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par matsu aiko » 09 avr. 2008, 10:22
Ide Kimi, resplendissante dans un kimono aux couleurs de crépuscule, salue Tsukiko d’un gracieux signe de tête. A son cou luit doucement un collier, un triple rang de perles, cadeau de son époux, dont les teintes rosées illuminent subtilement son teint. A son poignet glisse un bracelet assorti.
- Soyez la bienvenue, Tsukiko-san.
Otado reste muet, la mâchoire béante. Pour un peu il se mettrait à saliver comme un chien.
Jocho lui adresse un large sourire, avec une étincelle particulière dans le regard, dont Tsukiko connaît parfaitement la signification. Il est le vainqueur, et il le sait.
Des serviteurs s’approchent, amenant le thé odorant apprécié chez les Licornes, acompagné de douceurs. Sur un geste de Kimi, ils se retirent, et la jeune femme sert elle-même ses invités, remarquant avec humour que si le thé vient des terres brûlées, le service, lui, restera traditionnel.
A l’exception d’Osako, peu loquace, et d’Otado, qui ne peut s’empêcher de loucher sur les épaules nues de Tsukiko, les autres convives devisent gaiement en dégustant le thé chaud et épicé, jusqu’à ce que Kimi, en sa qualité d’hôtesse, initie la conversation.
- Chers amis, si la chose vous agrée, il semblerait que le moment soit opportun pour vérifier le résultat de notre petit pari.
Elle attend quelques instants l’assentiment de l’assemblée, puis poursuit avec un sourire.
- De mon côté…Aussi désolant que cela puisse être, je dois avouer mon échec. Isawa Tomo-sama est aimable et cultivé, mais je ne peux que conclure que la préoccupation et les intérêts des shugenja du clan du Phénix sont d’ordre purement intellectuel, sourit-elle. Qu’en est-il de vous, mon frère ?
- Mission accomplie. Rupture publique et humiliante, sourit Jocho.
- Malheureusement, Hitomi s’est montrée peu coopérative. Mais aucun homme n’aurait pu réussir, se défend Otado.
- Rien de mon côté, indique laconiquement Osako. La daimyo du clan du Lion n’est pas approchable. Et vous, Tsukiko-san ?
La question n’est que de pure forme, comme l’était la question de Kimi à Jocho. Une petite vengeance mesquine, à la hauteur du personnage. Osako se doute qu’elle lui doit la raclée qu’elle a subie.
- Hé bien, après un succès initial, il semblerait que malheureusement Hida Yakamo-sama ait décidé de se séparer de mes services, répond aimablement Tsukiko, abordant sa déconfiture publique avec le sourire et l’humour qu’elle sait qu’on attend d’elle.
- Il semblerait donc que je sois le vainqueur incontesté de ce pari, conclut Jocho avec satisfaction. Selon les termes de celui-ci, chacun d’entre vous doit me donner quelque chose auquel il tient particulièrement.
- Je peux vous donner mon majordome, intervient Otado, plein d’espoir.
Les autres convives éclatent de rire, et même Tsukiko se mêle à l’hilarité collective. Les rapports épiques entre Otado et son majordome, missionné par son père, Bayushi Korechika, pour tempérer les manières de son fils, sont de notoriété publique.
- Hmm, pour éviter ce genre de travers, il ne me paraît pas souhaitable que cela soit le perdant qui choisisse, souligne Kimi.
- Je pourrais désigner la nature du gage, alors, propose Jocho, avec une pointe de jubilation.
- Cela vous donnerait trop l’avantage, mon frère. Je propose plutôt que les autres perdants désignent le gage que l’intéressé doit donner au vainqueur. Cela devrait éviter les abus, que cela soit d’un côté ou de l’autre.
La proposition recueille l’assentiment général. Même Osako, jusqu’à présent en retrait, semble intéressée.
- Alors, quel devrait être mon gage, selon vous ? questionne Otado, l’air renfrogné.
- Eh bien, au regard du déroulé des évènements, et de vos habitudes, Otado-san…Un peu de retenue à l’égard de la gent féminine pourrait être de bon aloi. Qu’en pensez-vous, Tsukiko-san ? demande Kimi en se tournant vers sa jeune voisine avec un sourire malicieux.
- La suggestion me semble astucieuse, répond prudemment celle-ci.
- Cela me paraît parfait. Qu’il soit obligé de se contrôler, pour une fois, ajoute sèchement Osako.
- La proposition vous agrée-t-elle, mon frère ? Vous serez le premier témoin des efforts d’Otado-san, pendant, mettons, une semaine, et avec toute liberté de sévir si jamais il devait échouer à se contrôler.
- Vous ne me laissez guère le choix, et je me demande si être le vigile d’Otado pendant une semaine est vraiment un cadeau, conclut Jocho en riant. Mais c’est d’accord. Et en ce qui vous concerne, ma sœur ?
- Je propose qu’elle donne ses bijoux, lance Otado avec dépit.
- Aucun intérêt, contre Osako, se prenant au jeu. Son mari pourra toujours lui en acheter d’autres.
- Son éventail, alors ?
- Banal.
- Et vous Tsukiko-san, avez-vous des suggestions ?
- Je ne me le permettrai pas, murmure modestement Tsukiko. Encore que…
- Oui ?
- Depuis tout à l’heure, je suis complètement envoûtée par votre parfum, Kimi-sama. Ce mélange subtil de notes florales et délicates, avec cette touche d’épices qui lui donne puissance et persistance, tout en restant complètement féminin…je n’ai jamais rien senti de pareil.
Ne rien proposer aurait été mal vu, elle le sait. Mais de la sorte, elle complimente son hôtesse, tout en participant à leur petit jeu mesquin.
Jocho éclate de rire.
- Touché, Kimi-chan ! Partager l’exclusivité de cette remarquable senteur, qui doit - j’imagine - provenir des Terres Brûlées, et accepter que d’autres femmes puissent en bénéficier, me paraît un gage adéquat.
Il y a des hochements de tête approbateurs. Kimi est l’arbitre des élégances à la Cité des Rumeurs.
L’intéressée s’incline avec un sourire.
- Qu’il en soit ainsi, mon frère. Je vous en ferai parvenir un flacon, pour en faire usage à votre gré.
En ce qui concerne notre perceptive jeune amie… le choix du gage est limité, ce me semble, vu la modestie de ses moyens et de ses origines. Une soirée, disons, de mise à disposition, me semblerait de bon aloi.
- Comment ça, mise à disposition ? interroge Otado, le sourcil froncé.
Kimi se contente de sourire en réponse.
- Je ne suis pas sûre que cela soit une bonne idée, intervient Osako, le visage fermé. Ce n’est pas…approprié.
Sa réflexion semble beaucoup amuser Kimi.
- Ah ? Et pourquoi donc, Osako-san ? Je ne vois pas en quoi cela vous perturbe. Cela n’est guère différent, après tout, des récents exploits de Tsukiko-san dans le clan du Crabe. A moins que ce soit pour une raison personnelle…?
- Aucune raison personnelle, lance Osako un peu trop rapidement. Cela me paraît simplement…trop banal.
- Hmm, vous avez peut-être un point, Osako-san. Les possibilités de gage en ce qui la concerne demeurent néanmoins limitées. Disons alors, complète mise à disposition, hors traitements incapacitants, bien sûr, et récit a posteriori des évènements de la soirée dans ce même cercle. Cela vous convient-il ?
A nouveau, la proposition rencontre l’assentiment général. Osako n’est à l’évidence pas convaincue, mais s’abstient de tout commentaire. Malgré la vague glacée qui lui parcourt l’échine, Tsukiko ne peut s’empêcher de se demander si Kimi est de mèche. Ce n’est pas impossible. Une chose est sûre, Jocho va tirer le parti maximum de cette soirée.
- Cela me semble parfait, conclut ce dernier, contenant difficilement un sourire de triomphe.
Il jette un coup d’œil oblique à Tsukiko, histoire de jauger sa réaction, puis reprend d’une voix neutre :
- Il nous reste un dernier cas à régler, et qui mérite une attention particulière, le vôtre, Osako-san. Un biais a été introduit dans le jeu. Il se trouve que Shizue-san, et sa dame de compagnie, ont été prévenues par une tierce personne à mon encontre, ce qui m’a nettement compliqué la tâche.
- Et que cette même personne a transmis certaines informations de nature privée à Hida Yakamo-dono, ajoute suavement Tsukiko.
- C’est un manquement flagrant aux règles que nous nous étions fixés, Osako-san, conclut fermement Kimi. Nous ne pouvons tolérer ce genre d’écart entre nous. Je propose donc qu’Osako soit exclue, jusqu’à nouvel ordre, de nos réunions.
La magistrate a un regard circulaire. Bien que le ton soit resté posé, l’attitude de ceux qui l’entourent ne laisse aucune place au doute. Elle n’a aucune merci à attendre d’eux. Elle leur adresse un regard venimeux, se lève, et les salue roidement, avant de s’en aller sans dire un mot.
- Il y en a vraiment qui sont mauvais perdants, commente Jocho, ironique.