[Nouvelle] Eveil

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Pénombre
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[Nouvelle] Eveil

Message par Pénombre » 07 nov. 2006, 15:47

"Ce qui doit arriver arrivera"

Cette phrase est celle que j'ai le plus souvent entendu de la bouche de Sanosuke durant toutes ces années.
C'est la phrase qu'il m'a murmuré quand notre mère est morte durant l'épidémie, il y a bien longtemps.
Ce sont les mots qu'il a prononcé lorsque les sensei lui ont demandé à l'issue de l'apprentissage d'énoncer le poème qui marquerait son acceptation au sein des bushi de la famille Mirumoto.
Il souriait lorsqu'il me les répéta le jour ou je quittais notre maison pour rejoindre l'école des shugenja de nos cousins Agasha.
Il pleurait en les disant lorsque nous étions en train de nous recueillir devant la tablette funéraire de son épouse, quatre ans plus tard.
"Ce qui doit arriver arrivera"

Je me suis agenouillé devant des dizaines de statues, j'ai procédé à des centaines de cérémonies, j'ai prié les kami de m'assister des milliers de fois. Et comme de juste, j'ai toujours conservé le sentiment que par rapport à mon frère ainé, je ne comprenais rien. Des années d'étude, des heures innombrables à méditer sur le Tao ou à communier avec les éléments.
Et ma sagesse n'a jamais pu rivaliser avec la sienne. Jamais.
Jamais ne n'ai pu égaler sa sérénité lorsqu'il se contentait d'un haussement d'épaule à peine perceptible avant de dire "ce qui doit arriver arrivera". Son acceptation d'une multitude de choses qu'il vivait, ressentait ou pressentait.
Je n'ai jamais éprouvé de jalousie à son égard mais il m'a souvent laissé perplexe. Il n'a jamais été parmi les meilleurs guerriers de sa promotion, ni un homme particulièrement érudit ou intelligent. On ne le remarquait pas pour son esprit, ni pour son courage, son éloquence ou ses talents à l'épée.
Mais qu'il soit en colère, qu'il soit au bord des larmes ou simplement las de l'existence, tout le monde savait que rien ne pouvait détruire ce noyau de sérénité, cette part de lui qui vivait toute entière à travers ces mots si souvent répétés.

Dans la vie d'un samurai, même d'un samurai du Dragon, être un homme qui n'a comme seule qualité que sa sérénité ne suffit pas. Le monde se rappelle sans cesse à notre attention et d'une manière ou d'une autre, quoi que nous prétendions à ce propos, nous devons marcher dans le même sens que lui. Tenir compte des mêmes impératifs que les autres hommes. Tout mysticisme mis à part et en dépit de certains contes populaires, nous ne sommes pas différents d'eux.
C'est ainsi que mon ainé est finalement devenu mon subordonné, lorsque l'on me confia une escouade de guerriers que je devais mener contre nos voisins du Lion. Mes propres mérites étaient plus facile à cerner et surtout plus utiles au Dragon que ceux de Sanosuke. Comme dit le sage, il est futile de s'attacher à la beauté du parquet quand votre maison brûle.

Au risque de décevoir certaines personnes, je dirais que notre réputation sur le champ de bataille est quelque peu surfaite. Certes, notre école forme de talentueux combattants. Certes nos shugenja ont peu de rivaux dans leur compréhension des kami du feu et des préparations alchimiques. Mais il n'en demeure pas moins que nous sommes bien moins souvent en guerre que le clan du Lion. De la même manière que le dragon qui sommeille trop longtemps au fond de l'eau finit par devenir le déjeuner des poissons, une vertu guerrière qui n'est pas entretenue par le conflit finit de génération en génération par s'émousser. On affute les sabres mais ils sont de peu d'intérêt si ceux qui les manient eux ne sont pas affutés par la guerre.
Notre isolationnisme est notre pire ennemi. Ceux qui nous dirigent depuis des siècles le savent bien et ils ont des raisons, que je ne connaitrais jamais, pour agir ainsi. Bien sûr, nous profitons de notre retrait du monde pour approfondir certaines questions d'ordre spirituel que les vies trop intenses des autres hommes les empèchent de poursuivre. Mais lorsque les armées d'un ennemi plus tenace, plus expérimenté et plus résolu que vous déferlent jusqu'à votre porte, la sagesse et la sérénité acquises au cours des siècles ne vous sont que d'un maigre secours. Elles vous permettent simplement d'accepter l'inévitable.

C'est dans cet état d'esprit que je me trouvais juste avant la bataille. Je l'avoue sans honte, nous pensions mourir et surtout, nous pensions que nos morts seraient inutiles car les guerriers du Lion poursuivraient leur route en piétinant nos cadavres.
Nous étions cependant des samurai et ceux dont nous sommes les héritiers n'ont jamais reculé alors nous n'avons pas reculé non plus. Dragons ou Lions, il y a des choses avec lesquelles nous ne saurions transiger.
Ils ont bien failli nous vaincre. Les guerriers Akodo, le regard froid et résolu, le bras assuré. Une maitrise de chaque frémissement du corps, une précision dans chaque geste, une discipline mentale et physique qui valent toute la vigilance permanente et toutes les astuces que nos guerriers ont hérité de Mirumoto-sama.
Deux forces façonnées de manière très différentes se sont ruées l'une contre l'autre… et celle dont le fil était le plus affuté a bien failli surpasser l'autre.

Jusqu'à ce que mon frère qui se tenait à mes côtés se tourne vers moi et me dise, sans la moindre émotion.
"Ce qui doit arriver arrivera".
Il s'est détourné et il a couru vers les guerriers du Lion. Nous avons à peine entraperçus ses sabres sortir de leurs saya mais j'ai vu le regard des Akodo lorsque d'un seul coup, une tempète d'acier s'est abattue sur eux.
J'honore la mémoire de ces hommes qui n'ont pas fléchi. J'ai entrevu la peur dans leurs yeux mais leur volonté, leur discipline, n'ont pas laissé cette peur prendre le pas sur leur honneur.
J'imagine leur surprise au moment ou ils allaient saisir la victoire mais elle est sans commune mesure avec la notre.

Sanosuke, effacé et imperturbable, s'est jeté au cœur de la mélée le sourire aux lèvres et on aurait pu croire qu'une armée entière déferlait à travers les rangs du Lion. De mémoire d'homme, aucun Mirumoto n'a jamais pu accomplir une telle prouesse qui mérite de figurer avec celles du guerrier légendaire qui partit sans espoir de retour en compagnie des autres Tonnerres. Le talent, la pratique ne sont rien de plus que des moyens. En fin de compte, c'est la qualité de l'âme qui leur donne corps.

Sanosuke les a tous tués, avec une facilité déconcertante, comme si leur combat n'était qu'une chorégraphie arrangée à l'avance. Mais même le dernier des guerriers Akodo n'a pas montré sa peur lorsqu'il est tombé. Je n'oublierai pas ces samurai car même s'ils furent nos adversaires, ils n'étaient pas nos ennemis.

C'est à ce moment là, juste après leur défaite, que j'ai compris. Que toute la vie de Sanosuke s'est concentrée en un seul instant pour se concrétiser enfin.
Quand il est revenu vers nous, avec quelque chose de nouveau dans le regard. Il s'est approché de moi et doucement, il a rengainé ses lames avant de sortir les saya de sa ceinture pour me les tendre.
J'ai pris les deux épées de mon frère, sans un mot.
Lorsque nous l'avons vu tourner son regard vers les montagnes dont les sommets sont à jamais dissimulés à nos yeux par les nuages, il était évident qu'il n'y avait rien à dire.
Sanosuke est parti sans rien ajouter, sans se retourner. Sa légende lui survivra longtemps mais jamais nous ne le reverrons.

Le Premier Pas tue tes parents, disent les ise-zumi à propos de la quête de l'illumination.
Mirumoto Sanosuke est mort aujourd'hui, sur le champ de bataille.

Un jour, il se peut que je croise un homme au crâne rasé, au corps tatoué, avec un visage qui sera identique au sien. Mais cet homme portera un autre nom, il ménera une autre vie. Nous n'aurons plus rien à nous dire.

Il se peut aussi que cet homme ne descende jamais de la montagne, qu'il demeure jusqu'à son dernier jour dans un endroit que seuls ceux qui y sont invités peuvent trouver. Et nous ne pourrons plus rien nous dire.

Je ne peux deviner de quoi l'avenir de l'homme qui est mort aujourd'hui sera fait. S'il descendra un jour de la montagne ou pas. Si nous nous croiserons à nouveau.
Je ne peux deviner si le fait que nous soyons témoins de sa métamorphose est important pour nous ou pas. Si dans cet évènement réside quelque leçon secrète qui nous est destinée ou s'il ne concerne que l'homme qui était autrefois mon frère.
Mais dans le fond, cela n'a aucune importance, n'est ce pas ?

Ce qui doit arriver arrivera.

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Kzo
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Message par Kzo » 07 nov. 2006, 16:16

classe. :)
"Je suis un gentil, j'ai que des amis et plus d'ennemis :mal:"

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Pénombre
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Message par Pénombre » 07 nov. 2006, 16:17

merci :)

mais y a un sujet pour les commentaires par auteur ;)

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Kyorou
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Message par Kyorou » 07 nov. 2006, 16:17

Très sympathique, trouve-je.

EDIT : oups... pardon.
In wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies.
Winston Churchill

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