Message
par matsu aiko » 30 nov. 2014, 12:39
Les Fortunes soient louées, on ne nous demandera pas de raconter quoi que ce soit.
La courtisane retient un soupir. Cette impression de catastrophe imminente qu'elle a depuis tout à l'heure ne s'est pas dissipée et elle n'arrive pas à se concentrer sur ces histoires macabres qu'elle entend depuis tout à l'heure.
Ryuji se racle la gorge. Il ne sera pas dit qu'il sera en reste ! Il réfléchit, puis se lance.
Les plaines s'étendaient à perte de vue, tapis drus jaunis par le soleil et la chaleur accablante de l’été, même autant au nord de la chaîne du Toit du Monde. Le cavalier au chèche beige se dressa sur ses étriers, ses yeux gris s'étrécissant dans l'ombre du tissu enroulé autour de sa tête et de son visage. Peut-être, là-bas, une petite forêt, un endroit où camper. Une heure de galop, guère plus - cela conviendrait parfaitement. Il appela son aigle avant de presser les flancs de son cheval. Ce dernier était vif comme les vents et plus endurant que les montagnes. Même après une journée de chevauchée, il avait encore la force de galoper à la vitesse d'un étalon retrouvant son écurie ; peut-être devinait-il l'herbe fraîche qui l’attendait là-bas…
Le paysage défila à une allure folle autour du cavalier Licorne, l’aigle trompetant de temps à autre, signalant sa présence. L'homme au chèche avait dressé lui-même ses deux animaux, et il en était fier. Aussi fier que de sa vue, lorsqu’il atteignit enfin le couvert des arbres. Mais il n’était pas seul. Un splendide destrier, dont le harnachement ne pouvait appartenir qu’à une guerrière, broutait tranquillement. Aussi ce fut au pas qu'il s'introduisit sous la frondaison, sans hâte, son corps souple compensant avec aisance les mouvements de sa monture. Devant un feu surmonté d'un petit récipient en métal, une jeune femme sculpturale aux yeux verts et aux cheveux d'un noir bleuté attendait, sereine. Elle était en kimono - son armure devait se trouver dans la tente un peu plus loin. En l'entendant arriver, la guerrière leva les yeux vers lui. Le cavalier descendit de sa monture tranquillement, avant de s'agenouiller et de s'incliner. Elle fit de même, exactement à la même hauteur.
- Shinjo Malik.
- Otaku Yu Meili. Vous venez partager ma retraite ?
- Si cela ne vous dérange pas, Otaku-san. Si vous le souhaitez, j'ai de quoi faire à manger.
Elle eut un rire cristallin en se couvrant la bouche de la main, les yeux étincelants.
- Ce ne sera pas nécessaire. J'ai assez pour nous deux.
Malik hocha la tête, avant de se relever. Il déchargea son petit sac de l'arrière de sa selle, avant de donner un petit coup du plat de la main sur la croupe de sa monture. Le cheval comprit le signal et partit brouter dans son coin. Le cavalier défit le sac, posant deux couvertures sur le sol, son arc et son carquois à côté. Ainsi, à la réflexion, que son katana. Il sortit ensuite de quoi faire un thé, et se mit à l’œuvre comme son père le lui avait appris.
Lorsque le thé fut prêt, il en versa avec cérémonie une tasse de thé épais, moussu, à Yu Meili. Il se servit une tasse, puis ôta le tissu qui recouvrait son visage. Il entendit le hoquet de surprise de la jeune femme. Son visage faisait cet effet à tout le monde.
- Les tatouages de la famille... Les ronces nourries par l'eau du désert.
Ce faisant, il suivait le tracé des ronces le long de son front, ses tempes, ses pommettes ; il esquissa le tracé le long des mâchoires et du cou ; on pouvait également discerner, de-ci de-là, des gouttes qui perlaient des pointes acérées. Il arborait un sourire tranquille avant de boire son thé brûlant à petites gorgées. Yu Meili mit un instant à s'en remettre, mais parut apprécier le thé.
- Amer mais... délicieux.
- Ce thé, le premier d'un service de trois, est amer comme la vie.
- Et les deux autres ?
- Vous verrez, Otaku-san.
Son sourire s'élargit légèrement. Après avoir fini sa tasse, il se leva pour aller voir le riz. Cuit à point.
- Donnez-moi votre bol, je vais le remplir.
Yu Meili n'avait pas menti : il y avait largement assez de riz pour deux. Durant tout le repas, ils n'avaient cessé de se regarder à la dérobée. Et s’étaient décidés de passer à plus de familiarité, réunis par la solitude du lieu.
- Tu n'as pas de tente ?
- J'aime dormir à la belle étoile. Sauf lorsqu'il pleut, mais je gage que ce ne sera pas le cas cette nuit.
- Voudrais-tu partager la mienne ?
Malik prit le temps de mesurer sa réponse, regardant la jeune femme et son sourire, engageant, chaleureux.
- C'est une proposition, Yu-san ?
- Oh que oui. Comme ca, j'apprendrai tous tes secrets !
Elle eut une grimace amusée. Elle se moquait gentiment de lui, mais en fait, ces avances ne lui déplaisaient pas.
- En ce cas, laisse-moi préparer le second thé.
- Qui est ?
- Fort comme l'amour.
Lorsqu'elle but le second thé, ses yeux pétillèrent. Elle reposa sa tasse avec un sourire.
- Il est plus équilibré que fort...
Malik se leva pour s'agenouiller derrière elle, l'enlaçant doucement.
- Tu n'as pas goûté le troisième encore.
Il dégagea délicatement les cheveux de la jeune femme, posa ses lèvres sur son cou. Il commença à préparer le troisième thé, alternant les gestes familiers avec des baisers et caresses. La jeune femme se laissait faire, les yeux fermés. Le parfum du thé les enveloppait comme un voile de soie. Il porta la tasse à ses lèvres, y faisant couler une gorgée du liquide crémeux et odorant. Elle avala docilement une gorgée, toujours immobile. Le jeune homme s'enhardit, glissa sa main dans le kimono. La jeune femme poussa un gémissement et saisissant son kimono, le mit au sol avec une force surprenante, puis l'embrassa, pleine de désir. Elle ôta d'un geste brusque son chèche et caressa ses cheveux bruns, commençant de l'autre main à défaire sa ceinture, son kimono. Elle s’écarta le temps de lui murmurer, les yeux dans les yeux :
- Je te veux. Maintenant.
Elle se pencha ensuite, son regard toujours fixé dans celui de Malik, lui embrassant le cou, s'attardant lascivement sur sa poitrine, avant de descendre plus bas, laissant ses lèvres, sa langue, goûter la peau du jeune homme. Elle était douce, un peu salée, musquée – comme elle aimait. Elle lui donna encore un coup de langue langoureux, savourant l’anticipation du plaisir à venir, l’abîme avide au creux de son ventre, qui allait bientôt être comblé. Puis elle ouvrit la bouche, et mordit à pleines dents.
Un peu plus tard…
Une petite brise soulevait un morceau de tissu beige, le faisant onduler comme une mer miniature, à côté de la ceinture de cuir délaissée. Cela avait été délicieux, vraiment délicieux. Elle se lécha les lèvres, le nez, avant de poursuivre le nettoyage par le reste du visage et de sa poitrine, quelque peu collants du festin qu’elle venait de s’offrir. Elle se cura la mâchoire inférieure de son ongle de fer, puis recracha négligemment un débris resté coincé entre deux molaires et écarta avec un soupir l’os à présent vidé de sa moelle. Ah, si seulement ils pouvaient tous être comme ça…Elle jeta un regard attendri sur les habits épars, les armes abandonnées, et avisa la tasse de thé, à présent tiède. Doux comme la mort, avait soufflé Malik à son oreille, pour sceller cette nuit d’amour sans attache, sans lendemain. L’ironie involontaire l’avait fait sourire.
Elle prit la tasse, et savoura l’arôme du thé, avant de l’avaler d’un seul coup, tasse comprise, broyant la porcelaine dans ses mâchoires puissantes, avant de la recracher par petits morceaux, comme des pépins. Son ex-propriétaire méritait bien ça.
La yama-onna s’étira, bailla. Le cheval avait fui, effrayé par le hurlement suraigu de l’homme avant qu’elle ne lui broie la gorge. Il faudrait probablement qu’elle le traque – l’isolement de cette contrée avait ses avantages, mais la viande était rare.
Elle s’apprêtait à se lever quand une brusque douleur lui cisailla le ventre. Un fragment de porcelaine ? Non, son estomac insatiable était à l’épreuve de ce genre de chose. Elle n’eut pas le temps de s’interroger plus avant car un nouveau spasme la plia en deux, bien plus violent que le précédent. Puis un troisième, qui lui coupa la respiration.
Elle se tordit de douleur, le visage violacé, sous l’effet de nouveaux spasmes, et se remémora les gouttes dessinées du tatouage d’épines. Elle commença à maudire Malik, ses ancêtres, sa descendance, et toute cette misérable engeance de pillards du désert, avant de s’abattre lourdement dans les plis du chèche ensanglanté.
On ne peut vraiment plus faire confiance à personne, fut sa dernière pensée.
Tout était tranquille sous les frondaisons obscures, Seigneur Lune était haut dans le ciel. C’était l’heure du Bœuf.
Le barde a un sourire satisfait et se rassied avec élégance au milieu de la délégation du Clan du Lion, médusée.
Il se tourne vers Ikoma Sume, bouche bée, qui le regarde comme s'il avait craché sur son kimono.
- Quoi ? On a dit une histoire de fantôme, non ? On n'a pas donné de consigne au sujet de son contenu. Ce petit conte vous agrée-t-il, Bayushi Shoju-dono ? Je sais qu'il n'est pas très conventionnel mais... je ne suis pas moi-même conventionnel.
- Il n’y a pas de souci, Ikoma-san. N'oubliez pas de souffler la bougie.
- C'est vrai.
Et Ryuji se penche pour obtempérer, ce qu'il fait avec une emphase dramatique fort à propos.