Un dossier plutôt intéressant dans le libé de ce matin sur ce qui s'est passé hier aux Mureaux. Le premier article revient sur certains ratés de l'opération et le second, finalement plus intéressant, insiste sur la dimension médiatique de cette histoire.
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«Ils m'ont braquée dans ma chambre»
Le raid médiatico-policier aux Mureaux s'est soldé hier par un fiasco: un seul suspect arrêté sur cinq pour 100 policiers déployés, casse et erreurs.
Par Christophe BOLTANSKI
QUOTIDIEN : Jeudi 5 octobre 2006 - 06:00
Les coups de bélier ont cabossé le blindage de la porte, fissuré le panneau en bois, forcé la serrure. Depuis le raid de la police, le ménage a été fait dans l'appartement. Plus de vêtements répandus sur le sol, d'étagères vidées, ou de matelas retournés. Juste un enfant de six ans qui pleure dans le couloir. Sa grande soeur, «Lina», tient «à préciser» qu'il est «trisomique» et a été mis en joue «avec une arme». Une fillette de 11 ans approche : «Moi aussi, ils m'ont braquée dans ma chambre.» En entendant les bruits de marteaux, la mère s'est avancée. Elle a reçu la porte d'entrée sur le visage : «On a eu droit à des insultes. Ils ont dit "bâtards".» Sa fille aînée ajoute : «De toute façon, ils ne nous aiment pas.»
Ramadan. Il était 6 heures du matin quand les forces de l'ordre ont investi la cité Bizet, un ensemble de tours et de petites barres de quatre étages, disposées autour d'un bac à sable toujours «rempli de morceaux de verre», à l'entrée du quartier dit des Musiciens, aux Mureaux (Yvelines). Cette famille musulmane venait de terminer le suhûr, la collation avant le début du jeûne, comme tous les matins du mois de ramadan. «Les policiers cherchaient mon frère. Mais il n'a rien à voir avec ce qui s'est passé. Il n'était pas là. Il habite le Maroc», explique Lina, «un surnom» que cette jeune femme chargée d'études de marketing s'est choisie pour raconter son histoire aux journalistes. Les policiers sont repartis «sans faire d'excuses», pas même pour la porte fracturée. Coût : «1 800 euros non pris en charge par l'assurance.» Son autre frère, «lui aussi Bac + 5», a été menotté. «Il fait des maths et des statistiques. Mais là, question statistique, ils ont fait fort.»
L'opération a mobilisé pas moins de cent policiers : des CRS, des agents de la Sécurité publique, des enquêteurs, des membres de la BAC (Brigade anticriminalité), de la PJ de Versailles... «Rien que chez nous, ils étaient une vingtaine.» Sans compter les médias. Près d'une trentaine, alertés dès la veille au soir, à l'exception de certains, comme le journal Libération, qui n'a pas été mis dans la confidence. Beaucoup de radios et de télés. «On les voyait grimper les escaliers derrière les CRS. Quand la police est partie, tout le monde se moquait. Car, résultat : zéro», poursuit Lina. Sur les cinq personnes recherchées, une seule a été interpellée.
Les policiers traquaient les auteurs de l'agression contre sept des leurs dans ce même quartier des Musiciens. Dimanche soir, une patrouille qui venait d'interpeller un suspect a été prise à partie par une vingtaine de jeunes, affirment plusieurs témoins, et non par une foule de «150 à 250» personnes, comme l'avaient d'abord affirmé les policiers. «Tu veux voir ce qui s'est passé ?» demande un garçon en tendant l'écran de son cellulaire. Le film montre une voiture qui percute un véhicule de police arrivé à contre-sens. Le conducteur est frappé à terre par des agents. Des échauffourées éclatent. «C'était un toxico, les keuf le connaissaient très bien et auraient pu attendre le lendemain pour l'interpeller. Ils ont commencé à le tabasser. Un jeune est venu leur demander de se calmer. Il s'est fait gazer. Après ça a dégénéré», raconte Vincent, massé avec ses copains au pied d'une tour. Ils regardent pour la énième fois les images des policiers qui fuient à bord d'une deuxième voiture, abandonnant leurs trois collègues. «Ils ont paniqué. Ils avaient peur pour leur peau.» Ils racontent comment «Pioupiou», leur compagnon, a protégé «un flic correct qu'il connaissait» et qui avait trouvé refuge derrière la grille de la maternelle Jacques-Prévert. Pioupiou est aujourd'hui recherché. Son domicile a été perquisitionné, sa femme convoquée. «Je pensais qu'ils allaient lui donner une médaille, s'écrie Mohammed Hocine, un militant des banlieues. Après ça, plus personne ne va vouloir aider les flics.»
«Tu dis Bizet, tu es mort» . Ils sortent de leur salle de sport aménagée dans un ancien local à poubelle. Murs bleus, moquette verte, instruments de muscu. «On l'a créé nous-même. Sans un sou de la mairie.» Bizet, disent-ils, c'est la «cité noire» d'un quartier déjà défavorisé. Un lieu «bien connu des services de police». Par le nombre de ses voitures brûlées notamment. Les policiers «n'aiment pas la cité. Dès que tu dis Bizet, ça y est, tu es mort», lance Mahmadou, 24 ans. «Ils disent qu'on est révolté, s'énerve Vincent. On a accepté notre sort. Mais que les flics n'en abusent pas.»
Ils crient leur rage après les perquisitions musclées du matin. «Le mec arrêté n'a rien à voir. Tout le monde le sait», affirme Mohammed Hocine. Debout à ses côtés, Adama porte un hématome au visage dû, dit-il, à un coup de matraque : «Chez moi, ils ont défoncé la porte. Ils ont mis ma mère par terre, et après ils ont dit qu'ils s'étaient trompés. Ils vont le payer.» «C'est la guerre», surenchérit un autre. «Sarko ne sait que mettre de l'huile sur le feu», selon Vincent.
«Grande émeute». Aux Mureaux, le raid est diversement apprécié. «Cent policiers pour arrêter une personne ? Ça grandit les problèmes. Les gens voient ça comme une grande émeute», déclare dans la cité voisine des Bougimonts, Fatima Nabil, de l'Association des femmes unies. Devant l'hôtel de ville, le maire François Garay, (divers gauche) ne décolère pas. Il n'a pas eu droit aux mêmes égards que les médias. Personne ne l'a prévenu. «Le préfet ne m'a pas appelé, et quand j'ai eu le sous-préfet au téléphone pour autre chose, il ne m'en a même pas parlé.» Seul le commissaire de la ville l'a alerté «à huit heures moins vingt du matin. Parce qu'on a de bonnes relations». Qui a organisé ce grand spectacle ? Il sourit. «J'ignore si c'est Sarkozy, et je m'en fous. Mais ça, c'est de la télé-réalité. Ce n'est pas digne d'une république laïque.» Depuis les émeutes de l'an dernier, il dit «gérer le fil du rasoir. On rame et en trois minutes d'images au 20 heures, ils vont détruire tous mes efforts».
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Média échaudé craint l'opération de com
En déclenchant un débat dans les rédactions, le raid d'hier s'est retourné contre ses initiateurs.
Par Olivier COSTEMALLE, Raphaël GARRIGOS, Isabelle ROBERTS, Gérard THOMAS
QUOTIDIEN : Jeudi 5 octobre 2006 - 06:00
La descente aux Mureaux est-elle celle de trop ? Hier, à l'image du fiasco policier, elle a tourné au fiasco médiatique. Elle est bien loin d'avoir eu le retentissement de la descente aux Tarterêts, le 28 septembre, ou de l'interview du CRS au visage tuméfié sur son lit d'hôpital. Deux opérations chapeautées, voire organisées, par le ministre de l'Intérieur. Sauf que celle des Mureaux a tourné au vinaigre. Autopsie d'un ratage.
Mollo sur Les Mureaux
Même l'ineffable Jean-Pierre Pernaut l'a reconnu hier dans son 13 heures de TF1. La descente aux Mureaux ? «Une opération de police très médiatique avec énormément de caméras de télé.» Un sujet «off», quelques images assorties du commentaire du présentateur, au bout de dix-huit minutes de journal. Mêmes précautions oratoires et même «off» chez Elise Lucet à 13 heures sur France 2, où l'on parle d'une «nouvelle opération de police spectaculaire». Mieux, sur France 3, au 12/13, le sujet est uniquement axé sur la mise en scène médiatique : la caméra filme les autres caméras en train de filmer les interpellations, et le commentaire parle d'une «opération portes ouvertes» pour la presse. Pour Paul Nahon, directeur de la rédaction nationale de France 3, il fallait montrer «le décor et l'envers du décor. Nous avons montré les policiers, mais aussi la foule des journalistes». A France 2, pour le 20 heures, il y a eu débat. Alors que seul un «off» sur la descente était prévu, suivi d'un reportage sur la vie aux Mureaux, les journalistes ont rectifié le tir, explique l'un d'eux : «Si nous avions fait seulement un "off" au 20 heures, on nous aurait reproché de vouloir minimiser le ratage policier ; nous avons donc décidé de faire un sujet entier sur le ratage.» Chez TF1, en revanche, on n'a pas eu ces scrupules. Commentaire lapidaire d'un journaliste : «Comme on ne voulait pas d'emmerdements avec un sujet sur le ratage, on a fait aussi un "off" à 20 heures.» Robert Namias, directeur de l'information de la Une, n'était pas joignable hier. Le Parisien, qui avait consacré sa une et deux pages au «coup de filet aux Tarterêts contre la violence antipolice», ne prévoyait hier après-midi de consacrer que deux tiers de page à l'opération des Mureaux. Pourquoi une telle différence de traitement ? «Tous les éléments entrent en compte : le nombre d'arrestations, la perception de nos journalistes de la rédaction locale, et tout simplement la place dont on dispose dans le journal», euphémise Gilles Verdez, rédacteur en chef.
Qui convie les journalistes ?
L'ombre de Sarkozy plane sur les rédactions : le ministre de l'intérieur et accessoirement candidat à la présidentielle tire les ficelles, convoque les journalistes à assister aux exploits de sa police. Vrai, mais pas si simple. «Il y a une vraie surenchère médiatique du côté des syndicats de policiers, affirme Christophe Moulin, rédacteur en chef police-justice à LCI. Les mecs se battent pour passer à la télé.» D'autant que les élections professionnelles se tiennent en novembre. Mardi, raconte Moulin, pas moins de quatre syndicats l'ont averti de l'opération : «Certains te proposent le portable de tel ou tel délégué, te disent qu'il sera posté à tel endroit, il y a maintenant des vrais tour-opérateurs pour les opérations de police en banlieue.» D'autres journalistes voient la patte de Sarkozy derrière les syndicats : «Certains syndicats sont vraiment la courroie de transmission de Sarko ; il n'a même plus besoin d'appeler les journalistes, les syndicalistes le font pour lui.» La Direction générale de la police nationale (DGPN) dément : le ministère de l'Intérieur «n'est en rien à l'origine» de la présence de la presse. Laquelle, déclare la DGPN, «est en effet toujours susceptible de gêner les opérations et de la révéler aux personnes recherchées». Pas faux, rigole Benoît Chaumont, journaliste à i-télé, qui était hier aux Mureaux : «Ça devient n'importe quoi : quand, à 5 h 30 du matin, cinq ou six voitures immatriculées 75 et un camion avec des stickers France Info tournent dans la cité, ça manque légèrement de discrétion.»
Y aller ou pas ?
Tempêtes sous des crânes dans les rédactions, hier. A Radio France, on s'engueule. D'un côté, Patrice Bertin, directeur de la rédaction de France Inter, juge qu' «il faut toujours être présent, pour décider ensuite de diffuser ou pas un sujet». De l'autre, le SNJ : «C'est une ligne faux cul, nous sommes bien évidemment instrumentalisés.» Sébastien Laugénie, de la Société des journalistes (SDJ), modère : «Quand on est prévenu, il faut y aller mais il faut absolument dire à l'auditeur qu'on est en groupe de journalistes. Tout dire, c'est la dernière marge de manoeuvre éditoriale.» C'est la ligne de France 3, où, depuis l'exposition du CRS blessé, les circonstances sont à chaque fois précisées : «Nous nous posons toujours trois questions, souligne Nahon. Est-ce qu'on doit y aller ? Est-ce qu'on passe le sujet ? Et comment on en parle ?» De son côté, le SNJ de France 2 appelle «les journalistes à [...] rejeter cette communication ultrasécuritaire qui ne profite qu'à ceux qui la mettent en oeuvre». A Radio France et à France 3, les SDJ vont organiser des débats en vue de la présidentielle. «On a peut-être tendance, reconnaît Michel Polacco, directeur de France Info, à couvrir beaucoup tout ce qui concerne la sécurité car cela va être au centre du débat politique.» Sauf que le visage tuméfié du CRS s'est déjà imprimé dans l'oeil du téléspectateur, à la manière de «Papy Voise», exhibé en boucle sur les télés à la veille du premier tour de la présidentielle de 2002.
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