depuis la Grenouille Riche jusqu'à Heibetsu où ils sont sûrement responsables des enlèvements d'enfants, j'aurai bien mérité mon affectation à Otosan Uchi !

Preuve supplémentaire (s'il en fallait) que le blessé soigné par le docteur Munetaka est bien Matsu Bashô : aujourd'hui, Kitsu Kameko-sama et Asahina Masumi-sama ont échangé des paroles vives, et le nom du poète Bashô a fini par fuser. L'artiste de la Grue accuse la shugenja de cacher de vilaines choses aux invités. Pourquoi le célèbre poète ne s'est-il pas présenté !
Kitsu Kameko a répondu vertement sur certaines disgrâces récentes infligées à Masumi-sama. Finalement, il y aura réparation par le duel. Ikoma Tsuyoshi et Kakita Hiruya défendront l'honneur des deux femmes, et de leur clan.

Jusqu'à présent, le cartel criminel de Matsu Bashô a bénéficié d'une chance insolente, et les autres cartels ne vont pas tarder à réagir. Pour leur malheur, à Hiro et sa bande, les contrebandiers du Rat Noir ont un comptoir en ville. Cela pourrait finir dans un bain de sang...
Comme il est hors de question de s'en prendre à Bashô-sama (sauf si je voulais finir un wakisashi dans le ventre...), il faut frapper directement les pseudos-yakuzas à son service. Et surtout, surtout, il faut que je découvre qui est à la tête du syndicat criminel de Hiro. Je pense que Bashô n'est qu'un sous-fifre, le bras droit du véritable oyabun...

:samurai:

Des rônins en hiver

Ce matin-là de la fin du mois du Rat, Riobe et Sotan en finissaient avec l'épuisant voyage depuis la Cité de l'Or Bleu. L'aristocratique Cité du Chêne Pâle se dressait devant eux, noble et hautaine, comme les courtisans dans les amples drapés de leurs kimonos. La neige soufflait en courtes rafales ; épaisses, compacte, elle couvrait les chemins, et étouffait les sons. Le ciel gris, fatigué, pesait lourd sur tous, avec ses nuages bas comme un plafond.
Les jointures de leurs armures humides, les plaques recouvertes de neige, leurs membres transis, les deux rônins, qui chacun à sa manière en avait vu d'autres, goûtèrent pourtant la petite auberge à l'entrée de la Cité.
Le feu intérieur leur revigora l'âme, la bonne chaleur du foyer étant comme un grand soleil après la traversée d'un aigre brouillard.
Leurs poches étaient presque vide. Quelques zénis, dérisoires, leur permirent de se payer un maigre bouillant, composé essentiellement d'eau bouillante et de restes de navets. La misère commençait à les harceler comme une vieille mégère et les rongeait peu à peu, comme une bande de rats.
Nos héros discutèrent un moment avec un compagnon de leur condition, un rônin nommé Ozaki. Il portait un grand bandeau qui lui couvrait l'oeil droit. Quoique jeune encore, il paraissait éprouvé par la vie. Le visage fermé, les cheveux brouissailleux, quelques restes d'armure en mauvais état, un katana dans un fourreau de piètre qualité.
Les temps étaient rudes. Nos deux héros s'empressèrent d'aller se signaler à la porte du palais. Ils se firent envoyer à tous les démons par le garde, perché dans sa tour de garde, qui accepta néanmoins d'aller prévenir le bushi Shinjo Kohei, invité de Masanaga-sama.
Kohei-san se présenta dans la modeste auberge en fin d'après-midi. Il était accompagné de Mirumoto Ryu. Tous deux portaient leurs beaux habits de courtisan, dont la délicatesse contrastait avec les étoffes rugueuses des deux rônins. Le teint frais, bien nourris, gaillards, les deux courtisans juraient avec la situation de relative détresse des deux voyageurs. Seuls leurs saya signait leur appartenance à la même caste des samuraï.

Le jour annuel de remboursement des dettes venait de passer. Tous les marchands de Rokugan étaient donc maintenant bien en fond, gros et gras, la bourse bien replette, et les samuraï venaient de recevoir leurs premiers kokus pour l'année.
Kohei-san offrit donc à tout le monde du saké et un repas. Malgré ses bonnes manières, Riobe se jeta avidement sur la nourriture, en dissimulant un peu mieux que Sotan sa fringale. L'ancien Crabe, quant à lui, ne fit rien pour se cacher, et se remplit comme une outre, jusqu'à avoir "les dents du fond qui baignent."
Les bols arrivaient sur la table, pleins de riz, de légumes, de poisson, de soupe, tous chauds, appettissants, et en quelques tours de baguettes, ils étaient vidés et avalés, et empilés, pendant que le patron faisait chauffait à toute vitesse le saké, avalé lui aussi à une vitesse peu ordinaire par Sotan et Riobe.
Kohei-san, qui avait lui aussi un bon penchant pour les plaisirs de la table, se réjouissait de satisfaire ainsi les deux hommes. Quel bonheur sur leurs visages ! Quel plaisir d'accompagner deux si bons mangeurs !
Le saké, quoique de piètre qualité, fut, pour le palais des rônins, comme un breuvage de Daikoku, Fortune de la Richesse !
Comme à son habitude, Ryu-san mangeait peu et avec une grande discrétion, sans se plaindre ni approuver, détachée des besoins corporels, comme un Ize-Zumi.

Une fois tout le monde rassasié, Koehi-san exposa à tous le pourquoi de cette rencontre.
- Comme vous le savez tous maintenant, j'aurai l'honneur, dès la fin de la cour d'hiver, dans les premiers jours du printemps, de me mettre au service de la famille Daidoji, afin de rembourser une dette contractée envers eux. Mirumoto Ryu-san, elle aussi, a une obligation envers le clan de la Grue, depuis que Kakita Hiruya l'a aidée à Heibetsu. Nous nous rendrons au chateau de la famille Daidoji. J'ignore encore les détails de la mission qui nous y sera confiée. Je sais pour le moment que j'aurai sous mes ordres plusieurs samuraï, dont plusieurs rônins. La famille Daidoji m'a laissé le choix de plusieurs de mes hommes. C'est pourquoi j'ai pensé faire appel à vous, Sotan et Riobe. Car je vous connais, et j'ai confiance en vous. Je ne pense pas que ce sera une obligation de tout repos, car avec la guerre des Grues contre les Lions, la famille Daidoji est en première ligne pour défendre le clan. Etes-vous d'accord pour venir avec moi ? Vous serez bien payés en retour, je peux vous l'assurer.
- Nous sommes d'accord, Kohei-san, dirent Riobe et Sotan de concert.
- Bien. Vous m'en voyez content. Pour vous dédommager de votre peine, je vais vous laisser de l'argent, que vous ne mourriez pas de faim avant notre départ !
Le Licorne tira de sa bourse un demi koku, plus d'argent que n'en avaient vu les deux rônins depuis bien longtemps. Ils n'avaient pas gagné autant en vendant les poissons avec Gempachi. Les pièces sonnantes et trébuchantes achevèrent de mettre du baume au coeur des deux samuraï sans clan.
Ils se sentaient maintenant revivre !
Après deux longues semaines dans la neige de ce pays du nord, à suivre les petits chemins de campagne, à éviter plusieurs postes de contrôle, à dormir dans des granges, dans des mauvaises auberges et avaler de maigres nourritures, ils allaient pouvoir manger de bon coeur ! Et Osano-Wo sait que c'est important pour un Crabe !

- Pendant que vous êtes en ville, ajouta Kohei-san, après quelques coupes de sake, j'aimerais vous demander un service. Bien sûr, si vous pouvez m'aider, je vous paierai en plus de ce que je vous ai déjà donné.
- Dites-nous ce que nous pouvons faire pour vous, Kohei-san.
- Ecoutez-moi attentivement. Il s'agirait pour vous de me renseigner sur un des invités de la cour d'hiver, qui ne s'est pas présenté au palais le jour convenu. J'ai besoin de savoir s'il est bien arrivé dans la Cité, et tout ce que vous pourriez apprendre sur lui. Il se nomme Matsu Bashô. Pouvez-vous faire ça pour moi ?
- Nous ferons de notre mieux, Kohei-san.
- Bien, alors prenez ceci en plus, et bon courage à vous.
Kohei-san glissa une file de zénis supplémentaire aux rônins : l'argent confié par Ide Soshu pour cette enquête.
- Sayonara !

Shinjo Kohei et Mirumoto Ryu s'en retournèrent à la cour, alors que le soir tombait déjà sur la Cité du Chêne Pâle, engourdie par l'hiver. Une lourde et saine fatigue s'abattit sur les rônins, qui montèrent bien vite se coucher, et dormir bientôt tout leur saoul, leurs soucis provisoirement évanouis.

:samurai:

Le lendemain, revigorés, après un sommeil lourd comme les pierres, nos deux rônins se réveillèrent, alors qu'un tendre matin d'hiver baignait la Cité, et que quelques hommes du peuple se risquaient dehors, malgré la froidure, des paquets sur les épaules ou la tête. Les rayons de soleil étaient froids comme la lune, mais le ciel clair mettait de l'espoir dans les coeurs.

L'enquête de Riobe et Sotan démarra aussitôt. Il s'agissait de mériter l'argent de Kohei-san !
Ryu-san était également de l'enquête. Il lui tardait d'exercer à nouveau ses talents de nazodo, cette discipline de recherches de preuves et d'indices concrets, si étrange aux Rokuganis. Ils ne tardèrent pas à trouver l'auberge où était descendu Matsu Bashô. Elle était fort luxueuse, réservée aux plus nobles hôtes de la Cité. Les rônins firent mauvaise impression en entrant, mais comme l'auberge était vide, le patron les accepta, et puis, quand il vit que les deux samuraï avaient de quoi bien payer, il les servit bien.
Usant d'un art du double langage qu'on ne lui connaissait pas, Riobe interrogea le patron, en se faisant passer pour un homme au service de Bashô-sama. Le patron n'y vit que du feu et grâce à lui, les deux rônins apprirent que le Lion avait bien séjourné dans cette auberge, puis s'était rendu à la cour d'hiver, au soir de la 5e journée, comme il convenait à son rang (c'est à dire le même jour que Daidoji Morozane ou Ide Tadaji par exemple). C'était un noble seigneur, il convenait donc d'être prudent à son sujet.
Mirumoto Ryu alla reconnaître le parcours entre l'auberge et le palais. Il était constitué de plusieurs rues étroites, mais il y avait peu de chemin à parcourir. Difficile de se faire attaquer sur la route sans voir venir les agresseurs. Ryu-san interrogea un marchand sur le chemin, à qui Bashô-sama avait acheté des objets, ce soir-là. Le noble Lion s'était ensuite dirigé vers le palais, mais avait bifurqué, pour aller parler à quelqu'un que le marchand n'avait pas vu. Ses souvenirs étaient imprécis, car il n'avait pas plus prêter attention que cela au Lion une fois celui-ci partit : il avait commencé à fermer son échoppe.

Vraisemblablement, Bashô-sama avait pu être attaqué entre l'auberge et le palais, et même certainement entre l'échoppe et le palais. Si le blessé de la cour était bien le Lion, cela signifiait que quelqu'un d'habile avait pu approcher le Lion juste avant le palais. Bashô-sama devait avoir une escorte avec lui.
Que s'était-il passé, à quelques mètres seulement de l'entrée du palais ?

Au cours des quelques journées d'enquête, Riobe retrouva une connaissance à lui : il s'agissait de Kakashi, le samuraï de la vallée d'Inchu, au service de Toturi. Kakashi et Riobe auraient pu être frères d'armes s'ils s'étaient rencontrés par le passé. De sa blessure contre les vils Scorpions, dans la forêt, Kakashi avait gardé une jambe boiteuse. Il s'aidait d'une béquille pour marcher. Il avait été soigné par les moines de la rivière d'Inchu, puis, après avoir entendu parler du criminel Hiro à la Grenouille Riche, il avait suivi sa piste, ce qui l'avait mené à la Cité du Chêne Pale.
Maintenant, aux yeux de tous, Kakashi était un samuraï boiteux. Qui plus est, il jouait l'idiot, si bien qu'il passait pour un pauvre here, vraiment innofensif. Fallacieuse apparence : Kakashi savait tenir un katana mieux que la plupart des samuraï, et même avec une béquille, il avait de quoi en remontrer à plus d'un !

Kakashi avait découvert que le gang même dont Hiro avait fait partie était en ville. Le rônin fut content d'apprendre que Riobe en avait fini avec Hiro sur la côte du Phénix. Toutefois, il convenait de se se méfier de ses complices... Les trois rônins, contents d'être ensemble, décidèrent de profiter ensemble des largesses de Kohei-san, et se payèrent un excellent repas à l'auberge.
Ce n'était pas si courant que deux frères d'armes se retrouvent, alors Kakashi et Riobe voulaient fêter cela ! Sotan fut content d'être de la partie, et ce soir-là, une modeste auberge de la Cité fut réchauffée par le copieux repas des trois rônins !

De son côté, quand elle rentra au palais, Ryu découvrit dans sa chambre, posé sur son futon, un parchemin grossier. Elle l'ouvrit, et lut ce message, hativement tracé :
"Hiro n'est pas mort. Hiro est dans la Cité, et prépare sa vengeance."
Ryu en eut un coup au coeur.
Comment ce message était-il arrivé là ? Un serviteur avait pu le poser. Mais le message disait-il vrai ? Qui en était l'auteur ?
Ryu alla aussitôt voir le docteur Munetaka, qui lut le message, et eut une grimace de colère.
- Par Togashi ! qui se mêle ainsi de nos affaires !... Ryu-san, pas d'imprudence concernant ce sujet ! Akuma-sama vous a ordonné de tuer ce Hiro, il faut aller au bout de cette mission. Et surtout, prenez garde pour ce qui concerne ce Matsu Bashô sur lequel vous vous renseignez ! Bashô-sama est un noble seigneur ! Vous risquez l'honneur de votre famille à vous approcher de lui !... J'ai reçu l'ordre de garder le silence sur le blessé qui s'est présenté à la cour d'hiver. Et déjà, des rumeurs sur lui ont provoqué la grave dispute entre Kameko-sama et Masumi-sama puis le duel de leurs champions !... Alors, sur cette affaire, du doigté avant tout. C'est bien compris ?
- Oui, Munetaka-sama. Je serai vigilante.
Dans sa tête, Ryu-san était déjà résolue à tout faire pour anéantir Hiro et tout son syndicat de criminels.
Pour retrouver Ryu-san, Kakashi, Riobe et Sotan lui donnaient rendez-vous dans un temple à la sortie de la cité. Personne ne s'étonnait de voir la Dragonne partir se recueillir dans ce lieu. Elle y trouvait les trois rônins, aussi doués pour la méditation que Ryu-san pour les discours éloquents, et ils se mettaient au courant de leurs recherches.
Au bout de deux jours, Kakashi avait pu localiser le lieu de réunion des yakuzas de Hiro. Encore n'étaient-ils sûrement pas des yakuzas au sens classique, c'est à dire des petits criminels locaux. Ils semblaient bien mieux organisés, pour avoir des ramifications à la Grenouille Riche, sur les terres du Dragon, à la Cité du Chêne Pale et chez les passeurs de la côte du Phénix.
Cela posait d'ailleurs un problème : si Hiro était bien en vie, qui était le Hiro mort dans la maison de Gempachi ? et la prétendue Nahoko ?
Des sosies ? Des monstres ayant pris visage humain ?... Ou bien des créatures des ténèbres, capables de changer de forme, comme celles du cauchemar collectif de Morikage Toshi ?... :mal:
Seuls Riobe et Ryu-san pouvaient penser à une telle éventualité. D'ailleurs, les Scorpions de la vallée d'Inchu pouvait aussi avoir été en contact avec Hiro, quand il était encore magistrat de la famille Kaeru. A moins même que ce ne soit encore la même organisation qui ait manigancé les crimes d'Inchu ?... Qui pouvait le savoir ?
Il fallait être très audacieux pour enlever plusieurs enfants sur les terres du Dragon...

:samurai:

Ce soir-là, l'avant-dernier du mois du Rat, le sort des criminels terrés dans la Cité du Chêne Pale, fut scellé pour de bon.
C'était dans le quartier mal famé de la ville, non loin du village d'etas. Des gaillards solides et sans honneur raccompagnaient des filles dans leur abri pour la nuit, avant d'aller les reconduire à leur place le lendemain. Un infâme bouge avalait et recrachait des ivrognes, et un autre accueillait les passionnés de jeux et ceux avides de venir tirer sur une pipe d'opium. Pendant la cour d'hiver, la repression de la garde Shiba était encore plus impitoyable pour les troubles de l'ordre, mais en échange, tant que les drogués, les joueurs, les prostituées et les bandits restaient à baigner dans leurs sales ruelles, sans se répandre ailleurs, ils y faisaient la loi.

Une batisse anonyme, parmi cette cité sans honneur.
Des hommes assis en demi-cercle, autour de leur chef. Des coupes de cendres brûlent d'une étrange lumière verte. Au sol, de grands signes ont été tracés, et dans la pénombre des lieux, on distingue d'autres silhouettes, dans les recoins, qui surveillent.
Face à ces crapules à jamais exclues de l'Ordre Céleste, trois samuraï. sont assis en tailleur.
Au centre, une jeune samuraï-ko d'une très grande beauté, qui ne dit mot. Elle porte sans ostentation le mon du Dragon.
A sa gauche, un gaillard taillé dans le roc de la montagne, qui s'appuie le bras sur un tetsubo.
A sa droite, un jeune rônin. C'est lui qui parlemente, à voix basse.
- Dragon-san a juré de retrouver et de châtier un criminel du nom de Hiro, et elle pense que ce criminel se trouve dans la Cité. Nous savons que vous pourchassez également cet homme, car il dirige un groupe ennemi du vôtre. Il est donc clair que nos intérêts convergent quant à Hiro. C'est pourquoi Dragon-san propose de s'associer avec vous.
- Je vois, répondit le vieux yakuza. Il est inhabituel de voir des membres du clan du Dragon. Inhabituel de les voir pourchasser des criminels si loin de leurs terres. Mais cela ne nous concerne pas. Alors, nous acceptons de nous associer avec vous, à la condition qu'après cela, nous ne nous soyons pour ainsi dire jamais rencontrés. Est-ce clair ?
- Tout à fait. Nous proposons que vous créiez une diversion, pendant qu'avec quelques-uns de vos hommes, nous menions une attaque de front. Nous agirons rapidement, et efficacement.

Ce soir-là, dans les mauvais quartiers de la Cité du Chêne Pale, une épaisse fumée fut signalée à un coin de rues. Une vieille tannerie se mettait à brûler, et des projectiles enflammées furent envoyés sur le bâtiment voisin. Aussitôt, d'un repaire noir comme la gueule de Fu-Leng, sortirent un groupe de criminels endurcis, qui furent accueillis par des coups de tonfa, de couteaux et de sabres ennemis. A ce moment, profitant de la diversion, un groupe mené par Ryu-san, Riobe et Sotan se précipitait dans le repaire des criminels. Tandis qu'un sanglant combat de rue s'engageait, que les machoîres se fracassaient, que les membres se brisaient, que les coups de sabre lacéraient les chairs, et lançaient des éclairs sanglants dans l'obscurité, le groupe de nos héros brisait la porte et les fenêtres des bandits. Le noble sabre du grand-père de Riobe coupa les corps ignobles des ennemis, pendant que ce dernier, ancien tacticien de son clan, promis à une brillante carrière militaire, commandait l'attaque des criminels contre les autres criminels. La fumée se répandait partout, et le sang giclait dans les ténèbres. Les criminels tombaient les uns après les autres, recevant quatre coups pour un qu'ils donnaient. Sotan élevait son tetsubo et l'abattait de toutes ses forces, comme pour briser la roche, et Ryu-san coupait sans ménagement dans les rangs adverses. Par tous les murs, leurs alliés d'un soir brisaient, détruisaient, rapidement, presque en silence, coupant le papier et la peau avec la même détermination.

Deux rônins, katana au fourreau, main sur la garde, avancèrent vers Riobe, prêts à la défier au iaijutsu. Riobe, l'arme à la main, les aperçut, se dit : "nous sommes à la guerre, pas aux compétitions athlétiques" et se jetant sur eux comme une lionne sur sa proie, trancha le crâne de l'un avant qu'il ne dégaine. Ryu-san et Sotan, quoique blessés, vinrent en renfort. Riobe s'arrêta un moment pour coordonner l'attaque de son groupe, puis se lança en courant dans la pièce du fond du bâtiment, entouré de Ryu-san et Sotan.
A l'intérieur, il faisait presque entièrement sombre. Nulle âme qui vive à l'intérieur.
Soudain, un craquement. Tombant du plafond comme un fruit mûr de l'arbre, un homme se jeta sur nos héros. Sotan l'évita de peu, et abattit son tetsubo sur sa colonne vertébrale, qui se brisa en craquant sinistrement. Ryu-san l'acheva aussitôt.
A la lumière des lanternes qu'apportaient les autres yakuzas, ils virent que c'était bien Hiro. Respectant la coutume, Riobe coupa la tête, et l'emporta comme trophée. Voilà qui convaincrait à coup sûr la famille Kaeru que celui qui les avait trahis, avait été puni comme il se doit !
Aussitôt après, nos héros se précipitèrent au-dehors. L'attaque se terminait : on achevait les perdants, et on prenait possession de leur territoire. Nos héros coururent vers le bout de la rue. Le vieux yakuza était là :
- La victoire est à nous !... Merci et adieu, samuraï !
- Adieu !
Quittant ce lieu sanglant et ignoble, Ryu-san, Riobe et Sotan se hâtèrent de regagner les abords du palais. La nuit était déjà tombée.

:samurai:

Jalousies et secrets

Cette après-midi là, dans les derniers jours du mois du Rat, alors que le soleil d'hiver descendait lentement derrière les murs du Palais du Chêne Pâle, Isawa Masanaga-sama réunit tous les invités pour leur annoncer une importante nouvelle :
- Honorables invités, puisque nous sommes des samuraï et que notre vie est faite pour servir l'Empereur, nous devons accepter ses décisions inconditionnellement. Aussi, puisque désormais le clan du Scorpion est à nouveau à compter parmi les clans majeurs, j'ai décidé d'inviter quelques-uns de ses représentants à notre cour, car il serait offensant pour notre Empereur que nous négligions les membres de ce clan. C'est pourquoi dès l'annonce de leur retour en grâce, j'ai fait de mon mieux pour les contacter. Leur réponse m'est enfin parvenue : l'honorable clan du daimyo Bayushi Yojiro nous enverra deux de ses représentants très bientôt. Ils se présenteront au palais, et feront pleinement partie de la cour de mes invités. Je sais que vous les accueillerez avec la déférence qu'il leur est dû. Ce sera tout, samuraï. Que cette fin de journée vous soit favorable.
Tous les invités s'inclinèrent, puis attendirent le départ de Masanaga-sama pour relever la tête, et retourner à leurs occupations. On imagine facilement que les spéculations sur l'identité des nouveaux invités occupa l'essentiel des conversations de cette fin de journée.

Ikoma Tsuyoshi déclara qu'il se comporterait honorablement avec eux, sans démonstration excessive de respect, et qu'il ne tolérerait aucun écart de langage contre sa famille ou son clan. Le docteur Munetaka semblait très contrarié par l'arrivée de ces deux Scorpions, de même qu'Asahina Masumi, tandis que Mirumoto Onitsugu sentait son sabre le démangeait : il voulait en défier un en duel, pour asseoir sa réputation ! Comme à l'habitude, Doji Itto prenait les choses par le bon côté, et attendait des occasions de leur proposer quelques faveurs, de se mettre bien avec eux.

:samurai:

Pendant ce temps, Isawa Akitoki réunit ses deux shugenja, Kogin et Ayame.
- J'attendais que Masanaga-sama nous confirme l'arrivée des représentants du Scorpion pour vous réunir toutes les deux. Inutile de faire de longs discours concernant la réputation des Scorpions, leur art de la conversation, du discours et de la manipulation. Aussi, il m'apparait nécessaire de vous aider à contrer l'adversaire avec ses propres armes. Je vous demande donc à toutes les deux d'aller recopier et apprendre rapidement le sort dit de l'Influence de Benten, qui vous permettra de demander aux esprits de l'air d'embellir votre apparence et votre art de la persuasion. Quiconque est sous l'effet de ce rituel magique paraît plus convaincant et plus gracieux dans ses gestes et ses discours.
"Ce n'est pas un sort difficile. Je compte sur vous deux pour l'apprendre très vite, et j'attends de voir laquelle de voux deux aura terminé en premier.

Akitoki-sama espérait évidemment piquer la jalousie, l'esprit de compétition, propre aux shugenja Isawa. Malheureusement, sur ce sujet, la jalousie brûla de manière inégale le coeur des deux shugenja : beaucoup celui de Kogin, pas du tout celui d'Ayame.
Alors que Kogin se précipitait déjà en bibliothèque pour se plonger dans ses études magiques, Ayame se précipita... également en bibliothèque, mais pour y continuer ses recherches sur Bayushi Tangen, l'Ombre, le Gozoku, la Novice, et autres sujets très courants dans l'enseignement des académies Phénix...
Ayame avança donc lentement dans l'apprentissage du sort, n'y consacrant que la moitié de son temps, tandis que Kogin termina de maîtriser le sort en très peu de temps, et s'empressa d'aller le montrer à Akitoki-sama.
Ayame fut convoquée en même temps, et dut avouer que Kogin-san l'avait battue une fois de plus. Elle bafouilla quelques excuses maladroites, et sa persuasion ne prit pas. Kogin la regarda d'un air faussement gentil, lui signifiant qu'elle ne trompait personne, et que si elle voulait s'essayer à ce genre de mensonges éhontés, elle ferait mieux d'apprendre ledit sort de l'Influence de Benten.
Pas dupe non plus, Akitoki-sama la sermonna sévèrement, lui rappelant les principes sacrés d'excellence et d'harmonie de l'Académie Isawa, et l'importance vitale de surpasser tous les autres clans, d'autant plus quand on en est l'hôte pour un hiver.
Ayame répondit très poliment, très humblement, et cette fois de manière tout à fait convaincante :
- Hélas, j'ai les pires difficultés à ne pas lire le Tao quand je suis en bibliothèque. Cette lecture me passionne et me prend beaucoup de temps.
Quoique convaincu de la piété de sa shugenja, Akitoki décida que le temps de la méditation recluse était finie pour Ayame :
- Désormais, vous vous concentrerez sur la vie de cour. Même les shugenja vivent dans le monde. Vous devez trouver l'harmonie entre la méditation intérieure et le monde extérieur. Finissez de recopier ce parchemin de sort, et allez vous montrer parmi les invités. Prenez exemple sur Kogin-san !
Kogin la regarda sortir, contente d'avoir été la meilleure aux yeux de son daimyo, mais aussi jalouse de ne pas aller lutter sur le même terrain qu'Ayame. En quelque sorte, grâce à, ou à cause d'Ayame, elle découvrait que la jalousie ordinaire entre shugenja n'était pas assez. Maintenant, Kogin voulait connaître la vraie jalousie qui poussait Ayame de l'avant.
- Je ne suis pas dupe de tes manoeuvres, Ayame-san, se disait à peu près Kogin. Tu joues à la mauvaise étudiante, lente d'esprit, mais je ne m'y laisse pas prendre. Je déteste sa fausse modestie qui cache ton mépris supérieur envers nous ; je déteste te voir choisir toi-même ton terrain de jeu, mais j'aime me sentir jalouse de toi !

:samurai:

Donc, sur ordre d'Akitoki-sama, Ayame-san dut abandonner ses recherches, pour son plus grand dépit. Elle tenta donc d'entrer dans la conversation des deux hôtes avec qui elle aurait sans doute les meilleures relations : Asahina Masumi et Kakita Hiruya, tous deux en conversation sur l'île au milieu du lac aux reflets pâles.
Il faisait très beau, un temps à ravir l'âme, et avec des fourrures, on pouvait supporter le temps. Les serviteurs avaient installé des poeles autour des deux Grues, et ainsi la température était parfaitement supportables.
Le bushi et l'artiste discutaient autour d'une tasse de thé et d'amuse-bouche. Ayame fut sans difficulté invitée à se joindre à la discussion.
Sans parvenir à cacher toutes ses émotions, Masumi-sama reparlait à Hiruya de l'affaire du duel. Kitsu Kameko s'était montrée odieuse envers Masumi, en l'accusant d'échecs de par le passé, et Masumi-sama avait fini par répliquer sur le sujet douloureux pour les Lions : l'affaire Bashô.
Le poète ne s'était pas présenté le jour convenu, et comme par hasard, le même soir, on entendait parler de l'arrivée d'un homme blessé, et mis au secret. Seuls Mirumoto Munetaka et Kitsu Kameko avaient pu l'approcher pour le soigner.
Masumi-sama avait demandé des éclaircissements sur cette affaire, avec insistance, en espérant que Kameko-sama battrait en retraite. Mais l'impétueuse Lionne avait fini par demander réparation.
Il est vrai que Matsu Bashô était en soi un sujet sensible, douloureux même pour le clan du Lion.
Il passait pour n'avoir aucune qualité de la famille Matsu. Ni valeureux au combat, ni belliciste le reste du temps, ni bon soldat, il était au contraire solitaire, réservé, timide, certains disaient efféminé, et s'adonnait volontiers à la poésie plutôt qu'au maniement du katana. Seule sa haute naissance le mettait un tant soit peu à l'abri des railleries des Matsu. Du moins ne ricanait-on que dans son dos. On raconte que Matsu Tsuko aurait déclaré que Bashô-sama n'était pas un Lion, mais un petit chaton, bon pour téter le lait de sa maman.
Bref, Bashô-sama avait toujours vécu à l'écart du clan. Il traînait depuis plusieurs années une réputation sulfureuse : ses séjours fréquents parmi le Monde Flottant de Ryoko Owari ne faisait rien pour arranger la situation....

Masumi-sama ne retenait pas un certain rire sarcastique en détaillant toutes les faiblesses de Bashô. C'était toujours un plaisir de voir l'embarras des Lions à son sujet.
- Je vais vous laisser à présent, dit-elle, car il est l'heure pour moi de faire de l'origami et...
Elle voulut alors se lever, mais elle sentit soudain ses forces l'abandonner. Hiruya la soutint aussitôt, et dut vigoureusement l'aider pour qu'elle se mette sur ses pieds. Elle devait être épuisée, et souffrir de fièvre.
- Dois-je vous raccompagner au pavillon, demanda Hiruya-san
- Non, cela ira, je vous remercie. Je me sens parfaitement bien, maintenant.
Elle était pâle, et transpirait. Courageusement, elle se remit bien droite, sourit, salua et s'éloigna, suivie d'un serviteur.

Ayame-san et Hiruya-san regardèrent l'artiste Asahina s'éloigner, puis reprirent la conversation. Ils discutèrent de choses et d'autres pendant quelques temps. Dans un coin de son esprit, Ayame gardait cette question répétée de Kogin : pourquoi Hiruya avait-il suivi le groupe des terres du Dragon vers la Grenouille Riche ?
Il est vrai que Hiruya-san avait discuté à huis clos avec Akitoki-sama et Yobe-sama, avant leur départ d'Heibetsu... Ayame l'avait oublié, mais cela lui revenait maintenant.
Au fil de la conversation, Hiruya en vint à proposer à Ayame de découvrir la bibliothèque avec elle.
- C'est que... Hiruya-san... c'est assez gênant pour moi... Il se trouve que j'y ai passé beaucoup de temps dernièrement, et Akitoki-sama verrait d'un meilleur oeil que je me fasse plus voir à la cour...
Cependant, Hiruya-san, très sûr de lui, servit à la shugenja un discours tellement assuré, et si poliment insistant, que celle-ci ne put en fin de compte qu'accepter.
Elle espérait seulement ne pas croiser Akitoki-sama sur le chemin.
Ils le croisèrent seulement au dernier couloir avant la bibliotèque.
Ayame-san se mordit la lèvre en le voyant. Cette fois, elle risquait une sévère punition pour sa désobéissance. C'était sans compté l'aplomb, le culot et l'assurance incassables de Kakita Hiruya. Celui-ci salua très poliment Isawa Akitoki-sama, et déclara sans ambage qu'il désirait visiter la bibliothèque du palais, et comptait sur Ayame-san pour la lui faire découvrir.
Akitoki-sama, qui marchait, pressé, vers ses appartements, sourit aimablement à Hiruya-san, et de manière un peu plus carnassière à Ayame, puis conclut :
- Très bien, Hiruya-san. Je suis certain qu'à présent, Ayame-san connaît par coeur chaque rayon et chaque rouleau de parchemins.
Puis il repartit sans plus se préocupper d'eux.

:samurai:

Ayame-san invoqua les esprits du vent pour s'éponger le visage. Elle l'avait échappé belle. Hiruya-san lui proposa d'entrer en bibliothèque, avec au visage un sourire assuré qui disait : "Ne vous inquiétez donc pas, tout était prévu."

Une fois assis à une table dans le vénérable bâtiment où dormaient des milliers de parchemins, Hiruya-san et Ayame-san discutèrent encore quelques temps par pure politesse, puis Hiruya en vint à demander, sans avoir l'air trop désinteressé, ce qui avait tant intéressé Ayame-san ces derniers temps dans la bibliothèque.
Il fut très surpris de s'entendre répondre carrément qu'elle cherchait à savoir ce qui s'était passé à Morikage Toshi, avec ce cauchemar et ces ombres !
Très intrigué, Hiruya-san écouta la suite des explications d'Ayame. Elle s'intéressait à ces choses mystérieuses, ces ombres qui avaient envahi leur rêve, et créé une sorte de songe collectif. Elle s'intéressait aussi à certaines périodes troublées de l'Empire, le Gozoku surtout, sans faire encore le lien entre ces élèments.
Hiruya-san écouta ces explications avec beaucoup d'intérêt, et se promit d'en apprendre plus une prochaine fois.

:samurai:

Peu après, Ayame était à nouveau convoquée chez Akitoki-sama.

Celui-ci la convoquait au dernier moment, et l'accueillit avec un ton des plus sévères. Etonnament, ce n'était même pas pour la tancer au sujet de ses ruses pour aller en bibliothèque -même si Akitoki-sama était presque sûr qu'en réalité, c'est la rusée Ayame qui avait entourloupé Hiruya pour trouver une bonne raison de retourner parmi les parchemins...
- Bien, Isawa Ayame-san, je vous ai convoqué de nouveau pour vous parler d'une affaire grave. Vous savez certainement que deux membres du clan du Scorpion vont arriver à la cour d'hiver. J'ai pu me renseigner sur l'un d'eux. Il se nomme Bayushi Bokkai. C'est un personnage extrêmement malin, et très dangereux quand il le veut. Il a déjà détruit des réputations au détour d'une phrase, comme on abat une pile de riz d'un revers de main. S'il vient à la cour d'hiver, vous pouvez être sûr qu'il s'est renseigné sur tous les invités, et sait lesquels sont potentiellement à sa merci. Autant dire tous ceux d'un rang inférieur ou égal au sien dans l'Ordre Céleste. Vous êtes donc une victime tout désignée pour lui. Alors, plus que jamais, vous serez en première ligne pour défendre l'honneur du clan. Ne soyez pas notre point faible ! Le clan vous aura à l'oeil, donc pas d'imprudence. Attention aux impasses périlleuses vers lesquelles il peut vous pousser. Il semble qu'Isawa Kogin soit plus apte que vous à réagir face à ce danger. C'est le moment de montrer que vous pouvez être la meilleure.
"Comme il faut lutter avec les armes de ses adversaires, je vais vous donner un renseignement important. Je sais que Bokkai-san a des contacts avec la pègre de la région. Ces engeances sont en quelque sorte nécessaire à la stabilité sociale, mais il est indigne pour un samuraï de les fréquenter. Donc, si jamais Bokkai-san vous attaque, évoquez ces liens avec la canaille, d'un air entendu, et vous pourrez ainsi le contrer. Procédez par insinuation, jouez secret contre secret, et vous le surprendrez, ce qui vous donnera l'avantage. Il se rabattra sur une autre victime, et vous aurez gagné !

Ayame-san acquiesça aux paroles de son daimyo. Ce dernier venait de parler comme un général à ses troupes, à la veille d'une bataille décisive...
Aussi, Ayame-san prit-elle la peine d'aller s'adresser à Doji Itto, ce fin courtisan.
Très flatté qu'on vienne ainsi lui demander conseil sur de redoutables adversaires, Itto-sama accueillit aimablement la shugenja.
- Itto-sama, vous qui avez connu de nombreuses cours, vous devez bien connaître les membres du clan du Scorpion...
- Vous savez, Ayame-san, à les fréquenter, je vous dirai qu'ils ne sont pas les démons que l'on peint généralement. Ils sont humains, comme vous et moi, mais il sont très malins. Face à eux, chaque mot compte, et ils n'oublient rien ! Alors prudence, prudence !...

:samurai:

Le Tao des Scorpions

Journal d'Isawa Naoshige, intendant de l'honorable Isawa Masanaga

30e jour du mois du Rat 1126[/color]


Par toutes les Fortunes ! Pour un premier mois de cour d'hiver, nous en aurons connu des évènements ! Plus en trente jours que pendant ces trois dernières années je crois !

Un des gardes Shiba du palais vient de me prévenir qu'un bâtiment a brûlé la nuit dernière, dans les bas-fonds de la ville. Réglements de compte entre yakuzas semble t-il. Réglement parfaitement sanglant, également. Un gang aurait fait une descente armée chez son ennemi, et aurait déclenché un massacre sans pitié.
Plus grave : on a vu revenir Mirumoto Ryu au palais, manifestement blessée. Elle s'est précipitée au Pavillon de l'Enigme, et Mirumoto Munetaka s'est chargé de lui administrer quelques soins. Ensuite, le bon docteur aurait couru demander l'aide d'Isawa Ayame pour guérir la samuraï-ko.
Masanaga-sama va bientôt être au courant de toutes ces histoires, pour la bonne raison que c'est certainement moi qui vais les lui apprendre, avant que les rumeurs ne se répandent parmi les invités !
Voilà Munetaka-sama avec deux blessés sur les bras, et Ayame-san de nouveau mêlée à une de ces histoires louches !
Qu'est-ce que Ryu-san a bien pu aller faire avec ces bandits ?... J'ai vu Ide Soshu se renseigner auprès de plusieurs invités. Il a l'air d'en savoir des choses, de même que son yojimbo, Shinjo Kohei. Il nous reste encore, par la grâce de l'Empereur, deux mois de cour d'hiver.
Pour conclure ce mois du Rat, très intéressant -au sein où Akodo lança cette malédiction : "Puissiez-vous vivre des temps intéressants !", c'est à dire des temps agités -, nous avons reçu aujourd'hui les émissaires du clan du Scorpion.
Deux sombres samuraï, dans leurs beaux kimonos pourpre et noir, aux motifs argentés, portant des masques et le maquillage noir et blanc de leur clan, sont maintenant parmi nous. Ils reviennent, comme des fantômes ressuscités, semer le doute, le trouble, l'inquiétude, parmi les samuraï honorables de Rokugan. Que l'Empereur nous protège, lui qui, dans son immense choisi, a compris pourquoi il fallait les faire revenir parmi nous !

"Toujours ils vont par deux", comme le dit, je crois, un vieux dicton...

Le premier d'entre eux se nomme Shosuro Mone. Il doit avoir une vingtaine d'années, peut-être vingt-deux ou vingt-trois ans, et les rumeurs disent que c'est un acteur de talent. Asahina Masumi a entendu parler de lui il y a quatre ans, quand il avait joué dans plusieurs grandes pièces de nô dans Otosan Uchi.
Le second est un personnage bien plus redoutable et réputé. Il s'agit de Bayushi Bokkai, un bushi parfaitement conforme à l'idée que l'on se fait des samuraï de son clan. Il est plus célèbre pour tuer ses adversaires en les poussant au suicide qu'en les affrontant en duel. Je suis certain qu'il tient sous son chantage au moins deux ou trois invités de cette cour. Je parierais que nous ne tarderons pas à savoir lesquels...

:samurai:

Pour leur arrivée, les deux samuraï n'ont pas manqué de se faire remarquer. Ils ont poliment salué tout le monde tour à tour, un peu comme si une vipère saluait la proie qu'elle va empoisonner. Certains répondent avec assurance, comme Ide Tadaji ou Isawa Akitoki (sans parler bien évidemment de Masanaga-sama ou de Kanera-senseï), sans doute les élus du ciel qui n'ont rien à cacher aux Scorpions, ou dont la position est trop supérieure pour qu'ils soient vulnérables.
Chez tous les autres, je crois percevoir un grand malaise. J'ai la chance de faire exception moi aussi : étant l'intendant de leur hôte, s'en prendre à moi signifie s'en prendre à Masanaga-sama. Et le Scorpion est loin d'être insensé...
En revanche, s'en prendre à des victimes plus petites, plus isolées, qui s'attendrait à ce qu'ils s'en privent ?

Je sens comme une sorte de grande sympathie dans l'assistance, quand les deux venimeux personnages s'approchent de Mirumoto Ryu, à moitié inconsciente de ce qui se passe autour d'elle. Shinjo Kohei secoue sa main d'un air inquiet, en demandant à son ami Hiruya-sama combien de temps se passera avant que Ryu-san ne soit brisée par les deux Scorpions. Le docteur Munetaka respire un grand coup pour se maîtriser, ordonnant au duelliste Onitsugu de rester près de lui ; de même Kitsu Kameko et Ikoma Tsuyoshi. Moshi Wakiza, en conversation avec Isawa Kogin et Doji Kafu, fait tout pour ignorer la scène, et ne pas assister à la joute verbale qui se prépare. Pour ma part, je m'occupe d'abord de nos plus nobles invités, et j'oublie avec plaisir le sort de nos plus jeunes samuraï.
Shiba Rosanjin regarde du coin de l'oeil la scène, avec le même intérêt qu'il prenait pour les deux duels iaijutsu qui se sont déjà déroulés.

- C'est étrange, déclare Bayushi Bokkai à Ryu-san, de manière à être entendu de tous, nous les Scorpions nous intéressons à tout le monde, et nous connaissons bien des secrets et des histoires sur tous les clans, et sur bien du monde, mais alors, sur le clan du Dragon, presque rien !
- Oui, c'est étrange, surenchérit Shosuro Mone-san, car nous savons que le clan du Dragon est très mystérieux, qu'il possède une grande sagesse qu'il partage peu, mais nous ne connaissons pas ses secrets. C'est pourquoi nous nous demandions si en parlant avec vous, Ryu-san, nous ne pourrions en apprendre plus.
- Ah mais vous savez, la sagesse est une chose difficile. Cela prend du temps.
L'aplomb de Ryu-san est assez extraordinaire. Tout le monde dans l'assemblée retient son souffle.
- Oui, mais en dépit de cette sagesse, reprend Bokkai-san, votre clan doit bien recéler quelques mystères.
- Non. Nous n'en avons pas.
- Comment ? Voyons, Ryu-san, vous vous moquez de nous. Personne n'est complétement exempt de secrets !
- Hé bien nous : si.
On s'attend au pire pour la malhereuse Ryu-san, qui a mis les deux pieds dans un nid de scorpions.
- Eh bien, ce serait vraiment étonnant, déclare en riant largement Mone-san, et plus nettement à l'intention de tous. Ce serait en quelque sorte un grand secret de ne pas avoir de secret !
- Eh bien, c'est comme ça pourtant.

:samurai:

C'est alors que, inattendus et à tout le moins, téméraires, sinon pour de bon insensés, deux samuraï viennent soudain au secours de Ryu-san : il s'agit de notre jeune duo de tourtereaux, Isawa Ayame et Suzume Yugoki, le Phénix et le Moineau, qui viennent se placer dans la discussion.
A trois contre deux, les Scorpions ne sont pourtant pas en position de faiblesse. Mirumoto Ryu s'écarte peu à peu du groupe, et cette fois, à deux contre deux, la lutte s'engage, aussi dangereuse qu'un véritable duel.
Isawa Akitoki serre les poings et les dents en murmurant : "mais pourquoi faut-il qu'Ayame-san aille ainsi les défier ! Elle cherche à finir un wakisashi dans le ventre !"
Tandis que Moshi Wakiza s'inquiète pour Yugoki-san, Isawa Kogin se ronge les ongles, mi-inquiéte, mi-admirative pour sa rivale : faire preuve de talent d'accord, mais là, tout de même, aller attaquer de front un Bayushi et un Shosuro, c'est plus qu'elle-même ne peut demander !

Un signe de Masanaga-sama m'avertit que je ne dois pas intervenir. Que je continue à faire la conversation aux plus nobles invités, que je les divertisse, que je passe dans les groupes pour faire ronronner les conversations.
Au milieu du brouhaha des paroles, chacun peut entendre, sans avoir à tendre l'oreille, les échanges à couteaux tirés. Ils en sont venus à parler du Tao. Sujet glissant.
- Comment, Bokkai-sama, dit vertement Ayame, vous douteriez de la sagesse de Shinsei, et de ce que la réincarnation n'est pas promise à tout le monde ! Vous pensez qu'un Crabe sur la muraille ne peut pas espérer échapper aux cycles des réincarnations ! Vous pensez que l'Illumination n'est promis qu'à certains ! Mais c'est aller contre la sagesse même de Shinsei, et penser que certains ne pourront jamais purifier leur kharma !
- Enfin, il me semble qu'il y a illumination et illumination... Car la vie d'un sage et paisible Phénix n'est pas celle d'un Crabe qui combat l'Outre-monde, et que le premier a plus de chance, à la fin de cette vie-là, de trouver l'Illumination qu'un courageux Hida face à un oni. Cela tombe sous le sens.
- A la fin de cette vie-là, peut-être, mais vous semblez prétendre que l'Illumination n'est pas promise à tous, que certains trouveront la fin du samsara et d'autres non !
- Mais pas du tout ! Nous nous sommes mal compris, car je dis juste que l'Illumination est plus réservée à la vie d'un sage ou d'un mystique et
- Mais prétendriez-vous qu'un Crabe fait moins son devoir qu'un érudit du Phénix ou qu'un Ize Zumi !
- Les Kami, continue Yugoki, ont promis à tous les hommes l'Illumination ! On ne peut revenir là-dessus !

:samurai:

Par Isawa, ils sont déchaînés, les deux jeunes gens. Je les vois brûler de l'élan de la jeunesse, eux si timides d'habitude. Au moins sauront-ils pourquoi les Scorpions s'en prennent à eux à l'avenir ! Ils discutent des créatures de Fu-Leng, de l'illumination, du cycle des réincarnations, et tiennent bon face aux Scorpions, assez sceptiques et amusés, mais aussi inquiets de passer éventuellement pour des incroyants, des gens sans foi envers les kami, ce qui revient en somme à une atteinte à la dignité de l'Empereur. Par Shinsei, il est rare que des débats de cour d'hiver en vienne à porter sur ce point, et de manière si enflammée ! Durant toutes ces années comme intendant, j'ai rarement assisté à ces échanges.
Le senseï Kanera-sama a écouté lui aussi, souriant ou grimaçant à mesure que les échanges avancent.
Finalement, Yugoki-san parvient à placer un dernier mot bien senti sur l'honneur et l'Ordre Céleste, ce qui met fin à la conversation.

Tout le monde respire quand les deux Scorpions saluent, se séparent, et viennent me demander de leur indiquer leur chambre. Ils n'affichent presqu'aucune émotion, malgré cette conversation abrupte.
Je m'étonne qu'ils se soient laissés entraîner sur un terrain aussi glissant.
Enfin, les voici parmi nous pour deux mois encore.
Oui, que le Fils du Ciel nous protège de ses décisions !




:samurai: GLOIRE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:






? ? ?

--> Les deux Scorpions vont-ils en rester là, ou préparent-ils déjà leur vengeance contre les deux jeunes insensés qui sont venus les défier ?

--> Le mystérieux blessé du palais est-il bien Matsu Bashô ? Quels secrets se cachent derrière ce personnage ?

--> Le soir même, Ayame-san, au mépris des ordres de son daimyo, retourne en bibliothèque, bien décidée à mettre au jour les secrets de l'Ombre, du Gozoku, de Bayushi Tangen et de la Novice Folle. Que va t-elle découvrir, ce soir-là, parmi les parchemins du palais ?

? ? ?

Ce soir-là, le mois du Rat de l'an 1126 se termine.
La situation dans l'Empire devient de plus en plus incertaine. Hida Kisada n'a toujours que mépris pour le jeune Empereur, et la colère gronde parmi les rangs des Crabes.
Alors que l'aube se lève sur le mois du Boeuf, un puissant shugenja Isawa revient de l'Outremonde. Masqué comme un ninja, portant un grand chapeau, et dans sa besace de voyage, les parchemins les plus noirs qui aient jamais existé, il s'apprête déjà à étudier les arcanes les plus maléfiques de la maho-tsukaï.
Son nom est Isawa Tadaka, Maître de la Terre du Conseil Elementaire.
Avec son retour sur les terres du Phénix débute...




... L'ERE DU VIDE !
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 18:48

:eien:

Matsuo Bashô (1644-1694) est l'un des plus célèbres poètes de haïku du Japon. Bashô est son surnom, ce qui signifie "bananier". Il possédait en effet une grande bananeraie dans sa propriété. On l'appelle volontiers par son seul prénom, Bashô, car sa poésie est familière à beaucoup de Japonais.
D'abord maître du style comique, puis influencé par les maîtres chinois classiques, comme Tou-fou, Li-po ou le célèbre Tchouang-Tseu, Bashô érige le haïku au rang d'un art abolu. C'est lui qui fixe la règle d'alternance du nombre de syllabes : 5-7-5.

Il a écrit par exemple :

Nuit d'été -
le bruit de mes socques
fait vibrer le silence


ou encore :

Herbes folles de l'été -
où frémit encore
le rêve des guerriers !


*

Ce jour si long
Trop court encore
Pour le chant de l'alouette !


Adepte du zen, poète-voyageur, Matsuo Bashô mena une vie itinérante, suivi par de nombreux disciples. Dix d'entre eux devinrent célèbres, parmi lesquels Morikawa Kyoroku (1656-1715), qui écrivit entre autres poèmes :

Près de la chandelle
une pivoine
en silence.


ou encore Hattori Ransetsu (1654-1707) qui écrivit ce haïku-ci :

Miroir
des roses jaunes
la source blondit


Matsuo Bashô écrivit ce très beau haïku :

Ce couchant d'automne -
on dirait
le Pays des ombres


Il fut l'inspirateur de nombre de grands maîtres du haïku à travers les siècles, tels que Kobayashi Issa, et continue d'inspirer les poètes contemporains.

...



Alors, franchement ! n'écoutez pas les menteurs et les ignorants qui vous parlent d'un certain Matsu Bashô comme d'un samuraï effeminé, adepte des plaisirs et par dessus le marché membre d'une société criminelle secrête ! :sarcastic:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 21 avr. 2006, 19:09

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE


La 5e Réincarnation : 10e Episode (II)
Mois du Boeuf (milieu de l'hiver)


Les subtilités de la cour

VOLUME II
L'innocence de la neige...
... et des visages effacés


-Bienvenue de l'autre côté du miroir...- Emmon



LES SECRETS DU LYS

Un soleil couleur d'automne dorait pour la dernière fois ce mois du Rat 1126. Les arbres étaient devenus rouges comme le sang pendant ces derniers mois. Ils finissaient de se dépouiller de leur feuillage, qui s'en allait comme des lambeaux de vêtements, tristement emportés par le vent.
A l'heure précise où Dame Soleil allait passer l'horizon, jetant un dernier regard plein de feu sur le monde de ses enfants, l'une de ses arrières-petites filles parmi les plus surprenantes et les plus audacieuses pénétrait à nouveau dans la bibliothèque du palais du Chêne Pâle, bien décidée à faire toute la lumière sur la Novice Folle, Bayushi Tangen, l'Ombre et la période du Gozoku.

Elle venait du grand et merveilleux jardin du Chêne Pâle, brillant sous la lumière rase comme une rivière de diamant sous la flamme. On y entendait les discussions feutrées et des rires étouffés des courtisans.
La vieille bibliothèque était déjà bien sombre. Les serviteurs s'y endormaient quelque fois, mais avaient appris que lorsqu'Isawa Ayame y pénétrait, il fallait se mettre au travail !

La shugenja se mit à sa table de travail habituelle, les genoux sur un coussin. Elle se fit amener une belle boîte en bois décoré, fit glisser un panneau, et prit son pinceau avec son encrier. Les assistants étaient déjà presque au garde-à-vous, près d'elle, et en quelques mots et quelques gestes, Ayame-san les envoya aux quatre coins de la pièce, fouiller parmi les vieux parchemins des lieux.
Elle ne tarda à se retrouver avec une pile imposante sur sa table, de parchemins amenés avec diligence par les serviteurs. A mesure que le jour se retirait, la pile montait, et Ayame-san allait de déceptions en déceptions.
Aucun de ces parchemins ne lui convenaient. Il n'y avait rien d'important dans aucun d'eux, c'était vraiment décourageant.
De plus, elle savait pertinemment qu'elle allait contre les ordres d'Akitoki-sama en venant ici. Elle mettait son honneur en jeu ; or elle avait beaucoup à perdre. Elle renvoya l'un après l'autre les parchemins.
Non, décidément, non, ça n'allait pas.

Au bout de plusieurs heures de recherches fébriles, elle finit tout de même par retrouver plusieurs fragments de l'ouvrage de Bayushi Tangen, Petites Vérités. Elle en avait maintenant compilé un grand nombre de ces fragments, où elle trouvait des aphorismes, des réflexions, des pensées, notées par ce personnage.

« Et si tu n’as pas de secret, fabrique t’en un. Mais il faudrait que tu sois un saint homme pour être dans ce cas-là. Si tu as déjà un secret –c’est plus probable, n’est-ce pas ? – sers t’en intelligemment. Fais en sorte que tous le connaissent, et le murmurent, et le propagent, à commencer par tes ennemis. Surtout, qu’ils se croient malins de le savoir.
Ainsi tu seras prêt à les recevoir quand ils voudront t’attaquer. Ton flanc à découvert sera en réalité ton point fort : quand tous comploteront pour frapper dans le défaut de ton armure, qui prêtera attention à la lame que tu tiens dans le dos ? »


Des recherches parmi des copies d'archives des historiens Ikoma lui apprit qui était Bayushi Tangen.

« Bayushi Tangen, 1er du nom (147-180)
Auteur de nombreux ouvrages, dont le plus célèbre est sans conteste Mensonges, recueil d’aphorismes et de pensées sur la politique, la tromperie et la manipulation, Bayushi Tangen fut daimyo du clan du Scorpion, et acquit grâce à ses œuvre une importante gloire dès son vivant. Il mourut brutalement à l’âge de 33 ans, dans des circonstances mal élucidées.
L’anecdote raconte que Tangen-sama était à la cour d’hiver de Shiro Akodo. Il venait de présenter son recueil de pensée à l’Empereur, quand un dignitaire du Lion l’accusa devant tout le monde de n’écrire que des ramassis de perfidies. Tangen-sama haussa les épaules, dédaigneux :
« Mes livres ne contiennent pas un seul mensonge. »
Et soudain, il agrippa son bras gauche, et s’écroula, mort. On a parlé d’empoisonnement, de vengeance, de volonté des Fortunes. Mais Bayushi Tangen emporte avec lui le secret de sa mort.

Bayushi Tangen, 2e du nom (352-403)
Descendant du premier.
Quoique célèbre et renommé de son vivant, il n’égala pourtant pas la réputation de son ancêtre. Il ne fut pas daimyo de son clan, mais conseiller de ce dernier, Bayushi Atsuki, l’un des dirigeants de l’Alliance Tripartite, ou Gozoku.
Auteur de nombreux ouvrages de politique, de poésie, de théâtre et d’astrologie, il est surtout connu pour ses traités juridiques, et pour être l’un des inspirateurs des réformes mises en place par le Gozoku.»

Ayame découvrit que certains fragments de Tangen IIe du nom évoquaient les mystères, les secrets, et certains plus précisément les ombres, les dangers de la noirceur. C'était troublant. Tangen-sama évoquait-il cette menace diffuse et hideuse qui s'était manifestée à Morikage Toshi, pendant le cauchemar collectif de nos héros ?

Encore un extrait de Bayushi Tangen, deuxième du nom :

« Mon seigneur, quel est le devoir d’un bon conseiller, sinon de savoir dire la vérité, fût-elle amère, à celui qu’il sert fidèlement ?
Vous avez fait alliance avec des gens qui se disent honorables, mais qui sont aussi les premiers à transgresser leurs beaux principes. En somme, ils voudraient la rançon de la moralité dans les paroles et la rançon de l’immoralité dans les actes,

Est-ce concevable ? Bien sûr que non. Qui croient-ils duper avec leur hypocrisie mal assumée et leurs tromperies honteuses ?
Savez-vous, noble Atsuki-domo, la différence entre eux et nous ?
Elle est très nette : eux n’assument pas ce qu’ils font.

Ils voudraient paraître bons quand leurs actes ne valent pas mieux que les nôtres. Mais nous, nous avons appris à être à l’aise dans l’hypocrisie et le double langage. Nous voyons clairs au sein des ténèbres de nos mensonges. Nous sommes dans ces mensonges comme des poissons dans l’eau : eux, à vrai dire, n’aiment pas trop se « mouiller ». Leurs comédiens ne sont que des pitres face à nous, car nous, c’est dans notre vie quotidienne que nous sommes acteurs, pas seulement sur scène. »


:samurai:

La nuit tombait maintenant. Un rideau de pluie était arrivé, comme pour fermer la scène sur le mois du Rat. Seigneur Lune montait dans le ciel, au moment où un lourd orage éclatait au-dessus du Chêne Pale. Il avait fait lourd toute l'après-midi, et avec l'orage, les courtisans se réjouissaient que l'air s'allège, redevienne plus serein et plus tendre.
Mais à l'intérieur de la bibliothèque, l'atmosphère s'alourdissait pour Ayame-san. Comme ces chercheurs d'or qui récupèrent des masses de pierre avant de trouver un peu de poudre dorée, elle finissait par découvrir quelques lignes de mystère parmi des volumes entiers de banalités.

« Un secret ne vient jamais seul. Derrière tout secret se dissimule un arrière-secret. Seuls les impatients et les idiots croient qu’un secret vaut pour lui seul, et pas pour ce qu’il cache derrière lui. » (Bayushi Tangen II)

Peu à peu, Ayame pressurait ces parchemins comme des citrons, pour en faire dégorger tout le jus poisseux de l'oubli et du secret. Mais à mesure que ces parchemins rendaient gorge et âme, elle aussi, Ayame-san, se mettait à suer le secret, comme si elle s'imprégnait du parfum des fleurs de l'ombre...

Ayame-san avait l'impression d'ouvrir de vieux encensoirs, pleins de passé pulvérisé, des urnes, renfermant les soupirs et les silences des hommes morts sans que leurs lèvres ne laissent passer tous les secrets, comme s'ils se les étaient cousus à l'intérieur. La bibliothèque devenait un proliférant buisson à secrets, où chaque homme du passé avait accroché son petit mystère, laissait son petit message plié, pour n'être lu que par quelques heureux élus et être désiré de beaucoup.

La nuit avançait, épaisse et belle comme un champ de tulipes noires, où brille une étrange rosée de cristal... Ayame avait passé plus de temps que jamais, à dépoussiérer des rayonnages entiers, à faire revivre des parchemins qui n'en espéraient plus temps depuis des générations !
Elle avait la main sale, à force de la tremper dans les secrets.

Derrière chaque secret, un homme qui désire le découvrir.
Derrière chaque secret, la peur de révéler la vérité.
Derrière chaque secret, le regret d'avoir eu à se taire.
Les trois péchés du samurai, réunis en un seul...

Ce n'était pas Tangen-sama qui l'avait dit, mais pour le coup, il avait dû le penser très fort et le souffler à Ayame.
A mesure que les heures s'enfuyaient, que les parchemins allaient et venaient, voletaient dans la bibliothèque, un malaise s'emparait d'Ayame. Partout autour d'elle, les parchemins ruisselaient maintenant de secrets, et plus elle avançait, plus le secret s'épaississait, comme s'il devait d'abord la noircir entièrement de son voile pour se dévoiler à elle, dans les ténèbres.

Et il y avait ce parchemin, posé à côté des autres. Un simple parchemin, posé par un serviteur, et qu'Ayame n'avait pas demandé. Au-dehors, le tonnerre grondait, et le vent tourbillonnant poussait rapidement les lourds nuages, terribles comme une armée de démons parcourus de foudre.

La shugenja finit de consulter les autres parchemins, de plus en plus intéressée par ce singulier rouleau, si simple.
Finalement, alors que la nuit était bien avancée, elle saisit brusquement le papier, le déroula et le lut avec avidité :

De toutes les personnes qui te sont inconnues, je suis la plus familière.
Je suis plus fine que le papier
Et plus épaisse que la nuit.

Je te suis ou te précède partout, je suis ta fidèle servante.
Je ne suis que l’envers de ce que tu es –une silhouette de papier noir.

Si tu veux mieux me connaître
Ecris mon nom !
Car moi, je voudrais te connaître…


Le tonnerre grondait très fort et on aurait pu croire que le ciel allait se fendiller, et tomber en morceaux sur la bibliothèque... Des ombres furtives s'agitaient dans tous les coins, tous les murs s'épaississaient de discrêtes silhouettes, d'invisibles créatures, de formes spectrales se déplaçant comme des passe-muraille, comme les ninja des légendes...
Quelle belle invitation sur le papier... Une simple énigme, si facile. Une amie à mieux connaître... Ayame prit son pinceau, le trempa dans l'encre et s'apprêta à... "Non, non..."
Brusquement elle plongea le pinceau dans l'eau, remit le pinceau dans sa boîte et ramassa en hâte les parchemins. La pile de papiers s'écroula brusquement, la foudre tomba non loin, et Ayame-san transpirait à grosses gouttes. Elle repartit dans sa chambre, sans être vue, comme une ombre...

:mal:

UN HONORABLE MARCHAND

"Mon vieil Hida Shigeru, nous arrivons en vue de la Cité du Chêne Pale. Le but de ton voyage. Nous avons traversé tout l'Empire ! Tout ! Mais nous y sommes arrivés ! Il a fallu passer par chez ces fielleux Scorpions, gravir la chaîne du toit du monde, monter dans la neige, le froid, le vent !... C'est épuisant ! Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour tous ces courtisans, hein pas vrai ! Crapahuter, c'est mon devoir !... Partout je vais vendre ! partout ! Même ces Daidoji qui ne rêvent que de me lancer des cailloux et m'enfermer pour de bon, ils n'auront jamais, moi Yasuki Taka ! Jamais...
"Je vais te quitter à la Cité du Chêne Pale, au palais du puissant daimyo Masanaga-sama. C'est là que tu dois trouver ce Shinjo Kohei, n'est-ce pas ? te mettre à ses ordres ?... Te voilà bien loin de la grande muraille, Shigeru-san ! Aussi loin qu'on peut l'être !... Te voilà itinérant, voyageur ! Fini de guetter pendant des jours sur la Muraille : tu auras connu les grands voyages, les routes. Pas deux nuits sous le même toit. Si j'avais le temps, j'en aurais encore plus, d'histoires, à te raconter ! A propos des îles de la soie, les pirogues du clan de la Mante, les feux d'artifices la nuit ! aux grandes plaines de la Licorne, parmi les caravanes des marchands Ide, à l'orée des Sables Brûlants, en passant par les régions les plus traditionnelles, j'ai connu les milles trésors de notre Empire !... Partout, Yasuki Taka est arrivé, et il a fait des affaires !
" Ca fait quel âge, maintenant Shigeru-san ? Quarante, hein ? Déjà un vieux soldat, qui a fait son temps sur la Muraille ! Que les Fortunes bénissent tes quatre enfants et ta femme !

"La Cité du Chêne Pâle, enfin ! Nous allons nous installer dans cette bicoque... Allez, vous autres, déchargez tout ! dépêchez-vous ! Balayez-moi tout ça ! Rah, ces serviteurs, il faut les manier à la trique pour les faire obéir !... C'est pourtant dans cette bicoque qu'il faudra nous installer, pas le choix ! Que ça sent le renfermé là-dedans ! Et toutes ces toiles d'araignée !... Ouste ! enlevez tout ça ! Par Daikoku, ça sent la marée là-dedans ! le vieux poisson !... il doit y avoir une tannerie pas loin, ou quelque chose comme ça ! Personne ne va venir nous voir si ça pue autant !... On va me bouder ! Ma carrière va être ruinée ! à cause de vous, bande de vilains serviteurs ! incapables !... Vous voulez ma perte, ma parole ! Passe-moi ce chiffon toi !... Nettoyez-moi tout ça ! Aérez, que les fortunes du vent chassent ces miasmes ! Allez chercher des eta ! Faut que ça reluise comme le derrière d'un courtisan Doji !... Que tout soit propre pour quand nos invités arriveront !... Les plus prestigieux membres de la petite cour d'hiver de Masanaga-sama ! Evidemment, c'est pas encore la Grande Cour, mais ce sera pour après !... Saprelotte dépéchez un peu ! Ils peuvent venir d'une minute à l'autre !... Ils savent que Yasuki Taka est en ville ; ils savent que leur marchand préféré est en ville ! Ils ne s'en vantent pas, mais ils vont se précipiter chez moi, parce qu'il suffit de demander pour trouver !... Je les mets au défi, vous m'entendez, je les défie de me demander un article que je ne peux pas leur fournir !... Ils n'ont jamais réussi à me coincer. .. Qu'est-ce qu'ils croient, que Taka le vieux filou ne connaît pas tous leurs petits désirs ! Tsss... allons... Je le sais, moi ce qu'ils aiment offrir à leur geisha préférée ! Ils achètent pour leur femme -qu'ils disent- mais la réalité, c'est que c'est la belle musicienne charmeuse et pulpeuse qui recevra le présent ! Et ils se jetteront à ses pieds en pleurant, en gémissant comme des gamins, à pleurnicher et à l'implorer d'accepter le beau cadeau qui leur coûte un an de soldes !... qu'elle danse encore un peu et qu'elle laisse descendre son kimono, qu'ils aperçoivent l'amorce de l'épaule... Toujours la même rengaine... Ah, comme si je la connaissais pas ! C'est pas aux vieux singes, hein, vous connaissez le dicton !

"Shigeru, poste-toi à l'entrée ! Surveille le passage... Laisse pas rentrer n'importe qui... Vire moi les malpropres. Les autres, tu souris, tu restes aimable... Et vous autres grouillez-vous un peu ! Mais c'est un monde, ça par toutes les Fortunes que vous soyez toujours pas plus à vous activer ! qu'il faut que le vieux Taka soit derrière vous à vous surveiller, à mon âge ! que je m'agite dans tous les sens et que vous bullez tranquillement, comme si on était en pleine cambrousse !... Allez, pousse-toi de là, toi ! Et ces caisses, pas ici : là ! Non, à côté !... Comment voulez-vous qu'on s'y retrouve ! Pas comme ça ! Vous êtes pas organisés ! Je vous paye à quoi ?... A vous curer les ongles ! Au travail, paresseux !... Disposez-moi ces bijoux mieux que ça ! les gri-gri de chez nous, je les veux devant. C'est à la mode cette saison ! Ou si ça l'est pas, ça va le devenir, parole de Taka ! Et ce vieux stock de kimonos, ils sont démodés ! ils datent d'il y a deux ans, plus personne ne les met ! On les vendra en gros chez les Dragons... Eux, ils ont pas deux ans de retard... plutôt deux siècles... Ils trouveront ça nouveau et attrayant !... Et les éventails, je les veux impeccables ! Mais alors impeccables hein ! Pas n'importe comment ! Droits comme des piqués, que ça soit bien charmant, pleins de couleurs pour que le client soit ravi de venir chez Taka-sama !...

"Shigeru, personne encore ? pas de clients, si ? Si ? Déjà ! Si tôt !... Laisse rentrer... Entrez entrez ! venez venez !... Chez Taka-sama c'est ouvert tout le temps ! Entrez honorables clients !... Honichi ! tu t'occupes du grand gaillard ! Occupe-toi du monsieur ! Comment tu t'appelles ? Sotan ? Sotan, mais tu es taillé dans le roc ! Toi, tu es un fier guerrier, ça se voit de suite ! Si si si !... Mon nom est Yasuki-Taka. Taka-sama ? Tu me connais ?... Très bien, très bien ! Les gens qui connaissent Yasuki Taka ne repartent jamais les mains vides... les autres non plus... Mais toi, tu es un malin. On te vend pas n'importe quoi... Ca se lit sur ton visage... Attends, je vais te trouver quelque chose de bien... Des fixations pour ton armure, tu veux ? Honichi ! des fixations d'armure ! Allez vous autres, ralentissez pas parce qu'il y a du monde ! Au boulot, fainéants !... Tiens, viens, Sotan, va voir Honichi, il va te trouver des fixations d'armure qui résisteraient à un coup de gueule d'onis ! C'est tout bon tout gagnant chez Taka-sama !... Allez, va Sotan, je suis sûr que tu vas trouver ton bonheur pour pas cher ! Un samuraï costaud comme toi !

"Vas-y mon garçon, donne-toi la peine de rentrer... Entre donc... Moi c'est Yasuki Taka... marchand itinérant. Prix, qualité, service, bonnes affaires, tout y est ! Pas volé, pas trompé, seulement satisfait ! Tu t'es pas trompé de boutique, va ! T'es pas allé chez ces voleurs de la Grue, et t'as bien fait crois-moi ! Là-bas, c'est tout miel tout sucre tout gentillesse à l'entrée, et après, c'est les pires vilénies pour les prix ! Ils te dérobent, ils t'escroquent, te pillent ! ils raptent comme des démons ! que même après ça, tu vois venir avec plaisir ton percepteur... Viens, viens, entre... Tu accompagnes ton ami ?... Ton ami Sotan : quelle chance de connaître ce gaillard ! Regarde-moi ça s'il est pas beau ce Sotan ! Et toi, je suis sûr qu'il y a quelque chose qui va t'intéresser dans la boutique. Tu veux une nouvelle ceinture ? des bottes ? des sandales ?... Rien, non ? rien ?... Attends : dis-moi comment tu t'appelles. Allez, moi c'est Yasuki Taka. Tu peux m'appeler Taka, va, on va pas faire des histoires, hein on est pas chez les Doji ici pas vrai ? Ton nom, c'est quoi ? Riobe ?... Riobe, félicitations, tu vas faire des affaires... C'est ton jour de chance. Benten s'est penchée sur toi, elle t'a conduit ici... Tu veux des fixations d'armure aussi ? comme ton ami Sotan ?... des flèches, tu veux des flèches ?
"Est-ce que j'ai des flèches ? Est-ce que moi, j'ai des flèches !!... Viens, viens... tu vas voir... regarde... ouioui, regarde... les meilleures flèches ! elles viennent du clan de la Guêpe ! les meilleures !... Ecoute, c'est simple : elles ne ratent jamais leur cible ! Jamais ! Garanti ! Ou alors c'est une poisse, à aller voir un shugenja pour te faire exorciser ! Regarde un peu... Shigeru ! Shigeru, viens voir... Tiens, mon ami, prends cet arc. Prends cette flèche. Montre-nous un peu. Tire sur la cible, au fond de la boutique. A tous les coups tu vises dans le mille. Regarde, vas-y, tends bien ton arc ! vise ! allez !... Ces flèches ne peuvent pas manquer leur cible !
"... Raté. Ma parole, tu as deux mains gauches... Va, va ! va surveiller l'entrée, zou ! Surveille bien les arrivées ! Tiens, Riobe, pour te dire si je suis honnête, la flèche, je te consens un rabais ! Allez, c'est dit ! Un bu la flèche et on en parle plus ! Elle touche pas à tous les coups, alors je baisse le prix, c'est normal. Tu m'en prends quatre, la cinquième est gratuite. Je suis sûr qu'elles sont faites pour toi ! Riobe, le nom est gravé dessus. Les flèches "Riobe", elles sont faites pour toi !... Allez, de rien, mon jeune ami. Avec Taka, que des bonnes affaires. Pas de perdant, on paye ce qu'on veut, et tout le monde il est content. Pas à se faire suer ! A bientôt, hein ! à bientôt !...

"Honichi ! les couverts précieux, les cordons, les fils, les lampes, les poupées en chiffon, les bonsaï, les vases Licorne, les bourses d'épice, les fleurs séchées, les calligraphies ! tout ça, tu me le mets dans le fond, près des coussins brodés. Que ça brille ! alors tu vas me passer un coup de chiffon sur les bibelots précieux achetés chez les Lions ! que ça soit pimpant !... Et occupe-toi des clients qui arrivent.
"Entrez, entrez, nobles invités ! Entrez dans ma modeste échoppe. Nobles Lions, nobles Phénix, c'est trop d'honneur ! Je suis trop indigne de vous voir. Comment vas-tu, noble Shiba Rosanjin-sama ? Que toutes les Fortunes te bénissent ! Noble Kitsu Kameko, comment t'oublier ! une grande dame comme toi ! que les Ancêtres veillent sur toi ! Comment va la famille ? Bien ? ton cousin ? oui, bien... tu m'en vois ravi. Entre, entre, noble Grue, ma boutique est à toi en entier -si tu veux y mettre le prix !...
Honichi ! Il faut s'occuper de Doji Itto-sama ! Allons allons ! Et Kameko-sama ne va pas attendre jusqu'à l'année prochaine !... Hida Shigeru, laisse entrer !... Oui, il a fait le voyage avec moi. Il vient de la muraille. Un rude guerrier. Un pilier de l'Empire ! Et il en a abattu des démons ! il en a connu des monstres !... -et après, il m'a rencontré ! voyez un peu le malheur !... Qu'est-ce que je peux faire pour vous, ma jeune amie ? ...
"Vous voulez une calligraphie ? pour Akitoki-sama ?! Mais je le connais très bien, Akitoki-sama ! Si ça fait pas vingt ans que je le connais ! Comment tu t'appelles, jeune fille ? Ayame ?... Ayame, c'est un prénom ravissant ! Isawa Ayame, on va trouver un beau cadeau pour ton daimyo... une calligraphie ! j'en ai à ravir. Regarde celle-ci, celle-ci et celle-ci... Si elles ne lui plaisent pas, alors là, je ne sais plus ni qui ni quoi... Je me fais moine ! Parole de Yasuki ! je me tonsure ! Viens, viens, Honichi va s'occuper de toi. Il va t'emballer tout ça, et Akitoki-sama sera ravi. Il adore les belles compositions. Et avec ceci ? autre chose ?... Regarde, des belles histoires, j'en ai pleins... Des histoires de magistrat tu veux ? Pour un Licorne ? Aucun problème, il suffit de demander, j'en ai à bouche-que-veux-tu des belles histoires. Regarde, celle-ci. Ca parle d'un accord entre le Phénix et la Licorne. Une belle histoire. Ca finit par un mariage. Et celle-ci : elle parle d'un traité passé entre les Isawa et les Ide. Une belle histoire. Ca finit par un mariage. Et lis un peu celle-là : un réglement diplomatique entre les diplomates Licornes et ton clan. Une bien belle histoire : elle finit par un mariage.
"Licorne-san, entre ! viens... tu veux des cadeaux ? tout plein de présents ! c'est ici qu'il fallait venir ! Tu t'appelles comment ? Kohei ? Shinjo Kohei. Sois le bienvenue chez moi. Moi, c'est Yasuki Taka. Taka, pour tout le monde. Qu'est-ce que tu veux ?! Dis-moi ! Honichi ! les bonsaï, les peintures, les porte-bonheur, les bougies, les couteaux, les sculptures ! Et les origami, les oreilles d'onis, à côté des flûtes et des bijoux ! Par le Grand Ours, il faut que je sois partout ! à droite à gauche ! Taka par-ci, Taka par-là ! Taka, Taka ! Par Daidoku, des kokus ! des kokus !...

:samurai:

L'ENQUÊTE DES LICORNES

Ses serviteurs avec les bras chargés de cadeaux, les oreilles lui sifflant encore du babil du marchand, rapide comme les ailes du colibri, Shinjo Kohei ressortit de l'échoppe, après y avoir laissé une véritable fortune, de quoi honorer pour longtemps Daikoku. Près de 7 kokus !
- Mon nom est Hida Shigeru, lui avait dit ce grand Crabe, dépassant tout le monde d'une tête (et Yasuki Taka de deux). Je suis envoyé par mon clan me mettre sous vos ordres, Kohei-san.
Notre Licorne considéra un instant le personnage en se grattant la barbe. Un vrai colosse, digne guerrier du Grand Ours, déjà âgé (il pouvait approcher la quarantaine) mais on l'imaginait mal tonsuré dans quelques années. Sourcils broussailleux, maintien solide, regard qui a plongé profondément dans les antres des monstres de l'Outremonde, grosses mains... une force de la nature, des Fortunes de la Terre.
- Je suis content de te rencontrer, Shigeru-san, avait répondu Shinjo Kohei. Avec toi et d'autres sous mes ordres, nous irons nous mettre au service de la famille Daidoji, dès la fin de la cour d'hiver. D'ici là, tu pourras loger au palais du Chêne Pâle. Présente-toi à la porte bientôt, et je t'introduirai parmi les invités.
- Très bien, Kohei-san, fit Shigeru.

Les deux hommes se quittèrent après s'être ainsi rapidement jaugés.
Quelques jours après, Shinjo Kohei réunit ses compagnons de voyage dans les appartements de la Licorne. Il y avait là Kakita Hiruya, Isawa Ayame et son yojimbo Shiba Ikky, Mirumoto Ryu et Hida Shigeru.
- Je suis content que vous ayez accepté mon invitation, dit Kohei-san. Permettez-moi de vous faire servir cet excellent sake, qui vient de mon village natal. C'est l'un des meilleurs que l'on distille dans notre clan. J'espère qu'il sera à votre convenance.
Quand tout le monde fut servi, et qu'on eut bu quelques coupes pour goûter et apprécier l'alcool, le Licorne prit la parole :
- Je me suis permis de vous inviter car je désire parler d'un sujet important, sur lequel l'honorable magistrat Ide Soshu désirerait faire la lumière. Il s'agit de ce blessé anonyme, arrivé au palais, au moment même où Matsu Bashô-sama, le poète, aurait dû se présenter à la cour d'hiver.

Le matin même, Kohei-san était allé s'informer auprès de Riobe et Sotan de ce qui s'était passé l'autre soir, dans les quartiers mal famés de la ville. A demi-mots, et sans mettre en cause l'honneur de qui que ce soit, Riobe avait dit que des réglements de compte entre yakuzas avaient eu lieu... Parmi les attaquants, on avait vu deux rônins, et un samuraï portant l'armure du clan du Dragon...
- Bien sûr, bien sûr, avait dit Kohei en se grattant la barbe, et comme nous savons qu'il n'y a pas des dizaines en ville, de Dragons, les choses sont claires...

Mais Ryu-san refusait de parler. Elle respectait en fait le serment prêté au chef des criminels avec qui elle s'était alliée... Indirectement, elle protégeait l'honneur de son clan, à commencer par celui du docteur Munetaka.
- Soshu-sama, continua Kohei, désirerait parler à Matsu Bashô-sama d'affaires importantes. Il pense que le poète pourrait l'aider à arrêter d'importants criminels, qui agissent en plusieurs lieux de l'Empire. Non pas qu'un noble seigneur comme Matsu Bashô soit mêlé à la pègre en aucune façon, mais son témoignage pourrait être précieux...
- Je comprends votre demande, dit Ayame-san, mais je vois mal comment nous pourrions vous aider. Si Ide Soshu-sama désire rencontrer Bashô-sama, pourquoi n'en fait-il pas la demande auprès à Masanaga-sama ?
- Non, impossible, trancha Kohei. Soshu-sama a déjà tenté de parler à notre hôte du poète Bashô, mais Masanaga-sama lui a vite fait comprendre qu'il n'était pas envisageable d'aborder un tel sujet. D'ailleurs, selon les ordres de notre hôte, le blessé et Bashô n'ont rien à voir...
- Ah non ! ils n'ont rien à voir ! rien de rien ! s'exclama Ryu-san, d'un ton qui suggérait tout le contraire.
- Pourquoi ne pas directement aller voir ce Bashô et s'expliquer avec lui ?

Hida Shigeru avait parlé.
- Non, non, impossible, dit aussitôt Kohei. Ce serait contre la volonté d'Isawa Masanaga-sama... Je voudrais juste savoir si vous pouviez me dire ce que vous avez appris sur Bashô-sama pendant cette cour d'hiver. Les rumeurs disent beaucoup de choses.
Il y eut un petit moment de silence.
- Eh bien, Kohei, dit Hiruya, tu sais comme nous qu'on dit Bashô mêlé à la pègre...
- Oui, en effet... Enfin, du moins normalement non. Et c'est quand l'artiste Asahina Masumi-sama a commencé à suggérer de telles choses que la discussion avec Kitsu Kameko-sama s'est envenimée, et que cela a fini par le duel... Je sais bien que l'affaire est délicate. Je ne cherche qu'à aider la justice de mon clan, et celle de l'Empire, en aidant à l'arrestation d'odieux criminels.
- Nous comprenons votre volonté, dit Isawa Ayame, et nous espérons que nous pourrons vous aider, Kohei-san.
- Oui, dit Hiruya, si nous apprenons quelque chose, nous t'en parlerons.
- Très bien, je vous remercie.

:samurai:

La réunion se poursuivit paisiblement, sans que Kohei n'aborde plus ce sujet. On bavarda de choses et d'autres, à l'écart des manigances des courtisans.
Quelques jours après, Kohei-san donnait rendez-vous à Sotan et Riobe dans une auberge à la sortie de la ville. Les deux rônins avaient décidé, sur conseil de Kohei-san, d'aller prendre l'air de la campagne. Depuis l'affrontement sanglant entre yakuzas, les magistrats Shiba avaient effectué plusieurs descentes dans les mauvais quartiers, et il commençait à y avoir trop de kimonos écarlates dans les rues pour que nos deux rônins se sentent en sécurité. On pouvait à tout moment les arrêter et les pendre pour l'exemple.

:samurai:

Shinjo Kohei, monté sur son imposante monture, était suivi de Hida Shigeru et Mirumoto Ryu. Les trois samuraï retrouvèrent donc Sotan et Riobe à la sortie de la Cité du Chêne Pâle, à l'orée de la campagne enneigée. Il faisait bon entrer dans ces auberges chauffées par les buveurs de sake alors que l'hiver plongeait l'Empire dans la torpeur.
Shinjo Kohei prit ainsi la parole :
- Je vous ai réunis ici, tous, car vous vous trouvez à présent sous mon commandement jusqu'à ce que nous ayons accompli nos obligations envers la famille Daidoji. Peu importe comment nous avons, séparément, contracté une telle obligation. Ce qui compte est maintenant de la remplir. En attendant l'arrivée du printemps, je désirerais que vous aidiez le magistrat Ide Soshu à retrouver la piste des dangereux complices de Hiro. On pense qu'ils ne sont pas tous morts dans l'attaque des yakuzas, et qu'ils se sont éparpillés à travers la campagne. Il y a un grand nombre de petits villages, dans la région, isolés pendant l'hiver. Autant de caches providentielles pour ces canailles. Aidez-nous à les retrouver et vous aiderez grandement la justice du clan de la Licorne, et par conséquent de l'Empire.
"Vous voyagerez sur les terres du clan du Phénix, mais sans doute, vous rencontrerez peu de samuraï dans ces campagnes. Il vous suffira de poser les bonnes questions, et le moment venu, nous nous permettrons d'avertir l'honorable famille Shiba, qui agira en conséquence, si elle apprend où se cachent ces bandits.
Kohei-san resservit les coupes et passa la fin de la journée avec Shigeru-san, Ryu-san, Riobe et Sotan, à discuter, à boire et à jouer au go. Avec Riobe, ils parlèrent et se moquèrent abondamment de Matsu Bashô, de sa réputation d'effeminé, entre hommes qui aiment affirmer leur virilité de façon vantarde, et reparlèrent de leurs voyages.
Alors que Riobe terminait une deuxième partie de go contre Sotan, en l'ayant chaque fois vaincu sans difficulté, on entendit approcher un boîteux qui dit :
- Doshi [camarade] ! viens donc te mesurer à un adversaire de ton niveau !
C'était Kakashi le rônin, qui avait combattu à Heibetsu, qui salua tout le monde, et vint s'asseoir et participer à la bonne humeur chaleureuse de l'auberge. Le patron était content : il faisait des affaires exceptionnelles pour un hiver, et avec tous ces samuraï présents, les bandits passeraient au large !
Kakashi, après être retourné voir Toturi, était venu à la Cité du Chêne Pâle sur la demande de Ide Soshu. Depuis son combat contre les bandits, Kakashi marchait grâce à des béquilles.
Pendant que Kakashi affrontait Riobe au go, Ryu-san réfléchissait aux implications et complicités de Hiro et sa bande. Quel rapport avec Matsu Bashô ? Qui avait blessé ce dernier, juste avant son arrivée à la cour d'hiver ? Etait-ce un réglement de compte criminel ? Ca y ressemblait fort...
Hida Shigeru, qui, depuis la première rencontre, avait reconnu en Sotan un ancien membre de son clan, partagea ses souvenirs avec ce dernier. Sotan était trop heureux de pouvoir parler avec celui qui aurait pu être un frère d'armes. Mais dans le même temps, la honte le retenait de parler d'égal à égal.
- Avec moi, oubliez les grands mots et les belles conventions ! déclara alors Shigeru.

Rassuré, Sotan évoqua son passé, et pourquoi il avait déchu.
- Je fus envoyé par mon clan dans les lointaines montagnes du Dragon, avec plusieurs de mes hommes, pour y combattre des bandes de pillards gaijin. J'ignore pourquoi les Dragons ont fait appel à nous. Même le clan du Blaireau aurait pu attaquer ces barbares, mais enfin... Il y avait aussi plusieurs Licorne de la famille Moto, venus pour les mêmes raisons. Nous avons compris que nous devions obéir à un homme appelé Tsuru Makkuro - la Grue Noire -, vraisemblablement un ancien duelliste, très dangereux. Il commandait avec une autorité absolue, et dirigea nos attaques. Il était sombre, inquiétant, mais nous obéissions à nos clans respectifs. J'ai fini par comprendre que c'était un homme sans honneur, qu'il ne valait pas mieux que les gaijins que nous combattions. J'ignore pourquoi mon clan m'a envoyé sous ses ordres. Toujours est-il que j'ai fini par comprendre qu'il avait manipulé une bande de rônins souillés par l'Outremonde, pour les forcer à attaquer un village du clan de la Libellule, où l'on élevait des poissons dont les oeufs permettent de combattre la Souillure. Quand j'ai compris que je servais un tel personnage, mes hommes et moi sommes allés lui parler, face à face... A quatre contre un, nous pensions l'intimider. Hélas, il n'eut aucune peur face à nous. Il se mit en garde, comme pour un duel. Nous l'avons attaqué ensemble... Son katana a jailli, et alors que nous pensions avoir raison de lui, après quelques passes rapides, j'ai vu alors mes trois hommes s'effondrer comme des fêtus de paille, coupés net. Moi-même, je reçu un coup que la Grue Noire crut sans doute fatal. Il me laissa pour mort. Mais les Fortunes ont voulu me garder en vie. A mon réveil, j'ai compris que j'étais indigne de continuer à servir mon clan. Depuis, je veux retourner me battre sur la Muraille ou obtenir l'autorisation de pratiquer le seppuku.
- Je comprends, dit Shigeru. Je pense que malgré tout, vous êtes quelqu'un d'honorable, car vous avez su voir le mal là où il était. Pour ma part, j'ai commis l'erreur de vouloir attaquer trop vite, un jour sur la Muraille, au lieu d'avertir mon unité. J'ai affronté seul l'Outremonde, et les renforts ne sont arrivés qu'après. Mon clan a donc décidé que je devais m'éloigner de la Muraille. Je ne comprends pas ce châtiment, mais je le respecte. Chacun doit avoir sa place dans l'Ordre Céleste. A d'autres de réfléchir et de me dire ce que je dois faire... Depuis, j'ai été envoyé ici, après être passé chez les Daidoji, à qui je dois un service. Ils m'ont dit qu'un Licorne appelé Shinjo Kohei leur devait un service depuis plusieurs années. Donc je dois revenir avec Kohei-san au printemps.

Pour sa part, Kakashi avait choisi lui aussi de prendre de la distance par rapport à la Cité du Chêne Pale, le temps que les magistrats retrouvent leur calme. Il allait loger dans cette auberge paisible. Enfin, Kohei-san devait partir d'ici peu en pélerinage avec le diplomate Ide Tadaji et le magistrat Ide Soshu au mémorial de la Ki-Rin, pour y honorer leurs Ancêtres.
A son retour, d'ici une dizaine de jours, Kohei viendrait prendre des nouvelles des samuraï.
C'est ainsi que le lendemain, par un matin frisquet, Hida Shigeru, Mirumoto Ryu, Sotan et Riobe partirent dans la campagne du Phénix, endormie sous un épais manteau de neige.

:samurai:

L'INNOCENCE DE LA NEIGE

Les quatre samuraï marchèrent une petite journée avant de trouver un village. Ils s'enfonçaient dans la neige jusqu'aux chevilles, alors qu'ils n'avaient pour compagnon que le vent qui soufflait, glacial, sur les chemins, et verglaçait la neige.
Avant son départ, Ryu-san avait obtenu l'autorisation de Mirumoto Munetaka-sama de s'éloigner quelques temps de la cité. Le docteur prétendrait qu'elle était partie pour quelques jours chez les bons moines, afin de méditer. Le médecin d'Akuma-sama n'était pas mécontent de voir son instable bushi s'éloigner un peu du monde de la Cour.

Le docteur apprit que Ryu avait été invitée, deux jours avant, par le diplomate Ide Tadaji en personne à boire le thé avec lui. Mirumoto Munetaka avait eu du mal à en croire ses oreilles quand il l'apprit. Pour quelle raison le représentant du clan de la Licorne à la cour impériale s'intéressait-il à cette bushi sans grade ?... Il avait tâché de soutirer quelques informations à Ryu-san, une fois celle-ci sortie de son entrevue. Il en ressortait que Tadaji-sama avait simplement posé quelques questions sur les dernières aventures de Ryu, sur ses compagnons de voyage, pour savoir ce qu'elle pensait d'eux. Ryu-san avait répondu brièvement et sans détour au diplomate.
Depuis, Munetaka-sama se rongeait les sangs en imaginant ce que Tadaji-sama avait bien pu pensé de la bushi...

:samurai:

Une halte dans un premier village apprit à nos héros, quand ils se rendirent à l'auberge, que la plupart des magistrats et des soldats Shiba ne s'occupaient pas de la campagne pendant l'hiver, et d'autant moins pendant la cour d'hiver. Ils étaient tous stationnés en ville, près des palais, et surtout à Kyuden Asako. C'était donc le moment idéal pour des bandits de battre la campagne, car les heimin devaient s'organiser seuls pour se défendre. Le village où se trouvaient nos héros n'avait qu'une rue, et des bâtiments de chaque côté. Ils y passèrent la nuit, et le lendemain, reprirent leur marche sur la route.
Ils arrivèrent dans un petit hameau, tout semblable, où la seule attraction était une auberge à chaque bout de la route. Nos héros se scindèrent en deux groupes - les deux rônins d'un côté, les deux samuraï de clan de l'autre - et tâchèrent de ne pas montrer qu'ils se connaissaient. Dans la première auberge, Sotan et Riobe trouvèrent un patron plutôt apeuré derrière son comptoir. D'autres heimin venaient ici pour se réchauffer. A vrai dire, dans le village, on passait sa journée entre voisins, tant il n'y avait rien à faire, dans cette contrée enneigée où on ne pouvait rencontrer au-dehors que des esprits magiques ou des bandits...
Les deux rônins ne mirent pas longtemps à s'informer auprès du patron, bien content en réalité de voir arriver deux rônins en ville. Ces gens-là, si on savait leur parler correctement, on pouvait attendre d'eux protection et justice. Tant de légendes couraient sur les valeureux samuraï sans clan, mais pas sans honneur, devenus des héros populaires après avoir défendu des villages contre des bandits et d'odieux démons.

Bien évidemment, Riobe et Sotan étaient prêts à rester au village pour le protéger. Le patron ne tarda pas à avouer que des pillards battaient la campagne, rançonnant les villages en l'absence des samuraï Shiba. Pire, ils enlevaient des femmes et des enfants si on ne payait pas assez vite ! Le chef du village donna son accord pour que les deux rônins logent chez un habitant, et veillent à la sécurité.
Pendant ce temps, Shigeru et Ryu allèrent à la seconde auberge, à l'autre bout du patelin. Des corbeaux croassaient dans les branches dénudées des arbres. Le vent frais s'engouffraient entre les bâtiments. Shigeru étudiaient tous les bâtiments, à droite et à gauche.
Soudain, sans prévenir, Ryu-san partit au pas de course droit devant elle, les deux sabres déjà à la main. Elle courut, elle courut, trébucha, tomba dans la neige grasse et moletonnée, se releva, et s'engouffra aussitôt dans l'auberge.
Shigeru la suivit au pas de course.

Ryu-san fit irruption avec pertes et fracas dans l'auberge. Elle venait de voir un homme s'y engouffrer rapidement après avoir vu Ryu-san avancer sur la route.
- Où est-il ? lança t-elle, tous sabres dehors, gesticulant.
- Mais nous n'avons vu personne, essayèrent de mentir servilement plusieurs paysans.
- Si, il est parti par le fond ! cria soudain une femme.
- Ferme-la, toi ! rugit un solide gaillard, en lui envoyant une claque retentissante.
Ryu-san se précipita vers la sortie de derrière, tandis que, se courbant en deux pour passer la porte, un Crabe massif fit son entrée dans l'auberge, le plancher craquant sous ses pas.
- Que pouvons-nous vous servir à boire, Crabe-san ?...
Décidément, pour les paisibles heimin du lieu, cela faisait beaucoup d'un coup : un immense Crabe, et une bushi du Dragon en furie, de mémoire d'ancien, on avait jamais vu ça !
Ryu-san, du simple fait d'être vue en divers endroits, faisait naître derrière elle, comme un sillage d'illumination, de mythes, contes et légendes sur le Dragon venu de ses montagnes dans le village paysan anodin !
Derrière l'auberge, elle trouva des traces de cheval, et en entendit un qui s'échappait au galop. Sur la route, déjà, nos héros avaient repéré des traces de sabots plutôt nombreuses. De retour dans l'auberge, le Crabe et le Dragon interrogèrent vivement les paysans.
Ceux-ci, prêts à s'uriner dessus, avouèrent que l'homme qui venait de s'enfuir appartenait à la bande de pillards. Il venait régulièrement rançonner le village. Lui ou un de ses acolytes ne tarderait à revenir...
En fin de journée, Ryu-san passa l'air de rien près des deux rônins, postés à l'autre bout du village, et apprit d'eux que les bandits arriveraient d'ici quatre jours. Ils l'avaient appris des clients de "leur" l'auberge.
Les deux rônins se mirent en faction à une entrée du hameau, tandis que Shigeru et Ryu fermaient l'autre entrée.

:samurai:

L'attente pendant ces quatre jours fut longue. Shigeru allait régulièrement se réchauffer à l'auberge, si bien qu'il eut vite goûté à tous les alcools locaux, et pratiqué plusieurs mélanges tonifiants. Ça lui rappelait les permissions, une fois par mois, où les Crabes en virée quittaient la grande muraille, et allaient se distraire à "l'arrière", loin des horreurs de Fu-Leng. Plusieurs villages étaient spécialement préparés pour accueillir les permissionnaires, et ramasser les énormes masses de muscle avinées, le soir tombé. Ripailles, beuveries, débordements, virées chez les filles... ah, les grands moments de la détente chez les Hida, quand ils ne rentraient simplement chez eux, se faire crier dessus par leur femme à cause de leurs mauvaises manières, que même le rugissement d'un oni était parfois préférable à leurs épouses et à tous les gamins pullulant qu'ils trouvaient dans leurs demeures, chaque fois plus nombreux !

Ryu-san méditait, tandis que Sotan et Riobe s'entraînaient à la lutte, se projetant et s'envoyant dans la neige, pour entretenir leur vigueur et leur agilité.

Au matin du quatrième jour, Sotan fit craquer les articulations de ses doigts, resserra les fils de son armure ; Riobe fit quelques assouplissements et positionna son katana, lame vers le bas, et prit son arc ; Ryu-san sortit d'une longue méditation, tandis que Shigeru but un dernier canon, fit aussi craquer ses doigts, et se posta à l'entrée du village.
Le Crabe et le Dragon ne tardèrent pas à voir arriver sur la route un moine itinérant, un casque en panier sur la tête, jouant de la flûte d'une main, et s'appuyant sur une canne de l'autre. Shigeru-san et Ryu-san le saluèrent, puis le laissèrent entrer dans l'auberge.
Peu après arrivèrent deux paysans portant sur leurs épaules deux gros ballots, bien rembourrés. Ils pliaient sous leur fardeau. Shigeru-san les fit poser leur charge, et tâta du bout du tetsubo, pour être sûr qu'ils n'y cachaient rien.
Il entendit alors un léger cliquetis métallique dans l'emballage, ce qui le rendit suspicieux, et rugissant...
- Que cachez-vous LA-DEDANS ??!!
C'est alors que l'un des deux paysans sortit un saya de sa manche, et voulut s'attaquer au Crabe. Hélas pour lui, Ryu-san avait déjà dégaîné, et le bandit se retrouva coupé en deux proprement, étalé dans la neige, maculée d'un grand jet de sang. Venu de l'intérieur de l'auberge, le moine dégaina alors une lame cachée dans sa canne, et se précipita sur les deux samuraï. Shigeru-san sut le recevoir comme il fallait : il s'empara d'un des ballots, et l'envoya au visage du faux moine, qui repartit dans l'auberge encore plus vite, et alla rouler à terre, les quatre fers en l'air.
Pendant ce temps, l'autre malandrin essaya de s'enfuir, implorant en même temps la clémence de Ryu-san -qu'il n'obtint pas, et alla pour de bon à terre, son corps meurtri, dans la grande neige qui buvait déjà son sang impur.

On entendit alors approcher, sortant de la brume enneigée, quatre cavaliers, chevauchant leurs poneys en hurlant comme des damnés. Ils brandissaient de grosses lances. Riobe et Sotan avaient déjà accouru auprès des deux samuraï, quand on entendit venir de l'autre côté trois semblables cavaliers.
De ce côté-ci, les quatre cavaliers lancèrent la charge en même temps. Leurs sabots firent un vacarme dément dans la campagne silencieuse. La neige tremblait partout, à l'approche de leur assaut impitoyable. Riobe encocha une flèche, une de celle vendue par Yasuki Taka -c'était le moment de savoir si elles allaient au bout à tous les coups ! Il tendit la corde, et la flèche partit en sifflant dans l'air glacé. Un des attaquants la reçut de plein fouet. Il parvint à se maintenir en selle, mais chancela. Les lances brandies en avant, les pillards foncèrent sur nos héros. Ryu-san en frappa un en se jetant de côté : le coup de katana, précis et fulgurant, atteignit grièvement le misérable, qui fut emporté avec son cheval, le sang giclant de son ventre, avant de s'effondrer enfin, en pleine rue. Au même moment, les deux autres cavaliers chargeaient de plein fouet sur Sotan et Shigeru. Ce dernier parvint à éviter en partie le choc, mais il fut lourdement frappé. Néanmoins, solide comme le roc, il ne montra aucune faiblesse. Enfin, Sotan ne put éviter son ennemi : il fut frappé en pleine poitrine par la lance, avant de passer sous les sabots du cheval, piétiné, roulé en tous sens par le galop de ce dernier. Pendant que Shigeru se hâtait de le sortir du chemin, les trois cavaliers encore en état étaient arrivés au milieu du village, faisaient demi-tour, et lancèrent à nouveau l'assaut.
Nos trois héros étaient prêts à le recevoir. Les coups de sabre furent simultanés, et implacables comme le souffle du froid : ils lacérèrent les cavaliers, qui se trouvèrent soit hors d'état de combattre, allant mordre la neige quelques mètres après, soit si malmenés qu'ils s'enfuir sans demander leur reste.
Il en venait encore trois autres. Riobe rencocha rapidement, et tira aussitôt. La flèche, meurtrière, atteignit la cible, qui fut comme frappée par la foudre. De leurs côtés, Shigeru et Ryu se portèrent en avant, vers les deux cavaliers lancés au galop, et frappèrent à l'unisson, achevant les deux pillards rapidement, une fois ceux-ci fracassés dans leur élan.

:samurai:

La fureur du combat retomba d'un coup, comme un feu aspergé d'un grand seau d'eau. Il n'y eut soudain plus que la plainte du vent, le souffle haletant des guerriers, la fumée de leur haleine, et le gémissement des vaincus. Nos héros se dépéchèrent d'en interroger un, Shigeru le soulevant de terre par le cou. Ils apprirent de lui qu'ils étaient envoyés pour rapter des femmes et des enfants, et les ramener non loin de là, dans la forêt. Ils obéissaient à un certain Nakiro, qui n'accueillaient pas ses victimes pour les dorloter -mais ce n'était pas l'affaire du misérable en l'occurrence. Ils apprirent enfin qu'un certain Matsu Bashô, au début du mois du Rat, quelques jours avant la cour d'hiver, était allé dans ce camp de la forêt, et qu'il agissait bien de concert avec Nakiro...
Ils achevèrent le bandit.

Les paysans osèrent enfin sortir de leurs maisons, pour voir tous les pillards, morts ou pas loin de l'être, jetés à terre par le tonnerre d'Osano-Wo.
Nos héros décidèrent de s'occuper de soigner leurs blessures, car l'attaque des pillards avait fait couler le sang de Shigeru et Ryu, même s'ils assuraient qu'il ne s'agissait de rien de grave.
Il n'en allait pas de même pour Sotan. Sauvagement frappé et piétiné, il était dans un très vilain état... Riobe ordonna qu'il fût bien soigné. Mais hélas, il n'y avait pas de médecin ou de barbier dans ce village perdu. La fièvre gagna rapidement le corps de Sotan, qui délira pendant une bonne partie de la nuit. Il avait subi des blessures qui auraient tué net n'importe quel samuraï ordinaire. Il se tordait maintenant de douleur, à moitié inconscient, et hurlait si on le touchait. Il était dans un état pire qu'à Heibetsu.

Riobe comprit que c'était la fin pour son compagnon. Le rônin ne reverrait jamais la grande Muraille. Il avait combattu à mort pour retrouver son honneur. Il avait été le premier à se mettre en avant face aux cavaliers, et il les avait vu arriver sans faillir, en regardant la mort en face, se précipiter au galop sur lui.
Toute la journée, Sotan geignit, se tordit de douleur, trembla et sua abondamment.

Finalement, en fin de journée, Sotan parvint à retrouver sa lucidité. Il jetait ses dernières forces pour parler. Il fit signe à Riobe de s'approcher :
- C'est fini pour moi, mon vieux Riobe... j'aurai tout fait... Mais je veux mourir comme un samuraï... emmène-moi...
Riobe ordonna à deux etas d'amener une civière, sur laquelle ils chargèrent Sotan, qui ne pouvait se retenir de gémir à chaque mouvement. Il fallait faire vite, car Riobe ne voulait pas voir le Crabe déchu exprimer sa douleur. On porta Sotan derrière le village, près d'un gros buisson, au pied d'un arbre, contre lequel Riobe aida son ami à s'appuyer.

:samurai:

Sotan avait pu se redresser tant bien que mal. Les deux etas se tenaient à distance, dos tourné à la scène. Riobe donna à Sotan son wakisahi. Celui-ci faisait de son mieux pour ne pas gémir.
- Tu vois, Riobe... c'est peut-être la chose de mieux qui m'est arrivée... de déchoir... C'est à ce moment que j'ai compris ce qu'était l'honneur... je t'ai rencontré... j'ai compris ce que c'était de vivre pour l'honneur... tu m'as montré la voie, doshi...
- Courage, doshi, je sais que tu ne failliras pas...
Sotan prit à deux mains le wakizashi, fermement, tous les muscles tendus par la douleur. La neige tombait en virevoltant, dansante dans le vent d'hiver.

- Adieu Riobe, murmura Sotan...
Le Crabe vit les délicats flocons blancs venir se poser sur lui, comme des plumes brillantes.

- La neige... la neige...

Brusque, rude, Sotan se rentra le wakizashi dans le ventre. Riobe était prêt. L'entaille du wakizashi fit défaillir le Crabe de douleur. Riobe mit fin à cette épreuve en coupant la tête de son ami.
Le vent d'hiver passa soudain en rafales. De gros paquets de neige tombèrent d'arbres proches.
Riobe ordonna aux etas d'emporter le corps du Crabe, dont l'âme rejoignait maintenant celle de ses ancêtres. Un lourd silence était tombé sur le village, la forêt et toute la campagne environnante, tandis que les corbeaux croassaient dans leurs branches, et que les etas s'en allaient, chargés du cadavre sur la civière...

:samurai:

MASQUES ET VISAGES EFFACES

Après une longue nuit pendant laquelle hurlèrent les bourrasques de vent, dame Soleil revint enfin de l'autre côté du monde, et enchanta de sa lumière une campagne, recouverte entièrement d'une neige pure et étale.
A la première heure, les etas dressèrent un bûcher avec ce qu'il restait de gros bois sec dans le village, et ils firent brûler le cadavre de Sotan. Les flammes dévorèrent toute la journée le corps de l'ancien Crabe, pendant que Ryu-san, Shigeru-san et Riobe partaient vers cette forêt, d'où les pillards disaient venir. Tant bien que mal, Riobe avait commencé à réparer son armure, endommagée par les combats de ces derniers mois, en récupérant des pièces ici et là sur les corps des cavaliers tués. Les dernières pièces venant de son armure d'origine avaient fini par disparaître, au fur et à mesure, après plus de trois ans de vie sur la route, dans l'incertitude du lendemain.
Les trois samuraï se mirent en marche, foulant la neige fraîche, s'enfonçant profondément dedans, dans le bruit étouffé de leurs pas.
Ils parvinrent à l'orée d'un petit bois, qu'ils entreprirent de fouiller. Ryu-san ne tarda pas à découvrir un campement abandonné dans une clairière. On pouvait penser que les rapteurs d'enfants étaient passés par là.
Plus loin, en fin de journée, ils arrivèrent dans un village, parfaitement calme. Ils interrogèrent l'aubergiste, mais celui-ci n'avait rien vu ni entendu d'inhabituel depuis longtemps. Il ne connaissait aucun Bashô, aucun Nakiro. et n'avait pas entendu parler de pillards dans la région. Il semblait dire la vérité.
La nuit avait effacé toutes les traces des brigands, qui avaient pu déguerpir vers n'importe quel autre village. La piste se perdait maintenant au hasard des petits chemins et des sentiers vallonés des terres du Phénix.
Nos héros comprirent qu'ils n'avaient plus rien de mieux à faire que de rentrer à la Cité du Chêne Pâle, pour rendre compte à Kohei-san de ce qu'ils avaient appris.
Mécontent de voir ce Nakiro s'échapper, et sachant que Bashô était lié à lui, Riobe serra le poing, et se jura de trouver le poète Matsu, pour lui rentrer quelques paroles bien senties dans la gorge...

La moitié du mois du Boeuf était déjà presque écoulée quand les trois samuraï furent de retour à la Cité du Chêne Pale.
Entre-temps, la ville était redevenue parfaitement calme. Plus de magistrats en ville, rien que le murmure de la neige et du vent dans les étroites rues au pied du palais d'Isawa Masanaga-sama.

:samurai:

Une semaine plus tard, Riobe fut prévenu par Kakashi qu'il avait découvert des choses très importantes concernant Hiro et son syndicat criminel.
Ce soir-là, il pleuvait une pluie grise, persistante, une de celle dont on a l'impression qu'elle ne cessera jamais. Riobe attendait à l'entrée de la belle auberge où Matsu Bashô avait séjourné, abrité sous l'avancée du toit. Après une attente assez longue, il discerna une silhouette qui avançait dans la pluie du jour finissant. C'était bien Kakashi qui venait au rendez-vous, boîtant comme à l'habitude.



Une semaine avant...



Cette après-midi du milieu du mois du Boeuf, Ayame-san revint au palais, après s'être rendue en ville accompagnée de Shiba Ikky, qui poussait le dévouement jusqu'à être sa yojimbo même sur les terres du Phénix. A vrai dire, c'était à se demander si Akitoki-sama, connaissant les frasques de sa shugenja, n'avait pas ordonné à Ikky-san de protéger la turbulente Ayame...
Toutefois, quand Ayame demanda à rester seule dans ses appartements, Ikky-san n'insista pas, mais se mit en garde devant la porte, pour éloigner gentiment, le cas échéant, tout invité trop curieux. Dans ces moments-là, il arrivait que, comme par hasard, Kogin-san montre le bout de son minois, et passe devant Shiba Ikky d'un air entendu, en affectant de renifler très fort les vapeurs qui sortaient de la chambre d'Ayame-san. Puis elle disparaissait, bien contente de son petit effet.
A l'intérieur de la chambre, cette fois là, Ayame referma, satisfaite la petite bourse de cuir vendue par l'herboriste. Elle contenait une bonne dose d'opium médicinal, en provenance de Ryoko Owari Toshi, Cité des Histoires pour les uns, des Mensonges pour d'autres...

Elle se souvenait de l'avertissement de son daimyo quant aux Scorpions, et savait aussi que les Bayushi avait des contacts avec la pègre locale. Si Bayushi Bokkai essayait de la piéger sur la drogue, elle pourrait montrer que cet opium n'était rien que médicinal, et prouver devant tous que le Scorpion n'était qu'un ignoble menteur.

Ayame-san décida d'aller parler pour de bon à Kakita Hiruya. Même Kogin-san pouvait avoir des intuitions non dénuées de bon sens. De perfidie également, mais cela semblait décidément bizarre cette histoire d'Inchu. Pourquoi donc Hiruya-san avait-il suivi le groupe chez les Licornes, après les vendanges d'Heibetsu ? Les insinuations de Kogin tracassaient tout de même Ayame.
Notre shugenja alla donc interroger Kakita Hiruya sur ce point. Celui-ci, sans se démonter, avec la même assurance que Doji Kafu ou Doji Itto, répondit qu'il s'agissait là d'un échange de bons procédés entre les clans de la Grue et de la Licorne, traditionnellement alliés depuis le retour de ces derniers des Sables Brûlants.
Convaincue par les dires de Hiruya-san, Ayame se sentit plus en confiance désormais. Le temps était venu de parler de ses découvertes en bibliothèque. Elle sentait le besoin de s'en ouvrir à quelqu'un, car ces secrets commençaient à lui peser lourd sur la conscience. Il lui avait déjà côuté cher d'aller les découvrir. De tous les samuraï qu'elle connaissait, c'était encore Hiruya-san à qui elle préférait se confier.
Elle lui expliqua donc par le menu tout ce qu'elle avait appris depuis sa discussion, dans la vallée d'Inchu, avec la vieille Kitabakate.

Cela avait commencé avec l'évocation de cette chose mystérieuse, sans nom, semblable à un cauchemar sans visage qui hantait Rokugan depuis bien longtemps, mais qui n'était pourtant pas l'Outremonde, ni rien de précis. Il semblait que la vieille Kitabakate était bien informée sur cette Chose.
Et il y avait eu le récit de ces deux frères, Emmon et Takashi, dont le second avait perdu son visage, et le second avait disparu peu avant le coup d'Etat.
Puis, à Morikage Toshi, le soir-même avant le cauchemar collectif, Ayame, ainsi que Ikky et Ryu, rencontraient au Pays des Merveilles le dénommé Emmon, chef manifestement d'une organisation criminelle appelée les Frères de la Côte, dissimulé dans l'ombre, et froidement décidé à lutter contre cette chose mystérieuse qui avait détruit son frère Takashi.
Entre temps, près du château de la Libellule, Ayame avait rencontré l'Inquisiteur Kitsuki Hanbei, lancé à la poursuite de la Grue Noire et de Nahoko. Ayame avait évoqué l'Ombre devant l'Inquisiteur, puis s'était mordu les lèvres d'avoir mentionné le nom de Kitabakate. L'impatient et tenace Hanbei-sama était décidé à tout faire pour trouver des traces de cette Ombre. C'est ce même inquisiteur qui avait dit à Ayame que des poèmes de la Novice Folle avaient été découverts récemment.
Auprès de son vieux senseï, Kanera-sama, Ayame, évoquant ces mystères, avait compris que cette Novice Folle avait quelque chose à voir avec la période historique du Gozoku, quand l'Empereur avait fléchi face à la puissance conjuguée des clans du Phénix, du Scorpion et de la Grue.

Kitabakate avait suscité en Ayame une flamme qui n'allait pas s'éteindre de sitôt. Elle voulait percer les mystères de l'Ombre, de la Novice, du Gozoku. Ses recherches répétées et assidues en bibliothèque lui avaient appris l'existence de Bayushi Tangen, deuxième du nom, conseiller de Bayushi Atsuki (l'un des trois maîtres du Gozoku), qui écrivait un ouvrage apocryphe nommé Petites Vérités. Recueil d'aphorismes sur le thème du secret et du mystère, cet ouvrage était manifestement ésotérique.
Hiruya écouta ces explications d'Ayame, celle-ci très inquiète pour l'Empire, surtout depuis ce cauchemar abominable à Morikage Toshi. Elle se sentait investie de la mission de découvrir cette entité hideuse qui se nichait dans les profondeurs des secrets de Rokugan.
Ayame et Hiruya se quittèrent, très inquiets tous les deux, mais sachant que désormais ils pouvaient compter l'un sur l'autre, et qu'ils partageaient maintenant un secret terrible... Qu'en penseraient les autres samuraï qui avaient vécu ce cauchemar ?...

:samurai:

Quelques jours plus tard, Ayame-san eut la désagréable visite de Kogin-san, toute minaudante, qui lui asséna carrément plusieurs phrases pour le moins lourdes de sens :
- Je ne crois pas que Hiruya-san dise la vérité... Il y a une autre raison pour laquelle il s'est rendu à Inchu avec vous. C'est un Grue, il maîtrise l'art du double langage. Je sais assez comment sont les Grues, par mon cousin Kafu-san. Ne le croyez pas. A ce propos, je sais que Akitoki-sama voit d'un mauvais oeil que vous fassiez des recherches en bibliothèque. Je serais curieuse, je l'avoue, de voir si vous êtes aussi talentueuse en diplomatie qu'en études et je crois que vous pouvez nous surprendre en ce domaine. Notre clan aurait une négociation assez importante à mener, et on va sans doute me confier cette tâche. Pourquoi n'iriez-vous pas à ma place, pendant que moi, je poursuivrais vos recherches ? A moi, Akitoki-sama n'a pas interdit d'aller en bibliothèque.

La réponse d'Ayame-san fut nette et sans détour : elle refusait un tel marché. Kogin-san n'eut plus qu'à se retirer, contente quand même d'avoir mis sa chère collègue mal à l'aise...
Le soir même, prise d'une envie forte comme celle de l'opium, et mis sur les nerfs par Kogin, Ayame s'enferma dans ses appartements. A la cour, on l'oubliait peu à peu, elle, enfermée dans sa bilbiothèque comme un escargot dans sa coquille, s'enveloppant d'une épaisse bave de mystères. Certains se demandaient si elle faisait bien partie des invités... Kogin-san s'en donnait à coeur joie dans les commérages, aidée par Kafu-san, les deux cousins étant écouté d'une oreille amusée par les deux Scorpions, Bayushi Bokkai et Shosuro Mone.

C'était un soir semblable à celui où Ayame avait découvert ce parchemin anonyme... Grosses bourrasques de vent, pluie qui tape très fort sur les bâtiments, orage qui gronde de plus en plus fort, crépuscule sanglant qui se change peu à peu en noirceur bleutée...
Ayame-san déplia sur sa table le fameux parchemin, celui qui la hantait depuis plusieurs jours, qui l'appelait silencieusement, patient, discret, obsédant....

De toutes les personnes qui te sont inconnues, je suis la plus familière.
Je suis plus fine que le papier
Et plus épaisse que la nuit.

Je te suis ou te précède partout, je suis ta fidèle servante.
Je ne suis que l’envers de ce que tu es –une silhouette de papier noir.

Si tu veux mieux me connaître
Ecris mon nom !
Car moi, je voudrais te connaître…


La réponse était trop claire, trop évidente, et dans cette clarté, elle baignait pourtant dans la noirceur la plus épaisse, comme ce soleil noir dans le ciel blanc qui s'était levé à la fin du cauchemar de Morikage Toshi.
Ayame prit nerveusement son pinceau en main et le trempa dans l'encre.
Le tonnerre grondait, comme si c'était sa conscience qui lui grondait de ne pas faire ce qu'elle allait faire...
Ayame commença à tracer les signes sur le papier. Cette encre était vraiment très noire : épaisse, dégouttant lentement du pinceau... La shugenja semblait de moins en moins reconnaître son bras à mesure qu'il écrivait. Elle avait l'impression d'écrire sous la dictée, comme quand elle apprenait la calligraphie, mais là, personne ne lui criait dessus. C'était un appel tellement silencieux, et c'était une énigme si facile... C'était plutôt les signes à écrire qui sollicitaient son pinceau, qui l'envoutaît lentement. N'y avait-il pas, quelque part dans la pièce, comme les fantômes de Kitabakate, de Kitsuki Hanbei, d'Emmon, de Bayushi Tangen qui regardaient la shugenja briser le sceau du destin et s'enfoncer dans le coeur palpitant des ténèbres ?...

Bruits distincts de pas, de rires, de discussions feutrés, de mots glissés, de courtisans évoluant au sein du monde flottant, comme des libellules parmi les nénuphars, comme des papillons éphémères qui profitent de la lumière du seul jour qu'il leur sera donné, avant d'offrir leur mort en sacrifice au soleil, quand celui-ci se couche.
La chambre d'Ayame était baignée par la lumière rougeoyante du soir, en grands traits de feu perçant les épais nuages noirs, tremblant de tous les éclairs contenus en eux.
Le mot était presque écrit. Le soleil mourait comme un vieux Phénix.

:samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 30 avr. 2006, 16:19

La Cinquième Réincarnation - 10e Episode (II) : les subtilités de la cour (suite)


MASQUES ET VISAGES EFFACES (suite)

Tu vis en brûlant
Et ressuscite en mourant
Glorieux Phénix


C'était le haïku dit par le vieux senseï Isawa Kanera, lors de son arrivée. Il semblait à cet instant qu'Ayame, en coïncidence avec le soleil, arrivait à son nadir, s'enflammait, devenait un pur rougeoiement, pour mourir bientôt.
Quand le soleil disparut, Ayame sentit une grande peur l'envahir. La peur d'un être solitaire, exilé dans un monde sans beauté. Elle essaya de jeter loin d'elle le pinceau, mais n'y parvint pas.
Elle comprit qu'elle n'avait plus qu'à aller au bout de son acte. Elle voulut encore résister, car son honneur saignait des quatre veines, et lui hurlait de renoncer à cette folie.
Ce soir-là, il sembla que le pinceau qui finit de carresser le papier porta lui un coup quasi-mortel. Dame Amaterasu avait disparu, le ciel n'était plus que tourbillon, nuage, foudre, colères monstrueuses du tonnerre...

Ayame-san baissa la tête, vaincue par le désir, par la peur, et sentant déjà le regret la prendre à la gorge. L'encre de l'énigme commença à s'écouler, le papier pleura tout son encre, comme une mère qui pleure la mort de son enfant, et de lumineux éclairs déchirèrent le ciel de cendres mortes...

Ombre

Ayame ferma les yeux, puis osa lire le parchemin, et dès lors, une partie de son âme accueillit un peu de cette noirceur ; cette noirceur dans laquelle elle s'était tant baignée ces dernières semaines.
Des phrases apparurent, comme révélées. Elles étaient écrites avec la même encre. Pourtant, Ayame était certaine qu'elles n'étaient pas sur le papier auparavant.

Tu ne pourras lire ce livre, qui est noir comme un crachat, qui fut maudit entre tous et ferait pâlir d’horreur les dieux.

« Quand Mère Soleil et Père Lune donnèrent un nom à toutes les choses , quelque chose, un petit bout de rien, refusa de recevoir un nom. »

Goju était l’auteur de ces lignes, écrites en ouverture de ses Agonies Célestes et ceux qui le lurent moururent défigurés, une épaisse bave noire à la bouche. Car il était prédit dans cette oeuvre la chute de tous les astres lumineux et de tous les dieux.

Car c’est la peur, l’ignoble peur, qui seule engendra ce livre, la peur d’un l’enfant qui faillit être mort-né, qui fut seul face à lui-même, et qui partit se terrer au bout du monde, dans un recoin de la voûte céleste.


Ayame-san referma à la hâte le parchemin, horrifiée de ce qu'elle venait de faire. Ikky devait être encore devant la porte, à guetter, ignorante que le plus grand danger était dans la chambre... Ayame s'enfonça dans un sommeil qui lui parut durer une éternité...

:samurai:

Le lendemain, la shugenja croisa Hiruya. Elle chercha à l'éviter, mais celui comprit vite que Ayame n'allait pas bien. Poliment, elle répondit au bushi qu'elle ne désirait pas parler. Hiruya-san n'insista pas.
Durant toute la journée, Ayame-san se rendit compte qu'elle n'attirait pas l'attention sur elle. Moins qu'à l'habitude encore. C'en devenait inquiétant. Elle glissait parmi les salles du palais, les allées du jardin, comme invisible à tous, comme un rêve parmi la réalité, ou comme dans un monde de spectres. On la saluait juste assez pour qu'elle se sente encore de ce monde, mais pas assez pour en être sûre.
Un hôte, un voyageur sans nom, avait pénétré dans l'âme d'Ayame à présent, et n'allait plus en sortir. Un si petit prix à payer pour la connaissance... Tout savoir a un prix, disait Shinseï. Mais qui avant elle avait payé le prix de peupler son âme de visages en train de s'effacer ?...

:samurai:

Quelques jours plus tard, Ayame se sentit en meilleure forme. L'heure était venue d'aller parler de nouveau à Bayushi Bokkai. Elle se sentait d'humeur à croquer un scorpion tout cru. Elle comptait bien lui rappeler sa défaite oratoire sur le Tao, ses paroles à la limite de l'hérésie et surtout le provoquer à attaquer sur l'opium, pour lui répondre du tac-au-tac sur ses liaisons criminelles. Elle allait se battre avec ces propres armes, la pince et le dard. Une pince suffirait...

Elle fut surprise de trouver Bokkai serein, poli, sans vilainie cachée sous la langue comme un glaviot ; le Scorpion ne fit aucune remarque désagréable à Ayame. Celle-ci décida de se retirer de cette approche directe. Elle n'avait pas dit son dernier mot.
C'était une belle après-midi, pas très froide pour cette saison, et tous les courtisans étaient plus ou moins engagés en négociations politiques, ragots, manigances, alliances, jalousies, affrontements discrets... Pourtant, personne ne manqua de noter qu'Ayame se lançait à nouveau au milieu de la cour, devant tout le monde -personne, et surtout pas Akitoki-sama, qui sentit aussitôt en Ayame cette résolution qu'on trouve parfois chez les quêteurs de mort de la famille Matsu...
Bokkai continua à discuter poliment avec Kitsu Kameko, pendant qu'Ayame s'approchait de Shosuro Mone, l'acteur qui suivait Bokkai-sama à la cour, et restait en retrait de ce dernier tout le temps. Bokkai tendait l'oreille, comme l'espérait Ayame : son manège ne lui échappait pas...
Ayame en vint à parler par allusion à Mone-san d'une pièce de théâtre ancienne, qui devait appartenir au répertoire de la famille Shosuro. Elle racontait l'histoire de deux frères, Takashi et Emmon, s'aventurant dans une forêt sombre, l'un des deux, Takashi, n'en ressortant jamais et y perdant son visage.
Avec un air de parfait étonnement, Mone déclara que cette pièce ne lui disait rien. Il s'empressa d'ajouter poliment qu'Ayame-san avait piqué sa curiosité et qu'il s'enquérerait de cette pièce, sans doute très intéressante. Sure que Bokkai, à qui la demande était en réalité formulée, avait entendu, Ayame ne fit pas durer la conversation et salua poliment Mone-san.
Celui-ci remit son masque un peu plus droit. Décidément, cette shugenja n'avait pas froid aux yeux... Quant à Bokkai-sama, il ne semblait pas du tout connaître cette pièce.

Plus tard, ce fut Bokkaï lui-même qui ne manqua pas, dans les jardins peuplés de courtisans, d'aller faire comprendre à Ayame qu'elle devait reconsidérer quelque peu ses rapports avec les gens de son clan.
- Nous autres Scorpions savons goûter l'humour, mais nous n'aimons pas qu'on plaisante de trop avec nous, sauf à prendre le risque de voir tous ses petits secrets révélés devant les autres, comme par exemple devant Akitoki-sama...
Bayushi Bokkai avait élevé le ton légérement. Juste assez pour que le daimyo d'Ayame entende distinctement sa dernière phrase.
Cette fois, c'en était trop. Isawa Ayame eut sur le champ droit à une nouvelle convocation chez Akitoki-sama ! Celui-ci était d'une humeur massacrante, à intimider un démon. Il se partageait entre la colère et la déception profonde. Ayame avait donc décidé de devenir la risée, la honte, la bête noire, de l'Académie Isawa ! de ruiner l'honneur de sa famille, en pleine cour d'hiver ! de donner à des Scorpions les verges pour se faire battre, et en redemander par-dessus le marché !
- Cela ne peut plus durer, Ayame ! Je m'aperçois combien j'ai été négligeant concernant vos recherches répétées en bibliothèque. Je vous l'avais formellement interdit et vous avez bravé mon interdit ! c'est extrêmement grave ! C'est presque trop beau pour les Scorpions ! un vrai cas d'école ! ils feront des gorges chaudes de vous sur trois générations, et se tiendront les côtes en pensant à votre maladresse ! Il ne suffit pas que vous ayez des choses à cacher, il faut encore que vous alliez les provoquer ! C'est du suicide pur et simple. Non seulement vous n'avez pas tenu compte de mes conseils, mais encore vous faites tout le contraire ! Alors, à présent, vous allez me révéler ce que vous avez appris de si passionnant dans la bibliothèque du palais !
Front à terre, Ayame-san subissait de nouvel orage...
- Akitoki-sama, Shinsei a dit que quand les ténèbres descendent, il faut trouver des alliés dans les omb-
- Quoi ? que dites-vous ! mais que dites-vous !
- ... Rien, Akitoko-sama, rien du tout...
Sa voix trahissait sa peur, sans l'ombre d'un doute... Sur le point de s'arracher les cheveux, Akitoki-sama lui ordonna de disparaître de sa vue.
- Nous en reparlerons très bientôt !

:samurai:

LE THEATRE DES OMBRES

Isawa Ayame ne savait plus qui croire, sur qui s'appuyer. Jamais sa détresse n'avait été aussi grande. Ils devaient bien rire d'elle, les Scorpions, de leurs rires cruels derrière leurs masques démoniaques ! Son daimyo se desespérait pour elle, et toute la cour devait connaître ses déboires, et se partageait entre le mépris et la raillerie à son sujet !
Que pouvaient en penser Asahina Masumi et Kakita Hiruya ? et Yugoki le Moineau ?... Elles devait amérement les decevoir !
Elle avait trahi l'honneur de sa caste, par passion de connaissance. Elle en payait le prix, de manière exorbitante ! L'autre jour, elle et Yugoki s'offraient des cadeaux, dans l'intimité du labyrinthe de haies. Le Moineau lui faisait don d'une magnifique peinture sur le thème de l'air, et elle offrait une éphémère brume en forme de moineau, à son cher Yugoki. Tous les deux rougissaient comme des pivoines, dans le silence parfumé du jardin, et au dernier moment, Ayame retirait sa main, que le Moineau avait voulu saisir.
- A bientôt, Yugoki-san...

Les festivités de la cour battaient leur plein. On avait ri de la mésaventure du pauvre Doji Kafu, à qui Mirumoto Ryu était venue offrir "spontanément" un cadeau (un excellent saké venu de l'échoppe de Taka-sama ! ) -et personne n'ignorait que c'était le docteur Munetaka qui l'envoyait ! Kafu-san, tout de même subjugué, comme tout Grue qui se respecte, par la beauté de Ryu-san, avait voulu l'inviter à se promener sur le chemin de l'eau sinueuse. Aussitôt, Ryu-san avait invoqué feu son mari pour refuser : par fidélité envers lui et son souvenir, elle devait refuser !
Doji Kafu était reparti, confus, et gêné, le cadeau de Ryu lui restant sur les bras. Il était allé parler à sa cousine Isawa Kogin, qui, elle, avait été de corvée pour offrir un cadeau à Ryu, puis à Kakita Hiruya, et le soir, les Grues avaient bu ensemble l'excellent à la santé et à l'énigmatique sagesse des Dragons !

:samurai:

Au milieu de ces réjouissances, Ayame-san retrouva le senseï Kanera, près d'un arbre, un peu à l'écart. Un long moment se passa, pendant lequel le vieux shugenja resta silencieux, son yojimbo quelques pas à l'écart.
- Je vous attendais, finit-il par dire, sans bouger.
Nerveuse, Ayame-san dit qu'elle s'excusait pour la peine qu'elle lui causait, pour avoir négligé ses conseils, pour être allé contre sa demande d'arrêter ses recherches en bibliothèque. Pourtant, une conviction en elle avait été plus forte : c'est que la période du Gozoku n'était pas étrangère à cette force mystérieuse qui était venue hanter le cauchemar collectif de Morikage Toshi.
-Est-il bien nécessaire, et prudent, Ayame-san, de mener seule vos recherches ?...
- Je ne veux pas entraîner de samuraï non préparés dans cette voie...
- Y êtes-vous préparée ?... A qui en avez-vous parlé ?
- A Kakita Hiruya.
- Et Akitoki-sama est au courant ?
- Non, senseï.
- Vous pensez qu'il ne doit pas être mis au parfum de cette connaissance ?
- Mes recherches ne sont pas terminées, senseï. Elles représentent un grand danger, et j'ai cru mieux le servir en ne lui en parlant pas...
- Que ferez-vous quand ces recherches seront terminées ?
- J'en référerai aux plus hautes instances du clan, senseï.
Le vieux Kanera se leva doucement.
- A bientôt, Ayame-san...

:samurai:

Ce soir-là, il pleuvait sur la Cité du Chêne Pale. Une pluie grise, persistante, une de celle dont on a l'impression qu'elle ne cessera jamais. Riobe attendait à l'entrée de la belle auberge où Matsu Bashô avait séjourné, abrité sous l'avancée du toit.
Ce soir-là, les habitants de la cour d'hiver se rendaient tous (exception faite des invités du premier jour, les moins glorieux), au théatre de la ville, pour y assister à une pièce de nô jouée par une troupe du clan du Phénix. Pendant trois soirs, cette troupe, puis l'une du Scorpion et une de la Grue, allaient présenter une oeuvre traditionnelle. La gagnante remporterait tous les honneurs, et la moins appréciée serait bannie de la cour de l'année prochaine.
Le palais devait être donc presque désert, par cette nuit venteuse.
Après une attente assez longue, Riobe discerna une silhouette qui avançait dans la pluie. C'était bien Kakashi qui venait au rendez-vous, boîtant comme à l'habitude.

Il arriva plus près de Riobe.
Il avait le ventre percé d'une flèche. Il saignait à l'épaule gauche, et à la jambe. Aussitôt, Riobe se précipita vers lui. Kakashi tenait à la main son katana dégoulinant de sang.
- Doshi... que se passe t-il ?...
- Riobe... Riobe...
Kakashi s'appuya contre le mur, soutenu par Riobe. Il respirait à grand'peine. La pointe de la flèche dégouttait d'une substance visqueuse. Kakashi tremblait très fort, il n'allait plus tenir debout longtemps.
- Riobe... écoute-moi... je me suis renseigné sur ce Nakiro... c'est l'horreur... l'horreur... ils enlèvent des enfants... ils en font des monstres....
Kakashi haleta, alors que le poison de la flèche lui dévorait l'âme.
- ... un village thermal... à la sortie de la ville... ils sont là-bas...
- Doshi... qui t'as fait ça ?...
- Riobe... file au palais, cours !... il se prépare quelque chose d'horrible... dépêche-toi !... Adieu, doshi...
Kakashi tomba à genoux. La pluie tombait de plus en plus fort. Riobe perdait un deuxième compagnon en peu de temps. Il dégaina son katana, murmura un adieu à son frère d'arme, et lui coupa la tête. Puissent lui et Sotan se retrouver dans le monde des morts !
Le corps de Kakashi tomba à terre, lourd dans la lourde pluie.
Riobe nettoya son katana, rengaina, et courut vers le palais.

:samurai:

Restée seule dans sa chambre, gardée par Ikky, Ayame se rongeait les sangs. Il y avait encore au palais, entre autres, Isawa Kogin et la Mille-Patte Moshi Wakiza. Les deux jeunes femmes avaient été invitées par Yugoki à passer la soirée à écouter de belles légendes du clan du Moineau. Ayame avait également reçu l'invitation, évidemment.
Mais un autre message venait de lui parvenir :
"L'humble Shosuro Mone, en ce soir de festivités théâtrales, serait honoré de pouvoir parler de pièces de théâtre ancien avec la très perspicace Isawa Ayame, dans la bibiothèque du palais."
Notre héroïne, la mort dans l'âme, savait qu'elle n'allait pas refuser l'invitation. Elle ne pouvait perdre cette occasion unique de percer des secrets essentiels. Elle avait été surprise que ce fût le petit Mone-san qui lui envoie ce message. Elle s'attendait plutôt à ce que ce fût Bokkaï qui luii écrive...

Elle s'en voulait tellement pour Yugoki. Il comprendrait. Il faudrait qu'il comprenne. Tant pis pour eux deux, les rivages de l'ombre n'attendaient pas. Quand elle le croisa dans le couloir et qu'elle lui fit ces excuses, il les accepta et lui dit séchement :
- Bonsoir, Isawa-san...
Ayame tint bon en entendant ces mots cruels. S'étant résolue à ce qu'elle savait être son choix depuis le début, elle se rendit une fois de plus dans la bibliothèque du palais...

Elle ne connaissait que trop cet endroit, où elle avait perdu une part d'elle-même, un peu comme quand, jeune fille, elle avait connu les pertes de sang pour la première fois...

:samurai:

Riobe courut sous la pluie dégringolante, et arriva à proximité du palais. C'est alors qu'il vit courir vers lui deux samurai, dont l'un portait une lanterne en papier. C'était Shinjo Kohei, et Kakita Hiruya à ses côtés.
- Teyandeeee ! Riobe ! que se passe t-il ?
- Kohei-san ? Hiruya-san ?... venez avec moi ! je vous en prie ! il se passe des choses terribles au palais !
Sans hésiter, les deux amis suivirent Riobe dans sa course. Un peu plus loin dans la rue, ils virent venir à eux quatre silhouettes rendues floues par la pluie et l'obscurité, la main sur la garde. Kohei posa la lanterne à terre, puis lui et ses deux compagnons se mirent en garde, et avancèrent sur l'ennemi. Les katanas jaillirent comme les éclairs, et les quatre opposants s'écroulèrent presque aussitôt. Kohei-san avait reçu une légère estafilade ; il ramassa la lanterne et les trois hommes reprirent leur course.
Ils passèrent devant une échoppe. Soudain, un petit homme, avec un chapeau conique surgit devant eux, tenant une lanterne qui lui éclairait le visage par en bas. La foudre tomba, dans une explosion terrifiante, et la lueur fantastique révéla le visage familier Yasuki Taka, son habituel sourire de marchand transformé en grimace apeurante dans cette pénombre pluvieuse.
- Hé bien samuraï ! où courez-vous à cette heure-ci ? vous venez acheter quelque chose dans mon échoppe ! entrez ! entrez donc...
- Plus tard, Taka-sama, dit Riobe, nous avons des choses plus urgentes...

Les trois samuraï reprirent leur course, et arrivèrent au pied du grand portail du Phénix. Ils crièrent pour alerter le garde en faction, à l'abri dans sa tour.

:samurai:

Ayame entra prudemment dans la bibliothèque. Seules quelques bougies, disposées au sol, éclairaient les lieux. Lieu si familier, mais toujours si inquiétant.
- Ayame, dit une voix, qui devait être celle de Mone...
- Où êtes-vous ? souffla la shugenja.
Effrayée, elle ajouta :
- Je vois quelqu'un.
- Qui voyez-vous ?...
- Au fond, entre les rayons, un homme.
- Que fait-il ?
- Il porte une lanterne. Il l'agite.
- Combien de fois ?
- Trois fois ?
- C'est moi, avancez sans crainte.

Ayame avança entre les rayons labyrinthiques, chargées de documents oubliés, et d'énigmes dans ses recoins. Au fond de la pièce, entre plusieurs tables disposées pour la conversation, elle vit Mone-san assit en tailleur, dos au mur. Elle remarqua qu'il ne portait pas son masque. Les flammes, si fragiles, tremblaient au moindre souffle d'air. C'était plutôt un beau jeune homme, Shosuro Mone. Des yeux très noirs, des cheveux tout aussi noirs, parfaitement peignés. Un sourire intelligent, sur lequel passait comme le frisson du mystère, comme dans ses yeux, pétillants d'idées qu'il se gardait pour lui-même.

- Konichi-wa, Ayame-san. Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation.
- Je suis contente de pouvoir discuter avec un membre du clan du Scorpion, Mone-san, dit Ayame en s'asseyant. Mais avant, continua t-elle, un ton dur dans la voix, je dois savoir si votre clan est mon ami ou mon ennemi concernant ce que je cherche...
- Vous savez très bien, répondit en souriant Mone, qu'on ne peut pas faire confiance au clan du Scorpion, Ayame-san. On sait combien un ami peut devenir un ennemi. C'est une prudence élémentaire avec nous de nous considérer d'abord comme des ennemis... vos meilleurs ennemis.
"C'était folie de venir nous affronter en public, devant votre daimyo. Bokkai-sama et moi-même en étions très surpris et très amusés. Nous aimons les samuraï qui n'ont pas froid aux yeux, comme vous...
- Je suppose que si vous désiriez me parler, c'est que vous vous êtes renseigné sur cette pièce de théâtre...
- Tout à fait. Bokkai-sama et moi-même n'avons pas manqué d'aller fouiller partout dans la bibliothèque pour en apprendre plus sur cette pièce racontant l'histoire de ces deux frères... A vrai dire, Bokkai-sama n'a rien trouvé.
- Je vois.
- Permettez-moi, dit Mone-san avec un entrain surprenant, puisque ce fut il y a quelques temps le moment d'échanger des cadeaux, de vous faire un présent à mon tour.
Le Scorpion fit glisser jusqu'à Ayame une petite boite de satin.
- Je vous en prie, Ayame-san, ouvrez-la...
La shugenja, fascinée, ouvrit lentement la boîte. A l'intérieur, un simple mempo, sans marque de clan distinctive. Et, piqué dans la longueur du nez de ce masque, une sorte de petite lame brillante.
- Ayame-san, déclara Mone, vous nous avez demandé, à Bokkai-sama et à moi, de nous renseigner sur une pièce de théâtre ancienne. Vous saviez pourtant que cette pièce n'existait pas, n'est-ce pas ?... Et pourtant, j'ai découvert quelque chose d'intéressant concernant cette pièce. J'ai découvert qui en ont été les deux acteurs principaux... Curieux, n'est-ce pas, pour une pièce qui n'existe pas...

Ayame contemplait toujours le mempo, et la lame brillante. Elle refusa poliment le cadeau par deux fois.
- Je vous en prie, Ayame-san, acceptez ce cadeau. Ce masque m'a appartenu. Vous avez réussi à me surprendre par deux fois. Vous m'avez pris de court. Il est normal que je vous offre mon masque, puisque pour ainsi dire, vous l'avez fait tomber.
"Vous m'avez étonné, Ayame-san. Vraiment. Et par deux fois, qui plus est. Il me paraît donc naturel de vous étonner encore plus en retour.
"Vous m'avez demandé de chercher une pièce qui n'existe pas. Et pourtant, j'ai découvert quelque chose.

Mone-san ne put retenir à cet instant un petit rire, adressé à lui-même : il goûtait l'ironie de la situation.
- Oui, quelle ironie, Ayame-san, que, croyant atteindre Bokkai-sama, vous veniez me trouver, pour finalement que Bokkai-sama ne vous comprenne pas, et que ce soit à moi, oui à moi !, que vous veniez parler de l'histoire de ces deux frères.
"Oui, Ayame-san...
Mone se redressa légérement, et sa tête disparut dans la pénombre, tandis qu'Ayame sentit soudain que, depuis quelques instants, la voix du Shosuro avait changé. Et elle connaissait cette nouvelle voix...
- ... il a fallu que vous veniez parler de cette pièce de théâtre... -à celui qui en fut un des acteurs principaux...
"Le masque que je désire vous offrir m'a été offert par mon premier senseï à l'Académie Shosuro. C'était mon premier masque, et celle qui me le donna fut Kitabakate-senseï.

Les flammes des bougies brûlaient doucement, innocentes, paisibles, indifférentes à ces mystères.
- Konichi-wa, Ayame. Je suis content de vous revoir. Je pense que vous n'avez pas cru que j'avais été arrêté à Morikage Toshi, en même temps que les autres Frères de la Côte...

Ayama déglutit, prise d'un frisson de panique et d'excitation.
-... Emmon... Je pensais bien vous retrouver sur ma route un jour... mais pas si tôt...
- Quelle ironie, tout de même... J'ai failli en perdre mon masque, quand vous êtes venue me parler devant tout le monde. Je me suis cru découvert pour de bon. Vous étiez à deux doigts d'y parvenir...
"La lame qui se trouve piquée dans le masque est en fait un objet qui vient du clan de la Licorne, et peut-être plus loin, des Sables Brûlants... On appelle cela des "ciseaux". Je crois pouvoir dire que l'Impératrice Kashiko en personne en possède de semblables.
- Emmon... c'est un cadeau magnifique... je ne peux pas accepter.
- Acceptez-le en gage de notre lutte commune contre l'Ombre... Les deux lames sont incrustées de cristal. Ce sont les larmes de dame Amaterasu, qu'elle pleura, quand Seigneur Onnotangu dévora ses enfants. Tout comme le jade peut détruire l'Outremonde, le cristal peut détruire l'Ombre...
"Vous avez eu beaucoup d'audace en faisant vos recherches en bibliothèque, Ayame-san. Vous avez sans doute trouvé deux parchemins, laissés à votre intention, vous prouvant que deux autres personnes étaient au courant de vos recherches.
- Effectivement...

Ayame, au cours de ces journées, avait découvert ces papiers, cachés dans un recoin de rayonnage, glissés là de façon habile, mais pas assez pour tromper notre shugenja...
Le premier, écrit d'une main tremblante, disait :
« Je suis certain que la Novice a eu entre les mains cet ouvrage apocryphe de T. , qui traite de la vérité et des mensonges, mais je ne parviens pas à mettre la main dessus.
Tenez-moi au courant de vos propres recherches. »
Ainsi Ayame avait fait un début de lien entre la Novice Folle et les écrits de Bayushi Tangen.

Le second, d'une écriture fine et soignée disait :

« Bien sûr, elle ne renoncera pas à ses recherches. A. a beau la surveiller et lui avoir interdit de revenir en bibliothèque, elle a toutes les audaces.
Que faire ? La mettre au courant, mais alors que lui révéler ? Ou prendre le risque de ne rien lui dire, et ignorer ce qu’elle pourrait découvrir ?
Soyez vigilant, comme toujours. »

Mais bien qu'elle se sût surveillée par deux personnes de la cour, Ayame n'avait pas renoncé, certaine qu'elle finirait par apprendre l'identité de ces deux courtisans.


- Un des parchemins était rédigé d'une écriture très soignée, disait Emmon. Le fruit d'une longue habitude, et d'une grande application, d'une grande noblesse d'âme... Le senseï Kanera s'est beaucoup inquiété pour vous Ayame-san... La seconde écriture était plus nerveuse. Par Bayushi, je m'en voudrais toujours de trembler en écrivant !...
"Nous avons suivi vos recherches, nous savions que vous vous engagiez sur le même dangereux chemin que nous...
"Maintenant, Ayame, il n'est plus temps de reculer...
- Non, j'ai engagé cette recherche. J'ira jusqu'au bout.

Le shugenja avait rarement était aussi ferme dans son affirmation.
- Savez-vous les dangers que vous encourez ? dit Emmon, d'un ton de colère et de reproche. Face à l'Ombre, il n'y a pas de répit, même après la mort. Si l'Ombre gagne, elle ne fera pas que vous tuer, comme l'Outremonde. Elle détruira votre kharma. Vous ne pourrez plus jamais ressuscitez, échapper au dharma ! Vous ne serez plus rien, comme Takashi ! Vous serez rayée de l'Ordre Céleste, entièrement.
- Je suis prête à courir le risque pour sauver l'Empire.

Emmon se leva.
- Très bien, Ayame-san. Puisque vous êtes résolue, alors après vous avoir accueillie au pays des merveilles, laissez-moi vous souhaiter la bienvenue de l'autre côté du miroir...

Emmon alla vers un rayonnage et tira sur un parchemin. Un pan de mur bascula, découvrant une volée de marche sombre, poussiéreuse, d'où montait un courant d'air aigre, sinistre. Emmon prit à la main une lanterne, et s'engagea dans l'étroit escalier, suivi par Ayame.

:samurai:

Hiruya-san, Kohei-san et Riobe pénétrèrent dans le palais, et rapidement, rencontrèrent Yugoki-san, Kogin-san et Wakiza-san qui venaient d'entendre du bruit du côté de la bibliothèque. Ikky-san était là également et, quand Hiruya lui demanda, elle dit qu'Ayame était occupée, et qu'elle ne pouvait pas être dérangée.
Hiruya ordonna alors à Ikky d'aller chercher Shigeru-san, qui prenait son bain et Ryu-san, qui devait méditer à la pagode, dans ses appartements ou au dojo. Puis il ordonna à Yugoki-san de rester pour veiller sur les deux shugenja Kogin et Wakiza, pendant qu'eux allaient fouiller le palais pour savoir ce qui se passait.
Yugoki-san insista pour venir, sachant qu'Ayame-san était mêlée à ces évènements. Ryu-san et Shigeru-san arrivèrent rapidement : ils partirent avec Kohei-san et Riobe dans les couloirs du palais, pendant que Hiruya, Ikky et Yugoki allaient directement à la bibliothèque. Avant cela, ils passèrent par les appartements des Scorpions. Avec réticence, la servante accepta d'aller déranger Bayushi Bokkai, qui était resté au palais car il avait une mauvaise fièvre.
Hiruya, Ikky et Yugoki pénétrèrent dans la chambre du Scorpion, et le trouvèrent une serviette froide sur la tête, un bouillon près de lui, et une bassine pour ses besoins... On l'avait connu plus somptueux. Il toussait et crachait, et ne comprenait pas comment on osait le déranger dans un pareil moment !
Rassurés sur le fait qu'il était réellement malade, les trois samuraï s'expliquèrent en vitesse, et partirent vers la bibliothèque, rejoints par Shigeru.
Pendant ce temps, Kohei, Ryu et Riobe décidèrent de trouver pour de bon ce mystérieux blessé qui faisait tant parler de lui au palais, ce Bashô ! C'est Ryu qui finit par le découvrir. Les trois samuraï entrèrent dans la pièce.
Il s'y trouvait un vieil homme en kimono blanc. Il pouvait avoir près d'une cinquantaine d'années. Il était assis sur un tatami, et devant lui était posé un wakisashi. Deux petites bougies l'éclairait.

- Matsu Bashô ?...dit Kohei-san.
Le vieil homme releva à peine la tête pour acquiescer.
Les trois samuraï s'approchèrent et s'assirent près de lui.
- Il n'y a plus grand'chose à dire, samuraï.
- Il est d'usage, Matsu, dit Riobe, de lire un poème avant de pratiquer le seppuku.
- Un poème ?... j'ai passé ma vie à en écrire. Tant de haïkus, pour les quatre saisons. Je me les suis tous récités, et je n'ai pas vu passer la journée. Maintenant, la nuit est là, et l'hiver.
- Tu as bien peu d'honneur, Matsu-san, fit Riobe, en insistant bien.
- Tu es lié à ce Nakiro qui enlève les femmes et les enfants ? demanda Ryu-san.
- Oui, c'est vrai.
- Et la blessure reçue, dit Riobe, c'était un réglement de compte avec les hommes de Hiro ? Vous avez voulu quitter son syndicat criminel ?...
- Non, rônin, bien que cela aurait pu se produire... J'ai reçu cette blessure d'un samuraï dont j'ai contribué à ruiner la famille, et qui a bien plus d'honneur que moi.
"Méfiez-vous, samuraï... Nakiro est puissant. Mais ce n'est pas lui le grand maître derrière tout ça. Ce n'est pas Hiro non plus. C'est un homme très puissant, qui se fait appeler Hagetaka-sama (Maître Condor). Je l'ai connu à Ryoko Owari Toshi. Il est impitoyable dans ses plans... Je n'en sais pas plus sur lui. Nakiro seul le connaît vraiment.
- Je propose d'aller à la bibliothèque, Kohei-san, dit Riobe.
- Allez-y, toi et Ryu-san, moi j'ai encore à parler avec Bashô-sama.

Ryu et Riobe coururent à la bibliothèque. Là-bas, Hiruya-san, Shigeru-san, Ikky-san et Yugoki-san fouillaient fébrilement tous les recoins, à la recherche d'Ayame. Elle n'était pas là. Ils eurent tous la sensation d'être observés, que les ombres soudain s'animaient, que des créatres inhumaines se déplaçaient dans les murs, au sol, partout, entre les ombres et la lumière. Tout se passait comme pendant le cauchemar, mais tout devenait bel et bien réel. Yugoki-san sentit la peur l'enserrer, car il rencontrait ce phénomène pour la première fois. Riobe lui aussi sentit que la peur le tiraillait, mais il tint bon.
Après de hâtives recherches, Ryu-san finit par découvrir le mécanisme secret : elle tira sur le parchemin et le pan de bibliothèque bascula.
Aussitôt, les samuraï s'engagèrent dans la volée de marche.

:samurai:

Emmon et Ayame étaient arrivés en bas. Il y avait là, dans ce sous-sol, une pièce légérement plus grande, sans éclairage, poussiéreuse, pleine de toiles d'araignée, sentant le moisi, le renfermé. Les rayonnages y menaçaient de crouler. Les parchemins étaient rongés par la moisissure, les rats, le temps. Tout était décrépi, sale, pourri.
Emmon tenait haut la lanterne devant lui pour produire un peu de lumière dans cette crasse, et la lumière projetait des ombres fantastiques dans ce cloaque.
- L'ancienne bibliothèque de la Cité du Chêne Pale, dit Emmon. Maintenant devenue la bibliothèque interdite. Le vieux senseï Kanera l'a découverte il y a peu. Nous y sommes allés.
Emmon s'approcha d'un rayonnage, et en prit un parchemin.
- Nous avons été quelque peu déçus, quand nous y avons entrepris des recherches.
Il déroula le parchemin : il était tout blanc. Emmon en prit un autre, fit tomber une pile, les déroula : ils étaient tous vierges. Moisis, usés, jaunis, mais vierges de toute écriture. Cette virginité était terrifiante.
- L'Ombre a tout effacé, Ayame-san ! Elle ronge lentement ce caveau oublié, elle finira par le faire disparaître avant peu. Elle a grignoté tout cet endroit. Il n'y a plus rien à y trouver, sinon l'Ombre elle-même...
Ayame restait interdite. Quelle stupéfaction de découvrir ce lieu, mais quelle stupeur aussi que tous ces parchemins effacés comme des visages...

:samurai:

- Le vieux senseï a trouvé ce repaire : il a déniché l'Ombre ! Il se savait en danger dès cet instant. Mais il l'était depuis plus longtemps en réalité. Il a laissé venir à lui cet ennemi, il a pris le risque de le faire sortir de son recoin. Il soupçonnait depuis quelque temps un invité de la cour d'hiver de ne pas être humain, mais d'être en réalité une créature des ombres vivantes, une simple extension de Cette Chose Sans Nom.
On entendit alors des pas dans l'escalier. Un seul homme descendait. Emmon pointa sa lanterne vers lui.
- Un traître entre tous, une anomalie dans l'Ordre Céleste, une abomination qui a pris un visage humain. Quelqu'un de discret, qui ne se mêle pas des conversations, qui se fait oublier, mais qui est tout le temps là.

- Quelqu'un de vraiment proche du senseï, ajouta Emmon, qui le suivrait tout le temps -comme son ombre.

Shiba Nobuyori le yojimbo, finit de descendre l'escalier.
- Bien trouvé, Emmon.
Sa voix avait quelque chose de non-humain, d'outre-tombe, comme un écho venu d'un monde de peur.
- Mais c'est fini pour toi à présent. Je vais te détruire, comme j'ai détruit ton frère Takashi. Tu es désarmé, comme la shugenja. Vous disparaîtrez de l'Ordre Céleste.
On entendit alors au-dessus un grand-remue. Le passage secret s'ouvrait de nouveau.
Emmon s'était placé devant Ayame. Il n'avait pas d'armes sur lui. Il avait remonté ses manches, et gardait un air confiant. Il donna la lanterne à Ayame, et fit face à Nobuyori, qui tirait lentement son katana. Emmon souriait toujours et rassura Ayame d'un petit geste de la main.
Soudain, poussant un cri de bête, Nobuyori se lança à l'ass

>>>>forward>>>>>>

Hiruya-san arriva en bas des marches, juste après qu'un cri abominable ait retenti dans le sous-sol, suivi d'un autre cri et du bruit d'un sabre qui s'enfonce dans la chair.
Il posa le pied dans ce caveau, et vit rouler un oeil à ses pieds.
Shosuro Mone se tenait là, devant Ayame, et à leur pied, était étendu Shiba Nobuyori, son sabre passé dans le corps par le dos.
- Konichi-wa, honorables samuraï, dit le Scorpion aux nouveaux arrivants.

<<<<<rewind<<<<

Soudain, poussant un cri de bête, Nobuyori se lança à l'assaut, le katana brandi. Emmon était deux pas devant Ayame. Soudain, il bondit sur Nobuyori. Il fit une légère esquive de côté, et mit son pied en travers de la course de Nobuyori. Celui-ci bascula en avant. D'un geste précis et fulgurant de la main, Emmon lui arracha l'oeil, l'envoyer valser comme une coupe de saké, se baissa, se saisit de son katana, et lui passa en travers du corps. Crachant une grosse quinte de sang, le yojimbo s'écroula à terre.
Le bras d'Ayame trembla et la lumière amplifia ce tremblement sur les deux ennemis.
Emmon respira, et essuya le sang entre son pouce et son index.
Hiruya-san arriva en bas des marches.

>>>>forward>>>>>>

- Le senseï Kanera a laissé venir l'Ombre à lui, dit Emmon devant toute l'assemblée, et ce soir, elle a décidé de l'attaquer. Elle est venue pour lui, et pour moi. Samuraï, si vous tenez à la vie de Kanera-sama, courez le sauver. Il est au palais, dans le pavillon du lac.
Sans trop hésiter, les samuraï commencèrent à remonter les marches. Ayame fut la dernière à mettre le pied sur la marche.
Emmon restait, attendant sa vieille ennemie, qui commençait à s'infiltrer dans le caveau, à s'insinuer, à s'écouler lentement, en ombres liquides.
- Partez Ayame-san, sourit Emmon. Le vieux senseï vous attend. Pour ma part, au-delà de mon frère, j'ai une vengeance à accomplir contre une vieille ennemie.
- Emmon... promettez-moi que nous nous reverrons.
- Je vous le promets Ayame-san...

La shugenja remonta les escaliers. Pour la première fois, elle éprouvait un trouble, une émotion poignante et se laissait aller à exprimer le regret et le désir. Face au lumineux Yugoki-san, elle avait pu se contenir. Mais c'est le ténébreux Emmon qui lui avait arraché cette expression sincère...

Dans la bibliothèque, dans les couloirs, dans les jardins du palais, d'ignobles ombres rampaient vers nos héros, créatures privées de lumière, ne vivant que de peur, de désir et de regrets, comme des enfants terrifiés, réfugiés dans un recoin de la voûte céleste.



A suivre...



:samurai: FORCE, GLOIRE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 30 avr. 2006, 17:05

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 11e Episode
Mois du Tigre 1126 et du Lièvre 1127 (fin de l'hiver et début du printemps)

Les feux d'artifice de Toshi Ranbo


LA FUREUR DU LION

BRRRROOOOMMMMM...
Le rugissement de milliers de bushi Matsu retentit au pied des murailles... Leur piétinement trépidant réveille toutes les fortunes de la Terre, et leur cri de guerre, hurlé à pleins poumons, défie le tonnerre d'Osano-Wo. Ils affluent comme la marée montante, et viennent s'échouer au pied de la Cité des Apparences.
Des bannières puissantes claquent au vent, qui dardent la devise de la famille : « Dans mon sabre, le vent. Dans mon cœur, le courage. Dans mes yeux, la mort.»
Tous les villages aux alentours de la cité ont été désertés, les portes de la Cité ont été fermées. En haut des fortifications, les archers sont en position, face à la vague rugissante qui avance. En première ligne face à l'ennemi Matsu, prêts à se sacrifier dans l'honneur, les samuraï de la famille Tsume ont mis en position leurs lances devant eux, parés à briser l'élan fracassant des Lions.
La colère des Ancêtres rugit dans les rangs des Lions ; appelés par les sodan-senzo, ils quittent un moment le monde des morts, et, sous la forme de spectres volants et allant comme les nuées, ils inspirent le courage et la haine dans la poitrine de leurs descendants.
Qui sait si dame Matsu en personne n'est pas revenue parmi le monde des Vivants, en cette après-midi, pour exiger que l'on chasse de son territoire les Grues qui y vivent, et dont la présence lui est une insulte perpétuelle !

BRRRROOOOMMMMM... L'immense piétinement s'arrête à quelques fractions de lis de la Cité, à bonne distance pour lancer une charge collective, et atteindre la vitesse et la puissance la plus grande au moment du choc contre l'ennemi. Allat et venant face à ces hommes, piquant sa monture, la faisant se cabrer, brandissant un trident qui semble crépiter d'éclairs, le puissant Matsu Gohei arrangue ses hommes ! Ses paroles se perdent dans le vent, mais comme portés par les fortunes de l'Air, pour atteindre chaque samuraï personnellement, et d'immenses clameurs répondent à chacun de ses cris, trouvant un écho assourdissant dans la plaine.
Maintenant, le terrible cousin du général Matsu Tsuko est seul à galoper, face à une armée immobile, chauffée à blanc comme un sabre que l'on forge, prête à déchaîner sa fureur sur son ennemi !
Insolente Cité, qui met au défi l'honneur du seigneur Gohei. Il avait promis de reprendre la Cité des Apparences avant la fin de l'hiver, et le printemps est déjà là depuis quelques jours... Les rayons de dame Soleil qui illuminent la Cité sont-ils un défi, un mauvais présage, ou bien la lumière qui doit l'exciter à remporter la victoire, à écraser la face du général Daidoji Morozane, à lui faire perdre ce sourire roublard et cette assurance dégagée qu'il affiche toujours ?... L'Empire n'est pas assez grand pour que les seigneurs Gohei et Morozane y vivent en paix !
Pendant tout l'hiver, le Lion a accumulé les hommes, les vivres, les armes, a lutté contre le froid pour mettre en marche une puissante armée, comme on en a pas vu depuis des décennies ; il a souffert comme ses hommes, il a lutté pied à pied pour obtenir l'aide des autres seigneurs, il a dû faire des concessions importantes, s'humilier parfois pour implorer de l'aide.
Et pendant ce temps, le seigneur Morozane festoyait à la cour d'hiver, se languissait dans les bras des plus belles geisha des Phénix, s'amusait, faisait le bellâtre, bien au chaud à la Cité du Chêne Pale.

BRRRROOOOMMMMM Les soldats n'y tiennent plus. La rage accumulée en eux ne peut plus être contenu. Le seigneur Gohei fait cabrer son cheval, lève bien haut son trident, comme pour percer les nuages, hurle à tous ses soldats, et de son tessen, lance l'ordre de passer à l'assaut. Le temps de quelques battements de coeur, et l'extraordinaire puissance des Matsu déferlera sur Toshi Ranbo wo Shien Shite Reigisaho, la Cité de la Violence derrière la Courtoisie.
Une averse de printemps vient saluer le déluge qui se prépare...


:samurai:



JOURNAL D'UN PROSCRIT

"Je me passe les mains sur les joues, et je les vois ensuite tâchées de sang. Impossible de faire cesser les larmes. Elles coulent hors de moi dès que je fais un mouvement brusque, comme de l'eau qui déborde d'un vase plein à ras bord.
Par les Fortunes, que je souffre !... oh que je souffre, en silence, depuis toutes ces années.
J'ai jeté mon miroir hier, contre le mur, de toutes mes forces, car je ne supportais plus mon reflet ; voir ce sale sourire forcé, hideux, quelle monstrueuse ironie ! moi qui voudrais pleurer dans les bras d'une geisha, je souffre sans espérer de secours de quiconque.

"Besoin d'une cure thermale, samuraï ?!"
Elle est bien préparée cette réplique, par Doji ! J'en suis très fier ! Je vais leur lancer ça au visage, quand ils vont pénétrer dans le village, et y découvrir les crimes que j'y perpétre. Comme ce sera délicieux, et tellement théâtral ! On croirait du théâtre Shosuro, tellement c'est beau ! J'en pleure de nouvelles larmes rouges !
Je crois que je pourrais même réellement en sourire. Malheureusement, pas moyen de dépasser mes oreilles, je suis déjà au plus large sourire possible : étiré, ridicule, douloureux, je suis l'homme qui doit rire...
Que ma peau est ridée. Je dois maintenant avoir atteint l'âge où je pourrais être un vieux senseï, avec ses enfants et ses petits enfants qui sautent sur les genoux, qui enseigne à tous, que l'on révère pour son grand âge, et sa sagesse accumulée patiemment.

Besoin, d'une cure thermale... que c'est drôle, oh oui ! La tête qu'ils feront en entendant ça !
Je ne l'ai pas dit à mon Maître, parce qu'il ne voudrait pas d'un tel effet de mise en scène théâtrale. Heureusement que je suis là pour jouer le bouffon douloureux qui met du piquant et de la vie dans ses projets infâmes. Il me toise toujours de son air de supériorité, comme celui qui sait mieux que tout le monde, mais il ne sait pas que la cohabitation avec un démon m'a rendu plus fort, et plus lucide dans mes jugements.
L'horreur qui me mange lentement de l'intérieur, tout en me prêtant sa puissance pendant ce temps, m'a fait comprendre le monde autrement ; plus douloureusement, plus profondément.
Ils ne sont pas nombreux, ceux qui souffrent comme moi, pour s'arracher quelques parcelles de connaissance, quitte à tout y sacrifier, et qui en plus, ne perdent pas le sens de l'humour !
On rit peu dans l'Outremonde, sauf quand on s'appelle Moto Tsume et qu'on veut glacer ses adversaires de terreur... L'autre fois encore, ces saletés puantes de Nezumi m'ont regardé de travers. Ils voulaient me jeter des cailloux à la figure alors que je passais sur le taudis qui leur sert de territoire. Sale engeance, je brûlerai tout ça la prochaine fois.

Ce qui est amusant dans mon cas, c'est que je ne sais pas bien si je vais accéder à l'immortalité, ou mourir très bientôt. La plupart des créatures sont sûres de mourir, et de se réincarner un jour. Peu sont immortelles, mais celles qui le sont le savent.
Moi je suis dans une grande incertitude, et je n'ai personne pour éclairer ma lanterne. Un penseur gaijin s'est surnommé "le bouffon de l'éternité", c'est tout comme moi ! On est frères, chacun de notre côté de l'océan.

L'autre soir, j'ai payé très cher une sale eta pour qu'elle passe la nuit avec moi. J'ai accepté de mettre un masque sur mon visage, et j'ai jeté quelques sorts d'illusion pour la tromper, cette mauvaise catin !
J'ai fumé un peu d'opium, mais ça ne me fait pas grand'chose. Soit j'augmente les doses, soit j'y renonce pour de bon ; j'arrête de croire que la médecine puisse encore me soigner. Pourtant, de l'opium, ce n'est pas ça qu'il m'est dur d'obtenir, par Daikoku !

:samurai:

Trois nouveaux enfants et leurs mères sont arrivés au village hier. Je les ai fait envoyer immédiatement sur l'île. Shiba Genjo est devenu bien obéissant, après le traitement que je lui ai fait subir, le mois dernier. Ce petit vaurien qui se prend pour un grand chef, a voulu se rebeller. Il n'oubliera pas de sitôt sa nuit passée avec mon "interrogateur" eta. Ma jolie face de cauchemar lui a été bien imprimée, comme au fer rouge, et il oubliera pour longtemps de désobéir. Toute la population lui voue maintenant comme un culte dérisoire. Pauvres gens stupides !

J'ai entendu qu'à la cour d'hiver, l'inquisiteur Kuni Yori, le chef des chasseurs de sorciers, a provoqué une grave querelle entre les familles Isawa et Asako. Shiba Ujimitsu, le daimyo Phénix en personne, a dû intervenir !
Kuni Yori a dû finir par éventer quelques secrets des henshin, et je crois qu'Asako Oyo le dément, en personne, s'est mis à hurler devant tous les courtisans.
Habile manoeuvre de Kuni Yori pour occuper les Phénix pendant qu'il fait ses petites manigances avec l'Outremonde. Je me demande ce qui se passerait si je le rencontrais. Normalement, il devrait me terrasser avec tous ses pouvoirs, mais à l'heure actuelle, je suis sûr qu'il serait très intéressé à discuter autour d'une tasse de thé. Sinistre valet du Grand Ours... Tout à fait le genre d'homme que mon maître aimerait avoir sous sa coupe.

Cet incapable trouillard sénile de Bashô a fini par faire seppuku. Que c'est grotesque ! Le pauvre poète a voulu sauver son âme. Puisse t-il se réincarner en insecte la prochaine fois, que mon descendant l'écrase sous sa sandale ! Pour être tout à fait juste, je me dis qu'il a peut-être fait le bon choix.
Hélas, si j'essayais de me passer le wakisashi en travers du ventre, mes blessures seraient vite guéries, malgré moi. Mon démon familier ne laisserait pas périr son hôte ainsi, et mon Maître serait désagréablement surpris...
Je suis certain que Bashô a tout avoué avant de se tuer. Tant pis, il n'en savait pas tant que ça, et je suis prêt à recevoir tous les samuraï qui le voudront... Ils ne peuvent pas arriver avant le milieu de la matinée. La nuit est encore longue.
Rien que par gourmandise, je mâche quelques gateaux que font les paysans, et dont ils sont si fiers.
Pendant que leurs semblables se font implanter une parcelle de pouvoir démoniaque dans le corps... Délicieuse médecine.

Je repense à Asako Oyo, le dément. Au fond, il y a bien longtemps, j'étais de sa famille, nous étions cousins ! Que c'est amusant !... Et il était déjà bien âgé à l'époque. Et mon maître était un vaillant conspirateur, plein des illusions de la jeunesse.
Maintenant, il a vieilli, mais il n'a rien perdu de ses illusions. Et moi, je suis comme un petit chien pour lui. J'obéis à ses ordres, mais ça ne va pas durer. Le plus délicieux sera de le trahir au moment suprême. Effacer ce sourire triomphant dont il ne se départ jamais, alors même qu'il s'imaginera que le rêve de toute sa vie est sur le point de se réaliser. Ca me vengera des abominations que j'ai invoquées pour lui, de tous les pauvres hères dont j'ai lié le nom... Après ça, je peux bien mourir, rira bien qui rira le dernier !"

:samurai:

LA CARAVANE

Assis bien droit en tailleur, Shinjo Kohei toussota, remis son obi plus droit et rectifia le pli de sa manche.
En retrait derrière lui, Mirumoto Ryu était immobile, comme plongée dans une de ses habituelles méditations, tandis que Hida Shigeru admirait la pièce, richement décorée. Derrière eux, Riobe le rônin restait stoïque.

En ces premiers beaux jours du printemps, la lumière solaire rendait la campagne ravissante, et jetait des feux aimables sur la forteresse de la famille Daidoji. Une intense activité régnait autour du Shiro, fortifié à la manière d'une forteresse Kaiu, et décoré avec la finesse des artisans Asahina.
Des caravanes allaient et venaient, des guntai patrouillaient, des groupes d'éclaireurs partaient au galop, des ashigaru manoeuvraient sur les champs de lice autour du château ; on entendait le bruit scandé des jeunes bushi qui répétaient en groupe des passes de sabre. Dans la cour du château se tenait le marché, tandis que de nombreux samuraï discutaient entre eux. Bref, rien qui rappelât le calme proverbial des campagnes.
Des messagers arrivaient régulièrement, et demandaient à rencontrer dès que possible le maître des lieux, le seigneur Uji, daimyo de la famille Daidoji. On leur répondait que pour le moment, il était occupé, toutes affaires cessantes.

:samurai:

Kohei-san observa le mur, et y vit accroché plusieurs armes de fabrication gaijin, comme il en avait vu, il y a plusieurs années. Des lames droites, des sabres à lames courbées, des poignards, de grands arcs... Cela faisait tellement bizarre, de voir ces choses-là, à quelques jours de la capitale impériale, et pas dans un Shiro Licorne.
Kohei-san ne fit aucune remarque, mais s'étonna de l'attrait du seigneur Uji pour ces artefacts étrangers.
A ce moment-là, entrèrent deux samuraï Daidoji en grande tenue, daisho à la ceinture, qui vinrent s'asseoir devant les invités, sévères et martiaux. Puis entra le seigneur Uji, portant un casque et une cagoule qui lui dissimulait le visage. Son allure en imposa tout de suite. Il est vrai que c'était avec ce masque qu'il avait acquis sa réputation dans l'Empire. Son visage nu était inconnu à beaucoup de monde.
Il vint s'asseoir entre les deux samuraï, s'inclina brièvement, pendant que les invités s'inclinaient très bas, et que les deux gardes du corps se penchaient en avant, mais ne quittaient pas les invités des yeux.
- Konnichi-wa, samuraï. Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation.
- Konnichi-wa, Uji-sama, répondit très fort Kohei, c'est nous qui sommes honorés de pouvoir nous mettre sous tes ordres. Nous avons une dette envers ta famille, et nous ferons ce que tu désireras pour la payer.
- Bien... J'ai entendu parler de vous tous, samuraï. Il est bon de se renseigner sur ses alliés. Je sais que vous venez de la Cité du Chêne Pale, car le seigneur Morozane s'y trouvait, et m'a parlé de vous.
"C'est bien de mon ami Daidoji Morozane dont il s'agit à présent. Vous savez qu'il est gouverneur de Toshi Ranbo, la Cité des Apparences, qu'il a conquis de haute lutte aux Lions, voilà six ans maintenant. Aujourd'hui, cette Cité est plus que jamais menacée. Le général Matsu Tsuko a juré de reprendre la ville. Elle a chargé son cousin, le bouillant Matsu Gohei, de chasser ma famille et mon clan de Toshi Ranbo. Il avait juré de s'acquitter de cette tâche dès cet hiver, mais à l'heure qu'il est, le printemps est arrivé, et le seigneur Gohei n'a pas tenu son serment. Le général Tsuko doit enrager, mais comme Gohei n'a pas eu à faire encore seppuku, on peut s'attendre à une attaque imminente de sa part. Il est donc évident que très bientôt, les généraux Morozane et Gohei vont en découdre une bonne fois pour toute.
"Samuraï, nous allons vous confier une caravane de ravitaillement, que vous serez chargés de mener à la Cité des Apparences, le plus rapidement possible. Il est vital que cette caravane arrive rapidement au général Morozane. Me suis-je bien fait comprendre ?
Les quatre invités s'inclinèrent et Kohei dit de tout son coeur :
- Oui, seigneur Uji. Nous protégerons cette caravane, et nous répondons sur l'honneur qu'elle arrivera à la Cité des Apparences !
- Très bien, samuraï. Ma famille compte sur vous. Réussissez, et nous saurons montrer notre gratitude.
Le seigneur Uji salua brièvement, se leva et quitta la pièce. Entra alors un des lieutenants de Uji-sama, devant lequel nos hôtes s'inclinèrent.
- Konnichi-wa, samuraï, mon nom est Daidoji Yajinden. J'ai l'honneur de servir le seigneur Uji aujourd'hui, en vous expliquant plus précisément le déroulement de votre mission.
7e épisode, à la Cité du Chêne Pale, a écrit :[Ikky] entendit les nouvelles rapportées par Daidoji Yajinden, contrôleur du commerce avec le clan de la Mante. Sévère, froid, une de ses pupilles très pâle, le bushi Grue n'inspirait pas confiance. Il avait typiquement le visage de celui qu'on charge d'apporter les mauvaises nouvelles.
- La caravane dont vous assurerez la sécurité se compose de trois chariots couverts, tirés chacun par deux solides poney. Chaque chariot est rempli de tonneaux, remplis de vivres et d'armes, ainsi que de babioles marchandes sur le dessus, pour faire illusion en cas d'un éventuel contrôle. Pour tromper nos adversaires, nous avons confié le commandement officiel de cette caravane à un de nos ennemis traditionnels, un Yasuki ! Entre donc, Mitsuhirato ! dit Yajinden-sama, en claquant des doigts.
On fit alors entrer brusquement un des honorables comparses de Taka-sama. Il avait l'air hagard, fatigué par son séjour chez le seigneur Uji, et n'en menait pas large face aux solides et roublards Daidoji.
8e épisod, à Morikage Toshi, a écrit :Shiba Ikky demanda à parler au magistrat Tadamischi-sama. Elle demanda s’il y avait des membres du clan du Crabe en ville. Le magistrat réfléchit : à sa connaissance, il y avait bien un marchand de la famille Yasuki, qui venait traiter avec le clan de la Mante. Ikky-san demanda humblement à pouvoir l’interroger.
Le magistrat n’y vit pas d’inconvénient et fit convoquer sur l’heure le marchand.
Celui-ci fut amené rudement par deux samouraï. C’était un honorable commerçant du nom de Yasuki Mitsuhirato, qui avait dans les manières tout ce qu’il faut de souplesse, de ruse, de tromperie, pour faire un bon marchand. Cette honorable crapule était bien sûr disposée à répondre à toutes les questions des nobles Phénix.
- J'ai appréhendé Mitsuhirato, déclara Yajinden à l'assistance, à la Cité de la Forêt des Ombres, chez nos amis du clan du Phénix, alors qu'il trafiquait avec une bande de contrebandiers que je chassais depuis longtemps, les Frères de la Côte. Etant certain de sa collusion, j'ai néanmoins choisi d'être clément avec lui, et en échange, il a bien voulu nous rendre ce petit service : guider notre caravane. Qui se douterait qu'un honorable Yasuki mène des biens appartenant à ses ennemis Daidoji ?... n'est-ce pas Mitsuhirato !
Le dénommé se renfrogna, tandis que les deux yojimbo, et deux autres soldats dans la pièce, ne manquèrent pas de rire au visage du pleutre marchand.
- C'est moi qui ait fourni le contenu de cette caravane, dit Yajinden, car je puis dire que le général Morozane est un ami à moi. Nous avons conquis de haute lutte la Cité des Apparences, et nous ne voulons pas la voir tomber aux mains des Matsu. Vous serez également accompagnés par quelques rônins, eux aussi en délicatesse avec notre justice. Plutôt que les envoyer se faire pendre, nous avons préféré leur mission cette dangereuse mission. Je m'entretiendrai plus tard avec Kohei-san pour déterminer précisément votre itinéraire. Sayonara, samuraï !

On salua, et chacun se retira.
Dans la cour du château, nos héros firent connaissance avec ceux qui les accompagneraient. Il y avait là un membre du clan de la Guêpe, nommé Mukuro, qui commandait aux autres rônins. Il y en avait quatre, de ces rônins :
Le premier était presque soigné de sa personne pour un samuraï sans clan. Il ne portait qu'un wakisashi à la ceinture, et une grosse besace en bandoulière. Il se nommait Naofumi.
Le second se nommait Ozaki : petit, mince, jeune, mal rasé, un bandeau en travers du visage qui lui couvrait un oeil, un katana à la ceinture emballé dans du papier de riz. Il ne portait aucune armure.
Enfin, venaient deux frères, nommés Keishi et Keita, répondant à la description la plus classique des rônins : des morceaux hétéroclites d'armures attachés ensemble tant bien que mal des pieds à la tête, et un daisho à la ceinture.
Le Guêpe Mukuro était un solide et énergique gaillard, qui portait son arc comme seule arme, en plus d'un poignard.

C'est donc toute cette belle équipe, en plus du marchand Mitsuhirato, et de nos héros, qui allait convoyer la caravane jusqu'à la Cité des Apparences.
En serrant le poing, très concentrée sur ses pensées, Mirumoto Ryu dit :
- Ah, il faudrait envoyer une seconde caravane, une fausse, pour tromper nos ennemis !
- Allons, Ryu-san, répliqua Kohei-san, je suis certain que les Daidoji savent ce qu'ils font, et nous n'avons pas à nous en préocupper. Allons en route !

LA CARAVANE (SUITE)

La caravane s'ébranla, ce matin du 8e jour du mois du Lièvre de l'an 1127, 4e année du règne de Hantei 39 Sotorii.

Elle était menée par le marchand Yasuki Mitsuhirato, commandée par Shinjo Kohei, accompagné de Mirumoto Ryu, Hida Shigeru et Riobe, et par Mukuro du clan de la Guêpe, qui amenait avec lui les rônins Naofumi, Ozaki ainsi que les frères Keishi et Keita.
Les dix samuraï s'étaient répartis la surveillance de la caravane pour en protéger les trois chariots, alourdis par les tonneaux qui s'entrechoquaient en permanence le long des routes parsemées de nids de poules.
Volontairement, le trajet prévoyait d'éviter toutes les routes impériales, fortement taxées, et surtout fortement surveillées, à proximité de la glorieuse capitale Otosan Uchi. Shinjo Kohei allait et venait sur sa monture, consultait les uns et les autres :
- Tout va bien ? rien à signaler ? parfait, continue ta veille, l'étape sera bientôt là.
A l'avant, Hida Shigeru et Mirumoto Ryu menaient une garde vigilante. Leurs sabres leur démangeaient déjà, et ils n'auraient pas refusé une petite attaque de brigands pour aller lancer quelques volées de sabre !
La caravane chemina dans la belle campagne de la famille Daidoji pendant trois jours, montant doucement vers le nord, c'est à dire le sud des terres du clan du Lion. Tout le parcours, ils allaient frôler la frontière par l'est, et cette fois, il ne s'agissait pas de recommencer, à l'autre bout des terres du Lion, la gaffe de la vallée d'Inchu ! De toute façon, les patrouilles Lions, absentes à l'ouest, étaient omniprésentes dans l'est. Leurs armées se trouvaient sur le pied de guerre : un nombre incalculables de régiments faisaient maintenant route vers la Cité des Apparences et les autres, vers les terres côtieres du clan de la Grue.

:samurai:

Un premier incident surprit nos voyageurs, alors qu'ils allaient passer la frontière des terres impériales.
Arrêtés pour la nuit dans un petit village, ils avaient organisé comme chaque soir des tours de garde, par groupe de deux. Au milieu de la nuit, Riobe, qui surveillait l'avant de la caravane, retrouva Keishi assommé, à l'arrière du convoi. Mirumoto Ryu, qui allait prendre son tour, se mit aussitôt à fureter, et découvrit bientôt qu'un essieu avait été saboté au chariot de derrière. Lanterne à la main, elle se mit à inspecter les traces de pas, comme à l'habitude, presque le nez dans la boue pour ne rien manquer. Pendant ce temps, Shigeru-san prenait énergiquement la situation en main.
Il alla réveiller Kohei-san, et par la même occasion, de sa voix de stentor, il tira brusquement de leur sommeil la plupart des autres samuraï de la caravane, ainsi qu'une partie du village. Tel un géant de pierre, il se mit à arpenter les rues de la ville, pendant que les familles heimin, terrorisées, osaient à peine passer l'oeil par l'ouverture de la porte pour le regarder passer :
- Le forgeron !!! Où est donc le forgeron de ce village !... Toi, dis-moi !
Le malheureux père de famille désigné passa un bras par la porte, et tremblant, désigna la forge, à la sortie du village. Il était bien content d'éloigner ce troll nocturne ! Les femmes et les enfants tapaient des runes qui produisaient des étincelles, pour éloigner les mauvais esprits, d'autres récitaient des prières aux divinités locales, pendant qu'on s'agitait du côté de la caravane.

- Forgeron !!
- Oui, Crabe-sama !! qui y a t-il !!
La voix de Shigeru grondait comme un éboulement de pierre.
- Notre chariot est cassé !! J'ai besoin de te prendre ton propre chariot en échange !! Et j'ai besoin de tes hommes pour nous aider à déplacer les tonneaux de l'un dans l'autre !
- A tes ordres, Crabe-sama !

:samurai:

C'est ainsi qu'au milieu de la nuit, tout le village fut réveillé, qu'une agitation digne des jours de marché apeura tous les heimin, qu'on pria les Fortunes d'éloigner les terribles samuraï, et qu'on se souviendrait longtemps de cette nuit, du Crabe qui fait trembler la terre, et de la samuraï-ko Dragon qui pose des questions à tout le monde !
- Quelqu'un s'est approché de Keishi, a saboté l'essieu et est reparti, conclut Ryu, au terme de ses investigations.
Ledit Keishi avait la tête en sang. On l'avait rudement assommé, et il n'avait vu venir personne. Déjà, on accusait les ninjas et les démons d'avoir fait le coup.
Shinjo Kohei ordonna à tout le monde de se calmer, et de s'organiser pour transporter les tonneaux. Et à l'aube, le bruyant convoi s'ébranla et quitta le village comme l'orage s'éloigne, et les heimin purent enfin respirer alors que le calme revenait chez eux.

Les jours suivants furent sans histoire. Désormais, les gardes de nuit se faisaient avec trois hommes. Alors que la caravane approchait du village stratégique de l'ouest de Otosan Uchi, la garde était montée par Kohei, Ryu et Shigeru. Tous les trois étaient bien décidés à arrêter le moindre suspect. Ryu commençait déjà à soupçonner qu'il y avait un traître dans l'équipe, et Shigeru ne voulait plus faire confiance aux rônins.
Nos trois héros avaient toujours la main à proximité du katana, rendus très nerveux par le dernier incident. Pour la nuit, Kohei-san avait fait disposer autour du convoi une dizaine de lanternes, ce qui assurait un périmètres bien éclairé autour des trois chariots.
Il sembla, au beau milieu de la nuit, au Licorne que des formes bougeaient sur les toits, que des indiscrets surveillaient, tapis dans l'ombre.
Le Licorne le signala à Shigeru, et aussitôt, on entendit les deux sabres de Ryu sortirent en vitesse de leurs fourreaux ( ssshhhhiiiiii ), et déjà la Dragon les brandissait, prête à frapper !

- Au moins, comme ça, dit Kohei en s'approchant de Ryu-san, nous sommes sûrs qu'ils se savent repérés.

Dépitée, Ryu rengaina ses sabres. Déjà, les silhouettes avaient disparu. Shigeru et Kohei regardèrent la samuraï-ko en silence quelques instants, le regard chargé de reproches...
- Au moins, comme ça, baîlla le Licorne, nous sommes également sûrs qu'ils n'attaqueront pas cette nuit ! Allons dormir !...
A l'aube, on attela les poney, et le convoi se remit en marche.

:samurai:

Deux jours plus tard, on arrivait au village stratégique de l'ouest. La caravane allait rester dans les grands faubourgs de la ville quelques temps, car il fallait prendre livraison d'un supplément de chargement, conformément aux instructions de Daidoji Yajinden. Les trois chariots avaient été stationnés dans un quartier marchand des faubourgs, bruyant, encombré, mais assez éloigné du centre de la ville. Shinjo Kohei et Yasuki Mitsuhirato partirent le matin vers les bâtiments administratifs de la famille Miya, pour y déclarer leur passage et la prise du nouveau chargement. Il leur fallut la journée pour accéder au responsable qui pouvait s'occuper de leur cas, et comme Kohei-san n'était pas rompu aux finesses de la bureaucratie impériale, on ne fit rien pour accélerer les démarches.
Le marchand et lui tournèrent en rond toute la journée, et ce n'est que le soir que leur papier fut signé, et qu'ils se firent livrer les nouveaux tonneaux, qui finirent de remplir les trois chariots. Profondément las de cette administration tentaculaire, et des rues de ces faubourgs interminables, Kohei ne tarda pas à aller dormir. Dans les derniers jours, il avait eu à subir un nombre incalculable de contrôles et formalités frontalières. Heureusement, aucun magistrat n'était allé mettre son nez trop profond dans les tonneaux. On y avait trouvé que des articles marchands tout à fait ordinaires...

Pendant cette journée, les autres samuraï avaient monté une garde vigilante, inquiets à cause de l'important passage continuel dans les rues. Le soir, trois des rônins montèrent la garde : Naofumi assis à l'avant du chariot du milieu, Mukuro le Guêpe à l'intérieur du chariot de derrière, et Keita à l'avant.
Au matin, une sinistre surprise attendait tout le monde : on retrouva Naofumi toujours à son poste, immobile, une flèche en travers de la tête. Ce fut l'affolement parmi les samuraï. Cette fois, ce fut Ryu qui prit les choses en main. Elle ordonna au marchand de faire l'inventaire des chariots, et se mit à chercher partout de plus belle, comme une abeille affolée autour de sa fleur.
Il fallut constater la disparition d'un des tonneaux. Et on ne trouva nulle trace du meurtrier de Naofumi.
Kohei-san ordonna à la caravane de se remettre en marche ! On avait perdu assez de temps dans ces faubourgs encombrés, et s'il fallait attendre l'arrivée de la milice impériale, seulement pour un rônin que les Daidoji avaient jugé bon à pendre !...
L'hypothèse de Ryu, selon laquelle un traître s'était glissé dans le groupe, devenait vraiment plausible. Et comment le voleur avait-il pu enlever un tonneau sans le rouler, et faire un raffût du tonnerre ? Ou alors s'y étaient-ils mis à plusieurs...

:samurai:

A peine quittée cette ville engorgée de monde, et le calme de la campagne retrouvée, alors que le convoi avançait à bonne allure sur une bonne route, Mukuro poussa soudain un cri d'alerte : des cavaliers approchaient, de devant et derrière le convoi ! Quatre de chaque côté. Ils ne portaient aucun mon de clan. C'était bel et bien des brigands !
Mukuro, Keishi, Keita et Ozaki se portèrent en défense à l'arrière, tandis que Kohei, Shigeru, Ryu et Riobe allaient à l'avant.
Les pillards étaient des cavaliers, fortement armés. Deux d'entre eux chargèrent aussitôt nos héros. Ils y furent reçus avec les honneurs : Kohei en coupa un en deux tout net, Shigeru fut frappé mais tint bon, et Ryu tua rapidement l'autre. Pendant ce temps, Riobe décochait une flèche contre l'un des deux brigands restés en retrait. Non, Yasuki Taka ne lui avait pas vendu de la camelote ! Gravement blessé, le bandit laissa tomber la lance qu'il brandissait. Son complice en tenait une semblable, enflammée, et s'apprêtait à l'envoyer sur la toile qui couvrait le chariot. Aussitôt, Kohei partit au galop sus à l'ennemi, suivi de Ryu. Le bandit, hurlant à pleins poumons, envoya la lance de toutes ses forces. Aussitôt, Shigeru-san brandit son sabre et d'un geste précis, frappa en plein dedans, la déviant de son objectif : elle alla se planter à terre. Un moment après, la charge combinée de Kohei et Ryu expédiait le bandit chez ses Ancêtres dans un violent fracas de chevaux, de lames et d'armures !

Les quatre samuraï se portèrent à l'arrière : un des bandits avait réussi à s'enfuir avec le chariot arrière ! Keishi gisait à terre, la poitrine transpercée. Mukuro avait été blessé, ainsi qu'Ozaki. Nos héros voulurent se lancer à cheval à la poursuite du chariot, bien plus lent qu'eux. Ils commencèrent à galoper, mais peu après, leurs chevaux, tremblant, suant, refusèrent de continuer.
- Nous leur avons trop demandé ces derniers jours, dit Shigeru.
Avec rage, nos quatre samuraï virent le chariot s'éloigner dans la campagne, à toute allure.
- Non, répondit Kohei en mettant pied à terre, ce n'est pas la fatigue... on les a empoisonnés. Ils tremblent comme certains troupeaux malades. J'ai déjà vu ça ! Par Otaku ! ils le payeront !...
Empoisonner un cheval, c'était criminel pour un Licorne ! Comment pouvait-on oser faire du mal à ces bêtes !

:samurai:

La caravane avait déjà perdu deux hommes, et un chariot à présent. Ryu-san était blessée, ainsi que Mukuro le Guêpe. Dans ces conditions, il semblait raisonnable, sinon indispensable, de ne pas repartir de suite. Il fallait soit faire soigner les chevaux, soit en changer. Mais par ailleurs, on ne pouvait pas laisser échapper un tiers de la caravane ainsi. La route prise par les voleurs menait directement au village stratégique du nord, prochaine étape du voyage. Et l'un des pillards, avant de mourir, avait parlé : le responsable de cette attaque était le cartel du Lotus Noir, un puissant groupe criminel. Il allait sans doute essayer de revendre le contenu du chariot au village stratégique du nord. C'est là-bas en effet que vivait le clan le plus deshonorable de Rokugan, connut pour être la compagnie des pompiers de Otosan Uchi, et des contrebandiers commerçants avec les gaijins : le clan de la Tortue.
Shigeru-san, Ozaki le borgne et Keita se déclarèrent volontaires pour se rendre sur l'heure là-bas, et retrouver le chariot. Pendant ce temps, le reste de l'équipe s'arrêterait au premier village venu, pour se soigner et trouver des montures.

Le grand Crabe, le petit Ozaki et Keita partirent en direction du village stratégique du nord, sur des montures fraîches. Ils parcoururent rapidement les riches terres impériales, passant au large des villes, fréquentant de discrêtes auberges sur les bords des agglomérations. Kohei-san avait fourni à Shigeru des papiers suffisants pour qu'il puisse voyager sans encombre ; par ailleurs, dans ces grandes villes, la loi était surtout faite par des magistrats très complaisants, adaptés aux réalités de ce monde du commerce et du trafic routier. Bien sûr, on prêta attention à cette montagne qui se déplaçait, et à ses deux acolytes, qui disparaissaient derrière lui, mais on ne leur fit pas de misère. On était pour ainsi dire au pied de la capitale impériale, presque aux pieds de l'Empereur lui-même, mais l'honneur ne régnait pas en maître dans le coeur des magistrats des lieux, dépassé par l'afflux incessant de caravanes et de marchands, venus des quatre coins de l'Empire.
C'est ainsi que deux jours plus tard, Shigeru-san, Ozaki et Keita prenaient une chambre dans une auberge du village du nord, dans une grande artère marchande, encombrée à toutes les heures du jour d'un flot épais de population, qui congestionnait régulièrement les rues, et les cris de colère des marchands sur leurs charrettes, incapables de manoeuvrer dans les rues noires de monde, ponctuaient la vie des lieux.
La seule piste dont disposait les trois hommes était ce cartel du Lotus Noir, et le clan de la Tortue. Ces derniers résidaient bien en ville, sur les bords de l'embouchure du fleuve qui délimitait Otosan Uchi. De là, ils pouvaient accéder rapidement à la mer, et contrôler le trafic maritime qui se déroulait à cet endroit, avec la bénédiction de leur daimyo, l'Empereur en personne. Shigeru-san, Ozaki et Keita savaient bien qu'ils pouvaient difficilement s'attaquer à des samuraï protégés par le Fils du Ciel. C'était pour la plupart des vauriens, des hommes bien moins honorables que le simple peuple, mais on y pouvait rien.
- Shigeru-san, Keita, dit Ozaki, dans cet endroit, nous avons bien peu de chances de retrouver notre chariot si nous ne nous plions pas aux lois de l'endroit... Je vous demande de me laisser une journée. J'irai voir les hommes qu'il faut. Leur honneur n'est pas enviable, mais ils savent, voient et entendent tout ce que nous voulons savoir. J'irai dans les quartiers où ils vivent, et demain, je raménerai des informations.
Ozaki inspirait confiance à Shigeru. Ce dernier décida de lui laisser cette journée pour enquêter. Ozaki salua, et s'enfonça rapidement dans le flot gluant de la populace, ainsi qu'une abeille dans du miel.
A l'auberge, Shigeru-san ne savait que faire en attendant le retour du rônin. Plus tard, dans la journée, Keita dit qu'il venait d'apercevoir peut-être un des bandits qui les avaient attaqués.
- Tu en es sûr ? demanda le Crabe.
- Je crois bien, répondit Keita, et je veux venger mon frère Keishi !
- Va voir, alors...
- Je reviens très bientôt, Shigeru-san !

:samurai:

Le lendemain matin, Ozaki se présentait à l'auberge pour rendre compte de ce qu'il avait appris la veille. Keita n'était toujours pas revenu.
Les deux samuraï se regardèrent avec inquiétude :
- Ryu-san cherchait un traître dans notre équipe, commença Ozaki...
-... je crois que nous venons de le trouver, maugréa Shigeru-san.
- Ce misérable a trompé notre confiance. Il est sans doute allé nous vendre au Lotus Noir !...
- As-tu trouvé des informations ?
- Oui, Shigeru-san. Je pense que c'est bien le clan de la Tortue qui est en possession de notre chariot. Le Lotus Noir lui a vendu cette cargaison.
- Allons les voir alors !

Hélas, la rencontre ne fut pas très fructueuse.
Alors qu'ils avançaient sur les quais, Shigeru-san et Ozaki se sentirent vite observés par les Tortues, qui chargeaient et déchargeaient des navires, en veillant de près à tous ceux qui passaient sur leur territoire. Nos deux samuraï savaient combien il était deshonorant d'approcher ces gens-là (c'est bien pourquoi Riobe avait refusé tout net de se rendre ici), et ils devaient pourtant traiter avec eux.
- Tu cherches quelque chose à acheter, Crabe-sama ? dit un des Tortues, suivi de près par quatre ou cinq de ses hommes.
- Oui ! nous cherchons un chariot qui nous appartient, ainsi que les tonneaux qu'il contient !!

Les Tortues ne furent pas longs à admettre qu'on leur avait bien vendu le jour même un tel chariot. Ils ignoraient que ces produits provenaient d'un pillage. Ils l'avaient acheté en respectant la bonne foi de leurs interlocuteurs.
- Mais à l'heure actuelle, Crabe-sama, nous avons déjà écoulé ces tonneaux en plusieurs fois. Ils doivent voguer sur un de nos navires, à destination de villes lointaines de l'Empire. Cela tiendrait de la gageure de tout reconstituer ; c'est même impossible. En revanche, nous pouvons te revendre ce que tu désires, si tu y mets le prix.
Les manières du Tortue étaient viles, mauvaises, mais il fallait bien admettre qu'ils avaient raison. Or, racheter plein d'armes, de nourriture, cela coûterait une fortune dont Shigeru-san ne disposait pas. Par ailleurs, il ignorait le contenu exact des tonneaux, qu'il n'avait jamais ouverts. Découragé, le Crabe et le rônin voyaient le chariot partir, sans espoir de retour.
Ozaki prit Shigeru à part, et lui proposa ceci :
- Nous ne pouvons pas récupérer les tonneaux. Rachetons au moins un chariot, comme ça, notre caravane aura l'air toujours aussi grande aux yeux de nos ennemis. Rachetons des tonneaux pleins d'eau et de riz. Ce seront toujours des vivres pour Toshi Ranbo, et cela ne coûte pas cher pour des samuraï.
Shigeru tomba d'accord avec Ozaki. C'est ainsi qu'à défaut de l'original, ils repartirent du village du nord avec un chariot de riz et d'eau. Ils pourraient dire à Kohei-san qu'ils avaient fait de leur mieux...

:samurai:

Pendant ce temps, près du village stratégique de l'ouest, le surlendemain de l'attaque des bandits, au réveil, Kohei-san, Ryu-san et Riobe eurent une très mauvaise surprise. C'était Mukuro et Mitsuhirato qui s'étaient mis de garde, pendant que nos héros se reposaient.
Hélas, sur les deux chariots restants, l'un des deux avait disparu ! Et avec lui, le Guêpe et le marchand Yasuki !
Deux traîtres de plus, qui filaient avec la moitié de ce qui restait des précieuses marchandises ! Cette fois, comme à Inchu avec l'affaire de l'éventail volé, Kohei-san sentait approcher le wakisahi de sa poitrine... C'est donc à nouveau avec Ryu-san et Riobe qu'il se lança à la poursuite des deux malfaiteurs !
Leurs montures n'avaient pas été empoisonnée, on avait pas saboté la selle... grave erreur ! En se lançant à cheval sur le chemin, et en avançant au trot pendant quelques heures, nos héros ne tardèrent pas à rejoindre la caravane, lancée à bonne allure elle aussi. Menée par Yasuki Mitsuhirato, qui fouettait les chevaux tant qu'il pouvait, elle était cernée par quatre cavaliers, Mukuro et trois rônins inconnus de nos héros.
Kohei-san décocha une flèche qui abattit un des rônins, pendant que Riobe et Ryu s'attaquaient directement à la caravane. Puis le Licorne piqua des deux le cheval, et s'élança au galop, sus à Mukuro, katana au clair, tout entier transi d'une colère meurtrière contre le Guêpe. Mukuro décocha une flèche, qui rata de peu Kohei-san, puis une seconde, qui frôla Ryu-san, et un instant plus tard, le Licorne était sur lui, et dans son furieux élan, trancha à vif dans sa poitrine et le fit passer sous les sabots de sa monture, avant de faire subir un sort semblable au marchand !

Kohei-san attrapa la bride des poney du chariot, et parvint à les arrêter. Nos trois héros mirent pied à terre, fouillèrent le contenu, et découvrirent que tous les tonneaux étaient encore là. Frappés par les sabres de nos héros, tous les traîtres avaient fini d'expier leur trahison.

:samurai:

JOURNAL D'UN PROSCRIT (SUITE)

J'aime bien les crabes.
Pas le clan, l'animal. J'aime aller décortiquer les petits bouts de chair, à l'intérieur des recoins de la carapace, jusqu'au bout des pinces, avec un petit cure-dents. Il en faut, de la minutie, pour bien vider l'animal. Les gros morceaux, c'est bon, mais rien de meilleur que les miettes les plus inaccessibles.
L'heure du Tigre est là, la première du mois du Tigre 1126. Dame Soleil ne va pas tarder à se lever. L'hiver est encore bien froid mais le printemps sera bientôt là. Je déguste des crabes, des langoustines, des écrevisses, tout ça fraîchement pêché à Morikage Toshi, et amené ici spécialement à ma demande. Avec une bonne garniture de riz, des légumes à la vapeur, quel régal !

Avec ma grande bouche, ça m'en fait de la place pour avaler tout ça, pour déguster cette chair molle et blanchâtre sous la carapace orangée, bien craquante. Je ne dois pas être beaucoup plus beau que toutes ces huîtres que je viens d'ouvrir, et que j'avale en faisant des bruits de succion.
Ce n'est pas vraiment l'heure de manger ; le village dort encore. La plupart des pères de famille sont maintenant des pantins que je contrôle, après que mon démon a dévoré leur âme. Ce qu'ils voient, je peux le voir, grâce aux mille yeux du démon, nombreux comme ceux d'une mouche. C'est que pendant toutes ces années, j'ai eu le temps de les étudier de près, les animaux, les insectes... Je m'essuie le visage, et j'ai à nouveau les mains pleines de sang ; j'en mets plein la nourriture ; sanglants crustacés...
J'ai une faim vorace, j'en mangerais un Nezumi entier ! Je sens que je vais festoyer encore, et peut-être même toute la journée ; il faut savoir profiter de la vie, même quand on est à moitié-mort. Mon pacte avec mon Maître va bientôt prendre fin. Soit j'aurai trepassé, et alors je serai toujours prisonnier du cycle des réincarnations ; soit j'aurai franchi le seuil de l'immortalité, et alors je plierai le ciel, les astres, la voûte étoilée à ma volonté ! N'est-ce pas grisant ? N'est-ce pas ce que mes anciens frères du Phénix veulent faire, sans le savoir ? N'ont-ils pas fait plier devant eux Shiba-kami ? Oh, comme je voudrais déjà être Nakiro la Fortune, Nakiro révéré, pour me venger d'eux tous, des tortures et des douleurs que j'ai subies, de ceux qui m'ont fait chanter, qui se sont servis de ce que je suis devenu...
Ce soir, l'âme du senseï Kanera sera à nous. J'ai dit à ce stupide Shiba Genjo de retenir toute la journée les samuraï.
Déjà, les voilà qui arrivent. J'ai fait lever un des paysans, et je lui ai ordonné de se poster à l'entrée du village. En fermant les yeux, en me concentrant, je vois très bien nos invités... Contrôler l'esprit d'un paysan est déjà grisant, mais bientôt, contrôler des samuraï, de plus en plus hauts dans l'Ordre Céleste, quel projet exaltant ! Plier hommes et Fortunes à sa volonté, c'est bien avec ces rêves que mon Maître m'a nourri, toutes ces années ! Aujourd'hui, j'en paye le prix : être un monstre auprès de mes semblables (plus si semblables, d'ailleurs...). Mais bientôt, ils s'agenouilleront devant moi. Ils doivent me prendre pour un vulgaire maho-tsukaï, mais je suis bien plus que cela...

:samurai:

Tiens, ils ne sont pas tous là... Shinjo Kohei, sur sa grande monture, avec Isawa Ayame montée derrière lui, impatiente de secourir son vieux maître. Venez, mes mignons... La pauvre shugenja, elle doit à peine se remettre de ce cauchemar, si réel cette fois.
Quelle terreur pour elle !
Il faudra que j'égorge de mes mains ce damné Emmon qui parvient encore à nous mettre des bâtons dans les roues ! Saleté de Scorpion !... Mon Maître le déteste, lui et tous ses semblables...
J'ordonne à mon paysan de s'éloigner. Elle a l'air enragée, Ayame-san. Elle les mordrait, leur arracherait le visage d'un coup de dents, aux paysans, si elle pouvait retrouver le senseï comme ça... Le pauvre yoriki qui rampe devant Kohei et Ayame ne se doute pas trop de ce qui se passe au village.
J'ordonne à Shiba Genjo d'aller discuter à l'auberge.
Hihihihi... nous allons nous amuser un peu avec eux. Je vais les mettre mal à l'aise, ça va être si drôle. J'utilise les paysans vraiment comme un montreur de marionettes. C'est pour ainsi dire moi qui leur fait remuer la mâchoire et les lèvres.
Voilà nos deux samuraï à l'auberge. Evidemment, le Licorne a envie de s'envoyer un petit saké derrière la glotte, de bon matin !
Ah tiens, non. Il commande du thé et des fruits.
Il me donne faim, ce Shinjo. Je croque dans une pince de crabe. Hmmm, quel régal !

Face à Genjo et aux paysans, Kohei-san semble désorienté. Bah, il n'est pas assez drôle, ce Licorne ! Je me contente de les faire parler comme de bons heimin, dociles devant l'autorité. Quant à Genjo, il se contente d'être bien poli comme il faut, comme un vrai chef de village face à ces invités.
Allez, ouste le Licorne ! vas voir ailleurs si j'y suis !
Comme je m'y attendais, Ayame est nettement plus coriace. Kohei, c'était la chair : tendre et savoureuse. Ayame, c'est la pince, ou la carapace : dure à briser, mais si plaisante à entendre craquer quand elle cède.
Elle ne va pas le lâcher, le paysan.
- Shiba Genjo assure l'ordre dans le village ! Il assure l'ordre ! tout le monde lui obéit !
Le paysan lui rabâche sa leçon, incapable de dire autre chose.

Depuis que je leur ai montré de quoi je suis capable, quand je me fâche, ils ne savent plus dire que ça, ces heimin, quand je les laisse libres de dire ce qu'ils veulent. Dès qu'ils sont désorientés, ils en reviennent à ça.
- Tu me dis que tu vénères Shiba Genjo, mais que tu le respectes encore plus que les shugenja ? Et tu ne veux pas me parler, mais tu dis que tu me fais confiance ? Et aussi que tu vénères les shugenja par dessus-tout !... Je ne comprends pas, heimin.
Hihihihi... elle sait y faire pour les interrogatoires, mademoiselle Ayame. Ce n'est pas un stupide paysan qui va la désorienter. Elle ne perd pas l'Est !

:samurai:

Voici maintenant les autres qui arrivent. La journée promet d'être faste !
Il y a ce vilain Bayushi Bokkai. Saleté de courtisan, si fielleux, si poisseux de méchanceté. Vilain bonhomme.
Et le gentil Yugoki. L'adorable jeune homme. Je hais ce genre de personnes en fait. Bon, j'admets que c'est une haine facile. Il est beau, jeune, prometteur, et moi je suis vieux, décati, à moitié mort et laid comme la bête. Je devrais me concentrer sur ma haine de Bokkai, c'est plus raffiné.

Il y a là aussi Mirumoto Ryu, et sa sagesse impénétrable, Hida Shigeru, ce colosse tout en muscles, Shiba Ikky, la fidèle yojimbo d'Ayame. Elle est trop dévouée pour être sincère celle-là. Avec son sang Yobanjin dans les veines, elle ne trompe personne, cette vilaine gaijin. Et puis Kakita Hiruya. L'odieux personnage. Il concentre tous les vices des Grues en lui : vaniteux, m'as-tu-vu, sûr de lui...
Je croque dans une bonne langoustine. Je vais les dévorer pareil, tous ces samuraï.
En début de nuit, ils ont eu la désagréable surprise de voir leur beau palais envahi par un démon noir, un démon nocturne, dont j'ignore la nature, qui nous a été amené par Matsu Bashô. Le parfait vilain cauchemar qui prend vie, et suinte partout, absorbant votre peur et vous absorbant. Quel terrible démon ! Je ne savais pas que l'Outremonde pouvait créer ce genre d'entités ! :mal:
Cet enragé d'Emmon a montré à Ayame la bibliothèque interdite, et il a joué son fier-à-bras en restant dans ces ténèbres poisseuses alors que les ombres attaquaient. Et comme cet a arraché l'oeil du yojimbo Nobuyori ! Tac ! d'un coup !
Nos invincibles héros sont remontés et là, se sont retrouvés face à face avec des duplicata de Nobuyori, des reproductions à l'identique comme ce démon des ombres aime en faire. Riobe le rônin a été gravement blessé, et les autres se sont précipités dans le parc, au secours du senseï.
Là, d'autres Nobuyori, aussi semblables que des gouttes d'eau, ont surgi pour les affronter. Quand ils sont finalement arrivés au pavillon, nous avions déjà enlevé le senseï.
Masanaga-sama est alors revenu du théâtre, avec toute sa cour, exigeant des explications de Kohei et de Hiruya pour être partis à l'entracte. Ayame s'est expliquée, et le seigneur Masanaga, par égards pour ses invités, a accepté de les laisser partir en reconnaissance.

:samurai:

Les voilà, tous ces gentils jeunes gens, maintenant, décidés à retourner le village de fond en comble. Leurs discussions avec les paysans commence à les mettre vraiment mal à l'aise. Moi, depuis mon sous-sol, je les observe. Ryu s'est mise en tête de trouver un souterrain qui ménerait du village au palais. Peine perdue, ma jolie ! Shigeru et Kohei commencent à s'énerver, et quand un paysan, ainsi que son fils, sur mon ordre, commencent à manquer de respect au Licorne, ce dernier commence à les menacer de mort. Peu après, le heimin se retrouve plaqué au sol, la tête écrasée sous la semelle de Bokkai. Que ça doit être désagréable comme situation !
Bref, ça commence à aller mal, et comme en cette saison, les journées sont courtes, le soleil descend déjà à l'horizon. Ils ont déjé repéré, au milieu du grand lac que le village borde, l'île où se trouve la station thermale, ainsi que le pont effondré.
Evidemment, lorsqu'ils demandent, personne ne sait leur dire pourquoi le pont est cassé, ni depuis quand. Allez, assez joué avec eux, le grand théâtre de la nuit va commencer !

:samurai:

Maintenant que le soleil se couche, une brume envahit le lac, grise, mystérieuse, inquiétante. Peu à peu, le pont commence à apparaître en bon état, comme par magie... Venez, venez, entrez donc dans mon royaume, samuraï... Kyuden Nakiro !
Des crânes apparaissent à la surface de l'eau, qui se balancent doucement sur le clapotis, comme des lucioles sur un fil, et l'eau prend une coloration de plus en plus rouge, sanglante. Des éclairs strient le ciel au loin, des crânes apparaissent tout au long du pont, et le bois moisit lentement, comme celui d'un vieux navire rongé par le sel. La pluie se met à tomber à verses.
Les voilà nos samuraï qui avancent dans les rues, et ils voient les petites filles qui rient, qui jouent dans les flaques, une expression de démence figée sur leur visage ; leur visage qui peu à peu s'efface, comme un dessin dans le sable que le vent efface ! Ah les petites filles des puissances des ombres !
Des pantins décharnés, autrefois humains, viennent déambuler dans les rues, des masques en porcelaine sur le visage. La grande mascarade ! les démons sont de sortis ! les hideux et les réprouvés ont droit de se montrer à tous, et ce sont eux maintenant, ces samuraï, les monstres !
Les zombies viennent s'attaquer à eux, mais ils les repoussent. A l'arrière du groupe, Ayame et Ikky font face aux filles effacées... Comme un vieil acteur de nô, j'ai mis mon meilleur costume, j'ai chaussé mes sandales usées à mes vieux pieds qui ont parcouru tant et tant de lis dans le monde, et dans un souffle mauvais, je me suis envolé d'un coup ; j'apparais, fulgurant, spectre sanglant, devant la shugenja et sa yojimbo...
- Besoin d'une cure thermale, samuraï ?!! Mon nom est Nakiro. C'est moi qui m'occupe des malades, qui les soigne à ma manière...
- Nous venons arrêter les horreurs que vous causez ici !

Ah, ma chère Ayame... et vous tous, samuraï : vous serez des nôtres, ou vous mourrez ! Bientôt, bientôt... Je m'envole dans les airs, dans un tourbillon de feu, je traverse le lac et me pose sur l'île. Qu'ils viennent dans le repaire de mes cauchemars !...
Ils s'engagent sur le pont, et voient la lune, bien plus grosse qu'à l'habitude, tout proche d'eux. Et l'astre laiteux se métamorphose peu à peu, à mesure qu'il apparaît derrière l'île. Une grimace apparaît, des rides, des cheveux, des larmes de sang, et toute la lune prend le visage du pauvre Nakiro, avant que son immense corps n'apparaisse, ectoplasmique, allongé sur les nuages, l'air narquois, appuyé du coude sur l'île ; un immense Nakiro long comme l'armée de l'Empereur ! Adossé aux étoiles, je les nargue, ces vermisseaux qui s'agitent en vain contre leur destinée, et les voilà qui traversent le pont ; l'esprit de l'Ancêtre de Shigeru vient l'exhorter au combat, l'insulte, le raille, et le Crabe court sus à l'ennemi : devant lui se dressent deux samuraï maudits, revenus des profondeurs de l'Outremonde pour frapper les vivants.


:samurai:


Tonnerres sur Rokugan

BRRRRMMMMMMMM

Roulant aussi vite que les poney le permettaient, les deux chariots roulaient sur la vieille route de terre, dépassant des groupes de heimin chargés de ballots de riz et des patrouilles de yoriki, surpris de voir un tel attelage, mené par un Licorne sur sa grande monture, une bushi Mirumoto et un rônin. :shock:
Nos héros se retrouvèrent au village stratégique du nord. Shigeru-san expliqua à Kohei-san ce qui s'était passé, avec le clan de la Tortue.
- Nous n'avons plus de temps à perdre, dit le Licorne. Tant pis si notre troisième chariot ne contient maintenant plus que de l'eau et du riz. Pressons-nous pour arriver à la Cité des Apparences, le chemin est encore long. Nous avons à traversé une bonne partie des terres impériales, en direction du nord, après quoi nous passerons chez nos amis du Phénix, et nous bifurquerons vers l'ouest pour arriver dans la cité du général Morozane.

Il y avait en plus de nos héros le rônin Ozaki, toujours volontaire pour les accompagner, tandis que les traîtres étaient tous morts ou en fuite.
Les cinq samuraï reprirent leur voyage, faisant le moins d'étapes possibles. Ils laissèrent derrière eux la grande plaine d'Otosan Uchi, puis s'enfoncèrent à nouveau dans les campagnes paisibles, immobiles de Rokugan.
Ils passèrent au large du somptueux palais du champion d'Emeraude, actuellement sans possesseur direct autre que l'Empereur, puis, trois jours plus tard, près de Zumiki-mihari, la tour de guet de la famille Otomo, près de la frontière du Phénix.
Deux jours plus tard, sur la route, à la sortie de Mamoru Kyotei Toshi (Cité du Traité Respecté), ils firent une rencontre -heureuse cette fois-ci- et surprenante. Cheminant ensemble se trouvaient là Isawa Ayame, Bayushi Bokkai, Kakita Hiruya ainsi que Shiba Ikky.
- Teyandee ! s'écria Kohei, faisant se cabrer son cheval, que faites-vous là, honorables samuraï !
- Kohei-san ? dirent les quatre voyageurs. Que faites-vous donc là ?
- Teyandee, nous nous rendons à la Cité des Apparences ! Nous sommes au service du seigneur Uji, et nous menons cette caravane au général Daidoji Morozane !
- Alors faisons route ensemble !
- En avant ! lança Shigeru.

:samurai:

- A l'assaut ! cria Shigeru.
La nuit se faisait de plus en plus épaisse, noircissant les eaux rouges entourant l'île et le village thermal se transformait en cloaque, en province de l'Outremonde. L'immense spectre du grimaçant Nakiro disparut, comme dissipé par la pluie grise qui tombait drue sur le grand pont.
Deux samuraï aux âmes et aux armures maudites venaient d'apparaître devant nos héros, et deux autres derrière.
A ce même moment, Hida Shigeru premier du nom, ancêtre de Hida Shigeru, venait d'apparaître depuis le royaume des morts pour insulter son descendant et lui insuffler courage et haine de l'ennemi.
- Shigeru ! tu n'es pas sur la muraille ! tu fais honte à ton nom ! à ta famille !... Vas te battre comme un vrai Crabe ! Ne recule pas devant ces créatures maudites ! En avant !
Rendu frénétique par les cris de son Ancêtre, que lui seul pouvait entendre, Shigeru-san fonça, brandissant son katana, seul face aux deux samuraï souillés. Le choc fut brutal. Shigeru fut blessé par les attaques de ses ennemis, qui de leur vivant avaient dû étre de puissants samuraï. Peu après, Kakita Hiruya et Mirumoto Ryu arrivaient à la rescousse. Mais à trois, ils eurent toutes les peines du monde à défaire leurs assaillants.
A l'arrière, Shinjo Kohei, Bayushi Bokkai et Suzume Yugoki avaient engagé le combat contre de semblables ennemis. Entre les deux groupes, Shiba Ikky protégeait Ayame des atteintes des sabres pleins de souillure.
Le combat fit rage sous la pluie battante, entre les samuraï, chacun d'un côté du seuil de la vie, observés par les dizaines de crânes qui flottaient à la surface de l'eau.
Les garde-fou du pont furent brisés en plusieurs endroits par les coups de sabre furieux qui s'échangeaient les onze bushi.

:samurai:

S'étant regroupés pour finir le chemin qui les séparait encore de Toshi Ranbo wo Shien Shite Reigisaho, nos héros se racontèrent leurs dernières journées, depuis qu'ils s'étaient séparés, à la fin de la cour d'hiver, environ un mois après cette nuit terrifiante où ils affrontèrent Nakiro le dément et ses sbires.
Kohei-san, Shigeru-san et Riobe racontèrent leur voyage depuis Shiro Daidoji, puis Ayame-san expliqua la raison de leur voyage à elle et ses compagnons : ils désiraient se rendre dans la bibliothèque de la Cité des Apparences, pour y retrouver un important parchemin. La prochaine attaque des Lions mettait en péril la bibliothèque, il importait donc de sauver le document d'une problable destruction. La veille, Ayame, Bokkai et Hiruya avaient croisé une patrouille de Lions, qui galopaient en plein dans le territoire des Phénix, et n'avaient pas voulu entendre raison. Si tous les Matsu étaient dans le même état d'esprit, on pouvait s'attendre à un conflit sans merci, car leur orgueil ne connaissait plus de limites !
Le lendemain, alors que la caravane n'était plus qu'à quelques lis de la Cité des Apparences, qui apparaissait au loin, ils virent, devant eux, leur barrant la route, la même patrouille de garde-frontières Matsu...

:samurai:

A l'avant Hiruya, et Bokkai à l'arrière, avaient reçu de profondes estafilades des samuraï maudits. Au bout d'un combat qui sembla durer une éternité dans ce paysage dément, la vaillance de nos héros eut raison d'eux. Déchaîné comme la mer en trombe, Shigeru-san et Ryu-san abattaient des coups meurtriers, tandis qu'à l'arrière la détermination et l'honneur du Moineau Yugoki eut le dessus sur ces démons à visage humain.
Nos héros mirent enfin pied sur l'île. C'était pour découvrir des horreurs encore pire. A la place des quelques bâtiments thermaux, de bains, et des sources d'eau chaude, se trouvaient des bâtiments hideux, possédés par l'esprit de Fu-Leng, et l'eau charriait des crânes. Dans le petit vilalge de l'îlot, les malades avaient été transformés en grotesques zombies, leurs esprits mangés par le démon de Nakiro.
Nos héros virent alors venir à eux, nombreux comme les gouttes de pluie, d'infâmes zombies, impatients de les dévorer ! Il pouvait y en avoir une centaine.
A moins de un contre dix, ils allaient devoir se battre en priant les Fortunes de leur accorder des dons surnaturels.
La mêlée s'engagea, dans le petit bois pétrifié à l'entrée du village. Maladroits, lents, les zombies étaient des adversaires faciles -n'était leur nombre ! Face à cette vague de couleur pourriture, nos héros furent rapidement encerclés, et mis en grande difficulté. Restée à l'arrière avec sa yojimbo, Ayame-san vit enfin arriver les renforts promis par Masanaga : une vingtaine de bushi de la famille Shiba venaient d'envahir le village, de l'autre côté du pont, et de perpétrer un impitoyable massacre parmi les villageois possédés. La fureur de tous les Phénix conjuguée s'abattait sur les créatures de l'Outremonde, et brisait leur puissance avec la voracité des flammes.
Les courageux samuraï étaient menés par Isawa Akitoki -qu'Ayame-san n'avait jamais été aussi contente de voir ! Les Shiba coururent sur le pont, en rang par trois, tandis qu'Akitoki-sama invoquait les kami du vent pour transporter encore plus rapidement les hommes : emportés par des tourbillons, ils sautèrent par dessus la rivière, et atterrirent au milieu des dizaines de zombies acharnés après nos héros.
La bataille changea aussitôt d'âme, avec tous ces Phénix littéralement tombés du ciel. Le geste assuré, parchemin à la main, Akitoki-sama les déposa en plusieurs endroits stratégiquement choisis, et rapidement, le chaos s'installa dans la mêlée. De nouveaux zombies sortaient de terre, des troncs d'arbre, de nulle part, et de nouveaux Phénix, brûlant de se battre, atterrissaient sur l'île maudite.
Une brèche s'ouvrit dans les rangs des pantins difformes, et nos héros s'y engouffrèrent aussitôt, pour aller à la rescousse du senseï Kanera.

:samurai:

Les Matsu, postés strictement de leur côté de la frontière, hurlaient à nos héros de ne plus avancer, qu'ils n'étaient pas dupes de leurs maneouvres, qu'ils savaient très bien que la caravane était destinée à la Cité des Apparences.
Ayame-san savait avec certitude qu'elle et ses compagnons se trouvaient encore du bon côté de la frontière, mais les Matsu n'étaient plus prêts à entendre raison.
- De toute façon, dit Kohei à ses amis, après qu'Ayame avait tenté de parlementer, nous devrons passer et avancer, pour arriver à notre destination. Nous n'avons d'autre choix que de nous battre, car les Matsu ne feront pas marche arrière.
- Cela me convient, sourit Hiruya-san, impatient d'en découdre avec les ennemis de son clan.

Il y avait un grand ciel bleu, et de grands coups tonnerres au loin, puissants et sereins, passant comme en leur royaumes sombres, et le vent faisait frissonner le grand tapis vert de la prairie.
Ozaki et Riobe se postèrent auprès de la caravane, l'arc à la main. Shigeru-san resta à l'avant, et mit en branle le convoi. Aussitôt, les Matsu envoyèrent une volée de flèches, à titre de semonce, qui vinrent se planter non loin de Kohei-san. Il n'était plus question d'attendre. Simultanément, Hiruya, Ryu, Bokkai et Kohei tapèrent les flancs de leurs chevaux, et se lancèrent au galop contre leurs ennemis. Sur son destrier, le Licorne bifurqua soudain, engageant un grand mouvement de côté, arrivant face au flanc de ses ennemis, son grand arc à la main. A bonne distance, il décocha une flèche, qui blessa un des six Matsu garde-frontière, juste avant que la charge combinée de ses amis n'atteigne de plein fouet les bushi à pied !
Le choc fut des plus violents : deux Matsu passèrent sous les sabots des poney, un autre fut frappé de plein fouet par Bokkai et Hiruya ; deux autres répliquèrent, désarçonnant soudain Ryu, et la meurtrissant profondément. Une autre flèche de Kohei-san frappa soudain l'un des Matsu ; puis Bokkai et Hiruya achevèrent leurs opposants.
En garde à côté de la caravane, les autres samuraï virent surgir un groupe de cavaliers Matsu, de derrière une colline. Au nombre de six, ils se précipitèrent vers la caravane par le flanc, s'arrêtèrent soudain, et commencèrent à décocher des flèches enflammées contre l'un des chariots. Shigeru se précipita vers eux, tandis qu'Ozaki et Riobe répliquaient par des flèches ! Et ces flèches devaient bien, selon les exigences de qualité de Yasuki Taka, s'appeler "Ozaki" et "Riobe" car elles firent mouche.
Hélas, l'un des chariots fut frappé par trois flèches enflammés et s'embrasa rapidement. Shigeru engagea le combat vaillamment contre les quatre cavaliers, soutenu par les tirs des deux rônins.
Kohei-san s'était approché de Ryu-san ; elle respirait encore, mais elle avait reçu un très vilain coup. Le Licorne banda encore son arc, et décocha ses traits contre les cavaliers Matsu. Ses flèches, ainsi qu'une nouvelle charge de Bokkai et de Hiruya permirent d'en finir avec les garde-frontière Matsu !

Dans cette petite campagne de Rokugan, aux confins des territoires de la Grue, du Lion et du Phénix, une escarmouche des plus violentes se terminait, si rapide que les grands nuages sereins avaient à peine eut le temps de se transformer et de prendre un de leurs nouveaux aspects, fantastiques et toujours changeants !
Dernière modification par rahsaan le 30 avr. 2006, 18:53, modifié 5 fois.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 30 avr. 2006, 18:25

La Cinquième Réincarnation - 11e Episode : Les feux d'artifice de Toshi Ranbo (suite)

Tonnerre sur Rokugan (suite)

:samurai:

Alors qu'ils approchaient du village, nos héros furent soudain confrontés au grimaçant et hideux Nakiro, qui venait les narguer !
- Vous venez prendre les eaux, samuraï ? suivre une cure thermale ?... soyez donc les bienvenus !... Si vous désirez revoir le senseï Kanera, il est trop tard ! son âme nous appartient désormais !... en revanche, pour vous consoler de sa perte, laissez-moi vous présenter la dernière créature que j'ai invoquée ! Une grande réussite... Entre donc : Oni no Kanera !

En entendant ce nom, nos héros furent autant stupéfaits qu'apeurés ! Ce monstre de Nakiro avait osé lié le nom du vénérable senseï à un oni ! Cela dépassait l'imagination ! une telle ignominie était à peine concevable !
Le monstre sortit de terre dans un grondement sourd... BRRRRRRBRRRMMMM
Il ressemblait de très loin au senseï. La peau bleu-vert, de longs cheveux argentés, des visages agglomérés partout sur son corps, et des gueules qui hurlaient en silence partout sur lui ; de longs bras, terminés par des griffes effilées comme des sabres, des muscles puissants, un aura démoniaque autour de lui, il était aussi sanguinaire, carnassier, féroce que le senseï était sage, paisible et maître de lui-même.
L'infâme monstre se jeta sur nos héros comme un mort de faim. Il se battait avec une force surnaturelle, et les blessures les plus graves semblaient être des écorchures pour lui. Déjà blessé sur le pont, Koehi-san, après avoir délivré plusieurs coups qui auraient terrassé un homme, s'écroula à terre, vaincu par la douleur. Shigeru-san, galvanisé par la puissance de son ancêtre, tapa à coups de tetsubo sur le monstre, comme il l'avait tant fait sur la Muraille, de toutes ses forces, avec la puissance d'un rhinocéros en charge.
Hélas, malgré sa force, sa hargne et son courage, les blessures infligées par l'oni furent les plus fortes et il s'écroula à son tour. Bokkai et Yugoki, chacun à leur manière, envoyaient des coups précis et ciblés, qui rendaient le monstre de plus en plus fous de rage ; Hiruya, déjà blessé, eut du mal à frapper le monstre, et finalement, Ryu, ses deux sabres voltigeant élégamment, tourbillonnant autour d'elle, porta plusieurs coups dont le dernier s'avéra mortel pour Oni-no-Kanera !

:samurai:

Déflagrations

A peine la caravane mise en sécurité derrière les murs de la Cité des Apparences, nos héros furent envoyés chez les médecins et les shugenja, pour y défaire leurs armures et y panser leurs blessures. Ryu-san fut l'objet des soins des guérisseurs Asahina et des moines.
La ville était sous le coup de la loi martiale. Les terribles piquiers de la famille Tsume veillaient à l'ordre à l'intérieur des murs, et gardaient les convois de heimin qui se proécipitaient dans les remparts, pendant que les patrouilles de samuraï Daidoji terminaient de vider les villages de tous les animaux, et d'emporter toute la nourriture possible à l'intérieur des murs. Les villages alentours étaient désertés, et la ville intra muros grouillait maintenant de monde, de cette agitation incessante des préparatifs à la guerre. Partout en ville, les Daidoji faisaient renforcer les murs par les hommes de peine, et les sections spéciales, sous le commandement direct du général Morozane, installaient des pièges, renforçaient leurs abris discrets, s'assuraient des mécanismes de trappe, de flèches, qui devraient surprendre les Matsu si ceux-ci parvenaient à entrer en ville. C'était un travail minutieux, qui n'aurait rien eu à envier à ceux de la famille Bayushi, pour faire de chaque pouce de terrain un lieu mortel pour les Lions, qui fonceraient tête baissée dedans, en hurlant le nom de leur glorieuse Ancêtre.
On dirigeait les nombreux rônins recrutés pour l'occasion aux points les plus dangereux de la défense. Bien sûr, jamais les Grues n'iraient se vanter après coup d'avoir employé les services des hommes de la vague, mais on était chez les Daidoji, à la Cité de la Violence derrière la Courtoisie, et les Matsu approchaient à la vitesse de la marée montante !

Nos héros furent reçus par le général Morozane, qu'ils avaient déjà rencontrés -sauf pour Bokkai et Shigeru- l'été dernier, quand ils poursuivaient Hikozaemon, le rônin souillé, avant qu'il ne soit l'un des invités d'Isawa Masanaga.
1er épisode a écrit :Après de difficiles négociations, nos samourai purent poser le pied en terre Lion. Ils durent passer la nuit à la Cité des Apparences. Les honorables bushi Daidoji devaient donner l'assaut à l'aube, le lendemain, contre la forteresse Matsu.
- Seigneur Morozane, cria Kohei en se jetant à genoux devant le général, j'ai failli à ma mission ! Des trois chariots que l'on m'a confiés, je n'en amène que deux, et l'un n'est plus rempli que de riz et d'eau ! Demande-moi de m'ouvrir le ventre et je le ferai !
- Mais non, mais non, répondit le général, en regardant ailleurs, l'air de prendre la chose à la légère, tu n'as pas échoué. La caravane est bien arrivée, c'est l'essentiel...
- Demande-moi de combattre pour toi, et je le ferai avec joie ! criait encore Kohei-san, en se prosternant tant qu'il pouvait.
- Allons, allons... je sais que tu es un noble guerrier, Kohei-san, et je pense que tu as rempli ta mission. Le voyage n'a pas été trop pénible ? tu n'as pas rencontré trop d'ennemis ?
- Le voyage fut sans difficulté. Plusieurs ennemis ont voulu s'emparer de ces chariots, mais nous les avons tués. Mais hélas, Morozane-sama ! je t'amène malgré cela bien peu de ce que t'on avait envoyé !
- Ah ?... oh, ce n'est pas si grave, tu sais ! après tout, la vraie caravane est arrivée en bon état, pendant que les Matsu s'acharnaient contre celle que tu conduisais... Tout va bien donc.
Le silence se fit pendant quelques instants, brisé seulement par Kohei :
- Par Benten ! Morozane-sama ! ta sagesse est immense, et ton discernement inégalable ! quelle joie et quel honneur d'avoir protégé cette fausse caravane pour toi !!...
Quelques rires parcourent l'assistance, pendant que le malheureux Licorne réalisait comment on s'était servi de lui.
- Vous voyez, dit Ryu-san à Shigeru-san, je l'avais bien dit qu'il fallait une seconde caravane !

- Allons ! lança Morozane à l'intention de tous, maintenant, il faut nous préparer à la bataille ! que chacun rejoigne le poste qui lui a été assigné ! Matsu Gohei n'attendra pas une journée de plus pour attaquer !
Aussitôt, les officiers s'inclinèrent devant leur général, quittèrent la grande salle et se repartirent dans la ville. Déjà, l'armée Matsu était en vue des murailles. Chevauchant à sa tête, trident en main, le général Gohei exaltait la vaillance de ses hommes, qui s'apprêtaient à déferler sur la Cité.

:samurai:

Alors que nos héros frappaient de toutes leurs forces, et avec toute leur maîtrise du sabre, le monstre qui avait pris le nom du senseï Kanera, Ayame-san et Ikky-san contournèrent l'affrontement, et coururent en ville. La shugenja serrait dans sa main les ciseaux à lame de cristal donnés par Emmon.
Les rues de la petite cité thermale étaient tortueuses. On en voyait pas le bout !

Ces rues étaient tortueuses comme celles de la Cité des Apparences. Peu avant le début de la bataille, alors que les Daidoji prenaient position, suivie de Bokkai et Hiruya, la shugenja courut vers la bibliothèque, pour y trouver le parchemin dont Emmon avait parlé.

La nuit était maintenant complétement tombée. Seules sur cette île thermale inconnue, Ikky et Ayame se trouvaient incapables de sortir des rues, qui tournaient et se retournaient sur elle-même ; il y avait pourtant peu de bâtiments, mais à mesure qu'elles s'y enfonçaient, les deux samuraï-ko en voyaient de moins en moins la sortie. La fureur de la bataille semblait lointaine. Tout ici était froid, mort, désert, loin de tout, comme dans une autre terre, et bientôt, les deux femmes ne reconnurent plus rien, ni les bâtiments, ni les rues et quand elles voulaient revenir sur leurs pas, elles se perdaient encore plus, dans une fuite en avant imperturbable.

Les rues de la Cité des Apparences étaient très encombrées, et ce ne fut que grâce à Kakita Hiruya que le petit groupe put accéder sans trop de difficulté à la bibliothèque. Celle-ci avait été transformée en dépôt du trésor. Tous les parchemins avaient été entassés dans une petite pièce. Fébrilement, le groupe se mit à la recherche du bon parchemin. Ayame avait en effet trouvé dans sa chambre un mot laissé par Emmon, à son intention, lui signalant qu'elle pouvait trouver un parchemin intéressant à la Cité des Apparences.

Un vent glacé soufflait dans les rues. Des visages apparaissaient sur les murs, s'enfuyaient, allaient, venaient, comme ces petites filles qui jouaient dans les rues, narguaient Ayame, ricanaient et s'enfuyaient aussitôt.
- Suis-moi donc Ayame ! suis-moi donc ! moi je voudrais tellement te connaître mieux. Tu ne cherches que moi, tu as fait tant d'effort, viens dans mes bras et nous serons ensemble pour toujours, et tu me connaîtras à jamais !
Ikky-san remarqua combien Ayame s'était mise à trembler, paralysée par la peur. A nouveau, la tentation, celle qui l'avait déjà vaincue au palais, quand elle avait tracé le nom sur le parchemin. C'était trop fort. Des paysans, des visages de son passé, des Nobuyori, des Emmon passaient dans le village, si proches et si loins d'elle, et Ayame revit les soudards qui, il y a plusieurs années de cela, s'étaient approchées d'elle, l'avaient attaquée, et lui avait brisé le bras. Elle se souvint de la douleur quand il fallut l'amputer, et des semaines de souffrance incessante après...
Premières vapeurs d'opium, pour calmer cette douleur, puis une lente dérive dans ces vapeurs bleutées, cotonneuses...
Brume, poussière, tremblement : au-delà des murailles, Matsu Gohei pointait le ciel de son trident, à en percer les nuages, et donnait le signal de l'assaut. Choc immense, effroyable, entre les premières lignes de la famille Matsu, et les piquiers de la famille Tsume, prêts à se sacrifier pour leur ville. Des centaines de flèches pleuvaient sur les assaillants, et des cascades d'eau brûlante tombaient sur les bushi Lions qui venaient à l'assaut des remparts.
Le tremblement surhumain de la charge des Lions ébranla toute la cité et chaque flaque d'eau, chaque demeure. A l'intérieur des murs, on savait la dernière heure arrivée.
En haut de la plus haute tour de la ville, les généraux agitaient leurs éventails de guerre pour transmettre leurs ordres aux taisa et à leurs troupes, qui défendaient comme des enragés les murs. Morozane voyait s'achever un cycle de six ans. C'était le temps qu'il avait tenu cette ville face aux assauts de Matsu Gohei. C'était la croix élevée en l'honneur d'Akodo Arasou qui prenait feu maintenant, transpercé de plusieurs flèches enflammées tirées par les Matsu. Le monument de bois croulait lentement, comme le souvenir du brillant tacticien Lion, tué lorsque les Grues, emmenés par Morozane avaient pris la ville. Daidoji Morozane se souvint du plan de guerre élaboré par son ami et tacticien Daidoji Yajinden, celui-là même qui venait de penser à envoyer deux caravanes, dont une fausse pour attirer les Matsu, celui-là même qui avait appris à Morozane comment tuer à coup sûr Arasou pendant la bataille, grâce à un informateur de confiance... Matsu Tsuko était entrée, au soir de la bataille, dans une colère abominable, en apprenant la mort d'Arasou. Peu après, sorti de son couvent, Akodo Toturi prenait la tête de sa famille, et devenait le général le plus brillant du clan.

La fureur de tous les guerriers de Gohei finit par avoir raison des murs. En ville, Ayame revenait vers le palais, et dans le fort central, nos autres héros achevaient de revêtir de lourdes armures de combat....

Ayame avait très peur, les visages venaient à elle, la séduisaient peu à peu.
- Non, non, elle est à l'intérieur de moi ! je n'y peux rien !
Ayame se tenait le visage dans sa main, et se retenait de fondre en larmes.
- Arrêtez, cria Ikky au milieu du silence absolu des rues du village. Je suis votre yojimbo ! Je vous protège de vos ennemis, et maintenant je saurai vous protéger de vous-mêmes, de vos ennemis intérieurs ! Suivez-moi maintenant, c'est moi qui prend le commandement !
- Je ne peux pas !... je n'y peux rien... elle me hante...
Ikky agrippa par le bras la shugenja et la mena en avant, tandis qu'Ayame restait prostrée, et se laissait tirer en avant.
A l'entrée du village, l'oni-no-kanera agonisait sous les coups répétés de nos héros. A terre, Kohei-san et Shigeru-san n'étaient pas en danger de morts, mais certainement incapables de combattre. Bokkai, Hiruya, Ryu et Yugoki coururent au village, alors que les gardes Shiba progressaient au milieu des zombies de plus en plus nombreux.

Engoncés dans leurs armures lourdes, Kohei-san et Shigeru-san tenaient l'étroit escalier contre l'assaut des Matsu. Le Crabe abattait son tetsubo, pendant que Kohei résistaient aux coups et couvrait son camarade. Les Lions, de plus en plus nombreux, repoussaient vers le haut de l'escalier les deux samuraï. Alors qu'ils venaient d'en abattre trois coup sur coup, le Crabe et le Licorne virent avancer une grande plaque de bois et de fer, poussé par les Matsu. Brandissant son tetsubo, Shigeru fracassa ce grand bouclier, et Kohei fendit la tête de plusieurs des porteurs. Mais il était trop tard. D'autres Lions arrivaient par derrière, et nos deux héros durent refluer vers la grande salle, où leurs compagnons se battaient, pied à pied contre les Lions qui, après avoir envahi la ville et essuyé de considérables pertes contre les pièges Daidoji, achevaient de prendre le fort. Morozane et ses plus proches yojimbos se battaient avec une énergie intarrissable, montrant l'exemple à Bokkai, Hiruya, Ryu et Riobe.
Soudain, par la grande porte, entra Matsu Gohei en personne, fumant des naseaux comme un taureau, ivre de la guerre et du sang versé !
- Cette ville est à moi ! tu as perdu Morozane !
- Tu n'auras jamais la Cité des Apparences, Gohei ! c'est toi qui as perdu !

Les Lions coururent sus à Morozane ! c'était l'hallali !
Les deux généraux ennemis croisèrent leurs lames, et s'entaillèrent profondément ! leur sang coulait comme un ruisseau au bord d'une falaise. Ils posèrent le genou à terre !
- Vas-y, cria Morozane à l'un de ses lieutenants ! Finissons-en !
- Oui, Morozane-sama.
Le Grue leva encore son sabre, blessa encore Gohei, et, dans un cri de rage, défia une dernière fois le Lion, tira son wakisahi et se le passa dans le ventre. Gohei s'effondra au sol, et fut transpercé par les quatre katana des yojimbos Daidoji, qui abattirent leurs ennemis en hurlant le nom de Morozane et trois d'entre firent seppuku aussitôt après. Le quatrième, avant de mourir, sortit une flûte en bois, et souffla dedans de toutes ses forces.
Peu après, une énorme, énorme explosion secoua toute la ville, et toute la chair de tous les combattants. Les uns après les autres, comme foudroyés par mille éclairs, les bâtiments de la ville volèrent en éclat, dans les hurlements et les explosions dignes de la fin du monde !

:samurai:

Ca va mal, et plus personne ne sait où il est, ni quand, ni sous quels cieux ni quel Empire ! Des flèches enflammées, des tourbillons de feux, des explosions de partout, des feux d'artifices secouent la ville, réduisent les bâtiments en poudre ! C'est la grande furie des élèments !
Ayame court dans les rues, serrant son précieux parchemin contre elle, suivie de Bokkai et Ikky.
Ou bien elle court hors du labyrinthe de la ville thermale, suivie par Ikky, vers ces grands bassins d'eau chaude... Au-dessus de l'un d'eux, le senseï Kanera flotte, allongé, en torpeur, et des vapeurs noires, visqueuses, l'entourent, prenant vaguement forme humanoïde. Ayame serre les ciseaux de cristal. Ikky la tire par le bras, katana dans l'autre main, et des monstres sans visage, incognito, passent autour d'elles en mumurant...

Avançant de leur pas lourd, dans leurs armures de combat, Shigeru et Kohei sont sortis du donjon de la Cité assiégée. Ils prennent leurs chevaux et montent en selle. Kohei aide Ryu, mal en point, à monter derrière lui. Suivis par Hiruya, Riobe, ils s'engagent au trot dans les rues de la ville, en plein cataclysme : tous les tonneaux de poudre gaijin explosent ! des pans de murs s'écroulent, des toits s'effondrent, il pleut des briques ! ... Dans les vapeurs noires, âcres, de la ville qui croule, Ayame, Ikky et Bokkai s'enfuient, se dissimulant derrière ces rideaux d'épaisse fumée.
Ou bien aussi, les trois mêmes approchent des bassins où l'Ombre Vivante commence à s'emparer du senseï, dont l'âme est affaiblie par l'oni à qui on a lié son nom. Comme de grands rideaux de mouches, vivants et se contorsionnant, des silhouettes tortueuses barrent la route à nos héros. A mesure qu'ils approchent, le bassin recule ; ils avancent au ralenti. Ayame plante ses ciseaux dans le corps de l'un d'eux, et le déchire comme un tissu.
D'autres silhouettes arrivent, dans les décombres ? Des Matsu !
Pendant ce temps, nos héros passent dans les rues, et envoient de furieux coups de katanas à tous ceux qu'ils croisent !

Bokkai-san demande à Ayame de lui prêter ces ciseaux. Les maniant comme un poignard, il taillade les formes noires du village thermal ! Les spectres d'ombres reculent. Ryu et Bokkai se précipitent pour attraper le senseï, dont l'âme a failli succomber.
L'oni qui s'est emparé de son nom agonise lentement, transpercé de plus de vingt coups de katanas. Soudain, sortant de partout, des profondeurs de la terre, ou tombant des étoiles, des centaines d'horreurs, nombreuses comme les fourmis, arrivent en masse, rendus fous de rage. De la vie à la mort se trouve tendu le sourire d'écorché de Nakiro le dément !

Dans la Cité des Apparences, le poivre gaijin explose de partout, et tout s'effondre, s'envole, gicle, jaillit dans le ciel, et sur l'île thermale, les forces de l'Outremonde se déchaînent et coulent comme une rivière de boue vers nos héros !...

A même le sol, Ayame s'empresse de tracer un ensemble de glyphes de protections. Plusieurs zombies sont déjà au contact, avides de dévorer nos héros, quand une grande colonne de lumière jaillit soudain du sol, entoure tous nos samuraï, et consume instantanément toutes les créatures à proximité ! La marée des pantins grotesques ne peut plus approcher à moins de quelques mètres. Rendues folles par ce rituel de protection, elles grondent, juste à la frontière, sur le bord du cercle, et celles qui s'approchent trop sont aussitôt brûlées vives. Sortis de la ville, chancelant, titubant, le corps recouvert d'éclats de jade en fusion, Nakiro approche, riant comme un déterré, se consumant lentement, et vient s'écrouler, comme un squelette qui flanche, aux pieds de nos héros. Il meurt en ricanant une dernière fois, à l'intention de Hiruya :
- Quelle chance ! j'aurais eu la chance de te croiser enfin, fils de Takaaki !...
Et Hiruya est en effet le fils de Kakita Takaaki, mort juste après la naissance de son fils, tué par un démon qu'on n'a jamais revu depuis.

:samurai:

Les créatures sont de plus en plus nombreuses... Les Matsu sont prisonniers dans cette Cité qui se détruit de partout, et les Daidoji, surgis de chaque coin de rue, de chaque maison, les harcèle impitoyablement, un par un, groupe par groupe, frappant dans le dos, alors que le grondement continu des bâtiments qui finissent de s'effondrer, les déflagrations, les vacillements forment un tremblement qui n'a plus rien à envier à l'orage !
Des flambeaux traversent les airs ! des colonnes de flammes, des arcs, des langues de feu, partout, percent la nuit ! Les shugenja du Feu ont pris pied dans le village thermal, et terrassent leurs adversaires ! Dirigés par Akitoki-sama, les Shiba attaquent de toutes parts, harcèlent leurs ennemis, et enfin Masanaga-sama arrive, et projette une grande vague d'eau cristalline sur l'île ! Légère et puissante, elle vient se déposer comme un grand manteau de soie sur les créatures souillées, et les brûle impitoyablement, par la glaciale purification de l'eau ! La terre tremble, se fendille, des zig-zag, des éclairs creusent le sol, un grondement souterrain menace l'île, et toute la Cité tremble, et partout le feu et le vent propagent la destruction !
Protégés dans leur cercle mystique, nos héros voient soudain comme un météore s'abattre sur les créatures. Apparaissant dans une aura de feu, des pierres, des rochers voletant autour de lui, son célèbre grand chapeau et son masque sur la tête, concentrant les esprits de tous les esprits de la Terre, apparaît Isawa Tadaka, l'un des cinq grands maîtres élémentaires !
Les servants difformes de Nakiro reculent face à son énergie, qui défie celle des montagnes, et soudain, en quelques gestes magiques, Tadaka-sama projettent une immense averse de jade, qui achève de consumer toutes les créatures !

Les portes de la ville sont proches pour nos héros : la Cité des Apparences disparaît dans les fracas répétés et ils parviennent enfin, victorieux, à sortir de cette ville qui implose !

L'île thermale, détruite par l'Outremonde et la puissance conjuguée des magies Phénix, menace elle aussi de couler. Epuisés et vainqueurs, hagards, nos héros sont emmenés par les hommes de Masanaga-sama au palais, après avoir réchappé à cet endroit maudit !

A un mois de distance, la Cité des Apparences et l'île thermale sont dévastées.
En cette fin d'hiver, laissant derrière eux l'île thermale, nos héros vont se remettre de leur aventure.
En ce début de printemps, laissant derrière eux la Cité des Apparences, ils retournent sur leurs terres, parmi leur clan et leur famille.
Et c'est ainsi que l'Ordre Céleste, l'Empire, son Empereur et ses samuraï sont grands !

:samurai:


Epilogue

De Bayushi Bokkai au daimyo de son clan, Bayushi Yojiro-sama,
ce 16e jour du mois du Lièvre, 1127


Puisqu'il a plu à votre honorable grandeur de vouloir correspondre avec l'un de ses plus humbles serviteurs, je me permets de poursuivre cette correspondance avec vous, Yojiro-sama.
Je suis revenu il y a peu de temps de la Cité des Apparences, que j'ai quittée alors que la famille Matsu reprenait ce bastion à la famille Daidoji, après six ans d'harassement et de guerre continuelle. Ainsi, le bras droit et le bras gauche de l'Empereur continuent de se battre entre eux, tandis que les Crabes d'agitent et que Phénix, Dragons et Licornes semblent indifférents à ce qui se passe au-delà de leur terre. Il faut donc que nous soyons là pour défendre l'Empire contre ses propres clans, contre leur folie guerrière ou leur apathie profonde.

Vous qui avez le pouvoir de tout connaître de chaque serviteur du Fils du Ciel, vous savez sans doute déjà que la famille Daidoji a eu recours au poivre gaijin contre son ennemi.
Cette année 1127 s'ouvre donc sur l'explosion terrifiante qui a secoué la ville, alors que les Matsu l'envahissaient. Oui, le général Morozane a bravé l'interdit qui pesait sur l'emploi des techniques gaijin ! Et ce félon s'est passé le wakisashi dans le ventre, juste avant de donner l'ordre, agonisant, de faire exploser tous les tonneaux de poudre. N'est-ce pas là l'habituelle lâcheté des membres de son clan, de se dérober aux conséquences de leurs actes, de refuser d'assumer leurs décisions ? Mais ce sont eux qui passent pour les beaux, les nobles, les raffinés courtisans ! Evidemment, leurs techniques de combat, quand il s'agit de se battre vraiment j'entends, sont semblables aux nôtres, en un peu moins osées.
Ils utilisent tous les coups possibles, frappent à revers, surprennent au coin des rues. On voit dans ces cas-là quelle conception de l'honneur est vraiment à l'oeuvre, derrière les beaux discours de ceux qui vous promettent batailles rangées et duels à la loyale. Belles conceptions, valables pour les batailles avec des figurines en bois, et les duels dans les dojos ! En attendant, Hida Kisada, le Grand Ours est plus que jamais disposé à abattre cette culture décadente, et tout le monde veut l'ignorer.
On m'a affirmé que l'Inquisiteur Kuni Yori a jeté un grand trouble à Kyuden Asako. Il aurait publiquement révélé des secrets de la famille Asako : ces gens chercheraient l'immortalité dans leurs villages reculés ! Quel manque de tact de cet inquisiteur, de révéler publiquement un secret, et quelle lâcheté de ces Phénix, de se réfugier dans leurs savoirs mystiques quand il faudrait agir au jour le jour pour soutenir l'Empereur...

Je vous ai déjà brièvement parlé de cette bushi de la famille Mirumoto, Ryu, fraîchement descendue de ses montagnes, qui est venue me parler. Elle m'a mis, pendant la cour d'hiver, au défi de retrouver un certain Bayushi Kishidayu, dont je pense qu'elle lui voue une haine profonde. Elle voudrait que je rappelle à Kishidayû-san qu'elle, Ryu-san, existe encore bel et bien, et elle m'a mis au défi de découvrir pourquoi elle veut le retrouver. Je lui ai répondu que je connaissais ce Kishidayû et que sa proposition m'intéressait au plus haut point. Mais je dois avouer qu'elle est parvenue à me destabiliser sur le moment. Aurais-je jamais cru cela d'un Dragon ? Sa franchise est touchante : même mon adorable fille, à l'âge de six ans, n'est plus si sincère avec son papa. J'en conclus qu'elle fera une excellente samuraï pour notre clan.

Mais cela n'est qu'anecdote pour un seigneur tel que vous, et j'abuse de votre temps en m'étendant sur ce sujet.
Car un autre sujet, plus grave, me préocuppe. Nous sommes plusieurs à savoir que notre clan cache un secret bien plus profond que tous les autres secrets, une sorte d'ultime mystère qui nous vient du fond des âges. J'ai fait la connaissance de cette shugenja, Isawa Ayame, élève du daimyo Isawa Akitoki, qui semble prodigieusement intéressée par cette Chose, et qui est prête à sacrifier de son honneur pour en apprendre plus. Elle n'a fait montre d'aucune retenue quand il a s'agit de venir me défier en pleine cour d'hiver, et d'essayer de me faire tomber le masque ! Rarement on m'avait attaqué si effrontément, et j'en ai déjà poussé au suicide pour bien moins que cela, Yojiro-sama !
Mon compagnon à cette cour d'hiver se nommait Shosuro Mone, et c'est de lui dont je désire vous entretenir. Je suis persuadé depuis plusieurs années que c'est la famille Shosuro qui détient la clef du mystère sur ces étranges ombres dont on dit qu'elles prennent vie... Bien sûr, cela ne peut sembler être qu'une reprise des ragots qu'on véhicule sur notre clan, qu'une famille de ninjas nous dirigerait, et autres billevesées. Mais j'implore le sage daimyo que vous êtes, connu pour son discernement, sa justice, son équité, de prendre garde absolument aux membres de la maison Shosuro. Je crains qu'ils se laissent prendre à leurs talents d'acteur et finissent par jouer la comédie aux autres maisons du clan, pour ne pas dire : à eux-mêmes également...

En effet, j'ai été victime d'un de ces acteurs, ce Shosuro Mone susnommé. On me l'avait présenté comme un débutant de l'école d'acteurs de sa famille, et il se trouve qu'il m'a complétement berné sur son identité réelle, et pourtant, Bayushi sait qu'on ne m'abuse pas aisément !
Son nom n'était pas Mone, mais Emmon. Et à l'âge de 23-24 ans, il mentait aussi bien qu'un senseï et se battait mieux que votre humble serviteur, qui a pourtant assidûment fréquenté notre glorieux dojo !
Je n'ai pas été prévenu de cette opération de notre clan, et je crains que ce ne soit la famille Shosuro qui n'ait manigancé cela sans nous prévenir. Si d'aventure je me trompe, je retire ce que j'ai dit, et je me plie aux décisions du clan avec loyauté. Toutefois, ce fameux Emmon me semble être un célèbre inconnu, car à l'heure où je vous parle, nul parmi la famille Shosuro n'a voulu, ou pu, me parler de lui, me dire qui il est. Est-ce encore une tromperie de cette famille, ou bien Emmon s'est-il également moqué d'eux ? Je suis d'autant plus perplexe que ce Shosuro était lui aussi en quête de connaissance, concernant ces mystères sur les ombres qui vivent... Pourquoi ne m'en a t-il pas fait part ?
A moins qu'on ne m'ordonne le contraire, j'ai la ferme intention de retrouver ce jeune acteur, car pour le bien du clan, il sera bon qu'il s'explique. Blessé après notre attaque contre l'Outremonde lors du mois du Tigre, je n'ai pu me renseigner sur lui. Maintenant que j'ai retrouvé toute ma vigueur, en ce doux printemps, je vais reprendre mes recherches de plus belle, car je crois que c'est conforme à la loyauté que je dois au clan.

Je m'honore en pensant, Yojiro-sama, que vous aurez passé quelques instants de votre journée en lisant ce que j'ai à vous dire, alors que je ne mérite pas tant d'égards.
Que les Fortunes nous protègent, mon seigneur afin que nous protégions l'Empire, quand tout le monde s'abandonne à la paresse et à l'égoïsme,

Votre bien humble,
Bayushi Bokkai


PS : Permettez-moi de terminer ce long récit par une scène qui, malgré ma méfiance envers le Phénix, a fait remonter un peu ce clan dans mon estime.
Nous étions le dernier jour de la cour d'hiver, le 31e jour du mois du Tigre. Le doyen de la cour, l'honorable et vieux senseï Isawa Kanera (qui en sait vraisemblablement autant sur les secrets de l'Empire qu'un cinquantenaire de notre clan !), après avoir échappé aux maho-tsukaï, s'était reposé pendant toute cette fin d'hiver, passant son temps en grandes méditations. C'était pour lui le dernier jour qu'il consacrait à cette vie-ci. Ainsi donc, ce matin là, très tôt, avant l'aube, il s'apprêtait à partir vers le monastère où préparerait son passage vers l'au-delà.
Plusieurs courtisans Phénix ne pouvaient se retenir de pleurer en voyant partir le vieux et honoré senseï, qui avait enseigné à deux générations de shugenjas sa sagesse et son savoir. Ces démonstrations d'émotions sont assez exceptionnelles pour être notées. Isawa Kogin prenait le premier prétexte venu pour cacher son visage dans son mouchoir, et l'honorable Masanaga s'entretenait longuement, avec celui qui fut pour lui un éducateur et un guide. Même le dur et inflexible peintre Shiba Rosanjin écrasa une larme discrêtement.
Mais la décision du senseï Kanera était arrêtée. Il avait déjà trop retardé le temps de préparer sa vie future : les larmes et les supplications n'y changeraient plus rien. Même les membres des autres clans se joignaient à l'émotion, comme si c'était un senseï de leur famille.

Enfin, accompagné d'un seul serviteur, le vieil homme quitta le palais, raccompagné par tous les dignitaires jusqu'au grand portail, et s'en alla sur le chemin, posément, sans se retourner. Alors que la nature renaissait, le deuil était dans les coeurs pour ce départ.

- C'est ainsi, il est parti, soupira même le très stoïque Masanaga, sans vraiment cacher son regret.
Kogin-san hoquetait de pleurs, soutenue par son cousin Kafu, et tous les Phénix faisaient une mine tragique.
- Venez, samuraï, proposa l'intendant Naoshige, allons nous réchauffer autour d'un bon saké, et tâchons de penser à la joie que nous avons eue de connaître cet homme.
Hélas, personne n'avait le coeur à boire.

- Suivez-moi, dit soudain Masanaga.
Je fus extrêmement surpris de ce qui se passa ensuite, mais tout le monde sembla trouver cela normal, ou du moins attendu. Masanaga, sans se vêtir pour sortir, se mit à marcher à grands pas, sortit du palais, et s'engagea sur le chemin. Tous les courtisans l'imitèrent aussitôt, et je suivis le mouvement. Le senseï Kanera devait avoir un peu d'avance, mais à son âge, il ne pouvait avancer bien vite. Déjà, nous ne marchions plus mais, tenant à la main le bas de nos kimonos qui traînaient dans la poussière, nous étions déjà en train de courir.
Après avoir battu la campagne, au grand étonnement des heimin qui allaient au champ, et voyaient tous les courtisans de sortie sans leurs apparats, nous rattrapâmes le vieux senseï, qui marchait tout de même d'un bon pas. Un solide vieil homme, par Osano-Wo !

Nous nous arrêtâmes à quelques pas de lui. Il se retourna et nous toisa sévèrement, appuyé sur sa canne.
- Senseï, murmura Masanaga, nous sommes venus vous dire au revoir.

Le puissant daimyo s'agenouilla devant Kanera-senseï, et toucha terre du front ; tout le monde l'imita aussitôt, et se prosterna bien bas. Le vieil homme resta immobile devant cette exceptionnelle marque de respect. Il était habillé comme un simple paysan, canne en bois à la main, chapeau conique sur la tête, mais il se dégageait de lui une aura mystique, une puissance, une sérénité parfaite, lumineuse, qui a même impressionné votre serviteur.
- Très bien, samuraï, puisque vous avez couru après votre vieux maître, je ne veux pas que vous soyez venu pour rien.
Le senseï posa sa canne, s'agenouilla, grommela qu'il avait mal aux articulations et qu'il allait se geler le derrière, puis devant l'assemblée ravie, et, posément, avec un tremblement dans la voix qui semblait être celui de l'éternité, récita ce tanka :

Tu vis en brûlant
Et ressuscite en mourant
Glorieux Phénix

Qui n'a pas connu les ombres
N'a pas connu la lumière


Puis il joignit les deux poings, inclina la tête, se releva, et reprit sa marche, qui le menait en haut d'une petite butte, au-dessus de laquelle le soleil s'élevait. Personne ne s'était relevé, et tous le fixaient intensément. Arrivé en haut, il se retourna, nous dit :
- Sayonara, samuraï,

Et il disparut dans la grande lumière du jour qui croissait, serein et puissant.



:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAÏ ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 01 mai 2006, 12:13

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 12e Episode
Printemps 1127

Mimura
Le village aux miracles



LA TETE DE HIRO

En ce début de printemps, le vent soufflait encore froid sur les chemins de la Libellule, tombant des immortelles montagnes du clan du kami Togashi. Le ciel était pur, et les nuages baignés par le soleil merveilleux, comme les légendaires Dragons.
Le chemin rocailleux ne permettait pas à trois samurai d'avancer bien vite.
Le sabot du cheval de Shinjo Kohei heurta une pierre qui roula le long de la pente, et s'écrasa dans un torrent au courant très vif.
Derrière, Mirumoto Ryu restait aussi silencieuse que le paysage, comme à l'habitude.

- Riobe, dit Kohei, tu as été bien silencieux ces derniers jours, depuis que nous avons quitté la Cité des Apparences.
- ...ou plutôt ce qu'il en reste, Kohei-san...
Le rônin, comme à l'habitude allait, par monts et par vaux, à pied. Il n'avait pas perdu sa force d'âme, mais son armure cliquetait, à cause de ses fixations abîmées, et la bataille dans la Cité de feu le général Morozane lui avait laissé un goût amer. Non pas tant, à vrai dire, parce qu'il avait dû se battre avec d'anciens ennemis, les Daidoji, contre d'anciens cousins, les Matsu. Mais plutôt pour les moyens employés dans cette guerre.
- Hmmm, effectivement, dit Kohei, une bien puissante magie a ravagé la Cité...
- Je n'appellerais pas cela de la magie, Kohei-san... Plutôt des moyens prohibés par edit impérial !... Les Daidoji font venir de bien étranges poudres des terres de la Mante...
- Je n'étais pas au courant du contenu des tonneaux.
- Tout de même, s'associer ainsi à ceux qui vont à l'encontre de la volonté de l'Empereur...
- Par Shinjo, j'avais une dette envers eux. ! J'ai été honoré de me mettre à leur service pour la rembourser. Un samurai n'a qu'à obéir, pas discuter.
- Vous avez raison, Kohei-san, admit Riobe.
- N'en parlons plus. Je comprends que tu désapprouves, mais c'est ainsi.

Le sentier de montagne se poursuivait, tortueux, montant doucement dans un impressionnant chaos de rocher. Le soir venu, les trois voyageurs, sentant l'envie de dormir les prendre, virent enfin un chateau perché en haut d'une butte à la pente sévère.
- Par Otaku, nous y sommes enfin. Kyuden Tonbo !

C'était déjà la 3e fois au moins que nos héros passaient par ce château. La première fois, à leur retour des terres du Lion, quand ils avaient pourchassé Hikozaemon le rônin à la langue verte ; la seconde fois, après leur terrible combat contre les minocentaures. Riobe et Ryu y étaient passé une fois de plus, après le séjour à Inchu, pour revenir à Heibetsu.
Un samurai portant les couleurs de la Libellule se tenait en haut d'un rocher, vigilant.
- Samurai ! qui êtes-vous ? cria t-il.
- Je suis le nikutai [caporal] Shinjo Kohei, de la Cité du Lac aux Rives Blanches ! Je suis accompagné de Mirumoto Ryu, de la vallée d'Heibetsu ! Et du rônin Riobe.
Riobe, Riobe... obe... obe, reprenait l'écho.
- Soyez les bienvenus pour ce soir chez nous. Notre clan vous offre l'hospitalité.
Kohei poussa son cheval au petit trot dans la pente, puis finit le chemin à pied, tout comme Ryu, tant l'accès était malaisé.
Rapidement, nos héros furent logés.
Ils prirent un bain, puis dînèrent en compagnie du seigneur Toryu. Celui-ci était content de revoir nos héros. Riobe, naturellement habile aux contes, narra leurs dernières aventures, en finissant par la chute de la Cité des Apparences.

Nos héros durent avouer que le voyage avait été fatigant. Ils ne tardèrent pas à aller se coucher. Le seigneur Toryu recevait en permanence des délégations de clans qui désiraient accéder aux terres du Dragon. Son château était le poste frontière pour tout le clan. Il y avait ce soir-là une petite troupe de Phénix qui allaient poursuivre leur chemin le lendemain matin. A vrai dire, les Phénix, cousins des Dragons, obtenaient toujours l'autorisation des Libellules.
Ainsi, après une bonne nuit de sommeil, nos héros s'éveillèrent à l'aube. Kohei-san et Riobe saluèrent Ryu qui bifurquait vers les montagnes, pour rentrer chez elle, à Heibetsu, puis ils continuèrent leur chemin.
- Teyandee, s'exclama Kohei, j'ai parfois l'impression que mon destrier est plus bavard que Mirumoto Ryu...
- Leur sagesse nous est inaccessible, sourit Riobe.

:samurai:

Les deux hommes voyagèrent plusieurs jours, quittant les arides montagnes pour descendre vers la plaine où deux fleuves convergeaient en bifurquant vers le sud. C'était la plaine de la Grenouille Riche, celle de la cité gouvernée par les rônins et du fief du seigneur Shinjo Bunjiro, et de son avisé conseiller, l'honorable Iuchi Kumanosuke.
Les deux samurai firent leur entrée, par une belle journée, dans la grouillante cité de la famille Kaeru. Kohei-san détonait dans le paysage, monté sur son grand destrier, dominant toute la foule du peuple et des samurai sans clan.
Riobe l'avait pourtant prévenu :
- Ce n'est pas un endroit pour un samurai comme vous, Kohei-san. S'il vous arrive malheur, personne ne donnera sa parole pour soutenir la vôtre.
- Allons, il ferait beau voir qu'il m'arrive quelque chose ! Le seigneur Bunjiro ne permettrait pas qu'on bouscule un samurai de son clan !
Riobe avait toussoté, sans rien répondre : officiellement, la Cité était sur les terres de la Licorne ; en réalité, elle était indépendante.

Toisant de haut la populace, Kohei avançait parmi les rues encombrées, tandis que Riobe marchait devant.
- J'ai quelqu'un à rencontrer dans cette cité, Kohei-san, dit le rônin.
- Entendu, retrouvons-nous plus tard, à la sortie de la ville.

Riobe se rendit au bureau du capitaine qui l'avait engagé à la fin de l'automne dernier. Après avoir longuement attendu, en compagnie de frères des Loups, plus ou moins crasseux, il fut introduit. Il s'assit sur un tatami, un sac posé à côté de lui.
- Assieds-toi, lui dit l'officier Kaeru. Comment te nommes-tu ? je crois t'avoir déjà rencontré, non ?
- C'est exact, Kaeru-sama. Vous m'aviez confié la mission de retrouver ce criminel, Hiro... Mon nom est Riobe.
- Oui, c'est exact. Je m'en souviens. Il nous avait abominablement trahis. Il méritait d'être pourchassé jusqu'à la mort. J'imagine que si tu reviens me voir, c'est parce que tu as réussi.
- Tout à fait, seigneur.
Ce disant, Riobe ouvrit le sac qu'il avait porté depuis la Cité du Chêne Pale. La tête de Hiro, empaillée, apparut.
Avec une grande curiosité, se grattant le menton, l'officier la regarda de près.
- Oui, c'est bien lui. Il a donc cessé de nuire. Très bien. Peux-tu me raconter ta chasse ? Car cela t'a pris tout l'hiver si je ne me trompe pas.
- Tout à fait, seigneur. Hiro était lié à plusieurs associations criminelles, des yakuzas, sur les terres du clan du Dragon ; il a aidé à l'enlèvement d'enfants. Puis, il a fui vers les terres du Phénix, où je l'ai traqué. Il comptait fuir par la côte, sur l'océan. J'ai réussi à l'attraper dans les terres Phénix, où il s'était associé avec la pègre.
- Décidément, il n'a reculé devant rien ! il méritait plusieurs fois la mort !...
- C'était un sinistre personnage, seigneur. Il m'a donné du fil à retordre.
- Bon, l'essentiel est que tu en aies fini avec lui ! Tiens, dit l'officier en sortant une bourse, voilà ta récompense. Reviens me voir, si tu veux chasser d'autres primes !
Riobe s'inclina et partit. Dehors, il ouvrit le sac : il compta cinq beaux kokus. Il se renflouait enfin ! Les Daidoji avaient payé autant pour la caravane, mais pour réparer son armure, Riobe avait dépensé une fortune. Sa bourse grossissait et maigrissait par à-coups. Il se souvenait encore de cette après-midi, chez le marchand Taka, de Kohei achetant des cadeaux pour sa famille, pour la modique somme de 7 kokus ! et sans sourciller le moins du monde !
Avec cinq kokus, il avait de quoi tenir un bout de temps.
A la sortie de la ville, l'heure vint pour les deux hommes de se séparer.

- Hé bien, Riobe, que vas-tu faire, maintenant ?
- J'ai rendu des comptes à la famille Kaeru. Je dois maintenant retourner voir le capitaine Taro, à Heibetsu. Lui aussi voulait la mort de Hiro.
Riobe tenait à la main le sac avec la tête.
- Très bien. Tu retournes donc chez les Dragons...
- Hé oui, une fois de plus, sourit Riobe.
- Que vas-tu faire ensuite ?
- Je ne sais pas encore. Et vous mêmes, Kohei-san ?
- Je rentre dans les terres de ma famille, retrouver mon père, ma femme et mes frères.
- Vous devez être un homme heureux, Kohei-san...
- Ecoute, Riobe. Je connais ta valeur. Comme rônin, tu vaux mieux que plusieurs samurai de clan que nous avons rencontrés. Je sais que j'ai tort de le dire.
"Au début de l'été prochain, va se tenir le tournoi d'Emeraude. A l'issue de cette compétition, l'Empereur désignera son nouveau Champion. C'est alors que Kakita Hiruya sera nommé magistrat d'Emeraude ! Oui, magistrat d'Emeraude, par Benten ! Et il compte me prendre parmi ses assistants. Sois à la glorieuse Otosan Uchi au début de l'été. Je suis sûr qu'il aura besoin d'un rônin. Il te connait, et sait que tu es honorable.

Un peu surpris, Riobe hésita un moment.
- Très bien, Kohei-san. Votre proposition me tente.
- Si tu acceptes, sois le 3e jour du mois du Cheval, dans cette auberge où nous avons fait étape avec la caravane, dans les faubourgs du village stratégique de l'ouest.
- Entendu, je serai là-bas le jour dit.
- J'ai apprécié te connaître, Riobe. Tu as de l'honneur.
- J'ai été moi aussi content de voyager à vos côtés, Kohei-san.

Les deux hommes se saluèrent. Kohei remonta à cheval, et Riobe tourna les talons pour reprendre le chemin du chateau de la Libellule.

:samurai:

LE PRINTEMPS DE NOS HEROS

Ayame

La shugenja rentra à la Cité du Repos Confiant, et reçut de nouveaux enseignements de son bien-aimé senseï Isawa Akitoki, en compagnie de son amie, l'aimable Isawa Kogin. Elle apprit à courir plus vite que le vent, à invoquer des nappes de brouillard et à invoquer les kamis du feu en un endroit précis.
Tous ces pouvoirs, Kogin-san les apprit aussi, plus vite et mieux, mais Ayame concéda de bonne foi que sa camarade lui était supérieure.
Enfin, au début de l'été, Akitoki-sama décréta qu'Ayame ne lui faisait pas trop honte, et accepta sa nomination au poste d'assistante du magistrat Kakita Hiruya.

Bokkai

L'honorable courtisan et duelliste Scorpion retourna dans sa famille, qui avait retrouvé son honneur, ses terres, sa gloire et l'estime de tous. Il apprit à son dojo à mieux frapper sous la ceinture avec son sabre, et à bien connaître les différents elixirs naturels à base de crachat de serpent ou de champignons comme l'amanite phalloïde. Il fit d'intéressantes expérimentations sur quelques etas choisis au hasard, et s'entraîna également à mieux faire parler les gens grâce aux fers chauffés à blanc et autres outils métalliques auxquels il sut trouver un usage tout nouveau.
Il fut très fier en voyant son fils revêtir pour la première le costume noir des guerriers du clan, et apprendre à lancer des étoiles de fer en marchand au plafond.
Il fut choisi pour devenir assistant du magistrat Kakita Hiruya et dut promettre de ne pas le trahir trop souvent.

Hiruya

L'honorable courtisan, origamiste, duelliste, connaisseur du Tao et amateur d'art rentra chez lui, et retrouva son honorable senseï, le beau, séduisant, amateur d'art et de cerisiers en fleurs, duelliste et origamiste de grand talent, Kakita Yobe. Il apprit à manier le sabre avec encore plus de finesse et de classe. Il consola ses amis Doji qui avaient rencontré Ryu et en avait été traumatisés. Il eut confirmation qu'il allait être nommé magistrat d'émeraude ; il fut félicité par toute la noblesse de sa région, remarqué par Doji Hoturi, et apprécié par Kakita Toshimoko !

Kohei

Le Licorne rentra au petit galop d'abord, puis au grand galop à travers les plaines sauvages de son pays, et retrouva son village, sa famille et sa femme. Il dut aller une fois par semaine en cure thermale, pour son plus grand bonheur, et s'habituer à vivre à nouveau dans sa maison, avec les amies que sa femme invitait régulièrement.
Il prit plusieurs kilos lors de plantureux repas avec son ami Shinjo Saranku. Il fut envoyé à son dojo, et fit la terreur des chevaux dans les premières semaines, car il était trop gros !
Il apprit à tirer à l'arc presque aussi bien que son senseï, Shinjo Hanari, et à monter et descendre de cheval à la vitesse de l'éclair.
Enfin, il rentra chez lui, et sa femme l'obligea à perdre tous les kilos qu'il avait pris lors des beuveries entre bushis. Puis il partit à Otosan Uchi retrouver son ami Kakita Hiruya, dont il devenait l'assistant.

Ikky

La courageuse yojimbo retourna au dojo de la Cité du Repos Confiant. Elle apprit à mieux recevoir les coups à la place d'Ayame, et à ne pas grimacer quand elle se faisait frapper par plusieurs adversaires à la fois.
Elle n'osa montrer sa joie quand elle apprit qu'Ayame allait repartir sur les routes avec elle comme yojimbo, et que les deux samurai-ko seraient assistantes du magistrat Kakita Hiruya, et exposées à des dangers plus terribles que jamais.

Riobe

Riobe retourna à Kyuden Tonbo. Il fut autorisé par le seigneur Toryu à entrer sur les terres du Dragon. Une délégation de Matsu, bloquée ici depuis trois mois, exprima sa rage en rugissant qu'un rônin passe avant eux !
- Ce n'est qu'un rônin justement, dit aimablement Toryu-sama. Qui se soucie de sa sécurité ? Les nobles seigneurs Mirumoto au contraire, ne voudraient pas vous inviter avant de pouvoir vous assurer un voyage paisible.
Riobe retourna à Heibetsu, passa sur la pointe des pieds près de la maison de Ryu, retrouva le capitaine Taro, et lui raconta l'histoire sinistre de Hiro.
Il partit ensuite à la recherche d'un sage ermite, Ujisato, qu'il avait rencontrés lors de sa précédente venue, peu après la chute de Ryu dans le trou. Des jours et des jours durant, il monta les interminables montagnes, arriva au pied des terres Togashi. Là, il retrouva le village de l'ermite, encore sous la neige (le village, pas l'ermite).
Le vieil Ujisato était mort peu auparavant. Desespéré, Riobe marcha dans la tempête de neige, des heures et des heures et tomba à genoux, épuisé.
Là, dans un halo brillant, éblouissant, Ujisato lui apparut, alors que la tempête s'apaisait.
- Tu retourneras à Kyuden Tonbo, voir le seigneur Toryu, lui dit-il d'une voix spectrale. Il continuera ta formation.
Riobe s'exécuta, redescendit toutes les montagnes, passa à Heibetsu en étant discret (mais pas assez pour perdre de l'honneur) quand il arriva près de chez Ryu, arriva chez le Libellule. Toryu-sama accepta de le prendre comme élève.
Le matin, Riobe gardait un poste avancé et apprenait à réparer son armure. L'après-midi, il courait avec un boulet au pied, faisait des tractions attaché par les chevilles à une corde au-dessus d'un précipice, marchait sur les mains, et le soir, il achevait de renier son ancien clan en osant plonger son regard dans le tao de Shinsei ! Heureusement, sa conscience lui faisait fermer bien vite les yeux, et il sombrait dans un sommeil aussi honorable que profond.

Ryu

La stoïque bushi retourna dans la vallée d'Heibetsu, où elle fut accueillie par une mère en larmes, une fille qui ne la reconnaissait plus, et le yojimbo de la famille qui s'inclina bien bas devant elle, et dit combien il regrettait de quitter ces deux adorables femmes sur qui il avait veillé pendant des mois et des mois, loin de sa propre famille.
Ryu alla au dojo, apprit de son sensei qu'elle était mauvaise en Nitten, que sa garde était pleine de trous et qu'elle ne savait pas se servir de son wakisashi. Au début de l'été, elle fut nommée assistante du magistrat Kakita Hiruya. On compta qu'elle avait prononcé presque une vingtaine de phrases en trois mois.

Shigeru

Le Crabe retourna dans sa famille, installée sur les terres de la famille Daidoji, non loin de chez Hiruya-sama.
Il participa au rude entraînement des "Grues de Fer", les Daidoji, vécut avec sa femme et ses quatre enfants, entendit de vilaines rumeurs comme quoi son clan devenait entièrement corrompu par la maho-tsukai, et serra les trois mains du messager Hida venu lui donner des nouvelles du Grand Ours. Il initia la famille Daidoji aux compétitions de lancer de tetsubo. Il mangeait tant qu'un shugenja Asahina déclara que son estomac devait être relié à une autre galaxie.
Au début de l'été, il retourna à Otosan Uchi, alors que le tournoi du champion d'Emeraude allait commencer, pour y devenir l'assistant de Kakita Hiruya.

:samurai:

LE TOURNOI D'EMERAUDE

Par ce beau jour d'été, Dame Soleil avait revêtu sa robe la plus étincelante, et moins que jamais, le moindre mortel n'aurait osé la contempler directement, de peur d'avoir les yeux brûlés par son insurpassable beauté. Les pieuses shugenja du clan du Mille-Pattes, parmi lesquels Moshi Wakiza, devaient dans ces jours-là entrer dans une sorte de transe amoureuse, qui les transportait, les ravissait, les emplissait d'un indicible sentiment de grâce.
Les tribunes du grand tournoi d'Emeraude étaient pleines. Autour du trône où allait prendre place le divin fils du ciel, des dizaines de samurai Otomo et de shugenja formaient un cercle infranchissable de protection. Les couleurs de tous les clans de l'Empire d'Emeraude éclataient sous la lumière parfaite, sans aucune ombre, à l'heure la plus chaude de la journée, et les étendards, les armures étincelantes rivalisaient d'éblouissement, pendant que les délégations, avec la lenteur que qu'autorisait rang, prenaient place. Les Matsu avaient été placés loin des Grues, avec les Phénix et les Dragons entre eux. Les Grues avaient accepté les Scorpions près d'eux, et leurs alliés Licornes de l'autre. Les Crabes finissaient de remplir les gradins, formant une zone tampon entre les Scorpions et les Lions.

Crabe - Lion - Dragon - Phénix - Grue - Licorne - Scorpion

Cette dernière journée du tournoi promettait d'être chaudement disputée.
Déjà, les honorables Seppun Larke et Miya Rolan, présentateurs officiels impériaux, pour meubler le temps, résumaient les journées précédentes :
- Ce tounoi d'Emeraude restera dans toutes les mémoires comme particulièrement disputé, Larke-san.
- Oui tout à fait, Rolan-san. En effet, c'est le tournoi qui élira le successeur du noble Doji Satsume, le père de Doji Hoturi, l'actuel daimyo de sa famille, et on sait quelles traces laissera le seigneur Satsume dans l'imaginaire collectif. Il laisse le souvenir d'un homme puissant, dévoué, qui s'est battu jusqu'à la mort pour le vieil Empereur Hantei XXVIII. Donc le moins qu'on puisse dire, c'est que son successeur aura fort à faire pour se montrer à la hauteur.
- Jusqu'ici, on a eu un niveau exceptionnel de compétition, avec des huitièmes de final, et même des éliminatoires qui valaient bien certaines demi-finales des tournois précédents. On a vu en effet le puissant Doji Kuwanan, éduqué aux dojo des familles Matsu, Hida et Daidoji (excusez du peu) s'incliner face au terrible duelliste Bayushi Aramoro, garde du corps et beau-frère de l'Impératrice. Et le lendemain, coup de tonnerre : c'est ce même Aramoro-sama qui doit s'incliner face à Mirumoto Hitomi, qui est maintenant l'une des favorites de ce tournoi.
- Oui, tout à fait, Rolan-san. Alors les mauvaises ont dit que c'était en fait un arrangement entre Hitomi et notre Impératrice, que, comme on dit vulgairement, Bayushi Aramoro s'est "couché" au bout de la 3e reprise -mais on sait ce qu'il faut penser de ce genre de rumeurs, hein...
- Et puis, nous avons eu aussi un quart de final de toute beauté entre le champion de la Licorne, Shinjo Yokatsu, Maître des Quatre Vents, et Shiba Tsukune, dite la Petite Tortue, la talentueuse duelliste de nos amis Phénix -duel qui s'est conclu par une courte victoire du champion Licorne.
- Oui, et d'ailleurs à cette occasion, on a pu voir l'honorable sensei Akodo Kage faire une apparition remarquée, pour saluer les deux combattants, l'un, Yokatsu, étant un ami de longue date, et l'autre, Tsukune, son ancienne élève à l'académie impériale.
- Et c'est d'ailleurs ce même jour, Larke-san, qu'un incident a émaillé la cérémonie, quand l'honorable Isawa Tsuke, Maître du Feu, a menacé de faire démonstration de ses pouvoirs si on lui refusait encore de participer à ce tournoi. Il a fallu l'intervention des très diplomates Kakita Yoshi et Ide Tadaji pour calmer le bouillant Phénix.
- On me signale qu'il a accepté un compromis, en retirant sa plainte en échange de la promesse de la tenue d'un tournoi de Jade très bientôt, rien que pour lui.
- Signalons également le forfait de Hida Yakamo, fils du Grand Ours, et grand rival devant l'éternel de Mirumoto Hitomi, toujours favorite de ce tournoi, donc.
- Hé oui, tout à fait, Rolan-san. Hitomi qui va affronter donc aujourd'hui en finale son dernier adversaire, Matsu Agetoki, le puissant général en chef de la cavalerie du clan du Lion.
- Oui, Agetoki-sama, dont on peut dire, sans vouloir le moins du monde froisser la fierté de nos amis du Lion, qu'il est arrivé en final un peu par le hasard des circonstances, puisqu'il n'est pas vraiment un duelliste reconnu, c'est vrai.
- Là encore, des rumeurs ont couru que plusieurs adversaires d'Agetoki-sama auraient été "approchés" pendant le tournoi par des hommes de l'Impéatrice, afin d'assurer à Mirumoto Hitomi un adversaire "facile" en final, mais là encore, ce sont de vilaines accusations que nous nions en bloc.
- Oui, parfaitement, tout comme les accusations d'homosexualité refoulée de la divine Impératrice, et de certaines soirées très privées avec Mirumoto Hitomi et Matsu Tsuko...
- Mais l'éthique sportive nous interdit d'en parler, et de toute façon, cela... ne nous regarde pas !
- Ah !... On me dit par un sort d''Air de communication à distance que nous allons rendre l'antenne, le temps de la réclame. Donc on vous retrouve juste après pour l'arrivée des deux grands finalistes de ce tournoi d'Emeraude. A vous Otosan Uchi !

:samurai:

C'était dans une de ces faubourgs de la capitale, là où on ne sait pas trop si on est dans la campagne ou déjà dans la ville, que les roturiers devaient, pour entrer dans leur restaurant habituel, demander poliment à un puissant destrier de la famille Shinjo, de bien vouloir se pousser de devant l'entrée.
C'était une de ces auberges qui aurait dû être bondée, mais qui ne l'était pas.
Le seul client était le maître du cheval qui bloquait l'entrée.

Shinjo Kohei-san avait le nez dans son bol de poisson et de riz, et la main toujours à portée de la bouteille de sake. Le patron de l'auberge et sa femme étaient agenouillés devant lui, et se prosternaient bien bas, gémissant et pleurant à qui mieux mieux :
- Shinjo-sama ! ordonnez seulement à votre monture de faire quelques pas de côté ! Vous savez que mes clients n'oseront jamais froisser cet animal, ni passer derrière, de peur de recevoir sa noble ruade !
Mais notre héros ne l'entendait pas de cette oreille, ni d'aucune d'ailleurs, et continuait à manger, agacé par le roturier.
Le patron promettait tout ce qu'il pouvait à Kohei, des repas gratuits à vie, une nuit avec sa femme et ses trois filles, du saké à volonté, mais rien n'y faisait : Kohei-san était aussi têtu qu'intègre.
- Par les quatre vents, heimin ! si mon cheval a choisi de se poster là, dis-toi que c'est peut-être par la volonté de Shinjo elle-même ! Veux-tu donc que la Déesse vienne te rosser pour avoir contrarié ma monture !
Et c'était les pleurs, les cris d'agonie qui recommençaient, pendant que le patron voyait la clientèle déserter l'établissement, et aller manger chez le concurrent, établi de l'autre côté de la rue. Etablissement qui accueillait complaisamment tous les affamés en ricanant et qui avait ordonné à son garçon de salle de repasser un coup de peinture sur le panneau : "Ici, meilleur qu'en face."

Enfin, Kohei baîlla, s'étira, et décidément qu'après ce bon saké, un petit somme, bercé par la musique de la joueuse de biwa locale, et les hennissements de sa fougueuse monture, était le bienvenu. Il n'écoutait déjà plus le patron se lamenter, et le chassa d'un geste agacé de la main, alors qu'il s'endormait, bien aise.

Il se passa un certain temps, où Kohei partit au pays des rêves heureux, et se vit en train de galoper dans des plaines féériques, avec de l'herbe et un ciel multicolores, sur une monture extraordinaire, et il se sentait léger, léger, et il galopait à travers des rivières de sake, puis abattait d'une flèche, tirée avec détachement, une dizaine de sangliers et recevait tous les honneurs, et on le fêtait pendant des jours et des jours. Toutefois, le banquet était soudain interrompu par les cris aigres de sa femme, la douce Iuchi Shizuka, qui lui sommait de se réveiller, en tapant sur des casseroles, et lui ordonnait d'accueillir son ami Riobe.

Kohei sortit de son lourd sommeil. C'était la femme du patron qui tapait sur sa batterie de cuisine :
- Seigneur ! un certain rônin appelé Riobe vous fait demander.
La bouche pâteuse, Kohei se remit sur son séant. Effectivement, Riobe se tenait derrière Teyandee, et essayait de se faire voir du Licorne.
- Par Otaku, gémit notre héros, en se tenant le crâne.
Il avala une bonne rasade d'eau, et cria à son cheval de s'écarter. Sa voix de stentor manqua faire s'écrouler l'établissement.
- Ohla ! oh ! Teyandee ! ohla ! pousse-toi donc de là !... ouste !
Le cheval rua fièrement, refusant d'obéir.
- Tu te pousses, ou je viens te traîner moi-même !!
Le cheval soupira, et partit au petit trot dédaigneux.
Riobe entra d'un pas décidé et salua son ami. Il n'avait pas fait quelques pas à l'intérieur que la foule des affamés, massée devant le restaurant, n'en put plus tenir, et se déversa brusquement à l'intérieur, trépignant, au coude à coude, et se rua sur les tables. Bientôt, il fallut refuser du monde.

:samurai:

A Otosan Uchi, pendant que tout le monde attendait l'arrivée des deux champions, c'était la pause réclame. Des geishas tenant de grands panneaux défilaient maintenant sur la piste.
"Prix cassés pour les croisières dans les îles de la Mante ! -20, -30, -40% !! Prenez votre billet dès maintenant !"
"Coca-Kolat au citron, le vrai goût de la conspiration."
"Bienvenue chez Bayushi, assassinats à moitié prix."
"La nouvelle collection automne/hiver 1127 : tous les plaisirs de la Rive Gauche de la Cité Impériale, à petits prix."
Pendant que les filles défilaient, la plupart des spectateurs baîllaient d'ennuis, buvaient, grignotaient, sifflaient les geishas (c'était le cas de jeunes Doji) ou les huaient (c'était le cas de vieux Phénix Asako).

- Alors, Larke-san, on parle de plus de l'invasion de la publicité dans notre vie quotidienne, et d'aucuns s'élèvent contre une telle débauche de moyens, qui favorise beaucoup trop la classe marchande, selon les adversaires de ces procédés.
- Oui, tout à fait, Rolan-san, et nous avons rencontré d'ailleurs ce matin même un des opposants à cette réclame. Voici son interview, il s'agit de l'honorable Isawa Akitoki, de la Cité du Repos Confiant.
La vision de la matinée apparut dans un bassin magique, près des deux commentateurs.
- Vous comprenez, disait le shugenja, avec toute cette publicité, on est sans cesse sollicités. Regardez un peu ma boîte à pigeons ! elle est remplie à craquer, les oiseaux s'étouffent, compressés à cinquante dans un pigeonnier prévu pour dix !... Et toutes ces geishas, vêtues de plus en plus court ! vous croyez que c'est normal qu'elles quittent leurs maisons ? Bientôt, on verra ces nanbanjin venus de l'autre côté de l'Océan nous bombarder de leurs messages de propagande pour leur civilisation commerciale et décadente !... Et je ne parle pas de la menace pour notre marché intérieur de l'invasion des produits Yobanjin, produits à bas prix par des rustres !... J'en appelle donc à la responsabilité de tous les Rokugani, pour refuser cette camelote étrangère !

- Un bien virulent message en tous cas, Rolan-san.
- Mais c'est déjà la fin de la réclame. Voici venu le grand moment !

:samurai:

Kohei fit s'asseoir le rônin, et redemanda du sake.
- Ca me fait plaisir que tu sois venu, Riobe. Je suis content que tu te joignes à nous.
- Je suis honoré de répondre à votre invitation, Kohei-san. Je suis content également de servir à nouveau des samurai honorables. Après tout, Kakita Hiruya est un noble samurai.
Kohei rit, et fit servir des fruits.
- Alors, tu as passé le printemps chez les Dragons ? c'est hors du commun !
Riobe commanda à manger à son tour, et raconta ses péripéties dans les montagnes, puis son séjour au château de la Libellule.
Kohei approuva, puis, quand le repas fut fini, les deux hommes se levèrent, le ventre bien plein :
- Allons, partons pour les abords de la Cité Interdite ! C'est aujourd'hui que nous connaîtrons le nouveau champion de l'Empereur, et que Hiruya-sama sera nommé magistrat d'Emeraude, et nous, ses assistants ! Teyandee ! Toutes nos familles sont déjà là-bas !...

:samurai:

- Le grand moment est arrivé ! Les deux finalistes entrent maintenant sur la piste, sous les ovations de leurs clans respectifs. Les tempêtueux Matsu -vous les entendez derrière nous- rugissent tous en choeur pour accueillir Matsu Agetoki, et menacent de faire crouler toute leur tribune, tandis que les Dragons, d'ordinaires absolument silencieux en toutes circonstances, laissent entendre de petits applaudissements, et quelqu'uns se laissent même aller à siffler leur championne. Les Crabes soutiennent évidemment Matsu Agetoki, de même que les Licornes. Les Phénix et les Grues, à l'inverse, désirent voir Hitomi l'emporter contre le Lion. On devine les commentaires acides que les Scorpions réservent aux deux finalistes, et ce, malgré des rumeurs d'accord entre notre Impératrice et Mirumoto Hitomi -mais nous n'y reviendrons pas.
- Voilà donc, Rolan-san, une finale qui divise les opinions, et qui promet d'être très disputée. L'ambiance est lourde ici, à Otosan Uchi, et Dame Soleil ne se couvre pas d'un seul nuage au-dessus des participants.
- Voilà maintenant les deux adversaires qui vont s'agenouiller au pied de la tribune de l'Empereur, pendant que les hérauts des familles Miya, Otomo et Seppun se sont levés pour jeter trois poignées de riz béni. On a vu le héraut Miya demander le silence aux délégations supportant Matsu Agetoki, et les sourires entendus des Grues, se déclarant que cela est juste et que les Lions offensent le divin fils du Ciel par leurs éclats de voix.
- On a remarqué la présence, non loin de notre Empereur, de l'unique délégué du clan de la Mante, signe manifeste que Hantei XXXIX serait prêt à entendre les revendications du seigneur Yoritomo.
- Voilà, les deux finalistes ont prêté serment sur leur honneur, et rejoignent maintenant leur place. C'est le grand silence maintenant. On entend plus que le cliquetis des armures des combattants. Les shugenja Kitsu et Agasha, après avoir béni leur champion respectifs, se sont retirés, ainsi que les moines, qui ont béni la piste. Ils ne sont maintenant plus que deux. Deux, et, comme on dit, il ne doit en rester qu'un !
- L'Empereur a baissé la main... Ca y'est ! le combat peut commencer !!...
- Oui, et il sera féroce parions-le !!...
- Tout de suite, Hitomi s'est mise en garde, katana pointé en haut, wakisashi en retrait, pointé vers le sol. La garde est parfaite, impénétrable... Face à elle, Agetoki a tiré son sabre, et avance posément vers elle.
- Quel suspens, ici à Otosan Uchi !... Hitomi exécute quelques gestes aux sabres, sans doute pour impressionner l'adversaire. Agetoki s'est arrêté à quelques pas, et trépigne à son tour, exécutant le célèbre cri de guerre, le haka du dojo Holblak. Impressionnant !
- Oui, et pourtant, Hitomi ne montre aucun signe d'émotion. Elle semble parfaitement en paix avec elle-même. Sa concentration est parfaitement réussie.
- Mais attention ! attaque soudain de Hitomi !
- Ohlala ! Agetoki, trop pressé de faire le foudre de guerre, ne l'a pas vue venir !
- Si ! parée ! de justesse... Contre-attaque violente du Lion ! Oh, il charge !
- Mais Hitomi est prête à le recevoir !....... Quel choc ! elle a refermé sa défense ! L'art du Nitten !...
- Agetoki revient à la charge, et rugit de plus belle ! quelle violence !
- Paré encore une fois ! Hitomi est impassible !... elle va-
- Ca y'est !... elle a frappé ! Agetoki saigne !
- C'est fini !
- C'est fini !... elle a gagné !
- Elle a gagné ! Agetoki est à genoux !
- Ohlala ! frappé au flanc ! il ne peut plus se relever !
- Ca y'est ! le juge lui fait signe ! Hitomi enlève son casque ! elle lève les bras, ELLE A GAGNÉ ! Elle est championne d'Emeraude ! Mirumoto Hitomi !
- Les Lions protestent déjà ! Les Dragons applaudissement même des deux mains !
- Les shugenja nous envoient le ralenti... Oui, regardez : elle a paré le coup d'Agetoki du wakisahi, et tout de suite, elle a contre-attaqué ! Le Lion n'avait aucune chance !
- Non, aucune !... Elle a gagné ! Fantastique ! En un éclair ! C'est parti très vite !...
- Du très beau Nitten ! ses Ancêtres là-haut peuvent être fiers d'elle ! et Togashi Yokuni, son champion, également !...
- En effet, en effet... Agetoki se retire vaincu... Ayayaye ! cruelle défaite pour les Lions, qui, on le sait, n'aiment pas perdre !...
- Matsu Tsuko, pour le coup, pourrait exiger son seppuku à Agetoki.
- Elle le pourrait, c'est certain. Nous en saurons plus d'ici peu mais avant ça-
- Attendez !... attendez ! que fait Hitomi ?... le juge relève la main. Il suspend sa décision ! Hitomi s'est arrêtée au milieu de la piste... Elle reste interdite... que se passe t-il ?...
- Quoi ? ça alors ! Non, attendez, c'est très confus... Il ne conteste pas la victoire... Il dit...
- Ohlalalala ! Sensationnel !...
- Un nouveau participant entre en lice au dernier moment !
- Sensationnel ! inouï !
- Par Benten, un vrai coup de tonnerre !
- Regardez LA TÊTE que fait l'Impératrice ! Elle broie du noir ! elle voyait déjà Hitomi championne d'Emeraude, et là, c'est le drame pour elle.
- Et ce nouveau participant n'est autre que Kakita Toshimoko ! le senseï de l'école Kakita en personne !
- Et la délégation Grue !... elle va tout casser ! c'est le délire dans leurs rangs !
- Ils sont fous de joie ! on les comprend !
- C'est Kakita Toshimoko en personne qui va venir contester au dernier moment son titre à Hitomi !...
- Alors là, pour un coup de théâtre, c'est un sacré coup de théâtre !...
- Ohohoh ! vous parlez d'une histoire ! Imaginez un peu la tête que vont faire les Dragons si jamais Hitomi perd maintenant ! Ils vont l'avoir mauvaise, comme disait mon grand-père.
- Oui, mais votre grand-père n'a pas connu pareil événement, et ce n'est pas sûr que vos petits enfants en connaissent un pareil !
- Extraordinaire en tous cas !...
- Voilà Kakita Toshimoko ! Tonnerre d'applaudissements de la Grue !... Les Phénix sont consternés de ce subterfuge de dernière minute, les Scorpions meurent de rire en voyant la tête de la malheureuse Hitomi, qui s'y voyait déjà. Les Crabes et les Licornes, pas mécontents que le combat continuent, applaudissent très sportivement l'arrivée du sensei.
- Et voyez un peu la TÊTE que font les Lions !
- Pour le coup, ils seraient prêts à descendre sur le terrain pour tout faire annuler !
- Apparemment, le juge n'émet pas d'objection. Le combat aura bien lieu !
- Nous allons marquer une courte pause, et on se retrouve juste après, pour assister à ce combat qui promet d'être aussi exceptionnel qu'inattendu ! A tout de suite ! :)

:samurai:

La foule innombrable des heimin massée aux abords de la Cité impriale avait attendu plusieurs jours de savoir le nom du nouveau champion d'Emeraude. Sévèrement encadrés par des samurai des légions impériales, ils formaient une mer compacte et bariolée.
Shinjo Kohei, monté sur son destrier, suivi de Riobe qui profitait de ce chemin ouvert devant lui, s'arrêta en arrivant en vue des hauts murs de la Cité où se déroulait le tournoi. Il sortit de sa besace un artefact venu des Sables Brûlants : une longue-vue. Il colla son oeil dessus, et fixa l'horizon.
- Vous voyez quelque chose, Kohei-san ?
- Haha ! dit Kohei, je vois de la fumée blanche sortir de la cheminée ! Ca y'est ! nous avons un champion !
Et déjà, comme un tremblement terre, la nouvelle se répandait de proche en proche, à l'allure du vent. Le peuple acclamait déjà le nouveau champion d'Emeraude, sans même encore connaître son nom.
Kohei-san et Riobe, malgré les autorisations du premier, eurent bien du mal à approcher. Ce n'est qu'au crépuscule qu'ils purent atteindre la grande maison du magistrat Miya Katsu, où les attendaient déjà nos autres héros et toute leur famille. On savait maintenant que Hitomi avait été battue, et que le successeur de Doji Satsume était bel et bien le sensei Kakita Toshimoko !
On disait que l'Impératrice était furieuse, de même que les Lions. En ce premier jour de l'été, il faisait déjà très chaud, et plus chaud encore dans les têtes des samurai de tout l'Empire !

:samurai:

LES SAMURAÏ D'EMERAUDE

Ils étaient tous alignés, dans la gigantesque cour du palais impériale, admirés par les centaines de soldats et surveillés par les statues de milliers d'ancêtres ; impeccables, dans leurs tenues d'Emeraude, à quelques pas seulement de l'entrée de la Cité Interdite. Les couleurs chatoyaient sous la lumière, sur les dalles de marbre, resplendissant sur les hauts et puissants murs millénaires.
Kakita Hiruya était parmi eux, l'un des plus jeunes, tremblant d'admiration, entouré qu'il était des hommes les plus honorables, les plus courageux, les plus nobles et les plus dévoués à l'Empereur. Il était l'un des leurs à présent, un serviteur direct du Fils du Ciel, gardien de la justice éternelle, l'incarnation de l'Ordre Céleste, un membre de l'élite de l'Empire : oui, un magistrat d'Emeraude !
Et cette centaine de samuraï se tenaient parfaitement immobiles comme les statues, alors que le plus grand duelliste que l'Empire ait connu, le maître absolu de l'art du sabre, Kakita Toshimoko, le champion de l'Empereur, passait devant eux, un par un.
Comment ne pas être transporté dans ces moments-là, et sentir que l'on touche le ciel un instant, que l'on s'est élevé si haut dans l'Ordre Céleste que les étoiles sont à portée de mains !

Le Champion d'Emeraude était accompagné d'un dignitaire de la famille Miya, qui lui présentait chacun des magistrats d'une petite phrase.
, Kakita Toshimoko adressait alors un bref signe de salutation, et approuvait ce qu'on lui disait, sans mot dire.
- L'honorable Otomo Keryu, qui a maté voici trois ans une grande révolte paysanne dans le sud, et honore nos temples de plus de 3000 kokus par an.
"L'honorable Matsu Soronote, cousin germain du général Matsu Tsuko, qui a tant fait pour débarrasser nos routes de vastes bandes de pillards. "L'honorable Miya Katsu, qui a déjà déjoué trois complots contre l'Empereur ou sa famille.

C'était le tour de notre Grue maintenant. Il avait 25 ans, et il sentait une grosse boule lui coincer la gorge.
- L'honorable Kakita Hiruya. Il a beaucoup voyagé déjà, et combattu de nombreux ennemis de notre Empereur.
La description que venait de faire le dignitaire était plutôt banale : elle pouvait s'appliquer à la plupart des autres magistrats.
Soudain, Toshimoko marqua l'arrêt, surprenant manifestement le Miya. Il regarda Hiruya dans les yeux, de son regard de feu et de glace.
- Tu es l'élève de Kakita Yobe ?
Toutes les têtes se tournèrent vers notre héros : Toshimoko posait une question !
Hiruya sentit toute sa fierté lui venir à la bouche ; elle lui permit de balbutier :
- Ou... oui, seigneur.
- Bientôt, il rejoindra les rangs des kenshinzen. Toi aussi, suis cette voie.
- Oui, Toshimoko-sama.
Le champion fit un petit sourire, et continua sa marche.
Déjà, le dignitaire avait repris sa récitation.
- L'honorable Shiba Gonjuko...
Hiruya ne se sentait plus de joie !Il aurait pu s'envoler à ce moment-là, ou voir le ciel s'écrouler sur lui, rien ne l'aurait étonné ! Ses voisins le regardèrent tous un moment, fascinés par ce jeune homme qui avait mérité de recevoir une parole d'encouragement du champion à rejoindre la prestigieuse école kenshinzen, autrement dit la crème de la crème des duellistes !

Hiruya resta encore deux longues heures, le temps que la cérémonie se termine, par un retentissant discours du champion, et il flottait sur son petit nuage.

:samurai:

Les invités étaient réunis dans le grand jardin de la propriété de Miya Katsu, sous les ordres de qui Kakita Hiruya se mettrait dans les premiers temps, afin de devenir un parfait magistrat.
Miya Katsu, de réputation, était un fin enquêteur, qui savait flairait les mauvais coups. Il ne procédait pas du tout comme les inquisiteurs Kitsuki, par preuves méthodiques. Il marchait plutôt à l'instinct au flair, comme les chiens de chasse. Il passait pour utiliser des méthodes peu orthodoxes, mais pouvait réussir là où d'autres échouaient à force de suivre aveuglément les prescriptions des codes de lois. On le disait préocuppé depuis de nombreuses années par une sombre affaire, mettant en cause un rônin accusé de crimes graves. On disait que plusieurs fois, il avait été distrait de cette enquête par d'autres obligations plus urgentes. On disait que personne ne souhaitait vraiment le voir poursuivre cette funeste affaire, mais qu'un jour, il ferait toute la lumière dessus.

:samurai:

Pour l'heure, Katsu-sama accueillait ses invités. Il y avait là Kakita Yobe, celui qui avait tout appris à Hiruya, de la vie, de l'art du sabre et de la courtoisie Grue, autant un grand frère qu'un maître. La mère de Hiruya était venue également. Veuve depuis presque aussi longtemps que la naissance de son fils unique, elle sortait pour la première fois de son village depuis bien longtemps.
Hida Shigeru était là, également, accompagné de ses quatre enfants et de sa femme. Depuis qu'il avait eu quelques ennuis sur la Muraille, le Crabe vivait sur les terres de la famille Daidoji, non loin du village natal de Hiruya.
Shinjo Kohei était venu avec son frère aîné Kenzan, son père Shinjo Zenzabûro, seigneur du village du lac aux rives blanches et sa femme, la shugenja Iuchi Shizuka, qui veillait de si près à la santé de son époux en l'envoyant régulièrement en cure thermale !
Isawa Ayame était venue avec sa yojimbo Ikky et la famille de cette dernière, ainsi que quelques membres de sa famille, sans oublier son daimyo, le sévère Isawa Akitoki, qui n'en revenait toujours pas que la brebis galeuse de ses élèves ait réussie à obtenir un poste si prestigieux. Il était en grande discussion avec Mirumoto Akuma, l'orageux daimyo de la vallée d'Heibetsu, très fier de cette jeune bushi, Mirumoto Ryu. Il est vrai qu'Akuma-sama ne connaissait pas Ryu, pas comme le capitaine Taro ou Riobe la connaissaient, et ne découvrait d'elle que les bons côtés.
Il y avait également là, petite surprise pour nos héros, Bayushi Bokkai, rencontré par nos héros à la cour d'hiver
Riobe attendait à l'écart, poliment, car il n'osait pas s'immiscer parmi ces seigneurs. Mais il pouvait observer avec du recul tout le petit manège social de ces grands seigneurs parlant avec forces effets de manche, et admirer la rencontre de gens aussi dissemblables que Yobe-sama et Akuma-sama, ou encore une conversation de pure forme entre Isawa Akitoki-sama et Shinjo Zenzaburo-sama, un maître shugenja Phénix et un seigneur des lointaines plaines Licornes ayant par définition peu à partager !

Hiruya considéra ses nouveaux assistants. Etait-ce bien sérieux de les avoir chois ? Etaient-ils à la hauteur de la tâche surhumaine qui les attendait ? Méritaient-ils bien, par leur naissance et leur bravoure, d'être ses assistants ?
Son ami de longue date, Shinjo Kohei. A moitié gaijin, bon vivant, insouciant, les jambes arquées par le cheval.
Hida Shigeru. Un foudre de guerre, mais sans aucune finesse Grue.
Isawa Ayame, shugenja opiomane, manchot, trop curieuse, désobéissante, attichée d'une yojimbo trop peu douée au sabre.
Un courtisan Scorpion, traîtreux et méchant par définition.
Riobe, un rônin.
Mirumoto Ryu, dont on connaissait les exploits en société.
Pas brillant, tout ça. Il y allait avoir du travail.
Qu'elle était dure, la tâche du vaillant magistrat d'Emeraude, fin duelliste, amateur d'origami, de belles phrases, de sake (consommé avec modération), habitué aux exploits et aux honneurs !

Le soir, il y eut un fantastique et plantureux repas, sous l'hospitalité de Miya Katsu. Hida Shigeru et Shinjo Kohei ne se privèrent pas de profiter de l'excellente nourriture, burent jusque tard, chantèrent le soir, avant de se faire taper par leurs femmes pour aller au lit. Même Bayushi Bokkai avait participé à la bonne humeur du repas, en levant plusieurs fois son verre. Il n'avait même pas empoisonné le sake, ni invité ses amis en habits noirs et semelles de crêpes !

Le lendemain matin, à la première heure, alors que la plupart de nos héros avaient un tetsubo en fer forgé en travers du crâne, tous étaient convoqués par Miya Katsu.
Celui-ci avait à ses côtés l'honorable ambassadeur Ide Tadaji, lui aussi à la cour d'hiver d'Isawa Masanaga, car c'est lui qui avait aidé nos héros à obtenir ce poste.
L'idée de Katsu-sama et Tadaji-sama était de constituer une équipe de samurai représentant tous les clans, afin de symboliser plus que jamais l'union de l'Empire, en ces temps incertains. Seul le clan du Lion avait refusé de jouer le jeu.
Après avoir expliqué à nos héros l'ampleur de leurs nouvelles responsabilités, Miya Katsu leur assigna leur première mission : débarrasser un lointain village d'une bande de dangereux pillards.

C'est ainsi que nos huit samurai quittèrent Otosan Uchi ce matin-là, après avoir dit au revoir à leurs proches, et partirent sur les grandes routes impériales, le mon d'Emeraude maintenant cousu sur leurs kimonos.

:samurai:

Chemin faisant à travers la riante campagne, nos samurai entreprirent un voyage qui les mena immédiatement au sud de la Chaîne du Toit du Monde, au pied des immenses montagnes.
Des nouvelles circulaient dans l'Empire que Toturi avait regroupé chez les Dragons une importante armée, et se dirigeaient vers le col de Beiden, où nos héros passèrent sans y trouver âme qui vive. On disait que les Crabes au sud étaient de plus en plus agités, et avaient commencé à prendre sous leur "protection" plusieurs territoires au nord des terres des marchands Yasuki. A la cour impériale, l'Alliance Tripartite (Moineau-Renard-Guêpe) avait protesté contre l'avancée piétinante des Crabes, et la menace qu'ils représentaient. Mais les diplomates Hida assuraient sur leur honneur que le Grand Ours n'avait nulle intention belliqueuse en tête, sinon contre les horreurs de l'Outremonde.

La destination de nos héros était le village appelé Mimura, situé à une demi-journée de cheval au sud du château de la famille Miya. (Les Miya sont les diplomates et porte-paroles de l'Empereur, les Seppun étant les gardes du corps et les Otomo les garants de son honneur.)
Nos samurai étaient suivis d'un important convoi, comme il sied à un magistrat impérial en déplacement. Toutefois, Kakita Hiruya avait insisté pour emmener avec lui le minimum d'escorte. Il ne venait pas en visite de prestige, mais pour découvrir et détruire des ennemis du trône d'Emeraude.

Sur son grand destrier de l'Ouest, Shinjo Kohei s'arrêtait parfois pour observer le paysage. Il avait reçu, lors de son retour printanier au dojo Shinjo, un magnifique objet venu des lointaines terres gaijin : c'était cette longue-vue qu'il avait utilisée pour observer la foule des heimin, à Otosan Uchi.
Isawa Ayame demanda si c'était magique, et Riobe dit qu'en tous cas, cela aurait un grand intérêt stratégique pendant une bataille, pour observer l'ennemi.
- Nous ne devrions plus être loin de Mimura, dit Bayushi Bokkai, qui connaissait la région, car on était sur les terres de son clan.
- Voyons cela, dit Kohei en regardant dans sa lunette.
Il observa la campagne vallonnée qui ondulait devant lui, sous le grand soleil d'été,
- Ca alors... dit-il soudain. Incroyable !
- Qui y a t-il, Kohei-san ? demanda Hiruya.
- Regarde plutôt ! c'est incroyable vraiment !
Le magistrat prit l'artefact, et observa à son tour.
- Ah oui ! incroyable !
Il tendit la lunette à Bokkai, qui se dit aussi stupéfait après avoir regardé ; Bokkai la passa à Shigeru, qui la donna à Ikky ; Ryu l'eut ensuite, puis Riobe.
Tous s'exclamaient pareillement : "Oh oui ! incroyable ! mais qu'est-ce que c'est que ça ?!! "
Seule Ayame boudait : on avait oublié de lui passer la lunette. Charitablement, Ikky tint l'objet devant l'oeil d'Ayame, qui put ainsi l'observer en le tenant de sa main.
Ce qu'elle vit -elle qui en avait pourtant vu d'autres, et des pas mûres !- la stupéfia aussi :
Au sommet d'une colline, marchant à grands pas, allégrement, presque comme s'il dansait, avançait un gros panda habillé en samurai ! Il mesurait la taille d'un humain et ne portait aucun signe de clan. Un samurai rônin panda !
- Il se dirige vers le village, dit Ayame.
- Alors, nous aurons donc l'occasion de parler à cette créature, dit Hiruya. En avant !

:samurai:

Journal de l'abbé Agatamori, chef de la communauté monastique de Mimura

Rouleau 1

C'est aujourd'hui mon 41e anniversaire. Le printemps fleurit déjà, précocement. Puisse Dame Soleil protéger, en cette année 1117, son divin fils, l'Empereur Hantei XXVIII, les familles impériales et tous les samuraï de Rokugan.
Jusqu'à hier, je me nommais Doji Agatamori. Depuis vingt ans, j'étais connu dans mon clan pour être un bon courtisan, un intrigant à ses heures, et parmi mes amis, j'avais la réputation d'être prêt à tout sacrifier pour l'amour d'une geisha, et d'être souvent l'ami de l'épouse des autres. J'ai vu avec tristesse la Cité des Apparences tomber aux mains de nos ennemis du Lion, emmenés par la famille Akodo. J'ai entendu parler de grandes festivités cette année pour l'anniversaire de notre Empereur, et j'ai entendu que son vieil ami, le seigneur Bayushi Shoju-sama, daimyo des Scorpions, allait être invité lui aussi.
J'ai la chance d'avoir échangé quelques mots il y a peu avec Doji Satsume-sama, notre Champion d'Emeraude.
Mais aujourd'hui, je dois tourner le dos à cette vie de guerre, de cour et d'intrigues. J'ai rasé ma tête, et sans regret, j'ai quitté la terre de mes Ancêtres, ainsi que les jeunes samuraï sous mon commandement. Il est temps pour moi de penser à ma prochaine vie. Je crois avoir été honorable dans celle-là, du moins autant que l'ont permis nos ennemis si impitoyables.
Je vais rejoindre la communauté des moines du lointain village de Mimura, aux confins des terres du château de la famille Miya, de celles du clan du Renard et de la profonde forêt Shinomen.
C'est là-bas que je veux terminer paisiblement ma vie, avec des hommes assagis, ayant bien vécu et laissant derrière eux les tumultes de l'âge du guerrier.

...

Rouleau 43

En ce premier jour du printemps 1127, je me souviens que cela fait maintenant dix ans que je suis arrivé à Mimura. J'étais alors le plus jeune moine de la communauté ; j'en suis maintenant le doyen.
L'Empire a bien changé durant ces années, bien plus que pendant la vie de dix de nos ancêtres. Le jeune Empereur Hantei XXXIX n'est pas entouré d'aussi nobles conseillers que son père. Pour la première fois, son épouse vient du clan du Scorpion, et c'est la propre femme de l'assassin de l'Empereur !
Au sud, la guerre menace, tandis que le Grand Ours gronde de plus en plus fort, et se gausse tout haut du jeune homme assis sur le trône d'Emeraude. On dit que près d'ici, dans la forêt Shinomen, un ancien peuple se réveille après un sommeil de mille ans. Les prophéties nous disent que l'Empereur céleste pourrait se transformer en Roi-Démon, achevant un immense cycle qui précipitera la fin de ce monde.
Nos anciens ennemis Akodo ont déchu, et maintenant, les samurai sans clan sont plus nombreux que jamais sur les routes de notre Empire. La plupart deviennent les bandits et les pillards qu'ils devaient combattre auparavant.
Qui nous rendra donc la sénénité des anciens temps, et nous préservera des malheur de ce monde évanescent ?

...

Rouleau 45

Alors que nous arrivons au milieu de l'été, en ce mois du Cheval, je suis encore confus par ce qui s'est passé, il y a de cela deux semaines. Comme je l'ai raconté, nous étions menacés par de dangereux maraudeurs, brûlant et pillant les villages de la région. Hélas, nos paysans ne savent pas se battre, et nous ne pouvons compter que sur de maigres troupes d'ashigaru, venues soit de Kyuden Miya, ou des sombres Shiro de la famille Bayushi.
Qui plus est, un de nos shugenja avait découvert des traces de souillure chez l'un des pillards que nous avons réussi à abattre. Et certains disent apercevoir certaines nuits un démon marchant sur le pont du village.
Le seigneur Ekkaido, longtemps sourd à mes appels, a fini par accepter de prendre des mesures. Il faut bien dire que c'est dans un de ses rares moments de lucidité, quand les démons de l'alcool le laissent en paix, qu'il a voulu entendre ce que j'avais à lui dire, au sujet de la ville dont il a la charge !
Ekkaido-sama a donc fait partir un messager à destination de Kyuden Miya. Moins de vingt jours après, la magistrature d'Emeraude arrivait à notre village, en la personne de l'honorable Kakita Hiruya-sama, et de ses sept assistants.
J'ai été étonné de constater qu'ils viennent de tous les clans majeurs, à l'exception du clan du Lion. C'est l'honorable Miya Katsu, qui fut plusieurs fois mon hôte, ici à Mimura, qui a envoyé ces courageux samurai.

Ils ont eu fort à faire pour combattre les maho-tsukai de la région.
Le jour où ils sont arrivés, le lunatique samuraï-panda était parti se promener dans les collines environnantes. Il était le plus souvent triste, morose, ce samuraï, ruminant la malédiction lancée contre lui, et parfois, comme c'était le cas ce jour-là, gai comme un pinson.
C'est donc lui que nos héros virent en premier en arrivant dans notre village. Ils furent plus étonnés encore de voir combien nos heimin acceptaient bien la présence de ce guerrier insolite parmi eux. Le demi-peuple admet volontiers que bien des choses le dépasse, et c'est là une attitude fort sage.

Je ne sais si cela tient au samurai-panda, à ces magistrats honorables, ou à la rencontre des deux, mais il me semble qu'un vent de folie a soufflé sur notre village pendant quelques jours.
Pendant que Hiruya-sama était en visite auprès d'Ekkaido-sama et des autres seigneurs de la région, ses assistants ont commencé leur enquête sur les menaces qui pesaient sur nous.

:samurai:

Elle est arrivée le deuxième jour au temple, alors que mes moines finissaient de couper le bois, et que je transcrivais plusieurs parchemins de sagesse ancienne. Elle se nommait Isawa Ayame. Elle pouvait avoir passé la vingtaine d'années. Elle avait perdu son bras gauche, je ne sais comment. J'ai tout de suite vu briller dans ses yeux une lueur que j'avais déjà vue chez certains. La lueur de la volonté implacable.
Elle est venue cette première fois, étudier nos parchemins, bien poliment, doucement. Elle est revenue les autres jours, tous les autres jours, chercher dans notre bibliothèque : elle s'y sentait déjà comme chez elle. C'est à peine si elle saluait nos moines. J'ai déjà vu des courtisans, dépendant à l'opium, se précipiter chez eux pour consommer de suite une pipe. A peu de choses près, Ayame-san était aussi dépendant qu'eux, mais aux bibliothèques.
Du reste, elle était également dépendante à l'opium -et cela va avoir de l'importance dans la suite des évènements.

Ayame rendit visite au vieux Yoson, devenu doyen du village à l'âge canonique de 81 ans. C'est l'un des fils de l'Oja-san [grand-père] qui avait vu le démon marcher sur le pont. Et il y a de cela soixante ans, Yoson avait assisté au combat de courageux samurai contre un horrible démon. Yoson pressentait que le démon était de retour, invoqué à nouveau par quelque maléfique shugenja. La shugenja Isawa parla aussi à Sayako, la patronne de la Cheminée du Biwa. C'était son fils qui gardait les abords de la rivière la nuit, et il s'était noyé. D'après ce qu'on m'a rapporté, elle avait fondu en larmes en parlant à Ayame-san, car elle jurait sur tous ses ancêtres que son fils était bien mort emporté par le démon, et pas en tombant dans la rivière à cause du sake, comme on l'en avait accusé.

:samurai:

C'est le troisième jour que les bandits passèrent à l'attaque. Les samurai d'Emeraude étaient là pour les recevoir. Le samurai Bayushi Bokkai frappa comme l'éclair (je connaissais bien les techniques viles de son clan ; il ne semblait pas trop en abuser ; il frappa à la cuisse des bandits, mais pas dans le dos). Mirumoto Ryu fut prise à partie par un terrible bandit, qui nous avait défiés plusieurs fois : Yoshinao. Il avait développé ses propres techniques de combat : en observant la garde d'un ennemi, il devenait capable de parer presque toutes ses attaques. Malgré l'attaque conjuguée de ses deux armes, Ryu-san ne fut pas capable de le vaincre. Yoshinao s'enfuit alors que le Crabe Hida Shigeru mettait en déroute ses complices.
Ceux-ci osèrent même profaner le temple, alors qu'Ayame-san s'y trouvait. Heureusement, sa yojimbo Shiba Ikky, bientôt aidée du rônin Riobe et de Mirumoto Ryu-san mirent en fuite les agresseurs.

Kakita Hiruya-sama, accompagné de son assistant Shinjo Kohei, revint peu après. Comme il devait repartir bientôt, il ordonna à ses assistants de préparer la défense du village contre de nouvelles attaques. Le lendemain, le magistrat partait chercher des renforts sur les terres du Scorpions, à proximité.
Pendant ce temps, Ayame-san se renseigna sur le samurai-panda. Elle apprit des paysans ce que nous savions, c'est à dire peu de choses : qu'il était arrivé ici il y a un mois, qu'il était victime d'une malédiction, qu'il cherchait dans la région celui qui lui avait jeté ce sort -en espérant trouver le moyen de l'inverser.
Il était grand, et bien enveloppé, ce panda. Il avait ses yeux tristes qui en disaient long sur son desespoir. Il avait sans doute été chassé de son clan, après avoir subi une malédiction si gênante.
Ayame-san parla également à Mirumoto Saito, la descendante de la samurai qui, il y a 60 ans, avait combattu le démon qui voulait détruire ce beau village.

Pendant ce temps, Hida Shigeru préparait la défense de Mimura avec l'aide du rônin Riobe. Je soupçonne ce dernier d'avoir été un tacticien en herbe avant de déchoir. Tous les deux, ils apprirent aux paysans quelques rudiments de maniement des armes à nos paysans.
Il fallait être prêt à combattre l'ennemi quand il reviendrait, et nous avions remarqué que les attaques se faisaient selon les cycles de la lune -sans doute un rituel sanglant pour ses pillards propagateurs de souillure !

:samurai:

Rouleau 46

J'ai entendu pendant ces quelques jours une vilaine rumeur, répandue par quelques-uns de nos paysans. Lors de l'attaque des bandits, les courageux magistrats avaient capturé deux des criminels pour les interroger. Bayushi Bokkai en particulier semblait (qui s'en étonnerait ?) apte à faire parler les gens. Lui assisté de Mirumoto Ryu et Isawa Ayame avaient donc commencé à mettre les fers sur la braise pour délier les langues trop entortillées. Il fallait que cette canaille qui avait pu les pousser à attaquer notre pacifique village.
Au bout d'un moment, il fallut en venir aux plus vilaines méthodes, de celles que seuls pratiquent les Scorpions. Assisté de deux etas, Bokkai-san a donc dû forcer quelque peu la confession des criminels.
Là n'est pas le plus grave. Le monde est ainsi fait qu'il faut parfois un grand mal pour faire parler les mauvaises gens.
Non, en revanche j'ai été choqué par les rumeurs que propageaient l'un des assistants, un eta -ce qui en dit long sur la fiabilité de son témoignage. Il disait, sans rire, que Mirumoto Ryu s'était proposée de séduire un des accusés !!
Mais il aurait fallu quelqu'un d'incommensurablement plus honorable qu'un interrogateur eta pour me convaincre d'une pareille énormité ! Par Benten, Ryu-san est aussi belle qu'une femme a le droit de l'être (moi-même, si j'avais dix ans de moins...), et je ne vois pas comment elle imaginerait seulement avoir commerce avec la plus basse engeance de la terre, alors qu'elle pourrait rendre fou d'amour nos plus beaux courtisans ! Comment serait-ce possible ! Et qui plus est, par dessus le marché, devant un Scorpion ! Qui serait assez fou pour ça ?
(Toutefois, je dois noter que ces derniers jours, Bokkai-san et Ayame-san m'ont paru fâché contre Ryu-san, mais je peux me tromper.)

Les paysans, qui ont décidément les yeux et les oreilles partout, me rapportent une anecdote amusante (Décidément, c'est un grain de folie qui a dû faire germer ce village, et on y trouve pas précisément la tranquillité sereine des provinces reculées...). C'était le jour où le magistrat Hiruya-sama était de retour au village, entre deux voyages dans la région.
Pour une raison que j'ignore, Ryu-san et Ayame-san s'étaient entretenues seule à seule, et Ryu-san en était ressorti rouge et la tête basse, comme si elle venait de se faire fortement réprimander.
Pendant ce temps, à l'auberge du Voyageur Repu, le plantureux Hida Shigeru, encouragé par le rônin Riobe, avait engagé un concours de nourriture contre le samuraï-panda. Les participants avalaient à une cadence infernale les bols de riz, pendant que l'aubergiste et sa femme s'activaient pour faire cuire la nourriture et l'amener aux mangeurs.
Mais à 1 contre 2, Panda-san était encore en tête. Arriva à ce moment entra Shinjo Kohei, impatient de se reposer des fatigues de son voyage dans la région avec Kakita Hiruya.
- Kohei-sama, dit Riobe, venez-nous aider. Il a 5 bols d'avance, on peut encore le rattraper !
Aussitôt, le Licorne se joignit à la partie, et l'équipe des trois samuraï commença à combler son retard. Panda-san n'avait plus qu'une maigre avance, quand Hiruya-sama fit son entrée dans l'auberge, l'air très fâché :
- Kohei-san, trouve-moi Ryu. Tout de suite !
Ni une ni deux, le Licorne dut lâcher son bol, et s'enquérir de l'enquêtrice Dragon. (Qu'avait-elle donc pu faire de si grave ? ce n'était quand même pas vrai cette histoire de séduction ?? je n'ai jamais su le fin mot de l'histoire...).
Réduite à deux membres, l'équipe d'emeraude ne put vaincre Panda-san, dont l'estomac était sans doute connecté à une autre galaxie.
- Il a dix bols d'avance ! gémit Riobe, à bout de force.
Shigeru-san avait aussi la panse prête à éclater. Ils posèrent leur baguette, vaincus.
Panda-san poussa alors un joyeux et énorme rot de victoire, qui fit trembler toutes les bâtisses alentours.

C'est deux jours après qu'Ayame-san décida d'avoir une conversation avec notre Panda. Elle avait parlé avec Mirumoto Saito, qui vivait au village, conformément à la volonté des ancêtres, en attendant d'avoir à combattre le démon qui nous menaçait.
Instruite par la discussion, Ayame-san eut la chance de trouver devant la porte le grand et gros samuraï-panda, qui l'attendait. De tout son poids, il se mit lentement à genoux devant elle et baissa la tête. Il attendait tellement d'elle ! Muet, il ne pouvait répondre que par des hochements de tête approbateurs ou non, et il remercia vivement la shugenja quand celle-ci promit de le délivrer de son sortilège.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 01 mai 2006, 15:58

La Cinquième Réincarnation - 12e Episode : Mimura, le village aux miracles (suite)

Journal de l'abbé Agatamori, chef de la communauté monastique de Mimura (suite)

Rouleau 47

Le jour que tous redoutaient tant était arrivé. C'était l'heure des braves. Hida Shigeru avait entraîné autant que possible quelques paysans valeureux, le rônin Riobe avait mis au point un plan de défense du village. Kakita Hiruya et Shinjo Kohei était revenu avec deux guntai de la famille Bayushi et les avait placés en défense.
Au bout de nombreuses recherches dans ma bibliothèque, Ayame-san avait fini par découvrir et déchiffrer un vieux parchemin rédigé par les samurai qui avaient combattu le démon. Il fallait invoquer cette créature sur le pont du village, où des runes magiques, gravées dans le bois, pourraient le détruire.
Mirumoto Saito et Panda-san fourbissaient leurs armes, prêts à se battre, l'une pour honorer ses ancêtres, l'autre pour abolir le maléfice et retrouver son Honneur. Shiba Ikky se tenait aux côtés de la shugenja pour la protéger, Bayushi Bokkai graissait sa lame pour qu'elle sorte plus vite du fourreau, et Mirumoto Ryu se préparait à prendre sa revanche sur Yoshinao.

La bataille s'annonçait sanglante. Elle le fut. Les bandits étaient venus en nombre pour propager misère et destruction parmi nous. Ils ne promettaient que tuerie, incendies, viols et morts.
Ils ne méritaient aucune compassion de la part des défenseurs de l'Ordre Céleste. Ils n'en reçurent aucune.
Un groupe de combattants, emmené par Riobe, Ryu-san et Panda-san se lança à l'attaque à l'est du village, en bordure de la forêt, contenant l'assaut de ce côté-là. Pendant ce temps, les deux guntai Bayushi défendaient les autres entrées principales du village, pendant que les bandits à la peau consumée par la souillure de l'Outremonde avançaient et ravageaient tout sur leur passage.
Au centre de Mimura, dans le quartier des marchands, près du pont, les combats n'étaient pas moins terribles. Les samurai se battaient férocement, et durent se résoudre à brûler plusieurs bâtiments pour dégager un terrain de bataille. De toute façon, les bandits s'en chargeaient aussi bien. Monté sur son destrier de l'Ouest, Shnjo Kohei abattait son sabre sur le crâne des assaillants, et les piétinait des sabots de sa monture. Kakita Hiruya frappaient comme l'éclair : précisément, mortellement, jamais deux fois sur la même tête. Bayushi Bokkai n'avait rien à leur envier, car son style, quoique douteux et tordu, était mortellement efficace lui aussi. Plus d'un de ses adversaires ne vit pas venir sa lame, qui s'enfonçait souvent entre les omoplates.
Le tetsubo d'Hida Shigeru tournoyait et s'abattait avec pertes et fracas sur les assaillants : c'était un muret à lui tout seul, ce Shigeru, une portion du mur qui contient éternellement les hordes de l'Outremonde !

A l'orée du bois, Panda-san progressait à grands coups de no-daishi, que lui maniait presque comme un katana, tellement il était gros et grand. Riobe tranchait directement la gorge des adversaires, et Ryu-san abattait un cercle tournant de lames sur ses ennemis.
Déjà, tous souffraient des blessures infligées à l'ennemi. Ils se battaient, le fer appelant le sang, et voyaient le démon avancer sur le pont, enragé. Il avait une forme vaguement semblable à celle d'un humain, mais il ressemblait plutôt à une bête féroce, velue, puante, enragée. En retrait du combat, Ayame-san préparait le parchemin de sort. Des volées de flèches s'abattaient sur la créature, sans paraître l'affaiblir.
Hiruya-sama se lança à l'assaut. L'une des cornes de la bête lui transperça le flanc. Il tressaillit, mais tint bon. Agrippé d'une main à la corne, il frappait de l'autre. Le Grue finit par la repousser, et hurla quand la corne ressortit de sa chair. A ce moment, Ayame-san déclencha le sort de destruction sur le monstre : une lumière jaillit des runes du bois, et enflamma l'horrible monstre. Mirumoto Saito, déjà blessée, se lança à son tour à l'assaut. Elle porta le coup de grâce, et mourut l'instant d'après, contente d'avoir purifié son kharma en obéissant à la volonté de ses ancêtres.

:samurai:

En bordure de forêt, les pillards s'enfuyaient. Yoshinao avait essayé de provoquer Ryu-san en duel à nouveau, mais Riobe lui avait crié de ne pas s'engager dans ce piège. Panda-san avait fait sa part du travail, mélangeant l'art du sabre et du sumotori pour écraser (à tous les sens du terme) ses ennemis. C'était comme une vague fracassante qui se retire soudain, et laisse le rivage bouleversé, mais soudainement paisible.
Les méchants agonisaient, les défenseurs de l'Empereur triomphaient, parmi des masures calcinées, des corps tranchés et des flaques de sang partout.

Soudain, apparut en bordure du village le terrible shugenja qui voulait notre malédiction ! Trop près pour nous rater en invoquant les kamis du feu, trop loin pour être à portée de flèche. Il leva les bras et débuta son incantation.
C'est alors que Shinjo Kohei bondit sur sa monture, l'agrippant par la crinière, et la lançant au galop. Il se redressa, alors que le sorcier préparait un impitoyable sort de destruction pour le Licorne. Hélas, ce ne furent que quelques charbons embrasés qui s'abattirent autour de Kohei-san : les kamis avaient refusé de se plier à la volonté du tsukaï ; le Licorne en serait quitte pour quelques morceaux d'armures noircis. Le shugenja voulut lire un autre sort. Hélas, l'instant d'après, le katana du Licorne, traversa sa gorge à la vitesse du galop et projeta sa tête au loin. Le corps du tsukaïresta debout, stupide, à essayer de lire le parchemin, puis s'abattit pour de bon.

L'ivresse de la victoire s'empara du village. Cette immonde menace était vaincue pour de bon, et n'y reviendrait pas de sitôt nous menacer. Des masures brûlaient encore, mais les paysans faisaient déjà la chaîne depuis la rivière.
Ainsi, quelques heures après, nous étions tous réunis, blessés ou non, au centre de Mimura, pour assister à une grande cérémonie. Sur le corps du maho-tsukai, le samuraï-panda avait trouvé le parchemin responsable de sa malédiction. Il vint s'agenouiller devant Ayame-san pour lui remettre. Celle-ci le lut ; elle hocha la tête : saurait inverser le sort.
Le peuple était donc là, ému pour ce samurai qui allait enfin redevenir normal. Nous l'aimions ainsi, c'est vrai, mais il ne pouvait pas continuer à subir cette malédiction.

Au centre de la place, entouré de tous, Ayame-san se tenait debout devant le panda agenouillé. Elle exécuta quelques mouvements du bras, puis commença à lire le parchemin. Il ne se passa hélas pas grand'chose.
- Hem hem, toussota la shugenja en essayant d'avoir de l'entrain, nous allons tous faire une petite prière pour l'honorable samuraï !

Je crois bien qu'à ce moment, les autres magistrats grinçaient des dents et riaient jaune, mais le peuple, ravi, commença à réciter des prières et à chanter, selon les indications de la shugenja.
Ayame-san reprit sa déclamation, et cette fois, les Fortunes se manifestèrent. Une grosse fumée se forma autour du Panda et l'enveloppa entièrement, gonflant, gonflant de plus en plus. Nous retenions notre souffle.
Soudain, une voix inconnue, mais enthousiaste, sortit de la fumée :
- Oh ça alors ! c'est merveilleux !
Nous étions tellement heureux, déjà ! Nous avions appris que le Panda, avant de subir sa malédiction, était un samurai du clan du Dragon qui s'appelait Mirumoto Sarutobi. Oui, il allait enfin pouvoir retourner, la tête haute, dans son clan !
- C'est merveilleux, Ayame-san ! Vous avez levé le sort de cet horrible tsukaï !
La fumée se disspipa alors, emportée par les kami-kaze. Et nous vîmes alors devant nous, inchangé, le même gros panda en armure !

- C'est merveilleux, Ayame-san ! Ce tsukaï m'avait privé de la parole ! Et elle est revenue ! Ecoutez ! je peux parler !
- Dois-je comprendre que tu n'es pas Mirumoto Sarutobi ? fit Ayame.
- Mais si ! Je suis bien Sarutobi ! Ah quelle chance que cette malédiction soit levée ! Je vais retourner voir mon daimyo ! Il m'avait chassé car il ne voulait pas d'un serviteur muet ! Mais c'est fini maintenant !

Tout le monde était tellement ému pour le panda qu'on siffla, et qu'on applaudit. Les mères de famille pleuraient de joie devant ce dénouement, les pères écrasaient une larme, c'était la fête à Mimura !
Soudain, au milieu de cette bonne humeur générale, Bayushi Bokkai cria, scandalisé :
- Mais enfin regardez !! c'est un panda !!
A ce moment, une grosse motte de terre se forma à ses pieds, et grossit, jusqu'à dépasser la taille d'une taupinière. Il en sortit un Nezumi crasseux, en armure, qui dit :
- De toute façon, vous les Scorpions, vous êtes complétement intolérants !
Et tout le monde se détourna du grincheux Bokkai qui voulait saper la bonne ambiance. A ce moment, des vapeurs violacées commencèrent à se répandre partout dans le village : c'est l'incendie qui avait repris, et qui s'attaquait la fumerie d'opium ! Le stock brûlait maintenant, et se répandait dans tout Mimura ! Les vapeurs montèrent à la tête de tous ; on se mit à chanter à tue-tête, à danser allégrement. Mirumoto Sarutobi prit une petite guitare et commença à fredonner :

Il en faut peu pour être heureux !... peu pour être heureux ! un peu de soleil et un rayon de miel !... peu pour être heureux !
Le Nezumi dansait aussi, tout le monde riait, s'aimait ; heimin et samurai s'embrassaient et fraternisaient. On sortit les réserves de sake des grandes occasions. Seule Ayame-san semblait peu atteinte par la folie ambiante. Elle trouvait l'odeur agréable, mais, déçue, n'en ressentait pas tellement les effets : elle y était trop habituée.
On fit la fête très tard ce soir-là dans Mimura, et je crois bien que Mimura n'avait pas volé ce soir là, sa réputation de village à part ! Tout le monde s'aimait, et salua longuement le miraculeux Panda qui s'éloignait dans les vertes collines, dans le soleil du soir, accompagné de son ami Nezumi, en chantant gaiement à la guitare :
Il en faut peu pour être heureux !... peu pour être heureux !




:samurai: :fleur2: See you, Space Samuraï ! :fleur2: :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 04 mai 2006, 10:40

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 13e Episode
Cheval 1127 ( début de l'été)


Le procès Kumanosuke

Bayushi Goshiu : Maître des secrets ; l'accusateur
Iuchi Kumanosuke : Senseï shugenja ; l'accusé



Témoins de l'accusation

Doji Shina : Jeune femme de cour.

Kitsuki Hanbei : Inquisiteur et magistrat Dragon.

Seppun Natakuro : Fonctionnaire de la Cité Interdite.



Témoins de la défense

Kaiu Katarô : Ingénieur Crabe.

Kitsune Sumi : Shugenja du Renard ; petite-nièce par alliance de Kumanosuke.

Shiba Rosanjin : Senseï calligraphe.

:samurai:

Au loin, dans les collines et les champs, les paysans avaient cru voir gambader un gros samuraï-panda, accompagné d'un Nezumi. Et les sages des familles se perdirent longtemps en conjecture sur la signification de cet évènement, dont on ne savait plus bien s'il n'était pas plutôt un rêve.

Remis de l'effet euphorisant des vapeurs de plantes brûlées, nos héros quittèrent Mimura, qu'ils laissèrent aux soins d'un magistrat Bayushi qui terminerait de chasser les derniers bandits de la région.

En quelques jours de voyage, notre équipe de magistrats d'Emeraude était en vue de Kyuden Miya.
Le lendemain de leur arrivée, ils furent reçus en audience par leur supérieur, Miya Katsu-sama. Le magistrat écouta le récit que Kakita Hiruya lui fit de leur séjour à Mimura : les bandits qui pillaient la région, le sorcier et l'invocation du démon, déjà aperçu dans le village soixante ans auparavant, puis la bataille qui s'en était suivie.
En revanche, Miya Katsu n'entendit pas parler du singulier Mirumoto Sarutobi, ni de l'effet des vapeurs d'opium sur la population du village, magistrats compris.
Ayame n'avait pas eu à se plaindre de cet épisode, même si elle avait noté que les plantes n'étaient pas d'une qualité exceptionnelle. Elle pensait que celui qui s'était fait vendre cet opium s'était fait avoir dans les grandes largeurs.

- Très bien, honorables samuraï, dit le magistrat. J'apprécie la manière dont vous vous êtes acquittés de votre mission à Mimura. Le calme est revenu sur la région, et vous avez ainsi prouvé que la magistrature d'Emeraude ne laisse aucun crime impuni. Toutefois, à présent, nous allons passer à une affaire véritablement sérieuse -une qui aura certainement des répercussions très importantes, et très désagréables, si nous n'y prenons pas garde.

Miya Katsu prit le temps de s'éventer et d'avaler une gorgée de jus de fruit : la chaleur n'épargnait personne en cet été.
- Je vais maintenant vous envoyer sur les terres du clan de la Licorne.

Shinjo Kohei ne put s'empêcher de remuer : enfin le retour au pays !
- Vous allez partir au chateau de la famille Iuchi, les shugenja de ce clan, au milieu de la Plaine du Vent. Une vilaine histoire s'y déroule depuis quelques temps. Le clan du Scorpion a accusé plusieurs dignitaires Iuchi de pratiques maho tsukaï.
Kohei faillit s'étrangler mais fit tout pour se contenir. Bayushi Bokkai se mit à écouter très attentivement.
- J'ignore à vrai dire les détails de l'affaire. Ce sera à vous de les découvrir. Un juge impérial a été envoyé sur place pour le procès. Il a demandé la venue de la magistrature pour instruire l'enquête. "L'accusation est des plus graves. Dans ces cas-là, des têtes finissent toujours par tomber. Partez sans tarder, aidez le juge à rendre une bonne sentence. Soyez impartiaux et remplissez votre mission comme si l'Empereur en personne vous l'avez demandé !

Les magistrats s'inclinèrent.
- Le juge envoyé sur place ne m'est pas inconnu. C'est l'un des plus célèbres de Rokugan. Il a fait trembler les plus puissants par l'acuité et le caractère impitoyable de son jugement. C'est un modèle inébranlable d'honneur, l'un des piliers de l'Ordre Céleste. Ce juge se nomme Otomo... Ban. J'ai déjà eu à instruire une affaire à sa demande, et je me suis retrouvé en contradiction avec lui. Au bout du compte, c'est sa décision que l'on a exécuté. Il trouve mes méthodes un peu trop... hétérodoxes. Il sait que c'est moi qui vous envoie. Il va vous mettre à l'épreuve. D'un mot, il peut vous glorifier ou vous faire déchoir. Plus exactement, s'il ne dit rien, c'est qu'il est satisfait. S'il parle, c'est qu'il est mécontent. Vous savez ce qu'il vous reste à faire, samuraï : soyez irréprochables.

:samurai:

Quelque peu sonnés par ce discours et l'ampleur de l'affaire -un juge tout-puissant, une accusation de maho-tsukai, le clan du Scorpion...- , nos héros restèrent silencieux un moment. Puis chacun rentra dans ses quartiers pour l'après-midi.
Le lendemain, selon le rituel maintenant bien établi, tout le monde se retrouva à la première heure à la porte du chateau, et on se mit en route vers le nord.

:samurai:

La plaine du berceau du vent était parcourue en permanence par les rafales puissantes du souffle des kami. Il y avait de grands villages informels formés par des regroupements de caravanes et de villages de tente, et au centre de cette nébuleuse nomade, quelques bâtiments en dur, prévus pour accueillir les visiteurs des autres clans.
A l'exception de Kohei, nos héros ne s'étaient jamais rendus dans cette région. C'était la première fois qu'ils voyageaient dans l'arrière-pays Licorne, dans ces vastes plaines qui paraissent situées si loin d'Otosan Uchi qu'on pourrait se croire dans un autre monde. Ils ne connaissaient ni ces montagnes, ni ces herbes, ni les chants que portaient les vents de ces contrées barbares, ni le murmure de la terre soulevée. Les nomades affichaient un air farouche devant ces visiteurs, et passaient au loin, sur leurs grandes montures. Ils étaient les habitants des ailes du vent, et les voisins d'autres civilisations, étrangères à l'ordre céleste. Des samuraï, ils avaient le daisho, mais guère plus. Pour les Rokugani raffinés de l'Est, ils étaient des caricatures d'hommes, mais, à les voir dans leur propre pays, on comprenait qu'ils étaient presque un autre peuple, qu'ils avaient ramené des lointaines terres brûlées les secrets les plus précieux du monde.

Les marchands qui s'affairaient entre les convois et les chevaux s'étonnaient de voir passer des émissaires de l'Empereur et tombaient aussitôt à genoux. Ce qui prouvait que ces gaijin n'avaient pas oublié qui était le maître de toutes leurs terres !
Accueillis dans le centre du village, là où se trouvaient des bâtiments en dur, nos samuraï furent emmenés dans une grande demeure dont le style tenait autant des motifs traditionnels de l'architecture de bon goût que des audaces surprenantes de l'art Licorne.
Si leurs hôtes se montraient farouches, c'est aussi qu'ils étaient intimidés de voir arriver ces hommes de la haute civilisation et des grandes villes parmi eux, les nomades des plaines du vent -vent dont le souffle était celui de chaque homme, de leurs animaux et de leurs flûtes.

Tout le monde trouva sa chambre. Kohei était ravi d'être de retour au pays. Bokkai se sentait mal à l'aise parmi ces barbares sans éducation. Riobe était étonné de découvrir ce pays tout nouveau, bien qu'il ait déjà beaucoup voyagé. Shigeru savait apprécier l'hospitalité des Licornes, même s'il pensait qu'ils se comportaient trop souvent comme de grands enfants irresponsables. Hiruya retrouvait ce pays qu'il avait déjà connu plusieurs années auparavant, même s'il n'était jamais allé si loin dans ces plaines reculées. Ikky et Ayame s'étonnaient elles aussi de l'atmosphère et des couleurs de cet étrange pays. Mais la shugenja savait aussi qu'on trouvait facilement de l'opium parmi ces caravanes venues du désert. Elle ne tarderait pas à leur rendre visite...

En fin de journée, alors que les magistrats se réunissait pour le repas du soir, nos héros eurent la visite d'une tête familière dans ce pays inconnu, en la personne du magistrat Ide Soshu. Timide, sur la retenue, il vint saluer nos héros, s'excusant presque d'être là. Il ne resta que peu de temps. Il souhaita seulement la bienvenue à nos héros dans le pays des Licornes.
Que pouvait donc faire Ide Soshu ici, si loin de la Cité de la Grenouille Riche où il habitait ?
Le lendemain matin, Kakita Hiruya et tous ses assistants furent convoqués dans la plus grande maison du village, une luxueuse demeure entièrement conforme au style oriental de l'Empire, sans presque aucune influence étrangère. Dans les très raffinés jardins, protégés du vent tempêtueux des plaines par de hauts murs, son Excellence le Juge Otomo Ban accueillit les magistrats d'Emeraude. C'était un homme enveloppé, de haute taille, d'une tenue impeccable. Il était vêtu du kimono traditionnel des grandes cérémonies officielles. Entouré de trois yojimbo, il dégageait une impression d'autorité absolue, d'homme habitué à être obéi au doigt et à l'oeil, qui n'a guère que l'Empereur devant qui se prosterner.

:samurai:

- Konnichi-wa, honorables magistrats.
Nos héros étaient tous déjà front contre terre face à ce personnage si puissant.
- Je remercie le Champion d'Emeraude d'avoir envoyé plusieurs de ses magistrats sur ma demande. Sachez que l'affaire qui va vous occuper est extrêmement grave. L'honorable seigneur Bayushi Goshiu, invité sur les terres de la famille Iuchi, a découvert des preuves de pratiques magiques interdites chez les Licornes. Du sang a été versé, et des démons invoqués par des élèves de l'académie Iuchi. Ils risquent tous l'exécution capitale. Six étudiants sont mis en cause : deux ont déjà été chassés du clan, et les quatre autres attendent de savoir s'ils pourront faire seppuku. Trois senseï, qui avaient ces étudiants sous leur autorité, directe ou non, sont mis en cause. Le doyen d'entre eux est le senseï Iuchi Kumanosuke. Vous allez instruire l'enquête, puis vous me rendrez vos conclusions, et je donnerai enfin ma sentence. Chaque partie a commencé à réunir des témoins. Interrogez-les et n'oubliez pas qui ils sont, au moment de vous prononcer. Un tel procès est exceptionnellement grave, il convient donc d'agir avec tact.
Les samuraï restèrent inclinés, et Hiruya acquiesça à la demande du juge. Celui-ci tourna les talons, suivi de ses yojimbo.

Nos héros comprirent qu'ils venaient de mettre le pied dans une affaire de grande ampleur. Car Bayushi Goshiu était l'un des trois Scorpions à n'avoir jamais perdu son nom, avec l'Impératrice Kashiko et le daimyo Bayushi Yojiro. Goshiu-sama était l'un des courtisans les plus réputés de Rokugan, l'égal de Kakita Yoshi. Il avait tressé des réseaux de chantage et de conspiration dans toutes les cours de l'Empire, et peu de monde ne lui devait pas au moins un service. Un tel homme était capable de réunir d'iréfutables hommes d'honneur à sa cause. Le vieux senseï Kumanosuke devait commencer à sentir sa tête tenir mal sur ses épaules.

Les magistrats rentrèrent pour le déjeûner. Pendant le repas, Hiruya répartit les tâches de ses assistants. Ils allaient former deux groupes qui enquêteraient en parallèle sans se communiquer les résultats de leurs recherches. Seuls les interrogatoires des témoins se feraient en présence de tous.
D'un côté, il y aurait Shigeru, Kohei et Bokkai et de l'autre, Ayame, Ikky, Ryu et Riobe. Pendant ce temps, Hiruya vaquerait à ses occupations et s'entretiendrait avec le juge Ban-sama.
Nos héros se disaient que, comme à Mimura, Hiruya allait passer son temps à ne rien faire pendant qu'eux accomplissaient toutes les tâches véritables... Kohei était chagriné de se retrouver dans le même groupe que Bokkai : objectivement, les deux hommes étaient dans deux camps opposés. Bokkai ne doutait pas du bien-fondé des accusations de Goshiu-sama, tandis que Kohei haïssait ces venimeux samuraï qui souillaient l'honneur de son clan avec leurs infâmes accusations ! Il voulait tout faire pour sauver le senseï Kumanosuke. Entre eux deux, Shigeru servirait de zone-tampon pour éviter les débordements...

Les deux groupes se séparèrent. Ayame, qui menait son groupe, décida de commencer par interroger le principal accusé.

:samurai:

A partir de là, les évènements s'enchaînèrent rapidement.
On mena l'nterrogatoire du vieux Kumanosuke dans sa grande tente de nomades. Le vieux shugenka nie et accuse les Scorpions de manoeuvrer, pour montrer qu'ils sont de retour sur la scène politique et parce qu'ils lui en veulent particulièrement pour le conflit à Inchu. Bref, Kumanosuke-sama rigole doucement de cette stratégie de Bayushi Goshiu.

Ensuite, interrogatoire de Goshiu-sama et de son élève, Yogo Zujo, qui est à l'origine de l'accusation, après un séjour chez les Licornes, mais qui a des preuves de ce qu'il avance, contrairement à ce que pense Kumanosuke. Donc les Scorpions ne lancent pas des accusations en l'air : il y a de fortes chances qu'il y ait eu effectivement pratiques maho chez les Licornes.

Nos héros procèdent ensuite à l'interrogatoire des témoins des deux camps : moment difficile face au puissant Seppun, écrasant, qui témoigne pour les Scorpions ; revanche ensuite sur la jeune Doji Shina, face à qui Ayame montre ce que c'est que d'être cassante : la pauvre petite femme de cour comprend qu'elle n'a pas fait le voyage pour lui : la magistrature d'Emeraude est là pour lui souffler dans les bronches !
La réception des autres témoins sans trop de problème : le senseï calligraphe Shiba Rosanjin a fait le voyage jusqu'ici pour aider le vieux Kumanosuke, ainsi qu'un célèbre architecte de la famille Kaiu.
La nièce de Kumanosuke, membre du clan du Renard, met beaucoup de conviction dans sa défense ; enfin, Ayame retrouve l'Inquisiteur Kitsuki Hanbei, croisé l'été d'avant sur les chemins de la Libellule : il témoigne pour les Scorpions mais notre shugenja devine qu'un tel personnage n'est pas là par hasard...

L'enquête se poursuit dans le village où se trouvent les étudiants souillés. Un des élèves a déchu et est parti comme rônin : et encore, même pas ronin puisqu'il n'avait pas passé son gempukku. Riobe est desespéré de voir ce jeune homme sans aucune place dans l'Ordre Céleste : il le rencontre et ne sait quoi lui dire ; lui, rônin au service de la magistrature d'Emeraude, semble avoir une position enviable !

Nos héros sont amenés auprès de deux Licornes, élèves de Kumanosuke, Iuchi Harumi et Iuchi Adjime, qu'on soupçonne d'être à l'origine de l'invocation d'esprits maléfiques.
Déjà rien que le fait que les Licornes usent de magie gaijin est franchement suspect (voire interdit) et dans l'esprit des Rokugani, les esprits gaijins ne sont pas les Fortunes, donc sont sans doute des démons !

La situation devient de plus en plus difficile : le vieux Kumanosuke, malgré la sympathie de nos héros, joue sa tête. Car les témoins contre lui sont puissants et souillure il y a bien eu.

Après plusieurs jours de recherches, au cours desquels il est vraisemblable que l'utilisation de magie gaijin a attiré des esprits du sang, Hiruya rédige son rapport : il dit qu'un des élèves du Vieux Kumanosuke est coupable, mais que le senseï lui-même ne savait pas. Cependant, c'était sous sa responsabilité et les élèves contaminés n'avaient pas idée de ce qu'ils faisaient.
Iuchi Kumanosuke a fini par avouer qu'il avait lui-même encouragé l'étude de la magie des Sables Brûlants, selon le principe "connais ton ennemi". La famille Battue, vassale des Iuchi, à laquelle appartient Kumanosuke, s'est spécialisée dans ces études mal vues, mais indispensables pour se prévenir de l'intrusion de magies venues d'au-delà de Rokugan.

:samurai:

Kitsuki Hanbei, témoin de Goshiu, aborde Ayame pour lui dire qu'il est carrément prêt à retirer son témoignage si notre shugenja lui livre plus d'informations sur ce qu'elle connait comme secrets !
Ayame se contente pour le moment de répondre de façon évasive ; elle cherche à gagner du temps. Elle retrouve plus tard la vieille Kitabakate, celle qui vivait à Inchu ; sans surprise, elle a retrouvé son clan et son nom : Shosuro ! Elle n'est pas ici en tant que témoin de l'un ou l'autre camp, mais simplement en observatrice et conseillère de son clan.
Isawa Ayame est très heureuse de la revoir, mais la vieille femme lui reproche de lui avoir envoyé Kitsuki mais elle ne lui en veut pas trop : elle dit juste à Ayame d'être plus prudente et de surtout ne rien dire à Hanbei sur l'Ombre, juste parler avec lui du Gozoku ! Ayame s'en veut décidément d'avoir dit cette fois aiguillé l'Inquisiteur Dragon sur la piste de la vieille femme...

Les choses auraient pu s'arranger, si Mirumoto Ryu n'était intervenue...
Au cours d'une rencontre avec Kitsuki Hanbei (au cours de laquelle l'Inquisiteur annonce à demi-mot qu'il peut aider la magistrature a trouvé des preuves innocentant Kumanosuke !), Ryu annonce au magistrat, en fin de la conversation, alors que l'Inquisiteur ne le demandait même pas (Ryu lui ayant alors parlé des évènements bizarres de la cour d'hivers) : "Mais vous devriez en parler avec Ayame, c'est elle la spécialiste de l'Ombre..."

Et voilà donc Kitsuki Hanbei certain qu'Ayame en sait bien plus qu'elle ne veut le dire et ceci juste après que notre shugenja a promis à la vieille Kitabakate d'être prudente sur ce sujet, de n'en parler à personne !
Kitsuki Hanbei s'arrange alors pour rencontrer de nouveau Ayame : ils discutent gentimment ; l'Inquisiteur est prêt, sans vergogne, à changer de camp, à abandonner les Scorpions, si Isawa Ayame peut l'aider à traquer l'Ombre ; la shugenja, qui a de la sympathie pour le vieux Kumanosuke, se fait coincer sur l'Ombre : elle essaie d'esquiver les pièges de l'Inquisiteur comme elle peux, mais se retrouve obligée de révéler une partie de ce qu'elle sait, de ce qu'elle a appris dans les bibliothèques de son clan. A la suite à quoi, l'Inquisiteur retourne voir Kitabakate et la "cuisine" à nouveau.
De son côté, Ayame est folle de rage contre Ryu, dont la gaffe peut avoir des conséquences incalculables !
Le résultat ne se fait pas attendre, Kitabakate appelle Ayame et c'est à elle qu'elle passe, dans des mots bien pesés, un sacré savon ! Ayame, toute heureuse, croyait en apprendre plus et subit un revers cuisant, quand la vieille Shosuro lui dit qu'elle a eu grand tort de parler de l'Ombre au Dragon, qu'elle n'est qu'une petite sotte à cervelle d'oiseau et qu'elle déçoit profondément Kitabakate, qui s'en veut de l'avoir sur-estimée !
La mort dans l'âme, la shugenja quitte la Scorpion, rendue encore plus furieuse par l'idée que Ryu ne comprendrait même pas si on venait lui expliquer l'ampleur de sa bêtise ! Parler à l'Inquisiteur de ce sujet, comme ça, entre deux phrases !...

:samurai:

Pendant qu'Ayame se débat avec ses secrets et ces conspirateurs, le procès continue.
Nos héros craignent franchement pour le Vieux Kumanosuke. Après qu'Otomo Ban-sama a entendu tous les témoins, il s'apprête à rendre son jugement.
L'assistance retient son souffle, dans la salle du procès. Kumanosuke baisse la tête, Goshiu dissimule à peine un petit sourire typiquement insupportable !
Coup de théâtre : un magistrat annonce l'arrivée d'un nouveau témoin de l'accusé.

Furieux Otomo Ban-sama ordonne qu'on le fasse entrer !
Et c'est rien moins que le vénérable senseï Akodo Kage en personne, qui a fait le voyage chez ses amis Licorne !
Alors que l'assistance se lève, éberluée, que c'est l'agitation, Riobe se jette à ses pieds : Kage-sama, le plus grand maître du sabre de Rokugan, le plus honorable membre du clan du Lion, l'homme qui a formé des centaines de samuraï valeureux, l'incarnation de la vertu du samuraï, le seul à avoir conservé son nom même après la chute de sa famille !
Arrivé avec le senseï, Ikoma Tsuyoshi, le vainqueur du duel contre Hiruya à la court d'hiver, l'homme surnommé Masque de Jade à cause des éclats qu'il a reçus dans la joue, écarte les trop curieux.
Lui et Riobe se toisent, d'un coup d'oeil : ils auraint pu être amis, frères d'armes, quatre ans plus tôt ; mais Tsuyoshi est resté dans le clan, sur ordre du senseï, tandis que Riobe a choisi le chemin des loups...

Akodo Kage-senseï dépose son témoignage, qui redonne du poids au camp des Licornes et contrarie beaucoup Bayushi Goshiu-sama, qui se voyait déjà vainqueur.
L'issue du procès est remise en question. Le juge déclare que la séance est suspendue et la sentence remise à plus tard.
Kage-senseï s'en va, vainqueur, en tapant sur l'épaule de Riobe :
- Je suis sûr que nous ferons de grandes choses ensemble...

Le lendemain, Kakita Hiruya est dessaisi de l'affaire, car il connait trop de témoins ; donc on fera appel à un autre magistrat, plus neutre dans cette affaire. Notre Grue soupçonne le juge Otomo Ban d'avoir passé sa colère sur lui, en le révoquant. Sans doute son avis rédigé était-il trop nuancé : Otomo Ban s'attendait à la culpabilité sans ambiguité de Kumanosuke. Il reconnait bien là la manière de Miya Katsu, qui a réussi à lui mettre de nouveau des bâtons dans les roues !
Mais maintenant, le procès continuera, avec un autre magistrat d'Emeraude, bien plus docile.
Hiruya étant dessaisi de l'affaire, nos héros sont rappelés au château de la famille Miya par Katsu-sama.


:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAÏ ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 04 mai 2006, 11:02

CHRONIQUES DE L'EMPIRE D'EMERAUDE

La 5e Réincarnation : 14e Episode
Chêvre 1127 (milieu de l'été)


Le lendemain de l'arrivée inattendue du senseï Akodo Kage à Shiro Iuchi, en plein tribunal, au moment où son Excellence le juge Otomo Ban allait rendre sa sentence, nos héros furent réveillés très tôt et convoqués par le juge.
Celui-ci leur annonça abruptement qu'avec l'arrivée de ce nouveau témoin, l'heure du jugement allait devoir être reportée. De plus, Kakita Hiruya ayant rendu son rapport, l'enquête de son équipe était terminée. Mais il soupçonnait le juge de vouloir le remplacer par quelqu'un de plus docile.

Quelques jours après, une lettre de Miya Katsu arrivait, qui demandait aux honorables samuraï d'émeraude de regagner Kyuden Miya. Katsu-sama, pour le reste du temps du procès, allait déléguer un autre magistrat, en remplacement de Hiruya-sama. Ce dernier avisa qu'il s'agissait de Shiba Gonjuko, voisin de Hiruya lors de la revue du Champion d'Emeraude. Hiruya avait entendu dire que c'était un magistrat dévoué, mais sans tenacité particulière. Cela promettait que Gonjuko-sama se montre bien moins acharné dans ses recherches, et qu'on en revienne à des méthodes plus traditionnelles d'investigation.

C'est ainsi que nos héros quittèrent la grande plaine balayée par le vent, et s'en retournèrent vers la grande campagne, verdoyante en ce bel été, où se dressait le vénérable château de la famille Miya.

:samurai:

POUR QUI SONNE LE GLAS

Akodo Kage a écrit :Seuls les fous et les hommes cherchent à découvrir des secrets. L'homme sage accepte ce qu'il sait.

Prologue : Kyuden Miya

L'honorable Miya Katsu s'éventait rapidement, et épongeait la sueur qui perlait à son front. Devant lui, huit honorables samuraï s'étaient agenouillaient, et relevaient lentement la tête.
Au premier rang, l'honorable Kakita Hiruya.
Derrière lui, côte à côte, Bayushi Bokkai et Shinjo Kohei.
Au troisième rang, Mirumoto Ryu, Hida Shigeru, Isawa Ayame et Shiba Ikky.
Au fond, en retrait, Riobe.

- Konnichi-wa, honorables samuraï, sourit le vieux Katsu. Je regrette que vous n'ayez pu rester jusqu'à la fin de ce procès. Quoi qu'il en soit, il se trouve que je voudrais vous confier une affaire, qui ne souffrait d'ailleurs aucun délai. On m'a rapporté le passage dans la région d'un dangereux criminel. Cela fait quelques temps que j'essaye de mettre la main sur lui. Je désirerais que vous vous lanciez à sa recherche. C'est assez urgent.

Le magistrat maniait comme peu d'autres personnes l'art du sous-entendu. Il devait tenir comme à la prunelle de ses yeux à l'arrestation de ce criminel !
Katsu-sama s'éventa encore, pendant que nos héros restaient pendus à ses lèvres.
- C'est un rônin. Il a assassiné l'ancien magistrat de Morikage Toshi [la Cité de la Forêt des Ombres]. Il a provoqué des désordres à Ryoko Owari Toshi [la Cité des Mensonges] et il a assassiné un dignitaire de la famille Toritaka, le clan du Faucon. Il échappe à la justice de l'Empereur depuis plus de quatre ans. Mais on m'a signalé sa présence dans la région. Il ne doit pas vous échapper.
- Très bien, dit Hiruya en s'inclinant. Nous mettrons la main sur ce personnage : un dangereux criminel s'il en est...
- Tout à fait. Assez pour mériter l'exécution capitale sans délai. Toutefois, si vous le trouvez, j'aimerais que vous évitiez de lui couper la tête. Amenez-le moi, j'aimerais lui parler.
Etonné, Hiruya ne broncha toutefois pas.
- Entendu, honorable magistrat. Vous l'aurez devant vous, pieds et poings liés avant peu.
- Permettez-moi donc de vous en dire plus sur lui.
Katsu-sama vida la coupe devant lui sans se presser. Nos héros étaient tout ouïe.
- Avez-vous entendu parler du clan du Lièvre, honorable samuraï ?

:samurai:

Dans l'esprit de nos héros, comme dans celui de la plupart des samuraï, par un réflexe conditionné, le clan du Lièvre était associé à la maho-tsukaï. Détruite peu avant la mort du vieil Empereur, la famille Usagi avait cessé d'exister. Ironie du sort, ceux qui l'avait détruite n'étaient autres que les Scorpions, radiés eux aussi de l'Ordre Céleste moins de trois mois après.
Mais maintenant, les Scorpions étaient rétablis, et la famille Usagi n'était pas promise à un tel avenir.
- Le rônin que je veux que vous retrouviez se nomme Ozaki. C'est le fils de l'ancien daimyo de la famille Usagi. Peut-être en avez-vous entendu parler ? insinua le magistrat.

En entendant le nom d'Ozaki, les gorges de Kohei-san, Shigeru-san, Ryu-san et Riobe se serrèrent en même temps. Ozaki était ce jeune rônin, borgne, qui avait fait partie de la caravane qu'ils avaient conduite du château de la famille Daidoji à la Cité des Apparences. Ozaki avait en particulier accompagné Shigeru sur les terres du clan de la Tortue, pour y retrouver un des chariots volés. Il était d'ailleurs l'un des rares à n'avoir pas trahi : resté fidèle jusqu'à la fin, il avait touché sa part de koku en arrivant à la Cité, puis était parti sans demander plus. Miya Katsu était-il au courant ?

- Ozaki, déclara le magistrat, est l'héritier d'un clan condamné pour usage de la magie du sang. Il a assassiné plusieurs personnes. Sans doute sous l'effet d'un puissant démon que sa famille a invoqué. De plus, il a certainement tué plusieurs témoins du procès qui s'est tenu contre sa famille. Vous comprenez à quel point il est dangereux.
- Tout à fait, dit Hiruya. Nous serons prudents quand nous l'appréhenderons. Cela sera fait, si dangereux qu'il soit.
- C'est moi que l'on a envoyé à Morikage Toshi pour appréhender Ozaki, quand il a commis son premier assassinat, sur la personne du magistrat de la ville. Je l'ai traqué à Ryoko Owari, mais là encore, il m'a échappé. Décidément, il court très vite, comme l'animal symbole de son clan. Son cas est entendu : un pareil danger ne doit plus courir sur les routes de notre Empire.
- Non, honorable magistrat.
- Je l'ai poursuivi pendant quatre ans, mais hélas, plusieurs fois, d'autres devoirs plus urgents m'ont appelé ailleurs. Je me suis pendant ce temps renseigné sur le procès de la famille Usagi, et sur Ozaki lui-même. Plusieurs choses ont fini par m'étonner.

Le ton du magistrat venait de nettement s'infléchir. La phrase d'avant, il parlait sentencieusement d'un criminel à arrêter de toute urgence. Maintenant, il insinuait qu'il n'avait pas fini d'exposer le cas Ozaki, et que les choses n'étaient pas si simples. Loin de là.
- J'ai découvert, dit Katsu-sama, que l'ordre d'arrêter Ozaki à Morikage Toshi a été signé environ deux semaines avant qu'il ne commette son meurtre. Je me suis renseigné, et j'ai découvert qui avait signé cet ordre. Il s'agit de l'honorable Seppun Fumihi, une dame de très haute naissance, Magistrat ayant ses entrées dans la Cité Interdite. J'ai voulu la retrouver pour comprendre. J'ai fini par savoir qu'elle avait été affectée ailleurs qu'à Otosan Uchi. Plus exactement sur les terres du clan du Blaireau, à la garde d'un village dans les montagnes arides, comptant plus de tête de bétail que d'habitants...
"Je suis tenace, samuraï, comme doit l'être tout magistrat impérial. Je me suis rendu sur les terres de ce clan lointain -avant qu'il ne soit détruit, les Fortunes en soient remerciées ! J'ai interrogeé Fumihi-sama. Elle m'a dit qu'elle détestait le climat, et qu'elle ne reconnaissait pas sa signature sur l'ordre d'arrestation d'Ozaki.
"Ce n'est pas tout. Après la destruction du clan du Lièvre, des Inquisiteurs de la famille Asako ont été envoyés pour confirmer l'usage de la maho. A ma connaissance, ils n'en ont jamais trouvé la moindre trace. L'un de ces Inquisiteurs est mort peu après, dans des circonstances mystérieuses, dans la vallée des esprits, en même temps que ce dignitaire Faucon dont je vous ai parlé. Est-ce Ozaki qui poursuit une vengeance contre ceux qui accusent son clan ? Mais pourquoi tuer un Inquisiteur, alors qu'il n'a pas trouvé trace de maho chez les Usagi ?... L'Inquisiteur en question se nommait Asako Nakiro. Peut-être en avez-vous entendu parler ?...

Les cheveux de nos héros manquèrent se dresser sur leurs têtes. Nakiro, le sinistre mort-vivant au sourire écartelé, aux larmes de sang, était le tsukaï responsable des horreurs du village thermal, sur les terres du Phénix. Il était mort, frappé d'une pluie torrentielle de jade, lancée par Isawa Tadaka en personne !
Nakiro a écrit :Besoin d'une cure thermale, samuraï ?
- Le dignitaire Faucon assassiné se nommait Toritaka Bonugi. C'était l'un des témoins à charge du procès. Un second témoin, Kitsune Hamato, est porté disparu. Un troisième témoin, Daidoji Unoko aurait eu son esprit ravi par les Fortunes. Elle vit maintenant dans un asile d'aliénés. Le quatrième témoin est le général Bayushi Tomaru. C'est lui qui, il y a de cela quelques années, a attaqué le clan du Moineau. Il a vu s'allier contre lui Moineaux, Renards et Guêpes, qui ont formé l'Alliance Tripartite pour le repousser. Le général Tomaru est aussi celui qui a mené la bataille contre Shiro Usagi, et a détruit le clan du Lièvre. Depuis le coup d'Etat, je n'ai pas de nouvelle de lui. Je pense qu'il vit dans une province reculée des terres de son clan. Quel dommage pour lui, car il avait la réputation d'être un grand général !

A ce moment, Bayushi Bokkai ne put s'empêcher de remuer. Il avait les mains moites, ne savait pas quoi en faire, et se tordait les doigts en tous sens.

- Le cinquième et dernier témoin, que vous connaissez au moins de réputation, se nomme Yasuki Taka. C'est le daimyo des marchands du clan du Crabe.
Nos héros sourirent en repensant à l'infatigable commerçant, intarrissable baratineur, ami de tous -et surtout des bons clients !
- Samuraï, je veux savoir ce qui se trame, martela Katsu-sama. Qui se moque de nous ? Qui a falsifié un ordre d'arrestation impérial ? qui a voulu la destruction du clan Usagi ? qui a monté cette accusation infondée de maho ? qui s'acharne maintenant contre Ozaki ? Trouvez-le, samuraï. Il aura beaucoup de choses à nous raconter.

Quelque peu abasourdis, nos héros essayaient de récapituler tous les élèments de cette sombre affaire. Rien que le fait que le nom de Nakiro apparaisse dans cette trame était de bien mauvais augure. Miya Katsu était-il au courant que nos héros connaissait déjà le fuyard borgne et l'ignoble sorcier ?
- Nous ferons la lumière sur cette affaire, honorable magistrat, dit Hiruya avec fermeté.
Il apparaissait avec évidence que cette affaire tenait particulièrement à coeur au vieux Miya.
- Si je puis vous conseiller, honorables samuraï, je vous dirai de retrouver les témoins, ou ceux qui les connaissent, et de comprendre pourquoi ils ont participé à ce procès. Ils doivent savoir des choses que j'ignore.

Le groupe resta silencieux un moment.
- Une dernière chose, dit Katsu-sama. Quand j'ai failli arrêter Ozaki à la Cité des Mensonges, il s'est enfui en abandonnant derrière lui ce papier. Il avait l'air d'y tenir. Je vous le donne. J'ignore s'il pourra vous être utile.
Hiruya l'examina, et frissonna en déchiffrant la courte phrase écrite dessus. Il tâcha tout de même de ne rien montrer de son émotion, en passant le papier à ses assistants. Tous purent découvrir cette inscription :
LA GRUE NOIRE SAURA POUR QUI SONNE LE GLAS.

:samurai:

Après quelques politesses rituelles, nos héros se retirèrent ; chacun rentra dans ses appartements, et repensa à tout ce qui avait été dit.
Le soir, Kakita Hiruya réunit tous ses assistants, et mit au point son plan de campagne.
Il fut décidé que l'on formerait deux groupes, afin d'accélérer l'enquête.
Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky et Riobe se rendraient sur les lointaines terres du Faucon, tout à l'ouest de Rokugan, pendant que Hiruya irait interroger les autres témoins en descendant vers le sud, avec Hida Shigeru, Bayushi Bokkai et Mirumoto Ryu.
Les deux groupes se retrouveraient chez Yasuki Taka, au sud, pour mettre en commun leurs résultats.

Ainsi fut-il dit, ainsi fut-il fait. Les deux groupes partirent le lendemain à l'aube, l'un vers l'impénétrable forêt Shinomen, l'autre vers les terres de la famille Bayushi.

:samurai:


Chapitre I : Shiro Usagi

Le groupe mené par Kakita Hiruya traversa la campagne dans le sens de l'Est, vers les terres du clan du Scorpion, au pied des montagnes de la Chaîne du Toit du Monde.
En chemin, on leur signala dans un village que les ruines du château de la famille Usagi n'était pas loin. Hiruya décida qu'il valait la peine de faire le détour pour enquêter sur place : cela ne prendrait qu'une journée.

Le groupe n'était pas plutôt arrivé dans cette campagne désolée, entre les restes du château du Lièvre et un village misérable, que déjà Ryu-san était à pied d'oeuvre, au milieu des ruines, à chercher des indices et des preuves, reniflant comme un chien de chasse à l'arrêt.

Un peu plus loin, sur sa monture, Bokkai finit de boire et tendit sa gourge à Shigeru :
- Les Fortunes seules savent ce qu'elle peut bien chercher.
- Peut-être des traces de semelles de sorciers maho, rigola le Crabe, avant de se rincer le gosier.
- Shigeru-san, intervint Hiruya, tu restes ici, et tu attends que Ryu-san ait fini d'enquêter. Bokkai-san, tu viens avec moi, nous allons au village.

Pendant que le soleil poursuivait sa course dans le ciel, Shigeru s'allongea dans l'herbe, une longue tige à la bouche, pendant que son poney broutait, et que Ryu continuait à fureter parmi les vieilles pierres. On entendait le bruit des esprits de la nature et le murmure des fortunes de l'été.
- Vous trouvez quelque chose, Ryu-san ?
Mais la Dragon restait muette, rien ne la détournant de l'art sacré du nazodo. Shigeru baîlla et se resservit à boire.

Au village voisin, qui était composé de quelques mauvaises bâtisses, Hiruya trouva le responsable des lieux, un certain Bayushi Humiro. Celui-ci s'agenouilla et mit front à terre devant les deux samuraï d'Emeraude.
- Je suis chargé de m'assurer que la famille qui vivait ici ne se reconstruira pas, honorables magistrats. Ils doivent être encore deux cent hommes avec leur famille, mais bientôt, leur souvenir disparaîtra, comme l'a voulu l'Empereur. Le général Tomaru a détruit ce château selon Sa Volonté.

De retour des ruines, Ryu arriva au village, suivie de Shigeru. L'expression sur le visage de l'enquêtrice montra qu'elle avait fait choux-blanc. En parlant à des rônins, Ryu avait tout de même appris qu'Ozaki, en quatre ans, était revenu plusieurs fois dans la région, pour se reposer parmi les siens, reprendre des forces et repartir en voyage, pour savoir qui avait monté cette accusation de maho-tsukai. Les rônins déchus du Lièvre juraient n'avoir jamais touché à la magie du sang, et ne comprenaient rien à leur malheur.
Pendant la bataille, Ozaki avait eu l'oeil percé d'une flèche. Il avait survécu et était parti avec l'épée ancestrale du clan, alors que sa soeur, Tomoe, était enlevée par le général Bayushi Tomaru. Elle allait certainement être emmenée dans une maison de geisha, car elle était très belle.

Il n'y avait plus d'autres informations à glaner en ces lieux.
- Partons, dit Hiruya, un bateau nous attend à une journée d'ici, sur le fleuve. Nous allons descendre le courant jusqu'à Shutai, où nous trouverons Bayushi Tomaru.

:samurai:

Chapitre II : Shutai

Un grand et solide bateau attendait comme prévu nos magistrats sur le grand fleuve qui naît dans les montagnes du toit du monde, dévale ses immenses falaises, puis coule rapidement vers le sud de Rokugan, et la péninsule que se partagent les clans de la Grue et du Crabe.
La croisière fut des plus agréables. Shigeru pouvait profiter de la compagnie des geishas du bord (décidément, cette enquête commençait sous de bons auspices !), Ryu cherchait à bord s'il n'y avait pas d'indice important et Hiruya essayait de comprendre ce qui avait pu se passer avec la famille Usagi.
Un jour plus tard, voyageant rapidement au coeur des terres du Scorpion, nos samuraï accostèrent près de Shutai.
Là encore, c'était une campagne reculée, extrêmement pauvre, à la merci de la moindre maladie, de la moindre sécheresse.
En chemin, Bokkai-san s'approcha de Hiruya-sama et lui confia ceci :
- Dans le temps, j'ai un peu connu le général Tomaru. Je sollicite la faveur de pouvoir lui parler seul à seul. Je crois que je pourrais arriver à le convaincre de nous parler à coeur ouvert. Son implication dans cette affaire doit lui peser lourd.
- Tu l'as connu, sourit Hiruya. Vous avez combattu ensemble ?
- Oui. Jusqu'il y a quatre ans, j'étais à l'armée. Ensuite, mon clan a exigé de moi -hem- d'autres choses. Et puis j'ai été envoyé à la cour d'hiver, où nous nous sommes rencontrés.
- Entendu, parle d'abord à Tomaru-san. Tâche de le convaincre d'être loquace.

Shutai était véritablement un trou à misère. Des maisons d'etas, d'abatteurs, de bouchers, de fossoyeurs. D'autres bâtisses qui sentaient l'opium, et plusieurs bicoques qui faisaient office de bordels. Les prostituées s'affichaient presque sans vergogne dans la rue, "protégées" par d'inflexibles yakuzas.
Bokkai descendit le premier de cheval. Ce n'était pas la première fois qu'il venait là, et il n'avait aucun plaisir à y revenir. Il se dirigea vers la plus grande maison du village, où il demanda à s'entretenir avec le général Tomaru.

Avec Tomoe, la soeur d'Ozaki, nos héros tenaient une première piste. Enlevée par Tomaru comme prise de guerre, elle pouvait bien officier dans cette bourgade. Il fallait chercher. Déjà, Ryu s'apprêtait à entrer dans les maisons de passes. Dégoûté, Shigeru la regarda entrer là-dedans, comme si elle commençait à marcher sur un tas de fumier. Hiruya ne fit rien pour l'empêcher. Il était nécessaire d'enquêter dans ces lieux. Tâche ingrate.
Pendant ce temps, Hiruya-sama et Shigeru-san se rendirent dans le meilleur établissement de geishas de la ville. Oui, décidément, la vie était belle pour notre Crabe !
Les deux hommes passèrent quelques heures agréables, burent à la santé de Ryu, prirent du bon temps avec les deux charmantes femmes qui leur faisaient la conversation. Dire que pendant ce temps, Ryu devait approcher des putains et leurs maquereaux !
Dès que la patronne avait vu arriver deux magistrats d'Emeraude, elle avait mis tout son établissement en état d'alerte rouge ! En un rien de temps, les serviteurs avaient tout fait reluire pour accueillir les deux seigneurs.
- Dis-moi, dit Hiruya, j'ai entendu dire que tu avais parmi tes filles une vraie perle, appelée Tomoe. Veux-tu lui dire de venir ?
L'okasan hocha la tête d'étonnement, puis réfléchit :
- C'est vrai que nous avions une Tomoe. Elle était ma plus belle fille, mais hélas, elle est partie. Je regrette infiniment...
Elle en parlait comme de sa propre petite fille.
- Que c'est dommage, dit Hiruya. Elle n'a pas dû rester ici longtemps, et je ne suis pas passé par ici depuis quelques années.
- Hélas, tu as raison, jeune homme. Tomoe m'a été reprise, sur ordre même du général Tomaru. Quel dommage !
L'après-midi touchait à sa fin quand Hiruya et Shigeru ressortirent. Ryu attendait, impassible comme à l'habitude. Elle revenait bredouille de son enquête parmi les plus basses couches de la société. Tomoe n'avait pas été plongée dans ce monde.
Il était l'heure de se rendre chez Bayushi Tomaru.

:samurai:

Malgré la posture humble, soumise, qu'il prit face aux magistrats, Bayushi Tomaru ne put effacer complétement cette mâle assurance, cette fierté presque arrogante de général qui veut encore faire ses preuves. Comme il devait lui en coûter de moisir dans Shutai, alors qu'il était fait pour la guerre !
- Je suis honoré de vous recevoir dans mon humble demeure, puissants magistrats.
- Nous venons vous voir, dit Hiruya, pour une affaire importante, qui remonte à quelques années. Je pense que Bayushi Bokkai-san vous a déjà mis au courant.
- En effet. Il s'agit de ce procès contre un clan maintenant disparu.
- Est-ce bien vous qui avez mené l'attaque contre Shiro Usagi ?
- Haï, honorable magistrat. A la tête des armées de ma famille, j'ai détruit ce repaire de maho-tsukaï.
- C'est bien naturel. Mais comment avez-vous découvert que les Lièvres pratiquaient la maho ?
- Cela a commencé par un affront du fils du daimyo, Usagi Ozaki, contre notre famille. Il était notre invité, avec sa soeur, Usagi Tomoe. Il a insulté l'un de nos daimyo. Pour venger l'affront, nous avons levé une armée. N'ayant pas reçu d'excuse de leur part, nous avons lancé l'assaut contre leur Shiro.
- Sais-tu ce qu'il est advenu de Tomoe, justement ?
- Ma foi, dit Tomaru, c'était une fort belle femme, je dois l'admettre. Je l'ai emmenée avec moi. Je la voulais comme geisha. C'est la guerre. Je peux disposer comme je veux des biens de l'ennemi.
- Tout à fait, dit Hiruya. Mais dis-moi, j'ai entendu parler moi aussi de cette Tomoe. J'ai voulu passer du temps avec elle, mais on m'a dit qu'elle est partie.
- Hélas oui, j'ai dû m'en séparer. J'en ai fait cadeau à un autre.
Tomaru-san baissait la tête, de honte et de regret.
- Veux-tu me dire à qui tu l'as offert ? peut-être pourrai-je aller le voir, si je veux enfin rencontrer cette Tomoe ?
- C'est un homme que j'ai rencontré sur l'Ile de la Larme, à Ryoko Owari Toshi. Un courtisan et poète, appelé Matsu Bashô.

Pour un moment, Hiruya et Ryu en eurent le souffle coupé. Bashô : l'invité de la cour d'hiver manquant, le blessé mystérieux, le vieil homme deshonorable qui avait fait seppuku, la nuit où le senseï Kanera était enlevé ! Celui qui avait aidé Nakiro à rapter des enfants dans les campagnes Phénix, pendant l'hiver. Celui qui disait servir un certain Hagetaka-sama : maître Condor.

:samurai:

- Matsu Bashô, tu dis ?... On m'a dit qu'il est mort récemment.
- C'est vrai ?
Bayushi Tomaru eut l'air soulagé d'entendre ça.
- On dirait que cela te réjouit, Tomaru-san.
- En effet, honorable magistrat. Bashô était un intrigant, un vilain personnage. Sa mort est une bonne chose.
- Tu l'as rencontré à Ryoko Owari Toshi, tu dis. Parle-moi de lui.
- Quand je l'ai rencontré, je me remettais d'une blessure de guerre... Je me délassais après une rude campagne...
- Contre l'Alliance Tripartite, c'est cela ?
Hiruya, malicieusement, venait de rouvrir une vilaine blessure, plus morale que physique, chez Tomaru : le souvenir de l'échec face à des clans mineurs, alliés contre lui.
- C'est cela. J'ai rencontré Bashô parmi les courtisans.
Tomaru respira un instant. Hiruya attendait qu'il vide son sac.
- Honorable magistrat, ce que je vais dire n'est pas à mon avantage. Mais il le faut sans doute, pour rétablir la justice sur cette affaire.
- Dis-moi donc, nous t'écoutons.
- Bashô m'a convaincu, pour redorer ma réputation, de m'attaquer au clan du Lièvre ; lui et moi avons mis au point une tactique pour pousser Ozaki à être insultant envers nous. Nous avons rapidement lancé l'attaque. Pendant ce temps, Bashô réunissait des témoins qui certifieraient que les Lièvres usaient de maho-tsukaï. Cela faisait si longtemps que tout le monde murmurait cela sur eux, qu'il n'a pas dû être difficile de donner vie à ces rumeurs.
- Pourquoi Bashô voulait-il la destruction des Lièvres ?
- Je l'ignore. Je sais qu'il voulait récupérer un parchemin que Tomoe avait découvert chez nous. Quelque chose de compromettant pour lui. Et il ne voulait pas de témoins qui puissent bavarder. Il fallait que les Lièvres soient tous morts ou rônins.
- Il a alors enlevé Tomoe ?
- J'ai voulu la garder pour moi, car c'est une belle femme. Mais Bashô est venu exiger sa part.
- Et aujourd'hui, comme seule récompense, tu te retrouves magistrat de cette ville, Tomaru...
- Si c'était à refaire, honorable magistrat, je ne le referais pas. Pas un instant je n'ai cru les Lièvres coupables de pratiques interdites. Mais cela importe peu.
- Et tu ne sais pas ce qu'il y avait sur ce parchemin, Tomaru ?
- Non, je le jure. J'ignore pourquoi Bashô voulait ce parchemin. Cependant, je voudrais vous donner une dernière chose. Qui sait si cela peut vous être utile ?...
Un serviteur entra, qui apportait une petite boîte capitonnée.
- Tenez, honorable magistrat. Au moment où nous avons scellé notre accord, Bashô m'a donné ceci.
Le serviteur ouvrit la boîte. A l'intérieur, il y avait une mystérieuse poupée en bois. Rondouillarde, joufflue, elle présentait des traits inconnus à Rokugan.
- Elle vient de chez les gaijins, souffla Tomaru.
Bokkai, puis Ryu l'examinèrent attentivement. Celle-ci nota qu'elle sonnait creux. Elle observa une fente qui parcourait sa ceinture. La poupée s'ouvrait en deux. Elle était bien creuse à l'intérieur. Sous ses pieds, on avait écrit le signe rokugani suivant : "Regret".
Dans la boîte, se trouvait également un morceau de tissu. Il était dessiné dessus un grand oiseau stylisé. Vraisemblablement un condor.

- Que représente ce condor, Tomaru ?
- C'est le signe d'un groupe auquel appartient Bashô. Une secte en quelque sorte. Les membres se reconnaissent à ce condor. Leur maître s'appelle ainsi : Maître Condor. Bashô est à son service.
- Qui est ce Condor ?
- Je l'ignore.
On lisait la tristesse sur le visage du général. Il lui en avait coûté beaucoup d'avouer tout cela.
- Je vous remercie, général Tomaru, pour toute l'aide que vous nous avez apportée. Grâce à vous, nous allons pouvoir arrêter de dangereux criminels.
- Je prie les Fortunes de vous assister, dit Tomaru.
Et sur son visage se lisait tout le regret du monde, de s'être associé à ces criminels, d'avoir mis en danger sa loyauté pour son clan, et d'avoir détruit des innocents.

Kakita Hiurya, Hida Shigeru, Mirumoto Ryu et Bayushi Bokkai quittèrent bien vite ce trou de misère qu'était Shutai, peuplé de souteneurs, de mercenaires, de raffineurs d'opium, et dirigé par un général déchu qui n'avait plus pour compagnon que le regret.

:samurai:

Chapitre III : Tani Hitokage
Asako Nakiro a écrit :Celui qui bâtit sa vie sur la trahison est déjà un homme mort.
Si Otosan Uchi était au centre de l'univers, la Vallée des Esprits était certainement l'endroit qui en était le plus éloigné.
A l'est de la profonde, impénétrable et mystérieuse forêt Shinomen, au pied des montagnes du sommet desquels tombait un vent froid venu des plaines gaijin, entre les terres de la Licorne au nord, et les terres du Crabe au sud, Tani Hitokage était un monde à l'écart. Il semblait que le reste de l'Empire aurait pu être bouleversé -et avant peu il le serait- sans que cela affecte du tout la vie du clan du Faucon.
Quand Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky et Riobe arrivèrent au sommet d'une colline boisée, ils dominèrent, dans la lumière orangée du soir sur les massifs verts, toute cette vallée qu'on disait autant peuplée de vivants que de fantômes. Des lampions étaient accrochées aux arbres, et des bougies brûlaient le long des routes. Cette féérie illuminait les villages plongés dans le crépuscule. Une rivière, non loin de la, murmurait des légendes.

Riobe était content d'être venu en ce lieu. Depuis toujours, les histoires de son ancien clan parlaient du culte des ancêtres, de la présence des esprits des morts autour de nous, de la surveillance qu'ils exercent sur nous. Et il se trouvait dans la vallée où les esprits abondaient comme le peuple dans les faubourgs d'Otosan Uchi, et c'était justement la nuit de la fête des morts, quand ceux-ci revenaient parler à leurs descendants. Décidément, cette atmosphère nocturne mystérieuse lui convenait parfaitement.

Pourrait-il trouver des réponses concernant ce vieil homme qui lui était apparu chez les Licornes ?
Il n'en avait pas parlé aux autres mais pendant le procès Kumanosuke, deux nuits de suite lui était apparu un vieil homme, cheveux blancs, yeux aveugles, sourcils taillés comme des lames, à la barbiche pointue, qui l'avait supplié de sauver son fils.
Il était réapparu, trois soirs après, pour reprendre la même supplication. Riobe n'avait pu lui répondre : le vieil homme n'entendait pas.

Isawa Ayame regardait avec curiosité ce pays où elle ne s'était jamais rendue. Comme elles étaient loin, les bibliothèques de la famille Isawa ! Même le pays des Licornes avait fini par lui sembler (un peu) familier, mais là, elle aurait beaucoup de mal à comprendre cet endroit où le monde des morts semble se déverser dans celui des vivants, pareil à l'affluent dans le fleuve.

Nos héros arrivèrent dans un charmant village. Les habitants étaient dans la rue : on chantait, on dansait. Des acteurs masquaient racontaient les légendes ancestrales ; d'autres contaient des histoires de fantômes rokugani, accompagnés par des musiciens qui jouaient une envoûtante mélopée. Des marchands vendaient toutes sortes de porte-bonheur, de moulins à prière, de fétiches, pour s'attirer les faveurs des morts.
Le chef du village, Toritaka Genzo accourut au-devant des visiteurs, et tomba à genoux devant eux, dans la rue principale du bourg. Nos héros reçurent ses politesses d'usage, et présentèrent les leurs en retour.
- Ce sont les Ancêtres qui vous envoient, honorables magistrats.
Shinjo Kohei s'inclina, le plus gradé du groupe, se déclaré honoré d'arriver en ce jour particulier sur les terres de la famille Toritaka.
Nos héros furent logés dans une grande bâtisse, à l'écart du village. Il y avait là deux bassins avec une petite cascade, de grandes pièces, un parc très délicatement décoré. Deux soldats gardaient en permanence les lieux. Fourbu, Kohei voyait avec délice les servantes préparer le bain et le lit. Il se plongea dans l'eau bouillante avec ravissement. Il ne tarda pas à s'assoupir comme un bienheureux.

...Des licornes d'or couraient dans des plaines merveilleuses, graciles et célestes. De jolis geishas versaient des vases pleins de fleurs et mille cerisiers fleurissaient.
Soudain, un fleuve sortait de son lit, et noyait tout...

...Kohei se débattut soudain, et remonta à la surface. Assoupi, il avait plongé dans l'eau jusqu'au nez. Il toussa, renifla, toussa encore, puis baîlla de toutes ses forces.
Son corps demandait un lourd et profond sommeil.
Vêtu de son kimono du soir, il passa souhaiter bonsoir aux deux Phénix. Il vit alors Riobe dans le jardin, assis en tailleurs près du bassin.
- Riobe, tu viens dormir ?
- J'arrive, Kohei-san. Je finissais... d'admirer le jardin.
Kohei baîlla à s'en décrocher la mâchoire, s'étira puis, sans insister, alla se plonger dans sa couche. Le vent du soir amenait le parfum entêtant des massifs de fleur, ainsi que, de la chambre d'Ayame, un parfum capiteux identique à celui qui s'était déversé sur Mimura au moment où Panda-san voyait sa malédiction levée... Kohei-san réalisa alors qu'il connaissait maintenant Isawa Ayame et Shiba Ikky depuis un an, depuis le tournoi des rônins de Yamasura. Un an que, régulièrement, lui et les autres surprenaient Ayame à consommer ces plantes narcotiques.

Une fine pluie se mit à tomber, et berça bientôt le sommeil des occupants des lieux.

:samurai:

La pluie tombait du ciel et alourdissait les feuilles des arbres. Quand il se créait un trop-plein, la branche cédait soudain, et déversait ses eaux sur la terre, puis se balançait jusqu'à reprendre sa position initiale. Riobe, assis au bord du bassin rendu lumineux par la lune, écoutait la pluie mumurer ses oreilles. L'eau se ridait parfois, et elle murmurait ce nom qu'il voulait oublier : Watanabe... Watanabe...
Riobe avait tant d'ancêtres à prier, tant de morts dont se souvenir, depuis la bataille d'Otosan Uchi, et ce moment où, seul vivant parmi les morts, il s'était relevé, et avait pris le chemin du clan du loup...
Toute la nuit, il la passa auprès des ancêtres, tâchant d'écouter leur message, et de rester fidèle à la voie d'honneur qu'ils avaient tracée.

Toute la nuit, Riobe pria, et ce n'est qu'au petit matin qu'il s'endormit malgré lui. Après leur bonne nuit de sommeil, Kohei, Ayame et Ikky le trouvèrent levé le premier.
- Bien dormi, Riobe ? demanda le Licorne.
- Euh, oui, Kohei-sama, dit le rônin, dont les cernes étaient creusées jusque sur les joues.

On se prépara, et en fin de matinée, l'enquête pouvait commencer.
Nos héros commencèrent par aller rencontrer le chef du village, Toritaka Genzo. Il fallait commencer par en apprendre plus sur le témoin mort ici, Toritaka Bonugi.

:volatilize:

Alignés face à Toritaka Genzo, qui finissait de faire infuser le thé, nos héros profitait de la douceur des lieux. Le soleil perçait au travers du couvert végétal, en grandes raies de lumière qui brisaient l'obscurité des sous-bois.
- Bunugi-san, pour tout vous dire, honorables magistrats, était un érudit qui vivait quelque peu à l'écart. Il était passionné par ces recherches sur les esprits, les revenants, ceux que nous appelons des yorei. Ils font partie intégrante de la vie de notre clan. Bonugi-san a trouvé la mort après la fin du procès Usagi. Les Lièvres étaient nos ennemis depuis longtemps. Ces mauvais samuraï nous ont plusieurs fois attaqués sans raison. Ils sont vindicatifs, hargneux... Nous n'avons pas hésité à envoyer un témoin quand ce procès leur est arrivé. Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient.
- Qu'est-ce qui a décidé Bonugi-san à aller témoigner ?
- C'est un ami à lui, avec qui il a étudié pendant très longtemps -plus de vingt ans- qui l'a décidé à se présenter aux Scorpions. C'était un Inquisiteur de la famille Asako, lui aussi très intéressé par les recherches sur les yorei. Un certain Asako Nakiro. Il est mort lui aussi ici, peu avant Bonugi-san.
- Vous avez bien dit Asako Nakiro ? dit Ayame.
- Oui, lui-même. Il est mort très âgé. Il pouvait avoir plus de soixante-dix ans.
Nos samuraï eurent un mauvais pressentiment quant aux recherches véritables du témoin Faucon.
- Et comment est-mort Bonugi-san ?
- Violemment, à tout le moins. On pense qu'il a été attaqué par une bête féroce, affamée sans doute, qui se serait décidée à s'en prendre à un homme. On a retrouvé son corps mutilé.
Genzo-san baissa d'un ton :
- Entre nous, d'aucuns pensent aussi qu'il s'agit d'un esprit. A force de les côtoyer, Bonugi-san a pu finir par les fâcher. Qui sait ?... ils ont pu finir par emporter avec eux celui qui les a tant fréquentés...
- Vous dites qu'Asako Nakiro est mort peu avant Bonugi ? demanda Kohei-san.
- Oui, une semaine peut-être.
- C'était il y a combien de temps ?
- Oh, cela doit faire maintenant quatre ans. C'était après la destruction du clan du Lièvre, mais avant l'attaque du clan du Scorpion.
Attaque qui remontait à environ quatre ans. Or, nos héros avaient vu Nakiro, quatre mois auparavant, au village thermal, et plutôt vivant. Mort-vivant disons.
- Où habitait Bonugi-san ?
- Pas très loin d'ici, dans une grande maison appartenant à ses ancêtres. On a peu touché à cet endroit. Vous savez, si c'est un esprit qui a frappé, alors le lieu est sacré. Intouchable. Dans le doute, nous préférons ne pas attiser la colère des esprits.
- Bon, décida Kohei, nous irons visiter sans tarder cet endroit. Nous verrons bien ce que nous trouverons là-bas.
- Bonugi-san était un membre prestigieux de notre clan, ajouta Genzo-san. Il avait été formé à l'admirable école des sodan-senzo de la famille Kitsu, ceux qui parlent aux Ancêtres. C'est là une faveur immense que nous a faite le clan du Lion. C'est pour cela que personne n'osait vraiment interférer dans les recherches de Bonugi-san.

Dans l'après-midi, nos quatre samuraï se mirent en marche. Ils arrivèrent en fin de journée. Il était encore temps de faire le tour des lieux, et de faire quelques recherches. L'endroit était propre et net. La maison était au pied d'une cascade qui plongeait dans un petit bassin, à la sortie d'un village dans cette forêt qui respirait la magie.
Kohei et Riobe inspectèrent les alentours.
- C'est là que la présence de Ryu-san aurait été utile, se dit le Licorne.

Pendant ce temps, Ikky et Ayame allaient découvrir l'intérieur de la maison ; en particulier, la shugenja se doutait bien que Bonugi-san devait avoir une considérable bibliothèque. Elle frétillait déjà d'envie d'aller y fouiner... L'opium calmait ses douleurs, mais les recherches érudites, et occultes, étaient le stimulant de sa vie.
Elle n'avait pas le temps, pour le moment, de se plonger dans la masse de papier accumulée par le shugenja pendant vingt ans.
Elle avisa un détail intéressant dans la chambre : de la peinture brune sur le mur, séchée, recouverte de poussière. Ayame se serait attendue à du sang, mais non. C'était bien de la peinture. C'était une prière, puis le dessin stylisé de douze portails porteurs de cloches. Intriguée, mais pressée, Ayame recopia soigneusement la chose. La shugenja déchiffra la prière : elle était écrite dans un langage codé, accessible aux shugenja débutants. Cela parlait de la manière de s'attirer les bonnes faveurs d'un gaki, de capter sa puissance, de se l'asservir.
Ayame frissonna. Elle avait entendu parler des gaki dans son clan. Ces démons sont comme des cousins des onis. A ceci près qu'au départ, ils sont souvent faibles. Mais ils peuvent se lier à plusieurs personnes, dévorant leur esprit avec une voracité qui augmente sans cesse. Véritables vampires psychiques, ces horreurs de l'Outremonde peuvent donc voir leur puissance augmenter à l'infini !
Après la nuit d'horreur du village thermal, Ayame avait entendu Isawa Kanera-senseï et Isawa Masanaga-sama converser. Pour eux, les miséreux et les malades dont on avait lié l'esprit à un démon pouvaient bien être asservis à un gaki précisément.

Et pour Ayame, les choses devenaient claires. Asako Nakiro et Toritaka Bonugi avaient étudié ici pendant des années, loin de tout, les pouvoirs du gaki, avant que l'Inquisiteur n'aille mettre en application son savoir, au village thermal, après s'être débarrassé de son complice. Il vaudrait la peine de revenir le lendemain.

Les deux samuraï-ko ressortirent. Dehors, Kohei humait l'air du soir, et Riobe piquait du nez : sa nuit blanche lui pesait sur les épaules.

:samurai:

Le soir, après s'être couché tôt, Riobe se releva au milieu de la nuit. Il éprouvait le besoin de parler aux ancêtres. Il alla de nouveau près d'un bassin, à côté de la maison de Bonugi. L'eau brillait d'une étrange lueur, qui ne devait pas toute sa clarté à la lune. Elle venait d'ailleurs. Et Riobe entendait son nom murmuré dans les frondaisons, et les buissons. Les esprits de la forêt et de la nuit prêtaient attention à lui.
- Watanabe... Watanabe...
C'était la voix du vieil homme entendue chez les Licornes, pas de doute. Riobe se mit à genoux. Il fallait être humble face aux Ancêtres pour ne pas les repousser.
- ... Watanabe... Je suis du pays des morts... Je suis mort sans honneur, mais toi, tu es un samuraï honorable. Et nous sentons que tu peux nous entendre...
Le rônin resta immobile, près du lac. Il osa souffler :
- Qui êtes-vous ?
Le vieil homme était tout prêt de lui, dans son dos.
- Samuraï, je veux que tu sauves mon fils, car tu as connu le même sort que lui...
- Comment se nomme votre fils, honorable Ancêtre ?
- Il se nomme... Ozaki.
Riobe soupira, soulagé. Il sourit presque. Le vieil homme était donc Usagi Oda, le daimyo du Lièvre.
- Je crois à son innocence, honorable Ancêtre. Je trouverai ceux qui s'acharnent sur lui. J'aiderai de toutes mes forces à rétablir son honneur.
Le spectre s'approcha un peu plus de Riobe :
- Tu ne sais pas la joie que tu me fais, noble guerrier... Mon fils... te devra... tant...
Il disparaissait déjà. Mais Riobe sentait que le vieux seigneur Oda n'était pas seul.
Il y avait également là quelqu'un que Riobe, avant de s'appeler Riobe, avait bien connu. Natsu-san, l'ami de sa famille. Celui que Watanabe avait assisté dans son suicide.

Au moment de la déchéance de Toturi et de sa famille, des samouraïs qui étaient restés défendre le domaine où Akodo Watanabe était né, la plupart s’étaient donnés la mort sans attendre, les autres étaient partis en tant que rônin. Il ne restait plus que le fidèle Natsu qui attendait en espérant toujours le retour de son maître. Watanabe alla le retrouver sur le pont de bois au fond du jardin. Natsu était assis au dessus de la rivière et contemplait ses tourbillons. Il leva les yeux mêlés de tristesse et de joie quand son maître s’approcha de lui en armure de lion. Ils restèrent en silence pendant un long moment à regarder l’eau couler. Les discours étaient inutiles, les âmes parlaient en silence. Watanabe fini par se tourner vers Natsu et ses seuls mots furent : « tu as mon autorisation, et mon assistance ». Mais d’assistance il n’y eut pas besoin, car Natsu était brave et ne faiblît pas.

- Que de chemin parcouru, Watanabe-san, depuis que tu as quitté ton domaine. Aurais-tu cru marcher autant, et rencontrer tant de gens ?
- Je n'aurais jamais cru survivre si longtemps à la vie de rônin, Natsu-san.
- C'est la voix que tu as choisie. La voie de l'inconnu, et des temps intéressants. Du pays des Ancêtres, nous sommes plusieurs à te regarder, et à te faire confiance. La route sera longue et épineuse pour toi, cependant.
- C'est la voie que j'ai choisie.
- Que de gens étonnants tu as rencontrés. Que de monstres tu as combattus ! Et ce n'est pas fait pour s'arrêter. Ton kharma est tortueux. Pour le purifier, tu devras endurer la douleur. Nous savons qu'Akodo Watanabe se battra pour son honneur, pour la voie du samuraï.
- Avec vous à mes côtés, je défendrai toujours mon honneur, Natsu-sama.
- Tu as sacrifié beaucoup de choses, pour mener cette vie-là. Tu auras sans doute encore à en sacrifier d'autres pour garder ton honneur.
- Je le sais, Natsu-sama. "Les Akodo vivent ensemble et tombent ensemble".
Déjà, l'apparition spectrale disparaissait à son tour.

Longtemps encore, Riobe resta à méditer. Décidément, ce pays si particulier était peut-être peuplé de plus de morts que de vivants, et déjà, notre rônin sentait qu'il ne pourrait jamais tout à fait l'oublier...

:samurai:

Chapitre IV : Kitsune Mori

Kakita Hiruya, Hida Shigeru, Bayushi Bokkai et Mirumoto Ryu embarquèrent sur un grand bateau qui descendait le fleuve. Rapidement, Shutai la misérable disparut derrière eux, tandis que les fortunes de l'eau, en leur grondement joyeux, portaient nos héros vers le sud de Rokugan, bien plus vite que n'importe quelle monture Licorne.

Deux jours plus tard, ils avaient parcouru presque toute la profondeur du territoire de l'Alliance Tripartite. Le climat était bien plus chaud et humide à cet endroit. Ils approchaient de Kitsune Mori, la forêt aux renards, ces créatures mystérieuses qui sont les totems du plus vieux clan mineur de Rokugan. Le clan du Renard descend en effet du clan de la Ki-Rin, parti dans le désert. Mais au retour des descendants de Shinjo, le clan du Renard n'avait pas souhaité intégrer son grand frère de la Licorne, au grand regret de tous les daimyo qui s'étaient succédé depuis lors. L'insistance bienveillante de Shinjo Yokatsu n'avait rien changé à la situation.

Nos héros se trouvaient maintenant à la frontière de la profonde Shinomen Mori, exactement de l'autre côté de la Vallée des Esprits. La distance, à vol d'oiseau, qui les séparait du groupe de Kohei-san, n'était pas bien grande, mais en réalité, l'impénétrable forêt était un obstacle bien plus grand que la plus haute montagne.
Sans attendre, Kakita Hiruya mena son groupe vers le château du Renard, dans ce charmant pays où tout semblait luxe, calme, volupté, loin de la guerre qui commençait à gronder en tous points de l'Empire.
Qui aurait pu imaginer ici des armées se batailler, au milieu de cette douceur de vivre imperturbable ?

Par ce beau jour d'été, les magistrats furent reçus par la jeune et fière daimyo du clan, Ryosei. Elle avait une tenue énergique, qu'elle rabrouait difficilement pour paraître humble devant les magistrats d'Emeraude.
L'un des membres de son clan, Kitsune Hamato, était le témoin du procès qui avait disparu, depuis le milieu du printemps environ. La discussion apprit peu à peu à nos héros que Hamato était considéré comme un lâche par son clan. Il était peureux, se consacrait peu à la voie du samuraï, n'avait jamais combattu... Il en coûtait à la vaillante shugenja Ryosei de dire cela, mais la seule chose que Hamato-san avait fait de bien dans sa vie, c'était d'aller témoigner à ce procès. Depuis longtemps, le clan du Renard avait une dent contre les Lièvres, et Ryosei en particulier.
Depuis la fin du procès, Hamato avait disparu. Peut-être était-il reparti à Ryoko Owari, où il passait beaucoup de temps à dépenser l'argent de ses terres...

Kakita Hiruya demanda à visiter la maison du disparu. Ryosei fut contente d'offrir une escorte à la magistrature d'Emeraude.
Ils traversèrent le territoire du Renard en une petite journée de voyage, et purent profiter du calme de ce pays idyllique, à l'écart du reste de l'Empire.
Le lendemain, après une nuit tranquille, Kakita Hiruya et Hida Shigeru visitèrent les alentours de la maison de Hamato-san, pendant que c'était à Bayushi Bokkai d'accompagner Mirumoto Ryu pour la fouille de la maison. Bokkai payait là une perfide remarque lancée à Ryu :
- Dépêchons-nous de rattraper ce mauvais samurai, cet homme trouillard, hypocrite et veule, qui ne suit en rien le code du bushido !
Il s'était attiré un regard noir de Ryu, pendant que, sous son masque, il avait envie de s'en tordre de rire. Hiruya l'avait regardé, mis amusé, mi-agacé, puis l'avait envoyé avec Ryu. Beau perdant, Bokkai avait accepté la punition. Il était prêt à endurer beaucoup pour se permettre ses piques.
A l'intérieur de la maison, l'enquêtrice Dragon ne tarda pas à mettre en application l'art ancestral du Nazodo : elle retourna toutes les affaires de la maison, vida les coffres, ouvrit les placards, souleva tous les matelas, bref, elle passa comme une tempête.
Plus posé, Bokkai remarqua un défaut dans le plancher.
- Regardez donc ça, Ryu-san, dit-il, accroupi près de l'endroit.
Ryu ne tarda pas à casser les planches à coup de pieds, et trouva en-dessous une cache entre le plancher et le sol de terre. A l'intérieur, une boîte, toute semblable à celle remise par Bayushi Tomaru. Bokkai et Ryu se dépêchèrent de l'examiner : à l'intérieur, un morceau de tissu, avec le condor stylisé, et une poupée, semblable à celle de Bayushi Tomaru. Elle portait le signe : "Lâcheté".

Ce ne pouvait plus être une coïncidence : Bayushi Tomaru éprouvait du regret quant à ses actions passées, et Hamato passait pour un lâche.
Ils ressortirent de la maison, satisfaits de leur trouvaille.
Kakita Hiruya avait interrogé la samuraï habitant dans la maison voisine. Celle-ci, vieille commère, avait pu confirmer que Hamato n'était pas venu depuis le milieu du printemps. C'était la première qu'il s'absentait si longtemps. D'habitude, il avait le temps d'aller se ruiner à Ryoko Owari, puis il revenait sur ses terres, le temps que ses revenus fonciers le renflouent.
Plus intéressant que ces ragots : Hamato avait invité plusieurs fois un courtisan Lion, rencontré à Ryoko Owari, qui correspondait à la description de Matsu Bashô. Apparemment, c'est sous l'influence de ce dernier qu'il s'était présenté comme témoin au procès. Oui, c'était bien la meilleure chose qu'il ait faite de sa vie !
Bashô avait donc convaincu Hamato de participer au procès, et avait proposé un marché à Tomaru, qui s'avérait être un chantage en bonne et due forme. Ces deux témoins avaient donc pactisé directement avec cette secte du Condor.
Kakita Hiruya décida d'aller voir sans tarder le prochain témoin sur la liste : Daidoji Unoko. Elle résidait non loin du village natal de Hiruya. Ce serait l'occasion de revenir au pays.

:samurai:

Nos magistrats adressèrent leurs remerciements à Ryosei, puis quittèrent ce charmant pays, souhaitant qu'il continue d'être épargné par les turpitudes de l'époque.
Le lendemain, sur une route de campagne dans les bois, ils firent une rencontre qui les sortit brusquement de leur délassement. Bokkai et Hiruya marchaient à l'avant, Ryu et Shigeru fermaient la marche. Soudain, le Crabe sentit une flèche siffler à son oreille. Une seconde faillit lui entailler le bras. Sur le chemin, devant Hiruya et Bokkai, surgirent trois hommes en armure, tandis que deux archers rencochaient leurs flèches et visaient à nouveau Ryu et Shigeru.

Des trois hommes armés, deux dégainèrent un katana, et se précipitèrent ensemble sur nos héros. Le troisième, celui du milieu, replet, portait une tête de sanglier sur le crâne et les épaules, et maniait un puissant trident qui fendait l'air devant lui.
Ryu descendit de cheval rapidement, dégaina ses deux sabres et frappa son ennemi. La lame ne coupa que l'herbe. Puis l'ennemi contre-attaqua, la blessa, avant qu'elle ne parvienne à achever son adversaire. Shigeru reçut deux mauvais coups avant d'abattre enfin son sabre sur le crâne de son adversaire.
Bokkai dégaina vite, mais son opposant s'esquiva et répliqua à la vitesse de l'éclair de deux coups précis. Le sang du Scorpion gicla. Il fit mine de mettre un genou à terre, puis frappa son adversaire dans les jambes, comme il l'avait soigneusement appris au dojo. Il évita un autre coup, frappa à la cuisse, puis acheva son adversaire. Face à l'autre assassin au katana et au gros Sanglier, Hiruya fut mis en difficulté : son katana manqua ses adversaires. Le trident le manqua de peu, mais le fit reculer, avant de l'attraper à la gorge. Hiruya eut du mal à se dégager et fut blessé par l'autre ennemi. Notre Grue se dégagea prestement de l'arme du Sanglier, frappa de toutes ses forces sur ce dernier, qui recula, grièvement touché. Ryu et Shigeru arrivèrent à la rescousse. A eux tous, nos héros neutralisèrent leurs adversaires.

Les échanges de lames n'avaient pas dû durer plus que le temps de quelques battements d'ailes d'un oiseau. Le chef du groupe, le Sanglier, révéla juste qu'ils avaient été engagés pour une forte somme d'argent, pour tuer un magistrat impérial. Il n'en savait pas plus.
Hiruya-sama ravala sa colère et ordonna à Bokkai, Ryu et Shigeru d'achever les mourants.

Nos héros durent rebrousser chemin pour panser leurs blessures. Au village, on leur assura qu'on avait jamais vu ces tueurs à gages dans la région. Au bout de quelques jours, les magistrats étaient de nouveau sur pied, grâce aux bons soins des shugenja.
Il tardait de plus en plus à Hiruya de découvrir qui se cachait derrière le masque de "Maître Condor" !

:samurai:

Chapitre V : Le pays des morts

Or donc, le lendemain de leur première visite chez Toritaka Bonugi, Shinjo Kohei, Isawa Ayame, Shiba Ikky et Riobe retournèrent poursuivre leurs fouilles.
Ce jour-là, Ayame avait décidé d'épater Kohei : celui-ci voulait des éléments concrets à apporter à cette enquête, elle allait lui en donner, et vite ! A peine entrée dans la maison, elle se hâta de sortir le parchemin contenant le sort dit de la Lumière de Seigneur Lune. Elle le lut et un rayon miraculeux vint pointer sur un coffre, le rendant transparent, ce qui révéla un double fond. A l'intérieur, Ayame-san trouva une boîte capitonnée. Intriguée, elle l'ouvrit, et trouva à l'intérieur un morceau de tissu avec un condor stylisé, ainsi qu'une poupée en bois. Elle n'avait jamais rien vu de tel. La poupée, joufflue, manifestement gaijin, portait l'inscription suivante : "Peur".
Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ?
Trottinant joyeusement, elle amena l'objet à Kohei-san, qui ne s'attendait pas à des résultats si rapides. Il ne fit néanmoins aucun commentaire, trop intrigué par l'objet.
- Teyandeee, fit-il. J'ai déjà vu une poupée semblable à celle-ci. Elle appartenait à Matsu Bashô. C'est lui qui me l'a donnée, avant de faire seppuku...
Bashô, 10e épisode (II) a écrit :"Méfiez-vous, samuraï... Nakiro est puissant. Mais ce n'est pas lui le grand maître derrière tout ça. Ce n'est pas Hiro. C'est un homme très puissant, qui se fait appeler Hagetaka-sama (Maître Condor). Je l'ai connu à Ryoko Owari Toshi. Il est impitoyable dans ses plans... Je n'en sais pas plus sur lui. Nakiro seul le connaît vraiment.
- Je propose d'aller à la bibliothèque, Kohei-san, dit Riobe.
- Allez-y, toi et Ryu-san, moi j'ai encore à parler avec Bashô-sama.
- J'ai montré cette poupée aux sages de mon clan, continuait Kohei. Ils m'ont dit qu'elle était de fabrication gaijin, mais qu'elle ne renfermait aucune magie interdite. Ils m'ont dit de la garder avec moi, qu'elle pourrait un jour me servir.
- Qui y a t-il d'inscrit sur cette poupée qui appartenait à Bashô, demanda Ayame, impatiente.
- Celle-ci, celle de Bashô donc, porte l'inscription "Peur". Celle de Bashô avait "Haine". Je me demande si les autres témoins en ont une aussi... Bon, pour le moment, vous trois, vous irez au village. Je me souviens que Genzo nous a parlé de la magie des sodan-senzo. Que lors de la Fête des Ancêtres, il est possible de parler aux morts. Qui sait si Bonugi-san ne serait pas dans les parages, lui qui est mort si violemment ?... Ayame-san, pouvez-vous user de cette magie ?
- Hélas, non, Kohei-san. Mes prières vont aux Fortunes. Mais peut-être qu'avec l'aide du clan du Faucon, je pourrai obtenir des réponses des Ancêtres.
- Tâchez de savoir cela, Ayame-san. Riobe, tu iras avec les deux samuraï-ko. Pendant ce temps, je vais me rendre au village voisin, visiter la famille de Toritaka Bonugi-san. Rendez-vous ici en fin de journée.
Les trois samuraï acquiescèrent. Kohei-san se mit en selle, pendant que nos autres samuraï partaient vers la pagode dite du Naga de Jade.

:samurai:

Il y avait dans cette pagode un bon shugenja qui avait fini de polir le crâne les statues des milles divinités, et qui méditait maintenant, en cette fin de matinée déjà très chaude.

Dans les papiers de Bonugi, Ayame avait trouvé pendant sa seconde fouille un parchemin où étaient dessinés les mêmes portails qu'au mur, et où l'on apprenait comment invoquer la puissance d'un gaki. Il ne faisait plus trop de doute que Bonugi était bien complice de Nakiro...
Comme l'avait fait remarquer Kohei : "Ici, personne ne nous a jamais parlé d'un rônin borgne appelé Ozaki. Notre fuyard n'est même sans doute jamais venu ici. Bonugi est mort autrement..."

Ayame, Ikky et Riobe s'étaient agenouillés derrière le moine, et attendaient qu'il ait fini sa prière.
- Que puis-je faire pour vous, honorables samuraï ? dit-il en se retournant. Que les Ancêtres bénissent votre route...
Ayame regarda avec le plus grand sérieux le shugenja :
- Nous sommes envoyés ici par l'honorable magistrat Hiruya-sama. Nous enquêtons sur Toritaka Bonugi. Honorable shugenja, nous avons besoin de votre aide pour parler avec les morts...
Un instant décontenancé, le shugenja reprit ses esprits, opina de la tête gravement, puis fit signe à nos héros de le suivre.

:samurai:

C'était une grotte dont l'entrée était cachée par d'épais rideaux de végétation, au plus profond de la forêt, à l'écart des chemins empruntés d'habitude par les paysans.
Nos héros s'étaient agenouillés devant la grotte, pour se mettre en communion avec les esprits de la forêt.
Le shugenja respira à fond trois fois, rouvrit les yeux, et fit signe à nos héros de se relever.
- Voici ce dont vous aurez besoin, pour vous aventurer au pays des morts, samuraï. Des torches, pour vous éclairer, et pour repousser les spectres. Et ces bâtons d'encens béni. Quand ils brûlent, leur odeur allèche les morts, comme la viande attire le chien affamé. Si l'encens s'éteint, les spectres s'éloigneront. Si vos torches s'éteignent, ils vous sauteront dessus, et vous emmeneront, hurlants, au fond de leur royaume de ténèbres. Tachez de maintenir l'équilibre entre les deux. Je vais vous accompagner jusqu'à la moitié du parcours, ensuite, ce sera à vous de tenter de parlementer avec eux. Mais sachez que les morts qui habitent là sont ceux qui ont été tués violemment, et qui ont vu leur kharma souillé par cette mort. Ils ne peuvent pas prétendre au repos dans le royaume du Yomi et sont devenus comme des bêtes enragés. Tel ancien samuraï honorable peut devenir un vieillard prêt à vous manger tout cru...

Le shugenja fit apparaître dans sa main une petite flamme, alluma l'encens et les torches, et tout le monde pénétra dans la grotte.

:samurai:
Dernière modification par rahsaan le 04 mai 2006, 16:53, modifié 1 fois.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 04 mai 2006, 16:45

La Cinquième Réincarnation - 14e Episode : Pour qui sonne le glas (suite)

Le pays des morts (suite)

Ils marchèrent, sous les ombres et la noirceur, pendant de longues minutes, happés par la fraîcheur humide de l'endroit. La chaude présence de la forêt était déjà bien loin d'eux. Ça sentait la moisissure de champignons. De grands rideaux en toile d'araignées s'étendaient partout. On entendait des crissements de rongeurs, l'égouttement patient de l'eau au bout des stalactites, ainsi qu'une respiration profonde, continue, semblable chaque fois au dernier souffle d'un mourant.
- Je dois vous laisser ici, samuraï, dit le shugenja, dans les ténèbres. C'est à vous maintenant, de continuer, et de poser vos questions aux morts.

Nos samuraï, à la lumière vacillante des torches, n'eurent pas à marcher longtemps pour arriver au pays des morts. C'était une caverne arrondie. Ils étaient là, des vieillards décharnés, vêtus de haillons, tous semblables entre eux et semblables aux monstres appelés Rokuro-Kubi, claquant des dents, tremblant. Devant la vive flamme des torches, ils reculèrent, terrifiés de cette clarté destructrice. Mais quand l'odeur de l'encens vint pénétrer leurs narines, ils affluèrent soudain, comme des mouches vers le miel. Ils avançaient, décharnés, d'une allure vacillante, comme des paquets d'os dont les tendons étaient prêts à rompre.
Ikky brandissait une torche bien devant Ayame, pendant que celle-ci tenait un fragile bâton d'encens. Riobe tenait une torche d'une main et un bâton d'encens de l'autre.
La voix d'Ayame retentit dans la caverne :
- Toritaka Bonugi ! où es-tu ?

Un vieillard parmi d'autres, aussi spectral que réel, la peau presque transparente, courbé comme par le poids de plusieurs siècles, s'approcha. Ikky tenait fermement la torche devant la shugenja.
- Laissez-moi sentir ce délicieux encens, dit le vieillard d'une voix chevrottante. Ses yeux ressemblaient à ceux d'un poisson mort : blancs et porteurs d'une expression de profonde stupeur.
- Qui t'as tué, Bonugi ?
- C'est le gaki ! trembla le vieillard. Ou plutôt le gaki qui a dévoré Nakiro ! je l'ai servi pendant toutes ces années, et il m'a sauté dessus comme une bête féroce !...
Le vieillard faisait tout pour s'approcher de l'encens, mais les flammes manquaient toujours de lui brûler le visage.
- Ce monstre de Nakiro... comme une bête féroce...
Et quand on parlait du loup... On entendit non loin de là un ricanement sarcastique, comme celui d'une petite fille qui a joué un mauvais tour à son amie.
- Mais qui voilà donc ? hihihi... c'est Ayame-san qui nous rend une petite visite !
C'était Nakiro. Nos héros le reconnurent toute de suite. Il avait toujours son sourire étendu et figé, ses larmes de sang. Il avançait, sautillant, les mains en avant, et on voyait, sous la flamme, sur ses paumes, les deux tatouages des Asako : les yeux de la connaissance. Mais ceux de Nakiro saignaient. Il n'avait pas tellement changé depuis qu'il avait quitté le monde des vivants : il ne s'était pas changé en vieillard chevrotant. Tel qu'en lui-même, la mort ne le changeait guère...
- Comme c'est charmant à vous !... je ne pouvais manquer de venir vous voir, Ayame-san !
Le grotesque bouffon tournait en rond autour de nos héros. Ikky n'avait qu'une envie : lui allonger un coup de katana dans le ventre, pour lui apprendre à être mort ! Courbé, sur la défensive, il essayait de s'approcher de l'encens. Il poussa Bonugi :
- Psschiit... psschiit... dégage vieux croûton, tu nous gênes...
Le spectre du Faucon disparut dans l'obscurité. Il restait le sourire omniprésent, sinistre, du tsukaï.

:samurai:

- Tu as beaucoup de choses à nous raconter, Nakiro, fit Ayame, très sombre.
L'autre souriait toujours, ricanait de plus belle, et riait, comme un enfant malade. Ensuite, son rire se changeait sans transition en amers sanglots.
- Hé bien, voilà à quoi ça m'a amené, tout ça... Regardez, je végète parmi tous ces vieillard à présent, pas assez vivant pour être avec vous, pas assez mort pour supporter leur compagnie ! Qu'est-ce que j'ai eu mal !! Tadaka-sama ne m'a pas raté ! Que j'ai souffert avec de mourir ! Et maintenant, je souffre toujours autant, prisonnier dans ce cloaque. Je n'ai pas eu le droit de traverser le grand fleuve... Je reste échoué ici.
- Tu étais aux ordres de Maître Condor ?
- Oooh oui ! Depuis longtemps ! C'est quelqu'un qui m'a fait le plus grand mal !! Ensemble, nous pensions conquérir le monde, c'est amusant n'est-ce pas ? Conquérir le monde... Nous avons commencé à nous interesser à un gaki très puissant, qui a servi dans l'armée de Iuchiban. Maintenant, Maître Condor veut libérer toute sa puissance...
- Le gaki, il est là où se trouve ces douze portes, avec les cloches, n'est-ce pas ?... Où se trouve cet endroit ?
- Mais je ne sais pas ! protesta Nakiro. Il continuait son va-et-vient, pour tenter d'attraper un bâton d'encens sans se faire brûler. Je ne sais pas ! Condor est bien trop intelligent pour m'avoir tout dit sur ses plans... Il m'a eu jusqu'au trognon, car il n'a aucune pitié. Regardez la gueule que j'ai maintenant, après toutes ces années passés à cohabiter avec le gaki !
- C'est toi qui as tué Bonugi...
- Oui. Pendant longtemps, j'ai pu supporter en moi la présence du gaki. C'était Nakiro no Gaki [le Gaki de Nakiro], mais finalement, le parasise a gagné. Il m'a vidé mon âme, comme une coupe de saké, et c'est devenu Gaki no Nakiro ! [le Nakiro du Gaki]. Ces vampires sont très puissants... De rage, à ce moment, j'ai tué mon vieil ami Bonugi. De toute façon, comme dirait Hagetaka-sama [Maître Condor], il en savait trop ! hihihi ! il en savait trop !
- Et c'est toi qui avec Bashô a enlevé les enfants et les vieillards et les malades, pour lier leur puissance au Gaki ! et toi qui as fait enlever le senseï Kanera.
- Tout juste ! Peu à peu, le Gaki gagnait en puissance. Mais il restait contrôlable. Maintenant, quand Condor va le libérer pour de bon, je n'en dirai pas autant. Entre nous, j'aimerais bien voir Condor mourir. Ce salaud ne l'a que trop mérité. Il m'a fait tant de mal. Ce ne serait que justice, hein !
Les torches commençaient à faiblir. Il ne faudrait pas longtemps avant qu'elles ne s'éteignent.
- Allons nous-en, dit Ikky, partons !
- Elle a raison, Ayame-sama, renchérit Riobe.
Ayame n'avait d'yeux que pour Nakiro :
- Qu'est-ce que tu sais de cette chose qui en voulait aussi au senseï ? hein ! sur l'Ombre ! qu'est-ce que tu sais d'elle !
- L'ombre ??? mais rien en particulier ! c'est juste un puissant démon de la nuit ! je ne sais rien sur lui... Je sais que Bashô était lié à lui. C'est tout.
- C'est faux, lança Ayame, submergée par la passion. Tu en sais plus ! dis-moi tout !
- Non, non, jurait Nakiro ! je ne sais rien de plus ! c'est un kansen, un démon de la nuit, c'est tout !
La torche d'Ikky s'éteignit brusquement. Il ne restait plus que celle de Riobe.
Dans la pénombre, le visage de Nakiro apparut, comme celui d'un fantôme de poussière :
- Mais si tu veux en savoir plus, reste donc avec moi, Ayame-san ! toi qui es si curieuse, nous aurons du temps pour en parler, nous aurons toute l'éternité !!
Ikky empoigna Ayame par le bras, et Riobe l'attrapa par son avant-bras, et traînèrent la shugenja dehors. Au début, elle eut le réflexe de se débattre, puis elle partit volontairement, tournant le dos aux démons de la grotte et aux démons qui tourmentaient son âme.
- Arrêtez ! revenez ! Nakiro hurlait comme un dément. Revenez Ayame ! ne me laissez pas seul ! pas tout seul dans le noir ! il fait si froid ! j'ai peur !!... Ayameee !!

D'autres esprits rôdaient. Riobe leur jeta son bâton d'encens, comme un os à des chiens. Cela leur laisserait un peu d'avance. Ils se mirent à courir, ventre à terre, sans se retourner pour regarder les monstres décharnés, autrefois humains, qui leur courait après en hurlant comme des loups enragés.

Après une course haletante, les trois samuraï sentirent l'air estival et bienfaisant leur caresser le visage. Ils quittèrent d'un coup l'humidité glacée de la grotte, pour la chaleur de la forêt. Des échos ténus ressortaient encore de cette bouche d'ombre.
Nos héros tremblaient comme s'ils revenaient du plus froid des enfers.
Le shugenja les invita à boire un thé à la pagode, pour y retrouver harmonie et calme. Ce n'était pas tout le monde qui revenait du pays des morts !

:samurai:

A la pagode, Ayame, Ikky et Riobe retrouvèrent Shinjo Kohei. Celui-ci avait l'air frais et dispo, et il vit arriver ses compagnons de voyage avec leur allure véritablement tragique. Par politesse, il leur demanda juste s'ils avaient pu parler aux esprits des morts. En réprimant un claquement de mâchoire, Ayame acquiesça, et tout le monde alla boire un bon thé onctueux.
- J'ai retrouvé la famille de Toritaka Bonugi, dit Kohei Ils m'ont parlé d'Asako Nakiro. Et ils m'ont donné ça, qui lui a appartenu.
Kohei montra une boîte, semblable à celle de Bonugi. A l'intérieur, le tissu du Condor, et une poupée, plus petite que les autres, appelée "Désir".
- Je leur ai parlé d'un rônin appelé Ozaki : ils n'en ont jamais entendu parler, comme je m'y attendait. Je crois que nous avons appris tout ce qu'il fallait savoir sur cet endroit, déclara Kohei. Demain, nous repartons en voyage, pour rendre visite à Yasuki Taka.

Et le lendemain, alors que l'aube pointait timidement, et que la chaleur faisait évaporer l'eau des arbres en grandes fumerolles, nos héros quittaient Tani Hitokage, la Vallée des Esprits, y laissant en repos, ensemble, les vivants et les morts.

:samurai:

Chapitre VI : Le pays des fous
Yasuki Taka a écrit :Il faut un homme pour garder un secret, et deux pour le briser. Les conspirations ne peuvent pas marcher.
Kakita Hiruya et son groupe avaient quitté l'intérieur des terres de Rokugan. Ils approchaient maintenant du bord du grand océan de l'ouest. On était dans ces jours très chauds que les Rokugani n'aiment pas. Heureusement, le vent soufflant de la grande mer où se lève dame Amaterasu était plus frais. Hiruya retrouvait le pays de son clan et de ses ancêtres. Ils n'étaient qu'à quelques lis du Village de la Muraille Bordant l'Océan, où Hiruya était né, vingt-six ans auparavant. Notre magistrat se promettait d'ailleurs d'aller rendre visite à sa vieille mère, et à son senseï, Kakita Yobe-sama.

:samurai:

Ils arrivèrent dans un petit village non loin de la plage, sous les pins des falaises. Il y avait un grand établissement, gardé par des moines et des prêtresses, pour accueillir ceux qui avaient vu leur esprit ravi par les Fortunes. Ils étaient considérés comme tabous, tout comme ceux souffrant du mal sacré, l'épilepsie. On les tenait à l'écart, et on priait les Fortunes d'adoucir leur sort. C'était dans un de ces établissements que résidait Daidoji Unoko, le quatrième témoin du procès. Elle avait été accueillie en ce lieu, peu après la fin du procès Usagi. Depuis, elle ne parlait plus.

La courageuse Doji Hana accueillit nos magistrats dans cet endroit à part. Ses "pensionnaires" venaient de riches familles, contentes souvent de se débarrasser de leurs membres les plus "anormaux". Hana-sama les logeait ici. Elle pouvait peu faire pour eux, sinon prier et espérer une meilleure prochaine vie pour eux. Agée de bien plus de quarante ans, elle avait le visage sévère de celle qui s'est dévouée à une tâche ingrate pendant toute sa vie.
En traversant le grand jardin, on entendait dans d'autres pavillons des cris, des hurlements. De solides gaillards accouraient vers ces endroits, des sauts d'eau et des cordes à la main, pour calmer les plus turbulents.
- Unoko-san est une fille très calme. Elle mange docilement. Elle n'a jamais montré le moindre signe de violence. Mais elle reste renfermée sur elle-même, recroquevillée. Elle semble pouvoir parler à des esprits invisibles. Souvent, les gens comme elles ont un don surnaturel, reçu du ciel. On les appelle "fous" par commodité, pour les placer à l'écart. Mais ils ont reçu un appel que personne d'autres ne peut entendre.

- Nous désirons juste poser quelques questions à Unoko-san, dit Hiruya, à propos de ce procès auquel elle a participé.
- Je vous souhaite bon courage, samuraï, et vous félicite si vous arrivez à en tirer plus que quelques mots.
Hana-san s'inclina bien bas devant le magistrat d'Emeraude, et le laissa, avec ses trois assistants, à l'entrée du pavillon où résidait Unoko. Deux gardiens s'inclinèrent jusqu'à terre, puis conduirent Hiruya-sama, Bokkai-san, Shigeru-san et Ryu-san vers la chambre où vivait la Daidoji.
- Elle sort peu de là, noble seigneur. Toutefois, elle accepte de temps en temps de se promener dans le jardin. Elle aime beaucoup les petits oiseaux, qui la rendent très heureuse. Mais rapidement, elle retombe dans sa mélancolie, et passe ensuite la nuit à pleurer.
Personne n'osait vraiment parler. Il est vrai que les "fous" inspiraient toujours une crainte mêlée de respect. Incapables de se comporter en vrais samuraï, ils étaient peut-être pourtant des intercesseurs privilégiés des forces supérieures de l'univers.

:samurai:

Elle était là, dans un coin de la pièce. La peau très pâle, dans son kimono de très grande qualité, elle observait les rainures du bois, sur le parquet. Elle tressaillit en voyant arriver de nouveaux venus. L'intrusion d'inconnus dans son domaine familier. Elle se sentait si menacée, qu'un rien pouvait la briser. Elle avait appris à se renfermer sur elles-mêmes, à couper beaucoup de ponts, pour n'avoir plus rien à craindre des envahisseurs, de tous ceux qui lui voulaient du mal.

Bokkai, Shigeru et Ryu restèrent en arrière. Hiruya s'approcha d'elle prudemment, et s'assit en tailleur. Il avait enlevé son katana de sa ceinture. Unoko-san mordillait un mouchoir. Elle tremblait légérement. Hiruya resta silencieux un bon moment. Elle finit par sembler plus apaisée. Elle retombait dans une complète apathie.
De sa voix la plus douce, le magistrat d'Emeraude tenta de lui parler :
- Unoko-san, mon nom est Kakita Hiruya. Je suis magistrat d'Emeraude. Nous avons fait un long chemin pour venir vous parler. Vous parler du procès du clan du Lièvre. Vous en avez été témoin, n'est-ce pas ?
Unoko ne dit rien.
Quel âge pouvait-elle avoir ? peut-être vingt-cinq ans. Mais avec sa pâleur, et sans maquillage, contrairement à toute femme samuraï, elle paraissait bien plus âgée. A moins que cela vint de femmes de Rokugan, qui parussent toutes plus jeunes qu'elles n'étaient.

Comme elle ne répondait rien, Hiruya prit d'une poche de son kimono la boîte appartenant à Bayushi Tomaru. Il l'ouvrit, et en sortit le tissu au condor.
- Vous connaissez ceci ?
Unoko y jeta un regard, et tressaillit. Elle voulut reculer, mais se trouva acculée au mur. Rien ne pouvait plus lui permettre d'échapper à la fascination exercée par elle par le tout-puissant Condor. L'esprit de ce dernier avait emporté le sien, comme un condor aurait emporté un frêle mouton, égaré à l'écart du troupeau.
Elle tremblait de plus en plus.
Hiruya rangea le tissu.
- Je me doutais bien que vous connaissiez ceci, conclut-il.
Unoko se calma dès que l'image du Condor eut disparu.
- Maintenant, Unoko-san, vous devez me dire ce que vous savez du Condor. Qui il est. Ce qu'il prépare. Comment il vous a convaincue de témoigner contre le clan Usagi.

:samurai:

Un long moment passa encore. Unoko restait silencieuse. Hiruya se demandait bien comment il allait réussir à la faire parler. Comment gagner sa confiance ?
- Le Condor s'est servi de vous, Unoko-san. C'est à cause de lui que vous êtes enfermée ici. Si vous m'aidez à le retrouver, je pourrai vous aider à sortir d'ici. Vous serez délivrée de lui.
Unoko regarda Hiruya droit dans les yeux. Elle avait les pupilles d'un bleu décoloré, le regard hagard. Elle se mit à articuler, sans qu'un son ne sorte de sa bouche. Ses mains et ses pieds se crispaient ; c'était comme si les mots restaient coincés dans sa gorge.
- Le Condor... est partout... il me regarde... tout... le temps...

Cela lui avait coûté un effort immense de prononcer cette phrase.
- Il est... près... de moi...
Elle parlait d'une voix éteinte, un murmure évanouissant.
- Il vous surveille tout le temps ?...
Elle hocha la tête positivement.
- En ce moment, il vous surveille.
"Oui".
- Il nous surveille nous aussi...
"Oui".

Hiruya réfléchit. Unoko retomba, prostrée. Elle était tenue par une peur bleue.
Hiruya se releva, et alla parler avec ses assistants, dehors. En cette fin d'après-midi, il faisait très chaud, même à l'ombre du jardin. Ryu inspectait les alentours, pour détecter qui pouvait bien les surveiller. Mais il n'y avait aucun ninja sur le toit, ni ailleurs.
- Croyez-vous, demanda Bokkai, que par une magie puissante, ce Condor puisse surveiller Unoko ?
- Je ne sais pas, dit Hiruya, inquiet. Elle sait encore beaucoup de choses. Il faut continuer à lui parler, à gagner sa confiance. Elle a déjà beaucoup pris sur elle aujourd'hui. Je vais la laisser pour le moment. Nous reviendrons demain. Elle sera plus disposée à parler.

Le soir, chacun mangea en silence, pour ne pas troubler l'atmosphère qui régnait ici. Ils étaient dans ce lieu comme sur une île loin de tout, hors du monde. Sur la nef des fous.
Après une courte nuit de sommeil, sans rêve, nos magistrats, dès le milieu de la matinée, retournèrent parler à Unoko.
Comme la veille, Bokkai, Shigeru et Ryu s'assirent en tailleur, en retrait.
- Je suis revenu vous voir, Unoko-san. Vous m'en avez dit beaucoup hier. Je sais que vous pouvez m'en dire encore. Que vous pouvez vous débarrasser du Condor, pour de bon.
"Dites-moi, Unoko-san, si vous possédez une poupée semblable à celle-ci ?
Hiruya lui montra la poupée appelée Lâcheté, ayant appartenu à Kitsune Hamato.
Unoko hocha la tête affirmativement.
- Vous avez cette poupée près de vous ?
La jeune femme n'osa rien dire.
Hiruya tourna la tête et regarda fixement Ryu. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle se lève et commence à fouiner dans la pièce. Si la poupée s'y trouvait, Ryu la trouverait.
Unoko se renfermait de plus en plus en elle, à mesure que Ryu "brûlait". La Dragon mit la main dessus : elle se trouvait à l'intérieur de l'oreiller de la couche. Ryu en sortit une poupée plus grande que les deux autres. Une poupée nommée "Folie". Manifestement, ces trois poupées pouvaient être contenues l'une dans l'autre.
Hiruya donna les trois poupées à Ryu. Unoko regarda Ryu s'éloigner. De la sueur coulait de ses cheveux. Elle était fébrile. Puis elle poussa ce que Hiruya perçut comme un soupir de soulagement.

:samurai:

- Condor vous surveille toujours ?
- Oui... oui... toujours... vous aussi... toujours...
Unoko écarquillait les yeux, apeurée et fascinée.
- Qui est le Condor, Unoko ? qu'est-ce que la secte du Condor ?...
- Le Condor, c'est... c'est... c'est le...
Unoko articula encore quelques mots, mais Hiruya n'entendit pas. Derrière lui, Bokkai observait Unoko attentivement, tendant l'oreille et plissant les yeux. Il déchiffrait les mots sur les lèvres.
Hiruya réunit ses magistrats dehors.
- Nous avançons peu à peu, dit-il. Je pense qu'elle va devenir plus loquace, maintenant que nous avons éloigné cette poupée d'elle. A propos, je n'ai pas très bien saisi ce qu'elle a dit. Ca m'a échappé à la fin...
- J'ai essayé de lire sur ses lèvres, dit Bokkai, indifférent. Mais je n'ai pas bien compris ce qu'elle disait. Un mot comme Condor. Ce devait être Condor d'ailleurs. Ou un mot de ce genre. J'ai cru comprendre : "Colatte". Mais je n'en suis pas sûr. Ce devait être Condor. Je n'ai jamais entendu le mot "Colatte", à vrai dire.
Hiruya hocha la tête, pensif. Cela demandait des explications.
- Très bien, retournons-y.

:samurai:

- Unoko-san, si je ne me trompe pas, vous m'avez parlé d'une chose appelée "Colatte", c'est bien cela ?...
- Kolat... Kolat... Kolat...
Unoko répéta ce mot plusieurs fois, machinalement.
- Quel rapport avec le Condor ? Le Condor est-il le Kolat ? Est-ce la secte du Condor ?
- Le Condor est le Kolat... Le Kolat voit tout et entendons tout. Condor est le grand maître du Kolat. Il est le Kolat...
- Ce Condor, qui est-ce ? ou qu'est-ce que c'est ? comment s'appelle t-il ?...
Unoko sentit la terreur la gagner à nouveau. Elle savait qu'en parlant, elle se délivrerait, mais ses mots restaient étouffés en elle. Elle était au fond du gouffre, mais n'avait pas la force de remonter. Pourtant, Hiruya lui tendait la main. Mais le pouvoir du tout-puissant Condor était le plus fort. Il écrasait sa volonté.
- Qui est le Condor, Unoko-san ? qui ?...
- C'est... c'est...
Unoko articula à nouveau quelques mots, silencieusement. C'était trop pour elle de faire plus.
Hiruya sortit à nouveau, suivi des trois assistants.
- Hé bien, avec de la patience, on finit par y arriver.
- Oui, tout à fait, dit Shigeru ; je pense qu'elle saura se montrer raisonnable. Elle sait où est la justice, malgré son esprit un peu flanchant.
Bokkai était visiblement nerveux.
- Hé bien, Bokkai-san, as-tu compris ce qu'elle disait ?
- Oui, honorable magistrat. Et vous feriez mieux de vous tenir accroché, car ce que je vais vous dire va vous en mettre un coup, croyez-moi.
Hiruya retint son souffle.
- Dis-moi.
- Unoko a dit que le Condor, ou le Kolat... était son frère !!

Hiruya encaissa le choc. Puis, le temps que son sang fasse un tour, il se précipita à nouveau dans la chambre d'Unoko.

:samurai:

- Unoko-san, je vous en conjure, vous m'avez presque tout dit. Le Condor est votre frère. Comment s'appelle t-il ? qui est-ce ? il trame quelque chose de terrifiant. Dites-le moi, et vous sauverez notre Empire d'un mal terrible. Unoko-san !...
Unoko pleurait maintenant librement. Elle attendait ces larmes depuis maintenant quatre ans ! C'était comme si elle voyait la lumière du jour, pour la première fois depuis que le Condor avait fondu sur elle.
- Il se nomme Daidoji Dajan.
Elle hoqueta. Elle avait perdu sa voix sublime et maladive de petite fille. Elle parlait maintenant comme une vraie femme.
- Daidoji Dajan... c'est mon frère. C'est lui le Maître du Kolat. Lui qui tire les ficelles. Il est diabolique. Il a toujours voulu monter des complots, depuis près d'un quart de siècle. Il est ignoble. Il brise l'esprit des gens et il sait tout sur eux. Sur vous, et sur moi...
- Je vous remercie, Unoko-san ; au nom de l'Empereur, je vous remercie. Vous contribuez à sauver notre Empire.
Tous s'inclinèrent, puis partirent sans tarder. Le nom de Daidoji Dajan ne disait rien à Hiruya. Toutefois, il connaissait un ancien ami de son père, devenu moine maintenant, qui connaissait beaucoup de monde. Ce serait l'occasion de rendre visite à sa famille, avant de partir voir le dernier témoin, Yasuki Taka.

:samurai:

Chapitre VII : Le Lièvre et le Condor

Le groupe de Shinjo Kohei quitta Tani Hitokage (la Valllée des Esprits) par le sud, et s'engagea ainsi sur la frontière nord des terres du clan du Crabe. Ils étaient dans les territoires de la famille Yasuki, les marchands du clan. Le pays n'était guère riche. On y trouvait aucun raffinement de civilisation. Les bâtiments étaient faits en grosses pierres. Des guntai passaient à cheval, sans prendre beaucoup de temps pour saluer les magistrats d'Emeraude.
L'ambiance tout au long du voyage avait été maussade. Ayame-san tirait une tête comme si elle venait de perdre sa famille. Elle ne cessait de ruminer ses idées noires, sur les démons, sur l'ombre. Kohei n'aimait pas voyager avec les gens comme ça. Il avait beau presser Ayame de penser à autre chose, elle ne voulait pas démordre de ses obsessions. Il croyait parfois, à écouter Ayame, entendre sa femme, les jours où elle avait décidé de geindre et de se plaindre de tout. Dans ces cas-là, Kohei-san avait appris que le mieux était de faire le gros dos en attendant que la grêle passe.
Aux étapes, il tâchait d'engager des discussions plus plaisantes avec Riobe, et de ne pas trop faire attention aux villages misérables qu'ils traversaient. Il lui tardait de retrouver les soirées de veillées de son pays, quand les marchands revenus de loin, les chariots pleins de trésor, contaient leurs histoires merveilleuses.

Après cinq jour de voyage morose, notre groupe de magistrats arriva en vue du Village du Voyageur Amical, le domaine de Yasuki Taka, le plus célèbre marchand de l'Empire.
L'air marin était vivifiant. Il faisait très beau. Les marins embarquaient et débarquaient leurs navires. Il y avait là des samuraï du clan de la Mante. Kohei ne le disait pas, mais il admirait le peuple de la mer, si différent pourtant du sien, le peuple des plaines, mais proche pourtant, car tous deux étaient des aventuriers, et des demi-étrangers dans l'Empire.
Mais même au soleil, contrairement aux plantes, Ayame-san ne s'épanouissait pas. Kohei acheta à un marchand des animaux en coquillage peints par des artisans heimin, pour sa femme. Bientôt, il pourrait se vanter d'avoir dans sa maison des objets venus des quatre coins de l'Empire. Il ne doutait d'ailleurs pas qu'en le revoyant, Taka allait à nouveau l'alpaguer, et lui vendre des choses jusqu'à ce que sa bourse soit vide ; toutefois, avec le traitement somptuaire versé à Hiruya-sama (et même s'il n'en distribuait pas tant que ça à ses assistants...), il avait de quoi emmener une grosse partie du magasin du commerçant.

Au restaurant, Kohei commanda pour tout le monde le menu gastronomique. Les serveurs se mirent à défiler continuellement, amenant toutes sortes d'animaux de mers frits, rôtis ou bouillis, avec de plantureuses rations de riz et de légumes. Kohei et Riobe croquaient à belles dents dans les crustacés, écrasant sans pitié leur carapace, et engloutissaient les accompagnements, le tout arrosé de copieuses rasades de sake. Ils mangeaient comme des affamés, tandis que les deux Phénix, ascètes comme à leur habitude, mangeaient avec un appétit d'oiseau. Kohei eut toutes les peines du monde à leur imposer un toast. Ayame trempa les lèvres dans l'alcool, timidement, pour la politesse.
Après un tel repas, il était l'heure d'aller digérer par une petite promenade en ville. Kohei et Riobe avaient presque doublé de volume. Bientôt, ils seraient prêts à prendre leur revanche au concours de nourriture, contre Mirumoto Sarutobi, alias Panda-san ! Le sol tremblait sous leurs pas, et quatre personnes devaient s'écarter d'eux pour les laisser passer. Les deux Phénix suivaient à quelques pas de distance.
- Quels monstres de finesse ! murmura Ikky à Ayame.

:samurai:

Le repas avait eu un peu le temps de descendre, quand Riobe sentit un picotement dans sa nuque. Il se sentait observé. Ou même suivi peut-être. Il y avait beaucoup de monde dans la rue. Riobe se retourna, et chercha une tête connue parmi le peuple. Soudain, il aperçut un rônin, jeune, mal rasé, avec un bandeau en travers du visage : Ozaki !
Il se mit à courir en sens contraire de la foule, écartant les heimin devant lui. Kohei lui emboîta le pas aussitôt. C'est là qu'il leur manquait Panda-san pour écarter les paysans à coups de ventre !
- Ozaki ! Ozaki !
Le rônin vit soudain Riobe arriver vers lui, grandement surpris, mais sans intention de fuir. Kohei était juste derrière, et les deux samuraï-ko un peu plus loin.
C'est alors que, surgi du restaurant d'en face, un énorme gaillard, de près de deux mètres de haut, bondit comme un démon sur Ozaki. Les deux hommes allèrent s'écraser contre le panneau en bois d'une maison, qui vola en éclats dans un abominable fracas. Tous les passants s'écartèrent aussitôt. Certains criaient; des marchands avaient renversé les caisses de fruits qu'ils portaient ; des pommes se répandaient partout au sol, des pots, des bottes de paille... C'était la pagaille !
Etouffé sous la masse de son attaquant, Ozaki ne pouvait atteindre son katana. L'énorme malabar le tenait plaqué au sol de son énorme poigne. De l'autre main, il venait de sortir une machette, assez grosse pour découper un boeuf. Apeuré, Ozaki s'en remit à ses Ancêtres pour le sortir de là !

Deux katanas furent dégainés en un éclair, en même temps, et dans le même mouvement, frappèrent en plein dans la graisse de l'attaquant. Chacun d'un côté, Kohei et Riobe tranchèrent à vif dans la brute. Celle-ci poussa un hurlement terrible, puis s'affaissa de tout son poids mort. Kohei et Riobe se hâtèrent de dégager le corps, libérant Ozaki. Celui-ci avait perdu connaissance. Il respirait encore, mais la fièvre l'agitait.
Ayame arriva sur les lieux, et invoqua rapidement quelques soins magiques sur le Lièvre. Un magistrat Yasuki, frêle et jeune, arriva sur place :
- Par Daikoku ! mon nom est Yasuki Garou. Je suis le neveu de Yasuki Taka-sama. Voulez-vous me dire ce qui se passe ?
Kohei, qui dominait Garou d'une demi-tête et d'une largeur d'épaule, lui pointa le doigt sur le nez :
- Mon nom est Shinjo Kohei, assistant du magistrat d'Emeraude Kakita Hiruya. Tu vas te dépêcher de me trouver un médecin pour ce rônin. Nous souhaitons l'interroger, et vite !
Garou-san sentit ses jambes trembler devant ce peu avenant Licorne.
Il organisa le transport, sur une civière improvisée, d'Ozaki vers le temple du moine Mokuro, un bon guérisseur. Kohei ordonna à Ayame de rester avec le malade. Il n'était pas question d'attendre de pouvoir interroger son fantôme !

:samurai:

Hiruya arriva au temple de Benten, où, tout petit, il avait appris qu'il était béni par cette Fortune, qui lui apporterait sa protection toute sa vie, lui assurant beauté et clairvoyance. Le vieux Doji Sanesue était maintenant moine depuis de longues années. Vaillant soldat dans sa jeunesse, il s'était de plus en plus tourné vers l'étude du Tao, à mesure que son âge avançait. Il avait toujours bien conseillé Takaaki-sama, le père de Hiruya, tué peu après la naissance de son fils. Et il avait toujours soutenu Kakita Hideko, la veuve de Takaaki. Hiruya savait qu'en cette situation, il serait de bon conseil.
Il était agréable à Hiruya de revoir cet endroit familier, paisible, après tous ces éprouvants voyages.
Le vieux Sanesue était bien là, occupé à mettre en ordre son temple, avant les cérémonies à venir. Il portait une lourde jarre remplie d'eau.
- Mais c'est Hiruya que voilà !
La joie se lisait sur le visage du vieux guerrier.
- Ca alors ! te voici donc de retour au pays ! Hiruya-sama, son excellence le Magistrat d'Emeraude ! Reconnu par la Grue Grise elle-même, notre Champion !
- Je te remercie, Sanesue-san. Je suis content de te revoir, moi aussi. Si tu savais les responsabilités qui me pèsent sur les épaules...
- Tu es venu te reposer quelques temps ici ? Sois le bienvenu tant que tu voudras, Hiruya ! Je suis certain que ta mère sera ravie de te revoir au pays sitôt. Voilà bien le premier bonheur qui nous arrive. Avec cette guerre interminable, et la peste qui se répand partout...
- Hélas, Sanasue-san, je ne suis pas venu pour me reposer. Je suis ici en tant que magistrat d'Emeraude. J'enquête sur de dangereux criminels...
- Par Benten ! j'espère qu'ils ne sont pas dans la région ! Où bien requiers-tu mon assistance ?
- A vrai dire, j'aimerais juste ton aide. Connais-tu quelqu'un du nom de Daidoji Dajan ?
Sanasue-san lâcha la lourde jarre qu'il portait. Elle se brisa, et tout son contenu coula par terre. Quelques litres d'eaux, qui formèrent vite une mare immense. Toute cette eau qui coulait, coulait...
Sanasue était livide. Il tremblait. Il s'approcha d'Hiruya, et lui prit paternellement les deux mains :
- Hiruya... Tu as bien parlé de Dajan, n'est-ce pas ?... Ecoute-moi, le mieux serait que tu ailles en parler à ta mère... Confiance, Hiruya, confiance... Je voudrais t'en t'aider...
Jamais Hiruya, de toute sa vie, n'avait vu Sanasue autant en détresse. Et pourtant, il en avait vu des guerres contre les Matsu, Doji Sanasue !
- Très bien, dit Hiruya, lui-même fort décontenancé, comme presque jamais dans sa vie. Très bien, Sanasue-san, je suivrai ton conseil.
Sans tarder, le jeune magistrat sortit du temple, et, suivi de Bokkai, Ryu et Shigeru, prit le chemin de son village natal.
Le Condor, le Kolat, Dajan... En quoi cela avait-il un lien avec lui ?...

:samurai:

Le lendemain de l'attaque sur Ozaki, Kohei décida qu'il était grandement temps de rencontrer le dernier témoin Yasuki Taka. Ozaki, toujours en proie à la fièvre (et selon le moine, il aurait à passer par plusieurs jours de délire ainsi), mais entre de bonnes mains, il ne fallait plus attendre. Le moine pensait que la maladie d'Ozaki était liée à un esprit de l'Outremonde. Il avait déjà vu cela, sur la muraille. Il ne décelait pas de trace de la Souillure chez le rônin, mais il était possible qu'un esprit l'attaque psychiquement, et cherche à épuiser ses forces physiques, pour mieux le ronger de l'intérieur.

Inquiets pour la vie du -somme toute- principal témoin de ce procès, nos samuraï partirent tout de même pour le sud du Village du Voyageur Amical, en direction de la Plaine du Soleil Levant. Il se trouvait d'ailleurs dans le domaine appelé Yasuki Yachiki, aussi appelé le Domaine de la Grue Noire. Grue Noire étant le sobriquet donné aux Yasuki, puisqu'ils firent secession d'avec le clan de la Grue six siècles auparavant.

C'était un village au bord de mer, très accueillant. On y sentait pas cette morosité ambiante, comme dans l'arrière-pays. C'était vraiment le village où tout avait commencé pour l'infatigable Yasuki Taka. En trente ans, il avait bâti un empire commercial du saké, réputé de la Muraille jusqu'au nord des terres du Phénix.
Sur les routes, on voyait toujours Taka-sama en marchand habillé comme le peuple, singeant ses manières, familier avec tous. Ici, il était chez lui, et il n'avait pas peur de montrer ses immenses richesses. Un grand temple à Daikoku, la Fortune de la Richesse, de vastes entrepôts de marchandise, une distillerie de saké grande comme un palais...
Le seigneur Taka accueillit à bras ouverts nos magistrats. Bien évidemment, il les reconnut au premier de ses coups d'oeil malicieux. Comment pouvait-il oublier qu'il avait vendu des flèches qui ne ratent jamais leur cible à Riobe, et surtout qu'il avait allégé la bourse de Kohei-san de près de 7 kokus ?

- Kohei-san ? comment vas-tu ? comment vas ta femme ? bien ? Elle a aimé ton cadeau ? Riobe, toujours vaillant ! Ayame-san, Ikky-san, quel plaisir de vous revoir ! toujours aussi ravissantes !...
Hélas, nos samuraï durent rester sur la défensive face à l'enthousiasme tsunamique de Taka-sama.
- Honorable daimyo, dit Kohei-san, nous sommes venus te voir en notre qualité de magistrats d'Emeraude.
- Oui, dit Ryu, nous aimerions vous poser quelques petites questions concernant une affaire à laquelle vous avez participé.
- Tout ce que vous voudrez, honorables magistrats, dit Taka, qui prit soudain la posture importante du daimyo. Il comprenait bien que nos héros ne venaient pas là par plaisir, et qu'on était plus à la cour d'hiver.

Taka-sama proposa une grande maison d'invités pour ses hôtes, qui se trouvèrent logés somptueusement. Le daimyo lui-même était vêtu comme un vrai prince, avec un très élégant kimono, sans extravagance, comme on aurait pu s'y attendre de la part d'un nouveau riche comme lui.
Il était vêtu dignement, et richement. Rien à voir avec son habit ordinaire, de tissu épais, son bâton de marche et son chapeau conique de marchand de poisson.

Il reçut bien volontiers nos hôtes pour répondre à leurs questions.
- Nous sommes venus vous parler d'un procès qui remonte à quatre ans, environ, déclara Ayame-san. Le procès de la famille Usagi.
- Ah, oui. Je m'en souviens !... Triste affaire.
- Vous avez témoigné contre ce clan, pour certifier qu'il usait de maho-tsukaï.
- Oui, tout à fait. C'était de notoriété presque publique que cette famille trempait dans des utilisations de magie suspectes. Quand j'ai entendu parler du procès, j'ai accepté de venir témoigner, afin que ma voix efface tout doute quant à cette famille.
- Peut-on vous demander qui vous a parlé de ce procès ? qui a demandé que vous soyez témoin ?
- Eh bien, c'est un autre témoin, le général Bayushi... Bayushi ?... voyons, ma mémoire me joue des tours...
- Tomaru ?
- Oui, c'est bien ça. Bayushi Tomaru. C'est lui qui les a détruits d'ailleurs. Oui, il est venu me trouver, et il a pensé qu'en tant que Crabe, ma voix compterait pour dénoncer des maho-tsukaï. Je suis content d'avoir oeuvré pour le bien de l'Empire en provoquant leur perte.
- Je vois, dit Ayame. Je vous remercie, Taka-sama.

Les magistrats tinrent un court conciliabule au dehors.
- Manifestement, dit Ayame, Yasuki Taka n'a pas été "forcé" de témoigner par Bashô ou un de ces complices. C'est justement un autre témoin qui est venu le chercher. Il n'a pas l'air d'en savoir beaucoup sur cette affaire. Je crains que nous soyons venu pour presque rien.
- Bah, dit Kohei, c'était le lieu de rendez-vous convenu avec Hiruya et son groupe. Et puis, nous avons mis la main sur Ozaki. Belle prise ! Une fois cette affaire finie, nous nous reposerons de tout ça chez Taka-sama !

:samurai:

Le groupe de Kohei retourna au village du voyageur amical. Ils y retrouvèrent Ozaki au temple. Deux jours avaient passé, et il finissait par triompher de la fièvre. Il mangeait avec meilleur appétit. Aux bons soins de Mokuro et ses moines, il reprenait des forces. Pour la première fois depuis la destruction de son clan, il ne fuyait plus. Le Lièvre était arrivé au bout de sa fuite éperdue. Ses chasseurs avaient gagné. Etrangement, il s'en trouvait presque bien. Il n'avait plus à se cacher, à courir sans cesse. Il allait s'en remettre à la justice de l'Empereur. Accepter son châtiment.
S'il devait mourir, au moins aurait-il vécu quelques jours où on aurait pris soin de lui.

Il était allongé, toujours fatigué, mais propre, et en voie de guérison. Nos samuraï vinrent s'asseoir autour de son lit.
- Nous avons des questions à te poser, Ozaki.
- Tout ce que vous voudrez, Kohei-san, dit-il d'une voix faible. Je suis prêt à vous dire ce que je crois être la vérité.
- Nous t'écoutons.
- Si les Scorpions sont venus pour nous détruire, c'est parce que ma soeur Tomoe avait trouvé des parchemins compromettants pour eux. Elle en avait percé le code. Le général Tomaru avait reçu ordre de reprendre ses papiers. J'ai réussi à m'enfuir, avec pour seule piste ce morceau de parchemin.
Le papier en question était posé près de lui. Il l'avait suivi sur sa route, pendant toutes ces années. Il y était écrit : "Le magistrat de Morikage Toshi a eu vent de nos opérations. Tuez-le et maquillez cela en suicide."
- Je me suis donc rendu aussi vite que possible là-bas, pour tenter d'en savoir plus, et de prévenir le magistrat. Quand je suis arrivé, il gisait chez lui, seul. Il avait les lèvres enduites de poison... C'est lui qui se l'était inoculé. Il était paralysé par la peur. Il disait qu'ils étaient partout, qu'ils le regardaient en permanence, qu'ils entendaient tout ce qu'il disait. Jamais je n'ai vu quelqu'un avoir peur ainsi. Il disait qu'on ne pouvait les vaincre. Je l'ai supplié de me dire de qui il parlait. Il a prononcé un seul mot : "Kolat". Et puis, il est mort.
"Aussitôt, des bombes fumigènes ont volé à travers la vitre. Le bâtiment a pris feu. Je me suis enfui, et on m'a fait porter le chapeau. Pourtant, je jure que je suis innocent de ce crime. Tout comme mon clan n'a jamais touché à la maho ! C'est une machination des Scorpions !
- Nous le pensons aussi, Ozaki, dit Kohei. Continue.
- J'ai échappé plusieurs fois à la traque du magistrat d'émeraude. A Ryoko Owari, j'ai appris plus de choses. J'ai rencontré un dénommé Matsu Bashô. Il a tenté de me faire assassiner. Là encore, on a voulu m'imputer ses crimes. J'ai appris que Bashô appartenait à une secte dite du Condor. Le Kolat et le Condor ne font qu'un. J'ai fui de nouveau. Plus tard, c'était l'hiver dernier, j'ai retrouvé la piste de l'ignoble Bashô. C'était à la Cité du Chêne Pale.
- Je vois, dit Riobe. C'est toi qui l'as attaqué et blessé, n'est-ce pas ?
- Oui... Bashô allait se rendre au palais, à la cour d'hiver. C'était ma dernière chance. Je l'ai surpris au coin d'une rue. Je l'ai sommé de s'expliquer, la main sur mon arme. Il n'a rien voulu me dire. J'étais furieux. Il a menacé d'appeler la garde. J'ai frappé ce traître... Il n'a pas osé dégaîné !... Il était blessé, je me suis enfui, encore et encore... J'ai eu un moment de répit quand j'ai servi comme garde dans la caravane menée par Kohei-sama... Puis j'ai couru, de nouveau... Jusqu'à ce que vous me trouviez ici...
- Pourquoi étais-tu ici ? demanda le Licorne.
- Pour parler à Yasuki Taka... Car à Ryoko Owari, alors que j'allais tomber entre les mains des hommes de Miya Katsu, j'ai vu surgir un homme habillé en marchands. Il m'a dit de me cacher dans sa boutique. Puis il a dirigé les samuraï vers un autre endroit, à l'autre bout de la ville. Il s'est ensuite retourné vers moi, m'a fait un clin d'oeil, et m'a dit : "Cours !" J'ai obéi. Plus tard, j'ai appris que cet homme était Yasuki Taka. Je suis venu lui demander des explications. Il avait témoigné contre nous, et maintenant, il me sauvait.

Ozaki retomba dans une relative inanition.
- Taka-sama en sait peut-être plus que nous ne pensions, conclut Riobe.

:samurai:

Le lendemain, le groupe mené par Hiruya arriva à son tour au village. Tout le groupe était maintenant réuni, et l'heure était venue de mettre en commun ce qu'ils savaient.
Ils possédaient maintenant six poupées, ayant appartenu (de la plus grande à la plus petite) à Daidoji Unoko, Kitsune Hamato, Toritaka Bonugi, Bayushi Tomaru, Matsu Bashô et Asako Nakiro. Chacune d'elle rentrait dans la précédente. Et la dernière s'ouvrait encore : il restait de la place pour une (ou plusieurs ?) poupée(s).

Ayame raconta en détail ce qu'ils avaient appris, sur Nakiro, le Gaki, ces 12 portails et l'aventure d'Ozaki. A son tour, Hiruya récapitula ce qu'ils savaient -en passant sous silence ce qu'il avait appris sur Dajan auprès de sa mère.
Nos samuraï étaient maintenant persuadés que cette conspiration, le Kolat, avait réussi à détruire le clan du Lièvre, par l'intermédiaire de Bayushi Tomaru. Puis avait réussi à réunir des témoins, à falsifier l'ordre de mission de Miya Katsu signé par Seppun Fumihi. Et maintenant, le Condor/Kolat s'apprêtait à invoquer un terrible vampire de l'Outremonde, le Gaki.

Hiruya parla avec Ozaki, pour entendre son histoire. Il demanda au Lièvre de rester couché encore quelques temps, même s'il mourrait d'envie d'aller tuer ceux qui avaient détruit son clan.

:samurai:

Le soir, Hiruya médita seul, devant son sabre. Il pleuvait, une douce pluie d'été.
Et il pleuvait, une semaine plus tôt, quand il était arrivé dans sa maison natale. Il avait poliment prié Bokkai, Shigeru et Ryu de l'attendre un moment. Pour que le magistrat déroge ainsi aux règles de l'hospitalité, il fallait que le sujet soit vraiment grave.
Kakita Yobe accueillit son élève sans cacher sa joie.
- Sois le bienvenu de retour au pays, honorable magistrat. Ta mère sera heureuse de revoir son fils en bonne santé.
C'était l'honorable Yobe qui, en ces temps troublés, veillaient sur la vieille Hideko, quand il n'avait pas à combattre les envahisseurs Matsu.
Hiruya entra et respira l'odeur si familière des lieux. L'odeur de l'herbe et des fleurs mouillées par la pluie, et ce jardin, inchangé depuis des temps immémoriaux.
Le magistrat savait qu'il allait évoquer un sujet douloureux, encore qu'il ne savait pas à quel point cela était douloureux.
Sa mère, contente que son fils unique soit près d'elle, sentit aussitôt qu'il très inquiet ; comment cela pourrait-il lui échapper ? Elle servit à manger et à boire et se tint prête à entendre ce que, visiblement, son fils avait sur le coeur.
- Qui y a t-il donc, mon fils, pour que tu aies l'air si chagrin ?
Là, quoi qu'il lui en coutât, Hiruya dut parler moins comme un fils à sa mère qu'un magistrat à un témoin.
- Mère, je souhaiterais que tu me parles de Daidoji Dajan.
La vieille Hideko reposa la coupe qu'elle portait. Elle l'aurait lâchée sans cela. Sa lèvre se mit à trembler, signe d'intense trouble chez cette femme qui avait enduré un long deuil. Elle aurait voulu faire comme si elle n'avait pas entendu, ou pas compris, ou comme si elle ne connaissait pas Dajan.
Déjà, elle sentait sa poitrine se gonfler de tristesse. C'était trop dur pour elle. Elle avait la gorge nouée, et elle allait éclater en sanglots.
Yobe était dans la pièce aussi.
- Vieille mère, dit-il, je vais en parler moi-même avec mon élève, si vous le désirez...
- Je crois que je vais aller faire le thé. Je reviens bientôt.
Elle se dépêcha de sortir, le visage dans son mouchoir.

Hiruya s'en voulait terriblement d'agir ainsi, de blesser sa mère en évoquant ce qui était des souvenirs manifestement douloureux. Il craignait le pire, et se préparait à l'entendre de la bouche de Yobe-senseï. Il se souvint alors des dernières paroles sarcastiques de Nakiro, quand il se consumait lentement, au village thermal :
11e épisode a écrit :- Quelle chance ! j'aurais eu la chance de te croiser enfin, fils de Takaaki !...
Il connaissait le nom du père de Hiruya par Dajan, alias Condor.

- Il était inévitable qu'un jour ou l'autre, sans doute, tu finisses par entendre parler de Daidoji Dajan, dit Yobe. Même si son nom a été rayé de nos mémoires. Même s'il a été banni de la famille Daidoji...
"Ce que je vais te raconter, je l'ai appris par mon maître, Daisetsu-sama. Il y a vingt-cinq environ, ton père, le seigneur Takaaki, était ami avec ce Daidoji Dajan. Ils avaient combattu ensemble contre le clan du Lion. A cette époque, sévissait également un criminel très dangereux, qui se faisait appeler la Grue Noire. Nous en avions déjà parlé à Heibetsu. Après que tu l'aies combattu, après l'incendie des temples des oiseaux.
3e épisode a écrit :Yobe-san avait entendu parler de ce criminel, appelé la Grue Noire. Il sévissait ses dernières années sur le territoire des Daidoji. C'était un assassin redoutable. Il avait servi les Scorpions et le clan de la Mante. Bretteur acharné, il tuait de sang-froid quiconque louait ses services, à prix d'or.
Et Hiruya avait reconnu sans aucun doute possible la technique de combat Daidoji chez son adversaire. Il avait senti pire que cela : un lien archaïque, mystérieux, fatal, qui l'unissait à la Grue noire. Comme deux ennemis mortels de toute éternité, par le seul jeu des Fortunes, sans qu'ils se soient jamais rencontrés...
Selon toute vraisemblance, ce guerrier était mort dans les décombres enflammées du temple, avec son âme damnée, Nahoko. Mais l'âme de Hiruya n'était pas en paix. Or, Yobe-san ne voulait pas sentir fléchir l'âme de son élève : elle devait rester droite et fière comme son katana.
Hiruya jura qu'il resterait fidèle à la rigueur apprise.


- Ce criminel s'est fait connaître à l'époque où ta mère te portait dans son ventre. Et il est revenu ces dernières années, à plus de vingt ans d'écart. Peu après ta naissance, un soir, ton père et Dajan se sont violemment disputés. Takaaki-sama accusait Dajan d'être la Grue Noire en personne. Et ton père n'aurait jamais porté une accusation si grave à la légère. Dajan est devenu comme fou. Sa colère prouvait sa culpabilité. Il a commencé à menacer ton père des pires choses. Ils en sont venus aux mains, et ton père a failli abattre Dajan sur place. Finalement, c'est Dajan qui s'est enfui dans la nuit, en maudissant ta famille. Il jurait de revenir se venger bientôt. Ton père, dont la parole pesait lourd, n'a pas eu de mal à faire rayer le nom de Dajan de la famille Daidoji. Désormais, c'était un rônin. Son honneur était détruit, et quiconque le verrait sur les terres de la Grue pourrait le dénoncer ou l'abattre sur place.
"C'est peu après, quand ton père est parti voir son daimyo, pour présenter son fils, que lui et mon maître, Daisetsu, ont été attaqués par un monstre. Mon maître a décapité le monstre, mais ton père est mort en te protégeant. Tout le monde a tout de suite pensé que c'était Dajan qui avait envoyé ce démon. Mais ce n'était pas un shugenja. Comment aurait-il pu lier un oni si facilement ? On a jamais rien pu prouver. Du départ de Dajan, on a plus entendu parler de la Grue Noire, ce qui montrait bien que ton père ne s'était pas trompé.
"Quand tu m'as dit avoir rencontré ce criminel à Heibetsu, j'ai eu peine à le croire. Mais le doute à présent n'est plus permis : Dajan est revenu sur nos terres, pour accomplir sa vengeance. C'est bien possible qu'il soit allé jusque sur les terres du Dragon pour t'affronter.
- Mon enquête m'a appris que Dajan était à la tête d'une très dangereuse conspiration. Je dois l'arrêter.
La vieille Hideko revint alors dans la pièce. Yobe s'inclina, et demanda la permission de partir.
Hideko servit le thé. Elle ne put se retenir longtemps de tomber en larmes. Elle se blottit dans les bras de son fils.
- Hiruya... Hiruya... Dajan, il a tué ton père ! Il a voulu nous deshonorer !... Il le peut encore !... c'est un ennemi non seulement de ton clan, mais de ta propre famille !... Tue-le ! Tue-le !...
Elle criait presque, secouée par les pleurs, et regardant par la fenêtre la pluie, comme pour y apercevoir le fantôme sans repos de Takaaki.
- Pour l'Empire, et pour ton père, retrouve-le ! et passe lui ton sabre à travers le corps ! Que les démons expirent et que les morts partent en paix vers le Yomi...
- Je le tuerai, mère, dit froidement Hiruya. Je le tuerai...

La tiède pluie d'été avait continué à tomber longtemps, et le vent balayait le jardin, comme le passé revenait balayer le présent et le charger d'une amère tristesse.

:samurai:

Chapitre VIII : Taka-sama

Notre groupe de magistrat au grand complet, suivi d'Ozaki, retourna dans la plaine du soleil levant, pour parler sérieusement à Taka-sama. Sur le chemin, plusieurs d'entre eux sentirent la terre trembler sous leurs pieds. C'était diffus, mais nettement perceptible. Les tremblements de terre n'étaient pas rare dans la région. A mesure que nos héros avançaient, les esprits de la terre grondaient de plus en plus fort.
Il y eut une secousse brusque quand ils mirent le pied dans le village du daimyo Yasuki.

A l'horizon, sur la mer, apparaissait non pas une vague, mais un mur liquide qui avançait comme une armée de cavaliers Licornes !
La plus puissante manifestation des kami de l'Eau : un tsunami !

Déjà, les cloches sonnaient l'alerte dans tout le village. La puissante déferlante broyait sur son passage les embarcations des pêcheurs, ainsi qu'un bateau qui passait par là ! Sa gueule, impitoyable, avalait tout, et recrachait des morceaux dérisoires. L'énorme gonflement allait bientôt s'écraser de toutes ses forces sur la plage !

Image


Affolés, mais néanmoins organisés, les heimin couraient se réfugier vers les hauteurs du village, encadrés par les soldats de Taka-sama. Ce n'était visiblement pas la première que cette colère de l'océan se produisait. Nos héros emboîtèrent le pas à la colonie du peuple, et bientôt, dans un invraisemblable fracas, la vague gigantesque s'abattit de tout son long sur le village. Plusieurs bâtiments furent aussitôt emportés, d'autres fracassés. La jetée, tout le petit port en bois, furent réduits à néant en un clin d'oeil. La vague repartit aussi vite qu'elle était venu. L'eau noyait la plage et la partie basse du village. Les paysans allèrent à l'eau, jusqu'à hauteur de genoux, pour commencer à écoper leurs habitations, qui ressemblaient toutes maintenant à des navires échouées ; Taka-sama dirigeait les manoeuvres de secours. Des bâtiments menaçaient de s'écrouler de partout, il fallait sortir des décombres les vieux du villages. Il semblait que le marchand avait quatre têtes et huit bras, pour aller et venir en tous sens, et insuffler courage à tous !
- Ecopez ! attention aux éboulis ! attachez-moi ces planches ensembles, faites un radeau, et allez me chercher les anciens ! vous, courez sauver ce que vous pouvez des entrepôts de sake !... Que les moines préparent des lits pour les noyés !

Nos héros ne purent que rester à l'écart, pour ne pas gêner le village sinistré. Quand l'eau se fut quelque peu retirée, nos héros purent se rendre sur la plage. Un bateau s'était échoué là. C'était le bateau qui avait été pris dans la vague.
Un noyé était allongé au bord de l'eau. Le navire était éventré de part en part. Une grosse cloche en bronze reposait sur le fond, non loin du rivage. Et le noyé portait un mon du clan du Renard.
Mirumoto Ryu regardait fixement la mer, très concentrée et inquiète.
- Les Fortunes de l'eau sont fâchées, dit-elle, absolument certaine de son propos, et elles ont envoyé ce tsunami pour fracasser ce bateau, et l'empêcher de prendre le large.

C'était comme si les Fortunes elles-mêmes avaient parlé par la bouche de Ryu. Quoi d'étonnant pour un membre du clan du Dragon, après tout ?
Le noyé était en piteux état, mais il vivait encore.
- Comment te nommes-tu, lui dit vivement Hiruya, encore qu'il connaissait déjà la réponse.
- Kitsune... Hamato...
Près d'eux, Yasuki Taka était venu s'enquérir de cette épave. Il fit une grimace en entendant le nom de l'homme, témoin du procès. Et il fixa la cloche, hocha la tête, réfléchit, maugréa quelques mots, puis lança des ordres pour dégager le navire.
On traîna Kitsune Hamato hors de l'eau.

Décidément, il était grand temps d'avoir une conversation avec le daimyo des marchands !

:samurai:

Taka-sama était un hôte qui ne traitait pas ses invités à la légère. Il leur offrit de très beaux kimonos, et une délicieuse bouteille de sake, l'une de celle qu'il vendait pour une fortune dans tout Rokugan, l'une de celles qui avait faient sa réputation.
Il finit sa coupelle, puis, avec un air parfaitement détaché :
- Vous désiriez donc me parler du procès Usagi plus en détails, samuraï ?
- Oui, dit Hiruya. Nous pensons que vous en savez beaucoup sur cette affaire.
- Hmm... quand j'ai vu ce Renard noyé, que vous m'avez dit que c'était le témoin du procès, et quand j'ai vu cette cloche, j'ai fini par comprendre...
"Avant toutes choses samuraï, je voudrais vous dire que ce que je vais vous raconter pourrait mettre en cause mon honneur et celui de ma famille. Je dois donc vous demander de garder le secret sur cet entretien. Me le jurez-vous samuraï ? sur vos Ancêtres ?..."
L'un après l'autre, nos héros jurèrent de ne rien révéler.
Ryu jeta un regard suspicieux à Bokkai, mais ce dernier était parfaitement sérieux.
- Bien, si j'ai votre parole d'honneur, alors je n'ai plus qu'à vous révéler ce que je sais.
"Il y a bien longtemps de cela, quand j'étais encore jeune -plus jeune que vous-, je savais que j'allais devenir, par ma naissance, le daimyo de la famille Yasuki. Toutefois, plutôt que de simplement hériter, je voulais mériter ma place. Je voulais rendre mon clan riche, faire honneur à Daikoku, la Fortune de la Richesse.
"Un jour, alors que j'étais en voyage dans la Chaîne du Toit du Monde, j'aperçus un samuraï allongé à terre, tremblant. Il portait un beau kimono rouge. Son mon et le tatouage sur ses paumes de mains m'indiquèrent qu'il s'agissait d'un des redoutables inquisiteurs de la famille Asako.
"Samuraï, je suis Crabe. Je sais reconnaître un tsukaï quand j'en vois un. Je suis Yasuki. Je sais reconnaître une opportunité quand j'en vois une. J'ai fait charger cet Asako dans ma caravane, et je lui ai fait passer la frontière discrêtement. Ensuite, j'ai interrogé cet homme, qui se nommait Nakiro. J'avais besoin d'argent. J'ai fait chanter sa famille. Des kokus, ou je jetai l'oppobre sur eux car un des leurs avait pactisé avec l'Outremonde. J'ai fait cela car le clan du Phénix est riche. Je leur ai extorqué une fortune, mais tout valait mieux pour eux que de perdre la face. Avec cette cagnotte, j'ai bâti mes distilleries de sake, et j'ai commencé à fabriquer le meilleur sake de notre Empire. J'ai enrichi mon clan, je lui ai fourni des milliers de kokus pour lutter contre l'Outremonde.
"Il y a peu, j'ai entendu parler de ce procès du clan du Lièvre. Je sais qu'ils avaient mauvaise réputation, mais enfin... Je ne les croyais pas coupables. Je savais que l'Inquisiteur Asako Nakiro était mêlé à l'affaire. Je savais qu'il tramait depuis plus de vingt ans des choses insidieuses, qu'il complotait... Quand je me suis proposé comme témoin, le sort en était déjà jeté pour les Usagi. Mon témoignage n'a fait que confirmer ce qui était déjà décidé : la destruction des Lièvres.
"Mais je voulais me rappeler au bon souvenir de Nakiro et ses complices. Leur montrer que je n'oublie pas, et que j'allais bientôt découvrir leurs manigances. A la cour d'hiver, je voulais approcher Matsu Bashô, mais il a préféré mourir plutôt que de se livrer à la justice pour ses crimes.
"C'est aussi pour cela que j'ai aidé Ozaki à s'enfuir à Ryoko Owari Toshi. Je voulais lui laisser une chance, qu'il me conduise, malgré lui, à ses persécuteurs. En tant que marchand, vous savez que je fréquente les basses castes. Le demi-peuple, et même le non-peuple. La lie de la société, ceux que les samuraï n'écoutent jamais. Mais s'il faut dix heimin pour attirer l'attention d'un seul samuraï, soyez bien certains que ce que dit un seul samuraï tombe dans l'oreille de dix heimin. Le peuple sait des choses que les samuraï ignorent. En particulier, sur ces conspirateurs... le Kolat. Depuis plus de vingt ans, ils sont une plaie dans notre empire. On m'a dit qu'ils ont fomenté des révoltes populaires. Qu'ils veulent monter les heimin contre les samuraï, armer la paysannerie... Qu'ils usent des méthodes les plus cruelles pour cela. C'est une menace qui doit être éradiquée, et je veux vous y aider.
"Depuis longtemps, je soupçonne le Kolat d'avoir une forteresse cachée. J'ignorais où elle se trouve jusqu'à peu. Mais maintenant, avec cette cloche, je viens de comprendre. Ils sont tout près d'ici, dans la Vallée des Cloches de la Mort. Jadis, douze shugenja emprisonnèrent leur âme dans des cloches en bronze, afin de repousser un puissant démon qui avait servi Iuchiban. Si les douze cloches ne sont pas sonnées chaque soir, le démon s'échappera. Si elles sont sonnées pour produire une certaine mélodie, le démon s'échappera, avec ses semblables, du Jigoku, le royaume des démons.
"Moi je suis trop vieux pour vous accompagner. Mais je vous donnerai une armée, des bushis, des shugenja, des armures... Mais attention, le Kolat est sur ses gardes, ils vous attend de pied ferme."

Nos samuraï avaient écouté attentivement. Taka-sama avait le ton de la plus authentique sincérité. Il voulait la destruction du Kolat, il voulait faire tout son possible pour aider nos magistrats.
Dès le lendemain, nos héros commençaient à réunir une armée pour ramener au plus vite la cloche manquante, et prendre d'assaut la forteresse des conspirateurs.

:samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Avatar de l’utilisateur
rahsaan
Ronin
Messages : 197
Inscription : 19 sept. 2004, 20:15
Localisation : Royaumes d'Ivoire

Message par rahsaan » 04 mai 2006, 22:17

La Cinquième Réincarnation - 14e Episode : Pour qui sonne le glas (suite)

Chapitre IX : Pour qui sonne le glas

Pendant qu’ils avançaient à la manière de ces tortues géantes des îles de la Mante, la centaine de puissants samuraï de la famille Hida entonnaient à pleins poumons un vieil air martial :
Nous sommes !... les Crabes sur la Muraille ! On tanne le jour ! on tanne la nuit !… Et on aime pas trop les Doji !

Progressant dans une épaisse forêt, la troupe piétinait lourdement le sol, comme si les Fortunes de la terre en personne venaient marcher dans ces lieux.

Au sortir de la forêt, après une longue marche sous un ciel incertain, les samuraï aperçurent l’armée ennemie, devant eux, en haut d’une colline. Aucun d’entre eux ne pouvait s’y tromper : ils avaient déjà tous combattu sur la Muraille.
Les êtres qui composaient cette groupe désorganisée n’était plus vraiment humains. C’était des loques, des pantins décérébrés, des créatures de l’immortel dieu sombre et d’un de ses serviteurs, le Shimushi-Gaki, jadis banni de ce monde par la puissance spirituelle conjuguée de douze shugenja. Une armée spectrale, terrifiante, décharnée, sans âme, une armée de buveurs de sang et de caricatures d'hommes, difformes, des échappés de l'enfer de Fu-Leng !

A l’avant, avec des rônins qu’il avait rencontrés et convaincus de combattre, Riobe se tenait prêt, sentant monter en lui l’excitation terrible de la bataille. En lui, le Lion apprenait à nouveau à rugir, comme lorsque c’était le général Toturi qui menait l’attaque !
Derrière, engoncé dans une lourde armure Crabe, Shinjo Kohei menait un guntai de solides combattants, de même que Hida Shigeru. Mirumoto Ryu était à leur hauteur. Au troisième rang, Bayushi Bokkai et Kakita Hiruya étaient côte à côte.
Puis, dans les lignes de défense, avec les autres shugenja, Isawa Ayame réunissait ses parchemins, épaulée par l’indéfectible Shiba Ikky.

La troupe d’en face était plus nombreuse, mais braillarde, infecte, repoussante et suicidaire. Il soufflaient des trompes de mort dans les bois lugubres, qui lançait son chant caverneux de brume. Dans l’armée des samuraï, plus petite mais resserrée comme les écailles d’un Dragon, chacun savait quel poste il devait tenir, quel était sa place dans l’Ordre Céleste.
A l’arrière, le chui des shugenja passait à cheval, et transmit ses ordres au gunso :
- A mon signal, déchaîne les enfers !
Déjà, les rituels pour se concilier les Fortunes de la Terre avaient commencé.
L’armée du Gaki hurla dans un même cri d’outre-tombe, puis commença à dévaler la pente à l’allure d’un troupeau de chevaux de cauchemars enfiévrés !
C’était, là aussi, la marche impitoyable d’un tsunami, d’immondice celui-ci, une vague de souillure qui roulait au bas de la pente !

Le choc fut effroyable, et la bataille rapide comme quelques passes de katana.
Au premier rang, les rônins reçurent de plein fouet l’attaque. Ils étaient une douzaine, et la moitié d’entre eux fut tuée sur le coup. L’onde se propagea en profondeur dans l’armée ; au deuxième rang, Kohei, Shigeru et Ryu firent face à la masse grimaçante et hurlante des créatures.
Au troisième rang, les samuraï finirent d’amortir le choc, et fracassèrent bientôt les crânes de ceux qui étaient venus jusque là. Plusieurs fois, Bokkai tomba. Etait-il mort ? non, il se relevait bientôt, dans le dos de l’ennemi, tranchant les jarrets, les chevilles, transperçant les omoplates, tandis que les tetsubo des Crabes, dans un bel ensemble, s’abattaient de tout leur poids sur les gobelins et autres créatures grouillantes. Emmenés par Hida Shigeru, un guntai lança une violente contre-attaque qui les mena au premier rang de la bataille.
A l’avant, Riobe tenait bon, et encourageait ses hommes à déployer toute leur énergie, et à aller jusqu’au sacrifice pour tenir leur position.

Dès la descente des morts-vivants, une pluie de feu et de jade s’était abattue sur les créatures, une pluie de grêlons chauffés à blanc, invoquées par les shugenja. Dans des déchirements insoutenables, les séides de Fu-Leng cramaient, se déformait ignoblement, brûlaient, se tordaient de douleur et recrachaient par tous les trous leur âme maudite !

Les os craquaient, et il se répandait une odeur de chair grillée écoeurante. Ayame faisait sa part d’invocation. Quelques sorts de maho furent projetés par les impurs créatures, mais ils furent dissipés par les shugenja. Soudain, alors qu’Ikky avait repoussé plusieurs adversaires, l’un d’eux, un samuraï corrompu, plus puissant que les autres, perça tous les rangs, se jeta en hurlant sur Ikky : celle-ci put l’abattre, mais le sabre ennemi lui porta un coup très profond. Elle s’écroula à terre.

Bokkai, malgré ses ruses, finit par être pris à partie par quelques revenants bien vivaces, qui lui infligèrent plusieurs coups violents. Hiruya reçut lui aussi son lot de coups ; il défendit chèrement l’honneur de la famille Kakita, jusqu’à se voir défier en duel par un bushi corrompu. Aussitôt, il se précipita vers lui, et l'abattit net. Il le regarda tomber, coupé en deux dans la longueur, aussi facilement qu’un roseau.
A l’avant, on avait pas fini d’en découdre. Alors que deux gunso étaient tombés, et qu’une faille béante menaçait de s’ouvrir dans la défense, Kohei s’empara d’un étendard, et, emmenant trois guntai avec lui, il brisa une troupe compacte de l’ennemi, prit position en plein milieu de leur groupe, et parvint à motiver ses hommes pour qu’ils tiennent jusqu’au bout.
Ryu perça elle aussi un flanc, emmenant, plus la grâce d'un charisme guerrier, plusieurs hommes pour une attaque décisive contre des shugenja ennemis. Ceux-ci virent leurs sorts maléfiques leur rester dans la gorge, par où coula juste ensuite leur sang verdâtre.
Enfin, Riobe, voyant déferler vers lui et ses hommes une attaque désespérée de l’ennemi, décida qu’il fallait aller au bout du combat, et tenir. Galvanisés jusqu’au bout par son don inné de meneur, les rônins, et plusieurs Crabes, se constituèrent en une petite muraille, qui permit à un grand nombre de leurs frères de se retirer du combat. Ce n’est qu’à la toute-fin, quand derrière la riposte était prête, que la troupe de Riobe céda sous le nombre.
Mais déjà, c’était la fin pour les serviteurs du Gaki. Réorganisés, la poitrine gonflée à bloc par le courage, les samuraï lancèrent ensemble la dernière offensive qui brisa pour de bon les forces ennemies.

:samurai:

L’herbe n’avait pas eu beaucoup le temps de pousser, pendant cette fulgurante bataille !
Alors qu’on achevait les ennemis et les mourants, tout le monde tomba épuisé, comme par une décision collective. Kohei sentit tout d’un coup le poids de sa lourde armure lui tomber sur les épaules, comme après la bataille de la Cité des Apparences, une fois passée l'excitation du combat. C’était à ce moment que les biens les plus précieux que puissent offrir les dieux aux guerriers étaient une gorgée d’air frais, et une gorgée d’eau.

Les heimin venaient assister les samuraï, pour leur distribuer à boire, les aider à se relever, à enlever leurs armures quand ils étaient blessés. Les shugenja rangèrent les sorts d’attaque, et commencèrent à lancer, par larges brassées, des sorts de bénédiction pour refermer les blessures. Bokkai, durement frappé à la jambe, était resté près de Hiruya, blessé à l’épaule. Riobe enleva son casque, aspira l'air comme s'il sortait de sous l'eau, et regarda ses frères d’armes morts.
N'avait-il pas mieux valu leur donner une occasion de mourir noblement ? Ryu rengaina posément ses sabres, en essayant de ne pas montrer sa douleur. Ayame s’occupa de faire soigner Ikky. Shigeru buvait du sake à la gourde, et faisait passer les rations miraculeuses de Taka à ses hommes.
Les eta venaient dégager les cadavres, les empilaient pour y mettre le feu. La terre buvait le sang, jusqu’à en faire une indigestion, et commençait déjà, lentement, à ronger les cadavres putrescents des serviteurs du Dieu Sombre.

Alors qu’un soigneur finissait d’appliquer ses mains sur ses plaies, les refermant bien vite, Hiruya se releva, encore étourdi par le tourbillon de violence où il venait d’être emporté. Quel dojo pouvait préparer à cela ? Il avait exécuté sur place le sinistre guerrier qui l’avait défié. Il tremblait encore, d’une terrible joie, face à cet exploit. Il avait montré aux Crabes ce que cela signifiait d’être un Grue !

Kohei sympathisait déjà avec ses compagnons d’armes, autour d’un verre de sake. On riait, on plaisantait, et on lançait dans de grandes embrassades. Maintenant que ces hommes avaient réalisé qu'ils avaient bel et bien frôlé la mort, une bouffée de vitalité les emplissait.
Mais les chui ne tardèrent pas à passer parmi les rangs, en leur ordonnant de reprendre leurs positions rapidement :
- La bataille n’est pas finie, samuraï ! A présent, marche forcée jusqu’au Cloches des Morts ! Nous devons y ramener la cloche manquante ! En avant !
Le silence se fit.
Bientôt, Kohei et Shigeru reformaient les guntai. Riobe vint se joindre à celui du Licorne. Les shugenja s’alignaient de nouveau à l’arrière, et l’armée se mit en marche, gravissant la colline au pas de charge. Au passage, elle piétinait les restes de ses ennemis.

Hiruya vit soudain au sommet de la colline, sur son poney, Kakita Yobe, qui le hélait, et le pressait de le rejoindre. Hiruya demanda aussitôt qu’on lui amène une monture.
- Une monture pour le Magistrat ! une monture pour le Magistrat !
- Désirez-vous qu’une garde rapprochée vous accompagne, demanda le taisa.
- Non, taisa. Continuez selon les ordres reçus. Je pars seul.
- Haï ! En avant vous autres ! L’Outremonde nous attend là-haut !

Tout le monde se remit en marche, douloureusement.
- Bravo pour votre exploit, Chui ! dit Riobe à Kohei.
En effet, ce dernier, en menant tous ces hommes, avait mérité le grade supérieur à gunso.
Le Licorne rit, et tapa dans le dos de son ami rônin :
- Bravo à toi aussi, mon vieux Riobe. Tu leur as montré comment se battre ! tu as accompli l’impossible ! Allez viens ! maintenant, nous allons infliger le même traitement au Gaki lui-même !

:samurai:
Daidoji Dajan a écrit :Les faibles se consolent par les paroles des autres. Les puissants se forgent leur propre savoir.
Les deux Grues galopaient ensemble, sous un petit bois, non loin d’un torrent qui chantait sa mélodie éternelle en dévalant la pente. La côte montait très dur à cet endroit, et même les solides poneys commençaient à peiner.
- Dajan ! il a osé nous lancer un défi !...
Yobe-sama devait crier pour se faire entendre.
- Il m’a écrit un message, et m’a indiqué le village où il se trouve ! C’est non loin d’ici.
Les deux hommes, le maître et l’élève, relancèrent de plus belle leurs chevaux. Soudain, une flèche siffla dans l’air. Elle perça la poitrine de Yobe, qui tomba de sa monture. Il roula à terre dans la pente. Hiruya s’arrêta aussitôt, et courut vers son senseï. La pointe s’était enfoncée juste en dessous du cœur. Hiruya ignorait si la retirait aller sauver son maître ou le tuer.
Le souffle coupé, Yobe fit à Hiruya un geste indiquant le chemin. Il luttait de toutes ses forces pour respirer. Il n’arrivait pas à parler, et il allait tourner de l’œil. Hiruya se hâta de le charger sur sa monture, remonta sur la sienne, et redescendit la pente aussi vite qu’il pouvait. Il rejoignit l’arrière de la troupe, et confia son maître aux heimin.
Puis, la rage au ventre, il repartit d’où il venait, à brides abattues.
Et pendant que Hiruya galopait, la haine au cœur contre Dajan, l’armée des Crabes commençait à gravir le sinueux sentier en lacet où se trouvait alignés les portails des Cloches de la Mort. On fit monter la douzième cloche, celle volée par Hamato. Elle avait été fêlée pendant le voyage. Il y avait déjà quatre nuits que les cloches n’avaient pas été sonnées, et dans toute la vallée, on avait entendu des hurlements inhumains venus des sommets. Le Gaki se réveillait...
Le son de cette cloche abîmée n’allait-il pas briser l’harmonie des onze autres ?
En rangs serrés sur les marches qui ne permettaient pas à plus de quatre hommes de faire front, l’armée commença à sécuriser comme elle pouvait sa position.

:samurai:

Une grande cascade dégringolait la falaise, en chantant la chanson du précipice.
C’était un petit village, paisible dans le soleil couchant. Le crépuscule daignait dorer une dernière fois pour aujourd’hui les forêts, de vals en vals, et rendait plus sensible, par contraste, l’intensité de l’obscurité qui montait de derrière les sommets. Pendant que dame Amaterasu fuyait vers l’ouest, son obscur époux se levait sur l'Empire d'Emeraude. Une fine pluie se mettait à tomber.
Hiruya avançait dans le village. Tout paraissait calme. Il n’y avait personne dans les rues. Notre Magistrat, la main près de sa garde, entendit des paroles venant d’un temple non loin.
Le bon peuple était réuni là, assis à écouter les paroles d’un moine de forte stature. Hiruya s’assit en silence, et ferma les yeux.
- Celui qui pendant trois réincarnations successives, énonçait le moine, n’a pas laissé par sa bouche passer un seul mensonge, celui-là sera pur. Son karma sera si brillant qu’il échappera à la grande roue du samsara, et il ne se réincarnera plus.

Le peuple s’inclina, fit quelques offrandes, puis commença à se disperser, découvrant là ce samuraï d’Emeraude qui méditait. Personne n’osa faire un geste, ni s'approcher de lui, de peur de le perturber.
Hiruya resta les yeux fermés quelque temps, agenouillé. Quand il rouvrit les yeux, le moine était devant lui, assis en tailleur. Un katana dans son saya était posé devant lui.
- Alors, tu es enfin venu jusqu’à moi, fils de Takaaki ?… Vingt-cinq après, je vais finir de me venger de la famille qui a causé ma perte…
Hiruya respira et regarda fixement l’homme devant lui : Dajan, l’assassin de son père. C’était lui, cet homme rasé, aux yeux profonds, aux traits accusés, à la carrure de yojimbo, grimé en moine !

Lentement, les deux hommes commencèrent à se lever. Dajan prit son saya, noua un obi autour de sa ceinture et plaça le saya dedans. Même au bout de son ignominie, il voulait encore se battre comme un samuraï...
Hiruya approcha la main de sa garde.

Il cligna alors des yeux. Troublé, très troublé, il venait de ressentir quelque chose.
C’était intuitif, mais absolument certain, comme une illumination.

L’homme qui était devant lui n’était pas celui qu’il avait combattu à Heibetsu !
- Qui es-tu ?
- Je suis Daidoji Dajan, tu le sais parfaitement, Kakita Hiruya…

C’est alors qu’arriva un autre samuraï. Il portait un mempo au visage. Il avait les cheveux décolorés comme les Grues. Il portait un kimono sans signe de clan. C’était lui, l’homme de Heibetsu, l’ennemi éternel de Hiruya. Oui, c’était lui qui était à Heibetsu, et pas Dajan !

:samurai:

L’armée était maintenant stationnée, en position de défense sur les marches. On fixa la cloche, puis on les fit sonner toutes ensemble. Douze samurai eurent l’honneur de pouvoir tirer de toutes leurs forces sur les cordes, jusqu’à être entraînés dans les airs, pour faire retentir à toute volée le glas de toutes les cloches. Ce soir-là, on les entendit à des lieues et des lieues à la ronde.

Seule la cloche fêlée rendit un son légèrement faussée. Et ce soir-là, alors que le crépuscule s’effaçait, un cri hideux, plutôt des dizaines de cris, glapissant, vagissant, hurlant, tombèrent du sommet de la montagne.
Un indescriptible démon, de près de cinq mètres de haut, dévala la pente et se précipita sur l’armée, prêt à la dévorer toute entière. Il était composé d’une multitude de fragments de corps enchevêtrés grotesquement. Des centaines de visage le composait. Il y avait le visage de Nakiro à plusieurs endroits, des membres en tous sens, une puanteur abominable, et à foison des griffes, des crocs, de serres…

Le Gaki rentra à toute vitesse dans les samuraï. Riobe se jeta de côté et lui sectionna au passage un de ses nombreux bras. Kohei dévia l’attaque qui allait lui emporter la tête, Bokkai se jeta à terre, Shigeru hurla quand une griffe se planta dans son bras, Ryu frappa habilement un autre membre. Des samuraï étaient expulsés par paquets dans le vide, par ce tourbillon démoniaque de Gaki. D’autres, morts de peur, s’y précipitaient, préférant le suicide à l’affrontement avec cette chose ! Le Gaki descendit tous les rangs de ses ennemis, dévorant, mordant, frappant, pareil à une tornade de souillure. Il avait passé tous les bushis, et allait précipiter toute sa colère sur les shugenja. Ceux-ci avaient fini de dessiner leurs cercles de pouvoir. Allaient-ils suffire à l’arrêter ?

:samurai:

Hiruya fit un pas en arrière et mit la main sur son sabre. Il regarda Dajan, puis l’autre, la Grue Noire, qui approchaient de lui.

- Toi ? toi !… rugit Dajan. Et il regardait le nouveau venu.
- Oui, c’est moi. Je suis venu mettre fin à tes agissements ! Il est temps d’en finir avec le passé, « maître Condor » !
- Hiruya, fit Dajan, c’est la Grue Noire ! le criminel qui déshonore ton clan. Tuons-le, et nous réglerons notre duel ensuite.
- Hiruya, lança l’autre. Dajan a assassiné ton père. Lui et Nakiro ont invoqué le Gaki pour le tuer. Moi aussi je suis là pour le tuer. Nous en finirons avec notre différend ensuite.
Décontenancé un moment, notre samuraï eut tout de même rapidement fait son choix.
Les trois hommes avancèrent, chacun vers les deux autres. Ils formèrent un triangle parfait.
Chacun approcha lentement sa main de son arme, surveillant les deux autres. Chacun savait qui il allait frapper, et tentait de bluffer les deux autres.

Dajan allait dégainer contre Hiruya, et ce dernier ne s’y trompa pas. La Grue Noire cachait bien son jeu : impossible de deviner ses intentions. Hiruya comptait frapper Dajan : c’était le maître d’une conspiration contre l’Ordre Céleste et l’assassin de son père. C'est lui devait mourir le premier. Qui plus est, il ignorait même qui était l’autre personnage, et pourquoi il était lié ainsi à lui.

Hiruya savait que Dajan allait le frapper : mais si la Grue Noire avait aussi décidé de le frapper lui, et qu’il dégainait le premier, Hiruya était perdu.
Qui allait donc se retrouver contre les deux autres ? Il était aussi possible qu’ils s’entre-tuent, si chacun frappait par exemple celui à sa droite.
Jamais un duelliste n’avait dû connaître pareille situation : un duel à trois !

:samurai:

Le brillant de l'amorce de la lame de Dajan apparut dans la pénombre du soir.
Hiruya allait réagir pour le devancer. Trop tard. Dajan frappa le premier, entaillant l’épaule de notre héros. Le coup de Hiruya partit et se perdit dans le vide ; celui de la Grue Noire alla frapper Dajan en pleine poitrine. Un deuxième coup vint aussitôt après, qui tailla Dajan de part en part. Son sang gicla abondamment en tous sens. Et Maître Condor s’écroula à terre, frappé à mort.
Blessé, Hiruya recula d’un pas. Haletant, "Tsuru Makkuro" [la Grue Noire] regarda longuement notre héros, le katana à la main. Hiruya reprit sa garde en défense, le sabre brandi devant lui. Et son adversaire n’avait pas une égratignure. A terre, Dajan se vidait de son sang à gros flots. Hiruya, tressaillant de douleur, sut qu’il n’avait que peu de chance de l’emporter cette fois.
De la manche de Dajan, roula une petite poupée.

:samurai:

Le Gaki se lança sur les shugenja. A peine une de ses pattes, semblable au sabot d’un onikage, avait-elle touché le cercle mystique d’un des shugenjas qu’une grande colonne lumineuse sortit du sol, amenant un tourbillon éblouissant de jade, de cristal et de feu. Les autres cercles se déclenchèrent eux aussi, et soudain, c’était pour le Gaki l’exposition directe à la surface de milles soleils. Vaincu par la force dévorante de tous les kami du Feu, il se consuma, ses hurlements étouffés par la danse furieuse des flammes. Les shugenja lancèrent encore tout ce qu’ils purent de tombeaux de jade et de météores de feu ! La radieuse puissance des kami annihilait sur place l’énorme et difforme vampire.
Les samuraï durent se protéger les yeux pour ne pas être aveuglés par cette incroyable féerie. En peu de temps, le Shimushigaki fut transformé en un gros tas de cendres et de charbons rougeoyants.
Il était banni à jamais dans le Jigoku ; non, jamais plus le Ningen-Do, le monde des vivants, n’aurait à redouter sa corruption !

:samurai:

La pluie tombait sur les deux hommes. Un an avait passé depuis leur première rencontre, dans le temple des oiseaux.
La Grue Noire baissa son sabre, découragé.
- Pourquoi devons-nous nous battre, dit l’adversaire de Hiruya. Qui sommes-nous ? Qui es-tu ? Qui suis-je pour ça ?... pourquoi savons-nous que notre destin est de nous affronter ?...
Il rengaina son katana posément.
Hiruya resta en garde un moment, puis rengaina aussi, et se mit à genoux sous la pluie. Dajan, immobile, figé dans un rictus de mort, buvait la pluie envoyée par Onnotangu.
La Grue Noire lui tourna le dos, puis partit, portant sur ses épaules toute la fatalité du monde.
- Attend, lui lança notre héros. Je m’appelle Kakita Hiruya. Et toi, qui es-tu ?
- Je suis la Grue Noire, "Tsuru Makkuro". Et c’est déjà bien assez…
- Ce soir, nous étions là pour Daidoji Dajan. La prochaine fois, ce sera nous.
- Oui. Nous en découdrons pour de bon. Mais je ne veux pas me battre contre un adversaire affaibli.
Une femme arriva, qui amenait deux montures. La Grue Noire monta sur l’une d’elle, et la femme sur l’autre. A la lueur mourante du jour, Hiruya la reconnut : c’était Nahoko, la traîtresse.
Tous les deux partirent vers les bois. Hiruya se releva. Il se hâta de retrouver sa monture, écarta les hemin qui voulaient l’aider, et redescendit la pente, sa blessure relançant la douleur à chaque pas.

Hiruya ramassa la poupée de Dajan, la plus petite, qui avait pour nom : Orgueil. Elle s'ouvrait encore. A l'intérieur, pas d'autre poupée, mais un petit parchemin enroulé.

Bientôt, alors que le dernier rayon de soleil quittait le monde, sous l’immense tapis d’étoiles, Hiruya dominait le sinueux chemin des Cloches de la Mort. L’armée des Crabes avait vaincu ; les compagnons de voyage de Hiruya étaient encore en vie, et tous savaient qu’ils avaient remporté une immense victoire sur l’Outremonde, mais qu’il faudrait longtemps avant que la fureur absolue du Gaki ne retombe sur la vallée, et soit remplacée dans les cœurs par le repos de la nuit.

Dans sa manche, Hiruya avait glissé le parchemin de la poupée :

« Ma jolie poupée, j’ai enfermé en toi ma pensée de ce soir.
La ronde des lucioles sur l’eau
Danse, danse, danse
Danse toute la nuit
La lune veille sur nous
Tandis que le soleil dort »


:samurai:

Epilogue : Saké !

L’armée s’en retourna dans la plaine du Soleil Levant. Kakita Hiruya put affirmer à nos héros que Maître Condor était bel et bien mort. Kakita Yobe avait pu être soigné à temps : affaibli, il garderait le lit longtemps mais resterait encore dans le monde des vivants.
Yasuki Taka réunit nos héros, le lendemain, pour conclure sur cette histoire.
- Sur mon honneur, j’ai commis une injustice envers le clan du Lièvre. Je dois aujourd’hui réparer cette injustice. Kitsune Hamato et Toritaka Bonugi étant morts, je pense qu’avec l’appui des autres témoins, Bayushi Tomaru et Daidoji Unoko, nous pourrons aider les Usagi à retrouver leur nom. Je vais immédiatement faire lancer des recherches pour retrouver Tomoe. Et ensuite, j’aiderai Ozaki à reconstruire son clan : je suis riche, et je veux que des hommes honorables profitent de mon argent, avant que je ne parte pour ma prochaine vie.
« Quant à vous, samuraï, il semble que vous ayez mis fin à une horrible conspiration. Nous seuls savons ce qui se cachait derrière le Gaki. Mais maintenant, Dajan et son Kolat son bel et bien détruits, et nous n’aurons plus rien à craindre d’eux. Belle victoire pour notre Empire ! On retiendra cette victoire des Cloches de la Mort, mais personne, heureusement, ne se souviendra du sinistre destin qui était réservé à Dajan et son complice Nakiro !
« Profitons donc de cette victoire pour ouvrir ma meilleure bouteille de sake. Vous n’avez pas volé de goûter à ce breuvage délicieux ! C’est Daikoku en culotte de velours, si je puis m’exprimer ainsi ! A votre santé, samuraï ! Kanpaï !




:samurai: FORCE ET HONNEUR, SAMURAI ! :samurai:
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance

Répondre