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par Kakita Inigin » 25 mars 2015, 23:05
Le voyage dura deux semaines. Lorsqu'ils parvinrent aux premières collines entourant la vallée où s'étendait le village de l'eau pure, les villages avaient grossi ; les palissades avaient été étendues ; une partie de la population de la ville s'était réfugiée dans les villages, se mêlant aux paysans et aux pêcheurs, construisant de nouvelles maisons à tous de bras. Les fragiles habitations paysannes - peu différentes, parmi les paysans pauvres du Clan du Crabe, des huttes de pêcheurs construites pendant la saison de pêche le long du littoral - s'alignaient sur de vastes espaces, confinant aux plantations - d'ailleurs également étendues par l'afflux de bras.
La ville elle-même n'avait pas fière allure : les murailles béaient encore, même si de fins murets avaient été construits à travers les brèches ; l'aire du donjon avait été nettoyée, toute pierre délogée, tout mortier concassé, toute poutre encore valide réutilisée ; dans le quartier noble aux murailles délivrées de leurs tourelles, les maisons nobles avaient repris leur forme ancienne, du moins celles qui n'avaient pas brûlées. Dans les quartiers heimin comme samurai, en revanche, la plupart des déprédations étaient clairement visibles, immenses balafres calcinées zébrant la cité. Du quartier eta, rien de subsistait : les maisons intactes avaient été démontées et transportées à l'intérieur des murailles, aussi précaires soient-elles, et la terre avait été terrassée afin de former des monticules coniques dès à présent couverts d'herbes. Seuls l'Arsenal et le dojo semblaient en meilleur état qu'avant la bataille, les murs renforcés, élargis des débris, le dojo doté d'une toute nouvelle palissade couronnant toute la plate-forme qui servait de terrain d'entraînement - le siège du pouvoir.
Les jardins avaient disparu, de même les vergers, rendus à l'exploitation agricole : potagers, champs, lopins débordaient des enclos domestique pour coloniser toute surface vide, transformant l'image générale de la cité en immense ferme. La lutte pour la subsistance avait occupé les survivants durant toute leur absence. Du port jaillissait une forêt nouvelle : nefs du Crabe, lourdes barges de commerce Grues, fins esquifs Mantes taillés pour la vitesse agitaient leurs mâts au vent capricieux.
Leur entrée en ville avait été saluée par les gardes ; le temps d'atteindre le dojo, ils avaient entendu cent rumeurs toutes plus invraisemblables les unes que les autres :
que le daimyo avait établi sa capitale en ville,
que sa femme était enceinte,
que le daimyo était mort,
qu'une immense armée ennemie se dirigeait vers eux,
que la Grue et le Crabe avaient signé des accords commerciaux,
que le daimyo avait vendu la ville aux pirates Mantes et que le port abritait le quartier-général d'une bande de wako,
qu'un justicier masqué pourchassait les profiteurs qui vendaient du riz acheté à vil prix aux Scorpions au poids de l'or,
que les nezumi attaquaient les humains la nuit et mangeaient leurs corps,
que Kuni Shiranai était morte,
que les Scorpions avaient expulsé tous leurs serviteurs Crabes de l'Ambassade,
qu'une enfant transformait en jade tout ce qu'elle touchait,
que Yasuki Bayuri avait donné son nom à un oni,
que le Champion d'Emeraude avait nommé un Magistrat d'Emeraude permanent,
que des bandits avaient attaqué des villages de pêcheurs,
que le fantôme d'une jeune femme Grue hantait les ruines du palais du Conseil,
qu'une flotte gaijin avait été aperçue par un navire de guerre,
que les Kaiu avaient créé une école d'artificiers pour étudier le poivre gaijin,
que le sensei Sakamasu était en fait mort et remplacé par un pennagolan,
qu'un riche marchand avait acheté six mois de production d'acier et refait la fortune de la ville,
que des enfants étaient morts de la peste,
et autres fariboles.
Lorsqu'ils parvinrent au dojo, on les fit entrer rapidement, et on les mit en présence de Hida Sakamasu.
- Vous êtes de retour, mes enfants. Que ramenez-vous de Kyuden Hida ?
Le sensei herculéen semblait fortement diminué par les évènements, et par les soucis qui devaient l'assaillir depuis lors ; une partie de son visage était figée dans un rictus triste. Autour de lui, dans son petit bureau, deux scribes - des disciples du dojo, eux aussi prématurément vieillis par les combats, toute joie envolée de leurs visages suivaient la conversation, le pinceau en alerte.