[Background : Tsume Kenichi]

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Iuchi Mushu
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[Background : Tsume Kenichi]

Message par Iuchi Mushu » 14 oct. 2004, 13:43

Profil d'un duelliste

Avertissement

Pour l’histoire de Tsume Kenichi j’ai préféré m’orienter vers un style de « carnet », un peu comme un journal intime que tient le personnage au fil de son parcours et non pas un texte plus cohérent. Cela semblera parfois étrange donc au lecteur mais Kenichi est un personnage qui existe toujours actuellement et que je joue même si j’ai manqué d’un peu de temps pour retranscrire les notes de son journal » :jap :

Prologue

Kenichi est le fils cadet d’une famille de 4 enfants. D’une nature timide et réservée, il a toujours beaucoup souffert de l’autorité d’une mère intransigeante. Remarquant sa nature délicate, elle de son côté a toujours eu beaucoup de mal à s’accoutumer à cet enfant à l’apparence fragile qui fut une surprise.
Ses frères ont très tôt démontré des dispositions exceptionnelles à l’art du sabre et s’il s’est souvent senti capable d’en faire autant, il n’y a vraiment que deux ans que Kenichi a trouvé son chemin.
Bon élève et d’un niveau technique de qualité, il fut envoyé il y a deux ans dans les terres du clan du Dragon pour participer à un tournoi amical inter-clanique pour jeunes espoirs.
Ces épreuves opposants des adolescents de tout clan se déroule chaque année quelque jours avant le tournoi de Quartz. Autorisé à rester quelques jours de plus pour assister au tournoi s’imprégner de la voie du sabre. Kenichi a eu la chance de voir s’affronter non seulement les deux écoles du sabre mais aussi des duellistes émérites. Plus de 5000 combattants se sont affrontés durant la semaine du tournoi. Sa famille n’ayant pas des moyens très élevés, Kenichi a logé dans le temple d’un village proche des festivités.
Dans ce havre de paix, loin de l’activité Kenichi a profité pour s’entraîner assiduement ce qu’il lui a permis de remporter de nombreuses victoires dans les épreuves qui ont été les siennes. Mais au-delà de ça, il a fait la connaissance de Noriyama, un moine de plus de quatre-vingt ans. Ce dernier s’est pris d’amitié pour le jeune garçon et ensemble ils ont partagé le thé, les promenades et la méditation. Noriyama a accompagné du regard Kenichi lors de ses kata matinaux et il sait que le jeune homme a un énorme potentiel qu’il n’a pas encore développé mais qui tout doucement s’éveille.

Première partie

« …Pourquoi ne pas lui avoir dit qui vous étiez, Noriyama san ?
- Et qui suis-je donc à part un simple moine, Miyoko ?
- Enfin vous êtes…, enfin étiez une des grandes figures du nitten, un des meilleurs sensei de notre clan. Je ne comprends pas, vous sembliez tenir ce jeune en une telle estime, pourquoi ne pas lui avoir prodigué des conseils, des enseignements ?
- Ce n’est pas à moi de le faire, c’est à son sensei. Quand il le reverra, ce dernier comprendra que Kenichi a changé sur ces trois semaines qu’il a passé chez nous. Il verra la différence s’il est un bon maître. Il verra que son iaido est maintenant comme l’eau prête à jaillir.
- Et s’il ne voit pas ?
- Alors les choses suivront leur cours et Kenichi mettra plus longtemps à parcourir sa voie mais un jour, le rocher qui obstrue le filet d’eau vif et l’empêche de jaillir s’évanouira, un jour nous reverrons Kenichi, je n’ai aucun doute là dessus Miyoko.
- Comment pouvez-vous prendre les choses avec un tel détachement, une telle sérénité ?
Noriyama ria
- Quand tu auras mon âge tu verras que tout est important et que rien n’est important. Comme dans ce que l’on réalise dans toute vie, tout ce que l’on fait, à l’instant où on le fait doit tendre vers la perfection, l’implication totale de ton corps, de ton être, de ton âme. C’est difficile à comprendre mais que ce soit le kendo, boire et manger, aimer une femme, élever un enfant, tout cela tend vers la même harmonie.
Miyoko se tut et servit le thé, sur la route un jeune homme marchait sur le retour en ses terres, celles de la famille Tsume, un jeune homme bien différent de celui qui était arrivé il y avait de cela trois semaines.
Kenichi avait hâte de rentrer chez lui, le dojo et le maître lui manquait beaucoup, beaucoup plus que sa famille à vrai dire. Pendant ces trois semaines, il s’était senti comme libéré de toute contrainte comme si l’air arrivait enfin en totalité à ses poumons. Lorsqu’il arriva en vue du bâtiment, le soleil n’était pas encore levé. Il était là, il n’avait pas bougé, identique à lui-même, toujours aussi imposant. Kenichi se dirigea vers le puits dans la cour, il remonta un seau et le versa dans un baquet en bois qu’ils utilisaient après l’entraînement . Il y versa l’eau et puisa un second seau puis il ôta son kimono qu’il plia soigneusement sur le côté. Il versa le seau d’eau sur sa tête. L’eau glacée lui arracha un frisson mais il était hors de question de mettre un pied dans le dojo, sale et poussiéreux comme il était. L’eau du baquet acheva de lui ôter la poussière qu’il avait sur le corps. S’asseyant sur les marches, il lava ses pieds et s’essuya sommairement laissant le vent faire le reste. Ouvrant son paquetage, il pris un propre pantalon et l’enfila.
Il resta quelques minutes assis en silence sur les marches, les yeux fermés. Doucement, il écouta sa respiration puis se concentra pour la réguler, lentement, très lentement il sentit les battements de son cœur, le sang circuler dans ses veines, il pouvait presque le palper. Cet exercice simple qu’il avait pratiqué chaque matin et soir avec Noriyama, il lui laissait un tel sentiment de sérénité. Quel moine étrange ce Noriyama. Il se leva, fluide et fit glisser le shoji extérieur du dojo. Le parquet lui apparut impeccable, comme toujours. Il posa le pied sur le plancher, c’était comme si le bois répondait à son absence par de doux bruits mats. Il se plaça au centre de l’air de combat et dans le silence, le soleil naissant pour témoin il exécuta ses kata, les enchaînant comme jamais il ne l’avait fait. Où plutôt comme il ne l’avait jamais ressenti. Tout entier à son sabre, il ne vit pas le shoji qui se refermait. Okada son sensei sourit, après tout il n’était pas encore cinq heures, il avait le temps de déjeuner. Quelque chose lui disait que lorsqu’il reviendrait Kenichi serait toujours là pour reprendre les leçons là où il les avaient laissé…

Seconde partie

Une fois encore la voie du sabre me mène au voyage. Aujourd’hui, je quitte les terres de ma famille, mon dojo et mon maître. Cette séparation m’est plus cruelle encore que la dernière fois. Plus j’avance sur la voie du sabre, plus mon attachement à ce temple qu’est pour moi le dojo ressemble au lien physiologique qui lie l’enfant à sa mère.
J’ai bien progressé depuis deux ans mais hier Okada sama m’a montré qu’une fois encore le cheminement sera long. Si certains des élèves du dojo le trouve sévère et parfois brutal dans son kendo, je suis moi persuadé que cette manière de faire relève d’une grande psychologie humaine et qu’il nous amène là en toutes circonstances où nous n’aurions pas été s’il avait fait preuve de l’indulgence qu’on lui reproche parfois de ne pas avoir envers notre corps meurtri et épuisé au bout de 5 à 6 heures d’entraînement minimum et journalier qu’il nous impose. Sa méthode sévère mais juste sans nulle doute nous oblige à sans cesse, nous surpasser.

Hier encore l’entraînement fut riche pour l’esprit et mortifiant pour le corps. Complimentés ces derniers jours sur notre technique et notre maintien, dans l’après-midi Okada sama nous informa que la fin de l’entraînement pour la journée consisterait en un affrontement individuel, chacun d ‘entre nous face à lui.
Nous étions tous aussi fébriles qu’angoissés, nous demandant ce qui nous attendait. Mais là où immanquablement nous étions morts de peur, nous demandant quelle partie de notre corps non encore bleue ou violette servirait à l’exercice vivifiant qu’il nous préparait, nous fûmes étonnés de n’être que caressé par son sabre. Ce que j’entend par caressé c’est que le temps du combat ne dura pas plus de cinq minutes. Ces cinq minutes face à Okada sama et à ses enchaînements sont parfois une éternité. L’on est étonné de voir comme le corps de l’adversaire peut épouser de manière si parfaite l’espace qu’il crée lors de sa frappe. Cela est normal puisque c’est un maître mais bien que je pratique le kendo depuis l’âge de trois ans, cinq minutes face à Okada sama, lorsqu’il maintient le rythme intensif auquel sur plus de dix ans il a donné une palette si élargie de variantes qu’il me serait difficile d’énumérer, vous amène toujours au même endroit : face à vous, face à votre limite, face au chemin encore long. C’est pour moi personnellement et à chaque fois, l’occasion de renouveler mon attachement à ma voie et de tacitement faire le premier pas vers l’étape suivante alors que nos boken s’entrechoquent
Ses jours de grande colère, ce face à face avec Okada sama peut aller jusqu’à vingt minutes. Le premier stade je l’ai déjà expliqué, le second survient au bout d’une dizaine de minutes, vos « kiai » deviennent presque inaudibles, ensuite votre bouche commence à chercher l’air et si vous avez le malheur de rester statique et de ne plus chercher à parer et frapper, instantanément il vous démontre comment mourir cent fois et à la fois que Shugyo (Gradation dans le degré de souffrance dans l’apprentissage du sabre duquel découle l’endurance) a un degré que vous n’aviez pas encore expérimenté. Mais la cruauté ne fait certainement pas partie du caractère de mon maître bien au contraire. Lors de ces entraînements intensifs et instructifs, il nous oblige à porter l’armure d’entraînement, c’est donc sur le plastron de bambou qui nous protège le torse et les flancs que vient s’écraser avec une juste mesure son sabre d’entraînement. Au bout de 12 ans de pratique du sabre, le choc du plastron de bambou sur votre sternum ne vous inflige que l’exercice d’y adapter votre respiration pour ne pas perdre le rythme.

Je ne suis certes pas nostalgique dans mes propos pour signifier une mélancolie naissante mais je pense à nos adieux d’hier. Nous avons pris et ce, sans véritable concertation, cette habitude de dîner ensembles lorsque ma voie me sépare de lui. D’ailleurs peut-être un jour ce sera lui qui pourrait être appelé à nous quitter. Nous n’avons pas évoqué mon voyage, je n’en sais pas grand chose et lui non plus. Le devoir m’appèle sur les terres de la famille Daidoji et c’est ainsi.
Nous avons dîné ensembles d’un repas simple et frugal puis partagé le saké. Notre attachement réciproque est tel qu’il n’est pas besoin de mots, il n’a pas besoin de me dire de ne pas oublier de m’entraîner, ni m’inciter à pratiquer la calligraphie de manière quotidienne, il sait que je le ferai. Non pas parce qu’il me l’a enseigné et que cela fait partie de mes devoirs mais parce que je me suis engagé tout entier sur la voie du sabre comme il le fit il y a longtemps. Je ne marche pas dans ses traces, tous deux nous savons que nos chemins s’ils tendent vers le même but ne sont pas les mêmes. Mon chemin n’est pas le sien mais son expérience éclaire mes pas et me gratifie de son savoir.
Après le dîner, une servante lui a apporté une petite table et un étrange coffret. Intrigué, j’ai ri silencieusement de ma curiosité quand un pinceau et de l’encre en sont sortis. Etait-ce là notre dernier échange dans l’art de l’écriture? Ni l’un ni l’autre ne savons ce que nous réserve l’avenir mais nous savons que la mort est présente à chaque instant de l'existence que nous avons choisi. Nos regards se croisent, intenses, et du coffret Okada sama a sorti un long foulard de soie bleue irisé, une soie magnifique.
D’un geste sûr et le pinceau habile, un a un, les mots sont nés. La soie a absorbé l’encre et après quelque minute il me l’a tendu. Mon émotion est forte quand j’y lis les kanji qu’il a tracé : Mizu no kokoro, Tsuki no kokoro, « l’esprit de l’eau courante, l’esprit de la lune ». Ces simples mots qui pour un étranger ne peuvent être que poétiques, sont pour moi l’esprit de mon maître et par ce foulard qu’il m’offre, j’emporte avec moi son esprit dans les épreuves qui m’attendent. Nous nous quittons par une amicale accolade le lendemain matin et alors que j’entame mon voyage. Je peux un par un connaître les gestes de mon maître en ce moment dans le dojo. Le soleil est levé et frappe de sa lumière l’aire de combat, les élèves arrivent en ce moment même et aujourd’hui encore ils seront solidaires dans l’entraînement car le maître aura une humeur particulière …

Troisième partie

L’encens s’évapore en douce volute, la méditation m’a été profitable pourtant la situation n’est guère revenue au calme, un vent capricieux s’évertue à souffler sur l’onde du lac. Tant de choses se sont passées Okada sama depuis que nous nous sommes quittés. Il serait trop long de les narrer ici et d’ailleurs j’ai l’impression que tout cela s’estompe pour ne faire place qu’aux valeurs que vous m’avez enseignées, celles si chères à votre cœur.
Les circonstances du décès de Tsume Retsu sama ont plongé le shiro dans l’effroi et l’on a peine à croire qu’un tel acte ait pu être pensé et froidement exécuté. Pourtant ce fut le cas. Fort heureusement la justice impériale a frappé de sa sentence le coupable de cet acte odieux.
Je ne pourrais malheureusement pas rallier les terres de notre village cet hiver , Tsume Takeshi sama m’ayant fait l’immense honneur de me confier le commandement des armées Tsume. Je serais aussi probablement pressenti à l’accompagner à la Cour d’Hiver.
Bien que la tâche puisse être effrayante, je n’ai jamais été aussi serein, n’est-ce pas étrange ? J’ai pris mes fonctions immédiatement et la tâche est ardue mais chaque jour vos enseignements m’aident, ma voie, mes valeurs, tout cela anime mon cœur et si je n’ai pas été élevé pour diriger des armées, je suis persuadé que sur la voie du sabre je trouverai un chemin qui me mènera à accomplir toutes ces choses au mieux des intérêts de notre famille.
J’aimerai que vous fassiez part à ma mère de ces évènements, je sais que peut-être tout cela éclairera son cœur venant de votre bouche, je n’ai quant à moi pas les mots qu’il faut pour le toucher ou trouver grâce à ses yeux. Je ne les ai jamais eu mais qu’elle soit assurée que de toutes mes forces j’honore la voie de mes ancêtres et le nom qu’elle m’a donné en me mettant au monde.
Je ne suis ni fier, ni présomptueux de croire que tout se déroula pour le mieux et que je suis promis à un bel avenir béni par les Fortunes. Non tout cela ne sera qu’épreuves, je le sais mais je ne suis pas effrayé, je suis touché par la confiance que m’a accordée notre jeune daimyô et si ma loyauté et ma fidélité lui étaient acquises, elles sont par sa confiance appuyée encore plus ferventes.
Je ne sais, ni ne peux vous promettre d’être là au printemps aussi j’aimerai pouvoir disposer de mes effets personnels ici au shiro, si vous pouvez confier à un des serviteurs de la maisonnée cette tâche, j’en serais heureux. Sous mes doigts glissent le pinceau et l’encre après être passées sur la tsuba de mon sabre, les craquements du plancher de votre dojo me manquent et j’ai hâte que mes doigts tournent à nouveau les pages des livres que vous m’aviez offerts.
En attendent, la soie de vos mots glisse sur mon cœur et chaque jour apaise mes doutes et mes peurs.
Puissent les Fortunes vous apportez des vents favorables jusqu’à ce que nous puissions à nouveau être réunis.

Votre élève Tsume Kenichi


Quatrième partie

Le papier a aspiré l’encre comme la nuit vient d’absorber mon destin anéantissant toute trace de ce qui fut nous, ébranlant la famille Tsume jusqu’au tréfonds de ses racines. Tsume Takeshi n’est plus et si les agresseurs ont payé un lourd tribu à leur acte, la douleur qui étreint nos cœurs est insoutenable. Un silence de mort règne dans la cour du shiro et seul les râles des blessés lui sont opposés. Je regarde sans les voir les lanternes qui sur les hampes que tiennent les ashigaru se balancent au vent nocturne et léger. Tout s’est enchaîné si vite, comme un vent contraire qui s’abat sur les côtes. L’alerte a été donnée, l’attaque des ombres nous a surpris, ma course vers les appartements de mon daimyo et puis l’impensable, l’irréparable, sa silhouette chancelante sabre à la main, je suis arrivé trop tard ! Mon kimono est encore couvert du sang de Takeshi sama, ses derniers spasmes, accroché à ma manche étreignent mes pensées à me faire exploser la tête. Ma course dans les escaliers et quand je me plante devant le général Chisuma, la sourde colère qui insidieuse tente de me submerger. Pourquoi a-t-il laissé notre Seigneur avec si peu de protection ? Sa fade explication m’écoeure, son suicide lâche sous nos yeux me soulève le cœur et le sourire de ce rônin, plus rien n’est clair, plus rien n’a d’importance mais ce dernier fait explose ma contenance. Je n’ai pas l’intention de prendre des vies mais l’estoc de la poignée de mon sabre le projette au sol étourdi et le choc sourd suffit à étancher l’assaut de mes émotions. Le calme et la gravité de la situation épanchent l’hémorragie de ma colère et me ramène à une faible notion de la réalité quand dans la foule une voix s’élève et à la sentence de haine que je perçois succède un assaut contre ma personne. Je n’ai de la situation que mon instinct et ma lame qui viennent se conjuguer en un accord parfait pour me protéger la vie. La voix de Daidoji Watanabe a résonné mais je suis incapable d’en saisir la substance, j’entends le sifflement d’une flèche et face à mon adversaire inconnu, le choc de l’acier de nos lames s’abat au sol. Instinctivement, je tourne la tuska de mon sabre et la lame retournée, je remonte d’un coup sec. Ce mouvement m’a sauvé la vie, l’assaut est venu comme une tornade mais l’acier a aspiré la vie de mon agresseur au cœur de ses entrailles comme la poussière absorbe maintenant son sang. Tout tournoie autour de moi dans un silence que je suppose refléter l’incompréhension générale, tout le monde est silencieux, immobile, plus un mot, plus un souffle, j’ai l’impression que je vais m’éveiller de ce qui ne doit être qu’un horrible cauchemar, que moi Tsume Kenichi je vais me retourner et voir sous le soleil du printemps les pas de mon seigneur déambulant sur le tapis de pétales des fleurs de cerisiers qui bordent l’allée des jardins, son visage fin va me sourire quand accroché à son hakama un jeune enfant va lui tendre la main. Mais la brise me caresse le visage et lorsque je me retourne, il n’y a que les pétales jonchant le sol, voltigeant sous un vent capricieux et un chemin interminable qui s’étend vers les montagnes mais mon maître n’est pas sur ce chemin, il est dans mon cœur.

Cinquième partie: Souvenirs

" Le sabre d’entraînement s’écrasa sur le plastron de bambou et sous la violence du choc, Kenichi perdit l’équilibre et goutta au son mat du plancher.
Son épaule lui fit mal mais il se releva et du haut de ses huit ans se replaça face à sa mère Tsume Nahoko. Elle le regarda sans mot dire et se remit en position. Malgré les lancements dans ses muscles, Kenichi s’appliqua. C’était la première fois que sa mère consentait à mettre un pied dans le dojo face à lui et dans son cœur battait le secret espoir que s’il ne la décevait pas, elle apprendrait à l’apprécier. Peut-être même pourraient-ils être plus proches, … un jour.
Quelques passes d’armes furent faites puis Okada sama pénétra dans le dojo, il leva la main pour nous signifier de ne pas nous interrompre. Je sentis un changement dans l’attitude de ma mère mais je me souviens ne pas être arrivé à situer justement ce qui se passa ce jour-là.
L’entraînement dura encore une bonne demi-heure puis ma mère y mit fin, sans plus de mots à mon égard que ceux qu’elle avait utilisés pour l’initier.

Elle remit les sabres de bois en place, puis me signifia :

- Prends un bain ensuite rejoins-moi pour le thé.

Elle salua mon sensei puis sortit me laissant dérouté au centre du dojo. Mes espoirs étaient mitigés et je ne savais que penser. Avais-je été à la hauteur de ce qu’elle espérait de moi ? Mon esprit se mortifiait de questions à la pensée que l’échec du seul coup que je n’avais pas pu parer fermerait à jamais la porte qu’elle avait voulu m’entrouvrir sur le monde de ses réalités. C’était un coup différent de tous ceux qu’Okada sama m’avait jamais enseigné, j’avais été incapable de le voir venir et encore moins de le détourner.
Cependant après l’entrée de mon sensei, ce coup spécial n’était plus revenu, était-ce à cause de son entrée dans le dojo, à cause de mon échec ? Peut-être avait-elle jugé qu’il était trop tôt pour me l’enseigner plus avant.

J’étais perdu dans mes pensées quand je sentis les doigts d’Okada sama occupés à dénouer le plastron de protection. Il toucha mon épaule et mon bras se rétracta sous l’effet de la douleur.
Je me souviens l’avoir vu froncer les sourcils. Il m’ordonna d’ôter ma veste de kimono, et son regard examina attentivement mon épaule. Puis il m’envoya au bain.

L’eau chaude me fit du bien et détendit tous mes muscles, je me hâtais de me laver et je sortis du bain.
Une servante m’apporta un kimono propre et alors qu’elle se retirait, Okada sama entra.
Il avait un pot de terre cuite à la main et le posa sur la table puis m’enjoignit de m’asseoir.
Il fit glisser le drap de coton et pris dans le pot une épaisse couche d’un onguent sentant fortement les plantes. Il commença à m’enduire le haut de l’épaule et la partie du torse où apparaissait déjà l’ecchymose, la légère pression de ses doigts sur ma peau m’aurait fait grimacer si je ne m’étais pas retenu. Quand il eut terminé ou du moins le pensais-je, je me relevais.
- Je n’ai pas fini
- Ca va aller protestai-je
- Non ça n’ira pas. Dans quelques jours tu seras incapable de tenir un sabre si ce n’est pas soigné. Rassieds-toi.
J’obéissais. L’onguent sentait très fort et ma mère ne manquerait pas de le sentir. Je ne sais pas pourquoi cet état de fait me conduisait à penser que c’était comme si je faisais montre de faiblesse néanmoins c’était bien ce qui était en train de se dérouler dans ma tête d’enfant.
Okada sama me banda le torse et le haut du bras avec soin. Puis m’aida à m’habiller.
J’avais la tête pleine de questions et alors que je voulus lui poser plusieurs d’entre elles, il referma le pot et stoppa net toute initiative.
- Vas maintenant, ne la fait pas attendre.

Confus, je m’inclinais avec un murmure de merci aux lèvres et sortit.
Je parcourus les jardins puis la galerie couverte pour arriver jusqu’à la petite pièce où ma mère aimait prendre le thé. Le shoji était ouvert sur les jardins et je la trouvais déjà installée, un petit recueil de poésie sur la table, elle leva son regard sur moi et me regarda m’installer.
Aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne me souviens de ma mère comme d’une jeune femme très jolie, cultivée, toujours vêtue avec raffinement mais silencieuse, tellement silencieuse. Je ne sais pas quel secret ou quel douloureux événement entoura ma naissance mais je ne peux m’ôter de la tête qu’à cet égard, elle cultiva toujours ce silence qu’elle maîtrisait si bien, peut-être utile à sa survie mentale mais mortifiant pour la mienne.
Un servante amena le thé, doux et parfumé. Ma mère le servit puis me tendit le bol.
Je le pris à deux mains en la remerciant.
- Okada sama prend toujours aussi soin de ses élèves, je vois.

Comme je me l’étais bien imaginé, l’odeur de l’onguent n’avait pas dû lui échapper, je baissais les yeux et me contentais d’un simple « hai ».
Parfois avoir le recul, je me demande s’il n’y avait pas comme une certaine jalousie, bien que ce ne soit pas le terme approprié, entre eux parce que l’un s’occupait pendant un laps de temps mieux de moi que l’autre. J’ai toujours eu cette étrange sensation lorsque tous deux étaient en ma présence et aujourd’hui encore je ne peux me l’expliquer et la convenance exige que je n’aborde ces sensations de front.

J’eus du mal à me détendre mais ma mère fut apte à me délier un peu plus la langue que de coutume. Je lui expliquais mes progrès au sabre mais gardais pour moi l’exultation que me procurait l’enseignement d’Okada sensei pour ne pas inutilement attiser ce feu que je sentais brûler entre eux. Nous parlâmes de tout et de rien mais pas de l’entraînement de ce jour-là. Et comme si je souffrais depuis longtemps d’une manque de sa présence, je ne mis pas le sujet sur la table, de peur qu’elle ne se referme et ne me chasse de son univers.
J’ai en tête cet après-midi là comme le plus beau souvenir avec ma mère.

Cette nuit-là pourtant ne fut pas aussi radieuse que la journée et transforma à jamais ma vie. Couché assez tôt, abattu par la fatigue, la nuit était tellement belle et douce que je demandais à la servante à ce que le shoji reste ouvert pour profiter du ciel étoilé. Bien que le sommeil me faucha dans les premières minutes, au milieu de la nuit, je me réveillais avec une douleur fulgurante à l’avant bras. Je ne me souviens pas avoir poussé un cri pourtant c’est ce que je dus faire car moins d’une minute après, l’un de mes frères sabre en main, entra dans ma chambre, un serviteur à sa suite équipé d’un lanterne.
D’abord surpris, de ne trouver personne d’autre que moi, son regard se posa au sol et il m’ordonna sèchement de me lever. Saisi j’obéis machinalement, sans comprendre et avec stupeur je le vis planter la pointe de son sabre dans mon futon. Je m’approchais et vis avec horreur une araignée.
Akinari me secoua :
- Kenichi t’a-t-elle piqué ?
Je le regardais puis me souvenant de la douleur qui m’avait réveillée et hochais la tête affirmatif. Et remontant la manche de mon kimono, un ampoule rougâtre glonflée apparût là ou l’arachnide m’avait piquée.
Ma mère arriva sur ces entrefaits alors qu’Akinari venait d’enjoindre le serviteur de courir au plus vite chercher le shugenja.
Lorsque le regard de ma mère se posa sur le sabre, elle devint livide et Akinari tenant la manche de mon kimono relevée, elle comprit tout de suite l’horreur de la situation.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
J’avais posé cette question toute simple et leur deux visages se tournèrent vers moi.
Akinari me souleva dans ses bras :
- Ne parles pas Kenichi et respires très lentement ! Et pas de questions, pas maintenant !
Je compris assez vite de quoi il s’agissait quand mon cœur s’emballa et que quelques minutes après la piqûre j’eus l’impression que je n’allais plus arriver à respirer. Je sentais la fièvre monter en moi comme un torrent tumultueux et je ne perçus bientôt plus que des ombres et des voix, celle de ma mère, d’Akinari, d’Okada et une autre que je ne reconnu pas puis je sombrais.
Un phrase flotta dans l’air et je ne sus pas dans l’instant saisir la substance des mots qui la composaient mais tout doucement, la voix familière qui les prononçaient me ramena à une réalité que je n’aurais plus jamais dû revoir si ma famille n’avait pas réagit aussi rapidement.
J’ étais lové au creux des bras de ma mère et sa voix ne cessait de me parler. Lorsqu’elle s’aperçut que je revenais à moi, je vis ses yeux s’embuer de larmes et je crois qu’elle remercia les Kami. Elle me serra contre elle et je perçus enfin un sens à ses mots.
« Oh Kenichi, ta vie sera toujours bercée par le vent contraire, ne l’oublie jamais ».
Pendant plusieurs jours, j’eus des périodes de lucidité, des périodes de spasmes où je plongeait ensuite dans un sommeil qui devait paraître sans fin mais mon corps finit par vaincre ou tout du moins surmonter la puissance du poison qui l’avait assailli.

Après cet incident, ma mère ne fut pas indifférente à mon sort mais s’éloigna de moi et repris la place qu’elle avait toujours eu comme si l’incident l’avait rendu consciente du lien et des sentiments qu’elle avait eu l’espace d’un instant à mon égard, plus forts que ce qu’elle n’aurait voulu, plus proche de l’amour maternel que de l’indifférence qu’elle avait tenté de me monter et comme si l’entrevue de ma perte l’avait enjoint de ne pas s’engouffrer plus avant dans cette voie, jamais plus je ne croisais le sabre avec elle.

Je ressentis des faiblesses pendant un temps puis elle s’estompèrent mais j’ignore encore aujourd’hui s’il me reste des séquelles de cette morsure, il ne se sont en tout cas jamais manifestés.

Sixième partie : Vent contraire

La réalité me frappe de plein fouet alors que je suis debout après ce combat et mes doigts s’ouvrent de stupeur, ma lame glisse de ma main et son tintement résonne après avoir touché le sol. Dix ans après je comprends cet après-midi dans le dojo, dix ans après je comprend ce coup particulier, dix ans après je me rend compte que je l’ai assimilé. Instinctivement, enfoui dans ma mémoire et dans ma chair, il vient de me sauver la vie ! Et aux vues de la situation ce n’est pas un gouffre qui s’ouvre à moi mais encore une fois un souffle qui balaye tout et qui disloque ma vie comme mon avenir vient de l'être par la mort de mon daimyô.

La phrase de mère danse dans ma tête « ta vie sera toujours bercée par le vent contraire », mes yeux s’ouvrent, elle n’a pas dit « les vents contraires », elle a dit « le vent contraire ». Est-ce le nom de cette technique ? Comment ma mère la connaissait-elle si c’est bien cela ? Pourquoi Okada sama ne m’en avait-il jamais parlé. Cette technique appartenait-elle à mon père ? Je pose les yeux sur chacun des hommes et des femmes qui sont face à moi sous le rayon mystérieux et moqueur de la lune, aucun d’entre eux n’a de réponse à m’apporter. Mais qui a la réponse ? Tout doucement je commence à comprendre que trop de choses sont en jeu, beaucoup trop de choses."

Septième partie : Même le charbon le plus noir peut cacher un joyau- Volet 1

Daidoji Uji m’ayant confié une missive à l’intention de Doji Iname, le 15ème jour du mois du chien me voit à l’heure du singe arriver à proximité de la ville de Nikesake, comptoir marchand sur les terres de l’honorable clan du Phénix.L’automne a étendu ses couleurs sur ces magnifiques terres qui n’ont rien à envier aux plaines d’Osari. Sous mes pas et contrastant avec la couleur poussiéreuse de mon kimono, les feuilles des érables jonchent le sol, les rayons d’Amaterasu les faisant encore se refléter de tons chauds allant de l’ocre au rouge profond.
Ce voyage est-il une bonne augure ? Mon cœur ne peut s’empêcher de se tourner vers Tsume Takashi sama qui lutte encore contre la mort. Sa santé est si faible que nul ne sait s’il reprendra jamais connaissance ou si les Kami l’enjoindront de rejoindre ses ancêtres. Tout au long du voyage, chaque étape m’a vu me rendre aux temples les plus proches et prier les Kami de ne pas laisser la famille Tsume plonger dans le néant. M’écouteront-ils ? Ecouteront-ils les shugenja qui sont au chevet de Takeshi donô ? Nul ne sait mais je continue à prier avec ferveur, le cœur et l’âme remplis d’espoir. Un espoir immense mais pas plus fou que celui d’avoir découvert qu’il n’était pas mort après le suicide du général et l’attaque insensée mené contre ma personne.
Au loin le dernier poste de garde que je dois franchir se profile et les toits de Nikesake s’offrent à ma vue. Les bâtiments sont d’une architecture fort différente de celle qui m'est coutumière mais l’ensemble est très harmonieux et n’insupporte pas mes sens comme le fit Ufuku no Heigen Toshi un an auparavant. Peut-être n’est-ce qu’une idée ou le soleil automnal substitué à la pluie me trompe-t-il. Le responsable Shiba à l’entrée de la ville examine mes papiers puis me les remets s’inclinant et me souhaitant la bienvenue à Nikesake. C’est la première fois qu’il m’est donné de rencontrer des samouraï de cette famille et si les terres du Phénix semblent moins requérir à une présence militaire accrue que celle du clan de la Grue, les patrouilles rencontrées ont été nombreuses mais toute fois composées de peu de samouraï. La cordialité et le respect ont ponctués chacun de leur contrôle, ce qui n’enlève rien à l’efficacité de leur tâche.
Le samouraï qui me tend les papiers en retour me donne un bref descriptif de la ville et outre l’ambassade à laquelle je dois me rendre pour rencontrer Doji Iname sama il m’indique les deux ou trois auberges de la cité me recommandant plus particulièrement « La perle d’Orient ». Après l’avoir remercié de son aimable accueil j’entre dans la ville.Les étals sont nombreux et colorés dans les rues marchandes. En cette fin d’après-midi, la présence des samouraï est moins nombreuse que celle des heimins pourtant des chaises à porteur vont et viennent, les comptoirs de soieries voyent quelques amateurs s’intéresser à leurs produits et certains serviteurs s’empressent de porter les achats de leurs maîtres alors que ces derniers reprennent place dans leur moyen de transport.Une sensation m’effleure, c’est celle d’un mélange de calme et de sérénité, non pas de silence car les rues sont animées mais plutôt une certaine harmonie et une joie de vivre qui se dégage des habitants, les rues sont propres et les gens forts polis.
Me voici arrivé devant « La perle d’Orient où une jeune servante se présente à moi.Elle m’introduit à l’intérieur d’une auberge simple mais charmante m’amenant à son patron. Le choix de la chambre m’est laissé et je choisis la quiétude d’une vue sur les jardins plutôt que sur les rues de la cité.
L’heure est fort inhabituelle pour prendre un bain mais avoir une entrevue avec l’ambassadeur ne peut souffrir d’un manquement . Je n’ai pas encore entrouvert les lèvres que la jeune femme me propose de me faire préparer un bain , l’auberge dispose de bains de vapeur mais si je le désire certains autres établissements en ville proposent des services plus complets mais ils ne me sont pas nécessaires , j’opte donc pour le délice d’un de ces bain de vapeur et décide de me désaltérer d’un thé dans la salle en attendant qu’il soit prêt.
Je descends donc les quelques marches qui m’ont amené à ma chambre et un thé fumant et parfumé m’est servi, il me revigore après cette journée de marche qui m’a vue atteindre mon but, le bain terminera de me remettre en bonne forme.
Otsu m’apporte mon kimono, il a été dépoussiéré et a bien meilleure allure qu’à mon arrivée. Elle me fait part que la ville dispose de nombreuses distractions, m’expliquant ça et là celles qui méritent mon attention puis m’indique que ce soir Doji Iname sama donne une réception à l’ambassade. Bien qu’étant récemment arrivé, elle ne doute pas que je puisse en tant que samouraï participer à la fête, il est de notoriété publique que ces soirées s’adressent à tous les samouraï de la ville.
- Il était dans mes intentions de me rendre à l’ambassade lui précise je.
Elle s’incline comme pour pardonner son audace et silencieusement d’un regard qui rejète toute sévérité de s’être ainsi avancé, je la remercie d’être averti de cette soirée, je devrais porter un kimono plus approprié.
Je déballe mes effets personnels et opte pour un kimono plus cérémonieux, d’un bleu presque foncé orné des décors d’un petit village à flanc de montagne survolé de grue dans un fil argenté très discret. Une fois correctement préparé à l’entrevue, je glisse dans ma ceinture avec précautions le plis de Daidoji Uji sama et prend la direction de l’ambassade.
Sur le chemin mon regard traîne ça et là sur les différents détails de la ville quand à proximité du bâtiment austère de l’ambassade, mon regard est arrêté par la silhouette d’un samouraï en grand harnachement sur un cheval mené par un palfrenier, il n’y a aucun doute dans mon esprit, c’est Daidoji Watanabe. Ainsi est-il donc remis de ses blessures et a-t-il quitté les terres de la famille Tsumé. Quelle étrange coïncidence de le retrouver à Nikesake en même temps que moi ! Je m’avance car il n’est nullement dans mes intentions de me substituer à sa vue pas plus que de remettre ma visite à l’ambassadeur à plus tard. Je continue donc d’avancer laissant derrière moi l’ombre de ma silhouette s’allonger aux caprices du soleil.
Quand j’arrive à sa hauteur, un serviteur descend les marches de l’ambassade pour l’accueillir mais mon pas m’amène au même instant à hauteur de Watanabe sama avant qu’il ait pu anticiper une quelconque action, il se contente de nous saluer et se place en retrait quand il comprend que nous nous connaissons.
Dans les civilités d’usage et mon intérêt à s’enquérir de sa santé, nos deux regards se croisent et silencieusement passe entre nous tout un tas d’évènements qui font qu’aujourd’hui nous sommes nous. Nous ne sommes dupes ni l’un ni l’autre de nos différents mais ils n’ont pas leur place en public. Un fois nos saluts échangés, Daidoji Watanabe s’annonce et demande à voir l’ambassadeur quand à moi je me présente et requiert de pouvoir voir Doji Isame sama lorsque bon lui semblera. Ma vassalité ne m’offre pas l’opportunité de requérir une entrevue dans la soirée au vue des obligations que l’ambassadeur a ce soir envers ses invités. Néanmoins, nous sommes tous deux menés à un salon et l'attente agrémentée d'un thé nous est offerte .
Watanabe sama m’expose le motif de sa visite, il est envoyé par Daidoji Uji lui aussi. Je ne relève en rien ses propos, il ne m’appartient pas de savoir ni de découvrir pourquoi Daidoji Uji sama ne nous a fait part ni à l’un ni à l’autre de nos missions respectives. Daidoj Watanabe me raconte qu’il a escorté Isawa Niki sama, la marieuse qui devait réunir nos deux familles. Un instant le doute m’étreint mais je comprend vite à ses propos que nul n’a eu vent de l’état extrêmement grave de Takeshi donô et que le silence a été maintenu face aux membres de la famille Isawa et à d’autres.
En moi même je sourirais si les circonstances n’étaient pas aussi dramatiques en m’imaginant Watanabe sama aux côtés de dame Niki sama pour une aussi longue route mais je n’en fais rien et écoute poliment ses propos bien que je suis certain que le voyage ne fut pour lui pas facile.
Le secrétaire de l’ambassadeur apparaît et nous fait part à tous deux du souhait de Doji Iname sama de nous recevoir, Daidoji Watanabe en premier, moi en second.
Watanabe me salut poliment après avoir posé sa tasse et s’être levé, je m’incline plus encore pour lui rendre son salut, il quitte la pièce et son départ me laisse seul face à mes propres pensées, sombres et douloureuses, souvenir d’une nuit où tout a basculé. Je reste ainsi à rêvasser un bon moment sans doute jusqu’à la seconde où le serviteur réapparaît, je me lève à mon tour laissant le temps reprendre sa place et ses droits sur ma personne.
Dans le dédale des couloirs, mes yeux se posent sur de magnifiques estampes et peintures évoquant des sujets aussi variés que le jeu de séduction de splendides courtisanes, des grues cendrées prenant leur envol au dessus des terres baignées par la lumière de la déesse Soleil ou encore l’illustration de la légende d’Isawa. Les couleurs sont vives et le talent assuré, nous passons de couloirs en couloirs jusqu’à arriver à la salle d’audience où je suis annoncé.
A ma surprise Doji Iname sama est jeune, fort jeune pour occuper une telle position, il a peine quelques années de plus que moi. Je m’approche de l’estrade qui le surélève quelque peu par rapport à ses invités et je m’incline front au sol en me présentant.Il a une voix douce et posée et c’est avec beaucoup de sollicitude et de tact qu’il me présente ses condoléances et regrets pour ce qui est arrivé à ma famille.
Je lui fait part de l’état assez grave de Takeshi donô à sa question de savoir comment il se porte puis lui remet le pli de Daidoji Uji et lui fait part des désiderata de ce dernier quand au rôle qu’il aimerait que Iname sama accepte dans cette affaire. Il n’est pas dans les intentions de ma famille de suspendre, pas plus que de renoncer à ce mariage mais le peu de personnes à être réellement au courant de l’état de mon daimyo, et Iname sama en fait maintenant parti, sont parfaitement conscients que le mariage ne peut avoir lieu dans de telles conditions pourtant il nous faut présenter un futur prometteur à la famille Isawa et dans ce but, le jeune ambassadeur semble tout désigné comme l’intermédiaire idéal.Après quelques secondes, il me fait part de son acceptation et m’indique de beaucoup de rumeurs ont circulé et circulent encore sur la famille Tsume, sur le meurtre de Tsume Retsu sama et sur l’absence de Tsume Takeshi à toute manifestation. Daidoji Watanabe lui a appris que des magistrats de la famille Doji ont été envoyés sur nos terres pour élucider cette mystérieuse attaque et y voir plus clair sur toute cette affaire. Mais ce soir, ma présence et celle de Daidoji Watanabe vont lui permettre d’y mettre en partie fin. Il m’invite à passer la soirée à ses côtés et à montrer un front uni dans les familles du clan de la Grue aux autres clans. L’attentat contre mon jeune daimyo doit être tû et s’il ne s’est pas montré depuis tout ce temps c’est qu’accablé par tant de chagrin, il n’a pu encore se résoudre à prendre part à la vie sociale et politique pas plus que de prendre épouse d’ailleurs.
Je l’assure de toute mon aide et promets de faire preuve d’une prudence accrue au cours de la soirée. Enclin à annoncer aux invités que le mariage aura bien lieu, il m’indique qu’il lira le pli d’Uji sama avant de confirmer une date, le solstice de printemps aurait pourtant été l’idéal mais peu importe.

Tous deux nous descendons accueillir ses invités. Les premiers à s’avancer sont des membres de la famille Shosuro, d’un geste élégant derrière son éventail, Iname sama m’indique l’identité de ces deux premiers invités, il s’agit de la jeune Shosuro Kintoki et de son père Shosuro Koraï. La très jeune fille dans un kimono de soie pourpre parsemé de scorpions, un obi large soulignant sa taille et ses hanches nous présente au travers de son fin masque un regard noir profond, dérangeant pour ma part tant il tente de scruter mon âme. Doji Iname sama semble être habitué à son petit jeu et s’en amuse ou est-ce de mon attitude timide face à l’intrigante beauté de Kintoki. Tous deux saluent leur hôte qui me présente et à mon tour je m’incline pour en me relevant voir le léger plissement des yeux de Shosuro Koraï, je jugerais que derrière le masque grimaçant qui lui cache la moitié du visage, il sourit.

... à suivre
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Iuchi Mushu
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Message par Iuchi Mushu » 11 sept. 2005, 11:15

Huitième volet, intermède

« Voilà bien longtemps que je n’avais pas ouvert ce carnet, j’y relis les derniers mots que mon pinceau y a laissés avec amusement. Shosuro Kintoki, elle n’était qu’une adolescente mais déjà si intuitive et audacieuse, déjà si Scorpion. Je me rends compte que cette affaire de vol à l’ambassade aurait pu tourner au drame si Daidoji Watanabe, Matsu Keiko et moi avions agi autrement. Je me rends compte que tout dans la vie est ainsi fait que la frontière entre le bon et le mauvais n’est jamais qu’un fil aussi fin que celui de l’araignée et qu’il est si facile de la franchir s’en même s’en rendre compte.
Comme sur la Voie du sabre, chaque geste a son incidence et ses conséquences.
Demain je quitte le monastère des Nuages Etincelant et Noriyama sama, il va me manquer presque autant que mon propre sensei. Après une année passée à ses côtés, je sais qu’il a été une grande figure du sabre mais il est resté discret sur sa vie et ça ne le rend que plus précieux, il ne m’a rien de dit de son passé et je ne lui ai rien caché du mien. Nous nous sommes compris au premier regard lors de mon premier séjour dans les terres du clan du Dragon, il y a si longtemps déjà et cette étrange complicité est restée. Nous sommes dans les terres du clan du Dragon et rien que cela évoque pour beaucoup le mystère et la peur. Mais ici, je n’ai vu que des hommes et des femmes comme moi, soucieux de leur devoir, s’entraînant avec rigueur, agissant avec honneur. Quant aux Ise Zumi, un seul est venu au monastère et je n’ai vu qu’un homme sage, serein, en harmonie avec lui-même, avec le monde. Tout ici est harmonie et vous transfigure quand vous le comprenez. Sans doute est-ce ça la richesse de ce clan et de ses membres, sans doute est-ce là aussi l’origine du malaise de ceux qui ne peuvent comprendre ou sentir cette harmonie.
Mon corps a changé, ma voix a mué et mon âme s’est apaisée même si je n’oublie pas les tourments qui ont agité mon existence, j’ai accepté de ne pas toujours pouvoir un impact sur la situation, j’ai accepté de pouvoir faillir. J’en avais déjà accepté les conséquences mais je ne pouvais me résoudre à admettre que même animé de la plus grande volonté et de la plus grande ferveur dans ma loyauté envers Tsume Takeshi, je n’ai pu empêcher cette attaque, pire l’anticiper. Je n’ai pu vu venir le coup et il a failli balayer ma famille de la carte de l’Empire et coûter la vie à l’homme qui est mon maître. Cet état de fait est comme une plaie béante dans mon honneur, une constante souffrance me rappelant que j’ai failli.
Bientôt je serais sur les terres de mon clan, de ma famille, je reverrai mon sensei et ma mère, mon frère peut-être, bientôt je reverrais mon maître et je lui offrirais ma vie pour avoir failli, failli à le protéger.
Peu importe que je vive ou non, je suis prêt à mourir depuis que je suis né. Mais entendre de la bouche de mon maître ce que sera mon destin sera pour moi une délivrance sur les évènements même si Noriyama sama ne cesse de me répéter que certaines choses ne peuvent être changées, qu’elles ont leur cours, immuable et inévitable.
J’ai prié les Fortunes tant de fois pour que Tsume Takeshi soit épargné et j’ai été entendu, il vit et se mariera bientôt. J’ignore tout des auteurs de cet acte odieux, j’ignore si à ce jour les coupables ont été châtiés mais si je vis, ils seront à jamais mes ennemis.
L’hiver touche à sa fin. Il a une fin, même ici. Le printemps avance ses droits petit à petit sur les arbres, les vents et les rivières. Le vent s’il est toujours puissant s’enroule dans un courant de chaleur et j’en arrive à oublier ses rafales et sa froideur mordante. Celle qui a mis à l’épreuve mon corps tant de fois, sous la pluie, la neige, dans l’eau glacée, la peau piquée de mille aiguilles qui affûte la moindre de vos terminaisons nerveuses vous montrant la réelle signification du mot vivre.
Mais ce vent m’a laissé une place dans son univers, il m’a accepté et s’est adapté à moi comme j’ai appris à m’adapter à lui, à en faire mon allié plutôt que mon ennemi. Ici l’eau, la terre et les vents vous offrent leurs rigueurs douloureuses mais vous acceptent si vous savez les comprendre et prendre votre place parmi eux. »

- Noriyama sama ? Je ne vous attendais pas, sinon j’aurais fait préparer quelque chose.

Il me sourit

- Ce n’est pas la peine Kenichi san, ce n’est pas une visite officielle.

Un peu décontenancé par sa visite, je le fais entrer et d’un œil anxieux, je vérifie que ma cellule est présentable mais il ne regarde pas autour de lui, il vient s’asseoir en face de l’endroit où j’étais assis. L’encre sèche sur les derniers mots que j’ai écrits, je me rassieds à mon tour.

- Je voulais te faire un présent avant que tu ne t’en aille et je ne voulais pas que cela soit dans le tumulte de la journée de demain.

Il a entamé la conversation franchement et ses paroles me gênent. Un présent ? Il m’a déjà tant donné. Des plis de sa manche il sort un ouvrage et par-dessus la petite table qui nous sépare me le tend.
J’en lis les kanji et je sursaute. « Nitten ! », ma réaction est immédiate.

- Non je ne peux pas accepter un tel présent, Noriyama sama, je n’en suis pas digne.
- C’est à moi d’en juger me rétorque-t-il.
- Ce sont là les enseignements de votre clan.

Il acquiesce à mes paroles, il vient de soulever un voile sur son passé, il fut autrefois Mirumoto. J’ai l’impression que je vais vaciller devant la puissance de ce qu’il m’offre. Il reprend.

- Ce livre me fut offert par mon sensei, il y a bien longtemps, il sera entre de bonnes mains s’il est entre les tiennes.
Cette dernière remarque me renforce encore dans la détermination de ne pas accepter ce présent. Si la relation entre Noriyama sama et son sensei fut à l’égal de la mienne, je sais que moi j’aurais extrêmement de mal à me séparer d’un tel livre.

- Je ne peux vous priver d’un tel présent.

Il fait glisser un genoux, se relevant légèrement et par-dessus la table se penche et vient déposer l’ouvrage sur mes genoux.

- C’est ma volonté qu’il soit à toi. Désires-tu aller contre la volonté d’un vieil homme ?

Je souris et mes yeux s’embuent, ma main passe sur le livre et je n’ose baisser les yeux une fois encore sur son titre. Noriyama se reprend sa place.

- Que fera-t-il ici ce livre quand je serais mort ? Il viendra grossir les livres de la bibliothèque.

Je proteste à nouveau

- Mais vos enfants que penseront-ils que vos ayez fait un tel cadeau à un étranger ?
- Je n’ai pas d’enfant Kenichi san mais si j’avais eu un fils et qu’il me ressembla un peu, je pense qu’il n’aurait pas vu d’inconvénient à ce que ce livre accompagne un homme tel que toi.
Je ne sais que répondre à cela, mes mains tremblent d’émotion.
- Tu aurais pu être le petit-fils de cet enfant que je n’ai jamais eu Kenichi et ce livre entre tes mains a sa place comme tu as la tienne sur la voie du sabre.

Ma gorge est nouée et une tension palpable s’installe dans la pièce. Je suis incapable de gérer les émotions qui m’assaillent et je ne peux que les retenir de toutes mes forces pour ne pas m’épancher outre les convenances. La dernière fois que j’ai ressenti un tel flot de sentiments c’était en face de ma mère dans le dojo alors que je n’étais qu’un enfant. Une question traverse mon esprit pour la cent millième fois : qui est mon père ? J’aurais aimé qu’un homme tel que Noriyama le soit mais là encore les mots ne passeront pas mes lèvres. J’en suis incapable. Je m’incline devant lui et la seule chose que j’arrive à lui dire en tentant de maîtriser l’émotion dans ma voix

- Vous m’avez déjà tellement appris.
- Appris ? Je n’ai pas croisé le bokken une seule fois avec toi.
- Vous savez ce que je veux dire. Vous m’avez appris à sentir l’univers autour de moi, à l ‘écouter et je me suis amélioré grâce à cela, je le sais.

Il sourit puis se met à rire comme pour briser cette ambiance pesante dont ni lui ni moi n’avons le secret. Je souris à mon tour.

- Pourquoi riez-vous ?
- Je me souviens de ta première semaine ici l’année dernière.

Je souris plus encore, je sais ce qu’il va évoquer, je l’anticipe.

- Oui j’ai été tellement naïf, maîtriser les éléments !

Il rit de plus belle.

- C’est ce que je t’avais demandé de faire. Le plus drôle c’était la mine inquiète de Miyoko qui chaque jour venait me faire son rapport et s’évertuait en conjonctures dramatiques de te voir ainsi t’exposer au froid, au vent, à la neige. Il était angoissé comme une mère poule pour son poussin. Et j’aurais du l’écouter.

Je ris franchement aussi

- Je n’ai pas été très prudent il est vrai et je me souviens de l’interminable chemin pour sortir de la salle du repas, la porte si lointaine et puis je me suis évanoui lamentablement comme un poussin fragile.

Noriyama reprend un peu de son sérieux

- Oui, je t ‘ai vu t’écrouler et là Miyoko est devenu blanc comme si tout son sang avait quitté son corps en une seconde. Il t’a veillé nuit et jour pendant presque une semaine.
- Il ne me l’a jamais dit.
- Est-ce qu’une poule dit à ce genre de chose à ses poussins ?

Il rit doucement. Je souris, il ne peut pas savoir. Ma mère ne me dit jamais rien de ce genre de chose. Je ne sais même pas si elle m’aime ou me déteste ou si son sentiment est entre les deux.
Il se lève et s’apprête à partir.

- Il se fait tard, demain tu as une longue route devant toi.
- Oui.

Je le salue et il sort. Je reste, debout, incrédule, les yeux posés sur le livre.
Nittten.
Ma main est fébrile, je m’assied et je l’ouvre. Je ne vais pas dormir de la nuit.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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