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par Pénombre » 08 juin 2004, 09:52
Vous avez éclaté de rire lorsque je suis arrivé.
Et je n'ai rien dit.
Vous vous êtes moqués de moi, m'avez traité de "geisha déguisée en homme", de "tafiole" et bien d'autres noms encore.
Et je n'ai rien dit.
Alors, vous m'avez traité de làche et de pleutre.
Et je vous ai souri
Parce que vous n'aviez pas compris.
Pour vous, je ne serai jamais rien d'autre qu'un courtisan qui a pris sur l'autel familial un sabre dont il ne s'est jamais servi et qu'on a envoyé sur le Mur.
Pour vous, la fondatrice de mon clan, celle dont je porte le nom, n'était qu'une femme incapable de se défendre.
Pour vous, un samurai de la famille Doji n'est rien de plus qu'une ordure, un menteur, un pleutre.
Vous vous moquez bien de savoir ce que je fais ici
Non, mes ancêtres ne forment pas une longue liste de guerriers qui sont morts pour nous protéger du Sombre Seigneur. C'est incontestable.
Mes ancêtres étaient des artistes, des courtisans, des poètes, des historiens… des gens qui ont fait en sorte que notre Empire ne soit pas qu'une collection de survivants et de brutes mais aussi une civilisation, une nation, la preuve vivante que l'homme est bien plus proche du divin qu'il ne l'est de sa nature animale.
Sans mes ancêtres, aussi anonymes soient-ils, vous mes compagnons du Crabe n'auriez rien à protéger. Vous n'auriez même pas de raison d'être parce que sans la sœur de notre premier Empereur, sans son époux, sans les autres clans, sans les Sept Tonnerres, il n'y aurait tout simplement pas d'Empire.
Nous sommes tous liés.
Nous sommes Un.
Nous sommes l'Empire. Nous sommes l'Homme. Nous sommes les héritiers des enfants du Soleil et de la Lune. Nous et nous seuls.
Et c'est parce qu'Elle, oui Elle dont je porte le nom l'a dit un jour que je suis ici.
Parce qu'Elle a dit que l'honneur n'existait pas à travers un acte unique mais à travers toute notre vie. Que chaque vie avait son importance parce qu'elle n'était qu'une chose unique qui disparaitrait bientôt à tout jamais.
C'est justement pour cela que je suis ici. Pour Elle, pour notre nom. Parce que je suis ce que je suis.
Parce qu'il y a quelque chose de bien plus abominable que les terres corrompues qui représentent désormais mon seul horizon.
Oh oui mes pauvres compagnons du Crabe qui avez tout compris de travers. Il y a quelque chose de bien pire que le Jigoku.
Il y a quelque chose de plus froid que les nuits de l'Outremonde, de plus glacé que l'obsidienne, de plus gelé que l'hiver lui-même.
Il y a le coeur de l'homme.
Parce que ça n'est pas le Sombre Seigneur qui est responsable du mal. Il n'est que le tentateur, le corrupteur. C'est bel et bien nous et nous seuls qui faisons le premier pas vers lui. Voilà pourquoi certains de vos combattants souillés continuent à affronter fidèlement l'ennemi alors que des gens en apparence vertueux se tournent vers lui de leur plein gré. Il y en a dans chaque clan, même le votre.
Et vous l'avez oublié.
Sans nous, sans notre ambition, sans notre fragilité, l'Outremonde serait bien moins puissant.
Nous sommes l'Homme.
Capables de l'Illumination comme de la Damnation.
Mais vous, mes amis du Crabe, vous avez oublié cela. Pour vous il n'y a que la guerre et la Souillure. Si seulement vous relisiez un peu votre propre histoire, notre propre histoire, vous verriez que des ambitions et des aveuglements qui n'ont rien à voir avec l'Ennemi sont bien assez suffisants pour causer des atrocités sans nom.
Oh oui, il n'est nul besoin d'être marqué par le Jigoku pour agir d'une manière qu'il lui convienne.
Je l'ai vu dans mon propre clan. Dans ma propre famille. Et j'ai fait ce qu'il fallait pour que cela cesse là ou je pouvais le faire cesser.
Et vous ?
Voilà pourquoi je suis ici mais vous ne le saurez jamais.
Vous ne saurez jamais qu'il suffit d'être assez égoiste, assez faible de caractère, imbu de soi-même pour faire sous le couvert de l'honneur des choses terribles que ne renieraient pas les oni eux-mêmes. Pourquoi croyez vous qu'Elle a dit autrefois cette petite chose sur l'honneur et la vie ?
Elle le savait très bien.
Les Huit apprirent beaucoup avec le Petit Maitre mais ils n'étaient pas totalement ignares non plus. Ils connaissaient en partie les voies du Ciel. Et les voies du Ciel ne s'intéressent pas qu'à nos vies et nos morts amis du Crabe.
Les voies du Ciel s'intéressent à nos âmes.
Vous me méprisez.
Vous me voyez comme un fourbe, un hypocrite qui joue des faveurs des puissants et de son argent pour vous manipuler.
Vous avez raison. C'est bien ce que nous sommes.
Mais vous avez également tort.
Parce que nous sommes tout cela mais également bien plus que cela.
Comme vous, comme les Lions, les Scorpions et tous les autres.
Nous sommes des hommes.
Vous nous reprochez de nous cacher derrière vous.
Mais c'est votre ancêtre lui-même qui l'a voulu ainsi. Lui qui était persuadé d'être le seul capable de protéger l'Empire.
Lui qui fut le premier à tomber dans le tournoi qui décida du premier empereur.
Vous nous reprochez de vivre dans nos palais bien à l'abri.
A l'abri de quoi Crabes ?
De l'Outremonde, certes, mais pas de nous-mêmes.
Et vous, comment faites vous pour vous cacher vos propres manques ?
Vous vous battez. Vous essayez de nous protéger contre la Horde.
Et qui vous protége de vous-même ?
Personne
Parce que les autres ne sont à vos yeux que des làches, ou des fourbes, ou des imbéciles.
Vous êtes seuls, amis Crabes. Et par votre mépris, par la manière dont vous traitez ceux qui viennent vous rejoindre, vous serez toujours seuls.
Parce ce que c'est vous qui voulez bien l'être. Parce que ceux qui ne vous aident pas comme vous le voulez ne méritent pas qu'on leur accorde la moindre importance. Parce que ce qui ne vous ressemble pas ne mérite pas votre respect. En cela, vous êtes exactement comme nous. Vous cherchez ce qui nous distingue et non ce qui nous rassemble.
Alors, vous me traitez de làche parce que je ne réponds pas à vos insultes.
Vous dites que j'ai peur de mourir.
Vous avez tort.
Oh, je sais bien que je n'ai aucune chance de vaincre l'un d'entres vous.
Et vous croyez que cela a de l'importance.
Alors, vous me provoquez et espérez qu'un jour vous aurez l'occasion de répandre ma cervelle sur le sol. Après tout, je ne suis qu'un courtisan, n'est ce pas ? Un sàle menteur hypocrite.
Et ce faisant, vous oubliez la leçon la plus essentielle que l'on vous enseigne pourtant.
Moi, je sais quelle valeur à la vie.
Et je ne veux pas que ma mort soit inutile.
Vos insultes m'indiffèrent. Parce que je ne suis pas votre ennemi. Je ne l'ai jamais été. Je ne le serai jamais. Je ne suis même pas l'ennemi de ceux que nous affrontons désormais côte à côte.
Non.
Je ne suis même pas leur ennemi.
Eux, ils ne sont que mes adversaires.
Le seul ennemi que chaque homme possède est en lui-même. Et si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que j'ai fait ce que vous croyez être les seuls capables de faire.
Bien des fois, j'ai regardé mes faiblesses en face. J'ai soupesé le poids du mensonge, j'ai caressé l'idée de la traitrise et humé le parfum de la séduction. Je m'en suis servi comme vous vous servez de vos armes. Parce que c'était mon devoir.
Bien des fois, j'ai survécu aux complots et au poison. Parce que c'était ce que l'on attendait de moi. J'ai survécu et je suis allé de l'avant même lorsque j'ai su qu'aller de l'avant m'amènerait ici. Je n'ai pas reculé. Je n'ai pas usé de mon influence pour me cacher derrière plus puissant que moi. Non. J'ai agi en connaissance de cause et j'ai accepté ce faisant d'en assumer toutes les conséquences.
Comme le disait notre Tonnerre il y a mille ans, même si je ne peux frapper qu'un seul coup avant de mourir, je ferai en sorte qu'il compte.
Je n'ai pas oublié qui j'étais. Je n'ai pas succombé aux tentations ni à la peur pas plus que vous ne succombez au désespoir.
Je n'ai pas oublié le nom que je porte.
Parce que mes amis, je suis comme vous.
Je vis pour servir.
Je meurs pour servir.
Je suis un samurai.