La fin du monde, en moins de 100 minutes.
Un jour, il parait qu'on va tous avoir droit au plus grand spectacle sons et lumière imaginable, qui se jouera à guichets fermés et qui restera le summum, l'apothéose et l'aboutissement de tous les gros trucs spectaculaires de la création. Oui, rien que ça.
Si on a de la chance, on sera prévenus à l'avance et on pourra se payer une bonne paire de lunettes de soleil et un paquet de popcorn format gargantua pour profiter du spectacle. Sinon, ben on aura l'air un peu bêtes vu que personne saura ou se trouve le guichet pour se faire rembourser les billets. Faut dire qu'à ce moment là, on sera tous morts.
Parfois, lorsque j'ai du temps à perdre, je me demande de quoi ça pourrait bien avoir l'air, la fin du monde. Et si ça serait pas possible de se rencarder un peu, mine de rien.
Par exemple, est ce que ça sera soudain ou est ce qu'on aura droit à un générique avec force percussions et trémolos hollywoodiens ? Assez longtemps pour dire à Inigin de se taire parce qu'on va rater le début et à Marumoto qu'il ferait mieux de fermer son mag à page centrale dépliable parce que ça nous bouche la vue, quoi.
Est-ce que mettre des lunettes de soleil permettra de mieux profiter du spectacle ou en fait, est ce qu'ils vont éteindre les lumières juste avant ?
Est-ce que ça sera en décalé selon le fuseau horaire ou est ce que je serais en train de dormir et que je raterai le spectacle ? (si c'est en décalé, j'aimerai bien pouvoir prendre un jet et sauter de fuseau en fuseau pour en profiter plusieurs fois, en fait. Non, sérieux. La fin du monde, ça n'arrive qu'une fois).
Ce genre de questions existentielles primordiales, quoi.
Quand j'étais petit, la Fin du Monde, ça allait de pair dans mon imaginaire avec le Père Noél et d'autres trucs du genre "quand je serais grand je me marierai avec ma copine du CP" ou "si tu travailles bien à l'école, plus tard tu seras un gros monsieur chauve avec un gros cigare qui rigolera pendant que les autres lui cireront les pompes et lui diront merci". Ca n'était pas dépourvu d'une certaine poésie et ça donnait envie de grandir, quoi. Même au prix du sacrifice quotidien de l'ingestion de la soupe maternelle… oui, je sais, moi aussi, j'en ai encore des crampes d'estomac restrospectives.
Et puis j'ai grandi.
J'ai appris que le Père Noél n'existait pas. J'ai oublié comment s'appelait ma copine du cours préparatoire. J'ai bien pris des kilos et perdu des cheveux mais j'ai du louper un truc dans la procédure : j'ai rarement les moyens de fumer le cigare et personne n'accepte de me cirer les pompes, sauf si je lui donne beaucoup de fric.
Alors, j'ai comme qui dirait l'impression que la Fin du Monde, ça va encore être une grosse déception.
Et même si je suis pas encore mort, j'arrive pas à savoir ou se trouve le guichet pour me faire rembourser le billet.
Ca aurait pu être comique pourtant. Je veux dire, si on se fie à la Bible, on aurait pu tous avoir un petit rôle dans le plus gros film catastrophe de l'histoire de l'humanité. Avec des tremblements de terre, des démons grands comme la mauvaise foi de Nicolas Sarkozy, des flammes, des cris, du sang, du stupre et tout le tralala.
Et au final, on aurait eu droit à un mégagrossuper projo qui aurait fait passer le soleil pour une diode de téléphone et une grosse voix aurait dit un truc du genre
"Trois !!" (et les démons s'en seraient donnés à cœur joie dans le massacre, surtout avec mon voisin de palier)"
Et puis la voix aurait dit sur le même ton
"Deux !!" (et un certain nombre d'amis chers seraient tombés dans une faille opportunément ouverte sous leur pieds, juste avant qu'un building leur écrase la tronche pour faire bonne mesure)
Et puis elle aurait dit d'un ton bien plus dramatique
"Un !!" (là, c'est le moment ou mon banquier, mon précepteur, ma première petite amie, son mari et quelques autres se voient offrir une douche de lave bouillante sur l'air de copacabana pendant que je parviens à m'asseoir d'extrème justesse sur un transat, avec un verre de quelque chose de sympa à la main et en prenant la pause pour le cliché final alors que la grosse vague de 250 mètres de haut arrive en arrière plan pour percuter le volcan et que la pluie de météores dévaste Neuilly …)
Et ensuite, ZAP !! Plus rien. Un grand éclair blanc, le silence et merci d'être venus chers amis. Non, il n'y aura pas de rediffusion. Non, nous ne ferons pas La Fin du Monde II, ni III, ni IV.
Alléchant, non ?
Ben raté. Ca se passera pas comme ça.
Je vais vous faire un scoop : on aura pas droit à la fin du monde. A la place, ça sera sordide, ça se passera à la télévision française et ça aura lieu le soir du 6 mai 2007.
Etes vous déjà allé voir un film gros budget décevant au final ? Ben c'est ce qui nous attend. Et c'est pourtant pas faute de budget, justement. Non seulement personne ne lésine sur les sous mais y en a qui se sont pas privés d'enfoncer leur budget "mauvaise foi démagogique".
Je vais prendre quelques exemples, au hasard.
- Il y en a un qui passe son temps à dire qu'il faut mettre de l'ordre dans ce pays, il veut vendre des képis et des karchers à tout le monde, en sabrant dans le lard de la fonction publique et des services aux citoyens qui n'impliquent pas de menottes ou de reconduite à la frontière. Mais d'un coup, il ne parle plus que de travailler tous ensemble vers des lendemains qui chantent alors que jusque là, la question était plutôt de savoir qui c'est qui n'aurait pas droit au charter vers le Togo ou à l'expulsion de son logement pour cause de fin de droits ASSEDIC et entrave au droit à la propriété… les gars menottés et expulsés avec leur bol de soupe popu encore dans les mains, c'est sûr qu'ils se sentent rassurés, tout à coup. Enfin un pays ou l'on sera heureux sans craindre pour son scooter ou pour les descentes de police avec 200 bonshommes qui parviennent péniblement à encercler deux barrettes de hasch…
- Sa rivale a passé ces dernières années à dire haut et fort combien elle aimait le premier ministre des granbretons, ce progressiste et démocrate convaincu qui est parvenu à écouter tellement peu les autres qu'il s'est assourdi au bruit de ses propres vantardises et laissera comme seul héritage d'avoir poursuivi la politique sociale de Thatcher (très progressiste) et la politique étrangère de W. Bush Junior (très démocrate). Tout à coup, après ces années de silence complice qu'elle a partagé avec ses petits "camarades" lorsqu'ils étaient au pouvoir, elle a eu l'illumination christique et en est même arriver à réformer la langue française dans la foulée pour nous montrer à quel point ça allait changer. Je crois qu'on appelle ça de l'esbrouffitude ou un truc dans le genre… attendez, je me plante complètement. J'ai trouvé le mot qu'il me fallait : c'est "platitudes".
- Y en a un autre, pendant des années, il n'a rien fait à part cautionner une certaine majorité en tentant de vendre ses services de force d'appoint à l'assemblée nationale et dans diverses circonscriptions électorales. Ca l'a laissé tellement dans l'ombre que la première fois qu'il a fait parler de lui en bien, c'est en filant une claque à un gosse en public. C'est clair qu'à ce moment là, un certain nombre de gens ont du se retourner pour voir si eux aussi n'avaient pas un sâle gosse dans les parages pour lui en coller une. La revanche des petites gens sur d'autres petites gens plus cons et plus audacieux qu'eux. Parlez d'un coming-out… à part ça, ça va bien merci, on a continué à faire de la collaboration de classe mais maintenant, on jure qu'on peut aussi faire le contraire. La dernière fois qu'un type à prétendu vouloir concilier les contraires dans une situation analogue, il s'appelait Jacques et il nous a beaucoup parlé de pommes et de fracture sociale. Mais bon, promis, cette fois la compote sera faite avec des fruits tous beaux, tout frais.
Ces trois là, ils ont tous compris qu'il nous fallait un pays plus sain dans un monde plus beau. C'est marrant, moi j'ai pas fait l'ENA, ni Sciences Po, ni les pinces-fesses dans les ministères où les siestes sur les bancs de l'assemblée mais j'ai pas eu besoin d'illumination pré-électorale pour dire exactement la même chose. On tremble tous d'anticipation en imaginant les perspectives cosmiques et les conséquences dramatiques que de telles révolutions idéologiques vont provoquer à l'échelle de la planète… heureusement qu'on est tous nés dans la bonne période, sinon on aurait raté ce grand moment de l'histoire humaine ou pour une fois, tout le monde est d'accord avec nous.
A part eux, qui ont été au pouvoir, ont été aux côtés de ceux au pouvoir ou ont soutenu à l'assemblée ces gens là, il y a les autres. Tendance nettement plus apocalyptique sauce "moi contre le reste du monde". J'aurai bien cherché une fin du monde un peu plus sympa dans ces coins là du ring, mais ça s'annonce aussi comme décevant.
Dans le coin gauche, des gens qui passent plus de temps à s'entredéchirer sur les nuances de la révolution et de vieilles histoires de pic à glace pendant que ce Grand Capital censé être leur ennemi continue son petit bonhomme de chemin peinard. Quand ça ne va plus, ils se fractionnent encore davantage et au final, chacun sera d'accord dans son coin avec lui-même. La fin du monde, je pensais que ça serais une grande explosion mais j'avoue que l'implosion perpétuelle, j'y avais pas songé. Je me demande si on peut être communiste et schizophrène à la fois… juste histoire de démultiplier les dissidences.
Dans le coin droit, l'éternel connard de service. Après les ratonnades, le voilà qui veut se mettre à la chasse aux homos. Les "chapons" comme il disait devant les chasseurs en congrés il y a peu. Encore un homme qui cherche tellement à rassembler la mâle virilité de ses concitoyens aigris par un mélange de poudre à fusil, de testostérone et de pastaga qu'il est passé à côté de réalités fondamentales à propos des hommes qui aiment les armes. Pourtant, déjà, à Sparte… c'est clair que là, c'est pas la fin du monde qui nous guette, c'est plutôt celle des neurones. Je serais vous, j'éviterai de me promener dans les bois à l'avenir. Surtout main dans la main avec une personne du même sexe. Un acte citoyen spontané est si vite arrivé…
A par eux, il y a qui ? des débarqués de dernière minute qui prétendent en quatre semaines rassembler un mécontentement latent qui dépassera les 2% d'intentions de vote. Sacré bouleversement dans le paysage politique, ça. Reparlons en la prochaine fois, plutôt. Les plants non-OGM, il me semblait pourtant qu'il fallait leur laisser le temps de pousser peinards au lieu de faire dans la greffe sauvage et hors saison… c'est encore comme ça que ça donne les meilleurs résultats, hein José ?
Enfin, c'est pas mieux chez ces écologistes dont l'audience s'effrite en proportion inverse de la courbe à laquelle leurs idées progressent. L'écologie sauce française est-elle biodégradable ? Et si non, est ce qu'une fois l'opportunisme électoral assagi on évitera enfin sa dissolution ou toutes ces belles idées auront-elles simplement droit à un nouveau tour de manège médiatique avant d'aller rejoindre les coulisses en attendant juillet et sa canicule ? Est-ce qu'on en arrivera un jour à une politique écologique sans écologistes ? Par extension, tiens, est ce qu'on peut espérer faire du social sans socialistes ? Parce que pour l'instant, on a plutôt eu droit à l'inverse : des socialistes sans social.
Donc, malheureusement, toutes mes utopies d'enfant sont mortes et enterrées. La fin du monde n'aura pas lieu et on aura droit à une grande messe télévisuelle à la con à la place. On aura même plusieurs saucissonnages et il faudra rester jusqu'à minuit pour écouter 15689756 fois les mêmes conneries avant d'être enfin fixés, c'est dire le genre de perspective réjouissante qui nous fait tous saliver d'anticipation... contraitrement à d'autres, je n'irai pas à la pèche ce jour là mais je crois que j'enverrai la téloche chez les poissons par contre.
La bonne nouvelle, car il en faut une, c'est que puisque ça ne sera pas la fin du monde, du coup, le Jour d'Après, la plupart d'entres nous seront encore bien vivants par voie de conséquence. La planète sera probablement encore là (sinon, il y a peu de chances que ça soit à cause de cette élection de toute manière) et donc, nous tous ou presque également. Si vous me revoyez pas, no souci. Je ne serais pas parti ailleurs dans l'espoir d'un monde meilleur et autre banalitudes… rassurez vous.
Si on se revoit pas, donc, c'est juste que la DRH m'aura convoqué pour rupture de contrat soudaine et subite.
J'aurai probablement eu droit à un messager spécial, avec un petit mot pré-rédigé disant un truc du genre "L'entreprise La Vie Inc. – filiale de Univers, Société Anonyme A Responsabilité Non Etablie – vous remercie d'avoir planché pour elle durant chaque instant de votre existence et vous offre ce voyage aller simple obligatoire pour une personne, départ immédiat. Merci de débarrasser votre corps de son âme et de fermer les yeux avant de partir."
Ou un truc du genre.
Mais si on se revoit, alors y aura encore matière à se prendre le chou, hein. On pourra renouer avec nos vieilles habitudes, refaire le monde à coups de police Times Roman 10 et de syndrômes du tunnel carpien, de myopie informatique et de réactions épileptiques (oui, c'est marqué sur la boite que trop de temps devant un ordinateur peut provoquer des réactions épileptiques les gars, surtout quand on s'agite pour pas grand-chose

).
Si vous avez lu ça en moins de 100 minutes, que vous êtes encore vivant et qu'aucun cataclysme intégral n'a emporté notre planète vers une destinée emplie d'incertitudes; alors j'ai une dernière question :
On fera quoi, à partir du 7 mai 2007 et jusqu'aux prochaines échéances électorales ?
On attendra la fin du monde ?