Histoire de fantôme de l'heure du boeuf : Ô Floraison
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.
Mirumoto Michinaga aimait les fleurs de cerisiers. La Sakura symbolisait toute la noblesse de l'âme d'un vrai samouraï.
Mais qu'est-ce qu'un samouraï ?
Michinaga ne pensait pas détenir de réponse absolue. On lui avait vite appris, dans sa jeunesse, que le samouraï avait toujours tort quand son opinion était différente de celle de son seigneur. C'était cela, la clé pour comprendre le Bushido, la voie du guerrier c'était suivre le seigneur du samouraï. Après tout, samouraï signifiait serviteur. Un serviteur avec des armes et des privilèges, pour compenser, mais serviteur quand même. Il devait donc suivre son suzerain et le servir. A la vie, à la mort. Une vie héroïque et une mort héroïque. La vie d'un samouraï est belle, glorieuse et éphémère. Elle se finit violemment, le plus souvent. Mais en tout cas, le samouraï meurt avec drame et panache.
Un bushi de la famille Hida qu'il comptait parmi ses amis, et qu'il avait rencontré jadis au Championnat de Topaze, lui avait raconté une étrange histoire à propos d'un être céleste déchu qui servait le Sombre Seigneur avec toute la loyauté d'un vrai samouraï. Et ce samouraï sombre entretiendrait, paraît-il, une plaisanterie avec les bushi du clan du Crabe, à propos de la clé de voûte de la Voie du Samouraï, la Loyauté envers le Suzerain. Qui est le samouraï authentique ? Celui qui sert son seigneur, par ce qu'il l'en estime digne ou celui qui sert son seigneur, par ce qu'il est incapable d'estimer à quel point ?
Michinaga s'était souvent demandé pourquoi ce samouraï sombre, mais loyal, servait Fu-Leng. La première raison ou la seconde ? Comment savoir... ? Le bushi de la famille Mirumoto avait au plus profond de son coeur, l'intime conviction que dans la réponse à sa question se trouvait la Voie du Bushido authentique, la clé véritable des pouvoirs ésotériques du tatouage, en forme de cerisier, qui se trouvait dans son dos depuis sa naissance, et dont les ramures fleuries s'étendaient sur ses bras et sur ses épaules, dispersant dans une brise figurée ses roses nuées.
Décidément, il aimait beaucoup le cerisier. C'était un homme sensible. Mais il ne comprenait que difficilement l'obsession des samouraïs de son clan pour le prunier. Le prunier était un arbre spécial pour son clan, car lorsque Togashi, le premier du nom, mit fin à son long jeûne dans les circonstances célèbres que l'on connaît, une prune, apportée par un rossignol, fût la première chose qu'il mangea. Mais si le prunier était un bel arbre, le cerisier à la beauté envoutante le surpassait de loin. Comment la caractériser ? Divine. Surnaturelle. Anormale. Les terres du Dragon étaient baignées de magie et de secrets occultes. Il était bien placé pour le savoir, puisqu'il était fort sensible à la magie, ayant été élevé auprès de ses frères shugenja. Son seigneur, l'honorable Mirumoto Masahide lui-même en était un, après tout. Mais le cerisier l'attirait pour sa symbolique et sa splendeur fascinante, hypnotisante. C'est pourquoi depuis quelques temps, depuis que sous un grand et beau cerisier il avait vu le fantôme de sa mère, il préférait l'éviter autant que faire se peut. Mais lorsqu'il vit le cerisier dans la cour de la maison du chasseur, il sut que, précisément, c'était une chose qui ne pouvait provenir de ce monde.
Il y avait plusieurs jours que Michinaga avait commencé à suivre la piste de son frère d'armes du clan du Scorpion, qui était aussi le neveu de son seigneur. Yogo Ryuden était un shugenja, mais pas n'importe lequel. En grandissant, il avait été élevé pour devenir un Kuroiban. Un des Sombres Gardiens des 12 Sombres Parchemins contenant l'essence du dieu déchu, le Sombre Seigneur. Ils avaient été élevés ensemble, ils se connaissaient depuis l'enfance et s'étaient même entraînés ensemble. Contrairement à la plupart des bushi, Michinaga connaissait les dangers de la magie des shugenja, et savait que la Maho était un danger encore plus grand, car elle représentait une forte tentation pour tous ceux capables de pratiquer la magie. L'attrait de la puissance, du côté sombre des choses.
Dire que Michinaga n'avait jamais ressenti une telle tentation aurait été un mensonge. Mais il en avait triomphé, il en était venu à bout. Son honneur était exceptionnel. En quinze ans il ne s'était jamais écarté des règles de conduites définies par les précurseurs du Bushido, Akodo, Kakita et bien sur Mirumoto. Mais il savait que Ryuden était plus exposé que lui. Après tout, il devait sans cesse en apprendre plus sur la Maho, sans jamais lui céder. Combattre les ténèbres, quitte à en boire leur pouvoir, sans jamais en être ennivré. Du moins, c'était ainsi qu'il voyait les choses. En dix ans de carrière dans la Garde Noire, Ryuden n'avait jamais failli à son devoir, malgré les épreuves que les Fortunes lui imposèrent. Et ils avaient gardés contact, pendant tout ce temps, s'entraidant parfois également. Michinaga n'oublierait jamais le jour où son ami avait sauvé sa vie et son honneur des sorts infâmes d'un Maho-Tsukai, qui tentait de prendre le contrôle de son âme.
Le bushi Mirumoto estimait avoir une dette envers cet homme du Scorpion. S'il ne remboursait pas ses dettes envers ses amis, d'autres samouraïs, comment pourrait-il s'estimer digne de servir son suzerain, Masahide-sama ? Le jour de rembourser cette dette était peut être venue. Ryuden avait disparu depuis plus d'un mois. Des collègues Kuroiban avaient alertés Masahide et Michinaga de sa disparition, leur demandant de garder un oeil vigilant. Mais les deux Mirumoto étaient prêts à faire davantage que cela. Le seigneur avait accordé son accord spontanément pour qu'il parte à sa recherche, et fasse tout son possible pour lui venir en aide. Après tout, c'était son neveu et un samouraï dévoué de Sa Majesté.
Michinaga était arrivé au bout du chemin. Depuis sa terre natale, il avait voyagé jusqu'à Ryoko Owari, traversant la moitié de l'Empire, comme un pétale de cerisier emporté par un vent divin. Là-bas, il avait retrouvé la trace de Ryuden, à force de patience, de minutie et d'enquête. Ca n'avait pas été difficile, il lui avait suffit de procéder exactement de la même façon que lorsqu'il reconstitue un puzzle ou résoud une énigme. Avec calme et pénétration, lucidité et sagesse. Le Kuroiban était partit sur les terres du clan du Crabe, pour une affaire avec ses collègues Tsukai-sagazu. Si les Crabes et les Scorpions se méprisent les uns les autres ouvertement, il n'en est pas ainsi des Kuni et des Yogo. Leurs centres d'intérêts communs pour la lutte contre Outremonde ont rapprochées ces deux familles. Mais Michinaga trouvait étrange que les collègues Kuroiban de Ryuden ne l'aient pas encore ramené. Ou à tout le moins, qu'ils ne soient pas partis à sa recherche sur les terres du Crabe et dans les désolations Kuni. Il lui faudrait éclaircir ces détais par la suite.
Puis, il avait pris le parti de voyager plus loin encore vers le Sud. Michinaga avait loué des montures aux relais, sur les routes qu'il avait traversé, et il était finalement arrivé sur les terres du clan du Crabe, avec la plus grande diligence. Là-bas, il avait finit par découvrir que Ryuden avait mené une enquête à propos d'un nemuranaï maudit, et que sa piste l'avait conduit chez un shugenja Kuni nommé Meishozo Araburu. On disait le vieux shugenja encore plus fou que ses semblables. Sans être réberbatif, le vieil homme agréable et courtois avait l'étrange manie de parler aux abres, grâce à sa magie. Il ne parlait pas aux pierres, aux ruisseaux ou au montagnes. Il parlait aux arbres, peut être même plus qu'aux humains. En outre, au lieu de vivre dans une tour au milieu de terres plus ou moins désolées, le vieil Araburu vivait dans une forêt, dans une maison de samouraï normale, avec seulement quelques apprentis. Michinaga se demandait pourquoi Ryuden était partit visiter le vieil ermite Meishozo, plutôt que, par exemple, le maître de l'ordre Tsukai-Sagazu.
Il ne savait toujours pas pourquoi lorsqu'il était finalement arrivé chez Araburu, après avoir traversé la forêt sinistre qui entourrait la villa, vide et isolé du shugenja. La forêt, il le savait, n'était pas normale. les paysans du crûe lui rapportèrent que cette forêt s'était spontanément agrandie, et aussi qu'elle était hântée. Que des arbres avaient poussés soudainement, l'espace d'une nuit. Parfois, on pouvait entendre des cris déchirants qui provenait de la forêt. il arrivait que des voyageurs qui se rendaient à l'intérieur ou visitaient Meishozo Araburu n'en revenienne jamais. L'un d'entre eux avait justement été un saint homme portant l'héraldique du clan du Scorpion, et qui correspondait à la description que leur fît Michinaga. C'est pourquoi les paysans locaux évitaient de s'y rendre, ou de lui demander la bénédiction des récoltes et des naissances, s'il ne venait point les offrir spontanément.
Mais n'écoutant que son courage et sa loyauté envers son ami, Michinaga brava la forêt interdite. Le vieux paysan qui l'avait accueilli et auquel il avait conté son histoire, quant à lui, ceuilli dans la verdure quelques jolies fleurs, prit un peu d'encens en sa demeure, du riz et du poisson, puis alla déposer les offrandes sur l'autel de Bishamonten, dieu guerrier, mais aussi Gardien du Nord Cosmique. Le Nord lointain d'où venait ce preux samouraï, partit sans même attendre le lever du jour. Chez lui, personne ne saurait qu'il avait péri, ni dans quelle circonstances. Une modeste offrande pour le repos de son âme, c'était le moins que ce vieil homme puisse faire, se disait-il.
Et dans un certain sens, les offrandes à Bishamonten portèrent effectivement chance à Michinaga, puisqu'il parvint sans danger au coeur de la forêt, où résidait Meishozo Araburu. En chemin, il avait analysé les arbres, en utilisant le sixième sens que lui avaient conférés ses années d'études, auprès de shugenja. Et il en avait conclu qu'effectivement, ils n'étaient pas normaux. Nombre de ces arbres avaient un côté quelque peu "humain", bien que le bushi Dragon ne puisse se l'expliquer, et il avait la sensation que des humains en étaient prisonniers. Et prudemment, mais avec dilligeance, il avait avancé. Et il avait finit par trouver ce qu'il recherchait. L'heure de Fu-Leng était déjà bien avancée, lorsque Michinaga découvrit la villa, au détour d'un chemin sinueux. L'entrée en était marqué par un torii recouvert de laque rouge, portant l'inscription : "Royaume du Rêve et de l'illusion immense", suivit de deux autres qui l'encadraient : "Quand le faux devient vrai, la réalité elle-même n'est plus qu'un mirage" et "Quand le néant devient réalité, la réalité à son tour bascule dans le néant." Michinaga sentit que ces trois sentences lui étaient familières, mais à nouveau il ne sut expliquer pourquoi.
Dans l'entrée du petit manoir, un certain Hida Genjuro, qui se présenta comme l'apprenti d'Araburu, l'avait alors accueilli, et lui avait offert l'hospitalité pour la nuit, en attendant que le maître soit de retour. Genjuro prétendit qu'il ne savait pas quand le shugenja reviendrait. Alors il offrit une chambre d'hôte à Michinaga, tandis que lui-même poursuivait ses études secrètes et solitaires à l'arrière de la demeure. Après lui avoir montré sa chambre, le shugenja lui apporta une collation, puis se retira, s'excusant auprès de son hôte en lui avouant qu'il était en plongé dans ses études.
Michinaga ne toucha pas à son repas. Habitué aux exercices militaires, il savait que manger ou boire dès que l'occasion se présente est une occasion à ne pas manquer. Pourtant, il avait déjà avalé un peu de riz au village, il n'avait pas faim. Et il n'avait pas le temps de manger, de toute façon. Quittant la pièce où le shugenja l'avait confiné, Michinaga se dirigea silencieusement vers le fond de la demeure. Il y découvrit alors ce qu'il n'aurait pas dut découvrir.
Genjuro était occupé à disséquer attentivement les entrailles encore vivantes de l’oni, dans cette pièce imprégnée de magie et aux murs couverts de glyphes et de fuda. La bête produisait de temps en temps des râles de douleur, lorsque son tortionnaire touchait un point sensible. Le shoji donnant sur la véranda et la cour était ouverte, laissant filtrer l’air du soir.
Hida Genjuro se retourna avec surprise, en entendant le craquement des doigts de son visiteur. Il n'eut pas le temps de s'expliquer, car Michinaga lui envoya un direct du droit en pleine tête, avant d’effetuer une projection qui envoya valser le Crabe dans le jardin, emportant un des fragiles shoji au passage. Le dragon dégaina ensuite son katana, se rapprochant d’un pas inexhorable en direction de Genjuro.
« Allez-vous m’expliquer ceci, Genjuro-san ? »
Mais Michinaga n’avait cure des explications de l’apprenti d’Araburu. Tout ce qu’il voyait, c’était un shugenja pratiquant secrètement quelque expérience abominable. Du moins, jusqu’à ce que ses yeux se posent sur le tronc du cerisier. Juste sous son nez se trouvait ce qu’il était venu chercher. Michinaga ayant étudier depuis l’enfance aux côtés des shugenja, il était capable de sentir l’usage de la magie élémentaire, grâce à l’harmonie en lui. Et ce qu’il voyait là n’avait rien d’harmonieux. En fait, c’était plutôt le contraire, tant il troublait son harmonie intérieure.
« Ryûden, murmura-t-il tandis que sa main libre caressait les stigmates du tronc, formant le visage torturé de Yogo Ryûden. Tu seras vengé, frère. »
Dans son dos, Genjuro s’était relevé et claudiquait vers le manoir. D’un pas rapide, Michinaga le rattrapa et lui barra la route, sabre en main.
« Je suis désolé pour vôtre ami, Michinaga-san, mais ce que mon maître fais ici est d’une importance vitale. Yogo-sama en savait beaucoup trop et... »
Devant le regard noir que lui lançait le maître escrimeur, et le claquement de langue agaçé qu'il produisit, Hida Genjuro sut qu'il n'avait cure de ses explications, qu'il ne le laisserait pas s'en sortir aussi facilement. Genjuro porta la main à son wakizashi et adopta une posture classique, la pointe visant l’œil de son adversaire, tandis que celui-ci avait laissé son sabre pendre le long de son corps, la posture du manchot. Le dragon avait déjà eut affaire à des bushi bien plus dangereux que ce frêle shugenja, auquel il trancha un bras d’un seul coup, dès que celui-ci eut armé son sabre pour frapper. Puis, Michinaga s’approcha de lui, poussant le wakizashi d’un coup de pied. C'était une insulte mortelle que de pousser un sabre du pied, et par ce geste il témoignait du mépris qu'il avait pour le shugenja. Puis, Michinaga arracha le médaillon de jade de sa victime. Genjuro voulut se défendre, mais le bushi expédia un violent coup de pied dans son estomac, le faisant se tordre de douleur.
Retournant dans la maison, Michinaga fracassa le pendentif sur la carcasse de l'oni, exposé sur la table de pierre. Ses beuglements de douleurs et de rage étaient étouffés par le baillon. Le crabe le supplia d'arrêter, mais l'adepte du Nitten l’ignora et utilisa le sang poisseux comme adhésif pour les morceaux de jade, qu'il colla sur la lame de son sabre. D’un coup net, le samouraï trancha la tête de l'oni, qu'il alla ensuite lançer dans le jardin. Quelque part, celui-ci devait être heureux de sa liberté retrouvé, dans le chaos indicible de Jigoku.
Coriace, Genjuro se relevait en insufflant en lui une prière aux esprits de la Terre, pour lui offrir la capacité de se mouvoir encore. Mais Michinaga le rattrapa dans le jardin et le mit à terre en le frappant au visage avec son pommeau.
« Je vous conduirait devant l'Inquisition et le Kuroiban, j'ai entendu dire qu'il avaient une méthode excellente pour châtier les traîtres. Restez tranquille d’ici là, Genjuro-san.
-Je ne crois pas, non. »
Michinaga se retourna pour voir celui qui l'avait interrompu. Il s’agissait d’un vieil homme élancé et large d'épaule, et il portait un daisho. Il avait une barbe et de longs cheveux blancs, sensés être un symbolise de la sagesse de l’âge, et sa peau était légèrement grisâtre, probablement à cause du temps passé en Outremonde. Les traits de son visage lui donnaient un air aimable et rassurant, mais le dragon savait avoir à faire à Kuni Araburu de la maison Meishozo, l’assassin Yogo Ryûden.
« Allons, je m’absente quelques jours et voilà que le désordre règne dans ma demeure. Quelle pagaille ! Dit-il avec un air joyeux tout à fait contradictoire.
-Mes excuses, Araburu-sama, vous aurais-je offenser en saccagant vos expériences et en tabassant vôtre disciple ?
-Mais non, Mirumoto-san, nous faisons tous des erreurs dans la vie.
-Hai, je suis là pour corriger les vôtres.
-Et de quelle façon, je vous prie ?
-En vous tuant. Vous êtes trop dangereux pour que je prenne le risque de vous ramener à l’Inquisition.
-Oh ? Alors c’est un duel que vous me proposez, dragon ? »
Michinaga sourit intérieurement. Il n’allait pas lui laisser cette chance, il n'allait pas lui laisser l'occasion de lui lancer un sort et de conclure l'affaire ainsi. Les crabes sont pragmatiques, les sorciers tels qu'Araburu le sont plus encore. Comme s’il allait effectivement faire ainsi, Michinaga rengaina son katana. Mais alors que son adversaire se détendait pour se rapprocher, le dragon plaça une main sur la gaine de son wakizashi, et à la vitesse de l’éclair le dégaina et le projeta dans la direction d’Araburu. Le mince ruban d’acier se figea dans la poitrine du shugenja, qui, hébété, s’écroulait face contre terre. Inutile, se disait le dragon, d’utiliser mon Sourire d'Aoe capable de trancher de la roche, pour venir à bout de ce vil sorcier.
Satisfait, Michinaga se rapprocha du cerisier qu’était devenu son ami, Ryûden, caressant le tronc à nouveau, comme pour l’apaiser et il lui dit : "Te voici venger, mon cher ami."
Le vent souffla plus fort, soudainement, et le tintement de la clochette suspendue à la véranda, et le bruissement des branches couvrit les premiers mots de pouvoir prononcés non pas par Genjuro, qui se tortillait sur le sol en essayant d’empêcher son sang de se vider, mais par Araburu. Il était bien vivant en vérité, protégé par une couche mince et grise de petits kami de la Terre aglutinés contre lui. Le dragon se retourna, mais trop tard. Alors qu'il s'élançait, il eut l'impression de trébucher, mais ses pieds étant fixés, il ne chuta point. Il se débattit pour empêcher ses pieds de prendre racine, concentrant son énergie spirituelle pour combattre les effets du sort. Mais il ne pouvait déjà plus rien y changer. Regardant le bas de son corps se transformer douloureusement en écorce, Michinaga le reconnu du premier coup d’œil. Il était persuadé que sa nature véritable était celle d’un cerisier, il savait que s’il devait devenir arbre, il serait comme Ryûden un grand et beau cerisier. Il en avait la certitude. Que le kharma était ironnique, en vérité !
« J'aurais dût... te décapiter ! Articula-t-il difficilement tandis que la chair de son buste prenait l’aspect du bois. »
Le dit sabre tomba de sa main. Se plantant net dans le sol, il émit une note de son clair.
« Que racontez-vous donc ? C'est parfait comme cela, vous ferez un très beau prunier, Michinaga-san, assura le shugenja sur un ton affable, comme s’il parlait de tenue vestimentaire, avant d'ajouter sur un ton badin : ça ferait un bel aphorisme, hein ? »
Meishozo Araburu retira la lame du wakizashi, sans prendre garde au sang qui giclait de la plaie, puis, avec un sourire aimable, comme s'il restituait un objet perdu, il le planta dans le tronc du prunier. On dit qu'à cause des samouraïs et de leurs regrets éternels, les cerisiers ne fleuriront plus jamais.
Mais, claquant dans ses mains, Araburu entonna un chant en l'honneur du Printemps. Et bien que ce soit l’automne, ô miracle ! Voici que prunier et cerisier fleurirent spontanément. Lors que Seigneur Lune sourit dans le Ciel Etoilé, les pétales tels des larmes tombants, furent entremêlés des rayons de lune à l'Heure du Boeuf.