Texte sur un personnage joué sur la partie en ligne "Tempête Hivernale".
Kaze no Ai
Toute une vie d'honneur
Tourbillon de neige,
Pour son sourire.
Tempête hivernale
Dans le coeur et l'âme
D'un pétale perdu
La journée avait été chargée, depuis la réception des invités dès le matin, les premières doléances, le banquet de la mi-journée et les salons de l’après-midi. A présent que Dame Amaterasu avait cédé sa souveraineté à son ombrageux époux, dans la fraîcheur de cette première soirée, les représentants de tous les Clans s’étaient réunis pour admirer le spectacle tant attendu du maître artificier Agasha Toruki…
Installé non loin des dignitaires de la Cour d’Hiver, le jeune courtisan, caresse l'étroite cicatrice qui court sur le dos de sa main droite. Le visage fermé, il navigue en pensée sur le fleuve sinueux de ses souvenirs…
Asano cache soudain sous sa manche la fine balafre, signature de la lame familiale. Une hésitation, une simple hésitation a suffi à faire basculer sa vie. Une hésitation qui lui a permis néanmoins de trouver sa véritable place, sa voie. Sans cet échec, jamais il n’aurait appris les arts de la cour et de la politique, jamais il n’aurait cotoyé les plus hauts représentants de son Clan, et surtout… jamais il n’aurait eu l’honneur de la rencontrer, de la découvrir, de la connaître…
Son visage, mutin et angélique, semblait garder une trace de la fraîcheur de l’enfance, impression qui s’évanouissait dès qu’elle commencait un de ses légendaires contes. Le temps n’avait alors plus cour, les hauts faits du passé rejoignaient le présent et le monde chavirait au gré des milles récits de son imagination fertile. Sa petite taille, l’azur de son regard, la finesse de son visage, pâle reflet de celle de son esprit, jamais femme n’avait trouvé autant de grâce à ses yeux. Même sa démarche, unique, ne faisait que souligner l’équilibre et l'harmonie du joyau de la famille Doji.. Du jour où leurs chemins s’étaient croisés, alors qu’elle quittait l’école des artisans de la famille Kakita pour rejoindre Otosan Uchi, son parfum, sa voix, son sourire et sa grâce avaient envahi l’univers d’Asano et pris possession de son âme.
Mais avec l’enchantement de chaque nouvelle rencontre étaient apparus les tourments, les questions et les doutes. Doji Asano avait une foi inébranlable dans le juste agencement de l’Ordre Céleste, et il n’avait jamais compris pourquoi les Fortunes lui avaient insufflé de tels sentiments. Cela devait avoir un sens… une signification cachée qu’il lui appartenait de découvrir. Il avait cherché des réponses dans l’étude du Tao, des arts et des lettres, dans la conversation des moines et des shugenja, dans le recueillement et l’isolement, en vain. Toutes ces impasses avaient lentement conduit le jeune courtisan au bord du désespoir. Et le désespoir mène parfois à la tragédie…
Asano ne put empêcher un sourire doux-amer de naître au coin de ses lèvres, songeant aux circonstances qui l’avaient amené, aujourd’hui, à être confortablement installé, tout proche de l’objet de sa passion. Les hommes n’étaient que des poussières dans les vents des puissances célestes.
A peine quelques mois plus tôt, son karma lui apparaissait bien plus sombre. Attendant le début du spectacle, l’esprit du jeune courtisan continua son voyage…
Les magnifiques jardins du palais de la famille Doji étaient drapés des chaudes teintes orangées de l’automne. La subtile beauté du monde était ici mise en évidence dans toute sa simplicité et sa quintessence par les meilleurs artisans de l’Empire. La brise fraîche charriait les senteurs florales et l’iode. L’océan, puissant, venait frapper sans relâche les falaises que dominait le Kyuden. L’écume de ces vagues incessantes retombaient comme un salut, un hommage à la création humaine.
Dans l’étroite allée dallée d’un jardin sec, Asano marchait nonchalamment. Humant l’air parfumé, il ne parvenait guère, en dépit de la sérénité des lieux, à trouver la quiétude.
Son kimono à manches amples était brodé des soies les plus fines, mélange harmonieux du bleu d’un lac clair sous un ciel azur avec celui des sombres fonds marins. Le long des manches et du col, les fils d’argent tissaient la danse d’une myriade de feuilles prises dans la folie de tempêtes imaginaires.
De ses mains longues et fines, il jouait nerveusement avec son éventail favori, lames de bambou irisées qui, déployées, révélaient l’envol d’un couple de grue sur une nuit étoilée.
Ses cheveux, lisses et soyeux, retombaient libres sur ses épaules, cascade de la neige la plus pure.
Sur son austère haori de cérémonie, un oeil exercé pouvait deviner, dans les gris entrelacs de velour, les mon de son Clan et de sa famille.
Non, ce matin-là, même les jardins merveilleux ne suffisait à apaiser son émoi. Asano avait été reçu par son seigneur, Doji Hoturi, dans la salle d’audience du palais. Agenouillé devant son daimyo, il avait été complimenté pour sa maitrîse lors d’un entretien avec Ikoma Kanjiro, entretien qui avait permis à Asano de rendre le barde du Clan du Lion redevable de celui de la Grue. L’élégant prince des Doji observait son vassal avec circonspection.
D’une voix calme et parfaitement maîtrisée, il avait repris la parole :
“Je me souviens du jeune étudiant peu assuré que j’ai rencontré à Shiro sano Kakita, Asano-san, et je me rends compte aujourd’hui du long chemin parcouru depuis…”
La remarque n’appelait aucune réponse, mais Asano avait néanmoins aquiescé en se redressant.
“-Tu as démontré aujourd'hui que ton verbe sert le clan avec autant d’habileté que ton sabre le fit naguère, et avec davantage d’assurance…
- Domo arigatô, Hoturi-donô. Je ne fais que mon devoir, Monseigneur, et j’y mets à chaque instant toute l’inspiration que les Fortunes me prêtent.”
Quelque chose sonnait faux dans ses dernières paroles, mais Asano balaya cette pensée incongrue, gardant un visage composé. Le compliment de son seigneur lui redonnait force et vigueur, deux atouts dont il avait cruellement besoin.
- Oui, tu honores ton dojo, tes sensei et ta famille, Asano-san. Pour ces raisons, j’ai décidé de t’accorder ma confiance…”
Le jeune homme sentit son coeur s’emballer à ces mots, s’emplir d’espoir et de fierté.
“- Notre Clan est le coeur et l’âme de l’Empire, mon ami, et en montrant au monde le raffinement et l’excellence dont nous sommes les héritiers, nous ne faisons que servir à la gloire de l’Empereur…”
Asano se demandait où son seigneur voulait en venir avec de si belles et solennelles évidences.
“…et c’est pour ces raisons que la Cour d’Hiver de la Grue doit être la plus fastueuse, uniquement éclipsée par la Cour du Prince Céleste. C’est une lourde responsabilité que celle-là… Et je t’en délègue une partie, Doji Asano-san. Cet hiver, tu recevras nos invités, tu leur procureras délice et contentement, afin qu’ils n’oublient jamais où se trouve la vrai puissance de la Grue…
- Hai, Doji Hoturi-donô !” Asano avait répondu avec une ferveur martiale, abasourdi par l’honneur qui lui était fait. Une vaste tâche, mais des plus prestigieuses, qui, s’il l’a menait à bien, lui ouvrirait les portes d’une carrière qui couvrirait le nom de ses ancêtres de gloire.
Satisfait, Doji Hoturi l’avait congédié après les formules rituelles que l’étiquette exigeait.
Et ainsi, Doji Asano parcourait les jardins, en proie à un total désarroi. Sa raison, sa conscience, ses ancêtres, tout en lui le guidait sur le chemin du devoir. Il aurait dû se sentir heureux, fier, entier… Et ses sentiments ne lui étaient pas étrangers. Mais quelque chose, un souffle qui n’avait rien de commun avec la raison ramenait malgré sa discipline, derrière l’azur de ses yeux un visage de porcelaine, un bruit de tissu, un rire cristallin, une brise de printemps. Et Asano ne trouvait pas la paix.
Comment pourrait-il remplir ses devoirs avec rigueur si son esprit était ailleurs, comment pourrait-il honorer les si hautes exigences de son Clan sans trahir son coeur ?
Il hâta l’allure et quitta l’enceinte du Palais. Il existait un lieu où sa détresse connaissait un répit, un être seul capable de lui apporter un peu de réconfort…