Message
par matsu aiko » 04 juin 2010, 14:59
(suite de la scène dans les appartements privés de Kitsune Ryokan Saya)
Juste après les tintements des clochettes, il y eut un long bruissement – le bruit des feuilles d’une forêt un jour de grand vent, ou des feuilles de papier s’éparpillant toutes ensemble dans une pièce sous l’effet d’une bourrasque soudaine.
Alors qu’elle se réjouissait déjà de voir celui qu’elle appelait de ses vœux, une main glacée étreignit le coeur de la favorite. Elle frissonna. Non, ce n’était l’Empereur qui venait lui rendre visite à l’improviste.
Dans le long passage menant au clos des glycines, arrivait l’impératrice, accompagnée de tout son entourage, comme une armada de somptueux vaisseaux tendus de soie et d’or glissant sur les tatamis.
Elle approchait du pavillon et Fuji-hime ainsi que Saya durent presser le pas afin de pouvoir les accueillir.
C’est donc légèrement essoufflée que la jeune femme accueillit son impériale visiteuse. Derrière elle, les servantes affectées à son service s’étaient déjà inclinées front contre terre.
Elle s’inclina profondément à son tour. Malgré la présence rassurante de Saya à ses côtés, une sensation désagréable parcourut son ventre.
L’incident de ce matin, et maintenant cette visite impromptue…était-ce une simple coïncidence ?
Heureusement, l’invasion de grenouilles semblait jugulée.
Cette illusion réconfortante ne dura que quelques secondes.
Un « côa » incongru se fit entendre. Fuji-hime eut le temps de voir un éclair de peau vert vif, avant que la servante qui l’avait laissé échapper ne récupère le batracien indigné, les joues écarlates de confusion, tout en se reculant précipitamment.
Alors que la grenouille émettait un nouveau coassement, à demi-étranglé, le sourcil de l’impératrice se haussa d’un demi millimètre. Derrière elle, les dames de compagnie échangèrent des sourires entendus et des gloussements étouffés derrière leurs éventails peints.
L’impératrice inclina gracieusement la tête, saluant poliment la favorite. Le silence se fit immédiatement.
Cette dernière se mit aussitôt en devoir d’accueillir l’impératrice comme l’exigeait le protocole.
Front au sol, les mains posées devant elle, d'une voix qu'elle voulut claire, elle articula :
- Hantei Kokiden-hime, le pavillon des glycines s'éclaire de votre présence et vous me voyiez honorée de votre visite.
Les dames derrière elles inclinées, front au sol, murmurèrent dans un parfait écho :
- Nous souhaitons la bienvenue à l'Impératrice Hantei Kokiden-hime.
Puis toute la galerie resta immobile, attendant l'auguste parole.
- Je vous remercie de votre accueil, Otomo Fuji-hime. Il y a longtemps que je souhaitais vous rendre visite, et je déplore que les charges de la cour ne nous aient pas donné l'occasion de nous entretenir depuis votre arrivée.
Le charme de votre présence est en parfaite harmonie avec ces lieux.
- Arigato gozaimasu, Votre Altesse.
Sans se retourner, l'impératrice poursuivit :
- Miya Katsuko-san, veuillez procéder, je vous prie.
De la suite se détacha une dame de compagnie un peu plus âgée que les autres, au chignon planté de trois longues aiguilles ouvragées. De petite taille, plutôt ronde, son visage poupin et son sourire convenu contrastaient avec des yeux clairs au regard aigu, qui ne manquaient rien.
- Vous pouvez vous relever, Fuji-hime.
Fuji-hime ne savait pas très bien que penser de cette visite impromptue. D'un autre côté, étant donné son rang, l'impératrice pouvait agir comme bon lui semblait, de jour comme de nuit. Quelles intentions devait-elle lui prêter ?
Il fallait avouer qu'avec tout ce qu'elle avait entendu, il y avait de quoi se poser des questions. Elle se releva dignement
- Je dois inspecter vos appartements, Fuji-hime, susurra la dame de compagnie d'une voix aussi poisseuse que de la glu, tout en s'inclinant profondément devant la princesse.
La requête lui fit l'effet d'une gifle cinglante mais elle n'offrit qu'un "hai" soumis en réponse
Son jeune âge, son arrivée récente, à part Saya, aucune de ces femmes ne se serait rangée à ses côtés, elle le savait. Elle n'avait plus qu'à obéir
- Après vous, je vous prie, indiqua poliment la dame de compagnie.
La jeune princesse suivie de Saya précéda la procession jusqu'à ses appartements en priant pour que les servantes aient attrapé toutes les grenouilles et que leur passage ait été effacé
Le coeur battant, Fuji-hime s'avança. Elle entendait derrière elle le trottinement de la dénommée Katsuko. Celle-ci inspecta l'antichambre, puis le salon, le boudoir, la salle d'eau, et enfin la chambre. Elle alla jusqu'à soulever la couverture de soie.
- Veuillez ouvrir ce coffre, je vous prie.
Kitsune Saya s'avança et ouvrit le coffre de sa maîtresse une lueur de colère dans le regard.
Comment osait-on traiter la princesse ainsi !
La dame de compagnie souleva les kimono et les combinaisons soigneusement pliés du bout de son éventail, avant de les laisser retomber négligemment.
Fuji-hime rata un battement de coeur. Là, dans le coin, il y avait encore des traces humides. Impossible que son accompagnatrice les ait manquées.
Une goutte de sueur coula le long de sa colonne, puis son cœur se mit à battre la chamade. Quand elle voyait ce dont étaient capables ces femmes, qu'allait-elle dire ou soutenir à son Altesse ?
Après avoir fait ouvrir tous les placards et cloisons, la petite Miya sembla satisfaite et s'éventa la figure.
- Merci Fuji-hime, nous en avons terminé.
N'osant y croire, la jeune femme s'inclina sans un mot.
Elles revinrent vers l'entrée des appartements, où l'impératrice attendait avec toute sa suite, aussi immobile et hiératique qu'une statue;
Docilement, la jeune femme les suivit, elle devait malgré sa honte offrir un visage lisse à celle qui ici régnait en maître.
A nouveau, la petite dame de compagnie s'inclina, d'abord devant l'impératrice, puis devant la princesse.
- Tout est en ordre, Hantei Kokiden-hime. Mis à part quelques grenouilles, il n'y a pas de trace de présence mâle hormis celle de votre céleste époux, commenta-t-elle avec satisfaction.
Les joues de la princesse rosirent de honte sous cette annonce humiliante. Qu'avait cru l'impératrice ? Qu'elle recevait des hommes ? Qu'elle avait les faveurs de courtisans jeunes et plein de force. Cette idée lui souleva le coeur.
Fuji-hime avait les doigts qui tremblaient dans ses longues manches, son coeur se serra.
Sans paraître noter sa réaction, l'impératrice inclina la tête.
- Très bien. Ce sera tout, Katsuko-san.
Puis elle s'adressa avec affection à la jeune femme.
- Puisque nous en avons terminé avec ces désagréables formalités, me feriez-vous l'honneur de m'accueillir dans votre pavillon, Fuji-hime ?
- Avec grand plaisir, Votre Altesse. Je vous en prie, dit la jeune dame qui ne voulait en aucun cas prendre l'initiative de guider son hôte. Cela aurait été mettre un pas en avant et personne ne pouvait devancer ou marcher aux côtés de l'épouse impériale officielle.
L'impératrice s'avança de son pas glissé, sa longue traine brodée d'or dans son sillage. Les dames de compagnie se rangèrent, parfaitement alignées, dans l'antichambre. Les gardes restèrent à l'extérieur.
La jeune princesse n'avait jamais été aussi angoissée de sa vie. Quel contraste avec les visites de l'Empereur. Elle avait l'impression qu'on allait lui broyer la cage thoracique.
Cependant son éducation prit le dessus et elle se comporta en tout point correctement avec l'étiquette et avec prévenance envers celle qui devait la considérer comme sa rivale
Elle n'ignorait pas sa ressemblance avec la concubine qui lui avait ravi son époux deux décennies auparavant.
Elle laissa l'Impératrice prendre possession de son pavillon, figer son personnel dans une obéissance craintive, l'image de l'Empereur l'aida à se reprendre.
Une servante s'approcha du shoji pour le refermer derrière le passage de la princesse.
Dernière modification par
matsu aiko le 06 juin 2010, 22:33, modifié 1 fois.