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par matsu aiko » 03 sept. 2005, 22:07
Une nouvelle fois, tant de choses se sont passées en un mois que je ne sais par laquelle commencer.
Je suis rentrée de mon périple dans les Terres du Lion pleine d’énergie : voir ma terre natale, les gens de ma famille, retrouver mes racines, m’a fait beaucoup de bien.
Mais ce bénéfice devait être de courte durée. Une mauvaise surprise m’attendait à mon retour : pendant mon absence, le budget annuel de la magistrature avait été diminué à…six koku par an ! A peine de quoi me nourrir avec ma yoriki.
J’ai eu également avec Shosuro Gobei un entretien qui s’est révélé fort peu agréable. Dans leur partage de la ville, Korechika-sama et Gobei-sama ont décidé en effet qu’il serait mon principal contact chez les Scorpions, en lieu et place de Shosuro Hyobu. Je n’appréciais guère Bayushi Korechika, mais en vérité je tombais de Charybde en Scylla.
Shosuro Gobei s’est révélé être un rustre préoccupé uniquement de son enrichissement personnel, et insoucieux de la sécurité de la ville. Il m’a expliqué que je devais concentrer mes efforts sur une histoire de contrebande qui nuisait à son commerce avec le clan du Phénix…un épiphénomène en vérité. Et comme je tentais d’évoquer des problématiques plus larges et plus cruciales, il me dit : « Revenez sur terre, Aiko-san » au moins à deux reprises.
Humiliée et déçue de cet entretien, j’avais néanmoins appris quelque chose : je n’arriverai à rien avec cet individu borné.
J’attendis donc l’entrevue que nous avions prévue avant mon périple, avec Bayushi Korechika, Shosuro Gobei, Doji Satsume, et moi-même, pour leur exposer ce que j’avais préparé : le plan d’action pour rétablir la justice et la sécurité à Ryoko Owari.
Je leur fis d’abord d’abord un exposé sans complaisance de la situation : la contrebande, le grand banditisme, les méfaits de l’opium…
Je vis leurs yeux s’écarquiller alors que je leur montrai, chiffres à l’appui ce que ces troubles coûtaient annuellement à la ville. Et alors que je leur parlai des mêmes orientations que celles que j’avais proposées quelques jours plus tôt à Shosuro Gobei, j’eus la satisfaction de voir Bayushi Korechika et Doji Satsume opiner du chef, et Shosuro Gobei, après un regard de chaque côté, se taire, pris entre ces protagonistes d’une gloire largement supérieure à la sienne.
De fait Bayushi Korechika me chargea de renouveler cette fructueuse rencontre le mois suivant, en invitant également un des conseillers de l’Empereur, Kakita Danshiro, qui devait justement passer à Ryoko Owari le mois suivant.
Du côté du clan Shosuro, suite au départ du gouverneur et au rattachement à Shosuro Gobei, régnait une atmosphère de confusion et de malaise ; les courtisans erraient sans but, les fonctionnaires du Palais continuaient leur routine mais en se demandant chaque matin si on n’allait pas leur demander de rejoindre leurs ancêtres. Ceux qui avaient été sommairement rattachés à d’autres clans, comme la sous-intendante qui avait été rattachée à présent à l’entourage du Champion d4Emeraude, étaient d’humeur particulièrement sombre.
Et de façon prévisible, les jeux d’influence, les intrigues et contre intrigues se multipliaient : qui serait le prochain gouverneur ?
Il y avait eu une scission immédiate entre les clans Shosuro et Bayushi, mais même au sein du clan Shosuro, il y avait des cliques et des coteries, chacune supportant un candidat différent ; l’un de ceux-ci, un homme de forte corpulence qui aurait pu avoir du sang Hida dans les veines, nommé Shosuro Bairei, briguait même ouvertement le poste. Hâbleur, sûr de lui, autoritaire, peu soucieux de nuances, sa candidature recevait un support plus ou moins mitigé, bien que Shosuro Gobei l’appréciât visiblement. Des alliances se formaient, pour être dénoncées le lendemain. Des flatteries étaient émises, et se transformaient en assassinat verbal dès que l’intéressé avait le dos tourné.
Plus que jamais, Ryoko Owari était la cité des Rumeurs, la cité des Mensonges, la ville née de l’ordure.
J’étais peu impliquée dans tous ces conciliabules. Ma nomination auprès de l’ex-gouverneur ne datait finalement que de quelques mois, et le gouverneur avait veillé à ce que je cause le moins de bouleversement possible. En fait, comme je m’en aperçus rapidement, Shosuro Hyobu n’avait communiqué à âme qui vive tous les rapports que j’avais effectués à sa demande.
Je pense qu’en fait, quand j’avais été nommée Magistrat d’Emeraude, le gouverneur était déjà dans une position périlleuse, et avait donc mené une fort efficace campagne d’immobilisme et d’isolement systématique, pour éviter tout changement qui pourrait rendre sa situation plus difficile encore.
Cette tactique s’était révélée fructueuse à mon égard, puisque je n’avais eu aucun contact avec les autres membres du clan, au point qu’au départ Shosuro Gobei ignorait même que je travaillais pour Shosuro Hyobu.
Au regard des informations dont je disposais à présent, je comprenais aisément pourquoi le gouverneur ne souhaitait pas que certaines choses soient mises en pleine lumière.
J’avais également rencontré une jeune femme, Bayushi Sawako, récemment arrivée à Ryoko Owari, et qui avait été nommée par Bayushi Koremune. De dix ans ma cadette, elle était énergique, compétente, et d’une loyauté passionnée à son clan. Elle était aussi horrifiée – et actuellement beaucoup plus virulente – que moi au regard de la situation dans la ville, et avait accepté de m’assister dans le secteur dont elle était chargée - le quartier marchand, d’une importance cruciale - mais en définissant très clairement la limite de ce que je pouvais lui demander au regard de ses obligations envers son seigneur.
J’appréciais sa rafraîchissante franchise, et son extrême loyauté. C’était certainement un exemple de ce que le clan du Scorpion pouvait produire de mieux.
Quelques jours plus tard, j’étais conviée à assister à une réunion du clan Bayushi, où étaient abordées plusieurs affaires importantes, et notamment les recommandations que j’avais faites qui concernaient plus particulièrement le clan Bayushi. En soi, être admise à participer à une telle occasion était un honneur ; mais ma mâchoire se décrocha de surprise quand Korechika-sama m’apprit qu’ils avaient décidé de revenir sur la décision prise il y a deux ans, et qui avait causé la brouille diplomatique entre les Scorpions d’une part, le clan Licorne et le clan du Lion d’autre part. Ils procédaient à un essai dans un des plus grands établissements de la ville dès la semaine suivante. Je me dis que finalement, mes tentatives dans ce sens auprès de Bayushi Koremune et d’autres personnes avaient porté leurs fruits.
En fait, comme je l’appris ultérieurement, c’est le Fils du Ciel lui-même, sollicité à la fois par le clan du Lion, le clan Licorne représenté par Shinjo Yoshifusa, et Bayushi Koremune, en faveur auprès de l’Empereur, qui avait tranché. Ce vieux renard de Korechika s’en attribuait naturellement tout le mérite. Et en fait, dix jours plus tard, devant le franc succès de la tentative, il décida de l’étendre à deux autres établissements, situés tous deux dans le quartier marchand. Si les résultats étaient concluants, la décision serait étendue à toute la ville.
Je partageais ma joie avec les Licornes, et j’informais les Lions de la bonne nouvelle. Akodo Hiromushi en resta sans voix, avant de me dire finalement que c’était une excellente nouvelle. Ikoma Yoriko nous adressa une lettre de remerciements officiels particulièrement bien tournée.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, dans cette même réunion Bayushi Korechika m’apprit sa décision concernant le problème houleux qui opposait actuellement le clan du Scorpion, les Licornes et le clan du Crabe.
Mais il me faut pour cela revenir un peu en arrière.
Otaku Benkei et Bayushi Koremune avaient négocié un accord avec le clan du Crabe, concernant la redistribution de certaines activités commerciales. La famille Ide et la famille Bayushi se partageaient le trafic de la soie tandis que le clan du Crabe prenait le contrôle du commerce des armes et armures, où ils avaient déjà une large contribution.
Or juste avant son départ, Shosuro Hyobu avait décrété un embargo sur l’exportation des armes – en effet les commerces précédemment gérés par la famille Ide et la famille Bayushi empruntaient les voies fluviales, sous le contrôle des Shosuro, qui recevaient ainsi de substantiels subsides. Or les Crabes disposant de leur propre réseau de distribution n’avaient aucune raison d’avoir la main généreuse à l‘égard des Shosuro.
Au départ du gouverneur, la situation était dans l’impasse.
Les Ide et les Bayushi s’étaient fermement appropriés le commerce de la soie, et n’entendaient pas le lâcher, mais les Crabes, eux, étaient toujours dans l’impossibilité de sortir quelque marchandise que ce fut de la ville, ce qui les mettaient dans un état de fureur indescriptible, ce qui était, avouons-le, parfaitement justifié.
Ils n’étaient pas les seuls. Le bouillant Otaku Benkei, qui s’était engagé envers le clan Crabe et avait donc perdu la face suite à l’intervention autocratique de l’ex-gouverneur, était dans le même état de fureur. Bayushi Koremune, dont la parole avait également été engagée, supportait apparemment beaucoup mieux la situation.
En raison de cette violation flagrante des accords, les relations diplomatiques avec le clan du Crabe étaient à nouveau rompus ; il y avait déjà eu plusieurs incidents en ville, et je vivais dans l’angoisse de voir la situation dégénérer encore plus, alors que nous étions à la veille de renégocier des accords essentiels.
Je m’étais donc rapprochée du fonctionnaire impérial, Otomo Dokuohtei, qui avait été nommé en charge de la confrérie des honorables marchands, chargés du fret maritime, en remplacement du gouverneur.
Dokuohtei-sama m’avait assuré qu’il règlerait la chose avant de partir pour son voyage à la capitale.
Las, le temps passait, et la veille de son départ, je n’avais toujours aucune nouvelle, malgré mes discrets messages de rappel. Je sollicitais donc urgemment une entrevue, en compagnie de Bayushi Koremune. Ma yoriki, Ide Kadiri, était également présente, bien que sa discrétion naturelle l’ait retenue de faire la moindre réflexion.
Cette entrevue fut un désastre, dont la responsabilité m’incombe ; je crains fort que mon tempérament Matsu n’ait pris le dessus à cette occasion.
Mais entendre Otomo Dokuohtei dire une chose et son contraire dans la même phrase, mentir de façon éhontée, mettre en doute l’intelligence des Crabes, essayer de gagner du temps en nous parlant de la fondation d’une commission inexistante, à laquelle il participerait, en nous faisant bien sentir que nous n’en étions pas dignes, et tenter de retourner la situation à son bénéfice de façon à obtenir des subsides encore plus substantiels que les précédents et à garder la possibilité de choisir d’autoriser, ou non, tout commerce fluvial dans la ville…c’en était trop. J’explosai.
Je lui rappelai qu’il s’était engagé à résoudre le problème avant son départ ; je lui spécifiai que si une partie était compétente en termes de commerce des armes, c’était bien le clan du Crabe ; qu’il était hors de question de laisser pendant plusieurs mois des marchandises d’une grande valeur dans un entrepôt, pénalisant le clan du Crabe au plan commercial et créant un risque non négligeable que lesdites marchandises disparaissent dans la nature.
Je dis tout cela, et je me serais probablement laissée aller à des excès verbaux encore plus regrettables, comme de conclure que les dignitaires impériaux étaient encore plus corrompus que les Scorpions, si Bayushi Koremune n’avait pris la parole, et expliqué posément pourquoi l’option proposée n’était pas envisageable.
Je crains néanmoins de m’être fait un ennemi redoutable. Dokuohtei-sama est d’un statut nettement supérieur au mien, et il a pu être légitimement se sentir offensé par mon ton et mes paroles, même s’il a continué à m’abreuver de belles paroles tout au long de notre discussion, y compris pendant ma tirade. Les Otomo ont le bras long, et il lui sera facile de glisser un mot ou deux aux bonnes personnes, se vengeant en sabotant définitivement ma carrière.
Pourtant, au moment où l’entrevue se terminait, toute à ma fureur je ne pensai aucunement aux conséquences de mon emportement, mais prévins immédiatement Bayushi korechika et Shinjo Yoshifusa que l’honorable Otomo Dokuohtei se montrait peu coopératif.
Korechika-sama n’en fut pas surpris : en fait, il avait lui-même convoqué Otomo Dokuohtei la veille, et n’avait pas eu plus de résultats. Il l’avait prévenu que l’on n’attendrait pas son bon vouloir et son retour de voyage pour faire avancer les choses ; qui plus est il avait déjà lancé les démarches nécessaires auprès de l’administration Impériale.
Yoshifusa-sama fut plus réservé, mais me promit également son aide.
La semaine suivante, trois jours après le départ de l’honorable Otomo Dokuohtei pour Otosan Uchi, à la grande satisfaction des Crabes, le blocus était levé.
Le retour de bâton allait se faire, bien évidemment, au retour d’Otomo Dokuohtei, trois semaines plus tard.
Après notre réunion commune avec Bayushi Korechika et Doji Satsume, Gobei-sama se montra moins méprisant – à défaut d’être plus aimable – et se mit à m’assaillir d’une foule de demandes diverses et variées, mais qui avaient le point commun d’être toutes urgentes et toutes importantes. Etait-ce de l'estime pour mes capacités, un simple changement de tactique, une mise à l'épreuve, ou une subtile vengeance ? Je l'ignore.
Mais je manquais déjà de main d’œuvre, le budget ridicule qui m’avait été alloué ne me permettait certes pas d’embaucher un autre yoriki, la situation devenait critique. Même en travaillant jour et nuit je ne parvenais pas à satisfaire la totalité des demandes.
Je tentais alors de convaincre certains fonctionnaires du Palais de m’assister, mais ceux-ci étaient plein de suspicion envers mes objectifs.
Il faut dire que Shosuro Gobei faisait parfois les mêmes demandes à différentes personnes, ajoutant à la confusion ambiante. L’atmosphère empoisonnée du Palais faisait le reste.
Certains néanmoins acceptèrent, tel ce jeune Shosuro tranquille et silencieux qui avait été l’assistant personnel de l’ancien gouverneur ; mais leur aide se révéla à double tranchant. Je passais autant de temps à vérifier leur travail – où je découvris plus d’un subtil sabotage – qu’à le faire moi-même.
Au bout d’un mois de ce rythme effréné, j’étais abrutie de fatigue.
Et Shosuro Gobei continuait de me noyer sous les demandes, certaines devant être présentées à l’Empereur lui-même.
Même sans ce facteur aggravant, je n’aurais pu les refuser.
Il avait beau jeu, ensuite, de me mettre en cause sur certains dossiers sur lesquels je n’avais pas encore avancé, ou pas suffisammment vite à son goût. Et malheureusement, la seule réponse que je pouvais lui faire était « Hai, Gobei-sama ».
J’avais l’impression de sombrer progressivement dans un univers crépusculaire ; pour gagner du temps, j’avais délaissé mon agréable bureau de l’Hotel de Ville pour une petite salle sombre située au Palais du gouverneur, et dont je ne sortais même pas pour prendre une collation, me faisant apporter un bol de riz et un peu de soupe de miso en guise de repas. Je n’en émergeais qu’à la nuit tombée, titubante de fatigue à la lueur des étoiles.
Je ne mangeais guère, dormais à peine. En l’espace de quelques semaines, je devins l’ombre de moi-même. Et tout autour de moi continuaient les intrigues, les chausse-trappes, les complots.
Mais je n’avais plus le loisir de rechercher des alliés, ou même de prendre un peu de recul pour analyser la situation.
Mon cerveau surchauffé volait d’un sujet à l’autre, analysant, construisant, synthétisant, projetant, parfois glissant à la dérobée vers des royaumes étranges, où résonnaient dans ma tête d’autres voix que la mienne.
Une fois je me réveillai en sursaut : je m’étais assoupie en rédigeant un rapport de plus, mais le phénomène inquiétant, c’est que pendant ces quelques minutes d’absence, ma main avait continué à écrire, et que ce que j’avais inscrit ne correspondait à rien de connu. Ce n’était pas des gribouillis inintelligibles, non, c’était plutôt comme si une autre plume, porteuse d’une expérience et d’un vécu totalement distincts des miens, s’était entrecroisée avec la mienne.
Un soir, alors que je revenais solitaire à la résidence, me revint soudain en mémoire un poème de mon collègue Dragon, Kitsuki Katsume, cruellement emblématique de ma situation présente :
Chaque journée noire
Et partout des ennemis
Des nuits sans repos
Un à un les tuer tous
Elégie de la folie
C’était devenu une lutte féroce pour la survie.