[Récit] Kakita Sojiro, l'enfant d'ubume

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Kakita Sojiro
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[Récit] Kakita Sojiro, l'enfant d'ubume

Message par Kakita Sojiro » 15 janv. 2007, 16:00

C’était un matin comme un autre pour le Maître de l’Académie Kakita. Un froid matin d’hiver, proche du nouvel an, et le redoux qui s’annonçerait à ce moment là semblait bien loin quand on voyait les pins enneigés se plier sous le vent glacé. Pour aérer le dojo et surprendre les élèves qui allaient arriver dans une heure, il ouvrit le panneau qui permettait d’y entrer. Comme s’il n’avait attendu que cela, un bébé poussa un long cri et se mit à pleurer. Baissant les yeux, le Sensei vit, posé dans la véranda, protégé de la neige, un couffin dans lequel était emmitouflé un nourisson, d’à peine quelques semaines. Ce bébé avait des yeux d'un rouge de sang, contrastant singulièrement avec ses cheveux d’un blanc éclatant. Un instant sidéré, le Maître du Dojo appela :
« Anata ! Viens voir ! »
Sa femme arriva sans se presser, pour voir dans les bras de son époux un bébé qu’elle n’avait jamais aperçu auparavant.
« Qui… qui est-ce ?
-Je ne sais pas, je viens de le trouver devant l’entrée.
-Ah… Et il s’appelle comment ?
-Je ne sais pas… Allons-nous l’adopter ?
-Pourquoi pas… Nous n’avons pas encore d’enfant, et je doute d'en avoir un jour… Alors, ce nom ?
-Mmmh… Sojiro, cela te convient-il ?
-Mhoui. Allons, donne-le moi, je vais m’en occuper. »
Le Sensei acquiesça et fit glisser le bébé dans les bras de sa femme, qui l’emmena dans la maison,
« Dis-moi, tu as vu ses cheveux ? Et ses yeux ? C'est...
-Je ne pense pas que cela soit un oni déguisé en bébé, ou un enfant d'ubume, même si cette dernière version plaira peut-être aux visiteurs... J'ai ouï dire que certains Phenix naissaient avec les cheveux blancs. Ou peut-être est-ce un enfant de la Grue...
-Si tu le dis. Mais... il va falloir que je fasse des efforts pour le nourrir ! »
Le Sensei soupira et secoua la tête. Il avait l'intuition que ce bébé n'était qu'un humain normal... Mais allez convaincre un peuple plutôt superstitieux. Il décida donc, pour préserver l'honneur de la mère inconnue, de donner comme version un enfant d'ubume. Et puis, ca ajouterait un côté chevaleresque à sa propre histoire. Il avait déjà vu des Esprits en Pleurs, mais jamais n'avait osé les aider. Ce jeune garçon serait son rachat.

Trois ans plus tard...

« Allons Sojiro-chan, tiens-moi ce sabre mieux que ca ! »
Acquiesçant, le petit garçon tira la langue en s'appliquant pour ajuster sa prise. Son père passa devant lui et abattit son propre bokken, le faisant glisser et abaissant violemment l'arme en bois de l'albinos. Celui-ci, emporté par le coup, manqua de chuter en avant et qui se rattrapa après plusieurs pas. Le Senseï hocha la tête, satisfait.
« Ta prise est bonne, mais pas ton équilibre. La prochaine fois, baisse-toi en pliant tes genoux et en gardant le dos droit. Comme ça tu resteras stable sans lâcher ton arme. »
Le garçonnet se tendit, attendant une nouvelle coupe de son géniteur. Celui-ci pourtant ne fit aucun geste et s'intéressa à un autre élève. Sojiro était vraiment le plus jeune, ses condisciples étant au bas mot deux fois plus âgés que lui, mais le Sensei voulait le garder sous les yeux en permanence, même s'il n'était pas superstitieux, car une personne à laquelle le Seigneur Lune s'intéressait, cela pouvait être une bombe à retardement... sauf si elle était bien éduquée, selon lui, et l'éducation des Kakita se voulait complète et visant à l'excellence.

« Bien, chacun d'entre vous prend un partenaire, et mettez-vous face-à-face ! Puisque vous savez manier un sabre, vous allez vous affronter en duel. »
Le bokken de Sojiro était plus léger que celui de ses camarades. Même si depuis un an il s'entraînait, sa musculature restait celle d'un enfant de quatre ans, et donc il était moins fort qu'eux. Il le compensait par sa vitesse et sa petite taille. Il n'empêche qu'il se faisait souvent battre à plates coutures.
Néanmoins, le jeune adolescent qui le choisit comme adversaire était son meilleur ami. Il se nommait Doji Masane, était âgé de douze ans, et se montrait aimable et attentionné. Médiocre au sabre, selon les standards Kakita, il aidait Sojiro en étiquette, mais aussi en calligraphie et en poésie.
« Allez, Sojiro-san, mettez-vous en garde ! »
Les deux garçons se saluèrent et mimèrent un dégainage avant de se mettre en garde shinken, le sabre visant l'oeil, à un pas de distance entre les armes.
« Allons, vous tous... En garde... HAJIME ! »
Des coups retentirent dans le dojo aussitôt, d'autres duos étant plus circonspects, plus patients et prudents. Sojiro savait que sa taille et sa force de frappe était bien moindre que son aîné, presque adulte. Celui-ci était quand même plus confirmé. Le jeune garçon écarta son sabre, feintant une ouverture. Masane ne se laissa pas prendre au piège mais accéléra sa respiration. L'albinos fonca. Avant qu'il ne comprenne ce qui se passait, son arme sauta de ses mains et il sentit la pointe d'un bokken contre son cou. Le Doji se recula presque immédiatement en prenant son sabre de la main gauche et s'inclina. Sojiro fit de même, puis ramassa son sabre.
« Vous vous êtes bien battu, Sojiro-san. Mais vous avez encore beaucoup de progrès devant vous. »
Le garçonnet s'inclina pour le remercier. Les duels se terminaient, et le Sensei annoncait un cours de poésie. Tous se dirigèrent vers une salle adjacente. Le principe était simple : une image, un son, une impression étaient évoqués, et les élèves devaient faire un haïku. Le meilleur était félicitité. Mais Sojiro était un bien piètre poète, étant donné son jeune âge.
Parfois, cela le frustrait d'être aussi mauvais comparé à ses camarades. Mais chaque soir, le Sensei lui accordait près d'une heure, après les cours, pour parler avec lui, lui apprendre à méditer et à chasser sa colère. Cela lui permettait de se coucher chaque soir l'esprit en paix. Mais chaque jour il connaissait la même impression de nullité.

Ce soir là, il le confia à son père.
« Sensei-sama, je n'arrive jamais à rien... je n'ai aucun talent, ni en sabre, ni en haiku, ni même en sumi-e... Pourquoi dois-je m'entrainer alors que je ne suis pas prêt ? »
Le vieil homme médita quelques instants sur sa réponse. Le petit garçon savait que c'était courant chez lui, une façon de réfléchir intensément aux données d'un problèmes, ou aux différents aspects d'une réponse.
« Ton découragement est légitime, Sojiro-chan. Toutefois, ne le laisse pas s'installer en toi. C'est toujours ce sentiment qui prédomine lorsque l'on débute. Moi-même je me sens parfois découragé devant certaines choses que je n'arrive pas à faire, même en sabre. Car nous sommes tous d'éternels élèves, il y toujours quelque chose à apprendre. Ton jeune âge est un avantage car tu pourras plus apprendre que tes camarades. Si je te fais apprendre à un si jeune âge, aussi, c'est parce que... je ne pourrais pas m'occuper de toi autrement, et je suis sûr que tu as un énorme potentiel à exploiter. »
Sojiro s'inclina devant son père, et partit se coucher. Le Sensei resta un instant à réfléchir. Révéler la superstition concernant les albinos et le Seigneur Lune n'aurait fait qu'aiguiser le ressentiment de l'enfant. Il hocha la tête et se releva, lissant sa tenue, avant d'aller se coucher.

Ce jour là marquait le septième anniversaire de Sojiro. Il avait mûri, bien davantage que ce qu'on pouvait escompter de lui. Sûrement l'influence de son entourage, bien plus âgé que lui. Il restait un sabreur moyen, toujours handicapé par sa jeunesse, sa taille et sa force. Il s'était réveillé aujourd'hui avec une grande volonté, mais le cours de kyujutsu l'avait quelque peu refroidi.Là, c'était cours de sabre. Et l'albinos se battait désormais avec un iaito comparable à celui de ses condisciples. Et le duel d'aujourd'hui se déroulait face à Kakita Meiko, une samuraï-ko douée, imbue d'elle-même et hautaine. Sojiro soupira. Mais il avait envie de lui faire ravaler son orgueil, bien qu'il ait perdu tout ses duels. Et, à la réflexion, il ne pourrait, au mieux, qu'avoir un match nul.
Sur l'ordre du Sensei, les deux duellistes se placèrent en position de duel Kakita. Ils se regardèrent un long moment, s'efforçant de rester calme, la respiration mesurée, focalisant leur ki et attendant le moment juste. Le moment où l'attention du vis-à-vis s'atténuerait et offrirait une ouverture au sabre.
Le temps parut se dilater tandis que la tension montait. Tous deux fixaient l'adversaire, ses mains, ses pieds, sa respiration, guettant le moindre signe afin de réagir entre ce signe et le moment où le serpent d'acier quitterait son fourreau.
Ce fut Meiko qui bougea la première. Regardant sans voir, Sojiro vit le pied gauche de la jeune femme pivoter légèrement et son pied droit commencer à se lever, pendant que sa main se tourna pour saisir la garde en soie. Sojiro vit tout cela comme au ralenti. Il eut assez de réflexes pour agir avant elle. Il commenca par les répéter ses mouvements, mais sa main se posa sur la garde avant celle de la jeune femme, et il tira sa lame bien plus vite qu'elle, pour la toucher au flanc. Elle lâcha immédiatement son arme et se détourna, le mépris au regard, sans même s'incliner.
« Meiko-kun ! Viens içi ! »
Elle se dirigea vers le vieux maître.
« La prochaine fois, tu es exclue.
-Comment cela, Sensei ?
-Même si Kakita n'a pas salué Matsu, c'était pour une bonne raison. La prochaine fois que j'entendrais dire que tu as omis de saluer un adversaire, je te bannirai céans de ce dojo. Et même de l'Ecole Kakita. Tu me comprends ? »
Elle inclina la tête, tremblante de rage. Puis elle quitta le dojo. Sojiro était encore sur un nuage, le sabre à la main, les bras ballants. Il avait gagné... mais il ne fallait pas rêver. Il savait qu'il allait encore perdre de nombreux duels... mais ca le motivait encore plus pour la suite.

Le Sensei se réveilla en sursaut. Il avait l'impression que quelque chose clochait, sans pouvoir dire quoi. Juste une intuition. Il posa sa main sur l'épaule de sa femme pour la rassurer, et se leva, remettant son kimono et prenant son sabre. Il sortit doucement de sa chambre, écoutant le silence profond. Non, en tendant l'oreille, il pouvait entendre une mélodie plaintive jouée à la flûte. Il connaissait cet air. C'était celui que jouait Sojiro dans ses moments de désespoir, et également lorsqu'il avait un moment de libre. De la même façon que le jeune albinos avait été trouvé il y a dix ans, une flûte lui avait été destinée, enveloppée dans une pièce de soie blanche brodée de son prénom, devant l'entrée du dojo, il y a déjà près d'un an. Désormais, son chant triste faisait partie de la sonorité du dojo.
Tout en se dirigeant vers la cour, il se remémora les progrès de son fils adoptif. Il s'était amélioré de façon spectaculaire au sabre et surtout en iaijutsu, commencant à pouvoir tenir tête à la quelques élèves ; il s'entraînait sans relâche, et cela se voyait, bien que le jeune garçon reste svelte. Il faisait aussi de belles estampes et des haiku passables. Oui, Sojiro s'était vraiment amélioré. Et il savait se contrôler. L'influence de Seigneur Lune ne se faisait sentir en rien, et c'était pour le mieux.
Une fois arrivé dans la cour, il fut surpris par la vision qui s'offrait à lui. Eclairé par la pleune lune et les étoiles, assis sur le toit le plus haut, Sojiro était assis en seiza, les yeux fermés, son kimono bleu nuit contrastant avec sa peau et ses cheveux presque lumineux sous la pâle lumière, jouant doucement de la flûte. Il semblait même au Sensei entendre un chant, tout aussi triste, entrecoupé de pleurs, qui flottait dans l'air. Ce chant était impossible à comprendre, on ne pouvait en saisir l'origine ni être sûr de sa réalité, mais on ne pouvait non plus l'occulter. Même la nature se taisait, laissant libre court au duo, faisant ressentir une tristesse infinie, comme l'attestait cet air coutumier du jeune albinos. Il sembla au vieil homme qu'il était dans le Royaume des Esprits, tellement la scène était irréelle... Sensation accentuée lorsqu'apparut l'ubume, simplement assise aux côtés de son fils adoptif.

Le matin suivant, un servant vint trouver Sojiro pour le prier de retrouver son père dans le dojo. Sojiro s'exécuta après s'être lavé et habillé. Il trouva le vieil homme assis en seiza, en train de méditer. Il détourna légèrement la tête lorsque l'albinos entra.
« Te voilà, Sojiro-chan. Prends un bokken. »
Le jeune garçon s'exécuta et se mit en garde, en face de son précepteur. Chacun était en garde iai, attendant que l'autre agisse pour parer le coup adverse. Pour finalement faire glisser le sabre de bois en même temps. Un grand claquement retentit dans le dojo alors que les deux bretteurs forcaient, saisissant leurs manches des deux mains. Sentant qu'il faiblissait, Sojiro fit rapidement un grand pas en arrière, se replaçant en garde ; le Sensei fit de même. Puis l'albinos frappa d'un coup vertical rapide, paré sans difficulté, son sabre écarté d'un mouvement vif, puis il recula à nouveau pour esquiver le coup ascendant en diagonale, avant de tenter une frappe horizontale, parée avec brio, le sabre du vieil homme à la verticale, pointe vers le bas. Encore une fois, ils forcèrent un instant, puis le Sensei parvint à vaincre l'albinos, faisant tourner les armes, et tentant une coupe au niveau des jambes. Sojiro esquiva en sautant, puis para, la main gauche poussant sur le dos de sa lame. Ils se séparèrent, puis tous deux tentèrent un tsuki, leurs lames se croisant, avant que les deux hommes ne se dépassent et se retournent, leurs sabres se frappant à nouveau avec fracas.
« Alors Sojiro... je vois que jouer de la musique la nuit ne t'empêche pas de te débrouiller au sabre ? »
Un nouveau coup. Le jeune garçon était en sueur. Il tenait tête, mais de justesse. Et il avait du mal à maintenir le rythme et se concentrer sur la discussion.
« Vous m'avez entendu ?
-Tout le dojo t'a entendu. Qui était cette ubume ?
-C'était... ma mère.
-Vraiment ? »
Tout à la conversation, il avait raté une parade, et il sentit la pression du bokken sur son sternum.
« Tu as perdu, Sojiro-chan, Apprends à ne pas perdre de vue l'essentiel. Et à ne pas laisser tes émotions te guider. Tu as compris ?
-Oui Sensei. »
Sojiro s'inclina et reposa son arme en bois sur le râtelier. Il lui restait beaucoup à apprendre. Et même s'il progressait, il restait loin de tenir tête à un véritable maître. Un peu abattu, il regagna sa chambre pour prendre un bain. Il appela une servante pour se faire masser son dos et ses épaules toutes endolories...
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Message par Kakita Sojiro » 06 mars 2007, 23:01

Chapitre 1 : La Recontre et le Gempukku

Sojiro sortit du dojo en sueur. Ses combats l'avaient épuisé. Il alla prendre un bain avant le repas du midi. Il faillit s'y assoupir, n'en sortant que lorsqu'une servante était passée lui annoncer que son père l'attendait dans le dojo. L'albinos se leva, quitta son bain et se sécha avant de s'habiller, puis se fit annoncer. Il entra dans le dojo et se prosterna.
« Assieds-toi.J'ai besoin d'un service.
-Que puis-je pour vous, Sensei ?
-Une lointaine nièce du côté de ma femme vient passer deux mois ici. Entre autres pour fêter ton quinzième anniversaire. Et, si tu continues sur cette voie, ton gempukku.
-Mon...
-Ta cousine, donc, se nomme Agasha Sora, membre du Clan du Dragon. Elle a ton âge, et se prépare à devenir une shugenja. A propos, dans un tout autre domaine.
-Oui ?
-Je n'encourage rien. Et elle est fiancée. Mais je tenais à te le dire, puisque tu es bientôt adulte et que j'y pense. Tu sais que de coutume, nous fiançons nos enfants dès le plus jeune âge. Toutefois, ce n'est pas ton cas. Dès lors... si tu penses pouvoir trouver une fiancé, considère que tu as mon accord. Si évidemment c'est une samuraï.
-B... bien Sensei.
-Allez, file, elle devrait bientôt arriver. »
Sojiro se prosterna et sortit dehors. Il resta devant la porte, se protégeant du vent poussiéreux avec son ombrelle favorite. Après quelques instants, il discerna un convoi qui s'approchait. Un palanquin, escorté par des samuraï du clan du Dragon, mais aussi quelques Grues. Le serpent d'acier coloré termina son voyage et le palanquin s'arrêta à côté de lui. Une servante se précipita pour ouvrir le palanquin et laissa sortir une jeune fille de très grande beauté. Grande, mince, de très longs cheveux noirs balayant le sol, des yeux verts, et un kimono aux manches longues qui laissait émerger une longue nuque de cygne et des mains fines, avec une peau de perle. Cette jeune femme était vêtue d'un kimono vert et or d'excellente facture. Et portant un wakisashi au fourreau à dominante verte, finement orné. Kakita Sojiro sentit sa gorge se serrer et s'inclina profondément, exercice délicat avec une ombrelle à la main, mais parvint à le faire sans ridicule. Avec grâce même. Il n'osa fixer plus longtemps sa cousine, de peur d'être ébloui mais aussi pour ne pas lui imposer son regard ardent.
« Agasha Sora-dono, c'est un honneur et un plaisir pour moi de vous rencontrer. Je suis Kakita Sojiro, fils de Kakita Shigeru, votre oncle. Il m'a demandé de vous servir de guide lors de votre séjour, ainsi que... de conseiller si quoique ce soit vous gêne ou vous ennuie. »
La Dragon répondit alors d'une voix douce et mélodieuse. Une voix qui pénétra Sojiro jusqu'aux tréfonds de son âme. Elle s'inclina également, bien que Sojiro n'osa lever les yeux pour le voir.
« Je vous remercie, Sojiro-san. Je ne manquerais de faire appel à vos services si le besoin s'en fait sentir. »
Tous deux se relevèrent. L'albinos fixait, comme à son habitude, les pommettes de son interlocutrice. Et se focalisait dessus, pour éviter de rougir, ce qui aurait été une grande source d'embarras.
« Pour le moment, j'aimerais prendre un bain après ce voyage harrassant. Pouvez-vous m'indiquer mes quartiers ?
-Bien sûr ! Que votre servante nous suive, ainsi que ceux qui portent vos bagages. »
Intimidé, Sojiro n'osa plus parler. Il guida Sora à travers la cour, puis le quartier d'habitation, montrant juste d'un vague signe les chambres en donnant leur résident. Il finit par trouver la chambre, ou plus exactement la petite suite, réservée à l'arrivante. Il en ouvrit la porte.
« Voici vos quartiers. Une salle annexe contient un ofuro. Les repas seront annoncés par des serviteurs qui vous préviendront. Je vous souhaite une bonne matinée, j'ai cours de sabre au dojo même. »
Il s'inclina à nouveau et se dépêcha de faire les quelques mètres qui le séparaient de son cours. Il entra et salua, bon dernier, mais le cours n'avait pas encore commencé. Il saisit un iaito et prit place avec les autres.
« Bien. Aujourd'hui, combats, encore et toujours. Et une nouvelle fois, des duels. J'annonce les groupes. »
Il se retrouva avec Masane. Et le Doji n'avait plus le dessus lors de leurs duels, et de loin, perdant à chaque rencontre. Ils se placèrent donc face à face, en garde shinken. Les duels iaijutsu ne se pratiquaient qu'en soirée, les élèves étant souvent trop fatigués pour faire de longs duels, et aussi parce que lorsque c'était le dernier cours, la concentration, pourtant nécessaire, était très difficile.
Lorsque le cri de départ résonna dans la salle, les deux Grues restèrent circonspects. Chacun se déplaca légèrement, changeant de garde : Masane passant en garde haute, Sojiro adoptant une garde proche de la garde basse à droite, mais le tranchant de son sabre était sur le haut, le tsuba au niveau de la taille. Le Doji poussa un grand cri afin de déstabiliser son adversaire ; peine perdue. Ils s'observèrent quelques instants encore avant que l'aîné ne se lance en avant en hurlant, abattant son sabre. Sojiro, surpris, esquissa un pas en arrière mais le fit trop tard, se faisant ainsi toucher à l'épaule. Masane rengaina sa lame, surpris.
« Neh, Sojiro-san, allez-vous bien ? D'ordinaire, vous m'auriez vaincu sans difficulté...
-Mh ? Oui oui, ne vous en faites pas. »
L'ami de Sojiro s'inclina, et celui-ci fit de même. Le reste de la matinée se passa de la même façon : le garçon, perdu dans ses pensées, ne faisait qu'un piètre adversaire. Perdre tous ses combats était loin de lui être coutumier. C'est pour cela que le vieux maître le prit à part.
« Sojiro-chan, dis-moi, qu'est ce qui ne va pas ?
-Rien...
-Tu es sûr ? Un tel passage à vide ne t'est encore jamais arrivé.
-Il n'y a rien, Sensei.
-Soit. »
Shigeru s'inclina légèrement, et l'albinos lui rendit son salut plus profondément, avant d'aller se laver. Il était en sueur, et l'idée de se rendre au repas, et plus encore voir sa cousine, dans un tel état lui était insupportable.
Une fois lavé, il eut peu de temps pour se préparer avant qu'un serviteur ne vienne le chercher. Prenant juste son éventail, il se dirigea vers la salle commune. Et se rendit compte qu'à côté de sa place habituelle, il y avait Sora. Il s'assit doucement, maladroitement, légèrement rougissant. Durant tout le repas, il garda la tête baissée, ne répondant que par monosyllabes de peur que sa voix ne dévoile son trouble, rougissant à chaque fois que sa voisine lui adressait la parole ou lui demandait de lui passer quelque chose. Ce repas fut une délicieuse torture la sensation d'être à côté d'elle était agréable et le fait de savoir qu'elle ne ressentait rien pour lui était horrible.
Le déjeuner dura plus d'une heure, et fut représentatif du mois qui suivit avant l'anniversaire du jeune garçon : un calvaire délectable, même si après quelques jours, Sojiro reprit de sa superbe et retrouva son niveau habituel. Une chose changea néanmoins, Sora commencant à éprouver de l'attachement envers l'albinos, le même que l'on éprouve envers son animal de compagnie, semblait-il. Cela était plus insupportable que la distance qu'ils avaient auparvant. Bien qu'elle rechercha de plus en plus sa compagnie, parfois simplement pour parler ou pour l'écouter jouer. Et son rire cristallin enchantait à chaque fois le jeune garçon jusqu'au plus profond de son âme.
Et, à la fin du mois, vint le temps du gempukku. Une cérémonie très formelle. Durant tout la matinée, son Sensei jaugerait ses estampes, haikus et même son écriture. Enfin, l'après-midi, Sojiro devait se battre en duel face à son père. L'épreuve qu'il redoutait le plus.
Dès le réveil, après le petit déjeuner, les élèves furent convoqués dans une salle attenante au dojo. Le Sensei accueillit les adolescents d'un air joyeux, leur désigna les tables basses et une estampe accrochée au mur.
« Voyez donc cette ouvre. C'est celle d'un artiste heimin. Sesshu. Admirez pourtant comment il a su capter le mouvement de cet oiseau... Il semble presque sur le point de s'envoler. Il paraît presque vivant. C'est ce point que vous devrez vous attacher à reproduire, l'esprit de Sesshu. »
Un instant de stupeur suivit cette déclaration. Puis ils comprirent que ce n'était pas un simple trait d'esprit, mais bel et bien un exercice. Sojiro, comme les autres, saisit un pinceau et le trempa dans l'encre. Un lavis à l'encre serait sûrement du meilleur effet. Et pendant une heure, sa main tenta de reproduire le modèle, peignant avec un mouvement délicat de l'épaule et non du poignet. Puis le vieux Sensei les pria de se diriger vers une salle annexe. L'épreuve suivante allait commencer pour son fils.
L'épreuve de poésie. Un haiku. Serait également notée la qualité de la calligraphie ; après tout, le clan de la Grue ne visait que l'excellence.
« Bien, jeunes gens. Désormais, vous aurez un quart de koku pour composer un haiku... Un haiku sur l'Honneur. »
Sujet bien difficile s'il en était. L'Honneur, sa finalité, et même juste sa nature, était débattu chaque jour par bien des Rokugani. Visiblement, la pensée allait aussi être évaluée. Sojiro eu bien du mal à trouver les vers suivants :
Qualité première,
Jauge de la réussite.
Espoir dans les Ténèbres.

18 pieds. Un de trop. Mais il ne pouvait faire mieux, le temps imparti étant écoulé.

Après le repas du midi, la plus importante des épreuves pour Sojiro : le duel. Il allait devoir se mesurer au Sensei du dojo. Rien que cela. Il put méditer pendant près d'un koku avant d'entrer dans la salle d'armes. Les autres élèves attendaient, en seiza, et Kakita Shigeru, un iaito à la ceinture, lui tendait un sabre rengainé. L'épreuve serait difficile. Le jeune garcon saisit l'arme, la glissa dans sa propre ceinture, et imita la pose du duel de l'école Kakita qu'avait adoptée son père. Les deux bretteurs se fixèrent dans les yeux et le temps sembla s'allonger. Dans cet dimension, seuls eux deux existaient. Eux et leurs armes. Ils s'efforcaient de maîtriser leurs respirations, de rester parfaitement immobile. Ils voyaient sans regarder, pouvaient discerner leur vis-à-vis dans son ensemble, attentifs au moindre geste, à la moindre indication. Le silence dans le dojo était total, leurs ki balayant les tatami, leurs volontés inébranlables. Seul le plus rapide serait vainqueur... Mais le plus rapide n'était pas nécessairement celui qui bougerait le premier. Tous deux le savaient. Et ils guettaient, attendaient. Finalement, un pied bougea légèrement. Aussitôt, les deux sabres jaillirent. Les élèves présents tressaillirent devant la vitesse de sortie des lames, les serpents d'acier semblant prendre vie dans un éclair bleuté...
Les spectateurs restèrent un moment interdits. Le duel n'avait duré que quelques secondes. Et le résultat était surprenant : un match nul. Chacun avait la lame de son adversaire plaquée contre sa taille. Les duellistes se fixèrent encore un moment, puis, d'un commun accord, ils se reculèrent, rengainèrent leurs armes et s'inclinèrent profondément.
« Félicitations, Sojiro-san. Tu es désormais un adulte. Sois prêt dans un koku. Cela sera le moment de la cérémonie officielle. »
L'albinos resta un moment sans comprendre. Puis la réalité le rattrapa, bien qu'il ne parvienne encore à réaliser le fait qu'il ne soit plus un enfant. Mais bel et bien un adulte, un véritable samuraï. Encore sous le choc, il regagna sa chambre, pour se lever soigneusement et se changer.

Un koku plus tard, ce fut Sora qui vint le chercher.
« Sojiro-san, êtes-vous prêt ?
-Je le suis, Sora-dono. J'arrive. »
Il sortit, resplendissant dans un kimono traînant un peu par terre pour cacher ses pieds, aux manches très larges, d'une couleur de base toute en nuances : en bas bleu-gris, allant jusqu'au bleu nuit autour du obi blanc, puis avec un autre dégradé jusqu'au bleu ciel en haut. La manche droite avait comme dégradé le même bleu-gris jusqu'au bleu ciel, et le haut de la manche gauche était bleu ciel pour passer rapidement au bleu nuit. En bas du kimono, il avait un motif représentant des bambous dont le bas se trouvait dans la brume, et une grue blanche aux yeux rouges sur le côté gauche ; la manche droite reprenait ce motif, et sur la manche gauche, on pouvait voir un Esprit en Pleurs blanc. Sur le dos, il portait le mon du clan de la Grue, reprit en plus petit et noir et blanc sur les deux côtés de sa poitrine ; sur ses manches, il portait un petit mon noir et blanc représentant la fameuse grue entourant un katana d'une aile. Il suivit la jeune femme jusqu'à la salle principale, et elle lui ouvrit la porte.
Sojiro se prosterna immédiatement. Devant lui, faisant une haie d'honneur, tous les étudiants qu'il avait cotoyé ces douze dernières années. Et au fond, sur une estrade, sa famille, et le daimyo Kakita en personne. Celui-ci parla d'une voix apaisante.
« Asseyez-vous donc, Sojiro-san. Et approchez-vous. »
Restant à genoux, le jeune adulte s'avanca jusqu'à être à deux mètres seulement de son suzerain, et il se prosterna derechef. A côté de Kakita Kaiten, un présentoir avec un wakisashi et un katana ; ce dernier était bien plus courbé que la normale. Tous deux étaient dans des fourreaux d'acier laqué de toute beauté, des oeuvres d'arts à elles seules.
« Sojiro-san, vous avez passez avec succès votre gempukku. C'est pourquoi j'ai l'honneur de vous remettre votre daisho. »
L'un après l'autre, les deux sabres furent donnés à l'albinos, qui s'inclina à chaque fois profondément, avec respect, devant chaque arme. Puis le daimyo Kakita décréta que l'heure du repas était venue.

Ce repas fut copieux et festif. Sojiro était traité comme un invité, jamais son assiette ne manqua de nourriture, ni sa coupe de saké. Des célébrations furent portée, à lui mais aussi aux Ancêtres, aux Kami et à Shinsei. A la fin du repas, il put rester avec les autres adultes et boire jusqu'à plus soif. Finalement, alors que la nuit allait tirer à sa fin, il se leva, légèrement titubant. Ramassant ses présents, il s'inclina profondément devant chaque présent, avant de se diriger vers sa chambre. Sâoul, il ne fit pas tout de suite attention aux détails. Mais la lueur qui baignait les panneaux de sa chambre le dégrisèrent instantanément. Passant ses armes dans sa ceinture, il ouvrit le panneau en grand...
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Message par Kakita Sojiro » 08 mars 2007, 17:54

Chapitre 2 : les Trois Péchés

Sojiro ouvrit la porte en grand, brutalement, poussant le tsuba d'un geste sec du pouce avec un léger cliquetis, posant le dos de la main droite presqu'immédiatement sur la garde lacée de soie. Puis, voyant qui l'attendait, il rentra sa lame, en repoussant l'extrémité de la garde de la main.
« Sora-dono ? Que faites-vous ici ? »
Sora l'attendait, assise sur le matelas déplié, simplement en yukata de soie écrue. Ses longs cheveux formaient comme une corolle d'un noir de jais soyeuse, et ses yeux verts étincellaient doucement dans la lueur diffuse. Pendant qu'elle réfléchissait à sa réponse, Sojiro posa ses armes avec respect sur son râtelier et s'agenouilla à côté de sa cousine.
« Je voulais... euh... vous féliciter pour votre gempukku.
-Vous auriez pu le faire avant le repas, ou même pendant ?
-Si, mais... j'avais envie de plus.
-Oui ? »
Elle rougit joliment avant de répondre.
« J'ai bien peur d'être tombée... amoureuse de vous. »
Sojiro ouvrit de grand yeux, restant bouche bée. C'était pour le moins inattendu. Son coeur se mis à battre plus fort et plus vite, l'albinos le sentant cogner dans sa poitrine et ses tempes.
« N'est-ce pas votre cas, Sojiro-san ?
-Si... Depuis... depuis que je vous ai vue descendre de votre... palanquin... »
Le jeune adulte avait la bouche sèche, la gorge nouée, la respiration accélérée. C'était trop beau pour être vrai. C'était un rêve, ou un piège. Mais ca ne pouvait pas être la réalité... Un voyage dans le Jingoku, peut-être. Mais le contact des lèvres de la jeune femme sur les siennes balaya tout calcul et les fit basculer dans une fin de nuit uniquement consacrée à leur plaisir...

Sojiro était blotti contre son amante, comme un petit garcon. Il lui caressait doucement le flanc, un bras passé sous la taille de Sora, qui le serrait doucement contre elle, sa longue chevelure noire les couvrant comme un châle exhalant une délicate odeur de jasmin. La morsure qu'elle lui avait faite sur l'épaule gauche, pour éviter de crier de plaisir à la fin de leur étreinte, commencait à coaguler ; mais il resterait certainement une cicatrice.
Tous les deux avaient conscience que désormais, leur vie avait basculé dans le secret et le mensonge. Et que ce n'était qu'une utopie, Sora allant sûrement se marier d'ici quelques années, et donc ne pourrait par la suite coucher avec son cousin. Mais pour le moment, nul n'en avait cure. Ils comptaient profiter de l'instant présent, et aussi du mois que Sora allait encore passer au dojo. Sojiro parla d'une voix un peu endormie par le plaisir :
« Sora-chan...
-Qu'y a-t-il, Soji-chan ?
-Te voir, tout à l'heure, te lever depuis ma chambre pourrait... soulever des questions, non ?
-En effet, hélas... Mais je suis trop bien ici, je n'ai pas envie de me lever. C'était ta première fois ? »
Sojiro hocha simplement la tête.
« Et toi ?
-Aussi... j'espère que mon fiancé ne se rendra pas compte que je ne suis plus vierge.
-Ne t'en fais pas... »
Elle se leva et remit son yukata.
« Je vais retourner dans ma chambre.
-Nous nous reverrons le soir ?
-Sûrement... si les circonstances s'y prêtent. »
Il acquiesça pendant qu'elle se penchait, pour l'embrasser amoureusement. Ils se séparèrent avec difficulté, puis Sora sortit doucement de la chambre. Sojiro se laissa retomber sur le dos, aux anges. Le jeune femme était amoureuse de lui... Et la nuit qu'ils avaient passé le convainquit que cet amour était fort. Complètement épuisé, il s'endormit après avoir placé un bout de tissu autour de son épaule blessée...

Ce furent de légers coups contre sa porte qui le réveillèrent. Il se redressa, assurant sa couverture pour masquer le mieux possible sa nudité, remettant aussi son yukata sur ses épaules.
« Qu'y a-t-il ?
-C'est Ruri, Sojiro-sama. Désirez-vous prendre votre bain ? »
C'est vrai que d'habitude, il se lavait tous les matins. Au vu de la luminosité, on s'approchait de l'heure d'Akodo. Il remit son yukata et se leva, tâchant de replacer la couverture pour cacher les traces de sang. Tant celle de son épaule que celle qui résultait de la perte de virginité de Sora.
« Oui, entrez donc Ruri-kun. »
La servante entra. Elle était jolie sans être vraiment belle, mais connaissait bien Sojiro ; c'était, en quelque sorte, sa servante attitrée depuis quelques années. Elle avait ramené de l'eau chaude, qu'elle alla vider dans l'ofuro qui se trouvait dans une petite pièce attenante à la chambre de l'albinos. Sojiro la suivit pour se dévêtir et se glisser dans l'eau, ôtant la pièce d'étoffe rougie par le sang, qui laissa apparaître la morsure, maintenant coagulée.
« Sojiro-sama, que s'est-il passé ?
-Rien. Rien du tout. Si vous vouliez bien me laver le dos, en revanche, ca serait fort aimable à vous. »
La servante écarta les cheveux de neige et s'exécuta. Sojiro, lui, caressait distraitement sa blessure. Cette nuit avait été un rêve... Puisse toutes les nuits durant un mois être de même.

Ce mois était passé comme dans un rêve. Ses entraînements étaient bien moins fréquents, comme si le vieux Sensei le laissait s'accoutumer à son nouveau statut, et chaque nuit était passé avec Sora. Mais à chaque fois, l'un d'entre eux rejoignait sa chambre avant l'aube. Et lorsque Sora était partie, Sojiro s'était senti comme dévasté. Comme si on lui avait arraché une partie de lui-même, son envie de vivre. Il se doutait qu'il ne la reverrait pas avant un long moment, à moins de créer une occasion, et quand bien même il la reverrait, elle serait sûrement mariée. Dès lors, il se lança à corps perdu dans son entraînement. Il était déjà bon sabreur, il devint exceptionnel. Ce manque lui donnait une colère sourde et une soif de vaincre qui coulaient telles un torrent sombre sous sa peau ; mais il savait contrôler ce torrent. Masane avait été appelé comme Légionnaire Impérial, et devint rapidement Capitaine. Seul le Championnat de Topaze, auquel Sojiro finit second, put égayer pâlement ces instants. Ce fut Akodo Suke, avec qui Sojiro devint ami, qui l'avait coiffé sur le poteau pour devenir Champion de Topaze,
Finalement, quelques semaines après que Sojiro se retrouva bien seul, dans ce grand complexe qu'il connaissait par coeur, dont même le jardin ne parvenait plus à l'égayer tant le souvenir de ses balades avec Sora lui était inssuportable, et que ses mélodies tirées de sa flûte ne le satisfassent plus, obnubilé qu'il était par la joie de son amante quand elle l'entendait jouer, après quelques semaines donc, au début du mois du Coq, un messager lui apporta un message : le Chapion d'Emeraude, Doji Satsume, voulait le voir.
Le voyage jusqu'à Otosan Uchi ne prit que quelques jours. Bien qu'il sache que cela soit irraisonné, Sojiro espérait à chaque auberge voir Sora. Même dans les rues de la capitale, il recherchait sa longue chevelure de jais et sa peau couleur de perle. Néanmoins, ses espoirs furent vains, et il arriva au Palais un peu abattu.
A la vue de sa lettre, on l'introduisit dans une pièce pour qu'il puisse patienter en paix, après qu'il eut déposé son katana. Pendant plusieurs minutes, il joua avec son éventail, sa flûte ou son ombrelle, qui étaient glissés dans son obi ou placé à côté de lui. Il lissait aussi nerveusement son kimono, qui reprenait les couleurs et la coupe de celui qu'il avait passé pour son gempukku. Il le lissa une dernière fois lorsqu'on l'introduisit evant le Champion d'Emeraude. Sojiro se prosterna, attendant patiemment que le Champion du Clan de la Grue lui dise de s'asseoir.
Doji Satsume était un homme grand et musclé. Des cheveux rassemblés en un chignon sévère encadraient un visage rude, taillé à la serpe, traversé par une profonde cicatrice. Lorsqu'il reprit la parole, sa voix était aussi grave que son attitude.
« Kakita-san, je vous remercie d'être venu aussi vite. Je vous ai appelé car j'ai besoin d'un Magistrat d'Emeraude qui sache manier le sabre. Et votre talent est déjà réputé dans votre famille malgré votre jeune âge. »
Le Doji poussa un petit coffret devant l'albinos.
« Voici les attributs de votre fonction. Faites-en bon usage. Vous êtes nommé à la ville de Heibeisu. Une ville commerciale tenue par... Agasha Eikichii. Que les Fortunes vous accompagnent. »
Sojiro s'inclina à nouveau et sortit en serrant contre lui le coffret. Ce gokenin lui était connu : c'était le propre père de Sora. Benten était décidément avec lui. Il se concentra ensuite sur ce que contenait la petite boîte : un parchemin contenant son nom et sa fonction, et un autre qui lui servirait d'introduction auprès du seigneur Agasha. Il les rangea tous les deux en un endroit sûr, et saisit ensuite le médaillon d'émeraude, symbole de sa fonction, qu'il glissa autour de son cou, le passant sous ses vêtements. Ainsi, il pourrait voyager plus ou moins incognito durant les deux semaines que dureraient son voyage. Voyage qui fut sans complications, les gardes des frontières, tant Lions que Dragons, le laissant passer sans difficulté lorsqu'il montrait discrètement son pendentif. Il ne sortit d'ailleurs ce pendentif qu'une fois Heibeisu en vue.
Il entra dans le village sans difficulté. Les gardes le saluèrent poliment, et il arpenta les rues afin de commencer à repérer quelques endroits qui pourraient lui être utiles plus tard. Il réservait sa visite au château du gokenin pour un peu plus tard dans l'après-midi. Alors qu'il déambulait sans but précis dans le marché, se protégeant du soleil avec son ombrelle, il entendit une voix l'appeler. Une voix qu'il n'aurait jamais pensé entendre de nouveau il y a seulement quinze jours de cela.
« Sojiro-san ? Que faites-vous là ? »
Il se retourna pour faire face à Sora, toujours aussi belle, son visage laissant apparaître à la fois surprise et incrédulité. L'albinos sourit, heureux de la revoir.
« Le Champion d'Emeraude m'a nommé Magistrat du même adjectif, Sora-dono. Et il m'a demandé de me rendre ici. »
Il n'avait qu'une envie : la serrer dans ses bras et l'embrasser follement. Mais en pleine rue, cela serait hautement préjudiciable.
« Je comptais d'ailleurs aller voir votre père pour me présenter.
-Cela tombe bien, j'allais justement rentrer au château. Ca sera un honneur de vous accompagner.
-Honneur partagé, Sora-dono. »
Devoir faire semblant d'avoir une distance émotionnelle était terriblement difficile. Néanmoins, ils s'y efforcèrent durant leur cheminement. Sojiro put respirer plus tranquillement, la jeune femme n'étant point encore mariée. Ce fut un peu triste, malgré ces retrouvailles, que Sojiro fut introduit devant Agasha Eikichii, en se prosternant. L'homme qui lui faisait face était grand, le crâne rasé, vêtu d'un kimono assez simple ; seuls attributs notables, une sacoche à parchemins, un wakizashi et des tatouages de grande qualité ; ce Dragon pur et dur s'inclina en réponse.
« Agasha-sama, je me nomme Kakita Sojiro. Le Champion d'Emeraude m'a nommé ici afin de vous venir en aide, si mes compétences peuvent vous être utile.
-Je n'en doute pas, Kakita-san. Selon ma fille, vous êtes un grand sabreur. Nous verrons donc si c'est justifié. Bien qu'il n'y ait guère de troubles que la milice ne puisse réprimer pour le moment, les violences de bandits et de rônins sont de plus en plus présentes. Quand vous vous serez familiarisé avec Heibeisu, n'hésitez pas à aller voir. Mais cela n'a rien de pressé.
-Je m'en occuperais dès que possible, Agasha-sama.
-C'est fort aimable à vous. Sora vous montrera vos appartements. Je vous prie de m'excuser, j'ai encore quelques affaires à régler.
-Je vous en prie. »
Nouvelles courbettes, et Sojiro fut conduit à travers les couloirs jusqu'à une chambre, assez grande, avec un balcon qui donnait sur le jardin. Dans cette chambre se trouvait un matelas, un petit autel, un ratelier de très belle facture et une armoire pour y ranger les vêtements. Adjacente à cette chambre, il y avait une petite pièce contenant un ofuro de bois, déjà rempli.
« Soji-chan, veux-tu que je t'aide à te laver le dos ? »
Il pesa le pour et le contre. Finalement, il accepta, se dénudant avant de se glisser dans l'eau délicieusement chaude. Sora ôta son kimono pour ne rester qu'en yukata, attachant ses manches puis ses cheveux avec deux lacets de soie, et laissa courir quelques instants ses doigts fins sur la cicatrice qui marquait désormais la peau d'albâtre comme une marque au fer rouge. Elle s'inclina ensuite pour embrasser doucement son amant.
« Ca fait trop longtemps, Soji-chan.... Je ne croyais pas qu'une personne pouvait manquer autant.
-Et moi donc... J'espère rester longtemps ici. La vie était tellement terne et fade sans toi... »
Sora eut un rire cristallin et commença à laver le dos de l'albinos. Ses gestes se transformèrent peu à peu en massages, puis en caresses, puis parcourent le corps entier de son amant. Elle sentit son envie, et lui chuchotta à l'oreille :
« Cchhht... Attendons plutôt ce soir... Nous serons sûrement plus tranquilles. »
Sojiro acquiesça, s'efforçant de se contrôler, et y parvenant même. Le corps de son amante lui avait manqué. Le seul corps de femme qu'il connaissait, et qu'il voulait connaître.
Une fois le bain fini, les deux jeunes gens allèrent faire une petit marche dans les jardins pour attendre l'heure du repas. Même Magistrat d'Emeraude, Sojiro sentait qu'il ne restait, au fond de lui, qu'un petit garçon amoureux d'une personne qui lui était interdite...

Quelques jours plus tard, Sojiro s'était permis une journée de repos, une journée de promenade dans les montagnes avec Sora, car les enquêtes sur les groupes de rônins piétinaient. Dès lors, il avait accepté avec joie de visiter une curiosité : un volcan en vague activité, avec un chemin descendant en spirale dans son cratère. On y accédait par une suite de petites salles. Les deux amants y entrèrent main dans la main lorsqu'un cri de rage indignée retentit.
« On me l'avait dit, mais je n'osais y croire ! Ma fiancée, dans les bras d'un Grue ! De celui que je croyais être un ami ! »
Tous deux se retournèrent pour voir un Lion, un Akodo, en armure rutilante, les yeux brûlants de haine et de colère, ses cheveux ébouriffés teints en or semblant l'extension de sa colère. Sora hoqueta :
« Suke ! »
Avec un grand cri, Akodo Suke dégaina et fondit sur le couple. Sojiro eut à peine le temps d'écarter son amante avant de parer d'un battô l'assaut destiné à lui fracasser le crâne. Puis il dut céder sans cesse du terrain devant l'ardeur de l'homme aux cheveux d'or. Réduit à la défensive, une position des plus inconfortables quand on n'y est pas habitué, le Grue ne devait qu'à son talent et ses réflexes le fait d'être toujours en vie. Suke attaquait sans relâche, jetant toute prudence aux orties, ne voulant que vaincre son adversaire, infatigable. Si Sojiro parvenait à trouver le temps de lancer son sabre, le nombre d'ouvertures laissées béantes lui assurerait la victoire. Mais le tempo de son ami lui empêchait toute manoeuvre.
« Suke, Sojiro, arrêtez ! »
Sora était à genoux, en larmes. Quelque soit l'issue, l'un des deux mourrait. Et la perte d'un être cher, que ce soit son amant ou un fiancé qu'elle avait apprit à apprécier, était une idée insupportable. Sojiro enchaînait les parades et les esquives, les manoeuvres folles, passant dans la salle suivante, parvenant peu à peu à rétablir l'égalité, sans pour autant réussir à prendre l'initiative, la soif de vengeance de l'Akodo parvenant à tenir en échec la calme logique du Kakita.
« Arrêtez ! Je vous en supplie... »
Peine perdue, les deux hommes n'entendant plus rien, tout à leur combat époustouflant. Chaque coup était paré ou esquivé ou paré avec brio, et aussitôt suivi de deux ou trois autres, les deux combattants sautant, tournoyant ou se baissant avec vivacité, leurs attaques se croisant, en une répétition de leur dernier duel durant le Championnat de Topaze, bien que cette fois, le perdant ne récolterait que la mort. Ils traversaient les cavernes, sans faire attention aux légères secousses, Sora les suivant vers le cratère du volcan malgré ces signes qu'elle connaissait bien... annonciateurs d'une éruption.
Rapidement, Sojiro et Suke parvinrent au petit chemin caillouteux qui descendait jusqu'à la masse de liquide bouillonnant. Malgré quelques dérapages, ils continuèrent leur duel, coincés entre le roc et le vide, la lueur ambiante semblant enflammer leurs cheveux et leurs peaux. Les deux hommes ne pouvaient intervertir leurs positions, le Lion attaquant et la Grue descendant. Sora, elle, s'était arrêtée en haut, les regardant, ne cessant de les implorer. Le combat, par ailleurs, commencait à pencher du côté de Suke : Sojiro semblait bien moins endurant que le Akodo, qui continuait de marteler infatigablement. D'un fauchage de la jambe, il propulsa contre la paroi un Kakita aux réflexes émoussés par la fatigue, son sabre hors de portée.
« Meurs, traître au Bushido ! »
Cette fois-ci, rien ne pourrait sauver Sojiro. Mais même défait, il restait un membre du clan de la Grue. Il fixa son regard ardent dans celui de Suke, qui levait son sabre dans un balancement curieusement ralenti. Dans une série d'apparitions brèves et brutales, toute la vie du jeune Kakita défila devant ses yeux. Et il prit brutalement conscience de sa bêtise. Il ne faisait nul doute de l'acte que devrait commettre sa bien-aimée pour explier leur liaison. Pour la protéger, il aurait dû vaincre, même contre son ami. Désormais, il était trop tard. Le sabre d'Akodo Suke atteignit le sommet de sa courbe, projettant les éclats de lumière flamboyante qu'il captait aux alentours. Sojiro ferma alors les yeux, résigné. Il avait perdu, et pour ses actes guidés par l'amour et non par l'honneur, il n'aurait même pas la possibilité de faire seppuku. Pourvu que Sora puisse le faire.
Un frottement bref, et le cri de Sora, le poussa à ouvrir ses yeux. Suke avait glissé. Et avait chuté en arrière, dans le vide. Vers les flammes. Vers sa mort. Sojiro rampa jusqu'au bord pour le voir happé par la lave. Il se releva et récupéra son arme, avant de remonter, éreinté par ce duel. Il retrouva Sora en larmes, et s'agenouilla à ses côtés, sans rien dire, le ventre dévasté par la peur....
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Message par Kakita Sojiro » 12 août 2007, 11:31

Chapitre 3 : Mortel éloignement

Le retour fut bien morne pour les deux amants. Ils n'osaient se toucher, marchant même des deux côtés du chemin ; s'ils l'avaient pu, ils auraient même marché plus loin encore. Les deux avaient à la fois peur et honte, honte de leur amour et de ce que cela avait engendré, peur des réactions si par mégarde quelqu'un l'apprenait ; pire encore, si c'était un membre du Scorpion, nul doute que la dette à payer pour qu'il ne dise rien serait bien lourde et durerait leur vie entière...
Une fois revenus au château, chacun disparut aussitôt dans sa chambre. Il plaça son katana sur le râtelier et, presque aussitôt, s'agenouilla devant l'autel et se mit à prier. Il pria non pour lui mais pour l'âme de Suke, celui qui aurait dû vaincre et vivre. Sojiro pria aussi pour le salut de Sora, qu'elle ne paye pas le prix de son acte.
C'est dans cette position qu'une servante le trouva.
« Kakita-sama, le repas va être servi.
-Présentez mes excuses à Eikichii-sama, mais je serais présent.
-Vous ne vous sentez pas bien ?
-En effet. Mais ne faites venir le médecin, cela passera. »
Elle s'inclina et se retira sans en dire davantage. Elle avait réussi à contenir son dégoût, et nul doute que chez les heimin, cela jaserait sur ce samuraï qui voulait rester seul un soir de... oui, de pleine lune. Eh bien, autant en profiter, n'est-ce pas ?
Le jeune albinos garda son wakisashi à la ceinture et sortit s'agenouiller sur le balcon. Sous la pâle lumière, le fruste jardin était malgré tout superbe, et au-delà des murs se dessinaient les montagnes lointaines. Il retira de sa ceinture un petit étui en tissu vert, le posa devant lui et s'inclina. Puis il en extraya sa flûte, qu'il porta à ses lèvres. La musique plaintive qui retentit doucement dans la nuit faisait écho à sa peine profonde...

Le lendemain, un messager à cheval aux couleurs de son clan arrivait. Son père se mourrait, et avait demandé à ce que son fils soit présent. Le Champion d'Emeraude avait accepté cette requête, et un nouveau Magistrat arriverait dans peu de temps. Agasha Eikichii donna son agrément, et Sojiro repartit pour les terres de son clan. Les adieux avec Sora furent glacés et formels.

Glacée aussi était la peau du vieux Sensei lorsque Sojiro arriva enfin chez lui. Le jeune garçon resta longtemps à le regarder, vêtu de son dernier kimono, blanc comme les cheveux de son fils adoptif, le côté droit au-dessus du gauche. Sa mère adoptive le laissa seul un long moment, lui permettant de se laisser tomber, effondré, en larmes. Cette fois-ci, il était bel et bien orphelin, et sans personne vers qui se tourner. Il ne savait pas à qui le Sensei devait allégeance, et donc qui aller voir. Le dojo irait à un autre vassal du daimyo, et il n'y avait jamais eu aucun élève avec qui il s'était bien entendu. Aucun, hormis Doji Masane. C'était là une piste où chercher. Sojiro ressortit de la chambre mortuaire, trouva un papier, de l'encre et un pinceau, et commença à écrire...


L'hiver était juste passé. A Otosan Uchi, le temps était adouci par la mer non loin. Mais de toute façon, dans les baraquements des Légions d'Emeraude, la proximité tenait chaud. Même quand, par piston, on avait obtenu un grade d'officier, comme Sojiro. Sous les ordres de son vieil ami, il commandait lui-même une centaine d'hommes. Bien que l'armure verte lui rappelait trop les couleurs des Dragons, c'était un de ses seuls refuges. Il cherchait un échappatoire rapide avant que son secret ne soit éventé, et à dire vrai, cela ne saurait tarder. C'est pourquoi il se porta volontaire lorsqu'un régiment dut aller stopper une des sempiternelles querelles entre Lion et Licorne, au sujet d'un petit village nommé Jiikazu.
Deux semaines de marche pour y arriver. Une autre pour parvenir à faire venir les deux chefs en présence dans sa tente. Sur une largeur, Shinjo Malik, un chef de guerre Licorne mal vêtu, mal rasé, armé d'un cimeterre grossier en plus de son daisho, de cuir et de fourrures. De l'autre côté, aussi éloigné que la longueur de la table le permettait, Matsu Tomoe, jeune femme flamboyante, à la crinière dorée et au naginata aiguisé. Sojiro, engoncé dans son armure émeraude, était entre les deux, une carte de la région devant lui, sur la table.
« Bien. Expliquez-moi ce qu'il s'est passé ici, et pourquoi vous êtes là. »
Le jeune Kakita regretta aussitôt sa question. Les deux commencèrent à s'invectiver copieusement. Il n'était clairement pas de taille pour cette histoire. Ce qu'il savait, c'est que s'il favorisait le clan de la Licorne, le Lion en tirerait avantage pour accentuer sa pression sur la Grue ; mais s'il laissait ces terres aux Lions, ce serait la Licorne qui risquerait de briser toute relation amicale avec les enfants de Doji. Restait la solution du bon sens.
« ARRETEZ ! »
Les deux se turent et le regardèrent, l'air venimeux.
« Je vais opter pour une solution simple. Vos griefs, Mastu-sama, sont éternellements les mêmes. Identiques à ceux du Crabe. »
Ca, c'était son père qui le lui avait appris.
« Donc, ces terres appartenant avant au clan de la Licorne, elles le resteront. Si vous avez un problèmes avec votre... approvisionnement, Matsu-sama, voyez ceci avec vos heimins. »
La jeune femme commença à s'empourprer.
« Qui êtes-vous donc, jeune insolent, pour... »
Sojiro commencait aussi à sentir la moutarde lui monter au nez. Mais il parvint à garder à peu près son calme.
-Je suis non seulements Lieutenant des Légions d'Emeraude, mais également Magistrat d'Emeraude. Etant donné que ma mission ici est de faire cesser ce conflit, je prendrais toutes les mesures nécessaires pour que cela soit. Y compris réquisitionner les troupes de Shinjo Maliku pour appuyer les miennes. Vous avez bien compris ? »
Elle acquiesca.
« Je ne suis pas sûre que cela soit... parfaitement régulier, Kakita-san.
-Le clan de la Grue s'arrangera alors pour que cela le soit.
-J'avais oublié que vous n'étiez que des pleutres se cachant à la cour impériale.
-Veuillez présenter vos excuses sur le champ, Matsu Tomoe-sama.
-Non.
-Très bien. Je vais donc demander à ce qu'on m'accorde le droit de vous défier afin de réparer l'insulte faite à mon clan.
-Ha ! Vous n'osez faire un duel immédiatement, juste en-dehors de la tente ?
-Comme vous l'avez dit, cela ne serait pas parfaitement régulier, Matsu-sama. Et je doute que les autres clans apprécient que tous les Grue puissent lancer des défis à tout va, sans compter que cela irait à l'encontre de nos traditions, si vigoureusement défendues par nos ancêtres. »
Il avait réussi à la ferrer. Doji Masane lui avait appris quelques phrases-type à dire en cas de conflit, et Sojiro était parvenu à en mémoriser quelques unes. Celle-ci en faisait partie.
Quelques instants plus tard, les deux généraux sortirent de sa tente. La situation était sûrement loin d'être désamorcée, mais il y avait désormais un précédent pour ce village. Pas pour ceux d'à côté, mais cela viendrait sûrement.

Trois semaines plus tard, il était de retour à Otosan Uchi. Passage obligé car il avait recu convocation d'un certain Kakita Inigin. Celui-ci demandait à le voir, et Sojiro ne voulait se rendre à cette entrevue dans cette armure pleine de sueur, de boue et de terre. Il se lava donc soigneusement, remit un de ses beaux kimonos de soie, et se dirigea vers le château de cet homme, qui disait être le fils d'un ami du Sensei...
Âme damnée d'Inigin
Maître de Shiro sano Kakita
Président de la L.V.A.D.

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