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par matsu aiko » 27 sept. 2014, 13:30
Les répétitions en grande tenue, costume, coiffure et maquillage, sont toujours plus difficiles que les autres. D'abord parce qu'il s'agit en général des ultimes répétitions avant la générale, puis la première, et que la tension monte aussi bien chez les acteurs que le metteur en scène. Ensuite parce que selon la saison, la chaleur rend les gens à moitié fous... Enfin parce qu'après, il y a toujours une foule d'admirateurs qui fait le siège des loges et que depuis qu'elle a intégré la troupe, celle de Tsukiko est assidûment fréquentée. Ce qui, il faut bien le dire, ne l'aide pas à faire retomber la pression que la représentation a fait peser sur ses épaules.
Quelques admirateurs, c'est bien, mais quand sortir de sa loge ressemble à briser un siège, c'est trop.
Enfin, quand le calme revient après une énergique intervention de Shichisaburo, il lui est possible d'inspirer profondément. Puis d'enlever la lourde coiffe qui la couronne, les nombreux ornements, les bijoux, les accessoires. D'ôter les nombreuses couches de soie polychromes du somptueux costume, d'enfiler son yukata aux grands dragons d'or et d'argent. Et de s'asseoir, de faire face au miroir de bronze poli, de prendre un linge pour effacer l'épais maquillage qui change ses traits et dissimule son identité.
La crème dévoile la peau d'albâtre veloutée, les lèvres pulpeuses, les sourcils délicatement arqués, le nez aristocratique.
Le tissu rend à l'ovale délicat du visage et aux traits purs l'aspect qu'il a quand elle ne monte pas sur scène, quand elle n'a pas besoin de cacher son identité aux yeux de tous.
Quand l'actrice Ohan redevient Shosuro Tsukiko.
Il y a, dans ces spectateurs enthousiastes, des habitués. Ils viennent voir et revoir le spectacle, et pour les plus assidus, assister aux répétitions. Il y en a même certains qui ne manquent pas une représentation, depuis que la troupe de Shichisaburo est venue s'installer à Ryoko Owari. Parmi ces spectateurs assidus, figurent des amoureux de théâtre, des mécènes nobles, et le capitaine de la Garde.
Jocho a toujours apprécié les soirées sur l'Ile de la Larme. Il est connu pour y avoir passé bien des nuits de débauche, se livrant à tous les excès. Mais depuis quelques mois, à la grande surprise de ceux qui le connaissent, il semble avoir développé une soudaine passion pour le théâtre, au point de délaisser complètement les maisons de thé. Certains murmurent que ce changement soudain est lié à la perspective de son mariage - son honorable mère a dû insister pour qu'il surveille son comportement et mette fin à ses frasques. Ils ne se doutent pas de ce qu'il en est vraiment. Même dans cette cité où les rumeurs se multiplient plus vite que des moustiques sur un étang par temps chaud.
La main fine et pâle prend le linge mouillé d'eau parfumée d'un peu d'essence de rose, le tord délicatement pour en chasser l'excès, essuie la peau fine du visage et du cou.
Ce soir-là, il a laissé les acteurs saluer, la foule des passionnés se ruer vers les loges, et comme il le fait souvent, a échangé quelques mots avec Shichisaburo, le félicitant pour la qualité de son spectacle, qu'il continue à faire monter vers de nouveaux sommets. S'il continue ainsi, plaisante-t-il, le seul qui sera digne de le voir sera le Fils du Ciel, et ils en seront privés... Le vieil acteur proteste, et le remercie de ses compliments.
Avec un sourire complice, Jocho se glisse dans les loges. Le spectacle est fini, et il n'a pas encore été saluer les acteurs. Ni les actrices.
L'opale rouge vient glisser au creux de ses seins, la chaîne en or s'accroche autour de son cou.
Jocho se glisse dans le couloir qu'il connait si bien, un mélange familier d'anticipation et de tension courant dans ses veines. Mais ce soir un autre type de tension l’anime.
Cinq mois. La cour d’hiver dure cinq mois.
La courtisane se rapproche du miroir et examine son reflet, les yeux plissés. Elle ne se trouve pas bonne mine depuis quelques jours, il va falloir qu'elle songe à voir le médecin...
Elle opte pour un maquillage léger : un trait noir sous les yeux, un peu de rose sur les joues, de l'écarlate pour sa bouche sensuelle. Ne jamais sortir si l'on n'est pas fardé.
Elle relève ses cheveux en un chignon délicieusement ébouriffé, piqué de deux longues aiguilles blanches, puis passe son yukata brodé des grands dragons, se ceint la taille.
Il avance de sa longue foulée souple dans le couloir, saluant aimablement les acteurs de sa connaissance, vérifiant automatiquement si les autres amateurs empressés ont quitté les lieux. Tout va bien, le champ est libre. Il arrive à la cloison, et, de façon atypique, hésite. Non, pas tout de suite, pas maintenant.
Après un dernier coup d'oeil aux alentours, il fait coulisser le battant, entre dans la loge.
Tsukiko s'est rassise devant le miroir et range avec soin les pots, les onguents et les accessoires qui lui servent tous les soirs.
- Bonsoir, Tsukiko.
- Bonsoir, Jocho.
Il s'approche, passe ses bras autour d’elle, plonge son nez dans sa nuque, s’enivre de son parfum, pose sa joue contre la sienne. Lui sourit dans le miroir.
- Tu étais superbe, ce soir.
La courtisane lui rend son sourire, tourne la tête vers lui et embrasse sa tempe avec douceur.
- Merci. Ta journée s'est bien passée ?
- Je suis à court d’idées en ce qui concerne les cadeaux de fiançailles pour ma très honorable promise. Je lui ai déjà offert des ouvrages sur les grandes batailles, un tessen ouvragé signé de Hokotori…Mais oublions la famille Matsu, la journée se conclut bien, en tout cas, sourit-il, avant de l'embrasser.
- Je suis ravie de l'entendre, Jocho.
- Et toi, ta journée s'est-elle bien passée ?
- Très fructueuse. Je l'ai passée en répétitions et essayage.
Il hausse un sourcil. Fructueux, ça ? Ah les femmes...
- Hé bien oui, mon cher. Les costumes sont prêts et la pièce a finalement satisfait Shichisaburo. Ce fut très fructueux.
- Ton costume t'allait très bien, en tout cas, ajoute-t-il, galant. Même si je te préfère sans...
Joignant le geste à la parole, il entreprend de glisser ses mains dans son kimono, moule ses seins, descend vers son ventre.
- Vraiment ? Je n'aurais pas cru...
Il embrasse son cou, ses cheveux, ses tempes, le coin de sa bouche, et murmure :
- Tu ne sais pas à quel point c'est important pour moi, d'avoir une femme comme toi dans ma vie....
- Non, je ne sais pas. Mais rien ne t'empêche de m'expliquer ce que j'ai d'aussi extraordinaire pour avoir retenu l'attention d'un homme comme toi...
Il hausse un sourcil espiègle.
- C'est étrange, j'ai l'impression d'avoir déjà répondu plusieurs fois à cette question...mais je veux bien recommencer. Alors dans le désordre, j'adore l'odeur de ta peau...
Il entreprend de plonger son nez dans son cou, puis entre ses seins. Ses longs cheveux la chatouillent.
- Oh, ça ? La beauté se fane, ou lasse, Jocho. J'espère avoir quelques autres qualités que celle de bien présenter quand j'enlève mes vêtements pour toi.
- Ma foi, avec une chute de reins comme la tienne, c’est quand même un bon début, la taquine-t-il.
Puis il l'embrasse à pleine bouche, avec feu, avec force, avec fougue, avec passion. Une passion fiévreuse qui dément la légèreté de ses propos libertins.
Ses longues mains brunes courent le long de son corps, en une caresse excitante. Son désir d'elle est impatient, urgent.
Il fait glisser le yukata sur ses épaules, dénoue sa ceinture. La soie aérienne choie tout autour d'elle en un soupir ensorcelant.
Il se débarrasse de son haori, sans lâcher sa bouche. Ses mains ont faim de son corps, sa peau a soif de la sienne.
Tsukiko répond à son baiser avec une force égale à la sienne, se lève, se tourne vers lui et sans répondre, défait lentement le obi de son kimono, dénude sa peau, pose ses doigts fins sur son ventre, le caresse, l'explore. L'urgence, c'est bien. Prendre son temps, c'est mieux. Ses mains glissent sur lui, dégagent ses épaules de l'étoffe précieuse de son vêtement, viennent épouser les muscles saillants de ses bras. Puis descendent jusqu'aux cordons de son hakama, les dénouent, les tirent.
Le vêtement de soie noire épaisse choie à son tour, et il l'enjambe avec impatience. Ce soir, décidément, il semble que son amant soit pressé...
Encore plus que d'autres soirs, hélas.
Il la prend dans ses bras, l'étreignant avec force, la pressant de tout son long contre lui. Elle sent qu’il la désire furieusement.
Il la soulève sans effort, alors qu'elle noue ses jambes fines autour de sa taille. Puis la juche en partie sur sa coiffeuse, et s'enfonce en elle sans plus attendre, avec un soupir de pure volupté.
Tsukiko apprécie les sensations puissantes qui l'envahissent lentement. Ses mains le caressent, ses ongles le griffent, sa bouche explore la peau qui passe à sa portée.
Il caresse son dos, ses reins, ses jambes, ses cheveux, embrasse fougueusement son cou, ses seins, ses tempes, avec un mélange de passion et de fièvre. Comme s'il voulait toucher en même temps chaque pouce de sa peau.
Comme s’il voulait imprimer en lui la mémoire de son velouté, de ses frissons, de son odeur.
Comme s'il ne devait plus jamais la revoir.
Il est étrange ce soir... Ils se sont quittés le matin, tout allait bien. Ils se rejoignent ce soir et elle a l'impression qu'il va partir à la guerre et qu'il ne reviendra pas.
Les longs cheveux de nuit, la peau éclatante de blancheur, la bouche veloutée, un peu gonflée, les yeux clairs, légèrement voilés par le plaisir...et ce corps parfait, envoûtant, qui s'accorde si bien au sien.
Le plaisir monte, monte en lui, avec la force d'une avalanche. Il se retient, tremblant sous la tension, jusqu'à ce qu'il la sente s'ouvrir à son tour.
Elle le laisse prendre ce qu'il veut parce qu'elle aime ce qu'ils font ensemble, parce qu'elle l'aime lui.
Ses longues jambes se nouent autour de sa taille, le plaquent contre elle, l'enfoncent plus loin encore.
Ses coups de reins se font plus rapides, plus profonds, puis avec un soupir rauque il s'abime finalement en elle.
Il la tient contre lui un long moment, haletant, trempé de leur sueur commune, tandis que s'évanouissent progressivement les derniers échos de l'extase. Ses bras tremblent sous la tension.
Tsukiko passe ses bras autour de son cou, le serre contre elle pour le calmer, lui donner la chaleur qu'il réclame, la tendresse dont il semble avoir besoin.
Ses doigts l'effleurent doucement, le laissent se reprendre. Il va être moqueur après ça, il l'est toujours.
Il finit par la reposer, écarte une boucle de cheveux de son visage, avec une surprenante délicatesse. Son regard est concentré, sérieux, troublé.
- Qu'est-ce que tu as, Jocho ?
Les yeux turquoise plongent dans les siens, y cherchent ce qui peut être la cause de toute cette émotion qu'elle sent en lui.
Il la regarde sans répondre, l'embrasse avec douceur. Elle sent son besoin d'elle, sa tendresse un peu fragile.
Elle vient se glisser dans ses bras, tout contre la peau de son torse, niche son visage dans son cou. Il parlera s'il en a envie, personne ne peut obliger Shosuro Jocho à faire ce qu'il ne veut pas.
Ils restent ensemble enlacés, un long, très long moment...