(Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

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Ashidaka Kenji
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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 27 nov. 2010, 09:41

Après à peine quelques mètres de déambulation dans les superbes jardins de l'Académie, Ito s'immobilisa soudainement.
Il ne parla qu'après dix secondes de silence.

- Il y a un combat qui se déroule à l'ouest dans les jardins !

Tous les protagonistes s'immobilisèrent et entendirent à leur tour des lames qui s'entrechoquaient.
Un peu plus loin, en surplomb à l'ouest se profilait dans la faible lumière des lanternes en papier, un pont en teck enjambant un petit ru artificiel qui barrait le jardin et irriguait les plantations.
Après ce pont, la douce colline descendait vers un bosquet de pins.
C'est des environs de ce bosquet que provenaient les sons d'un combat.
Les jeunes gens se précipitèrent vers les sons et la brutalité de ce qu'ils virent les paralysa un instant.
A la lisière du bosquet, cinq corps étaient allongés, certains baignant dans leur sang, tandis que d'autres étaient démembrés.
Tous appartenaient au clan du Blaireau.
Quatre étaient des bushi de ce clan, mais le plus choquant de la scène était encore le dernier samurai.
Ce n'était autre que Ichiro Akitomo-sama et de sa poitrine et de son cou émergeaient deux shuriken dont les formes en étoiles reflétaient la faible lumière de la lune et des lanternes.
Des bulles de sang jaillissaient par saccades de sa gorge tranchée et il s'affaissa en arrière sur le sol, sous les yeux des jeunes postulants.
Avant que ces derniers ne reprennent leurs esprits, un voix leur parvint de derrière.

- Mais que faites-vous là !!

En se retournant soudainement, tous virent Bayushi Sugai, le kimono maculé de sang frais, un sabre dégoulinant de sang à la main.

- Je vous retourne la question Sugai-san. Que faites-vous sur le lieu d'un crime, l'arme ensanglantée ? Fut la plus prompte à répondre Otaku Shiko.
- Ceci ne vous regarde en aucune façon Otaku-san. Les actions des Kuge ne regardent tout simplement pas les Buke.
- Cela intéressera surement la Garde, lui rétorqua l'impétueuse Otaku.
- Héler les gardes Daidoji était précisément ce que je m'apprêtais à faire répondit Sugai du tac au tac.

Joignant l'acte à la parole il se dirigea vers les bâtiments les plus proches où stationnaient deux grues de fer.
Pendant cette petite altercation, ni Sangkai ni Kenji n'étaient intervenus.
Au lieu de se focaliser sur ce que disait Sugai, ils observaient les détails de la scène et quelque chose ne collait pas.
Si, comme il le disait, Sugai avait poursuivi un des assassins de Ichiro Akitomo-sama, pourquoi le yojimbo félon n'avait-il des plaies que sur l'avant du torse et la gorge et surtout pourquoi son katana était-il rengainé ?

- Je sais reconnaître une opération Scorpion quand j'en vois une, murmura Sangkai.
- Je veux bien te croire sur ce sujet, lui souffla Kenji.

Ressentant une bizarre sensation Kenji leva un moment les yeux vers un bosquet proche et crut voir une ombre s'éloigner.
Leur dialogue, bien que très discret, n'avait pas échappé à Otaku Shiko qui intervint de façon impromptue.

- Sangkai-san à raison, ce ne peut être que vous et vos sbires, Bayushi Sugai, qui avez tué le daimyo du clan du Blaireau. J'en suis persuadé et ferai tout pour vous confondre !
- Vous outrepassez votre statut jeune Otaku en sous-entendant que je pourrais être l'instigateur de cet acte déshonorant. Si je n'étais pas si magnanime avec les belles femmes je pourrais en prendre ombrage et vous en demander réparation.
- Surtout que je pense qu'il y a toutes le preuves nécessaires à l'accusation d'un autre samurai, dit Sangkai, j'en aurais en tout cas déposé si j'avais été à la place de l'instigateur de cet acte abject.

Avant que la discussion ne s'envenime vraiment, une patrouille Daidoji qui avait entendu les éclats de voix arriva sur les lieux.
Appréciant rapidement la situation, la patrouille appela du renfort, le magistrat de garde et rassembla les différents protagonistes, Sugai compris, dans la grande salle du banquet, qui était en cours de nettoyage.

Tandis que les différents serviteurs réaménageaient la grande salle de banquet pour une audition – ils aménageaient d'ailleurs un dais pour les seigneurs qui ne manqueraient pas de statuer sur cette sordide et gênante affaire – tous les jeunes samurai, ou presque samurai, s'installèrent en face du-dit dais sur des coussins disposés à leur intention.
Au bout de quelques minutes, entrèrent Doji Satsume-sama, son fils et daimyo de la famille Doji, Hoturi-sama, ainsi que Akodo Toturi-sama, Bayushi Shoju-sama, Daidoji Uji-sama et enfin Otomo Banu-sama en tant qu'observateur impérial.
Shoju et Satsume se rapprochèrent et improvisèrent un conciliabule dans un murmure indéfinissable et tandis que les autres daimyo prenaient place sur le dais, Shoju resta en retrait derrière le Champion d'émeraude.
Un moment plus tard, sans que personne ne puisse dire réellement quand, Shoju avait disparu.
Se tournant vers son fils et Daidoji Uji puis vers Kenji et ses amis, le Champion d'émeraude prit la parole :

- Y-a-t-il quelqu'un, samurai ou non, qui soit à même de m'expliquer ce qui se passe ici et d'éclairer de sa sagesse ce très regrettable incident ?

Hoturi regarda son père d'un air ébahi, alors que Daidoji Uji se tourna vers Kenji et ses amis.

Merci bien du cadeau Uji-sama
, pensa Kenji.

C'est Sugai, relevant la tête, qui répondit, avec aplomb, à la question de Satsume-sama.

- Si je puis me permettre d'intervenir, Satsume-dono, bien que n'étant pas encore samurai, je suis le mieux placé pour répondre à cette question. J'y étais. C'est en rentrant dans mes quartiers après le banquet que j'ai entendu un bruit de lutte près du petit bosquet. N'écoutant que mon sens du devoir j'entrepris donc d'aller voir ce qui se passait. Le Chaos était total et il m'a semblé que certains des gardes du corps du regretté daimyo du clan mineur du Blaireau se soient retournés contre leurs collègues et leur seigneur. En voyant un des assassins s'enfuir, je l'ai poursuivit et l'ai exécuté.
- Et vous jeunes gens et jeunes samurai, avez vous vu quelque chose qui corroborerait ou infirmerait le témoignage de Bayushi Sugai-san ? Demanda Satsume-sama.
- Nous sommes hélas arrivé trop tard Satsume-sama, répondit Sangkai-san. Au moment où la scène nous apparût, Ichiro Akitomo-sama rendait son dernier souffle. Personne n'était visible, hormis les corps des victimes. Peu après, nous entendîmes un râle d'agonie et vîmes Sugai-sama revenir vers le haut de la colline, un katana ensanglanté à la main, surpris de nous voir là.
- Si vous me permettez une remarque, intervint Kenji, il y a tout de même une incohérence dans la déclaration du noble Bayushi Sugai-sama. Si comme il le dit, il a poursuivi un des agresseurs, pourquoi ce dernier, que nous avons inspecté, ne portait-il que des plaies sur l'avant du torse ? Et pourquoi son katana était-il dans son saya ? Le sabre était-il même souillé ? On peut se le demander.
- Sugai-san, un commentaire ? Fit Satsume le regard dur et le sourcil relevé.
- Mais bien sûr Satsume-dono, l'assassin me sentant sur ses talons s'est retourné pour tenter de m'asséner un coup de taille. Mais j'étais prêt ! La supériorité de l'école Bayushi dans la rapidité d'exécution fit le reste. Quant à son sabre... peut-être est-ce lui qui a lancé les shuriken. Je remarque toutefois que l'on met en doute ma parole. De la part de samurai subalternes je ne saurais le tolérer.

Sentant Kenji se raidir, Sangkai intervint promptement.

- Chacun sait ici qu'effectivement l'école de bushi de mon clan est rapide à l'exécution. Cela peut en effet expliquer les blessures du yojimbo Ichiro.
- D'autant, intervint Daidoji Uji qui terminait un conciliabule avec le magistrat de garde, que l'on vient de m'informer qu'il a été retrouvé sur les corps de certains des assassins des preuves incriminant le karo de feu Akitomo-sama, ainsi que des preuves de l'intervention d'assassins professionnels.

Le mot n'avait pas été prononcé, mais tous les protagonistes de la scène l'avait en tête : ninja.
Les mythiques assassins du clan des secrets, sensément dissous par Bayushi lui-même il y a mille ans et dont les récits murmurés dans la pénombre des foyers, faisaient trembler même les plus puissants daimyo.

Satsume, les yeux dans le vide, passait inconsciemment son index droit sur l'horrible cicatrice de sa joue.
Soudain, il se dressa et déclara d'une voix forte :

- Moi, Doji Satsume, Champion d'émeraude et daimyo du clan de la Grue, tiens solennellement et publiquement à remercier le jeune Bayushi Sugai pour la promptitude et l'efficacité de sa réaction dans cette triste affaire. En tuant un des assassins du regretté Ichiro Akitomo-sama, nous privant hélas d'un suspect à interroger, il a en partie lavé la honte de l'affront fait à mon clan et à cet illustre événement qu'est le gempukku de Tsuma. Qu'il en soit ici remercié.
- Père... Murmura faiblement Hoturi-sama, apparemment contrarié.

Sa diatribe, pourtant, n'alla pas plus loin, anéantie dans l'œuf par la froideur du sévère regard que lui porta son père.
Comment osait-il l'interrompre.

- Je déclare ce meurtre élucidé. L'enquête est terminée.

L'affaire était close. Ainsi en avait décidé le deuxième personnage le plus puissant de l'empire : le Champion d'émeraude.
Il était clair pour toutes les personnes dans la salle, que de près ou de loin, Sugai était impliqué dans ce meurtre. Bien plus qu'il ne le prétendait. Mais vu qu'il aurait été incapable de tuer seul six yojimbo et qu'il n'avait pas été trouvé de traces de complices, il aurait été contraire à l'honneur et une perte de face que de dire tout haut ce que tous pensaient tout bas.

C'est à se moment, que, n'y tenant plus, Otaku Shiko explosa.

- Mais... C'est un assassin ! Il ne peut pas s'en sortir ainsi !

La salle se fit plus silencieuse qu'une tombe.
Tous les regards convergèrent vers la jeune membre du clan de la Licorne, tandis qu'elle réalisait son erreur.
Seul le sifflement de la respiration de Doji Satsume était audible à présent.
C'est Sugai qui rompit le charme en déclarant :

- Vous avez insulté l'honneur de ma Dame et de son serviteur ! Cette insolence ne peut être lavée que dans le sang !

Bien qu'aux portes du gempukku et sans être encore samurai, les jeunes gens devaient agir dans l'honneur et dans l'observance du bushido. L'insulte faite à Bayushi Sugai et au Champion d'émeraude n'appelait qu'une unique réponse : le duel à mort.
C'est pourquoi Doji Satsume, l'air sombre, acquiesça de la tête.
Le duel fut rapide.
Otaku Shiko était surclassée par la technique de duelliste de Bayushi Sugai.
Les deux jeunes gens se firent face et en un battement de cœur la cause fut entendue et la jeune Licorne fut tranchée au niveau de l'abdomen. Elle s'écroula dans son sang et ses viscères, tandis que de l'ichor coulait du rictus de douleur formé par sa bouche.
Aucun des jeunes gens ne réagit avant la fin, avant la mort de la belle Otaku.
Mais après le départ des daimyo et de Sugai, triomphant, Kenji se leva et replaça le visage de Shiko. Puis il lui lissa les cheveux et murmura :

- Par Amaterasu, Shiko-san, qu'avez-vous fait là ? Pourquoi n'avez-vous pas chercher aide et réconfort vers moi ? J'aurais pu vous sauver ! Bayushi Sugai mourra pour cette ignominie, je vous le jure sur mon honneur. Et ce sera fait dans les formes, après l'exposé de toutes ses turpitudes.
- Venez Kenji-san. Nous n'avons plus rien à faire ici, lui dit Sulimane.

Et en effet, des eta attendaient le bon vouloir des jeunes postulants pour nettoyer la salle.

Pourtant, à peine sortis de la salle les six jeunes gens se heurtèrent à Daidoji Uji et son escorte qui les attendaient.

- J'ai perdu la face ce soir, entama sans préambule Uji-sama. Cette histoire a le goût du Scorpion, mais je ne puis plus rien y faire étant donné que Satsume-sama a déclaré l'affaire close. Pourtant, je refuse que quiconque vienne tuer des invités du clan de la Grue qui plus est sous MA protection. Si je ne peux agir, vous le pouvez. Jusqu'à demain vous n'êtes pas encore des samurai. Vous avez donc plus de latitude dans l'interprétation des ordres des puissants de ce monde. Retrouvez les instigateurs de cette ignominie, ainsi que les vrais assassins et vous trouverez en moi un allié fidèle.

Et Uji se pencha pour saluer Kenji et ses amis.

- Vous avez ma parole, s'entendit répondre Kenji.

Mais dans tous les regards pouvait se lire la même résolution. Sugai et les autres allaient payer.

Guidés par Ito-san, les jeunes postulants retournèrent sur les lieux du crime, qu'ils entreprirent de fouiller afin de trouver des indices.
Hélas, les assassins n'avaient laissé que peu de traces et les magistrats Doji et Daidoji avaient consciencieusement ratissé le périmètre.
Malgré tout, guidé par une intuition curieuse, Sangkai examina les branches basses des pins qui longeaient la zone du meurtre.
Il murmurait et pratiquait de temps à autre de discrètes passes avec ses mains.
Enfin, il grimpa, plutôt prestement d'ailleurs, les premières branches d'un des pins soumis à son regard inquisiteur et sembla y trouver quelque chose.
Il héla les autres et leur montra sa prise : un tout petit morceau d'étoffe noire d'une soie magnifique.
Les bords en étaient surpiqués trois fois et la soie ondulait au toucher. A n'en pas douter une soie de samurai de haut statut.
Or, l'arbre se trouvait à l'opposé de la scène de combat entre Sugai et le yojimbo.
Une seule conclusion pouvait être tirée de ce bout de tissus : Au moins une autre personne se tenait tapie là. Ce qui mettait à mal l'histoire de Sugai.
A partir de l'arbre, Ito, en pisteur exceptionnel découvrit de très légères traces de pas qui semblaient se diriger dans la forêt. Ces dernières disparaissaient assez vite, mais le petit Crabe put du moins déterminer la taille du possesseur du pied ayant foulé ce sol : c'était un homme de grande taille, environ un mètre quatre-vingts.

- Il nous faut donc trouver un homme athlétique, de haute lignée, de grande taille et dont les activités nécessitent de lui de la discrétion, des talents d'assassin et la fâcheuse habitude de parfois s'habiller en noir. J'ai déjà ma petite idée, confirmée d'ailleurs par les différents kami du bosquet que j'ai interrogé.
- Il faudra tout de même, Sangkai-san, que tu nous expliques d'où te viennent toutes ces connaissances sur les personnes qui prisent de s'habiller en noir, s'étonna Kenji.
- Héritage familial, lui répondit laconiquement Sangkai.
A / K
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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 11 déc. 2010, 04:42

Le lendemain du tragique décès d'Otaku Shiko, les résidents de la « Maison de Megumi » n'avaient pas le cœur en fête quand ils débouchèrent dans le dojo principal de l'Académie des Arts Kakita. Pourtant il fallait tout de même terminer les épreuves et les remporter pour l'honneur du clan. Les six jeunes gens se firent donc violence pour présenter un visage serein au monde et aux nobles seigneurs et délicates dames de l'assemblée.
D'ailleurs, aucun de ces augustes personnages ne montrait la moindre gêne, ni le moindre regret pour ce qui s'était passé la veille.
Chacun savait que le Karma est le Karma et que le destin d'une personne est écrit depuis la nuit des temps.
Le destin de Shiko avait été d'être un exemple pour les six amis : Elle leur avait appris l'importance, dans l'empire d'émeraude, de la perception sur la vérité.
Cette leçon avait eu un goût amer, mais resterait gravée en eux... A jamais.
Le deuxième jour la tension était palpable.
Ceux dont le nombre de succès était faible subissaient la forte pression des membres de leur clan, alors que ceux en passe de devenir des samurai étaient confrontés à la peur de gagner et à l'angoisse de cette nouvelle vie qui s'annonçait.
En outre, la première épreuve du jour était la plus prisée et donc la plus regardée par les grands samurai de l'assemblée : L'épreuve des armes.
Il s'agissait d'un combat à un contre un, au premier sang, avec choix libre par le postulant de l'arme utilisée.
Ce n'était pas un duel à proprement parler, mais une escarmouche en face à face.Toutes les armes – quoiqu'émoussées ou rendues moins contondantes par un revêtement de paille et de cuir – étaient autorisées, hormis les armes de trait et de jet. Les techniques d'écoles étaient non seulement autorisées mais attendues. Gagner cette épreuve, sous le regard acéré des grands de ce monde, avait généralement pour logique conséquence un destin heureux pour les vainqueurs.
Par contre, les blessures graves voire mortelles, là où le premier sang était attendu, entraînaient automatiquement la disqualification du candidat pour les épreuves suivantes, même si les juges pouvaient estimer que la blessure était accidentelle et que le point de l'épreuve pouvait revenir au vainqueur.
Les premiers postulants à concourir face à face furent l'Ise-zumi, qui regardait avec curiosité le râtelier d'armes proposées, et Doji Kuwanan-sama, fils cadet du Champion d'émeraude.
Kuwanan-sama avait déjà gagné son rang de samurai la veille.
Il entama donc cette épreuve avec calme et assurance, ce que lui rendait bien l'étrange moine tatoué des montagnes du clan Dragon.
Et, soudain, l'impensable se produisit.
Après quelques secondes d'observation, le moine tatoué activa un de ses sublimes tatouages, celui du tigre. Ce dernier courait sur la majeure partie de son torse et sur ses bras. Avec les mouvements fluides des muscles bien dessinés de l'Ise-zumi les observateurs avaient la nette impression qu'un tigre bondissait, toutes griffes et dents dehors, sur eux.
Les bras du moines prirent un teinte orangée striée de zébrures sombres et ses ongles se transformèrent en griffes solides et recourbées.
Kuwanan-sama avait adopté une posture de Iai peu orthodoxe car ramassée et s'apprêtait à dégainer.
Dans un éclair de mouvement l'Ise-zumi bondit, tel un fauve, au moment même ou le jeune seigneur Doji dégainait.
Personne ne sait vraiment ce qui se passa.
Peut-être le moine bougea-t-il au dernier moment, ou peut-être Kuwanan-sama décida-t-il de changer sa frappe à la dernière seconde, mais ce qui en résulta fut au delà de toute prévision.
La frappe du samurai Grue trouva le côté gauche de la gorge du moine, le stoppant net dans son élan et malgré le fait que Kuwanan utilisait une lame émoussée, le sabre entama profondément la partie charnue et délicate du cou, projetant à plusieurs mètres à la ronde un geyser de sang artériel, dans toutes les directions, tandis que des spasmes d'agonie traversaient le corps athlétique du moine.
L'assemblée était médusée.
Kuwanan, lui, était au bord du seppuku. Son visage reflétait l'horreur de la situation et son désespoir à avoir causé la mort d'un moine Dragon.
Les mages Asahina se précipitèrent pour tenter de sauver le jeune Ise-zumi, mais il était déjà trop tard.
Kuwanan était comme paralysé et c'est Toshimoko-sensei qui prit la parole, le visage grave :

- Conformément aux règles du gempukku de Tsuma je déclare Doji Kuwanan-sama disqualifié pour les épreuves suivantes et le Championnat de Topaze. Toutefois, il est évident pour tous les spectateurs ici présents que ce fut un tragique accident et de ce fait il ne sera pas remis en cause le statut de samurai dont jouit déjà l'intéressé. Il pourra donc participer à la cérémonie finale de remise du wakisashi. J'ai dit.

Les amis du moine,présents sur le terrain ou en méditation, ressentirent tous à sa mort une étrange douleur, comme un coup de poignard, dont le siège était leur poitrine.
Cette douleur s'estompa aussi vite qu'elle était apparue.
Un peu chamboulés, les protégés de Megumi, se présentèrent malgré tout en lice l'un après l'autre.
Sangkai rencontra Asahina Tadamo qui, au nom de ses principes pacifistes, déclara forfait ce qui arrangea le shugenja Soshi qui préférait voir ses talents rester dans l'ombre.
Le Destin décida de confronter Moto Sulimane et Hida Fujizaka... Au Tetsubo !
La première passe d'armes fut une égalité, les deux puissants bushi encaissant sans lésion leurs violents coups respectifs.
A la seconde, c'est Moto Sulimane qui infligea un incroyable coup de taille à Fujizaka. Toute l'assemblée entendit clairement le craquement que firent certaines côtes du bushi Crabe. Celui-ci grogna et se remit en garde.
Le combat fut arrêté par les juges le temps de vérifier si l'hématome consécutif au coup était hémorragique ou non. Il l'était. Sulimane fut donc déclaré vainqueur.
Suivirent Hiruma Ito face à Matsu Shorisuro.
Le combat fut bref et intense.
Après une rapide phase de concentration la Matsu se rua sur son adversaire en hurlant: « Matsu !! »
Ito esquiva la charge en faisant un croc-en-jambe à la jeune femme, qui s'écroula, puis il lui frappa l'arrière de la tête avec son coude, lui posa son tanto sur la gorge et lui fit une légère estafilade.
Matsu Shorisuro, se releva d'un coup, un feu vengeur dans le regard, mais elle sortit sans autre esclandre de la lice.
Masud, lui, dût faire face au rônin Toku.
Après une lutte serrée pendant quelques minutes, Masud trouva la faille et fit une petite entaille au torse du rônin.
Vint enfin le tour de Kenji.
Le Destin est parfois moqueur, car le jeune Grue rencontra à nouveau Bayushi Sugai.
Les deux jeunes postulants entrèrent en lice, le regard haineux.
Kenji respira profondément trois fois, afin d'évacuer, comme le lui avait appris Karizuki-sensei, les sentiments destructeurs que peuvent être l'amertume, la haine et le dédain. Ces sentiments, lui avait appris le vieux sensei, rabaissaient l'homme et étaient plus encore les ennemis du duelliste.
Un duelliste se devait d'être calme, en paix, de laisser le vide s'insinuer et couler librement à travers tout son être.
Ainsi Kenji se focalisa-t-il sur la posture de son adversaire, écoutant son souffle, attentif à son rythme et à la position de son corps.
A une vitesse incroyable et avec une adresse magnifique, Sugai jaillit vers son opposant, le sabre dégainé en une feinte d'attaque au flanc qui se transforma pendant le mouvement en une attaque basse et sournoise dirigée vers l'intérieur de la cuisse, vers l'artère fémorale.
Mais Kenji, encore plus rapide, avait déjà bougé et, pivotant sur son pied d'appui, avait écarté l'attaque de Sugai vers sa gauche.
Dans un éclair d'acier, alors même que sa lame était émoussée, Kenji trancha un bout de lobe de l'oreille gauche de Sugai, qui tomba sur le sol de terre battue, y laissant une petite auréole de sang carmin.
Le Scorpion se retourna brusquement et dans un élan à peine réprimé, se dirigea vers Kenji dont le sourire ironique éclaira le visage.
Les muscles de Sugai était tendus, ceux de Kenji relaxés.
Le jeune Bayushi était malgré tout conscient de la présence des juges à moins de deux mètres de lui. Tous des kenshinzen.
Il se dirigea donc vers le bord de la lice.
Au moment où il croisa Kenji, ce dernier lui murmura :

- Je vous remercie Sugai-sama de m'offrir le point du gempukku et dites-vous que je n'ai fait que corriger la petite dissymétrie de votre cruel visage.
- Nous nous reverrons Kakita, je vous le jure ! Siffla Sugai.
- J'ai hâte que cela se produise, lui répondit Kenji.

L'épreuve suivante était celle de la poésie. Le sujet, à la demande du Fils du Ciel, serait choisi à nouveau par Kachiko-sama.
À Moto Sulimane et son adversaire Kachiko soumit le thème de l'honneur.
Sulimane écrivit :

Très droit je marche.
Dans la claire lumière,
Rien ne m'arrête.


Son adversaire n'ayant pas fait mieux, il gagna ce point.
Sangkai et Masud s'en sortirent avec les honneurs et même Ito, alors même qu'il ne connaissait rien à la poésie, eut la chance de tomber sur Toku qui s'y connaissait encore moins.
L'éclopé vainquit donc le paralytique, sous le regard effaré du fin poète qu'était Kakita Yoshi-sama, juge officiel de cette épreuve.
Kenji n'était pas très à l'aise dans ce type d'épreuve. Il n'avait jamais montré de talent extravagant en poésie ou en calligraphie. Il ne lui restait plus qu'à espérer que le thème l'inspirerait et que son adversaire serait à sa portée.
Il eu la chance de tomber sur Hida Fujizaka, piètre poète lui-même et surtout encore blessé de sa rencontre avec Sulimane. Le thème fut l'honneur.
Le haiku de Kenji, quoique très modeste, gagna malgré tout.

Murmure sifflant.
L'honneur brille dans l'hiver.
Clair est mon sabre.


Les participants enchaînèrent avec l'épreuve de Cour.
Dans celle-ci, certains des courtisans les plus accomplis de Rokugan, KakitaYoshi-sama, Ide Tadaji-sama ou Bayushi Kachiko-sama pour ne citer qu'eux, posaient à tour de rôle des questions aux postulants.
Kenji et les autres s'en sortirent assez bien, même Ito-san à qui il fut posé une question simple : « D'où provient la légitimité des daimyo de clan ? » à laquelle il répondit laconiquement :

- Du Trône d'émeraude.

Ce en quoi il avait parfaitement raison.
Après cette épreuve somme toute assez facile, les postulants se virent octroyer deux heures de repos et de méditation.
Moto Sulimane en profita pour aller offrir, de façon surprenante, un Haiku, surmonté d'un iris d'eau pourpre, à Matsu Shorisuro-san.
La bushi Matsu, dont le statut n'était pas encore assuré, avait vu dans l'après-midi, juste après l'épreuve de Cour, une des postulantes Matsu se retirer pour faire seppuku, certaine de ne plus pouvoir atteindre les cinq points qui l'auraient faite devenir samurai.
Le seppuku se déroula en présence de Matsu Tsuko et de Shorisuro qui avait été choisie comme témoin.
Après les deux refus, cette dernière accepta le cadeau, marqua une pose le rouge aux joues et regardant le puissant Moto qui s'était éloigné, le salua timidement.
Kenji s'enquit, rongé par la curiosité, de la teneur du Haiku et Sulimane le lui déclama simplement :

Perdre un ami,
même les plus belles fleurs
perdent leurs pétales.


- Elle te plait, Shorisuro-san ? Lui demanda alors Kenji.
- Oui.
- Alors j'ai deux raisons de l'aider à passer son gempukku, lui rétorqua Kenji avant de s'éloigner.

Vint ensuite l'épreuve de go.
Plus qu'un jeu, le go était un moyen d'appréhender les talents de stratège et de tacticien des postulants.
C'est Sulimane qui se distingua le plus dans cette épreuve.
Il était déjà un joueur confirmé.
Hélas, le destin le plaça face à Shorisuro. Et même si la partie fut serrée, c'est Sulimane qui l'emporta. Un membre du clan Licorne, au nom gaijin, avait battu la fine fleur du clan du Lion.
D'autant que Sangkai avait croisé un courtisan Ikoma et l'avait battu à plates coutures.
Le mécontentement se lisait sur le visage expressif de Matsu Tsuko.
Ito, lui, n'avait que peu de talent de stratège et se vit opposé à un membre de la délégation Bayushi qui l'étrilla en à peine trente coups.
Kenji quant à lui, fit face à sa connaissance Asahina Tadamo qu'il battit facilement, étant donné que Tadamo-san ne savait pas jouer.
Tadamo n'avait pas eu trop de chance non plus dans ses épreuves et devait encore gagner un point pour devenir samurai.
Ainsi Kenji lui promit de l'aider à devenir samurai dans la dernière épreuve, pour s'excuser d'avoir mis dans l'embarras un membre de son propre clan, fort sympathique qui plus est.

Kenji :grue:
qui a dit qu'un kakita n'était jamais un guerrier

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Message par Ashidaka Kenji » 17 déc. 2010, 19:46

C'est dans l'après-midi du deuxième jour que se déroulèrent les deux dernières épreuves : l'archerie, puis la chasse.
L'archerie était une épreuve classique où les postulants devraient viser et toucher des cibles à vingt, quarante et enfin soixante mètres, toujours en binôme.
Ceux, parmi les postulants, qui ne connaissaient rien à la maîtrise d'un arc – les shugenja et les courtisans pour ne pas les nommer – devraient s'en remettre à la chance et à la bienveillance des kami. Mais après tout, toutes les épreuves ne pouvaient se résumer à un duel de poésie.

Kenji croisa à nouveau la route de Matsu Shorisuro. Cette épreuve pour elle était cruciale car il ne lui manquait plus qu'un point pour atteindre le statut tant convoité de samurai.
Mais, malgré son respect pour la belle Matsu, Kenji ne pouvait se résoudre à aborder une compétition avec autre chose qu'une envie de gagner.
C'est ce qu'il fit, avec une flèche qui atteignit la cible sur son bord à soixante mètre, alors que Shorisuro échouait de quelques centimètres.
La bushi Matsu sortit du champ de tir, la tête basse et se refusant même à écouter les paroles de réconfort que Kenji tenta d'esquisser.
Moto sulimane, déjà samurai lui aussi, se trouva face à Mirumoto Uriko qui le vainquit lors d'une joute serrée.
Sangkai fut confronté à Toku le ronin et contre toute attente il se montra à la hauteur du bushi même s'il ne gagna pas cette épreuve.
Masud, avec sa technique de visée des Terres Brûlées vainquit un bushi Crabe de la délégation menée par Fujizaka-san., tandis que Sugai, qui passa juste après, bénéficia d'un heureux concours de circonstances. En effet, au dernier tir la corde de l'arc de son adversaire – un discret bushi Phœnix – se brisa net, offrant la victoire à un Sugai à nouveau souriant.
Mais c'est Hiruma Ito qui fit sensation dans cette épreuve. Opposé à un excellent archer Shinjo, le petit Crabe excella.
Il s'aperçut très vite que la corde de son arc avait été rognée et qu'il ne pouvait tendre son dai-kyu autant qu'il l'aurait voulu. Mais au lieu de venir récriminer auprès des juges, alors même qu'il en aurait eu le droit, il décida de participer à la compétition avec son arc défectueux.
Quand son adversaire pratiquait des tirs tendus, lui tirait en cloche à la volée.
Les deux participants ne purent se départager sur les trois premiers tirs.
Un quatrième et cinquième, à quatre-vingts et cents mètres furent pratiqués et réussis par les postulants.

Une pose pour concertation fut décidée par les juges.

Ces derniers, impressionnés par les deux archers, décidèrent de leur donner à chacun le point de cette épreuve. Mais il fut convenu aussi de mener la épreuve à son terme.
La cible fut donc à nouveau reculée de vingt mètres.
Le bushi Shinjo tira en premier. La flèche partir droite mais se ficha dans le sol à moins d'un mètre de la cible. Le bushi Licorne avait bien visé mais la puissance de son arc lui avait fait défaut.
Ito-san, quant à lui, visa le ciel, comme il l'avait fait pendant toute l'épreuve. La tension dans l'assemblée était à son comble. Cela faisait des années, et la prestation de Tsuruchi, que les spectateurs n'avaient vu une telle maestria dans l'épreuve d'archerie.
Ito tendit son arc, à la limite de résistance de sa corde abîmée. On entendit même certaines fibres se briser. Toutefois il décocha sa flèche qui décrivit une lente parabole dans un silence de plomb.
La lenteur du mouvement du trait mettait tous les spectateurs de la scène au supplice.
Soudain, un bruit sourd.
La flèche avait atteint la cible... en plein centre.
Un tonnerre d'applaudissements se répercuta sur le champ de tir en réponse à cet exploit rarissime.
Enfin, la corde de l'arc d'Ito cassa en vibrant.
A peine l'épreuve terminée, Ito se dirigea en courant presque vers Sugai.
Moto Sulimane, se doutant des intentions de son ami, le retint de sa poigne d'acier.

- Ce n'est pas le moment mon ami. Il paiera bientôt, mais si tu interviens ici et maintenant, tu te déshonoreras et tu déshonoreras ton clan. Ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?
- Non... non tu as raison Sulimane-san. Mais cette raclure aura à faire à moi sous peu je te le jure.
- Il faudra que tu sois rapide pour passer avant Kenji-san, lui répondit Sulimane de sa voix de baryton.
- Eh, eh ! C'est vrai, ce n'est pas gagné, ricana Ito, calmé.

Peu après le triomphe d'Hiruma Ito, débuta la dernière épreuve : la chasse.
Les règles en étaient simples. Chaque postulant devait en quatre heures maximum – de l'heure de Togashi à celle de Shiba – rapporter trois œufs de poissons Tsu, ni plus ni moins.
Comme il n'avait pas été précisé que l'épreuve était individuelle, Kenji et ses amis se regroupèrent afin de couvrir méthodiquement plus de terrain.
Kenji avait cherché Sugai, afin de le faire payer pendant cette épreuve où il arrivait souvent des « accidents », mais ce dernier avait disparu dès sa victoire à l'arc.

Kenji et Sangkai avaient aussi invité le rônin Toku, Asahina Tadamo et Matsu Shorisuro à les rejoindre. Seule cette dernière avait poliment décliné l'offre.
Les membres du groupe ainsi constitué, se répartirent en éventail, à portée de vue et de voix et avancèrent vers le nord, vers un bras mort de la rivière.
Ito était parti en éclaireur quelques centaines de mètres en avant du groupe, afin de repérer les traces caractéristiques des poissons Tsu.
Ces poissons de vase d'une trentaine de kilos, aux écailles d'un bleu électrique et aux nageoires émeraudes, aimaient les eaux profondes et stagnantes des lacs et des bras morts de rivières, mais au printemps une transformation morphologique des adultes nubiles avait lieu. Leurs nageoires de transformaient en membres terrestres rudimentaires, afin de leur permettre d'avancer sur le sol et même de grimper aux arbres.
En effet, l'évolution les avait dotés d'une technique particulière de protection de leurs œufs. Les femelles fécondées, s'arrachant à la vase, avançaient lourdement sur le sol, grimpaient aux arbres qu'elles avaient choisi et perdaient la vie en y pondant, dans les hautes branches, une grappe d'œufs gluants, de la taille d'une noix, dont la saveur délicate était prisée par les nobles de l'empire d'émeraude.
Les mâles, quant à eux se regroupaient en bandes d'une douzaine d'individus et protégeaient à tour de rôle les arbres où reposait leur si précieuse progéniture.

Au bout d'une demi-heure à peine, Hiruma Ito repéra un important nid de poissons Tsu, dans un if.
Ce dernier était protégé par quinze poissons Tsu mâles d'une taille respectable et dont les grandes bouches hérissées de dents acérées leurs donnaient l'air patibulaire de sentinelles Hida.
Nul doute que ces gardes vigilants seraient difficiles à contourner ou à vaincre.

- Nous allons devoir les occuper, tandis qu'Ito-san et Sangkai-san iront discrètement récupérer les œufs, lança Sulimane-san à la cantonade.
- Cela me paraît bien haut tout de même pour un shugenja, déclara Sangkai en soupesant la situation et en estimant la hauteur de l'If.
- Je suis certain que vous trouverez dans votre héritage familial les ressources pour surmonter cette difficulté, ironisa Kenji.
- D'autant que nous allons devoir nous farcir les poissons Tsu, renchérit Masud.

Aussitôt dit, aussitôt fait.
Ito se glissa dans les ombres, tel une panthère, suivi de près par un Sangkai presque aussi discret.
Dès que les jeunes gens furent visibles, tous les mâles vigilants pratiquèrent un assaut généralisé.
Il n'était pas question de tuer ces poissons sacrés, mais juste de les éloigner de l'arbre. Mais ceux-ci étaient organisés et il fallut aux postulants cinq tentatives pour pouvoir les éloigner suffisamment pour que les deux compères puissent s'approcher de l'arbre et y monter.
La récolte d'Ito fut pourtant très bonne : vingt-sept œufs de la plus belle qualité. Suffisamment pour les postulants du groupe et trois autres, récoltés à la demande de Kenji et Sulimane, pour Matsu Shorisuro.
Reculant en ordre dispersé, les postulants sortirent bien vite de la zone de garde des poissons Tsu mâles.
Tous se congratulèrent.
Seuls Sangkai et Ito se turent. De concert ils se tournèrent vers l'est, alors que les postulants traversaient une clairière dans un bois de bouleaux.

- Vous ne devriez pas être aussi insouciants petits gamins poudrés !

Le rônin borgne et crasseux qui avait déclaré cela, portait une armure de ashigaru et un no-dachi usé dans le dos. Son visage torturé était traversé de part en part par une cicatrice gigantesque qui lui barrait aussi l'œil gauche.
Le chef de bande était accompagné de quinze sbires dont cinq portaient des yumi bandés de flèches déchirantes. Les bandits, habillés de bric et de broc, ressemblaient plus à des paysans qu'à des budoka. Ils avaient pourtant pour eux le nombre et la surprise.

Le temps sembla s'arrêter.
C'est le chef des bandits qui rompit le charme.

- Remettez-moi tous vos œufs Tsu, sur le champ !
- Qui êtes vous pour nous demander cela, tonna Kenji ?
- Je suis celui qui peut te tuer sur un geste petit et j'm'appelle Noritsuya, rônin. Et toi ?
- Je suis Kakita Kenji, de la noble maison Ashidaka et vous devrez passer sur mon corps avant de récupérer un seul de ces œufs sacrés.
- Sur NOS corps, firent Ito, Masud et Sulimane, ensembles.
- Ça peut se faire. Mais réfléchissez ! Vous n'êtes pas encore des samurai, juste des gamins trop gâtés par la vie. En plus, vous n'êtes pas armés et vous êtes en sous-nombre. Si vous me donnez tous vos œufs, j'vous ferai aucun mal. Mais prendre les œufs sur vos cadavres fumants ça n'me dérange pas plus, ça s'rait même assez plaisant.
- Non, persista Kenji.

Un phénomène étrange se déroula soudain. Kenji et, comme il s'en aperçut par la suite, ses amis entr'aperçurent du coin de l'œil une belle grue à col bleu. Celle-ci sembla lui faire un clin d'œil et Kenji se sentit partir, flottant parmi les kami des airs. Il se vit charger le rônin, ses amis à ses côtés tandis que Sangkai et Tadamo commençaient à incanter une prière aux kami apprise par cœur.
La charge quoique spontanée et digne d'éloge, tourna court quand les deux shugenja tombèrent sous les flèches de l'ennemi.
Masud s'empara d'un gourdin au sol et fracassa le crâne d'un bandit, mais fut transpercé par deux yari et du sang artériel gicla quand un bandit lui trancha la gorge au sol.
Sulimane brisa la nuque d'un adversaire, tandis qu'Ito en rouait un autre de coups, mais eux aussi succombèrent face au nombre et aux armes d'hast qu'ils possédaient.
Kenji arriva jusqu'à Noritsuya et lui fit lâcher son arme grâce à une prise de mizu-do, mais il reçut une flèche dans le dos, rapidement suivie d'un coup de tanto dans le ventre asséné avec violence par le rônin, qui prit plaisir à tourner la lame dans la plaie, déclenchant une vague de douleur dans les viscères du bushi Grue.
La douleur était réelle, la scène sur-réaliste.
Tous entendirent, dans leurs têtes :

- Il y a des morts héroïques et il y a des morts stupides. Ce que vous vous apprêter à vivre est une mort stupide !

il y eu un flottement parmi les postulants.
C'est à ce moment qu'intervint Sangkai.

- Peut-être devrions-nous suivre les recommandations de ce rônin, Kenji-kun. Après tout nous sommes déjà samurai à quelques exceptions près... sans vouloir vous offenser Tadamo-san et Toku-san.

Les doigts de Sangkai, passés dans son obi, formaient trois traits parallèles et ils en tapotaient la soie magnifique.
Kenji et les autres sentirent que leur confrère voulait leur faire comprendre quelque chose. Le Scorpion reprit :

- Après tout, il n'est nul honneur et nulle gloire à mourir, quand il ne s'agit pas de protéger son seigneur, neh !?
- Hhrrmm ! Grommela Ito en sortant les vingt-sept œufs précieusement conservés dans son kimono.
- Puis-je savoir Noritsuya-san, qui est votre commanditaire ? Lui demanda Sangkai.
- J'suis pas une balance, Sangkai-san, les balances elles meurent jeunes. Mais rien que les œufs valent plein de koku, lui répondit le rônin.

Il a donc un commanditaire. Et qui connait nos noms.


Après avoir fait récolter les œufs par un de ses hommes, Noritsuya donna le signal de départ.
Alors Kenji explosa.

- Que signifie cette mascarade déshonorante, Sangkai-san ?

Sangkai choisit de ne pas lui répondre tout de suite et se tourna vers Ito.

- Ito-san, sauriez-vous retrouver cette clairière de nuit et suivre les traces de ces bandits sous la lumière du seigneur Onnotangu ??
- Sans problème. J'me perds jamais. Même dans l'Outremonde. Pi les autres là, ils marchent comme des gamins insouciants. Comme nous quoi.
- Très bien.

Se tournant enfin vers Kenji.

- Outre les quelques compétences acquises dans ma jeunesse, mon oncle – Que les fortunes le parent de toutes les vertus – m'a aussi offert un présent bien utile : Un sac Fukurishiki.
- Un quoi ? S'étonna Kenji
- C'est un nemuranai mineur Kenji-san, répondit, à la place de Sangkai, Tadamo. C'est un petit sac, ou une besace dont la place pour le contenu est bien plus important que la forme du contenant. C'est un objet très pratique pour les shugenja.
- Pour les shugenja aussi, souligna Sangkai. Quoiqu'il en soit, je soupçonnais Sugai de nous préparer un mauvais coup, aussi ai-je pris vingt-sept œufs de poisson Tsu et je les ai mis dans le sac en question. L'avantage c'est que Sugai croit maintenant détenir les seuls œufs de la chasse et que l'on sait qu'il a engagé des rônin – qui d'autre aurait eu le culot de faire cela – et que nous avons la possibilité cette nuit de les retrouver pour les faire parler. Du moins faire parler le chef, se corrigea-t-il.

Alliant le geste à la parole Sangkai sortit certains des œufs de son sac. Il eut certaines difficultés à empêcher son rat d'en gober un ou deux.

- Sangkai-kun, ton esprit est plus tordu que les veines des mains de ma grand-mère, ironisa Masud. Mais tu es brillant.
- Merci pour ce vote de confiance Masud-san, s'inclina le Scorpion.

Sur le chemin du retour, les sept amis rencontrèrent une Matsu Shorisuro dépitée et blessée.
Une flèche était légèrement fichée dans son épaule et elle arborait un coquard énorme à l'œil droit.

- Matsu Shorisuro-san, que vous est-il arrivé ? Lui demanda Moto Sulimane.
- Un parti de bandits m'a attaqué alors que j'avais trouvé des œufs de poissons Tsu, j'ai reçu une flèche, je me suis battue, mais j'ai été assommée par un coup de manche de no-dachi, donné par un ronin borgne.
- Que va-t-il vous arriver maintenant ? Lui demanda Kenji.
- Il n'y a qu'une action honorable. Le sepukku.
- Et si nous vous offrions trois œufs de poisson Tsu ?
- Ce serait de la triche, je ne puis accepter.
- Et l'emploi de rônin pour fausser la chasse, qu'est-ce donc à votre avis ?
- Non ce serait mal, l'épreuve est individuelle.
- Où donc, dans le règlement, avez-vous vu cela, jeune Shorisuro-san, renchérit Sangkai. J'ai sur moi le parchemin du règlement, nous pouvons le consulter si vous le souhaitez.

Ce fut fait.
Et la Matsu due se rendre à l'évidence, à aucun moment il n'y était écrit que la chasse aux œufs était une épreuve individuelle.
Elle accepta donc, de la part de Moto Sulimane, les trois œufs qui signifiaient tant pour elle. Le gempukku et la vie.

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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 27 déc. 2010, 18:32

A son retour le petit groupe remarqua une certaine effervescence dans le camp des postulants.
De tous ceux qui étaient rentrés jusqu'à présent seul Sugai avait rapporté des œufs de poissons Tsu.
Il avait, gonflant le jabot, invité ses amis Scorpions à une dégustation privée dans la soirée.
Les membres du groupe de Kenji se présentèrent discrètement aux juges, Sangkai ayant déclaré avoir une idée.
Chacun fit valider la possession de trois œufs, puis Sangkai les récupéra et il se dirigea vers Sugai et sa cour.
Ce dernier se retourna brusquement, comme averti que quelqu'un lui arrivait dans le dos et dit :

- Oui ? Qui-a-t-il Sangkai-san ?
- Pardonnez-moi de vous importuner ainsi, Sugai-sama, mais mes amis et moi avons pensé que votre festin pourrait apparaître un peu maigre avec seulement trois œufs. C'est pourquoi nous vous offrons les vingt-sept nôtres. Ainsi vous penserez à nous en dégustant ce met délicat digne du Kuge que vous êtes !

Ne pouvant faire autrement en public, Sugai remercia Sangkai et le loua pour sa générosité.
Ses yeux contredisaient ses propos.

Sangkai s'éloigna et revint vers ses amis. Toku, Shorisuro et Tadamo s'étaient retirés pour aller fêter leur bonne fortune avec leur famille ou leurs amis.

- Bien. Ceci étant fait, nous avons beaucoup de travail avant la nuit et bien plus encore cette nuit. Ito-san, auriez-vous connaissance d'un marchand Yasuki qui travaillerait dans les parages ?
- Ben Ouais ! Il y a celui qui m'a vendu mon porte-bonheur de Megumi... comment qui s'appelle déjà ? … Ah Ouais ! Jodeika... Yasuki Jodeika ! Il est pas loin, sur le chemin de l'auberge.
- Bien allons le voir voulez-vous !?
- D'ac'.
- Et peut-on savoir, ce que vous compter faire Sangkai-kun ?
- Non... de toute façon vous ne voulez pas vraiment savoir. Laissez-moi faire ce que sait faire de mieux un Scorpion et ainsi protéger votre honneur immaculé Kenji-san, lui répondit Sankgai en s'inclinant.
- Soit ! A condition que cela ne me retombe pas sur le dos.
- Cela ne devrait pas … normalement, fit le Scorpion avec un sourire froid.

Ito et Sangkai se dirigèrent un moment, comme les autres, vers l'auberge, avant de bifurquer pour aller discuter avec le marchand à son étal.

Le Crabe et le Scorpion revint deux heures plus tard. Ito-san arborait un large sourire et portait des armes disparates dans les mains.
Kenji les toisa avec suspicion mais se garda de tout commentaire.

- Alors, qu'allons nous faire cette nuit ? Entama Kenji.
- C'est simple. Trouver le campement des rônin, les assaillir, les tuer tous, tous sauf Noritsuya évidemment et utiliser ce rebut de la société afin de nous venger de Sugai, lui répondit sobrement Sangkai. Il nous reste malgré tout des détails à peaufiner.
- Vous n'êtes pas discrets, fit Ito à Kenji, Masud et Sulimane. Vous allez donc rester à une centaine de mètres de Sangkai et moi. Nous allons neutraliser les éventuels pièges autour du campement et un maximum de rônin. Puis vous arriverez pour nous prêter main forte.
- Tout cela ne me semble pas être une conduite très honorable, fit Kenji.
- Aucune action n'est interdite à la guerre comme en amour, intervint Sulimane.
- Soit. Mais comment comptez-vous vous assurer de la coopération de Noritsuya, mes amis.
- Une menace directe sur sa vie devrait suffire, dit Sangkai, si ce n'est pas le cas, j'ai encore un atout dans ma manche. Autre chose, Kenji-san et Moto-san, je vous demanderai une certaine discrétion, c'est pourquoi si vous pouviez mettre des kimono aux couleurs plus neutres, je vous en saurai gré.
- Très bien répondit Kenji.
- Ce sera fait, dit Sulimane.

Ainsi, alors que les autres postulants rentraient dans leurs auberges ou allaient fêter leur gempukku en famille ou bien dans des maisons de geisha, nos cinq compères partirent discrètement vers les bois.
Ito et Sangkai se fondaient dans les ombres.
Le premier avait passé sur son visage les marquages, de différents verts, propres à sa fonction d'éclaireur et portait un kimono uniformément gris anthracite, attaché aux genoux, aux poignets et aux coudes. Dès qu'il fut sous les frondaisons il disparut complètement à la vue de ses condisciples.
Le second était, lui, tout de noir vêtu, dans un kimono à la coupe similaire à celui de Hiruma Ito.
Il ne portait pas de cagoule – Sangkai savait que ce détail aurait été de trop pour ses amis à l'honneur si chatouilleux – mais une cagoule profonde qui mettait son visage dans une ombre dense, mouvante, dérangeante, presque vivante.
Il s'enfonça avec l'aisance d'une grande pratique, dans la forêt à la suite de l'éclaireur Hiruma.
Les autres plus circonspects, les suivaient à une centaine de mètres. Pour être sûr que leurs amis ne se perdissent pas, Ito plaçait à intervalle régulier de petits morceaux de soie blanche sur des branches basses.
Et de fait, cela aida par moment les trois bushi à suivre la piste de leurs amis.

Enfin après deux heures de marche en aveugle dans une forêt rendue inquiétante par la nuit tombée, Sangkai rebroussa chemin pour retrouver les trois bushi.

- Nous avons retrouvé leur campement. Ils dorment d'un sommeil aviné, et Ito-san est en train, au moment où je vous parle, de s'occuper des sentinelles. Noritsuya est endormi près du feu, il va être assez difficile de l'atteindre sans le réveiller. A moins qu'il ne soit complètement ivre, ce qui reste possible.
- Une suggestion ? Demanda Sulimane.
- Oui. Il s'agit pour nous quatre de neutraliser le plus possible de bandit, en faisant le moins de bruit possible tant que nous le pouvons et au contraire faire un boucan de tous les diables quand ils vont commencer à se réveiller, en attaquant de tous côtés, pour leur faire croire que nous sommes bien plus nombreux. Pendant ce temps, Kenji-san, qui est le plus rapide d'entre nous, se ruera sur Noritsuya pour le neutraliser. Attention, nous en avons besoin vivant. C'est impératif.
- Très bien, j'ai compris. Autre chose ?
- Non.
- Alors allons-y, conclut Kenji.

Les quatre amis se répartirent les armes achetées par Sangkai et Ito, se dernier ayant conservé un tanto.
Il y avait des tanto, des aigushi et un wakisashi que Kenji s'appropria d'office. Il était difficile de se battre en Iai avec un tanto après tout.
Quand Kenji avait demandé à Sangkai pour quelle raison ils devaient s'équiper d'armes nouvelles et comment le Scorpion les avait-il payées, ce dernier répondit très laconiquement :

- Vous ne voudriez pas, Kenji-san, souiller « Devoir » avec le sang abject de bandit, neh ? Comment je les ai obtenues est mon petit secret, mais sachez que les œufs de poissons Tsu ont une grande valeur.
- Dois-je comprendre que vous avez pris plus d'œufs que ce qui était préconisé par la famille Kakita ?
- Non, vous n'êtes pas obligé de comprendre cela, Kenji-san, mais sachez faire la différence entre préconiser et interdire.

Kenji se tut. Il commençait à comprendre comment fonctionnait l'esprit tortueux de son ami Scorpion.
Il se dit que dorénavant il lui poserait moins de questions. Ainsi son honneur et celui de Sangkai seraient saufs.

Tout alla très vite.
Ito s'était occupé discrètement des deux sentinelles, et les cinq amis avaient ainsi pu se placer idéalement.
Dans les premières minutes, la moitié des hommes de main étaient morts en silence.
Kenji avait pratiquement atteint le rônin, quand un des bandits cria tandis qu'Ito l'égorgeait.
La mêlée s'intensifia, et Kenji eu juste le temps de mettre sa lame sous la gorge de Noritsuya avant que ce dernier n'atteigne son no-dachi tout proche.
Tandis que Kenji tenait en respect leur chef, ses amis passèrent tous ses hommes par le fil de l'épée.
Sangkai s'approcha enfin du rônin. Il entama de but en blanc :

- Quel est ton commanditaire, crapule !

Afin de souligner le propos de son ami, Kenji appliqua sa lame effilée plus fermement.

- Un jeune seigneur Scorpion. Mais je ne sais pas qui il est. Il était masqué. Ils le sont toujours.
- Tu as bien une petite idée.
- Il était jeune et richement vêtu et j'ai remarqué que la dernière fois que je l'ai vu, il avait le bout du lobe d'oreille gauche fraîchement coupé.

Sugai.

- Combien t'a-t-il payé pour racketter les participants de la chasse ?
- Cinq koku.
- Menteur !

Du sang perla du cou du rônin.

- dix … dix koku.
- Combien t'en reste-t-il ?
- Ben … dix ! Je n'ai pas encore eu le temps de les dépenser.
- Faux. Tu n'en a plus. Où sont-ils ?
- Dans mon obi.

Une fouille rapide permit de vérifier qu'il disait vrai.

- Maintenant, rônin, tu vas faire quelque chose pour moi. Tu vas écrire un joli rapport à ton commanditaire. Et tu témoigneras devant le Champion d'émeraude.
- Non ! Si je fais cela je suis un homme mort.
- Mais tu es déjà mort, mon ami. Ce qu'il te reste à savoir, c'est si ta prochaine vie sera meilleure ou pire que celle qui est sur le point de s'achever.

De mauvaise grâce le rônin s'exécuta et écrivit une missive sous la dictée de Sangkai, relatant le succès de l'opération de récupération des œufs de poissons Tsu.
Il fut ensuite ligoté et emmené, bâillonné, vers Tsuma.
Avant de quitter le campement Sangkai se mit en communion avec les kami de la terre de la clairière.

- Ô dignes esprits de la terre, je vous invoque afin que soient lavés les affronts fait par ces bandits à votre divine essence. Les malfrats ont payés, mais leurs cadavres souillent toujours cette terre jusque là immaculée. Je vous en conjure, Ô puissants esprits telluriques, ne laissez pas cette abjection perdurer sur votre corps. Acceptez-là en votre sein afin de la recycler dans la grande roue Kharmique. Je vous en prie, bienveillants esprits terrestres entendez ma prière !

Le front de Sangkai était perlé de gouttes de sueur, mais lentement, petit à petit, toutes les traces des bandits disparurent comme happée par des sables mouvants.
En moins de cinq minutes, toutes traces d'activité humaine avaient disparues.

Arrivés aux abords de Tsuma, Kenji se dirigea directement vers une patrouille Daidoji sur le qui-vive et demanda à voir leur seigneur Daidoji Uji pour une affaire urgente et discrète.
Il fallut deux heures et des négociations avec le taisa de faction et le karo du seigneur Grue, pour que les cinq jeunes gens se retrouvent enfin face à Uji-sama.

- J'espère pour vous que l'information que vous m'apportez vaut les deux heures de sommeil que je vais perdre, jeunes gens. Si ce n'est pas le cas, les Crabes ont toujours besoins de chair à Oni sur la muraille Kaiu.

Uji-sama, n'avait pas l'air d'apprécier plus que de mesure d'être réveillé en pleine nuit.

- Pardonnez-moi Uji-sama. Peut-être ai-je mal interprété votre demande d'hier. Il m'avait semblé urgent pour vous de découvrir l'assassin de feu le daimyo du clan du Blaireau. C'est ce à quoi nous nous sommes employé. Vous savez comme moi, Monseigneur, que Bayushi Sugai-sama est responsable de la mort d'Ishiro Akitomo-sama, probablement aidé par un assassin autrement plus dangereux, que je ne nommerai pas sans preuve, mais qui porte des kimono de luxe noir, dont nous avons retrouvé un bout dans un arbre proche de la scène de crime. Vous devez à présent avoir une idée de son identité.

Sangkai présenta au seigneur Daidoji le petit morceau de soir retrouvé.
Puis il reprit.

- Nous nous sommes donc intéressé de plus prêt à Bayushi Sugai-sama, car il était de fait évident que ce dernier, quoique neveu de Kachiko-sama, avait menti. L'intérêt pour ce triste sire nous est aussi venu du fait qu'il a essayé de nous voler nos œufs de poissons Tsu. A nous comme à d'autres d'ailleurs. Voyez avec Matsu Shorisuro-san pour plus de détails.
- Croyez-le ou non, Sangkai-san, mais je n'ai que peu accès aux postulants et samurai de la délégation Matsu, l'interrompit Uji-sama avec un sourire froid. Mais je vous en prie continuez, vous avez piqué ma curiosité.
- Ses turpitudes seront révélées au grand jour, lors du duel du Championnat de Topaze, Uji-sama, je le jure. A une condition, toutefois, que ses appartements ne soient pas surveillés comme peuvent l'être les appartements des autres hôtes de Doji Satsume-sama. En outre nous espérons, le moment venu, une oreille bienveillante à nos suggestions.
- Je verrai ce que je peux faire.
- A ce propos. Nous avons un témoin et il s'agirait de le maintenir en vie jusqu'à ce que nous en ayons besoin. Pouvez-vous faire cela pour nous, dono ?
- Je pense en être capable, répondit Uji-sama, avec un sourire froid.

Il fit ensuite signe à son Karo, et des Daidoji patibulaires, appelés pour l'occasion, prirent en charge le rônin Noritsuya, qui n'en menait pas large.

- Allons nous coucher, mes amis, fit Kenji. Demain est un grand jour.

Même si je ne sais pas exactement où tu veux en venir Sangkai-san.

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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 04 janv. 2011, 16:12

En rentrant à l'auberge, Sangkai découvrit dans sa chambre une superbe théière en cristal fin enchâssée dans un cadre en bronze.
Un objet Gaijin ou du moins Licorne. Un objet dépareillé, car sans les huit tasses qui vont d'habitude avec.
Sangkai s'en ouvrit à ses amis.
Une seule personne avait les motifs et les compétences pour faire cela.
Sugai.
Son but était probablement de mettre Sangkai dans l'embarras, après l'affaire des œufs Tsu.
D'après Masud, une seule boutique de Tsuma pouvait prétendre vendre des objets Licornes aussi rares, la Boutique de l'Exotique, tenue par un neveu d'Ide Daikoku.
Sangkai décida de s'absenter quelques heures dans la soirée.

Le lendemain matin la « Maison de Megumi » fut réveillée par un brouhaha indistinct mais bruyant.
Les postulants se levèrent un par un et le vieil aubergiste vint voir Sangkai et Kenji.

- Je suis désolé, messeigneurs, mais une personne désire vous voir de façon urgente.
- Il attendra bien que nous nous lavions et que nous nous vêtissions, non ?
- Je suppose qu'il n'a pas le choix, sama.
- Non, en effet.

Une heure plus tard, alors que l'importun s'était résigné à se taire et à attendre, Kenji et les autres descendirent ensembles. Sangkai avait ce sourire froid des jours où il a conçu et mis en place une manipulation en vue de piéger un adversaire.

- Mais enfin, quelle outrecuidance de me faire attendre ainsi ! Entama l'inconnu .

Toutefois, la plupart des samurai qui l'accompagnaient n'étaient pas, eux, des inconnus. Il y avait Bayushi Sugai et ses amis, des sycophantes de son entourage. Le dernier accompagnateur était un jeune Ide d'une vingtaine d'années, que Kenji supposa être le boutiquier.

- Bonjour Ide-sama, je me nomme Kakita Kenji, de la maison Ashidaka. Peut-être me ferez-vous l'honneur de vous présenter et de me dire ce qui vous cause tant d'émoi ?
- Oui, bon... Bonjour à vous aussi Kakita-san, je me nomme Ide Daikoku, oncle et mécène du tenancier de la Boutique de l'Exotique et je réclame justice. Une personne parmi vous m'a volé !

Un silence pesant s'instaura. Kenji porta un regard lourd de mépris sur le marchand avant de reprendre.

- Peut-être voudriez-vous reformuler ces paroles qui semblent insultantes et dont la véracité me paraît plus que hasardeuse ? Murmura Kenji.

Le marchand était de plus en plus nerveux. Des grosse gouttes de sueurs perlaient à son front. Son neveux regardait le sol. Ide Daikoku regarda derrière lui et se reprit.

- Ces nobles samurai ici présents, vous ont vu, vous Soshi Sangkai, sortir de la boutique de mon neveux tard dans l'après-midi, alors qu'il s'occupait de Bayushi-Sugai-sama. Après votre passage, il manquait la cruche Ujik-Hai qui faisait la fierté de la boutique. Une seule conclusion est possible, hélas : Vous l'avez volée.
- J'ai effectivement cette cruche, intervint Sangkai, en surprenant tout le monde. Mais j'ai aussi les tasses.
- C'est impossible. Les tasses étaient hier soir, chez mon neveu. Je les y ai vues ! Tempêta Ide Daikoku.
- Voilà deux fois que vous m'insultez Ide-sama. Je vous dis, moi, que vous vous êtes fourvoyé et que l'ensemble à thé des Terres Brûlées est ici et qu'il est à moi. Je l'ai acheté. D'ailleurs, le voici.

Sangkai se tourna vers la table basse derrière lui. S'y trouvait l'ensemble bien mis en évidence par les sucreries apportées par Masud.

- Enfin, et j'espère que cela clôturera cette ennuyeuse affaire, jeune homme vous avez dans votre obi une pièce en or de dix koku, que je vous ai remise en paiement de ce splendide exemple de l'artisanat des terres Licornes. Vous étiez très occupé avec Sugai-sama quand je vous l'ai acheté. Vous avez dû oublier la transaction et vous conviendrez que la somme est digne de l'objet, voire doublement digne de ce dernier.

Le jeune Ide, à qui s'adressait cette diatribe, fit un geste vers son obi et parut stupéfait quand il y trouva une large pièce en or d'une valeur de dix koku.
Kenji, le sourire aux lèvres, intervint, en se tournant vers un Ide Daikoku abasourdi :

- Y a-t-il autre chose Daikoku-sama ? … Non ? Et bien je vous invite à vaquer à vos occupations tandis que nous ferons de même. Sugai-sama, je vous prie, pourriez-vous m'accorder un petit moment ? Vous pouvez, bien évidemment garder vos … amis avec vous, si d'aventure une peur irrationnelle de ne pas sortir d'ici vous étreignait.
- Je ne sais. Mon précieux temps ne saurait réellement s'accommoder d'une entrevue si commune, mais bon... il faut parfois prendre sur soi.

Il fit signe à ses sbires de sortir, refusant de montrer une quelconque peur à son adversaire, et se tourna vers Kenji, le sourcil relevé et l'air hautain.

- Oui ?

Le regard de glace, un sourire carnassier aux lèvres, Kenji attendit que l'aubergiste se retire dans ses quartiers avant de répondre.

- Sugai-sama, commencez à adresser des prières à vos ancêtres, car vous allez bientôt les rejoindre.

Dans le regard de Kenji, un feu glacé couvait. Tous les spectateurs de la scènes sentaient que la confrontation pouvait à tout moment basculer dans la violence.
Sugai, légèrement affecté par la calme froideur de Kenji, fit toutefois bonne figure.
Il renifla en ricanant et sortit sous les regards amusés des cinq amis.
Kenji :grue:
qui a dit qu'un kakita n'était jamais un guerrier

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Ashidaka Kenji
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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 10 janv. 2011, 18:27

Kenji leva les yeux au ciel.
Le soleil était haut et chaud. C'était l'heure d'Akodo.
Une légère brise se leva qui fit danser les cheveux blancs et fins du catogan de Kenji.
Il était là où il avait tant de fois rêvé d'être. Là où l'avaient amenées toutes ces années d'efforts et de sueur.
Le jeune Grue fit un tour sur lui-même, en tentant de graver les détails de la scène dans sa mémoire.
Il se tenait, fier et droit, dans un cercle sacré de terre battue de cinq mètres de diamètre environ, délimité par une fine grève blanche, extraite de la mer à proximité et triée pour n'en retenir que les plus beaux galets blancs.
A sa droite, les deux arbitres du duel, dans leurs plus beaux atours, Kakita Toshimoko-sama et Kakita Ijimashi-sama.
A sa gauche, la tribune officielle, vibrante d'anticipation et de plaisir mêlés.
Tout Rokugan était là, entourant la Fils du Ciel Hantei XXXVIII et son héritier. Les plus grands seigneurs et les plus nobles dames les entouraient de leur révérence et leur dévotion.
Derrière lui, bien alignés, les postulants en passe de devenir des samurai, ardents défenseurs de l'empire d'émeraude.
Et devant lui, son destin.
Entre lui et son avenir : Bayushi Sugai.
Un seul de ces jeunes samurai allait sortir du cercle sacré, pour voir le soleil se coucher.
C'était sa voie, la voie du duelliste.
Kenji regarda Sugai. Il vit à travers lui. Il vit son destin.
Et il sourit, de ce sourire carnassier capable de glacer le plus résolu des duellistes.

Lui revinrent alors en mémoire les derniers évènements.


* * * * *


Après l'épisode tragicomique du marchand Licorne, les cinq amis prirent un petit déjeuner copieux. L'ambiance était joyeuse. Masud leur conta un conte grivois de ses terres natales et Ito le soutint avec des blagues de corps de garde. Mais toujours, la tension tenait Kenji. C'était son jour, ou du moins ce devait l'être.
L'ironie du sort voulait que ce soit Ito qui avait le plus de points.
Malgré son manque total de compétences de cour, malgré son absence navrante de sens artistique, les kami lui avaient sourit. Il avait donc passé les épreuves sans coup férir.
Les Shugenja, Soshi Sangkai compris, s'étaient, selon la tradition, désistés pour le Championnat de Topaze à venir.
Hormis Ito-san, restaient encore en lice :
Kenji, Uriko, Fugizaka, Masud, Sulimane, Toku et bien sûr Sugai.

Le tirage au sort désigna les premières paires pour les premiers duels.

Kenji rencontrerait Ito.
Masud ferait face à Uriko.
Sulimane devrait à nouveau rencontrer Fujizaka.
Enfin, Sugai pratiquerait le duel Iai contre le rônin Toku, qui avait réussit à se hisser jusque là.
Les duels étaient prévus dans cet ordre, à partir de l'heure du serpent, avec la finale se tenant au milieu de l'heure du cheval, c'est à dire de l'heure d'Akodo.

Ito se présenta en premier dans le cercle sacré.
Il portait son kimono habituel et son daisho d'entraînement, qui manifestement n'avait pas beaucoup servi.
Il mâchonnait un bâton de réglisse en attendant son adversaire.
Kenji se présenta sur la lice habillé sobrement d'un kimono blanc dont les manches arboraient un liseré bleu clair et d'un hakama bleu marine. Son obi, bleu ciel ceignait son daisho d'entraînement, au manche usé et patiné par les milliers de dégainé-frappé.
Les deux bushi se mirent en position.
Leur différence de niveau était flagrante. Et pour cause, Ito ne possédait aucune connaissance dans l'art Iaijutsu, n'avait jamais pratiqué ni l'art du dégainé-frappé ni celui du duel.
Au bout d'une minute, Ito se redressa et dit :

- Celle-là est pour toi mon pote.
- Ton honneur est sauf mon ami.

Kenji s'inclina et fut désigné vainqueur par les arbitres.

Masud se présenta aux juges et s'inclina profondément face à Uriko, par respect pour son adversaire.
Cette dernière s'inclina sèchement, à la limite de la politesse et se mit en position.
Masud fut impressionné par sa posture.
Il avait en face de lui une vraie duelliste.
Mais il ne s'en laissa pas compter. Il défendrait coûte que coûte l'honneur de son clan et de sa famille.
Il prit lui aussi la posture et se concentra.
Le duel fut rapide. Masud initia un mouvement et Uriko esquiva et lui fit une très légère plaie à l'avant-bras gauche. Elle s'inclina, salua les juges et sortit sans un mot du cercle sacré.
Masud salua de même les juges et partit voir les shugenja Asahina pour se faire soigner sa petite incision.

Vinrent ensuite les deux poids lourds de la compétition : Sulimane et Fujizaka.
Les deux bushi se firent face, en armure lourde, concentrés et sévères.
Sulimane était plus focalisé, plus concentré que son adversaire. Quand le temps de la frappe vint, c'est le Licorne qui toucha son vis-à-vis à l'épaule, tranchant le kote et balafrant l'épaule du Crabe.
Les deux bushi ami s'inclinèrent, saluèrent les juges et Fujizaka alla faire une accolade à son ami en riant.

Pour finir, Sugai, souriant et méprisant fit face au rônin Toku.
Toku, déjà très fier d'être arrivé jusque-là, souriait à toute l'assistance.
Il savait toutefois être très inférieur à son adversaire et connaissait déjà l'issue du duel.
Les deux bushi se firent face après avoir montré leur respect aux juges, et le duel ne traîna pas.
Dans une fulgurance digne de son école, Sugai surgit et trancha le obi du rônin, faisant tomber son daisho et l'entaillant au niveau de la hanche gauche.
Le fait que Toku dût tenir son kimono pour saluer les juges et sortir de la lice l'amusa beaucoup.
Cela fit aussi sourire bon nombre de spectateurs parmi les plus cruels.

Il n'y eu pas de pose.
Le tirage au sort désigna les prochains duels.

Kenji face à Uriko.
Sugai contre Sulimane.

Kenji se présenta en lice, s'inclina respectueusement à l'arrivée de son adversaire.

- Uriko-san, ainsi nous nous retrouvons. C'est pour moi un grand plaisir.
- C'est la dernière fois que je vous croise Kakita... -san. Et tout le plaisir est pour vous.

D'accord. Elle va avoir du mal à trouver un époux celle-là.


- Et bien soit commençons alors.
- Oui, terminons ceci et vous ne pourrez pas vous cacher derrière des circonvolutions oratoires cette fois.
- Sachez Uriko-san, que je ne me cache jamais. J'ai été meilleur que vous alors. Je le serai aussi aujourd'hui.

Les deux bushi, tendus, se firent face.
A la glace de Kenji, répondait le feu d'Uriko.
Les deux postures étaient équivalentes à défaut d'être identiques.
Dans un battement de cœur, les deux bushi se jetèrent l'un sur l'autre.
Encore une fois Kenji prit le meilleur sur Uriko et lui infligea une entaille sur le dessus de la main droite.

- Un petit souvenir de moi que vous emporterez dans vos montagnes Uriko-san, lui dit Kenji en souriant ironiquement.

De nouveau blessée dans son ego, Uriko salua les juges, à peine Kenji et sortit du cercle sacré presque en courant et en se tenant la main.

Sugai s'approcha de la lice, s'y installa tandis que Sulimane approchait.

- Voyez et apprenez Moto-san. C'est ainsi que se résolvent les différents entre personnes civilisées. Et non sur un cheval qui sent le crottin. J'espère seulement que vous aurez le temps de voir quelque chose.
- C'est effectivement ainsi que se résoudra notre différent Sugai-sama. Mais vous ne ferez plus face à un samurai des plaines mais bien à un duelliste confirmé. Que les Fortunes vous prennent en pitié, car moi je ne le ferai pas, lui répondit solennellement Sulimane.

Ces paroles ressemblant à une malédiction, ne décontenancèrent en rien Sugai dont le sourire s'élargit en observant la posture de son adversaire.
Il se mit en position et jaillit, entamant le plastron de Sulimane et tranchant ses abdominaux. Heureusement pour lui, il les avait très développés.
Sulimane mit toutefois un genou à terre, tandis que les Shugenja Asahina accouraient et que Sugai sortait de la lice en saluant les juges.

Arriva l'heure de la finale.
Kenji se présenta face à Sugai.
Dans leurs yeux, la même haine pure.
Kenji prit la parole.

- Votre Auguste Majesté, Votre Grâce, Messeigneurs, J'aurais aimé me taire et ne pas vous mettre publiquement mal à l'aise, hélas cela n'est plus possible. Je ne puis permettre, si je perds, qu'un tricheur atteigne le rang de Champion de Topaze. Ainsi, j'accuse Bayushi Sugai de triche.
- Comment oses-tu, ji-samurai, dont la lignée est plus que nébuleuse, m'insulter et m'accuser, moi, un prince de sang. Je réclame justice. Que ce duel se transforme en duel à mort. Je ne saurais en tolérer d'avantage de la part de ce samurai de peu.
- Je ferai ce que m'ordonneront messeigneurs, mais sachez que je suis prêt à relever le défi, que j'ai un témoin et que les preuves existent.

Dans l'assistance la stupeur fit place à l'indignation, excepté pour Uji-sama qui murmurait déjà à l'oreille de son seigneur et maître Doji Satsume-sama. Ce dernier acquiesça et murmura lui-même à l'oreille de l'Empereur. Le Fils du Ciel fit un signe de tête et Satsume prit la parole.

- Pourriez-vous produire ce témoin Kenji-san ?
- Oui, dono, sur-le-champ si vous le souhaitez.
- Je le souhaite.

Comme par enchantement Sangkai apparut avec le rônin Noritsuya, escorté par quatre vétérans Daidoji.

- Voici mon témoin, dono.
- Parle rônin si tu tiens à la vie. Et parce que tu es en présence du Seigneur de Toute Chose, que seule la vérité sorte de ta bouche.

Le rônin était tétanisé, comme drogué. Il semblait incapable de répondre.

- Si vous me permettez Satsume-sama, ce rebut d'humanité est paralysé par l'honneur qui lui échoit de se trouver face au Fils du Ciel, intervint Sangkai. Peut-être répondra-t-il mieux à mes questions.
- Faites donc Sangkai-san, mais que cette triste affaire se résolve sur l'heure.
- Hai dono. Rônin quel a été ta dernière tâche criminelle ?
- Voler les œufs Tsu des postulants lors de la chasse.
- Quel est ton commanditaire ?
- Je ne sais pas vraiment. Il était masqué. C'est un noble, car il était bien habillé. La dernière fois que je l'ai vu un de ses lobes d'oreille était tranché et portait un pansement.

Instinctivement Sugai porta sa main à son oreille blessée. Il se reprit bien vite et arrêta son geste au milieu de sa course, mais tous dans l'assistance l'avaient vu.
Noritsuya, égrenait les faits comme une marionnette.
Sangkai reprit la parole.

- Ce commanditaire peut être n'importe quel félon. Qu'as-tu fais qui pourrait de façon certaine prouver son existence et son identité ?
- La nuit dernière je lui ai écrit un message.

Enfin Sugai intervint.

- Et bien que l'on fouille mes appartements, j'y consens. Et vous verrez bien qu'aucune preuve d'un quelconque culpabilité de ma part ne s'y trouve.
- Qui a dit que vous étiez l'accusé Sugai-sama, riposta Kenji.
- Que vous y consentiez ou pas, est hors sujet Sugai-san, le cingla Satsume, vos appartements vont être fouillés sur le champ en ma présence, celle de Daidoji Uji-sama, celle de Bayushi Shoju-sama et celle du noble Otomo Banu-dono. Ainsi nous verrons s'il s'y trouve des preuves incriminantes ou non. En attendant, vous êtes prié de rester dans le cercle sacré avec votre accusateur.

L'attente fut crucifiante.
Au bout d'une heure les investigateurs revinrent.
Il était impossible de déterminer l'issue des recherches sur le visage de Satsume-sama, Shoju-sama portait comme à son habitude un masque total et Banu-dono, en bon politicien savait dissimuler ses émotions quand il le fallait. Seul Uji-sama arborait un léger sourire féroce sous son voile diaphane.
Le Champion d'émeraude leva une main pour faire cesser le brouhaha diffus et il parla.

- Les investigations dans les appartements de Bayushi Sugai-san ont été fructueuses. Il nous a été permis de trouver un rapport des activités criminelles du rônin Noritsuya. A la lumière de ces dernières preuves, avec le témoignage des activités criminelles conduites par le rônin nommé Noritsuya et en accord avec Bayushi Shoju-sama, Je décrète ce qui suit. Compte tenu des multiples accusations qui portent sur lui, compte tenu des preuves retrouvées dans ses appartements, Bayushi Sugai-san est convaincu de tricherie. Toutefois eu égard à son statut et parce que le statut des accusateurs est inférieur au sien, il a été accepté par toutes les parties d'entériner le demande de duel à mort de Sugai-san, d'autant que son accusateur est prêt à l'accepter. S'il gagne Sugai-san sera lavé de toute accusation et pourra donc prendre le titre de Champion de Topaze. S'il perd, alors Kenji-san sera nommé nouveau Champion de Topaze et l'opprobre rejaillira sur le perdant dont le nom sera rayé des archives impériales et oublié. Par ordre de Sa Majesté Impériale Hantei XXXVIII et en Sa Présence, j'ai dit.

Tous, hormis l'empereur et son fils s'inclinèrent devant cette décision.
Ainsi devait-il en être.

Kenji laverait l'honneur de Otaku Shiko et ferait payer à Sugai le meurtre de Ichiro Akitomo.
Ou il mourrait en essayant.
Oui, vraiment cela était juste.
Mais se faisant, il se ferait comme ennemi le clan du Scorpion en entier.
C'était son kharma.


* * * * *


Kenji revint au présent.
Il se plaça comme dans un songe dans le cercle sacré, suivi de près par Sugai.
Les deux bushi se faisaient face.
Kenji se sentait étrangement calme et en phase avec les éléments.

Il se concentra sur la respiration de son adversaire, sur son attitude et sur les mouvements de ses yeux.
Kenji sentit plutôt qu'il ne le vit le dégainé-frappé de Sugai. Ce dernier agissait avec une vélocité incroyable, mais le bushi Grue n'était déjà plus là quand il frappa.
Le jeune Grue s'était décalé et avait dégainé son sabre, « Devoir » et son mouvement avait « traversé » son adversaire.
Sugai se permit un petit sourire, pensant avoir touché son ennemi.
Puis sa tête se décolla de son cou dans un immonde bruit de succion.
Il venait de passer de vie à trépas, sans même s'en apercevoir.

Kenji respira calmement trois fois, rengaina et vérifia s'il était blessé. Seul son kimono était tranché.
Il salua les juges, qui lui signifièrent qu'il était le nouveau Champion de Topaze.
Tout se passait dans l'ouate, comme dans un songe.
Kenji venait pour la première fois de sa vie de tuer quelqu'un. Que cet homme ai mérité son sort était hors sujet. Kenji, dès ce jour, ne serait plus comme avant. Il devrait porter dorénavant le fardeau des vies qu'il aurait à interrompre et il se demanda s'il en serait capable.

On le ceignit de la magnifique armure d'apparat du Champion de Topaze, construite par la famille Kaiu et on lui offrit une lame Kakita, spécialement ornée d'une tsuba de topaze afin de commémorer ce jour.
Un grand festin fut organisé juste avant la remise des wakisashi, que Kenji ne vit pas. Il mangea, sourit, répondit aux questions, mais son esprit n'était pas encore revenu des terres du regret.

Enfin, vint le moment de la remise des wakisashi, le passage à la vie d'homme.
Kenji émergea de ses rêveries.

C'est Doji Satsume en personne qui reçut le serment d'allégeance de Kenji.
Avec son wakisashi, ce dernier s'entailla le pouce gauche et jura allégeance à son seigneur. Il marqua le parchemin de vassalité de son sang, avec l'empreinte de son pouce, Satsume-sama en fit de même et prit révérencieusement le parchemin, qu'il mit dans son kimono.
Leurs destins étaient liés.
Kenji était samurai.

Le gempukku de Sangkai fut plus tendu.
Il avait été un des artisans du discrédit et de la mort du neveu de Kachiko-sama.
L'acceptation de son allégeance fut froide et compassée. Mais il n'était pas l'heure de la vengeance. Le Scorpion était patient.

Tandis que les tout nouveaux samurai saluaient en file leurs nouveaux seigneurs, un rai de lumière solaire illumina l'assemblée.
Une grue bleue descendit des cieux, se posa sur le sol et se transforma en homme : Un vieillard aux rides de rire et au sourire malicieux.

- Je suis Megumi, Fortune des actes héroïques. Qu'il soit connu de tous que ces cinq jeunes samurai sont promis à de grandes choses et que le regard des Cieux les suit et les protège. J'en suis le garant. Pour que personne n'oublie, voici un modeste cadeau.

Un autre rayon illumina les sabres courts des cinq amis. Sur leurs tsuba apparaissait maintenant le signe des cinq anneaux, brillant de mille feux.

Le vieillard se transforma à nouveau en grue bleue et reprit son envol, laissant l'assemblée bouche bée d'étonnement.

Kenji :grue:
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Re: (Nouvelle) Une Vie : Ou les chroniques d'Ashidaka Kenji

Message par Ashidaka Kenji » 19 janv. 2011, 09:27

Cela faisait sept mois !
Sept mois que les cinq amis étaient reclus dans ce temple reculé, presque abandonné.
Sept mois de méditation et de jeûne, de prières et d'ablutions.
Sept mois de prison.

Simplement, parce qu'ils avaient fait leur devoir - du moins tel que le concevait Sangkai - et que cela avait mécontenté certains puissants seigneurs, surtout dans le clan du Scorpion, son propre clan.

Sangkai se permit un très léger sourire - il ne fallait pas que le frère prieur ne le remarque, cet ex-heimin était expert à la canne de bambou - en entendant le subtil ronflement de Kenji.
Ce dernier avait, au grand étonnement de ses amis qui n'avaient jamais compris comment il ne s'était jamais fait prendre, développé une méthode très personnelle de méditation consistant à dormir sans mouvement et presque sans bruits au nez et à la barbe des moines.
Là où la technique était remarquable c'était que Kenji avait la faculté de se réveiller en un clin d'œil, frais comme une rose, avec en mémoire les dernières paroles de l'abbé.

A la droite de Sangkai se tenait bien droit Moto Sulimane en méditation za-zen, flanqué à sa propre droite d'un Ito presque affalé sur lui-même, mais toujours conscient.
A sa gauche, dormait Kenji, à la gauche duquel, méditait, consciencieux, Masud.

On ne pouvait nier que ce régime à la bouillie de riz et à l'eau avait fortifié les jeunes samurai. Ils étaient affutés et plus vifs que jamais. fins prêts pour leur Grande destinée.
Encore fallait-il que cette dernière frappe à leur porte et que leur supérieur direct les convoque pour leur donner une mission.

Ils avaient eu pleins d'espoirs pourtant, en particulier Kenji, quand Satsume-sama en personne avait déclaré qu'ils les prenaient indirectement à son service en tant que Magistrats du clan de la Grue, sous les ordres directs d'un Haut Seigneur, Doji Shuki-sama.
C'est tout naturellement Kenji qui fut donc le plus déçu et le plus affligé par l'ordre de réclusion dans un temple pour un temps indéterminé, proclamé par Shuki-sama. D'autant qu'il avait rempli sa part du contrat en gagnant le Championnat de Topaze.

Et ainsi étaient-ils là, à se lamenter, chacun dans leur style, des amers revers de la Fortune.

Soudain, une conque sonna. Quelqu'un arrivait.
Enfin.
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