Je pense n'avoir jamais soumis ce texte à vos yeux, je l'ai retrouvé en faisant du rangement et en préparation du recueil, qui a du retard, je le sais.
C'est un backgrond que j'avais écrit sur une demande bien précise. Elle brosse l'introduction d'un rônin ayant appartenu au clan de la Grue et qui a endossé les crimes de son jeune frère pour lui évter la mort.
Je vous laisse en lecture le background de celui qui fut Kakita Mitsurugi
- Masahaki sama, cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé !
- Est-il mort ?
- Bien sûr que non !
- Alors laisses-le ! Parfois un homme a besoin de se trouver seul, seul face à lui-même.
- Hai.
A contre coeur Yoshitoyo se retira. Cela faisait trois jours et trois nuits que Mitsurugi san n'avait pas quitté le petit sanctuaire. Il était resté immobile sans être prostré. Yoshitoyo n'avait pas pu laisser l'homme seul, il lui avait apporté des plateaux avec un minimum de nourriture et d'eau mais chaque lendemain, il avait trouvé le plateau intact et il n'avait pas osé briser le silence par respect pour le samouraï. Mais du haut de ses 12 ans, cet homme l'intriguait. Le supérieur du monastère Masahaki lui avait permis de rester quelques temps. Les premiers jours il avait participé aux travaux quotidiens puis il avait requis la solitude et le recueillement, il s'était purifié dans la rivière puis s'était rendu au sanctuaire et depuis il n'avait ni bu, ni dormi, ni mangé il avait prié et n'avait rompu son immobilité que pour faire brûler de l'encens et allumer une bougie, le soir venu.
Le jeune garçon était impressionné par tant de discipline mais une chose le tracassait encore plus : la lame posée devant le samouraï, il l'avait elle aussi purifiée et elle reposait sur un lit de soie bleue, étincelante de beauté, les kanji incrustés dans son acier renvoyaient la moindre lumière qui les touchaient. Yoshitoyo les avait vu le premier jour alors qu'il s'était approché assez près en déposant le plateau, il n'avait pu s'empêcher de les lire « Hitotsu na Tamashii », une âme, une fleur, une voie. Il n'avait jamais rien vu d'aussi beau. Que faisait cet homme qui n'était pas moine à prier ainsi depuis tout ce temps, que pouvait-il bien dire à Shinsei et pourquoi son katana était-il posé avec tant de respect devant lui ?
Un fois encore le soir tomba et Yoshitoyo quitta les cuisines, un plateau à la main. Arrivé au sanctuaire, il le trouva vide. En toute hâte, il posa le plateau et se pressa pour aller avertir Masahaki sama quand au détour d'un couloir, il se heurta violement à un homme. Le choc le fit vaciller tant son empressement et son trouble avaient été grands en comparaison de sa faculté à ouvrir les yeux. Avant qu'il ne touche le sol, une main ferme le rattrapa de justesse et le remis sur pied. Lorsqu'il leva les yeux, Mitsurugi san se tenait devant lui. La surprise lui fit ouvrir la bouche comme une carpe. Le samouraï se pencha vers lui
- Eh bien, on dirait que tu viens de voir un fantôme.
Yoshitoyo se sentait idiot mais n'arrivait pas à articuler le moindre mot pour débuter une phrase.
- Vas-tu bien ?
Sans doute cette simple question remit-elle en place ses idées, il réussit à articuler
- Hai samouraï sama.
- Je me nomme Mitsurugi et toi ?
- Yoshitoyo.
- Eh bien Yoshitoyo où courais-tu comme cela ?
Le jeune garçon resta un peu embarrassé devant la question.
- Je ... enfin ...
Une deuxième fois, il s'y reprit
- je revenais du sanctuaire et ...
La phrase restait en suspens et Mitsurugi le regarda intrigué :
- Et ?
- Eh bien comme je ne vous y ai pas trouvé, j'ai pensé que vous étiez parti et ...
Une nouvelle fois la phrase resta en suspens
- Et bien tu vois que non.
Yoshitoyo resta consterné devant tant de pragmatisme, il ne sût que bafouiller :
- Oui je vois...
- N'est-il pas temps d'aller dormir ?
- Si.
- Et bien bonne nuit Yoshitoyo
- Bonne nuit Mitsurugi sama.
Yoshitoyo tourna les talons mais avant qu'il ait à nouveau atteint le coin, le samouraï s'adressa à lui
- Merci de ta sollicitude, ce soir et tous les autres.
Il sourit et se retourna pour répondre au samouraï mais il lui avait déjà tourné le dos et s'en allait, il le salua silencieusement puis retourna au sanctuaire récupérer le plateau.
La lune était pleine et n'était troublée que par les nuages, Mitsurugi était assis à même le sol, le shoji ouvert il regardait la nuit et le monde sous son manteau. Elle couvrait bien des choses mais pas le parfum des fleurs de cerisiers ni le trouble qui était en son coeur.
Il inspira profondément, ces jours de jeûne et de prière lui avait apporté une quiétude mais pas les réponses sur ce qu'il allait faire maintenant. Pourtant sans cesse, il repensait à l'enseignement de ses sensei et il était certain que la voie du sabre était la sienne mais sur cet étrange chemin maintenant qu'allait-il devenir ? « Hitotsu na Tamishii » était houssée, il se leva et la prit puis se rasseya. Une fois encore il la sortit de son fourreau et se laissa aller à l'admirer, elle captait la moindre lumière et avec Amaterasu qui avait étendu sur la rivière ses rayons, se reflétant dans son visage lorsqu'il s'était baigné, s'étaient là les seuls signes de chaleur qui l'avaient réconfortés cette dernière semaine. Il revit son père lui offrir cette lame à son gempukku et doucement il laissa les souvenirs monter en lui, les moments de joie, ceux de peine, les déchirements, les choix, les satisfactions, tout cela le ballotta pendant de longues minutes dans un courant, celui de sa vie.
La voix d'Oseki sensei résonna en lui « Si un homme n'est pas fait pour le chemin, il n'est pas fait pour la voie ».
Etrange petite phrase qu'il avait eu du mal à saisir des années auparavant mais maintenant, elle lui revenait en tête et se mêlait aux larmes de son frère, à sa panique lorsqu'il lui avait annoncé son geste fou. Il se revoyait, il n'avait pas cillé, ni pâli, ni prononcé un mot, il s'était levé et devant le visage détruit d'Anawake, il lui avait souri de la manière la plus réconfortante possible et il lui avait ébouriffé les cheveux comme leur mère le faisait lorsqu'ils étaient enfants, heureux et insouciants, riant aux éclats.
Alors enfin les larmes coulèrent, roulant sur la peau pâle de ses fines joues, les larmes retenues lorsqu'il avait quitté Shiro no Kakita, lorsqu'il s'était séparé de son frère. Il l'avait remis debout à sa place d'homme et pour la première fois la plus forte des émotions avait déferlé entre eux, pour la première fois ils s'étaient compris, sans un mot, juste par un regard et Anawaké plaqué contre lui. Il l'avait serré fort et n'avait pas dit un mot, ils étaient inutiles. Ils étaient restés ainsi sans notion du temps puis le moment de la séparation était venu. Il avait houssé son katana, l'avait placé sur son dos et l'après-midi même il avait quitté le Kyûden sans se retourner, le cadeau de Kakita Yoshi dans la ceinture.
Il remit sa lame en place et s'allongea sur sa couche, les yeux grands ouverts. Il resta un long moment comme cela, tout doucement chaque chose prit sa place et la paix vient en son coeur, son frère allait lui manquer, il espérait que leurs ancêtres l'aideraient. C'est comme cela qu'il s'endormit, inquiet pour Anawake mais pas pour lui-même.
Mais la nuit ne fût pas calme, une fois encore les démons surgirent et l'emmenèrent agité face contre terre à revivre ses aveux. Si son coeur était en paix, son âme ne l'entendait pas encore ainsi. Le regard de Kakita Yoshi sama plongea dans le sien, agenouillé face à son daimyo, il salua le front au sol et sentit le poids de ce regard lui faire ployer les épaules jusqu'à les briser.
Un murmure de surprise venait de parcourir la salle d'audience et la stupéfaction se peignait sur tous les visages des membres du clan de la Grue présents. Seul Kakita Yoshi n'avait pas cillé. Dans les rangs de la délégation du Lion la satisfaction se fit et les pommettes abruptes du magistrat Kitsu se soulevèrent, amincissant son regard jusqu'à le réduire à un fin ruban noir. Son visage exprimait le plaisir de voir ce chien d'assassin se dénoncer. Enfin il allait obtenir justice ! - Mitsurugi, relevez-vous et expliquez-vous !
Lentement, il leva la tête puis le buste. Cette phrase était le premier pas de l'acceptation de ses aveux, il savait qu'il ne serait plus possible de faire marche arrière alors il continua.
- Hai Yoshi sama.
Aucun mot ne peut justifier mon acte, j'ai agi sous le coup de l'alcool et de la folie, il n'y a rien d'autre à dire. Je requière de votre seigneurie, le droit de m'ôter la vie pour laver l'affront fait à ma famille, à notre clan et à votre personne de par mes actes odieux et inconsidérés et par-là satisfaire également la demande du clan du Lion que justice soit faite.
Le silence se fit dans la salle, le ton avait été ferme, la voix n'avait pas tremblé, Kitsu Akira se demanda quelle sorte d'homme était Mitsurugi pour garder un tel calme dans la situation présente mais la vanité engendrée par sa satisfaction de tenir le coupable l'aveugla et occulta le visage blême de Kakita Anawake, le jeune frère de Mitsurugi assis en retrait de son aîné. Les mains crispées sur le tissu de son kimono, il restait sans voix, cloué au sol comme un misérable insecte qui se serait brûlé à la lumière d'une étincelante lumière, stupéfait de ce que venait de faire son frère pour lui : endosser ses crimes.
Mais tout cela personne ne le vit. Le froissement de la soie de quelques kimonos fut le seul bruit qui effleura le silence avant que le verdict de Kakita Yoshi ne tranche l'air comme une lame acérée et c'est bien là¬-dessus qu'avait compté Mitsurugi
- Kakita Mitsurugi, je vous refuse ce droit. A partir de ce jour, je vous ôte votre nom et vous condamne à la vie de rônin, puissiez-vous vous repentir de vos actes.
- Kakita Yoshi sama, je vous demande de reconsidérer votre verdict !
La voix de Kitsu Akira résonna dans la salle et le malaise se fit encore plus lourd. Le daimyo se tourna vers le magistrat qui s'était levé en signe supplémentaire de protestation.
- C'est hors que question Kitsu Akira san. L'affaire est réglée.
La voix de Kakita Yoshi était calme et ce calme fit écho à celui de Mitsurugi et déclencha chez le Lion une fureur mal contrôlée.
- Vous vous jouez de nous, cet homme doit payer pour ses crimes !
- La punition est de perdre son nom, le droit de prétendre à être Kakita et à vivre jusqu'à la fin de ses jours avec le poids de ses actes, ce qui est bien pire que la mort. Lui ôter la vie ne ressuscitera pas vos morts.
Au lieu de calmer le magistrat, cela décupla sa fureur, son regard vindicatif se posa sur Mitsurugi toujours immobile et stoïque.
- Ca ne se passera pas comme cela !
Il s'avança vers le samouraï agenouillé d'un pas décidé, les yojimbo de Yoshi sama mirent la main à la tsuba de leur katana prêts à intervenir. Arrivé à la hauteur de Mitsurugi et défiant de son regard Yoshi, le magistrat l'invectiva avec une haine à peine dissimulée.
- Puisses-tu ne jamais connaître la paix et avoir une mort sans honneur, espèce de sale chien !
- En voilà assez, tenez votre place !
La voix de Kakita Yoshi gronda comme le tonnerre.
- Si ce verdict vous pose un problème, je veux bien en répondre devant Doji Satsume sama lui-même.
Au nom du champion d'Emeraude ! Akira eut presque un pas de recul. Aller à l'encontre du verdict pour tenter d'obtenir l'exécution du coupable était une chose, soutenir devant Doji Satsume sama et en présence de Kakita Yoshi que celui-ci n'avait pas appliqué une sanction correcte envers le crime commis en était un autre.
Si la colère dans la voix d'Akira baissa, ses yeux déversèrent à nouveau
leur haine sur Mitsurugi. Il sut là que le magistrat serait son ennemi.
- Bien ! Qu'il vive dans la disgrâce mais que je le retrouve sur les terres du clan du Lion et ma lame n'aura aucune compassion pour ce qu'il fut !
D'un salut bref mais déférent, le magistrat fit volte face et se retira sous les regards médusés. La délégation du Lion suivit et les yojimbo se relâchèrent quelque peu. Anawake croisa le regard de son frère, il y avait une seule question dans ses yeux : « Pourquoi ?»
La voix de Yoshi sama se fit à nouveau entendre et reporta l'attention de toute la salle sur le samouraï agenouillé en face de lui.
- Je vous laisse jusqu'à demain soir pour quitter Shiro sano Kakita, réglez vos affaires et puissent les Kami vous guider dans la voie du repentir aussi longtemps que durera votre vie.
Il n'y avait ni haine ni mépris dans sa voix, juste la froide vérité qui à partir de cette minute allait être le quotidien de Mitsurugi, le ronin, ex-membre de la famille Kakita.
Kakita Yoshi se leva et quitta la salle, sans doute un jour comprendrait-il l'attitude de ce valeureux samouraï mais pour l'heure aucun mot ne serait venu soulager ses questions.