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Asahina Arimori

L’enfant hésitait, son trouble était visible. Quand il s’inclina, il oublia de retenir les lourdes armes en bois qui pendaient à son côté ; elles s’entrechoquèrent bruyamment et la sanction tomba. Sèche, dure et implacable, la baguette d’osier fouetta la plante des pieds du garçon. Face contre sol, il se mordit les lèvres pour ne pas gémir de douleur.

« Tu es la honte de la famille ! », déclara la voix implacable de son père, « Tes illustres ancêtres doivent hurler de désespoir depuis Yumi Do. »

Dehors, les serviteurs taillaient la haie de bougainvilliers alors que l’été écrasait l’Empire d’Emeraude sous le regard implacable de Dame Amaterasu. Dans une pièce une femme étouffait des larmes, sa mère. Son père continua à vilipender :

« Notre famille n’a eu de cesse de se couvrir de gloire depuis que ta trisaïeule Daidoji Koruko a fait don de sa vie pour Sensei Doji Toruri ! Je veux que lors de la visite de Sensei Doji Kara tu sois digne du nom que tu portes. Recommence, fils ! »

Le garçon se leva, la plante des pieds en feu, et sortit à nouveau de la pièce en refermant le shoji. Il inspira et rouvrit ; à genoux, il entra et tenta d’effectuer la révérence que son père désirait qu’il fasse dans deux jours, lors de la visite d’une estimée relation des siens. A nouveau, la baguette fouetta les pieds rougis… Il s’incline pour recevoir l’hommage de Doji Hiroru-sensei, l’actuel maître de l’Ecole de la Dame Tranquille, qui a remplacé Doji Kara. Des protecteurs de sa famille de longue date. Alors qu’il se relève, il aperçoit une armure de vert et d’or.

L’adolescent est aux cotés de son père, alors qu’il discute courtoisement avec leur invité, Mirumoto Atarasis. Le samouraï du clan du Dragon est fascinant, et le garçon doit se modérer pour ne pas le regarder avec indélicatesse. Il échoue, mais par chance son père ne perçoit rien, étonnement il est très attentif aux dires de son hôte.

Atarasis-sama trouble l’adolescent, il ne peut s’empêcher de le dévisager, et soudain il voit, il sait : le nez, les yeux ; son père et Mirumoto Atarasis se ressemblent trop pour que cela soit une coïncidence.

« Accompagne notre honorable hôte dans sa chambre. »

La voix de son père est sèche, dure et implacable, comme une baguette d’osier. Le samouraï du Dragon regarde avec une tendresse surprenante l’adolescent, qui peut enfin voir à quoi ressemblerait un regard tendre de son père.

Le garçon mène leur hôte dans sa chambre.

« Aide-moi, veux-tu, enfant », demande le Mirumoto. Il l’aide à arranger ses affaires et installe un râtelier dans un coin. Le bushi pose ses lames magnifiques sur le support de bois laqué, il sourit au regard ébahi que l’enfant porte. « Tu peux toucher. »

Le garçon avance un doigt hésitant vers les décorations vertes et dorées du saya, et il effleure le dragon gravé. Soudain il se retrouve empli d’amour, de sentiments partagés, la passion inavouable d’une jeune femme pour un homme, des images de promenades dans un jardin enneigé, kimono vert et bleu côte à côte, et il reconnaît son grand-père qui marche à ses cotés, jeune et fringant.

Il aperçoit son grand-oncle, non officiel bien entendu, vieux, qui lui présente ses hommages. C’est en parti grâce à lui qu’il est entré dans l’Académie, après qu’il a parlé longuement avec son père. Étrange comme les kamis sont capricieux, alors qu’il se tient aux côtés du corps de son père, dans la pièce même où quinze ans plus tôt il recevait des coups de baguette. Tous les souvenirs refont surface, surgis d’un passé qu’il avait fini par oublier alors qu’il explorait les rangées silencieuses et tranquilles de la bibliothèque de la famille Asahina.

Voilà dix ans qu’il avait quitté le petit domaine familial, son père à la fois soulagé et furieux de voir son fils devenir un shugenja, mais trop croyant pour s’opposer aux kamis. Depuis, plus de nouvelles, son père trop fier pour voir son fils renier son héritage de guerrier pour devenir un de ces couards de pacifistes, jusqu’à aujourd’hui.

L’homme se tient respectueusement à genoux ; à côté, sur son linceul, le corps de son père Daidoji Torito. Il a quitté sa retraite d’érudit pour honorer son paternel mort en faisant son devoir envers Doji Hiroru-sensei. Sa jeune sœur est présente, fière et altière ; à seulement douze ans elle porte déjà l’enseignement rigoureux de leur père, une vraie Daidoji.

Voilà peut-être le signe qu’il attendait, il est temps pour lui de cesser de se couper du monde et d’en arpenter les sentiers douloureux de la vie.

Voilà ce qu’il voit alors que les éléments de l’héritage de ses ancêtres sont réunis autour de lui.

Voilà la dernière leçon de son père, et sans doute la seule qu’il n’ait jamais comprise.

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