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par Iuchi Mushu » 20 janv. 2010, 23:00
La colère vide l'âme de toutes ses ressources, de sorte qu'au fond paraît la lumière - Friedrich Nietzsche
Une année après, elle était en mesure de répondre à cette question. Elle n'avait plus quitté la cabane de Mirumoto Seiji après la nuit d'orage. Elle veilla sur lui et devint avec le temps, celle à qui il confia tout.
Sa mort fut plus douloureuse encore que les autres, si douloureuse... Il mourut avant de revoir l'automne, sa saison préférée. Shushin fit venir un prêtre et elle mit elle-même le feu au bûcher, le coeur emplit de tristesse. Elle eut l'impression de tout perdre une fois encore, de n'avoir rien appris, de ne rien comprendre à l'ordre des choses. Elle tria toutes ses affaires et conserva ses lames qu'elle emballa précieusement et ses kimonos qu'elle mit dans son maigre sac. Elle porta le reste au village, cela aiderait quelques familles et qu'aurait-elle fait avec tout cela à Shiro no Togashi ?
Trois semaines après sa disparition, c'était le début de l'automne, jalonné des festivités paysannes, elle ne resta pas, elle n'aurait pas pû. Elle prit la route du retour sans savoir si elle retrouverait son chemin.
Son itinéraire fut silencieux, solitaire. La méditation ne lui apporta aucun calme à l'esprit, au contraire, il était de plus en plus agité. Elle craignait son retour, la réaction de son daimyo, celle de Mitsu, la sienne face à cette perte. Le vide en elle était immense, l'accepterait-elle ? Elle se mit à douter une fois encore.
Qu'avait-elle appris ? Quelle était la leçon ? Seiji n'avait jamais voulu parler de la raison pour laquelle il avait tout quitté et elle n'avait plus cherché à savoir. Ils avaient vécu en harmonie et il était parti serein, le coeur vidé de toute haine, de toute colère mais maintenant, cette colère, elle en portait une partie au fond d'elle même, elle le sentait. Et comme elle n'arrivait pas à saisir le sens des choses, elle grandissait avec son incompréhension. Elle marcha durant des jours sans vraiment se soucier d'autre chose que de remonter vers le Nord.
« La Vénérable Demeure de la Lumière »...si elle était l'une d'eux, elle la retrouverait. Elle pensait errer, se tromper mais son sang ne se trompa pas et son esprit s'interrogea. Comment avait-elle pu le chercher ainsi la première fois ? Il était là dans les brûmes, avec ses remparts millénaires, le seul édifice abritant sa famille maintenant. Elle tomba à genoux et pleura. Le front au sol, son chagrin coula comme la cascade en furie près de la cabane de Seiji.
Il fallait qu'elle trouve le courage de se lever, de gravir les marches une fois encore. Mais lorsqu'elle leva la tête, elle était dans la grande salle aux colonnes. Ni croyant pas, elle se retourna, chercha le chemin de terre sur lequel elle versait ses larmes, il avait disparu. Un vent souleva les rideaux, elle chercha son ombre, écouta son pas mais rien. Elle s'avança vers les colonnes des éléments, posa sa main sur celle du feu mais le décor resta de marbre. Qu'est-ce que cela signifiait ? Elle fit quelque pas, rien. Quelques autres, rien... jusqu'à ce qu'ils l'amènent à une partie qu'elle n'avait jamais visitée. Les vasques prenaient feu à son passage pour l'éclairer, elle sursautait à chaque fois quand l'huile s'embrassait dans un vrombissement court et sourd. Elle se sentait attirée plus avant dans le couloir. Etait-ce le Seigneur Togashi qui l'appelait ? Elle n'entendait pas son pas, d'ailleurs, elle ne se souvenait pas de l'avoir déjà entendu. Elle avança encore puis soudain au détour d'un couloir, elle s'arrêta muette.
Sur une profondeur qu'elle ne pouvait pas déterminer, il y avait de part et d'autre d'une allée magistrale, des centaines d'armures posées sur leur support, parfaitement alignées. Des voilages de verts mêlés tombaient depuis le plafond immensément haut, les vasques continuèrent à s'enflammer sur son passage et elle avança intimidée. Au bas de chaque armure; elle lut le nom d'hommes inconnus à sa mémoire. Puis ses yeux se posèrent sur un support de sabres vide au pied d'une armure sans nom. Elle releva les yeux devant
le travail magnifique d'un artisan exceptionnellement doué. Les plaques la composant ressemblaient à des écailles de dragon assemblées les unes aux autres par des rubans de soie vert sombre. Fils de soie sauvage, ils n'étaient pas disciplinés et de petits fils sortaient ça et là donnant la parfaite illusion d'un ensemble vivant quand il devait être en mouvement. Elle la toucha et tout son être frissonna. Elle eut la certitude que c'était celle de Seiji. Elle s'agenouilla et ôta les sabres de son dos puis avec grande déférence, les déballa et posa le katana à sa place puis le wakizashi. Ce geste emplit son coeur d'émotion et elle se releva vivement comme pour chasser l'émotion qui tentait de la submerger.
- Chut, il est en paix maintenant
Au lieu de retenir ses larmes, la présence de son Seigneur derrière elle, sortit de nulle part, fit rompre la digue.
-C'est tout ce qu'il reste de lui murmura-t-elle.
L'eau glissa sur sa joue
- Tu te trompes Shusshin.
« Des souvenirs, oui il restait cela aussi, pour tout ceux qui l'avait connu ». Il sourit à sa pensée et s'approcha d'elle avec une grande douceur. Il ne portait pas son armure, juste de larges robes amples, richement brodées, elle sentit l'étoffe contre son dos et le dragon prit vie, glissant avec douceur, moins violemment que la première fois. Il prit sa main, la posa sur son ventre, posa la sienne par dessus et murmura
- Ecoutes...
Ses pupilles s'agrandirent, sa bouche s'entrouvit, Togashi murmura
-Tu vois, il reste bien plus de lui...
Sa voix semblait à la fois être un murmure et emplir toute la pièce. Cette étrange harmonie durant un temps que par la suite elle fut incapable d'estimer puis Togashi se détacha d'elle.
- Tout ira bien maintenant, tes questions trouveront des réponses
Il sourit et s'apprêta à s'en aller quand Shusshin le retint
- Pourquoi est-il parti Togashi donô ?
Il se retourna lentement la regarda. Elle faillit regretter d'avoir posé la question mais contre toute attente, après un très long silence il répondit.
- Je lui ai pris son fils.
Elle crut le voir inspirer profondément mais n'en fut pas sûre
- Mais c'était dans l'ordre des choses, n'est-ce pas ?
- Oui.
Enfin oui. Le doute est comme le vide, il s'insinue partout. Togashi se détourna et s'éloigna, les vasques furent soufflées d'un coup et Shusshin sursauta. Dans la pénombre, l'armée d'armures formait une garde d'honneur, les tissus semblaient ne plus avoir de couleur, tout ici n'était que souvenir.
Elle baissa les yeux auprès de l'armure, le nom de Mirumoto Seiji y était inscrit.
Fin
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)