La propriété intellectuelle en moins de 100 minutes
C'est l'histoire d'une association qui a décidé qu'elle allait se ridiculiser en jouant les martyrs et en volant au secours d'une boite privée à but lucratif, parce que contrairement à d'autres, comme elle n'a pas de but lucratif, forcément, le bon droit, la justice, le destin et la solidarité vont garantir deux choses : la victoire, ou une défaite digne d'une mauvaise sortie de scène comme on en voit trop souvent chez les théatreux en tous genres.
C'est aussi l'histoire d'une autre boîte, qui a décidé que pour aider à développer le "teamwork" et la bonne entente dans une entreprise, ça serait bien d'organiser pour elle des murder-party (l'auteur du présent post tiens à préciser au passage qu'il utilise le terme murder-party à des fins de citation uniquement... juste comme ça, hein, en passant...) dans lesquelles nos salariés pourraient jouer ensemble des rôles sur mesures.
Il est clair que ce genre d'activités, ça va certainement aider à développer une bonne ambiance dans une boîte, surtout quand certains découvriront que - comme par hasard- leur rôle à eux est d'emmerder les autres, ou de se faire emmerder par eux. Pour peu que ça leur rappelle un peu leur quotidien professionnel, on imagine les associations d'idées spontanées qui pourraient surgir de telles occasions. Il ne reste qu'à prendre évidemment des précautions permettant de mieux cibler les besoins de l'entreprise et éviter certains impairs. Avec des questionnaires anonymes demandant par exemple :
- est ce que vous avez un souci quelconque avec les fausses blondes arrivistes et méprisantes dont le prénom serait incidemment raccourci "affectueusement" en Babette ?
- si vous découvriez un cadavre dans un colis estampillé au logo de votre entreprise, qui serait d'après vous le gars du service colisage le plus susceptible d'être impliqué ?
- décrivez plusieurs méthodes afin de tuer sans arme une personne avec laquelle vous vous retrouveriez seule dans un bureau
- pensez vous que la célébrissime affaire du Meurtre de l'Orient Express d'Agatha Christie pourrait être transposée dans un milieu plus proche de votre quotidien ?
- si votre réponse à la précédente question était positive, qui verriez vous dans le rôle de la victime, sachant que tous les autres participants sont ligués contre elle ?
- Quelle est la condition essentielle qui permettrait à quelqu'un de réussir un scénario à la "dix petits nègres" ?
- si vous deviez réussir un tel scénario, qui serait votre complice ?
- si c'était vous le complice, quel degré de confiance accorderiez vous à celui qui vous a contacté pour ce scénario ?
- pensez vous que James Bond emballe toutes les femmes ou seulement celles dont la plastique passe bien sur grand écran ?
- qui serait selon vous en mesure de jouer un tel rôle féminin parmi vos collègues ?
- si une autre collègue que celle à laquelle vous pensez était sélectionnée, que feriez vous si vous étiez James Bond ?
- quelle impression ça vous fait de savoir que oui, vous allez devoir venir à cette animation, et que oui, c'est obligatoire de mettre le costume en prime ?
Etc, etc, etc, etc, etc... toutes questions qui pourraient peut-être permettre d'éviter qu'après la Murder Party, certains participants décident d'un reboot plus convivial et confidentiel dans lequel le casting et les effets spéciaux seraient... ahem... quelques peu
remaniés.
J'avoue que quand je regarde ça comme ça, je me dis qu'en comparaison, aller faire le mariole avec des épées en latex pour taper sur des copains déguisés, ben somme toute, c'est beaucoup plus sain et beaucoup plus marrant. D'autant que bon, le prix de la prestation, il doit pas être tout à fait le même chez les amateurs de murder para-professionnelle et dans l'amicale des endimanchés qui se tapent sur la figure pour de faux.
Et puis, on frémit en pensant à Régine la réceptionniste dans un rôle quelconque, elle qui est si bête qu'il lui a fallu six mois pour comprendre qu'un téléphone sans fil, ça voulait pas dire que le socle était alimenté par l'air du temps, mais juste que l'on pouvait lancer le combiné à l'autre bout du service sans risque qu'il vous revienne dans la figure comme une balle de jokari...
On ne peut que déplorer, aussi, que comme par hasard, le DRH de la boîte qui a eu l'idée géniale de la prestation soit, mais vraiment par hasard, l'heureux James Bond de service, et que - décidément, les hasards c'est comme les chômeurs en temps de crise, ça se multiplie à vue d'oeil - c'est pas Régine mais Sophie, dont tout le staff masculin de la boîte connait le postérieur intimement sans jamais l'avoir touché (à force de loucher dessus, forcément) qui joue la belle en détresse que James va devoir sauver. Même si évidemment, elle est plus mignonne à regarder que Régine, hein... mais allez dire ça à Marlène qui non seulement n'est pas farouche - comme nous le savons tous (allez, on est entre nous, quoi...) - mais a aussi l'habitude de revenir chaque année de ses vacances au soleil avec quinze kilos d'excédents de bagages en cadeaux idiots parce qu'elle a enquillé dix neuf prix "miss hôtel de la plage/miss t-shirt mouillé, miss dinde du camping des flots et miss sourire éclatant mais rire idiot à faire fuir les mouettes". Allez, je vous laisse lui expliquer, à Marlène, pourquoi elle devra jouer le rôle de la secrétaire particulière de Léon (alias Popoff le trafiquant d'armes russe), qui non seulement est moche comme un pou mais qui en plus est lourd comme un rôliste qui drague une fille en tentant de lui expliquer sa passion... (et si vous faites partie de ceusses qui ont réussi, je vous souhaite plein de bonheur et de petits dés à vingt faces)
Enfin bon, on peut pas non plus empêcher des gens de jeter de l'argent par les fenêtres pour ce genre de choses. Même si on peut envisager un certain nombre d'accidents regrettables a posteriori sur le parking de la boîte, ou que certains disparaissent à jamais après être descendu dire deux mots à Bébert au service colisage. Bébert qu'est spécialisé dans les expéditions transocéaniques, en passant... faudra pas non plus s'étonner si un certain nombre de gens viennent voir Roger du service achats pour lui demander l'air innocent si on pourrait pas avoir des ciseaux à bout pointu et si les bics à pointe en titane, c'est
vraiment du titane...
C'est clair qu'en plus, étant le résultat d'une prestation commerciale, tout ça laisse un peu sceptique et donne un arrière goùt bizarre dans la bouche, à la "non, c'était pas une pizza, vous avez pris la prestation minimale pour la soirée, c'était juste une galette de polystyrène expansé, voyons..."
Pendant ce temps, des courageux passionnés qui éprouvent une fascination mals... (EDIT : non, j'ai pas dit malsaine !! mais non, je vous dis ! enfin, voyons, je sais ce que j'écris quand même !)... une fascination
certaine pour le cosplay, un désir assez curieux pour des symbôles phalliques en mousse et des pulsions babacool (ou gothiques selon les genres) assez mal refoulées continuent, vaille que vaille et malgré les vilains capitalistes dont je ne donnerais pas le nom (pour des raisons judiciaires évidentes... puisqu'apparemment ils ont décidé de jeter de l'argent à leurs avocats par bennes entières, je voudrais pas en faire les frais) à se courir après en riant bêtement au milieu de la campagne ou à pontifier d'un air exagérément constipé dans des batisses médiévales au milieu de salons grands comme un étage de tour HLM. Mais ils s'amusent, que voulez vous, on ne peut pas leur enlever cela, surtout si c'est pour le laisser à des affreux opportunistes mercantiles qui voudraient récupérer leurs loisirs si bucoliques et même la désignation du dit loisir.
Et ça, c'est très vilain.
Parce que "murder party", c'est tellement convivial comme terme. Tellement inspirant. Moi-même, j'ai un frisson qui m'envahit quand je lis des mots comme ça, et, allez savoir pourquoi, je me mets tout à coup à caresser le souvenir de quelques personnes que je n'ai pas vues depuis... longtemps. Aaaah... mais je m'égare, je m'égare,
touss, touss.
A tout prendre, si on avait vraiment des gens arrivistes et commercialement vils, ils feraient comme dans cet excellent épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir intitulé "Murdersville"... vous connaissez ? non ? ben vous devriez... vraiment. C'est le summum du GN avant l'heure et on a pas déposé de brevet pour ça... pas encore...
Oui, ils pourraient même y convier gratuitement des organisateurs d'après-midi épées en mousse (non, je n'ai pas parlé de soirées mousse, vous avez vu comme vous avez l'esprit mal tourné ? pour un peu, on allait encore partir sur les rôlistes sataniques qui errent la nuit dans des cimetières en écoutant du métal... avec des épées en mousse... et des dés polyhédriques aussi ?). Et puis, pouf, après une sympathique "murder party" entres "concurrents", plus de problème.
Ca serait magique, pas vrai ? Pas autant que quand Fred avec son masque aux dents en plastoc sort son papier roulé à la va-vite, le déroule et crie au beau milieu d'un champ "BOULE DE FEU !!" devant les vaches terrorisées, mais presque, presque...
Mais non, nos vilains capitalistes, ils sont pas assez malins pour ça. Parce que voyez vous, en fait, c'est pas eux les vrais fourbes. Eux, ce sont juste des gens qui vont se faire payer pour se promener en costume et raconter n'importe quoi (c'est à dire que c'est pas forcément non plus leur bêtise à eux qui est en cause, quoi...).
Les vrais fourbes, ce sont leurs avocats. La vérité vraie, c'est que tout ça, c'est un complot des avocats. En particulier des avocats spécialisés dans la propriété intellectuelle et les brevets.
Si vous êtes arrivé jusque là et si votre tête ne tourne pas trop après tous ces propos de diversion, il est temps de vous dire ce qui va vraiment se passer.
Ce qui va se passer, c'est que tous nos amateurs de costume, de latex, de mousse et de gros biffetons, ils vont se rendre ridicules et payer beaucoup, beaucoup d'argent pour ça en prime. Et sans frais de costumes ou d'accessoires... beaucoup d'argent pour du blabla, quoi. Et que celui qui aura gagné, il aura tellement dépensé de fric qu'il devra accepter d'être racheté pour pouvoir payer ses créanciers.
racheté par qui, me direz vous ?
Monsanto, les amis. Monsanto.
Après avoir breveté les semences, Monsanto pourra alors s'emparer de certains termes comme "murder party" et "grandeur nature". Ainsi, à défaut d'avoir à se payer toutes les terres cultivables de la planète, ce qui lui couterait fort cher, Monsanto pourra réduire encore la liberté des gens de les utiliser comme ils veulent sans payer la boite aux OGM...
Ca vous fait rire, je sais.
Mais lorsque vous devrez payer une redevance pour avoir le droit de vous promener dans les champs en costume, vous rirez moins. Hé oui.
Et puis, pas question de monter un GN ou une murder évoquant même à mots couverts la possible rébellion de pauvres paysans opprimés contre un vilain seigneur féodal avide qui possède leurs terres... les avocats de Monsanto ont encore moins le sens de l'humour que les rôlistes, ils pourraient prendre ça comme une attaque déguisée - c'est le cas de le dire - contre les intérêts de leur client bien aimé. Alors, en plus, faudra accepter que leur comité de validation approuve vos choix scénaristiques. Des fois que...
Pardon ? ah, oui, si vous êtes pas d'accord ? ben ils vous noieront sous des tonnes de round-up et on n'en parlera plus. Il ne restera de vous que quelques morceaux de latex et de mousse, au milieu de champs blindés d'OGM et de vapeurs modérément toxiques de glyphosate.
Et vous savez pas la meilleure ? Le glyphosate, c'est une molécule brevetée par Monsanto. Mais le brevet, il a expiré.
Alors, ils pourront regarder vos enfants orphelins et vos parents désemparés avec de grands yeux innocents et faire du super jeu de rôle - sans costume ni épée en mousse - en racontant que c'est pas eux, juré craché.
Si vous avez lu ça en moins de 100 minutes, alors vous pouvez encore subir la morale de cette histoire, et sans costume, toute nue.
La morale de cette histoire, donc, c'est que les brevets, c'est le mal (mais si, on vous dit, n'écoutez pas Kaze, il se prend pour un ninja, c'est vous dire à quel point il est à côté de la plaque

), mais que quand on sort sa tête de la bassine deux minutes, on peut découvrir comme ça, incidemment, que certains brevets sont beaucoup plus dangereux que d'autres. Y a le mal bête et con, du niveau du rôliste comme vous et moi, et puis le MAL !!
Pensez y, la prochaine fois que vous irez faire un GN dans la campagne française. Au moment du pique-nique avec la salade de maïs...
l'a bien fallu le semer, un jour, ce maïs...
(a toutes fins utiles, ce pavé a été écrit sans martyriser aucun rôliste, qu'il soit ou non en costume, et sans utiliser aucun instrument douteux, même en mousse. De plus, il n'a pas été sponsorisé par Monsanto, ni n'a subi leur contrôle qualité. D'ailleurs, ça se voit... et comme ça n'a pas été bréveté, ben ça vaut le prix que vous l'aurez payé. Souriez, on ne paye pas encore de taxe là-dessus... pour l'instant)