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par Seppun Kurohito » 28 avr. 2005, 10:50
[Doji Asano]
Le courtisan demeura perplexe un instant. Non pas que cette impression lui fut étrangère, mais il ne l'avait jamais ressenti avec autant de force, ni d'intensité.
Il fit quelques pas, se rapprochant du shoji, en plongeant son regard dans les parties les moins éclairées de la pièce. L'inquiétude passa rapidement, mais pas les interrogations.
Revenant à sa place initiale, il porta machinalement la main à son coeur, dont il sentait les battements réguliers. Il caressa un instant l'objet glissé sous le haori, avec une courte prière à ses ancêtres, puis se rassit.
Etait-ce la fatigue ? La journée avait été particulièrement éprouvante. Physiquement d'abord. Les exercices du protocole, s'ils ne demandaient pas d'efforts soutenus, impliquaient une raideur constante, un soutien de tous les instants.
Mentalement aussi, une concentration perpétuelle était de mise lors des fastidieux rituels imposés par l'étiquette.
Pourtant, la Cour ne faisait que commencer, et Asano, entraîné, ne doutait guère de pouvoir tenir toute une saison, s'il savait agir avec parcimonie et accorder une juste importance à chacun de ses devoirs.
Que cela pouvait-il être d'autre ? Etait-ce de nature plus spirituelle ?
Dans ce domaine, bien qu'il ait lu le Tao du Petit Maître et les classiques littéraires, il reconnaissait sans indulgence son ignorance.
A dire vrai, certains de ses récents actes, dont il tentait de réprimer vainement jusqu'au souvenir, était un témoignage de son manque total de sagesse...
Il en était bien conscient.
Mais il sacrifierait toute la sagesse du monde pour un geste d'affection de la dame qui régnait sur son coeur.
Peut-être la proximité perpétuelle de l'objet de sa passion attisait-elle sa réceptivité ?
Asano tenta de réfléchir froidement, conscient des risques personnels que cette saison, qu'il avait l'impression de vivre comme un rêve éveillé, lui ferait prendre. Saurait-il, sans aucun manquement à son devoir, susciter l'affection de sa maîtresse ? Il savait la vanité de telles pensées, mais était-il nécessaire de se mentir davantage ?
L'âme humaine est faible..., songea-t-il avec une pointe d'amertume, ou de cynisme.
Il se souvint des paroles d'Aki, sur l'amour, la folie et la mort, ces biens étranges dons faits à l'Homme...
Et ses pensées voguaient à nouveau sur des fleuves interdits, inavouables, improbables. Dans un monde où son souhait était exaucé, un monde coloré et lumineux, fait d'instants merveilleux, foulé par deux êtres seulement..
Mais avec la félicité secrète, de sourdes craintes vinrent noircir le ciel de ses pensées, menaçant de mauvais présages...
Une dame de son rang ferait un mariage convenu, éminemment politique. Quant à lui, sa famille devait déjà nourrir des projets dont il n'avait pas été avisé...
La honte revint, insidieuse, mais implacable. De retour dans la froide réalité, il ne se laissa pas engloutir, durcit son coeur et vida son esprit. Avec quelques respirations, il se força à revenir sur le problème dont il avait la charge, reprenant point par point les éléments à confier à la Magistrate.
Quelque part, au fond de ses pensées, un regard d'azur et un rire cristallin résonnaient. Rien ne pourrait arrêter ce tourment.
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Seppun Kurohito le 29 avr. 2005, 19:54, modifié 1 fois.