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par Seppun Kurohito » 01 oct. 2004, 18:57
Installé dans l'antichambre des appartements impériaux, Kurohito se laissa pénétrer du silence des lieux, troublé uniquement par quelques chants d'oiseaux qui ajoutait à sa sérénité. Fermant les yeux, il appliqua toute sa concentration sur la forme du discours pour l'Empereur, le fond étant déjà empreint dans chacune de ses pensées.
En même temps, machinalement, sa main vint prendre un pinceau souple, au manche long, et le trempa doucement dans l'encre épaisse. Lorsque une brise fraîche vint caresser son visage, il ouvrit les yeux, et laissa le pinceau aller et venir.
L'harmonie de la pensée et du geste... Le texte était déjà créé, dans le monde abstrait des idées. Il ne restait plus qu'à être le vecteur de sa matérialisation dans le monde des sens.
Chaque discipline, chaque activité, était une expérience unique, que l'être humain véritable sublimait jusqu'à l'excellence. Comme l'art du sabre, chacune était en soi un chemin qui participait à la Voie, un même paysage regardé à travers un prisme différent, observé sans relâche jusqu'à en faire partie intégrante...
Dans un mouvement unique, précis et aérien, le pinceau dansa sur le papier rigide, imprégnant la matière pour donner forme à la pensée.
Lorsque le vieux conseiller écarta finalement sa main, le texte était terminé, chaque kanji élégamment tracé dans une même continuité, à sa juste place. Il nota machinalement les quelques différences entre son intention et le résultat, méditant sur ce qu'elles lui apprenaient de nouveau sur lui-même.
Puis, soigneusement, il rangea avec révérence chacun de ses outils, avant de faire un signe au serviteur qui attendait, non loin, son bon vouloir. Ce dernier prit rapidement le nécessaire de calligraphie, alors que la brise, se levant à nouveau, séchait l'encre encore luisante. Kurohito eut un petit sourire satisfait, voyant dans ce vent soudain un juste enchaînement dans un processus naturel.
L'âge me rendrait-il complaisant avec moi-même ? se dit-il avec amusement. Il finit par rouler le papier, noua un fin ruban de soie, et tendit le texte au second serviteur.
"- Pour sa Majesté..."
Le serviteur s'inclina bien bas avant de prendre le rouleau comme si c'eut été quelques reliques sacrées de la Maison Impériale.
Alors que le Seppun se levait pour quitter les lieux, il aperçut, entre deux fusuma, un shoji glisser et une file de serviteur précéder le souverain.
Il s'arrêta un bref instant durant, le souffle coupé par la vision qui s'offrit à lui.
Koan, vêtu des parures traditionnels des samourai de haut rang réhaussés des nombreux symboles de l'autorité impériale, s'était arrêté dans l'encadrure de la porte. Grand, massif, le souverain apparaissait dans toute sa majesté. Sa grande taille, habituellement peu apprécié selon les canons de la cour, rajoutait au sentiment de puissance qu'il dégageait.
Kurohito ressentit une joie profonde de voir l'Empereur aujourd'hui, se souvenant du vaillant guerrier Hida qui avait été couronné près d'un an auparavant. Une joie teinté de fierté de servir un tel homme, porteur de tous les espoirs, image faite chair de la force de l'Empire d'Emeraude.
Le visage du souverain était indéchiffrable en cet instant précis, ne montrant ni joie, ni gêne dans ce vêtement de cérémonie ostentatoire.
Il le porte naturellement...
Cette simple pensée revigora le vieux conseiller comme peu de choses n'avaient pu le faire depuis bien longtemps. Il pourrait mourir, maintenant, sans inquiétude, l'esprit en paix. Il était encore tout à ses pensées lorsqu'il vit les traits de Koan se figer. Depuis un angle qui lui était caché, la voix de l'Impératrice s'éleva, saluant son divin époux. En un pas, Shikizu-sama apparut devant lui, éventail en main. Dans un magnifique kimono de soie fine, l'épouse du souverain avait le maintien des femmes les plus nobles de l'Empire.
Sans écouter le moindre mot échangé, il s'abîma quelques secondes seulement dans la contemplation de ces deux êtres, côte à côte.
Le couple impérial...
Cette image, il la prenait avec lui, dans son coeur et sa mémoire, pour qu'elle l'accompagne jusqu'à son dernier souffle... Il ne l'avait guère volée, elle s'était offerte à lui...
Mais pour l'heure, la suite n'appartenait qu'aux deux jeunes mariés, aux 2 piliers de l'Empire.
Et il quitta rapidement la suite, sans un bruit.
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Seppun Kurohito le 04 oct. 2004, 08:37, modifié 1 fois.