Bon, l'histoire est finie, aux modifs ultérieures près...Vos commentaires sont les bienvenus
La suite s'appelle les Noces, et elle est disponible sur simple demande en m'envoyant un MP.
Mais voici déjà un petit bonus. Ce texte n'apparait pas tel quel dans les Noces, mais il aurait pu y être.
******
Deux jours plus tard, la magistrate sortait de l’Hôtel de Ville, quand un groupe de cinq gardes se dirigea dans sa direction. Le lieutenant à leur tête l’interpella.
- Yogo Osako-sama, veuillez nous suivre, je vous prie.
Interloquée mais peu inquiète, elle le toisa du regard, et lui demanda, avec toute l’assurance hautaine et intimidante que lui donnaient des années d’expérience à prononcer des sentences :
- De quoi s’agit-il, lieutenant ?
- Veuillez simplement nous suivre, Osako-sama, répéta le lieutenant avec une politesse implacable. Les deux yojimbo échangèrent un regard.
Visiblement, le lieutenant avait des ordres. Osako fit signe à ses yojimbo de l’accompagner, et obtempéra avec un peu d’agacement. Une fois arrivée, elle apprendrait certainement de quoi il retournait.
Ils l’encadrèrent et l’amenèrent jusqu’à l’entrée d’un bâtiment bas attenant au Palais de Justice, un peu à l’écart, qui servait habituellement à « préparer » les criminels destinés à l’exposition publique. Le lieutenant s’arrêta avec sa petite troupe, et s’inclina. « On vous attend à l’intérieur, Osako-sama ». Elle fit signe aux deux yojimbo de l’attendre à l’entrée.
Alors que ses yeux s’accoutumaient progressivement à l’obscurité, elle vit que dans le bâtiment attendaient une poignée de samouraï Bayushi, d’autres gardes Tonnerre, et un magistrat Bayushi, tout habillé d’écarlate, avec un masque doré représentant un hibou. Elle le connaissait vaguement pour l’avoir vu à la cour, et se rappela qu’il appartenait à l’entourage du daimyo.
En voyant toute cette assemblée, pour la première fois un frisson d’appréhension la parcourut.
- Vous êtes bien la dénommée Yogo Osako ? lui demanda le magistrat Bayushi d’une voix glaciale.
- Hai, Bayushi-sama.
- Vous êtes accusée de haute trahison envers le clan pour divulgation d’informations secrètes à l’ennemi. Avez-vous quelque chose à dire ?
Osako broncha intérieurement devant l’accusation. Ce n’était pas possible, elle n’avait pas envoyé le deuxième courrier.
- Je pense qu’il doit y avoir erreur, Bayushi-sama. Je suis une fidèle servante du clan du Scorpion.
- Une marieuse Miya est arrivée hier soir au Palais de Shosuro Hyobu, lui dit le magistrat, implacable. Les gardes se rapprochèrent.
Les pensées tournoyaient dans sa tête, alors que l’affolement commençait à la gagner. Ce n’était pas vrai, ce n’était pas possible. Quelque chose avait mal tourné, son contact à la cour avait dû être épié, ou on l’avait fait parler, ou il l’avait trahie…
- … par respect pour votre statut de magistrat, le châtiment sera donc infligé en privé, ici même, en présence de cette assemblée. Quand il a été informé de vos crimes, votre père, qui est un loyal serviteur du clan, s’est proposé pour vous faire subir le châtiment suprême au bosquet des traîtres. Mais malheureusement nous n’avons pas ce loisir, sourit sans humour le magistrat Bayushi.Aussi au regard de vos crimes je vous condamne au supplice du pal. La sentence est immédiatement applicable.
De derrière les gardes, un homme encapuchonné s’avança, qu’elle reconnut pour l’avoir vu souvent à l’œuvre : un bourreau du Palais. Elle se mit alors à se débattre, mais les gardes la maintenaient fermement.
Elle vit aussi le long pieu pointu et la chaîne accrochée à la poutre faîtière, qui lui avaient précédemment échappé dans l’obscurité.
Elle se mit à hurler.
- Quel effet ça fait, Yogo Osako-sama ?
La magistrate ouvrit de grands yeux. Cette voix...
Le murmure de la soie claqua dans le soudain silence qui s'était fait dans le bâtiment. La silhouette déliée de la courtisane, toute en courbes soulignées d'écarlate, apparut dans son champ de vision.
Osako entrouvrit la bouche comme un poisson hors de l'eau.
Shosuro Tsukiko posa son étrange regard turquoise sur Yogo Osako et s'avança lentement. Elle tenait par la main un garçonnet d'à peine cinq ans, qui posait des yeux curieux et un peu inquiets, clairs comme les siens, sur l'assemblée.
Il avait les yeux de la courtisane mais ses traits... Elle n'eut aucun mal à y voir sa ressemblance avec le capitaine de la Garde Tonnerre.
- Alors, quel effet ça fait, Yogo Osako-sama ?
La magistrate hoqueta, incapable de prononcer le moindre mot.
- Un Shosuro paie toujours ses dettes. Vous auriez dû le savoir en travaillant ici depuis tant d'années.
Tsukiko fit un pas de côté et amena doucement l'enfant à côté d'elle.
- Je vous présente mon fils, Akira.
Le choc fit place à un éclair de haine à l'état pur.
- Vous pensiez vraiment pouvoir me faire tuer aussi facilement sur les quais, il y a quelques années de cela ?
Si des regards pouvaient tuer, Tsukiko serait morte une paire de fois à ce moment-là. Mais elle se contenta de sourire sans la quitter des yeux.
- Regarde cette femme, Akira. Elle s'appelle Yogo Osako. Elle a voulu me faire assassiner quand elle a compris que rien ne pourrait nous séparer, ton père et moi. Elle n'a pas fait ça elle-même, bien sûr. Elle n'a pas autant de courage alors elle a engagé quatre rônin. J'en ai tué deux, estropié un et le dernier a été pris par les soldats. Il est mort avec son complice sous la torture, ton père s'est assuré que ce soit long et douloureux.
Aujourd'hui, je lui rends la monnaie de sa pièce parce qu'elle a fait une erreur. Elle a pensé qu'elle pourrait donner des informations à un clan étranger et que cela lui permettrait d'avoir ton père pour elle seule. Une petite machination de femme jalouse et envieuse, qui n'a pas su se contenter de ce qu'elle avait.
Pensez-vous vraiment, Osako-sama, que j'ignorais l'accord tacite avec cette Lionne stupide ?
Regarde cette femme, mon fils, et retient une chose : un Shosuro paie toujours ses dettes, et peu importe le temps qui s'est écoulé.
- Vous paierez aussi, Shosuro-san, siffla Osako. Ne croyez pas que vous allez vous en tirez à ...
- Silence ! aboya le magistrat Bayushi.
- Je ne paierai rien du tout, je ne suis en dette avec personne.
Tsukiko fit un signe et une servante sortit à son tour de derrière le pilier. Dans ses bras, un petit garçon d'environ un an qu'Osako identifia sans peine comme étant le second fils de Jocho.
La courtisane se baissa et caressa la joue du garçonnet, qui lui sourit.
- Rentre à la maison maintenant, je ne serai pas longue.
La servante le prit par la main et ressortit, escortée par quatre gardes Tonnerre. Osako se tut, pétrifiée par une douleur si intense qu'elle lui coupait le souffle. Voir ces enfants, ses enfants...
- A vrai dire, je me moquais éperdument de savoir qu'il couchait avec vous. Je me moque d'ailleurs aussi de savoir avec qui il couche... Il ne changera pas et je n'ai pas l'intention de le pousser à changer, pas plus que je ne le veux pour moi toute seule.
Pourtant, vous n'avez pas su vous contenter de ce que vous aviez et vous avez fait la seule chose qu'il était impossible de pardonner. Vous avez trahi le Clan dans votre propre intérêt. J'en ai tiré parti. Et aujourd'hui, je tiens ma revanche. Vous ne m'en voudrez pas, j'espère...
Trop, c'en était trop. Tout le venin accumulé de Yogo Osako se déversa soudain en un torrent d'injures. Elle vomit cette rivale exécrée, en des termes qui auraient fait rougir le pire soudard du clan du Crabe.
- Silence ! vociféra à nouveau le magistrat Bayushi.
Tsukiko sourit en regardant la magistrate. Un sourire satisfait, ironique, hautement sarcastique. Très semblable à celui de Jocho. Elle se pencha à son oreille et murmura :
- Jamais vous n'auriez pu l'avoir. Il ne vous aime pas. Moi si...
Osako lui cracha dessus.
La courtisane se mit à rire en évitant l'expression de sa fureur, puis se recula et vint se placer à quelques mètres, près du magistrat de la famille Bayushi.
- Préparez la condamnée, ordonna celui-ci.
Les gardes s'avancèrent. L'expression de la magistrate passa de la fureur à la panique.
- Non...
Sans tenir compte de ses velléités de résistance, deux d'entre eux la maitrisèrent, alors qu'un troisième découpait au tanto ses vêtements, tranchant ses luxueux atours. La jeune femme se débattit sauvagement, mais sa résistance était vaine. Tout du long, son regard furieux resta fixé sur Tsukiko.
Et celle-ci ne cessa pas de sourire. Elle assisterait jusqu'au bout à l'agonie de sa rivale. Un Shosuro paie toujours ses dettes. Quelles qu'elles soient.
Une lourde chaine fut fixée autour des poignets minces de la jeune femme, alors que les gardes la débarrassaient de ses derniers vêtements, la laissant entièrement nue, avant de se reculer.
Son corps enveloppé de ses longs cheveux noirs était mince et harmonieux. Sa figure était déformée par la peur et la haine.
D'une secousse, la chaine tendit ses bras vers le haut.
- Avez-vous une dernière parole à prononcer, Osako-san ? demanda formellement le magistrat Bayushi.
Le regard d'Osako n'avait pas quitté sa rivale.
- Que Seigneur Lune te maudisse, que tes entrailles pourrissent, que tes enfants périssent, que chacun de tes jours soit une agonie ...
Le magistrat fit un geste brusque. La chaine se tendit, hissant la jeune femme au-dessus du sol. Puis la tira, plus haut, toujours plus haut. Au-dessus du pal.
Tsukiko regarda le spectacle avec intérêt. Aujourd'hui, Yogo Osako payait la note, avec les intérêts.
- Détendez-vous, magistrate. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer, après tout.
La fureur et l'affolement se disputaient sur la figure de cette dernière. Tout son poids pesait sur ses bras en extension, alors que la chaîne baissait, centimètre par centimètre. Mais ses efforts ne faisaient que la rapprocher de l'instrument du supplice. Au moment où ses cuisses touchèrent le métal, elle cria.
Le magistrat secoua la tête avec impatience. La condamnée ne montrait vraiment aucun respect pour l'application de la justice du clan. Très décevant de la part de quelqu'un qui avait exercé de si hautes fonctions. Et qui avait appliqué la justice avec tant de zèle selon elle.
- Tenez-lui les jambes, ordonna-t-il.
Deux gardes s'avancèrent et s'emparèrent des chevilles de la jeune femme. Elle se débattit de toutes ses forces, mais elle se retrouva bientôt écartelée, les jambes largement écartées juste au-dessus du pieu.
Puis la chaine se relâcha brutalement. Osako poussa un cri de bête.
Le magistrat eut un soupir excédé, et se leva, laissant aux gardes le soin de la surveillance. Le supplice pouvait durer un bon moment, selon la résistance du condamné. Il reviendrait plus tard, pour constater que la condamnation avait été bien appliquée jusqu’à ce que mort s’ensuive. Avec un bref signe de tête à Tsukiko, il sortit.
La courtisane le salua d'un sourire gracieux mais ne bougea pas de là où elle se tenait.
Jusqu'au bout. Elle resterait jusqu'au bout pour ne jamais oublier. Comme le papillon butinant le lotus qu'elle avait fait tatouer sur sa peau.
Elle vit toutes les contractions, toutes les douloureuses crispations, tous les mouvements qui ne faisaient qu'enfoncer un peu plus loin le pieu fatal, elle entendit chacun de ses cris, de ses gémissements, de ses hurlements, de ses hoquets, elle devina la douleur inimaginable endurée par la condamnée, ne perdit pas une miette de son agonie, jusqu'à ce que, comme un papillon sur une aiguille, le corps pantelant de la magistrate ait achevé ses derniers soubresauts, et gise enfin immobile, le sang et la sanie dégoulinants à la verticale le long du pal.
Voilà ce qu'il en coûtait quand on trahissait le Clan. Cette leçon était imprimée au fer rouge dans l'esprit de tous ceux qui avaient supporté jusqu'au bout le supplice de Yogo Osako. Quels que soient sa position, sa puissance, son rang.
Voilà ce qu'était venue voir la fille de Bayushi Shoju.
La justice de son Clan.
Celle de son père.
Elle n'avait pris aucun plaisir à voir Osako endurer cela. D'ailleurs, elle ne l'avait pas souhaité à sa pire ennemie.
Mais elle avait vu son application, dans sa plus terrible acceptation.