Un voyageur
Kyorou avait marché depuis l’aube dans les froides terres du Clan du Phénix et c’est seulement alors que l’après-midi touchait à sa fin qu’il aperçut sa destination : le Village de la Sérénité Eternelle. Il pressa alors le pas et franchit les portes de la cité peu avant la nuit.
Eien Sabi Mura s’était étendu dans des proportions considérables dans les dernières décennies, tout en gardant son titre de "village". Des villages secondaires s’étaient créés dans la vallée, afin d’approvisionner la jeune cité en denrées de première nécessité et Kyorou était passé par plusieurs d’entre eux. Cependant, la cité n’était entourée que par une palissade de bois et son agencement était plutôt anarchique. En début de soirée, l’activité était réduite.
Alors qu’il parcourait la ville à la recherche d’un établissement précis, Kyorou croisa peu de samouraïs. Visiblement, la présence du Clan du Phénix n’avait pas cru au même rythme que la ville. D’après les informations qu’il avait reçues, aucun magistrat d’Emeraude n’était présent, ce qui arrangeait bien le ronin, qui ne pouvait se permettre d’être reconnu.
Il trouva facilement le quartier des plaisirs. Celui-ci était beaucoup plus animé que le reste de la ville. Rires et exclamations diverses émanaient des divers établissements, ainsi que parfois la chanson éraillée d’un ivrogne titubant. Marchands et paysans se pressaient, avides de dépenser leur argent dans les maisons de saké ou de jeux, sous le regard intéressé des tenanciers et des ronins employés comme videurs par les enseignes les plus riches.
Kyorou parvint à la maison de saké qu’il recherchait. Celle-ci était certainement la plus luxueuse de la ville mais le faux ronin qui se tenait dans l'entrée ne fit pas un geste pour l'empêcher de passer. Kyorou lui tendit sans un mot son katana et son wakizachi. Le videur l'oberva d'un œil expert et dut remarquer certaines des autres armes qu'il dissimulait, mais ne fit, là non plus, aucune remarque. Il écarta la lourde tenture rouge et le ronin pénétra dans une grande pièce éclairée par quelques rares lampes, meublée de tables auxquelles buvaient les clients, seuls ou accompagnés. L'un d'entre eux était en train de détailler à l'oma-san ses malheurs et son besoin de compagnie. Kyorou se dirigea vers une table vide devant laquelle il s'agenouilla.
Plus tard, une jeune geisha vint le chercher et le conduisit dans une chambre dépouillée, probablement utilisée par le personnel de la maison de saké. L'oma-san l'y rejoignit bientôt, apportant les armes qu'il avait laissées à l'entrée. Elle resta debout et le fixa en silence, puis lui rendit ses armes et s'agenouilla face à lui.
-Nous vous attendions plus tard, Kyorou-sama, dit-elle sur un ton où se mêlaient méfiance et reproches.
-Les hommes recherchés pour trahison voyagent vite, répondit-il, une note de colère dans la voix. Et vous reconnaîtrez qu'il m'était difficile d'imaginer que ma diligence déplairait au Clan du Scorpion.
L'oma-san fixa sans ciller les yeux bleu clair du bushi. Elle n'avait aucune confiance dans ce renégat, quoi que dise de lui celle qui l'avait recruté. Elle ne le comprenait pas et, par conséquent, ne pouvait se fier à lui. De plus, il n'était pas dans les habitudes du Clan d'employer des transfuges.
-Lorsque j'ai demandé que l'on envoie quelqu'un pour m'aider à gérer cette situation, Kyorou-sama, j'étais loin de m'attendre à la venue d'un ronin pourchassé par son ancien Clan.
Puis, devant l'absence de réaction de son vis-à-vis, elle ajouta :
-Je m'appelle Shinoko. Je suis responsable de nos opérations dans la région. J'ai lu votre dossier aujourd'hui même, et je dois vous avouer que je ne sais pas quoi en penser.
Kyorou eut un sourire presque imperceptible. Il pouvait facilement imaginer ce qu'il y était écrit et comprenait par conséquent la perplexité de Shinoko. Et encore, Akemi n'y avait pas retranscrit tout ce qu'elle savait à son sujet.
-Quoi qu'il en soit, Shinoko-san, je suis celui que le Clan a envoyé, dit-il avec fermeté. Dites-moi donc quelle est la situation qui vous préocuppe.