[2.13-MR-HK] Questionnement

[Hida Koan]

Shimokaze avait filé comme le vent, entre les stèles, devant les deux gardes gris et sur le chemin du retour. Lorsque les murs de la ville étaient apparus, il s'était mis au trot puis au pas, tout seul. Ils avaient tous les deux perdu de leur superbe. Les pompons colorés du cheval étaient tout flétris, ses jambes couvertes de boue, sa crinière dégoulinante. Kei n'était pas mieux : trempée jusqu'aux os, l'armure crissante emplie d'eau, pleine de boue aussi et les cheveux collés au visage. Elle retira son kabuto pour passer la porte Ouest et s'engagea dans la Rue Longue.

Qu'allait-elle faire ? Qu'avait-elle vu exactement ?

Et bien... Une créature ? Oui, une créature appeler son compagnon par un doux murmure d'outretombe "Retsu-kun tu es venu..." Et puis, oui, il y est allé. Et il n'a rien fait du tout. Il est resté avec elle comme si c'était une situation normale. Elle a eu beau crier, couiner?, gesticuler. Elle avait eu l'impression d'être transparente.

Elle hésitait. Jalousie maladive : c'était ridicule. Ce n'était pas une femme, mais un monstre. C'était stupide ! Ce n'était vraiment pas là le plus important. Comment est-ce qu'elle pourrait "simplement" être jalouse ?
Angoisse : il la connaissait... Est-ce qu'il n'avait pas déjà glissé trop loin ? Ça ne pouvait pas être son amie... C'était une monstruosité! Comment est-ce qu'il avait pu ne rien faire ? Ça frôlait la traitrise ! Ça la frôle seulement ? Et s'il la voyait de longue date ? Et si c'était vraiment un traître au clan ?

Elle passa devant la caserne de la garnison ouest, pensa à Shigeo un instant, mais continua sa route. Pas comme ça et pas maintenant... Oui mais, c'est ton ami... Quand bien même, je ne veux pas lui imposer mon histoire. Et si elle lui racontait et qu'il décidait de tuer Retsu ? Les autres seraient peut-être moins indulgents... moins aveuglés.

[Hida Koan]

Elle avançait, au pas, dans la rue, tout le monde s'écartait : on ne reste pas devant un cheval. Elle se retrouva à l'intersection de la rue des forges et bifurqua sur la droite, sans faire vraiment exprès. Quand elles se rendit compte d'où elle allait elle s'arrêta. Est-ce que j'ai vraiment envie de voir mon frère comme ça ?

Elle continua un instant... Et Minako alors ? Comment est-ce qu'elle pouvait être au courant de ça? Elle aussi c'était une traitresse ? Elle l'avait bien envoyé là-bas, elle devait forcément savoir qui l'attendait. Elle se retrouva devant la forge et s'arrêta, les habitudes ont la vie dure. Elle resta au moins quinze minutes sans bouger, la tête pleine de questions. Sa belle-soeur finit par sortir en trombe :

- Hida-sama, vous avez besoin d'aide Hida-sama ? Un marche-pied ? Du thé ? Sécher votre armure ?

- C'est moi Akiko-chan.

Elle démonta, sous les yeux éberlués de la mère de famille.

- Tu as un cheval !?

- Pas vraiment... Je peux entrer ?

Avisant la mine déconfite de sa parente, Akiko se poussa et laissa Kei entrer dans le magasin. Elle prit le cheval et l'emmena dans la cour, on ne savait jamais. Ensuite elle tourna la pancarte sur la porte, car visiblement, ce n'était pas le moment de recevoir du monde.

- Ça va ? demanda-t-elle doucement.

- Tu peux m'aider avec mon armure ? répondit Kei comme si elle n'avait rien entendu. Et oui j'aimerais bien qu'elle sèche dans la forge, un peu, avant que je reparte.

Akiko ne dit rien et passa des dizaines de minutes à défaire chaque morceau de l'armure, en s'acharnant sur les cordelettes trempées dont les nœuds étaient resserrés. C'était long de défaire une armure, encore plus une armure mouillée. Kei aidait mais bougeait au ralenti. Ça ne facilitait pas les choses et rendait le désharnachement encore plus lent que d'habitude. Akiko porta chaque pièce dans la forge, au chaud, là où ça sècherait vite. Elle fit signe à son mari de rester où il était et revint avec une serviette.

- Je vais faire du thé. Va te plonger dans le baquet là-bas, dit-elle en lui ôtant son kimono, je te dis quand c'est prêt.

[Hida Koan]

Elle se tenait en poussant contre les parois de bois, elle était assise en tailleur au fond du baquet, la tête sous l'eau. Ses cheveux flottait comme des algues noires et recouvraient presque toute la surface de l'eau. Elle entendit un bruit sourd et une légère onde de choc emplit la baignoire. Elle relâcha ses muscles et remonta, le visage derrière un rideau de cheveux trempés, à respirer l'air humide emprisonné dessous.

- J'ai poli tes sabres, dit la voix de son frère, et le thé est prêt depuis longtemps. Ton armure aura bientôt fini de sécher aussi... Sors de là, tu va être ridée comme un pruneau.

Elle se leva, se dépatouilla avec ses cheveux très longs... et très lourds quand ils étaient mouillés. Utagawa vit tous les hématomes sur son corps et étouffa un juron. Elle les avait presque oubliés. Elle ne semblait pas vraiment avoir mal. Enfin en tous cas elle avait l'air plus perturbée que percluse de douleurs. Elle rentra dans la maison, Akiko lui avait préparé des vêtements.

- Je me suis occupée du cheval également, dit-elle en amenant une théière dont elles servit trois tasses.

Kei s'habilla, sous les babillages légers de sa belle-soeur. Elle prenait des gants aujourd'hui.

- Tes affaires sont presque sèches. Mais je ne les ai pas lavées, juste fait sécher. Le cheval est étrillé... Enfin avec les moyens du bord, et on a mis son harnais près du fourneau aussi. Je ne te cache pas que les pompons font la gueule.

Ça arracha un sourire à Kei qui était en train de nouer la ceinture. Akiko fut un peu soulagée.

- Tu seras moins impressionnante maintenant. D'ailleurs ce sera quoi la prochaine fois ? Tu as déjà traversé la ville pleine de sang de la tête aux pieds, sur un cheval digne de l'Empereur... Sur les mains ? Tu devrais essayer sur les mains... Personne n'a jamais vu ça je crois.

- Arrête de me charrier Akiko-chan, j'ai passé une mauvaise journée.

Utagawa lui massa un peu les épaules.

- Bon, je vais ficeler ton armure après. Tu la remettras plus tard non ? Puis tu as un cheval pour la porter !

- Elle sera beaucoup trop petite pour le cheval, murmura Akiko en tendant une tasse de thé à Kei.

Utagawa leva les yeux au ciel et Kei rit, un petit peu. Elle avait bien fait de venir ici.

[Hida Koan]

Elle resta un moment chez son frère.

Qu'est-ce que je vais faire? se demandait-elle Est-ce que je le dis à quelqu'un ? Est-ce que je le fais mettre aux arrêts ? Est-ce que je le frappe ? Est-ce qu'il s'est enfuit ? Est-ce que je l'écoute ? Est-ce que je le tue ? Et pourquoi je ne l'ai pas tuée, elle, d'abord ? Moi non plus je n'ai rien fait...

- Kei-chan, tu manges avec nous ?

Elle réintégra son corps.

- Il est quelle heure ?

- Il ne doit pas être loin de l'heure du coq, peut-être même qu'on y est déjà.

- Je peux pas. On a une opération ce soir. Mais peut-être que je pourrais dormir là ? Enfin je sais pas si on va pas finir au milieu de la n...

- On posera un futon en bas. Si tu rentres tôt tant mieux, sinon on te verra demain matin. De toutes façons, nous on est en haut, tu ne nous dérangeras pas, même si tu arrives tard. Tu vas partir avec une clef. Comme ça, même fermé, tu pourras rentrer, dit son frère.

- Merci.

- On a harnaché le cheval et j'ai fixé ton armure dessus. Tu vas quand même marcher ma soeur !

- Merci.

- Arrête avec tes merci. Allez, dégage, tu vas être en retard non ? On se voit toute à l'heure !

Kei pris la clef et retrouva Shimokaze dans la cour. Elle le fit passer sur le côté de la petite maison et pris sa belle-soeur dans ses bras.

- On se voit toute à l'heure alors Akiko-chan. Me...

- Tais-toi un peu ! la coupa-t-elle. Je te garderai à manger, je te laisserai un bento en bas... Si tu as faim en revenant. Et dépêche toi de partir, si les petits rentrent, tu n'es pas prête de décoller d'ici.

La jeune épouse flatta les flancs du cheval, son museau... Et lui donna une carotte.

- C'est un bon cheval. Prends en soin. Même si ce n'est pas le tien.

Elle mena Shimokaze par la bride vers la place du grand temple. Il était bien temps de rentrer.

[Vlad]

C'est alors qu'elle l'aperçu. Il était crotté jusqu'aux genoux, dégoulinant d'eau et semblait chercher désespérément autour de lui.

Il ne l'avait pas vu... Pas encore...

[Hida Koan]

Il ne s'était pas enfui.

Elle ne sut pas quoi faire à part se cacher derrière le grand cheval blanc... Oui, oui... Plus c'est gros, plus ça passe, c'est ça ? "Tu ne pourrais pas te faire plus petit ?" murmura-t-elle à Shimokaze.

La place du grand temple était encore bondée, autochtones, charrettes, visiteurs, marchands, ambulants ou non, tous se rentraient dedans gaiment en cette fin de journée. Elle poussa tout le monde jusqu'à arriver près du grand temple, et en longea la façade, pleine d'étals. Certains marchands grommelèrent qu'elle fasse attention avec sa bestiole. Protestation qu'elle fit taire d'un regard. Shimokaze fit tomber quelques vaisselles, avec sa queue. Il était très calme, même au milieu de toute cette foule, mais c'était quand même un gros animal, il prenait de la place et n'était pas très attentif. Craignant l'esclandre du marchand, elle lui paya tout ce que le cheval avait cassé. Elle entreprit de le mener un peu moins proche des boutiques, sinon elle allait y laisser sa solde. Elle ne voyait plus Retsu, et c'était tant mieux.

Elle resta coincée cinq bonnes minutes au milieu de la cohue. N'y tenant plus elle mit de grand coup dans son armure, qui recula un peu sur la selle, et pu se hisser sur le dos de la monture. Elle n'allait peut-être pas aller beaucoup plus vite, mais au moins elle y verrait quelque chose. "Dégagez vous de là si vous ne voulez pas que je vous piétine". Les gens s'écartaient beaucoup plus depuis qu'elle était sur Shimokaze... Avant cela ils ne craignaient pas qu'il parte au galop alors qu'il était mené par la bride. Maintenant c'était une autre histoire.

[Vlad]

Elle aperçu Retsu, à l'autre bout de la place. Il s'entretenait avec un heimin qui pointa du doigt en direction du temple. Dans sa direction...

Le jeune homme détailla la direction montrée par son interlocuteur. Ce fut alors qu'il la vit.

Il essaya de se frayer un chemin dans la foule afin d'aller à sa rencontre et sembla crier quelque chose qui se perdit dans le brouhaha ambiant...

[Hida Koan]

Elle était presque sortie de la place quand il la rattrapa. Elle pensait avoir écraser un ou deux pieds... Tant pis. Au moins avait-elle essayé. Elle resta bien droite et ne le regarda même pas. Elle ne savait même pas ce qu’elle allait faire de toutes façons. Elle talonna un peu le cheval, qui poussa les dernier récalcitrants et elle déboucha enfin dans la rue des entrepôts, toujours chargée mais moins bondée que la place. Elle ne descendit pas de Shimokaze, et continua tout droit, au pas. Elle n'allait quand même pas blesser quelqu'un.

[Vlad]

"Kei-chan..." fit Retsu une fois arrivé à sa hauteur.

Elle ne le regardait même pas.

"Kei-chan..." fit-il plus faiblement.

"Pourquoi ne veux-tu pas me parler ?? Pourquoi me fuis-tu ??"

[Hida Koan]

Elle était étrangement calme. Ça l'avait tellement secouée qu'elle n'avait plus d’énergie pour faire grand chose.

"Parce que je ne sais pas ce que je dois faire, ni décider" dit-elle sans bouger de la selle.

Plus que le pont du général, la rue des auberges, longer le quartier noble et elle serait arrivée pensait-elle.

[Vlad]

Retsu resta silencieux, se contentant de marcher à ses côtés, le regard rivé sur le sol boueux.

[Hida Koan]

C'était très bien qu'il ne parle pas. Elle ne savait pas quoi lui dire de toutes façons.

Ils passèrent le pont du général sans trop de problème. Les gens s'écartaient sur leur passage. Ils restèrent silencieux. Ils prirent sur la gauche. La rue des auberges n'était pas encore très fréquentée à cette heure.

" Tu devrais te laver et te purifier avant ce soir. Je ne te laisserai pas approcher les autres sans ça." dit-elle froidement. "Et tu devrais aussi aller voir Kuni Shiranai... Sinon je t'y emmènerai moi-même."

[Vlad]

Retsu hocha la tête silencieusement.

"Je vais y aller..." finit-il par articuler après de longues secondes de silence.

"J'aimerai que tu m'accompagnes voir Kuni-gozen..." finit-il par lâcher avant de la laisser, prenant la direction du sanctuaire de Bishamon...

[Hida Koan]

Elle ne comptait pas l'accompagner là-bas... Peut-être pour s'assurer qu'il y allait bien, mais pas plus.

Il partit. Elle se demanda si elle devait le suivre pour s'assurer qu'il fasse tout ce qu'il fallait pour se purifier. Mais elle préféra rentrer au dojo. Elle était moralement épuisée, et il faudrait qu'elle soit alerte ce soir.

Elle n'avait pas pu se convaincre de le traiter comme un traitre et ne l'avait pas trainé non plus, de force, pour se faire interroger par elle ne savait qui. Elle était faible avec lui...

Elle ne mit pas très longtemps à rentrer au dojo.

[Hida Koan]

Elle passa la porte fourbue, alla remettre Shimokaze dans la seule stalle du dojo et le gratifia d'une accolade qu'on réserve habituellement aux humains. Le palefrenier retira le harnais, la selle, l'armure de Kei, qu'il fit porter dans la chambre attenante à celle de Yoshiko et s’occupa du cheval.

Elle demanda à ce qu'on fasse prévenir Yoshiko, qu'elle avait ramené son animal sain et sauf.

Elle passa la tête dans le pavillon de thé. Il n'y avait personne, à part Shigueru, qui dormait contre un mur, au milieu de tout un fourbi d'armes. Il était comme ça, il dormait souvent avant une mission, et il pouvait dormir n'importe où. Elle referma le shoji une fois entrée. Elle s'approcha de lui, s'assit sur ses cuisses et l'embrassa. Il lui rendit son baiser et finit par ouvrir les yeux. Il arrêta de bouger complètement, ne fit rien pour la repousser, ni pour l'encourager. Il ne fit rien du tout. Quand elle s'arrêta il dit enfin quelque chose.

- Toi, ça ne va pas.

Il se passa la main sur le visage, mais ne chercha pas à la déloger de sur ses genoux.

- Arrête de faire ça quand même, j'ai l'impression d'embrasser ma soeur.

- ... T'as pas de soeur...

- Et bien je suppose que ça doit faire une sensation dans ce genre là.

Il la prit dans ses bras, contre lui, et posa le menton sur sa tête.

- T'aurais du me dire que t'étais amoureuse de moi. Je serais pas allé si loin dans mes tractations de mariage avec une fleuriste... dit-il gentiment.

- Ah, ah.

- Dors, va. On a plein de travail ce soir.

Elle pleura sur son épaule, il lui frictionna un peu le dos... Et ils s'endormirent tous les deux comme des masses.