[Nouvelle] Eien Sabi Mura

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Kyorou
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[Nouvelle] Eien Sabi Mura

Message par Kyorou » 23 août 2007, 12:47

Un voyageur

Kyorou avait marché depuis l’aube dans les froides terres du Clan du Phénix et c’est seulement alors que l’après-midi touchait à sa fin qu’il aperçut sa destination : le Village de la Sérénité Eternelle. Il pressa alors le pas et franchit les portes de la cité peu avant la nuit.

Eien Sabi Mura s’était étendu dans des proportions considérables dans les dernières décennies, tout en gardant son titre de "village". Des villages secondaires s’étaient créés dans la vallée, afin d’approvisionner la jeune cité en denrées de première nécessité et Kyorou était passé par plusieurs d’entre eux. Cependant, la cité n’était entourée que par une palissade de bois et son agencement était plutôt anarchique. En début de soirée, l’activité était réduite.

Alors qu’il parcourait la ville à la recherche d’un établissement précis, Kyorou croisa peu de samouraïs. Visiblement, la présence du Clan du Phénix n’avait pas cru au même rythme que la ville. D’après les informations qu’il avait reçues, aucun magistrat d’Emeraude n’était présent, ce qui arrangeait bien le ronin, qui ne pouvait se permettre d’être reconnu.

Il trouva facilement le quartier des plaisirs. Celui-ci était beaucoup plus animé que le reste de la ville. Rires et exclamations diverses émanaient des divers établissements, ainsi que parfois la chanson éraillée d’un ivrogne titubant. Marchands et paysans se pressaient, avides de dépenser leur argent dans les maisons de saké ou de jeux, sous le regard intéressé des tenanciers et des ronins employés comme videurs par les enseignes les plus riches.

Kyorou parvint à la maison de saké qu’il recherchait. Celle-ci était certainement la plus luxueuse de la ville mais le faux ronin qui se tenait dans l'entrée ne fit pas un geste pour l'empêcher de passer. Kyorou lui tendit sans un mot son katana et son wakizachi. Le videur l'oberva d'un œil expert et dut remarquer certaines des autres armes qu'il dissimulait, mais ne fit, là non plus, aucune remarque. Il écarta la lourde tenture rouge et le ronin pénétra dans une grande pièce éclairée par quelques rares lampes, meublée de tables auxquelles buvaient les clients, seuls ou accompagnés. L'un d'entre eux était en train de détailler à l'oma-san ses malheurs et son besoin de compagnie. Kyorou se dirigea vers une table vide devant laquelle il s'agenouilla.

Plus tard, une jeune geisha vint le chercher et le conduisit dans une chambre dépouillée, probablement utilisée par le personnel de la maison de saké. L'oma-san l'y rejoignit bientôt, apportant les armes qu'il avait laissées à l'entrée. Elle resta debout et le fixa en silence, puis lui rendit ses armes et s'agenouilla face à lui.

-Nous vous attendions plus tard, Kyorou-sama, dit-elle sur un ton où se mêlaient méfiance et reproches.

-Les hommes recherchés pour trahison voyagent vite, répondit-il, une note de colère dans la voix. Et vous reconnaîtrez qu'il m'était difficile d'imaginer que ma diligence déplairait au Clan du Scorpion.

L'oma-san fixa sans ciller les yeux bleu clair du bushi. Elle n'avait aucune confiance dans ce renégat, quoi que dise de lui celle qui l'avait recruté. Elle ne le comprenait pas et, par conséquent, ne pouvait se fier à lui. De plus, il n'était pas dans les habitudes du Clan d'employer des transfuges.

-Lorsque j'ai demandé que l'on envoie quelqu'un pour m'aider à gérer cette situation, Kyorou-sama, j'étais loin de m'attendre à la venue d'un ronin pourchassé par son ancien Clan.

Puis, devant l'absence de réaction de son vis-à-vis, elle ajouta :
-Je m'appelle Shinoko. Je suis responsable de nos opérations dans la région. J'ai lu votre dossier aujourd'hui même, et je dois vous avouer que je ne sais pas quoi en penser.

Kyorou eut un sourire presque imperceptible. Il pouvait facilement imaginer ce qu'il y était écrit et comprenait par conséquent la perplexité de Shinoko. Et encore, Akemi n'y avait pas retranscrit tout ce qu'elle savait à son sujet.

-Quoi qu'il en soit, Shinoko-san, je suis celui que le Clan a envoyé, dit-il avec fermeté. Dites-moi donc quelle est la situation qui vous préocuppe.
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Message par Kyorou » 29 août 2007, 11:00

Commerce

La jeune geisha qui avait conduit Kyorou dans la chambre revint, apportant sur un plateau deux bouteilles de saké et deux coupes. Shinoko remplit une coupe qu’elle tendit à son invité. Kyorou lui rendit la politesse.

Il s’observèrent encore quelques instants, avalant une gorgée chacun. Puis l’oma-san prit la parole :
- La situation qui nous occupe n’est pas à proprement parler préoccupante, mais constitue une énigme qu’il est dans l’intérêt du Clan de résoudre, dit-elle. Ainsi que vous vous en êtes certainement rendu compte, Eien Sabi Mura est une jeune localité, peu contrôlée. Des organisations criminelles y sont rapidement apparues mais le magistrat qui représente ici l’autorité du Clan du Phénix, Isawa Setsu ne montre aucune intention de s’attaquer au problème…

-Une situation classique, Shinoko-san, observa doucement Kyorou.

-Certes. Mais l'apparition soudaine d'un trafic d'opium l'est beaucoup moins, Kyorou-sama. Et ce commerce s'est étendu très rapidement aux villages environnants, entraînant nombre de problèmes supplémentaires, que vous pouvez facilement imaginer.

Kyorou avait déjà pu constater de visu les conséquences de la consommation d'opium. Elles pouvaient être très lourdes, surtout dans une région comme celle-ci. Cependant, il ne voyait pas en quoi ceci pouvait préoccuper le Clan du Scorpion. Puis il comprit.

-Et votre Clan n'est pas impliqué dans ce trafic, Shinoko-san, dit-il avec un très léger sourire.

-En effet. De plus, l'opium qui est vendu ici n'a pas été cultivé par le Clan. Il s'agit d'une variété différente. Nous voulons que vous découvriez d'où il vient et par quel moyen.

-Afin que votre Clan puisse agir pour protéger son monopole, compléta-t-il.

-D'après votre dossier, vous êtes compétent pour accomplir cette tâche, répondit-elle sèchement.

Kyorou feignit l'indifférence.

-J'ai seulement besoin d'un point de départ, dit-il.

-Bien. Il existe plusieurs fumeries d'opium dans le quartier des plaisirs. L'une d'entre elle, surnommée "La Tanière du Nezumi" par ses habitués, convient bien à un ronin sans le sou. Je vous suggère de commencer là. Je mets cette chambre à votre disposition jusqu'à demain soir.

Elle se leva et se dirigea vers la porte.

-Une dernière chose, Kyorou-sama. Je ne sais pas pour quelles raisons le Clan a suffisamment confiance en vous pour vous confier cette tâche. Moi, je ne vous connais pas. Si vous veniez à nous trahir, soyez sûr que je saurai vous retrouver et vous le faire regretter.

Il leva les yeux vers elle et une grimace carnassière, hideuse, se dessina sur ses traits réguliers. Puis elle disparu et son visage n'exprima plus qu'une profonde tristesse, qui s'effaça à son tour.

Si je venais à vous trahir, Shinoko-san, soyez sûre que c'est seulement à l'instant de votre mort que vous en prendrez conscience, pensa-t-il. Il n'éprouvait aucune émotion à cette idée.

Shinoko sortit rapidement de la pièce, laissant seul Kyorou.


Nuit

Allongé sur le futon de la chambre prêtée par Shinoko, Kyorou fut alerté par un bruit étouffé venant d’une des pièces de la maison. Se redressant vivement, il prit le tanto dissimulé sous ses draps, au aguets dans l'obscurité. De nouveau un bruit, impossible à identifier précisément mais qui lui évoquait un mouvement furtif.

Il se mis sur ses pieds et se déplaça en silence vers la porte. Il ouvrit doucement le panneau de bois et se coula dans le couloir obscur. Le bruit venait d’une des chambres proches, dont la porte coulissante était entrouverte. Il identifia une lourde respiration. Collé à la cloison, il fit quelques pas prudents. Un grincement, mais venant de la chambre. Des bruits de tissus froissés. Il jeta un œil.

La luminosité qui pénétrait par la fenêtre était suffisante pour identifier la scène. Un homme, inidentifiable de dos, s'accouplait à coups violents avec la jeune geisha qui l'avait mené à sa chambre. L'homme avait seulement baissé son pantalon et s'agitait en rythme, émettant parfois un soupir lourd. Une des jambes nues de la fille était légèrement levée et répercutait les coups de rein de l'homme. Kyorou vit qu'elle avait les yeux ouverts, et qu'elle se mordait la main pour ne pas gémir. Il ne put déterminer si elle était ou non consentante. L'homme s'empara d'un des seins dénudés et le pressa cruellement. La geisha émit un faible son.

Pris de nausées, Kyorou se détourna et s'appuya contre la cloison. Cette scène lui en rappellait d'autres , qu'il aurait voulu voir définitivement effacées de sa mémoire. A la faveur de l'obscurité, elles se déroulaient à nouveau sous ses yeux.

"Dites-moi où vous avez enterré vos kokus, Yasuki-san. Dites-le moi et nous arrêtons à l'instant. Regardez votre femme, Yasuki-san. Voyez ses larmes de honte. La laisserez-vous souffrir plus longtemps ? Laisserez-vous votre fille subir le même sort ? Mes hommes sont endurants, savez-vous…"

Il s'éloigna de la pièce, sans regarder ou il allait. Il était en sueur et ses mains tremblaient. Oublier…

"A votre tour, sama." Leurs visages souriants étaient tournés vers lui. Ils riaient. "A votre tour…"

Il atteignit la cour et tomba à genoux. Le monde tournait autour de lui. Il vomit. Oublier ses crimes, sa haine…

Il reprit soudainement ses esprits et sa haine se réveilla. Il ne pouvait pas oublier ; il n'en avait pas le droit. Il se redressa et se mit en marche. Il tremblait à nouveau mais de colère, à présent.

Il se trouva la réserve de nourriture et frappa longtemps de ses poings les sacs de riz, jusqu'à être assez épuisé pour dormir.
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Message par Kyorou » 02 oct. 2007, 10:49

Exécution

"L'antre du Nezumi" n'était pas un nom usurpé pour la fumerie d'opium. Si un bâtiment occupé par des êtres humains pouvait passer pour un antre de nezumi, c'était celui-ci. Kyorou s'y trouvait depuis moins d'une minute et il avait le cœur au bord des lèvres. Le pire n'était pas l'odeur immonde émanant des clients qui n'avaient pas connu de bain depuis des semaines ou des nombreuses flaques et traînées douteuses, mêlant mauvais saké et secrétions corporelles diverses, ni même l'atmosphère poisseuse du lieu, qui couvrait d'humidité le front et le torse du bushi. Le pire était l'expression vide des fumeurs d'opium, dépourvue de honte comme de dignité. Ils ne cherchaient pas à dissimuler leurs corps sales et émaciés, ni ne détournaient les yeux lorsqu'ils rencontraient le regard de Kyorou. L'opium leur avait ôté toute humanité. Shinoko lui avait dit que la variété vendue ici était plus puissante et plus addictive que celle que cultivait son Clan. Il le croyait sans peine. Pour lui, cet endroit était l'antichambre de Jigoku. Il n'avait qu'une envie, en finir au plus vite. Comme à d'innombrables reprises déjà, il pensa qu'il aurait volontiers donné un œil pour qu'Akemi soit là pour l'aider dans cette épreuve.

Dissimulé dans la pénombre d'une alcove, Kyorou attendait, affalé contre un mur. Il avait passé la journée à mettre au point ses plans avec l'aide de Shinoko et à pratiquer ses kata. Sa blessure au poignet, qui résultait de l'effacement du mon du Clan de la Grue tatoué à cet endroit, avait bien cicatrisé et ne lui faisait à présent presque plus mal. Faire disparaître cette marque d'appartenance à son ancien Clan avait été extrêmement douloureux mais le ronin en avait retiré malgré cela un intense plaisir.

Après un temps désagréablement long, les personnes que Kyorou attendait firent leur entrée. La posture des silhouettes qui se découpaient dans l'ouverture de la porte ne laissati aucun doute sur leur identité : ils se comportaient comme s'ils étaient les maîtres des lieux… ce qui était vrai. Saigo, le chef, venait en tête. Kyorou reconnu la forme émaciée qu'on lui avait décrite. Il était accompagné de ses trois meilleurs combattants : Bantaro -un ronin colossal et borgne, Akimitsu –un bushi de petite taille qui avait visiblement suivi l'enseignement de l'Ecole Mirumoto et Fusanari –un homme au visage allongé et grêlé. Le menu fretin de la bande attendait probablement à l'extérieur.

Le propriétaire des lieux, un individu obèse et malpropre, se hâta de venir saluer Saigo, exprimant la plus complète servilité. Quelques instants plus tôt, Kyorou l'avait vu chasser de chez lui à coups de pieds un opiomane sans le sou. Saigo le fit taire sèchement et mena ses affaires en quelques phrases avant se s'en aller, suivi de ses gardes du corps.

Kyorou sorti à son tour peu après et repéra le groupe qui s'éloignait. Il les suivit à une distance prudente. Saigo et ses hommes visitèrent brièvement une autre fumerie d'opium. Après cela, la bande au complet entra dans une taverne. Kyorou prit le temps d'ajuster ses vêtements amples, qui dissimulaient en partie son daisho, puis y pénétra à son tour et s'agenouilla devant une table proche de l'entrée, en évitant de regarder directement le groupe bruyamment en train de s'installer.

Kyorou commanda du saké et attendit. Comme prévu, Saigo et sa bande allaient passer la soirée dans cette taverne. Il les observa par de discrets coups d'œil. Saigo et sa garde rapprochée occupaient le bout de la table. Le groupe comprenait quelques femmes, maîtresses de ses hommes de main. Parmi elles, il reconnu celle que Shinoko lui avait décrite : taille moyenne, mince, la nuque découverte, kimono rouge sombre à motifs floraux. Elle aussi jetait de furtifs regard alentour. Elle finit par le remarquer. Il lui adressa un bref signe de tête.

Nous y sommes, pensa Kyorou. Il pratiqua un bref exercice de respiration, préparant son chi au combat.

La femme se leva, s'excusa auprès de son compagnon (Fusanari, le ronin au visage grêlé), et se dirigea vers la sortie. Alors qu'elle passait près de lui, Kyorou l'arrêta en saisissant son kimono. Malgré ses (plus ou moins sincères) protestations, il la fit asseoir à sa table et lui servit à boire. Du coin de l'œil, il vit Fusanari se lever, rouge de colère et le katana à la main, et se diriger vers eux à grands pas.

-Je vous trouve très belle et je souhaite coucher avec vous, dit Kyorou à la femme.

Fusanari était suffisamment près à présent pour avoir entendu au moins la fin. Kyorou, toujours agenouillé, fixait le visage de la femme, ignorant le ronin. Jolie mais terrorisée, pensa-t-il. Elle risquait gros, en effet. Le maquillage ne dissimulait pas totalement les hématomes récents qui marquaient ses traits.

Fusanari, hurlant, agrippa le col du kimono de sa maîtresse et la tira violemment en arrière. Le tissu se déchira et elle poussa un bref gémissement. Furieux, Fusanari frappa ensuite du pied la table. La boutille de saké se renversa, éclaboussant Kyorou. Celui-ci leva enfin les yeux sur Fusanari, tout en ramassant posément son katana de la main gauche. Fusanari vit son geste et prit alors conscience qu'il avait un bushi en face de lui, et non pas un truand heimin. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'ils rencontrèrent le regard du renégat du Clan de la Grue.

La pièce était à présent totalement silencieuse, tous les regards étaient à présent posés sur les deux hommes.

-Vous allez mourir, pour ceci, dit Kyorou d'une voix calme et posée.

Comme souvent lors d'un duel, le temps lui sembla se dilater, et, avec une acuité anormale, ses sens lui rapportèrent de nombreux détails : le lent écoulement des gouttes de saké sur son visage, le poids du tissu sur ses membres, la position exacte de ses muscles. Il perçut l'accélération du rythme cardiaque de son adversaire, le début d'un geste.

Fusanari n'était pas un imbécile. Il savait que ses chances dans un duel loyal n'étaient pas bonnes et qu'il bénéficiait pour l'instant d'un avantage considérable : il était debout et son ennemi assis. Il se décida soudain et fit jaillir la lame hors de son fourreau pour l'abattre sur son adversaire en poussant un bref cri de guerre.

Kyorou réagit instantanément, sans décision consciente. Sa lame quitta souplement le saya et partit à l'horizontale, suivant une piste tracée par des milliers de répétitions du même geste, traversa l'air et rencontra l'acier de Fusanari, qu'elle brisa net. Le katana poursuivit sa course inaltérée et s'enfonça profondément dans la gorge du ronin. Du sang jaillit et perla de rouge le visage de Kyorou. Fusanari tomba à genoux, les mains pressées sur sa gorge.

Kyorou se leva calmement. Selon Kakita Toshimoko, la Frappe du Vide était proche de la vérité ultime, plus rapide que la pensée, plus authentique aussi. Mais la vérité n'intéressait que peu Kyorou. Il frappa une seconde fois, de haut en bas, décapitant net Fusanari. Il releva la tête. La salle était toujours silencieuse et figée mais cela ne durerait pas.

Il saisit sous l'épaule la femme à terre (son kimono était poisseux de sang mais cela se voyait à peine en raison de sa teinte), la fit se relever et la tira rapidemant vers la porte. Plusieurs hommes se levaient alors qu'ils sortaient dans la rue encombrée.

Kyorou essuya son visage avec la manche de son kimono. Il regarda la femme. Elle semblait près de la crise de nerfs et allait s'effondrer en larmes d'un moment à l'autre. Ils marchaient rapidement. Saigo n'allait probablement pas le faire assassiner en pleine rue, mais, s'il était à moitié aussi compétent que ne l'avait affirmé Shinoko, il les ferait suivre.

-Comment t'appelles-tu ?, demanda Kyorou. Son ton était doux mais impératif.

-Nanami, répondit-elle dans un souffle.

-Très bien, Nanami-san. A présent, nous allons nous rendre chez toi et tu vas m'en indiquer le chemin. Plus bas, il ajouta "Comme te l'a promis Shinoko-san, nous t'avons débarrassée de ton amant. A présent, tu dois nous obéir en tout". Il marqua une pausa, puis il dit en souriant : "Mais tu n'as pas à t'inquiéter. Tout se passera bien". En lui-même, il était loin d'en être certain mais il se sentait légèrement grisé. Avoir tué quelqu'un qui méritait la mort au moins autant que lui-même le mettait de bonne humeur.

Ils continuèrent à marcher rapidement et en silence.
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Message par Kyorou » 21 avr. 2008, 12:59

Des visiteurs attendus.

Kyorou et Nanami se trouvaient dans le pauvre logement de cette dernière depuis plus d’une heure lorsqu’une voix forte se fit entendre à l’extérieur, exigeant que l’on ouvre la porte. Kyorou adressa un bref hochement de tête à la jeune femme, qui se dirigea vers la porte coulissante.

Le rônin s’était attendu à ce que Saigo se présente plus tôt et ce retard était un mauvais présage. Il comptait sur la curiosité du chef de bande. Selon, Shinoko, Saigo avait de bonnes chances de se laisser prendre au piège (ce qui était d’ailleurs la raison pour laquelle Kyorou avait choisi de l’approcher lui plutôt qu’un autre). Si ce devait ne pas être le cas, les chances du rônin de s’en sortir vivant étaient minces.

Kyorou avait cherché à utiliser au mieux cet instant de calme. La maison de Nanami se composait d’une seule pièce, qui pouvait aisément contenir toutes ses possessions. L’endroit était propre mais la pauvreté de son occupante se manifestait dans le mobilier endommagé et la légère odeur de moisissure qui flottait dans l’air. Le rônin avait en premier lieu ôté sa veste de kimono souillée et était sorti pour se laver le visage et les bras du sang de Fusanari. Il avait ensuite commencé à entretenir méticuleusement ses armées, polissant l’acier avec un chiffon enduit d’essence parfumée. Pendant tout ce temps, Nanami était restée silencieuse, terrée dans un coin de la pièce, jettant de temps à autre un coup d’œil à la dérobée vers son hôte, et avait violemment sursauté lorsque la voix (que Kyorou pensait être celle de Bantaro, le rônin géant) avait retenti.

A peine Nanami avait-elle commencé à faire coulisser la porte qu’une main avait aggripé celle-ci et l’avait ouverte brutalement. Dans l’encadrement se tenait Bantaro, qui se tenait légèrement penché pour pouvoir passer. Derrière lui, Kyorou devina les silhouettes faiblement éclairées de Saigo, suivi d’Akimitsu. Lui-même était torse nu, agenouillé face à la porte, occupé à polir un tanto, ses diverses armes alignées sur un tissu posé devant lui. Il s’inclina, se maîtrisant afin de ne pas laisser transparaître la tension qui l’habitait. Bantaro et Akimitsu s’avancèrent dans la pièce et se placèrent de part et d’autre de Kyorou. Saigo vint ensuite s’agenouiller face à celui-ci, qui s’inclina à nouveau, plus profondément.

Saigo parcourut du regard les armes alignées devant lui, puis il releva le regard et rencontra les yeux clairs de Kyorou. Un instant passa, puis Saigo sourit brièvement, une expression qui semblait déplacée sur sa physionomie maladive. Sans détourner les yeux, Kyorou s’adressa à Nanami, qui s’était à nouveau réfugiée dans un coin de la pièce :

-Préparez du thé, Nanami-san.

Celle-ci sortit allumer le feu. Un nouvel instant passa avant que Saigo ne rompe le silence à son tour.

-Comment vous appelez-vous ?, demanda-t-il. Sa voix était étonnament vive.

-Je m’appelle Kyorou.

-Vous avez tué un de mes hommes, Kyorou-san.

L’intonation était totalement neutre.

-Vous m’en informez, répondit Kyorou. Il sentait à ses côtés la présence menaçante des deux rônins mais ne pouvait les surveiller, placé comme il l’était.

-Par conséquent, vous avez une dette envers moi, Kyorou-san.

Nous y voilà, pensa Kyorou.

-Je ne dis pas le contraire mais permettez-moi de faire remarquer que, si je serais heureux de vous dédommager, je suis un homme errant et je ne possède, pour ainsi dire, pratiquement rien.

Saigo ne répondit pas. Il semblait vouloir attendre que son vis-à-vis poursuive.

-Cependant, si vous le jugez bon, je propose de vous servir, en lieu et place de l’homme que j’ai tué, jusqu’à ce que vous estimiez que ma dette a été payée, continua Kyorou, d’un ton circonspect.

Saigo ne dit rien et se remit à détailler les armes alignées devant lui.

-Et ceci, bien entendu, à supposer que mes services puissent vous être d’une quelconque utilité, termina Kyorou, abruptement. La tension refluait sous l’effet d’une émotion bien ancrée en lui : la colère. Sa patience commençait à s’éroder et le fait qu’il était en ce moment contraint de marchander ses services auprès de ce vendeur d’opium qui avait autant de dignité qu’un commerçant de Ryoko Owari n’y était pas étranger.

Saigo perçut son changement de ton.

-Je me nomme Saigo et, sans entrer inutilement dans les détails, je crois pouvoir employer les services d’un homme ayant vos compétences, dit-il en désignant d’un geste les armes qui étincelaient sur le tissu. J’accepte donc votre proposition, continua-t-il.

Saigo se leva et se retourna pour partir. Bantaro et Akimitsu se mirent en mouvement, suivant leur maître. Arrivé dans l’encadrement de la porte, Saigo se retourna.

-Retrouvez-nous demain soir, à la taverne où vous vous êtes si brillamment illustré. Vous pourrez commencer à payer votre dette, dit-il.

Saigo marqua une pose, puis ajouta :

-A toutes fins utiles, je tiens à vous faire remarquer, Kyorou-san, que certaines personnes m’ont déjà pris pour un imbécile mais qu’elles ne l’ont jamais fait qu’une seule fois.

-Je le comprends, Saigo-sama, répondit Kyorou. Le sama lui brûla la langue quand il le prononça.

Un instant de paix.

Allongé sur le dos sur le futon, Kyorou ne dormait pas. A sa respiration, il savait que Nanami non plus. Les yeux ouverts, le rônin fixait les ténèbres s’étendant au-dessus de lui, s’attendant presque à en voir émerger l’un de ses démons familiers. Sa main droite était posée sur la poignée d’un tanto, placé là au cas où quelque chose de plus matériel que les fantômes du passé déciderait de troubler son repos.

Nanami était revenue dans la maison après le départ de Saigo et de ses hommes. A son expression, Kyorou avait pu constater qu’elle ne savait pas s’il était vivant ou mort lorsqu’elle passa la tête dans l’encadrement de la porte. Le thé qu’elle avait préparé était infect.

Kyorou tourna la tête et rencontra le regard de Nanami, dont les yeux reflétaient la faible clarté présente. Elle semblait avoir peur de lui mais se résignait apparemment à subir le sort que le Clan du Scorpion avait désigné pour elle. D’un geste franc, Kyorou passa son bras autour des épaules de la jeune femme, sans l’attirer à lui. Quelques instants plus tard, elle s’était détendue et s’assoupissait. Kyorou se remit à fixer l’obscurité mais finit lui aussi par fermer les yeux. A l’instant où il s’endormait, il se dit qu’il aurait aimé avoir une sœur.
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Message par Kyorou » 26 mai 2008, 14:08

Tous des amis.

Le soir suivant, Kyorou fut introduit auprès du Saigo-gumi et prit place à la longue table occupée par la bande, à la position précise qu’occupait la veille le défunt Fusanari. Les hommes de main l’acceuillaient avec un respect mêlé de méfiance et de crainte. Bantaro semblait particulièrement se défier de lui et le surveillait sans s’en cacher. Akimitsu, le rônin formé par l’Ecole Mirumoto, qui semblait sourir en permanence, ne lui accordait pas beaucoup d’attention, soit parce qu’il ne le considérait pas comme une menace, soit parce qu’il était certain de pouvoir le vaincre en combat, au besoin. Egal à lui-même, Saigo était impénétrable et ne lui avait adressé la parole que pour le saluer brièvement.

Personne ne semblait pleurer Fusanari, ni chercher à le venger. Shinoko avait bien choisi la cible de sa manœuvre. Tout semblait donc se dérouler comme prévu. Même Nanami, assise avec d’autres maîtresses d’hommes de la bande à une table en retrait, semblait relativement à son aise. Kyorou se prit à croire que, peut-être, tout se passerait comme prévu.

C’est lorsque Saigo donna le signal du départ que l’humeur du renégat s’assombrit. En effet, la bande devait prendre le chemin d’une des propriétés de Saigo, probablement la moins reluisante du lot : un bordel dont les pensionnaires toxicomanes étaient "payées" en opium par Saigo, qui empochait en retour le produit de leur travail. D’après les renseignements de Shinoko, les filles étaient amenées de villages lointains et intoxiquées de force afin de s’assurer de leur obéissance.

Le groupe se leva et quitta l’auberge, y laissant Nanami et les autres femmes. Alors qu’il traversait la ville, Kyorou constata que les passants, nombreux malgré l’heure tardive, s’écartaient prudemment sur le passage du groupe. D’après Shinoko, trois autres bandes du même genre opéraient à Eien Sabi Mura et les affrontements entre elles n’étaient pas rares. Apparemment, le magistrat local n’éprouvait pas la nécessité d’y mettre un terme.

Le groupe arriva finalement à un large pavillon éclairé, partiellement entouré d’un bois. Le bâtiment montrait les traces d’un entretien au mieux occasionnel. Une femme en ouvrit la porte et Saigo entra, suivi de ses hommes. Il règnait dans l’endroit une atmosphère oppressante, évoquant le désespoir et la tristesse. Lorsque Kyorou respira l’atmosphère confinée de la pièce principale, il dut refouler les larmes qui lui montaient aux yeux. Il était affecté par la misère humaine qui imprégnait ce lieu. On la retrouvait dans l’humidité malsaine de la pièce, les moutons de poussière sur le plancher gondolé, les vêtements élimés des pensionnaires ainsi que leurs yeux vides. Kyorou se concentra pour chasser la sympathie qu’il éprouvait, la remplaçant par la colère familière, et s’attacha à détailler les lieux froidement.

Après avoir franchi un petit vestibule, le groupe avait pénétré dans la pièce principale du bâtiment. Au fond de celle-ci, un escalier menait vers ce qui, entendus les grognements qui en émanaient et qui étaient probablement poussés par le seul client présent, devait être les chambres des pensionnaires. L’ameublement de la pièce était sommaire au mieux, quelques tables basses à la laque écaillée et une armoire rongée par les vers. Une demi-douzaine de prostituées, maigres et prématurément vieillies, étaient présentes, agenouillées près des tables. L’une d’entre elles, abrutie par l’opium, ne semblait pas avoir remarqué les nouveaux venus et regardait fixement le mur. Kyorou serra les poings. L’endroit était encore pire que la fumerie d’opium de la veille.

La tenancière de l’établissement, une femme plus âgée mais qui semblait plus alerte et en meilleure santé que le restant des pensionnaires, était en train d’expliquer à Saigo, lequel était comme d’habitude suivi de près par Bantaro et Akimitsu, pourquoi les affaires avaient été moins bonnes que la semaine précédente. D’après elle, une des filles avait été malade et le mauvais temps avait empêché les visiteurs habiyuels de venir. Son monologue se fit rapidement suppliant. Saigo avait apparemment le bon sens de se méfier des drogués mais, à ce que Kyorou pouvait lire sur son visage peu expressif, il n’avait pas davantage confiance dans la tenancière.

-Kyorou-san !, appella Saigo, interrompant la tenancière.

-"Oui, Saigo-sama !", répondit Kyorou, se plaçant rapidement en face de Saigo.

Saigo jeta un bref regard à Kyorou, puis concentra à nouveau son attention sur la femme debout devant lui, qui tremblait visiblement, à présent.

-"Kyorou-san", dit Saigo de son ton sans émotion, sans cesser de dévisager la tenancière, "j'ai des doutes quant à la sincérité de Tomoko-san".

Il fit une pause. La femme tremblait davantage.

-"Ce ne sont que des doutes, donc elle conservera la vie, mais je tiens à l'avertir que j'apprécie peu que l'on suscite en moi de pareilles suspiscions. Pour qu'elle prenne cet avertissement au sérieux, Kyorou-san, vous allez trancher un de ses doigts. Celui que vous voulez", termina Saigo avec un sourire sans joie.

Kyorou sentit la bile lui monter à la gorge et dut se retenir de regarder Saigo dans les yeux. Il avait déjà commis des actes pires que celui-là, mais jamais de manière aussi gratuite.

Mon sang est celui du Clan du Scorpion, se dit-il. Je ferai ce qui est nécessaire.

-"Haï, Saigo-sama", dit-il dans un souffle.

Sans attendre, Kyorou saisit Tomoko par la nuque et la força à s'agenouiller à côté d'une des tables basses. La femme résista à peine, paralysée par la peur. Les hommes de Saigo se pressèrent afin de mieux voir mais Kyorou avait à peine conscience des regards qui pesaient sur lui. Une partie de son âme hurlait de rage et des larmes brouillaient sa vision. S'agenouillant, il tira brutalement sur le bras de Tomoko, manquant de peu de lui démettre l'épaule, et lui écrasa la main sur la table, dégageant l'auriculaire. Il tira rapidement le tanto dissimulé dans son dos et le plaça au bout de la première phalange. Sa bouche se tordait malgré lui.

Mon sang est celui du Clan du Scorpion, se répéta-t-il.

Kyorou appuya de toutes ses forces et l'acier effilé trancha sans difficulté la chair et le cartilage, avant de s'enfoncer profondément dans le bois de la table. Tomoko hurla. Kyorou lâcha le bras de la tenancière, qui partit à la renverse, serrant sa main contre sa poitrine.

Pendant un instant, Kyorou fixa le doigt amputé et la petite mare de sang qui s'en était échappée, puis il se reprit. Il inspira profondément et se releva, le tanto ensanglanté à la main. Lorsqu'il releva la tête, son visage était sans expression mais ses yeux étaient humides. Saigo lui adressa un petit signe de tête et Kyorou se dirigea vers la porte.

Dehors, il s'était mis à pleuvoir. La lanterne située devant la porte délimitait un demi-cercle de lumière. Kyorou le dépassa et fit quelques pas dans les ténèbre, toujours accueillantes. Il leva son visage vers le ciel, afin que la pluie nocturne lave ses larmes.

Peut-être était-il à sa place, dehors, dans l'obscurité. Après tout, il était par le sang un membre du Clan du Scorpion.

Il fit demi-tour et retourna vers la lumière artificielle de la lanterne. Le sang sur son tanto avait disparu sous l'action de la pluie. Derrière la porte ouverte l'attendait Akimitsu, toujours souriant.
In wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies.
Winston Churchill

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