Hier soir je me suis cru dans un autre pays...
Je regardais France 2, sur le point de sombrer dans le sommeil, quand je suis tombé sur un documentaire :
l'accès aux soins en danger.
Apparemment ce documentaire aurait du être diffusé il y a déjà quelques semaines mais avait été
déprogrammé. Il est finalement passé hier soir.
Rarement vu un tel ton dans un documentaire français. C'est une véritable charge contre la politique de santé du gouvernement. Et sans concession avec notamment plusieurs séquences où après avoir passé un discours ou une intervention de Bachelot, Fillon et même Sarkozy on a quelqu'un qui nous explique de manière assez simple qu'ils disent d'énormes conneries, qu'ils mentent. Factuellement. Après il y a aussi des questions d'opinions, des choix mais ce que ce reportage montre très bien c'est le décalage entre le discours politique qui semble avoir fait un choix (accès égal aux soins, non pénalisation des malades notamment ceux souffrant de graves maladies et/ou d'affection longue durée, etc.) et la réalité des mesures prises qui correspond à l'exact opposé de ce choix. Et ici il n'est pas question d'un "entre deux" mais bien d'un choix très clair dans les actes associé à un discours correspondant au choix opposé.
Au passage le reportage montre aussi que ce n'est pas non plus spécifique à ce gouvernement (on voit que c'est une tendance ancienne que l'on peut faire démarrer aux gouvernements socialistes dès Mitterrand) même si, comme sur de nombreux sujets, celui-ci est particulièrement cynique et accélère les changements de manière drastique. A titre perso je rajouterais que c'est d'autant plus condamnable qu'aujourd'hui on est bien plus conscient et informé des effets pervers dramatiques de ces choix (on parle de vie ou de mort, de réelle souffrance, d'incapacité et même de renoncement à se soigner, de danger pour les malades et donc d'une manière générale pour les citoyens). Ce qui appelle deux explications selon moi : soit il s'agit de la manifestation d'un dogmatisme des plus crétins (ce qui n'est pas impossible) ou, plus probable et non exclusif, de celle d'un cynisme clientèliste qui vise à favoriser l'enrichissement des acteurs privés du secteur de la santé (auquel on adjoint l'égoïsme de ceux qui ne souffriront pas de ces mesures et considèrent même la manifestation d'empathie avec ceux qui sont impactés comme du misérabilisme naïf).
Mais au delà de ces considérations plus générales (surtout portées par l'économiste de la santé Jean de Kervasdoué mais pas seulement) ce documentaire entre dans le quotidien de malades qui supportent les conséquences des dernières réformes en matière de déremboursement et de franchise. Et le constat est accablant. On y voit les mensonges s'accumuler les uns après les autres dans les déclarations de Bachelot mais surtout de Sarkozy. Les franchises sont plafonnées : mensonge. Les gens en ALD seront toujours soignées à 100% : mensonge. Et la liste est longue. On y découvre même des manœuvres d'une bassesse inouïe (ils ont réussi à me choquer aloers que je me croyais assez blidé question saloperies de ce genre) : ainsi on a le cas d'un malade en ALD qui doit normalement bénéficier d'un remboursement total sur le traitement de son ALD. Et c'est effectivement le cas. Sauf que les franchises et autre dé-remboursements sont cumulés au fil de ses traitements et seront au final prélevés sur... ses autres soins (genre visite chez un généraliste). C'est incroyable de perversité cette manière de faire. Ensuite le max à 50 euros par an est une belle arnaque, on nous montre plusieurs cas où le coût réel des dernières réformes se chiffres en centaines d'euros mensuels (oui vous avez bien lu). On a le cas d'une personne souffrant d'une sclérose en plaque je crois qui se tape pour 300 euros de médocs par semaine alors qu'elle n'a comme seule ressource que son allocation de personne malade longue durée qui tourne autour de 600 euros (et c'est trop pour qu'elle bénéficie de la CMU au passage). "Heureusement" elle vit en couple mais d'autres n'ont pas cette chance.
Ca c'est pour les franchises, les déremboursements et autre économies de bouts de chandelles (dont on continue de plus de chercher vainement l'impact comme les 36000 autres mesures depuis des années - remenber douste ? - sur le fameux "trou" de la sécu - sur lequel on aurait aussi bcp à dire...) mais on y voit aussi les conséquences de la réorganisation géographique et administrative des hôpitaux. Ca m'a fait un peu penser à la réformes des universités : on part de constats relativement partagés qui incitent à reformer mais on mène la réforme sans concertation et, souvent, en dépit du bon sens.
Globalement l'accès aux soins régresse de manière dramatique et le documentaire donne plusieurs exemples particulièrement frappant où la santé des individus devient secondaire relativement à des logiques de coûts qui ne sont même pas spécialement plus efficientes... C'est dire à quel point c'est affligeant : non seulement on met en danger des gens mais en plus on ne rend par pour autant le système plus efficient. Le cas de la tarification à l'acte sensé pallier certains effets pervers réels du système actuel (incitation à garder les malades inutilement par exemple) en génère d'autres bien plus graves (impactant les choix médicaux au détriment de la santé des patients - et, vraiment, je n'exagère pas du tout, le documentaire présente des cas avéré). Simplement parce qu'appliqué connement sans concertation et sans réflexion, sans aucune nuance.
Et là difficile de ne pas se dire comme je ne sais plus quelle intervenante que ces choix ne visent qu'à organiser une "pénurie" (et là on parle de santé donc de trucs qu'on ne contrôle pas franchement, pas de pénurie de console de jeux) de manière à forcer la main des gens pour qu'ils aillent vers des système de soins privés (afin d'augmenter leurs parts de marché pas de tout privatiser d'ailleurs) dans lesquels de nombreux fonds de pension investissent massivement actuellement anticipant ces évolutions (à la fois "naturelle" liée aux questions démographiques notamment, mais également institutionnelles liées à l'évolution du système de santé des pays). Et comme le faisait remarquer à plusieurs reprises l'économiste cité plus haut (qui n'a rien d'un gauchiste puisque c'est lui qui est à l'origine de la tarification à l'acte par exemple) globalement la société n'y gagne rien du tout, on se contente de transférer des couts d'un système socialisé relativement égalitaire (au sens chacun cotise selon ses moyens) vers un système privatisé inégalitaire (chacun se soigne selon ses moyens) soit l'opposé de l'idée ayant présidé à la création de la Sécu. Et il n'y a aucun gain à attendre de ce transfert d'un point de vue collectif (au niveau individuel certains gagnent d'autre perdent) puisque chaque système a ses propres effets pervers et génère ses propres gaspillages. Et plus précisément on voit que ces systèmes là où ils sont appliqués ne sont pas plus économes, efficients, y compris même pour les finances publiques. Et sur le long terme, l'accès aux soins reculant la société fini par y perdre de plus en plus.
Mais plus que toutes ces considérations, pour importantes qu'elles soient, ce documentaire a surtout le mérite de montrer ce qui se passe concrètement dans la vie des malades. Et voir des gens renoncer à se soigner faute d'argent suite à ces récentes réformes est quand même sacrément douloureux. Voir des médecins expliquer qu'ils ne peuvent plus exercer correctement, qu'ils n'ont plus la possibilité d'exploiter la science médicale (que faire quand un type refuse de faire une radio ou un scan ou le reporte à dans plusieurs mois faute de pognon pour faire un bon diagnostique ? A quoi bon ces évolutions technologiques si on ne peut s'en servir ?) au mieux pour soigner leurs patients questionne sur le sens de l'évolution de notre société. Voir un chef d'hôpital expliquer que dans certains cas la réforme conduit à devoir faire des choix au détriment des soins. En bref nous sommes face à un choix délibéré de nos gouvernants de provoquer une régression dans l'accès aux soins, dans la capacité à traiter les maladies. Et le pire c'est que rien ne nous y oblige... C'est vraiment un choix.