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par rahsaan » 14 mai 2014, 12:15
7e jour du Mois du Tigre, 1122
Très concentrés, les deux adversaires se faisaient face, la main droite effleurant la garde de leur katana.
En un éclair, l’arme de Bayushi Kazuko sortit. Elle siffla, prête à trancher - mais ne rencontra que l’air. Déjà Akodo Tsuyoshi contre-attaquait, net et précis dans son geste : sa lame coupa au visage le duelliste Scorpion. Celui-ci recula brusquement, la face en sang dans ses mains, gémissant.
Posément, Tsuyoshi-san essuya le bout de sa lame, et rengaina, en fixant son adversaire. La sœur de Bayushi Kazuko-san vint donner au perdant un mouchoir imbibé d’eau, que le duelliste s’empressa de plaquer sur sa blessure.
Le vénérable senseï Akodo Kage désigna d’un geste Tsuyoshi-san vainqueur. Le duelliste Lion s’inclina devant son maître. Un serviteur vint lui remettre un wakizashi. Akodo Tsuyoshi le prit, enveloppé dans un chiffon, et s’approcha du père de Bayushi Kazuko.
- Honorable Bayushi Junji, dit Tsuyoshi-san en s’inclinant et en présentant l’arme, j’ai retrouvé le wakizashi de ton Ancêtre. Tu es maintenant en possession de tout le daisho. Je crois avoir honoré ma parole. Et par là même aussi, avoir montré à ton fils que les techniques que mon senseï m’a enseignées sont valables, même hors des murs d’un dojo. L'honneur de Kuni Ketedore-sama est donc lavé.
Rouge de honte et de colère, le vieux Bayushi Junji dut accepter de recevoir le wakisahi, qui nous avait coûté tant de peine, à Tsuyoshi-san et à moi-même.
- J’espère que tu ne m’en voudras pas, continua le Lion, d’avoir retardé ce duel d’une journée. Mais mon voyage de retour m’avait passablement éprouvé. Hier, je n’aurais pas offert à ton fils un adversaire digne de lui…
Inutile de dire que, le soir-même, la délégation du Scorpion s’empressa de déguerpir de Shiro Akodo. La nuit allait être froide, et je leur souhaitais bien de devoir dormir en rase campagne, le cul dans la neige !
- Où est donc passé ton maquillage, geisha-san ? grommelais-je, en voyant partir le jeune Bayushi Kazuko, le visage toujours en sang. Ce n’était pas cher payé pour ce qu’il nous a fait subir, dis-je à Tsuyoshi-san.
- Il en gardera une belle cicatrice sur le nez et la joue, répondit tranquillement le Lion. Je n’aimais pas son air arrogant. J’espère qu’il pourra le corriger maintenant.
- Par tous mes Ancêtres, je souhaite ne jamais revoir cette famille. Je leur ferais payer le prix fort, pour nous avoir envoyé chercher le wakisashi de leur Ancêtre jusque dans l’Outremonde !
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15e jour du mois du Singe, 1122
En cette journée très chaude d’été, je goûtais aux mirabelles des jardins de Shiro Akodo. Mon hôte, le vénéré senseï Akodo Kage, me faisait découvrir le merveilleux jardin qu’il faisait entretenir en l’honneur de ses ancêtres. Je goûtais une douceur de vivre qui n’avait été que trop rare dans ma vie.
17e jour du mois du Singe, 1122
Un daimyo mineur du clan du Scorpion est arrivé aujourd’hui à Shiro Akodo. Il s’agit de Bayushi Jujin. Il est accompagné par sa famille. Ils venaient pour une affaire grave, qui concernent, disent-ils, Akodo Tsuyoshi, duelliste attitré de Kage-senseï, depuis qu’Akodo Toturi est parti à la guerre.
Bayushi Jujin et toute sa lignée me sont immédiatement désagréables. Ils sont venimeux et hypocrites, comme tout leur maudit clan. Comment notre vénérable Empereur tolère t-il pareille bande de lâches sur ses terres ?
Très noble comme à son habitude, Akodo Kage-senseï a reçu, avec tous les égards qu’il leur doit, Jujin-domo et sa famille.
Ceux-ci n’ont pas tardé à nous révéler les raisons précises de leur venue. Bayushi Jujin s’exprima en ces termes :
- Comme je te l’avais annoncé dans ma lettre, honorable Akodo Kage, je viens te parler d’une affaire qui concerne Tsuyoshi-san. Sache qu’en fouillant dans les archives de ma famille, j’ai découvert qu’une vieille faveur nous était due par un Ancêtre de Tsuyoshi-san. J’ai compris qu’il serait déshonorant pour lui de ne pas s’acquitter de la promesse que n’a pu tenir son Ancêtre. C’est pourquoi je me suis empressé de venir dès que j’ai appris cette nouvelle, afin de préserver son honneur.
Tsuyoshi-san était assis à la droite de son maître. Intrigué, il se tourna vers ce dernier. Kage-sama dit :
- Honorable Bayushi Jujin, je te remercie de permettre à ma famille, et à mon samouraï, de pouvoir honorer sa parole.
- Mon propre Ancêtre Bayushi Jujin, par la grâce de l’Empereur Hantei XXV, fut envoyé dans l’Outremonde pour la gloire de l’Ordre Céleste. Il ne fut pas seul à partir. Si mes recherches en généalogie sont exactes, c’est l’Ancêtre de Tsuyoshi-san qui l’accompagna. Or, Bayushi Jujin mourut glorieusement face à un Oni, dans une région très profonde du monde de Celui-Qui-ne-Doit-Pas-Etre-Nommé. Or, son compagnon de voyage parvint à revenir avec le daisho de mon Ancêtre. Du moins, c’est ce qu’il pensait. En réalité, il s’aperçut en revenant sur la grande muraille qu’il avait perdu le wakizashi. Il jura devant tous de repartir pour ramener le sabre manquant. Mais l'Ancêtre de Tsuyoshi-san fut rappelé par son daimyo, et tué à la guerre peu après. On oublia la promesse faite, mais l’esprit de mon Ancêtre n’est toujours pas apaisé, car son wakisashi gît encore quelque part dans l’Outremonde.
- Tu me demandes donc, dit Kage-sama, d’envoyer Tsuyoshi-san dans l’Outremonde, pour qu’il y retrouve le wakizashi de ton Ancêtre ?
Toute la famille Scorpion s’inclina bien bas, et Jujin souffla que c’était là son souhait.
- Je le fais bien sûr pour l’honneur de ton samouraï, Akodo Kage-sama.
Ses paroles puaient l’hypocrisie, autant que certains onis puent le soufre à plein nez. Soudain, la colère prit le dessus en moi :
- Par Hida, Jujin-sama, mais c’est de la folie ! Crois-tu que Tsuyoshi-san va partir dans l’Outremonde, et le fouiller de fond en comble pour y retrouver un wakizashi ? Mais il lui faudrait trois réincarnations successives pour y arriver ! Tu n’as pas idée de l’étendue du territoire du Sombre Seigneur !
- Allons, allons, dit Akodo Kage, plus posément, je suis sûr que Bayushi Jujin est quelqu’un qui sait réfléchir de sang froid.
- Oh, j’ai bien réfléchi, dit le Scorpion, pendant que toute sa famille simulait l’humilité en se cognant le front au sol, mais je crois que pour sauvegarder son honneur, Tsuyoshi-san n’a guère le choix. Si tu le désires, j’ai avec moi tous les documents des historiens Ikoma qui te prouveront que je dis la vérité.
- Je ne doute pas de ta parole, Jujin-san, dit Akodo Kage-sama d'un air grave. Mais tu comprendras que ce n’est pas un petit service que tu nous demandes. Aussi, je te propose ceci…
Kage-sama marqua une pause. Jujin-sama s’écrasa encore le front contre terre. Mais qui croyait-il tromper avec ses singeries et ses mimiques !
- Puisque ton Ancêtre réclame son wakisashi, pourquoi ne l’honorerais-tu pas en envoyant aussi ton fils Kazuko avec Tsuyoshi-san ? Ainsi, à eux deux, je suis sûr qu’ils auraient bien plus de chance de retrouver la moitié manquante du daisho.
- Hélas, Kage-sama, c’est impossible. C’est l’Ancêtre de Tsuyoshi-san seul qui a perdu le wakisashi. Je ne peux pas envoyer mon fils également, car son Ancêtre est mort honorablement. Ce serait l’offusquer que de risquer la vie de mon fils.
- Par Hida, dis-je avec hargne, tu marchandes beaucoup avec l’honneur et les Ancêtres, Bayushi-san ! Même les marchands de mon clan n’ont pas une conception si biaisée des règles de l’honneur. Nous n’hésiterions pas à envoyer nos fils dans l’Outremonde !
- Je considére tes paroles comme insultantes, me répondit vertement l’infâme Jujin. Tu devras m’en rendre raison. Loin de marchander mon honneur, je ne fais que répondre aux strictes vertus exigées par nos Ancêtres.
- Tiens donc, tu crains pourtant d’envoyer ton fils face au danger, mais tu n’as pas de scrupule à envoyer Tsuyoshi-san à une mort presque certaine !
- Ce serait en tous cas une mort honorable, dit Kazuko, le fils de Jujin en s’inclinant. Je vous accompagnerais volontiers, mais hélas, seul l’honneur de Tsuyoshi-san est en cause.
- Ainsi que ton honneur, inquisiteur Ketedore, ajouta Bayushi Jujin. Car tu nous a insultés.
- Je n’ai pas peur de t’affronter, Scorpion. Même certains onis sont pire que vous ! Mais avant cela, et par gratitude envers Kage-sama pour son hospitalité, je désire accompagner Tsuyoshi-san dans son voyage.
- Comment, dit alors le jeune Lion, mais voyons Ketedore-sama, vous n’êtes pas obligé de…
Mais je persévérais dans mon offre. Finalement, Kage-sama accepta. Tsuyoshi-san dit alors :
- Senseï, puisque l’honorable shugenja m’accompagne, autorisez-moi à me battre en son nom contre Bayushi Kazuko si nous revenons vivants !
- Ne t’inquiète pas, Tsuyoshi-san, dis-je en fixant droit dans les yeux Bayushi Jujin et son fils, nous reviendrons en vie et je suis certain que tu défendras mon honneur !
Ces salopards de Bayushi partirent le soir même, bien que Kage-sama leur ait offert l’hospitalité. Ils étaient tout sourire et tout miel, mais on ne devinait que trop facilement leur sale cruauté.
Bayushi Jujin nous avait indiqué où se trouvait vraisemblablement le wakisashi de son Ancêtre. Moi j’avais l’expérience de l’Outremonde, mais Akodo Tsuyoshi ignorait complètement vers quoi nous partions.
22e jour du mois du Singe, 1122
Nous nous sommes mis en route il y a trois jours. Les riantes terres du clan du Lion sont pourvues de grandes routes pavées sur lesquelles nous trottons rapidement. Akodo Kage-sama nous a donnés ses meilleurs poneys, et de quoi passer la Chaîne du Toit du Monde.
26e jour du mois du Singe, 1122
Le temps fraîchit déjà, à mesure que nous approchons des contreforts des plus hauts sommets de l’Empire. Nous avons quitté les terres du Lion. Derrière cette immense barrière de roche s’étendent les terres du clan du Scorpion. Une vieille shugenja Kitsu a tracé notre thème astral pour le prochain mois. Elle est optimiste sur nos chances de réussite.
10e jour du mois du Coq, 1122
L’été se termine doucement, et nous escaladons ces rudes montagnes depuis plus d’une semaine. Avant-hier, mon poney s’est foulé la patte lors d’un éboulis sur le chemin. Nous avons dû attendre trois jours dans un village, le temps d’en trouver un autre.
Tsuyoshi-san semble confiant. Ce voyage lui plaît. S’il savait ce qui nous attend...
16e jour du mois du Coq, 1122
Par Osano-Wo, nous avons enfin franchi le col de Beiden ! Les sommets sont derrière nous, et nous descendons maintenant vers les territoires Bayushi.
18e jour du mois du Coq, 1122
Nous avons été attaqués par des bandits habillés en noir, et équipés de semelles en crêpe. Nous dressions le camp quand ils nous sont tombés dessus, depuis les fourrées.
Tsuyoshi-san a vivement dégainé, et les têtes de ces moins que rien se sont envolés vers les étoiles. J’ai brûlé une de ces ordures avec la branche enflammée sur laquelle j’allais empaler nos poissons.
Les quelques survivants ont déguerpi vite fait.
Malheureusement, pendant cette attaque, l’un d’eux a dû empoisonné le poney de Tsuyoshi. Ce matin, il a la fièvre et tremble comme une feuille.
20e jour du mois du Coq, 1122
Encore une attaque de bandits !
En plein jour cette fois, sur un chemin en pente, escarpé, ils ont surgi de derrière des rochers. Tsuyoshi-san allait à pied, en attendant de trouver une autre monture dans la vallée. Il s’est précipité sur ces crétins qui essayaient de nous balancer leurs saletés d’étoiles en acier, et leurs têtes sont allés rouler vers la plaine, avec les pierres du torrent.
Nous commençons à soupçonner Bayushi Jujin et sa clique de nous les envoyer, car ils ont l’air bien au courant de notre itinéraire. Ils n’ont sûrement pas envie que Tsuyoshi reviennent mettre une correction au fiston.
23e jour du mois du Coq, 1122
Tsuyoshi-san a trouvé un nouveau poney dans la vallée. Alors que nous passions près d’un charmant lac, en bordure de forêt, des salopards en habits noirs ont surgi de l’eau et nous ont attaqués. J’aurais dû me méfier de ces bouts de roseau qui dépassaient de la surface et se déplaçaient vers nous.
Tsuyoshi-san les a renvoyés au fond de l’eau, pour très longtemps.
Il a ramassé la tête de l’un d’eux.
- Demain, m’a t-il dit, nous la ferons empailler, et nous l’enverrons à Jujin-sama.
25e jour du mois du Coq, 1122
La tête a commencé son voyage, dans un sac attaché à la monture d’un coursier de la famille Bayushi. A peine celui-ci parti, un autre de ces « ninjas » est tombé comme un fruit mûr du toit du relais de poste. Tsuyoshi-san a eu le temps de s’écarter, et de le laisser s’écraser par terre, avant de l’achever proprement.
- Quel dommage que le coursier vienne de partir, a soupiré le Lion, nous aurions pu envoyer deux têtes d’un coup !
3e jour du mois du Chien, 1122
Nos dépenses au charmant Village de la Source qui Chante :
Une nouvelle selle pour mon cheval
Trois ballots de riz
Une bouteille de saké
Deux paires de bottes
L’expédition par coursier de trois têtes vers le château de Bayushi Jujin.
...
Par Ebisu, ces envois commencent à nous coûter cher ! Il faudra que nous empruntions de l’argent à ma famille, car nous allons bientôt être à sec.
8e jour du mois du Chien, 1122
Lors de mon dernier passage par cette petite vallée isolée, je ne me souvenais pas que des gobelins y avaient établi leur campement. Nous avons décidé de crever ce bubon infect.
J’ai sorti de ma besace mes parchemins de sorts de Feu, et Tsuyoshi-san a dégaîné son katana.
C’est alors que les gobelins se sont aperçus de notre présence, et, avec leurs casques et leurs lances grotesques, ont sonné la charge contre nous. J’ai alors –
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que décidément le Cœur de l’Enfer est une vraie réussite ! Le camp de gobelins flambe joyeusement. Mon compagnon de voyage nettoie sa lame du sang verdâtre de la dizaine de gobelins qu’il vient de découper comme du petit bois.
Nous hésitons à envoyer la tête du chef à Juijin-sama !
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rahsaan le 14 mai 2014, 12:25, modifié 1 fois.
La fleur de l'été
Soupirs heureux des vallées
Mon heure d'insouciance