Bon, clairement, je préfère la "morale" d'Avatar à tous ces films et séries ou les héros sont des gars qui trucident du mangeur de Kebab au nom de la lutte entre civilisations et parce que c'est la faute au 9/11 (qui, même si c'est un drame terrible, est un drame pour un camp, qui s'est bien foutu et se fout encore de tous les drames que lui cause, ou cautionne, sur toute la planète) ou des flicaillons pourris mais qui tapent sur plus pourris qu'eux ce qui du coup leur donne un vernis de "justification" et en fait des "personnages humains et attachants". Mais oui...
Donc, à mon sens, Avatar a le mérite de présenter autre chose que des trucideurs au nom de la civilisation ou d'une conception très primaire et individualiste de la justice "tous pourris, sauf moi".
Mais derrière, on a quoi, en fait ? ben je sais pas, mais voilà ce que moi j'ai vu :
- un héros qui a le choix entre rester un tueur à gages au rabais, handicapé et recyclé auquel on offre comme seule perspective de redevenir un tueur à gages à temps plein… ou de passer dans le camp de sa copine alien, qui en pince pour lui et dont le peuple – après quelques déboires – le considère majoritairement comme un type très bien quand on ne lui dit pas carrément à partir d'un certain temps qu'il a "été choisi"… on se demande vraiment combien de gens hésiteraient entre rester des minables dans un système ou au mieux on les considère comme de la chair à canon ou se trouver une poulette et aller vivre dans un endroit ou l'on te dit presque que t'es l'Elu… dans le genre éveil de conscience et dilemme cornélien, c'est moyen quand même. Franchement, vous hésiteriez, vous ?

- Le sempiternel et éternel et increvable "je suis un mec bien mais sans tes charmes, ô toi ma muse, je l'aurais pas découvert tout de suite, même si t'as rien capté à qui j'étais jusqu'à la moitié du film. Après, je vais enfin devenir l'homme de ta vie et tu m'aimeras parce que je m'efforcerais de me conformer à ton fantasme. Vu que moi, ben j'ai que ma testostérone sinon". Alors, pour avoir longtemps fricoté avec les milieux féministes et évolué dans des milieux scolaires et professionnels majoritairement féminins, j'avoue que perso, je voue un respect certain et un attachement tout particulier à la moitié féminine de notre espèce. Mais quand je vois les Sarah Palin et les Rachida Dati, je sais aussi que je suis un doux réveur

je suppose que c'est aussi au nom de cette mystique féminine inexplicable que le seul barbouze de toute l'équipe de contestataires – à part le héros - s'avère être une femme, l'avenir du soldat, c'est la femme soldat je suppose. On a vu, avec certain(e)s bidasses anglais(e)s notamment comment l'avenir de la soldatesque traitait les prisonniers mangeurs de kebab… mais bon, j'avoue que je préfère une bidasse progestéronée qui meurt pour une cause nébuleuse et globalement positive plutôt qu'une chienne SS "génocidons au nom de la seule race digne de vivre". Clairement.
- Le mythe des savants qui ont une éthique. Alors, oui, clairement, l'accès à la culture et au savoir est une bonne chose et clairement, je préfère un maximum de gens cultivés et qui réfléchissent plutôt que de potentiels bidasses décérébrés ou des rainman en puissance "bac+15 pour se faire exploiter et te marcher sur la gueule sans rien comprendre à l'humanité" comme les rêvent souvent ceux qui nous dirigent. Mais ce sont aussi de gentils intellectuels pétris d'occidentalisme qui travaillent pour Monsanto, et l'aident à développer l'arme alimentaire, sous couvert de sortir certains pays d'une famine que nous avons orchestré et entretenons avec les élites de ces mêmes pays la plupart du temps. Et puis bon, c'est quoi au juste, l'éthique de nos intellos chez les aliens ? on sait pas trop en fait. A part Sigourney qui est dans son trip "ethnologues de tous les pays, respectez et préservez les cultures que vous découvrez" ce qui est quand même mieux que de leur vendre du coca-cola, on sait pas trop. On s'en fiche de toute manière, sont là pour donner une "caution morale" comme quoi l'humanité est pas toute pourrie.
Parlons maintenant de ce que moi, perso, j'ai compris de la fin du film. J'ai vu, pour paraphraser les dernières phrases du héros, les colonisateurs plier bagages et rentrer chez eux, sur leur planète pourrie et merdique. Et clairement, ben ils reviendront en deuxième semaine (même si c'est pas porté à l'écran). Parce que bon, la planète d'où ils viennent (et toutes celles qu'ils ont du saccager avant d'arriver ici), ben y a pas d'indigènes et de conscience universelle instinctive pour leur prouver qu'ils pourraient vivre autrement. Y a juste des ressources qui sont déjà tellement surexploitées qu'ils sont obligées d'aller ailleurs. Donc, l'est trop tard. Ils reviendront même si ça coute des hommes et de l'argent, parce que trucider des indigènes, perdre des tonnes de matériel et sacrifier des bidasses, ça coutera toujours moins cher que changer de civilisation. En ce sens là, l'Afghanistan montre clairement que c'est le genre de "sacrifice" qu'on est encore très déterminé à employer. Sans parler d'autres endroits moins médiatisés.
A ce niveau là, Cameron ne fait que buter sur le même truc qui sous-tend notre propre civilisation et que personne n'arrive vraiment à franchir : changer, oui, mais pour quoi faire au juste ? La seule réponse qu'il peut apporter, c'est "préservez les derniers ilots pendant qu'il en reste, ilots culturels et écologiques". C'est bien ce que fait son héros d'ailleurs. Il passe à l'ennemi et s'attend à ce que son propre peuple revienne saccager son ilot. Parce qu'il ne peut rien faire d'autre. C'est la limite du mythe de l'homme providentiel si cher à notre imaginaire depuis des lustres. En plus limitatif, encore. Notre héros n'a rien à proposer pour sauver sa propre culture et comme elle l'a mise à l'index, de toute manière, personne ne l'écoutera quand bien même il aurait quelque chose à dire. Il n'a plus qu'à continuer à faire l'amour à sa belle en affutant sa lance et en attendent le retour des terriens. Parce que eux rentrent juste chez eux la queue entre les jambes, qu'ils n'ont pas plus de perspectives qu'avant et qu'ils ont par contre besoin de cette planète pour continuer à jouer le jeu de l'occident capitaliste : la fuite en avant. S'il y a une critique du système capitaliste là-dedans, elle relève du constat. C'est bien d'avoir un constat dans un film de divertissement, mais ça n'est pas le premier et ça ne sera pas le dernier. C'est surtout le constat d'un échec : les terriens rentrent chez eux comme ils sont arrivés : avec leur civilisation qu'ils veulent perpétuer. Parce que même si on leur a collé une raclée, on n'a rien pu leur proposer de plus viable que leur fuite en avant. C'est aussi la limite des héros occidentaux qui conquièrent par la force. En l'occurrence, notre transfuge a vaincu sa propre culture par la force, domaine ou elle pensait exceller,… mais il ne l'a pas changée. Il a juste incité ses frères de race à se montrer plus soigneux, déterminés et génocidaires la prochaine fois… c'est bien ce qui s'est passé lorsque le "sol américain" a été frappé un certain 11 septembre, non ? d'ailleurs, on a un premier ministre anglais qui a récemment dit qu'il trouvait très justifié d'être allé massacrer quelques dizaines de milliers de civils irakiens en guise de représailles, en sachant pertinemment qu'ils n'y étaient pour rien (et que lui et ses compatriotes ne servaient que de seconds couteaux à cette occasion en prime). On pourrait me dire qu'il y a peut-être une métaphore sur la non-violence et les limites de l'action violente dans la résistance et reparler de Ghandhi. Mais franchement, je crois que là, ça serait plus du domaine de la "lecture" du film. Plutôt de celui de la lecture du marc de café
En dehors de ça, qui relève de la "lecture perso", je trouve que c'est un bon film parce que moi, j'ai bien aimé sa mise en scène, j'ai bien aimé ses visuels, j'ai bien aimé sa morale digestible sans trop d'efforts et consensuelle, qui a déjà du mérite d'exister dans la sphère occidentale de l'entertainment post-2001, je veux dire, par rapport à "faisons régner la démocratie partout et ceux qui sont pas avec nous sont contre nous". Et puis c'est tout. C'est un bon film de divertissement, bien orchestré, avec un bon emploi de plein de recettes qui sont pas les pires de l'arsenal, mais qui idéologiquement n'apporte rien de neuf. On pourrait d'ailleurs se demander s'il a pour vocation de le faire ?
Quand à savoir si les gens qui ont financé ce film et l'ont réalisé ont utilisé ces recettes pour glisser un message dans l'espoir d'éveiller les consciences, parce qu'ils voulaient en profiter mine de rien pour secouer le cocotier sans rien attendre ou simplement pour faire un peu plus de chiffre et donner le label "intelligent entertainment" à leur produit, je sais pas. Et franchement, j'avoue que j'en ai trop rien à fiche, parce que si ces notions "intelligentes" apportent un plus à mes yeux, je ne suis pas allé au cinoche pour elles et je sais qu'elles ne changeront strictement rien. Que ceux qui y étaient déjà sensibilisés sortiront de la salle comme ils y sont entrés… de même que les autres. J'ai peut-être tort. Mais je doute croiser un jour quelqu'un qui me dise "j'ai commencé à cogiter sur notre société après avoir vu Avatar, avant je me contentais de la subir".
Ca n'est pas la faute à Cameron, mais on touche peut-être du doigt les limites de la suggestion et de l'évocation dans l'art : ça parle surtout à ceux qui voulaient tendre l'oreille. C'est déjà bien, pour eux. Mais est ce que c'est bien, tout court ? je sais pas. Disons que ça donne au moins une "caution intellectuelle" qui représente une certaine valeur ajoutée aux yeux d'une partie du public. Et puis c'est tout. D'ailleurs, j'ai une vision de la morale du film qui est toute perso et pas vraiment joyasse, vous avez remarqué ? est-ce celle de l'auteur ? franchement, rien à foutre.
Je pense que comme un tas de films ou d'œuvres, on peut se servir d'Avatar au cours d'une discussion pour poser des jalons et parler de choses sérieuses. C'est le mérite intrinsèque de toute œuvre qui – sciemment ou cyniquement – prétend être intelligente. Mais c'est bien le seul mérite de ce film, à ce niveau là.
On pourrait me dire "t'as pas tout lu, on peut prolonger bien au-delà" et oui, on peut le faire. Nous, dans notre coin, entre gens majoritairement déjà sensibilisés à certains problématiques et qui n'auront certainement rien appris ou changé dans leur comportement à travers ce film. A moins que quelqu'un ici ait une confession à nous faire, je crois qu'on peut être d'accord là-dessus, non ?
On peut s'en servir pour quelques autres personnes, de notre entourage, ou au cours d'une discussion, un jour, avec un inconnu. Mais la majorité, la grande majorité des gens qui sont allés le voir sont ressortis comme ils sont venus. L'entertainment intelligent est mieux que l'entertainment ras des paquerettes ou propagandiste, mais il reste – pour ceux qui le consomment, ceux qui le promeuvent et ceux qui le financent – avant tout de l'entertainment.
Je n'ai strictement aucun reproche à faire ce film, d'ailleurs. Et j'ai pas regretté mes 12.50 euro dépensés. Mais j'avoue que je reste très dubitatif quand je vois toutes les qualités que lui prêtent des gens qui y ont surtout vu que des choses qu'ils avaient déjà, eux, avant d'entrer dans la salle. En ce sens, visiblement, il n'y a pas d'éveil des consciences, puisque les niveaux de lecture ne changent pas
