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par Kakita Inigin » 27 sept. 2015, 21:17
- Vous voulez dire... avoir de beaux vêtements, fréquenter les puissants seigneurs du Conseil et se marier avec des nobles ? Ma fille pourrait faire ça ?
L'espoir se lisait dans ses yeux, mais Retsu crut discerner dans le froncement des sourcils, tressaillants, incertains, peut-être une nuance d'autre chose : la rapacité qui transformait la ménagère la plus courageuse en oiseau de proie dès qu'une fortune, acquise par l'intensité de l'effort ou par la chance la plus fortuite, s'annonçait à sa porte et prétendait pouvoir transformer son quotidien, lui ouvrir de nouvelles perspectives, changer son lieu de vie et sa façon de vivre, et tout cela lui arrivait maintenant, aujourd'hui, maintenant, par le propre fruit de ses entrailles, par l'effet de quelque chose qu'elle avait fait, elle, et auquel elle demeurait attachée par un lien incassable et irréfutable.
Mais en même temps, la conscience, intériorisée et ancrée par des siècles de domination militaire, culturelle, théologique, que le monde était figé, qu'il y avait les nobles auprès du Soleil et les paysans dans la fange, et qu'elle ne pouvait passer ainsi d'un monde à l'autre, d'un mode de vie à l'autre, d'un statut à l'autre, sans être prise pour une imposture, sans que son acte soit illégitime, sans que les foudres de la colère de ceux qui dirigeaient le pays s'abattent sur elles, et sans que tout ce qu'elle avait possédé ou cru posséder, ou rêvé posséder, et sa vie même et celle de son enfant, soient anéantis comme le tourbillon anéantissait la meule de chaume dans les plaines, la retenait, comme par l'effet d'une corde rigide et souple à la fois, et l'empêchait de profiter de ce hasard du destin et de se réjouir.
C'est pourquoi la réponse qu'elle fit à ses propres questions fut empreinte de modestie et de la recherche, commune chez les gens du commun, d'une assurance apportée par ce qui faisait autorité dans ce monde dominé par les divinités :
- Il faut que j'en parle au prêtre du quartier.