[Méthode] Premier scénario d'un groupe

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JBeuh
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[Méthode] Premier scénario d'un groupe

Message par JBeuh » 19 avr. 2009, 12:18

Bonjour,

Je lisais avec attention quelques discussions, quitte à revenir loin en arrière, et je suis tombé là-dessus, à propos d'un scénario pour débutants

Tout cela fait écho à une discussion que j'avais dernièrement sur ce qui faisait un bon scénario de départ pour un groupe.
Que je précise un peu : il peut s'agir d'une future campagne, mais le fil directeur n'est pas obligatoirement déterminé (l'optique "simple" : on fait des scénars ensemble et ils proviennent de différentes sources, type série télé ; l'optique "travaillée" : il existe une trame de fond, avec une intrigue principale qui va crescendo, type saga, série à format court, roman épique...) ; le groupe peut comporter des habitués de L5A mais pas exclusivement ; il faut souder le groupe de personnages, pour qu'ils aient une raison de faire un second scénario ensemble ; il faut aussi que ça plaise à tout le monde ; et il ne faut pas oublier l'étincelle typique de L5A.

Alors je vois souvent des personnes appeler de leurs voeux les scénarios de tournois. D'autres s'y opposer immédiatement. Outre le coté stéréotypé (et éculé) du tournoi, ce dernier a l'avantage d'offrir un motif de rencontre de plusieurs personnages de clans divers.

Que faites vous pour souder un groupe dans son premier scénario ? Quelle trame appréciez-vous ? Quels outils ?
En tant que joueur, qu'est-ce que vous attendez, qu'est-ce que vous aimeriez rencontrer ?

En bref : comment introduisez-vous vos joueurs à vos parties de L5A ?

Parce qu'une bonne introduction, c'est indispensable.

JBeuh, qui interroge...

Hida Matsuura

Message par Hida Matsuura » 19 avr. 2009, 12:50

Hier soir, j'ai vu "Dans la brume électrique".

Et une anecdote du film m'a donné une idée pour commencer une campagne.

Le premier scénario, celui d'introduction, est un scénario catastrophe d'action. Très simple : une tornade ravage l'endroit où sont les PJ. panique, stress, sauvetages, blessés, survie, confrontation aux éléments, etc. Il y a largement de quoi faire un premier épisode, en induisant au passage des éléments de L5A (relations samurai/heimin, importance des ancêtres, qu'est-ce qui compte quand on perd tout, etc.)

Le second scénario permet d'embrayer sur à peu près n'importe quoi : le village/kyuden panse ses blessures. Mais les PJ, en inspectant les décombres et les ravages à l'extérieur, se rendent compte que la tornade a mis à jour "quelque chose" : quelque chose (ou quelqu'un) d'enterré là depuis longtemps. Et ça faire ressurgir une veille affaire enterrée, au propre comme au figuré.

Ça peut lancer sur à peu près tout et n'importe quoi : famille mineure éliminée, un sabre ancien aux implications multiples, le corps d'un samurai prestigieux disparu, un objet maudit, des traces de présence gaijin dont personne n'a jamais entendu parler, etc.

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Isawa Yoshimitsu
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Message par Isawa Yoshimitsu » 19 avr. 2009, 15:31

Personnellement, je dirais que dans l'optique "trame", c'est le background qui peut etre un tres bon liant : les PJs se sont deja rencontres par le passe (par forcement tous ensemble : tu peux avoir eu plusieurs rencontres "2 par 2" et te retrouver avec un phenomene ou 2 pjs sont sur un truc, l'un dit a l'autre "untel on peut l'embarquer dans l'histoire, je le connais, il est fiable" etc) ; les Pjs cherchent a resoudre le meme mystere (et se retrouvent a avoir interet a collaborer ; le mystere en question etant generalement l'une des pistes de fond de ta trame) ; un PJ est charge d'enqueter/espionner un autre PJ : plus dangereux certes, mais cela donne une raison pour que le PJ "espion" se greffe au groupe. Etc.

Sinon, tu as les bons vieux classiques d'intervention exterieure : catastrophe comme dit Matsuura, mais aussi legion imperiale, tournoi, caravane Miya, cour d'hiver ou d'ete, festival... qui permettent d'amener a ce que les pj soient au meme endroit avec une "vrai" raison. Puis une fois sur place, il suffit de faire en sorte qu'ils tombent sur la meme histoire par differents bouts, se retrouvant a devoir collaborer pour pouvoir reussir a comprendre ce qui se trame sur place (genre ils ont besoin de recouper leurs infos).

Enfin, tout cela depend bien entendu des joueurs : pour que la sauce prenne bien, il faut en general que ces derniers fassent un minimum d'efforts pour aller en direction de la creation d'un groupe. Si tu as un joueur qui fait de l'"anti-jeu", tu es oblige de forcer un peu plus la main (ordre d'un superieur, chantage d'un ennemi etc) pour l'integrer dans le groupe. Neanmoins, il est bon que les joueurs n'aient pas a aller contre le jeu pour creer le groupe aussi si on veut etre un minimum realiste, et leur donner des raisons d'etre ensemble sans que ce soit juste "on est des PJs, voyageons ensemble".

Mes 2 zenis,

Yoshi

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Message par Hida Uruku » 19 avr. 2009, 15:58

notre MJ a utilisé nos ancêtres pour nous soudés. l'un des joueurs ( la Akodo ) est capable de "voir" les ancêtres des joueurs. Un par un ou deux à deux ( le kuni et mon hida lié au shugenja par un serment de protection ), le moto et moi dont nous savions que l'histoire de nos familles étaient liés ( avantage ancêtres en commun, ils avaient participés à la même bataille et nos familles en avaient gardé souvenirs ), le bayushi (libéré une parties plus tard dans les geôles d'une secte ), la Akodo nous a révélée ce lien qui nous liait.
Par le lien karmique et cette histoire, ce passé commun qui nous unissait à travers nos ancêtres, nous avons tout de suite cherché à nous connaitre et à savoir pourquoi les fortunes nous réunissaient plusieurs générations après que nos ancêtres aient combattus ensemble.

c'est très karmique comme méthodes mais ça a soudé le groupe très efficacement tout en nous initiant à cet aspect très important de L5a : le culte des ancêtres.

Boujou :crabe:
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Kocho
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Message par Kocho » 19 avr. 2009, 19:29

En général, quand je commence une campagne, la première question que je me pose, c'est "de quoi va-t-on parler ? " Je veux dire par là, pourquoi cette campagne mérite-t-elle d'être racontée ? En général une bonne histoire (et donc une campagne) c'est une unité d'action : un personnage (ou un groupe de personnage) accomplit quelque chose - par exemple, "Frodo, avec l'aide de ses compagnons, doit détruire l'anneau de sauron et sauver ainsi la Terre du Milieu". Un protagoniste (Frodo et ses compagnons) une action "détruire l'anneau" un résultat "sauver la Terre du milieu".

Bien sûr le Seigneur des Anneaux est bien plus compliqué que cela mais cette simple phrase sous-tend les 1200 pages du bouquins. Donc si on se lance dans une campagne, c'est plutôt bien d'avoir une phrase de ce genre en tête, ça donne du corps à l'histoire.

Note : En JdR on devrait toujours considérer que le protagoniste est le groupe de PJ dans son ensemble, même s'il est parfois possible de donner une position centrale à l'un d'eux (comme dans le Seigneur des Anneaux ou Frodo est central mais où les divers membres de la communauté de l'anneau participent tous à la victoire finale).

Le premier scénario d'une campagne doit pour moi accomplir un certain nombre objectifs :

• donner le climat de la campagne. Généralement ce doit être fait dès la première scène. Une campagne d'horreur sur l'Ombre Rampante devrait commencer sur une description sinistre et inquiétante. Une campagne sur les intrigues de de cour peut commencer sur une discussion entre deux courtisans à bâton rompus pour une affaire d'étiquette. Si les personnages sont présents c'est encore mieux, mais il ne faut pas sous-estimer l'impact d'une courte scène d'introduction (pas plus d'une page A4 typographiée) bien écrite que le MJ peut lire avant de commencer sur les PJ.

• présenter les PJ et permettre aux joueurs d'interpréter immédiatement ceux-ci à travers des conflits et des scènes d'introduction adaptée à chaque personnage. Il faut soigner l'arrivée de chaque PJ (ça peut paraître évident, mais beaucoup de MJ l'oublient) et donner aux joueurs la place de montrer leur personnage en situation. En général, le premier scénario devrait laisser une large place aux intrigues personnelles qui permettent aux joueurs de connaître les autres PJ de la table et à chaque personnage de briller dans son domaine mais aussi de montrer (ou laisser entendre) quels sont les casseroles qu'ils traînent et les problèmes personnels qu'ils auront à surmonter pendant la campagne (dans mon cas, je ne fais jamais sortir les joueurs donc les joueurs en connaissent parfois plus sur les autres personnages que les PJ).

• initier l'action qui lancera la campagne, dire clairement ou selon les cas donner une indice de quel en sera l'objectif (cela peut être plus ou moins subtil).

• présenter l'antagoniste principal de la campagne. Selon moi, plus c'est fait tôt, mieux c'est. L'antagoniste n'a pas besoin d'être là physiquement (tous les antagonistes ne sont pas des êtres physiques) mais sa présence doit être resentie dès le premier scénario.

• Et si les joueurs ne connaissent pas encore bien le monde décrit dans la campagne, il importe d'intégrer cette donnée dans le premier scénario (et dans leur background). Le mieux est en général de commencer sur une petite échelle avec une intrigue dans un environnement limité. Les personnages auront toujours le temps plus tard d'apprendre qu'il existe autre chose par delà la région où il vivent depuis leur enfance.

Ce n'est pas absolu, mais selon moi il faut éviter les scénars d'enquête pour commencer une campagne. Ça peut paraître arbitraire dit comme ça, mais en général, les scénars d'enquête sont plus frustrant qu'autre chose pour présenter son personnage. Les joueurs sentent bien qu'il doivent résoudre une énigme et donc ils n'ont pas le loisir de mettre bien leurs personnages en scène et de les faire exister en eux-même (le mode cogitation est souvent dommageable au mode roleplay), de plus, dans les scénarios d'enquête l'histoire des PJ est généralement moins importante que l'histoire qu'ils cherchent à comprendre. ou à reconstituer. Le premier scénario (et les autres aussi, mais c'est particulièrement important au début) devrait toujours être à propos des PJ eux-même. Plus c'est viscéral et personnel, mieux c'est.

Présenter les personnage,cela veut dire aussi qu'il faut que chaque joueur soit conscient que son personnage n'en est qu'au début du "voyage". En général je suis un ferme partisan des PJ prétirés ou créés en accord entre le MJ et le joueur. Chaque personnage doit avoir sa place dans la campagne, avec un background qui explique pourquoi il est un des "héros" de cette campagne et pas d'une autre (ça n'implique pas qu'il soit héroïque, je prend le terme de héros dans le sens de protagoniste). Un personnage doit avoir des défauts et des problèmes qu'il a besoin de régler. Il doit y avoir quelque chose qui ne le satisfait pas dans sa vie ou tout du moins quelque chose qui doit changer (même s'il est très heureux, peut-être doit-il justement apprendre que les choses changent et que ça fait partie de la vie).

Pour souder un groupe, rien de mieux qu'une menace commune, une expérience traumatisante vécue à plusieurs ou la promesse d'une destinée commune, c'est pourquoi j'ai tendance à poser les enjeux de la campagne dès le premier scénario (et en plus ça donne envie de jouer la suite). A priori, le concept de "jouer un tournoi" me semble trop faible dramatiquement. Mais il y a toujours moyen de contourner ça pour faire de cette situation classique le départ d'une grande aventure (déjouer les attentes est le maître mot dans un tel cas).
"Tout le monde sait l'utilité de l'utile, mais qui sait l'utilité de l'inutile ?"

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Message par JBeuh » 22 avr. 2009, 19:04

Merci pour ces interventions très claires et pertinentes.

Ca permet de se forger quelques idées et des arguments pour mes prochaines discussions.

JBeuh, qui apprécie...

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Irazetsu
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Message par Irazetsu » 23 avr. 2009, 10:39

Très pertinents ces conseils Kocho !

Merci


iraz' qui va chercher un moyen de les utiliser à "bon" escient :evil:
Buy less, play more !

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Tetsuo
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Message par Tetsuo » 29 avr. 2009, 14:47

J'avoue que je ne me préoccupe pas de la formation du groupe, ni de la logique de la réunion des personnages des joueurs dans le scénario.

Une explication simple suffit la plus part du temps et je n'aime pas les histoires avant l'histoire.

Je conçois les scénarios et leurs suites autour d'un groupe, avec une trame pour le premier mais j'adapte en improvisant beaucoup selon les actions des joueurs.

Pour moi le groupe se forme alors sur ses aventures communes et les joueurs ne doivent pas avoir d'autre raison d'être ensemble que celle du plaisir de jouer.

Alors ils feront en sortent que leurs personnages aient des interactions entre eux et se trouvent des atomes crochus, ou pas.

En tant que joueur il me faut au moins un demi scénario pour trouver le ton et la place du personnage dans le groupe. Les personnes que je côtoient sont assez proches de cette vision à l'instinct.

Même si certains jouent souvent le même archétype, les seules parties que j'ai vue échouées par un éclatement du groupe sont celles ou justement le travail préparatoire des personnages avait été important.

Ensuite, d'un point de vue pratique je cherche à plonger les personnages dans une situation où seule la coopération à une chance de fonctionner. J'aime beaucoup le système descriptif des vieux scénario Stawars (exemple Chasse à l'homme sur Tatooine), où les joueurs sont conscient des actions de certains PNJ, et la mise en situation immédiate.

Car rien ne soude autant les joueurs, et leurs personnages, que d'affronter ensemble des dangers.

La traditionnelle bagarre d'auberge à du bon !
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Message par Kocho » 29 avr. 2009, 19:36

Tetsuo a écrit :J'avoue que je ne me préoccupe pas de la formation du groupe, ni de la logique de la réunion des personnages des joueurs dans le scénario.
Il ne s'agit pas tant de logique que de permettre aux personnage d'exister. Pas besoin de trouver quelque chose de complexe, en effet. Mais à force de jouer, on finit par se lasser d'avoir des personnages qui se lancent dans l'aventure, juste parce qu'il faut qu'il le fassent. C'est toujours mieux si cela correspond à un besoin, une nécessité, de leur part, que cela met à l'épreuve les qualités qu'ils croient avoir, ou que cela leur apprend à se connaitre, bref si ça leur permet d'avoir un trajet. Faire des scénarios autour de parangons de vertu qui réussissent toujours leurs quêtes finit par devenir monotone, si c'est la seule chose qui s'y passe. Pour moi derrière un scénario il doit y avoir un thème qui unifie tout et qui est autant une aide à la construction des scénarios qu'à l'improvisation. Ce thème peut être quelque chose comme "l'ambition mène les hommes à leur perte" ou "la justice vaut mieux que la loyauté". Pas besoin d'un truc compliqué ou d'une vérité absolue (en matière humaine aucune vérité ne l'est). Il faut juste que cela soit un thème qui soit important pour le MJ, qui lui tienne à cœur et auquel il croit vraiment.
Une explication simple suffit la plus part du temps et je n'aime pas les histoires avant l'histoire.
Qu'est-ce que tu entends par les histoires avant l'histoire ? S'il s'agit de faire un scénario qui n'a rien à voir avec la trame de la campagne je suis entièrement d'accord. Faire un scénario de tournoi juste parce qu'il faut présenter les PJ, je suis d'accord, c'est pas la peine. Autant faire un scénario qui lance les personnage directement dans l'histoire et pose des enjeux dès le départ.

Mais la présentation de personnage ça peut aussi être une forme d'histoire avant l'histoire si l'on pose des enjeux personnels à chaque PJ. Ça peut être fait en impro (et cela correspond grosso modo à un premier acte de narration classique, c'est à dire à tout ce qui présente les protagonistes avant l'incident déclencheur de l'histoire, mais qui sera vraiment payant au cours de l'histoire elle-même).

Le principe de James Bond ou d'Indiana Jones (créer une scène d'intro où le protagoniste termine sa mission précédente), est parfois très utile pour ça. On commence sur une scène in media res avec des enjeux maximaux, et ça donne tout de suite une idée du type d'aventure qu'on joue. Les joueurs savent que ça va être spectaculaire et ne piaffent pas d'impatience quand ça se ralentit un peu après parce qu'ils ont déjà eu leur scène d'action.
Je conçois les scénarios et leurs suites autour d'un groupe, avec une trame pour le premier mais j'adapte en improvisant beaucoup selon les actions des joueurs.
Je suis un ferme partisan de l'improvisation, mais en revanche, j'ai horreur du style "chronique" qui généralement ne mène à rien. Une bonne improvisation, c'est pour moi une improvisation autour d'une unité de thème et d'action (en clair c'est la capacité de réagir aux actions inattendues des joueurs pour mener à des situations imprévues sans les brider et sans mener à des impasses narratives qui les obligent à résoudre les scénarios d'une façon prévue à l'avance, mais en conservant la direction thématique de l'histoire de la façon la plus naturelle possible). La forme d'impro qui consiste uniquement à permettre aux PJ de suivre leurs envies et à baser toute sa narration sur leurs action, finit souvent en compromis entre les envies différentes des joueurs et aboutit à des parties qui ne sont pas forcément ennuyeuse, mais dont il ne reste pas forcément grand chose après coup à ceux qui les jouent. Tout peut arriver, mais en fait cela ne signifie rien (sauf de temps en temps par pur hasard, et effectivement quand ça arrive on s'en souvient longtemps, mais c'est un peu comme quelqu'un qui lance des flèches au hasard, à un moment ou à un autre il finira par faire un tir spectaculaire).

Donc on assiste à une évolution de personnage en roue libre dans un univers plus ou moins détaillé, mais qui au fond, n'a pas d'unité et dont l'évolution est contingente et ne signifie pas grand chose. Les évènement sont purement déclenchés par action/réaction et donnent l'impression, même s'ils sont improvisés, d'obéir au pur arbitraire du MJ (qui vaut bien le pur arbitraire d'un scénario prédéterminé).
Pour moi le groupe se forme alors sur ses aventures communes et les joueurs ne doivent pas avoir d'autre raison d'être ensemble que celle du plaisir de jouer.
Pour les joueurs, oui. Pour les personnages non. Le plaisir de jouer son personnage est lié en partie à sa pertinence dans l'histoire racontée et aux dynamiques avec les autres personnages de cette histoire (PJ et PNJ). Je ne vois pas pourquoi des personnages voudraient être ensembles juste parce que ça marche comme ça. C'est risquer à terme de ne tourner qu'à la convention et s'empêcher de se renouveler. Dommage pour un médium aussi libre que le JdR.
En tant que joueur il me faut au moins un demi scénario pour trouver le ton et la place du personnage dans le groupe. Les personnes que je côtoient sont assez proches de cette vision à l'instinct.
Il ne faut pas réparer ce qui marche bien. Mais quand on donne des conseils, il faut prendre en compte la possibilité que tous les groupes ne fonctionnent pas de la même façon. Quand je masterise, je cherche une réponse émotionnelle qui est autre chose que "c'était cool, cette partie". Je veux que les joueurs en sortent avec l'impression qu'ils ont vécu quelque chose de spécial, qu'ils n'auraient pas pu vivre autrement, qu'il n'y a pas eu de plage d'ennui, et que le scénario cherchait à parler de quelque chose, qu'il avait une unité. Je pense que beaucoup de MJ ont cette ambition, mais qu'ils ne savent pas forcément comment faire. Avoir des méthodes et ne pas fonctionner purement à l'instinct, ça n'empêche pas le tâtonnement voir l'échec (certains joueurs ne seront pas sensibles à certains thèmes ou résisteront même psychologiquement à certaines situations). Mais quand ça marche, ça donne une profondeur de jeu qui est très satisfaisante et ne donne pas envie de revenir à une forme moins "maîtrisée" (au sens de maîtrise du médium pas de masterisation) de JdR. De plus ça permet des parties très réussie même quand on est moyennement en forme.

Par ailleurs, il existe des principes qui permettent de bien raconter une histoire, (arttention, un principe, ce n'est pas une règle rigide et absolue). Un principe peut être ignoré, mais pour pouvoir le faire avec profit, il doit être connu de celui qui l'ignore. L'approche à l'instinct a du bon. C'est encore mieux de faire une approche à l'instinct en ayant nourri celle-ci d'une dose de connaissance du médium (en l'occurrence des principes de narration qui fonctionnent en JdR).

Cela dit on peut tout à fait apprendre les principes de narration au pur instinct. Mais cela n'empêche pas que les connaitre à l'avance et les lire peut faire gagner du temps (voire aider à formuler une intuition pour mieux l'appliquer à l'avenir).
Même si certains jouent souvent le même archétype, les seules parties que j'ai vue échouées par un éclatement du groupe sont celles ou justement le travail préparatoire des personnages avait été important.
C'est tout à fait vrai. C'est souvent dû au fait que les préparations sont mal comprises. Quand un joueur prépare son personnage en roue libre, il finit par vouloir le contrôler entièrement, au lieu de vousloir le rendre réactif à ce qui se passe autour de lui. C'est le défaut des backgrounds que j'appelle fermés : ceux où le personnage à déjà vécu son trajet ce qui fait que la campagne ressemble à une note de bas de page dans sa vie. Sans parler des backgrounds directionnels où le joueur tente d'imposer une direction à la campagne (genre le background où le joueur veut venger sa familles qui a été assassiné). Ce genre de background ne fonctionnent que si le MJ se sent capable d'intégrer un tel élément au centre de l'histoire, sinon cela ne peut générer que de la frustration.

Il importe de bien faire comprendre aux joueurs que les personnages qu'il créent sont au début de leur trajet. De plus, les personnages sur-préparés ont tendance à provoquer chez les joueurs qui les jouent des attentes sur le monde qui les entoure. En quelque sorte, chaque personnage joue sur une thématique différente et dans un monde différente. C'est un peu comme des musiciens qui prépareraient une improvisation en ayant chacun préparés un thème qu'ils veulent imposer dans l'improvisation : ça ne peut donner que des dissonances.

Un bon background pour moi est un bon compromis entre le pur concept et quelques éléments permettant d'étoffer un personnage. Je préfère un joueur qui arrive avec l'envie de jouer "un grand guerrier dépressif et mélancolique" à un joueur qui arrive avec deux cent pages de background détaillé et un concept de PJ ultra rigide. Mais ça n'empêche pas d'étoffer un peu le concept de départ avec des éléments de backgrounds en rapport avec la campagne...
Car rien ne soude autant les joueurs, et leurs personnages, que d'affronter ensemble des dangers.

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Oui et non. Souder les personnages n'est parfois pas si intéressant que ça et ça peut ne pas être pertinent pour certaines campagnes. Par exemple, on peut vouloir favoriser les conflits au sein d'un groupe (tant qu'ils sont gérés par des joueurs adultes, qui comprennent les limites de l'exercice) car ça rend les parties plus passionnantes et plus humaines (et ça permet au Mj de profiter de beaux moments de roleplay où il n'a pas intervenir, ce qui responsabilise beaucoup les joueurs). En fait souder un groupe à la vie à la mort finit par être un peu lassant. Parfois, il est plus intéressant de créer les conditions de ce que les dramaturges appellent "l'unité des opposés". Des personnages qui dans d'autres circonstances ne se seraient pas adressés la paroles, voire auraient été ennemis, mais qui sont obligés de travailler ensemble à un but commun, et donc peuvent avoir des conflits, mais sont dans l'impossibilité de se décapiter les uns les autres.
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Message par Kakita Inigin » 30 avr. 2009, 11:57

A ce propos, quels autres moyens peut-on utiliser pour rendre les parties plus huamaines, ou les personnages plus compréhensibles, appréhendables, concrets, pour les joueurs ?
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Message par Kocho » 30 avr. 2009, 15:02

C'est une vaste question.

Le premier point, c'est selon moi de créer du conflit. Un conflit, ce n'est pas forcément un affrontement. C'est toute opposition entre plusieurs personnages, qu'il s'agisse de questions insolubles (éthique) de dilemmes (c'est à dire deux possibilités qui sont également inacceptables) ou de simples négociations (un personnage veut quelque chose, un autre veut autre chose et leur interaction permet qu'ils se mettent d'accord en trouvant un moyen terme acceptable pour les deux). Pour que les conflits soient intéressants, il faut qu'ils soient révélateur du comportement et de la psychologie des personnages. Ça implique que les personnages soient bien préparés.

A quoi reconnait-on un bon personnage ? A ces quatre éléments : un but dramatique, un point de vue, une attitude et des changements. Pour créer un personnage solide, il peut être utile de commencer par un "essai libre" portant sur ces points :

• Le but dramatique est tout ce qui fait qu'un personnage se lève le matin. Beaucoup de bons narrateurs créent leurs personnages à partir d'un but dramatique très simple qu'ils tentent d'élever à une dimension universelle. Bien sûr il s'agit peut-être d'un but global (sauver l'Empire par exemple). Mais ce n'est pas intéressant si cela ne rencontre pas ses buts personnels. S'il veut sauver l'empire, il faut voir ce que cela implique au niveau personnel et même inconscient. Peut-être veut-il être considéré comme un héros pour que ses parents qui sont morts sans avoir vraiment pu le connaître, le regarde depuis l'autre monde avec fierté (je dis ça au hasard). Peu importe sa motivation personnelle cardinale, il faut qu'il en ait une. On en devient pas un héros par hasard. Il faut que quelque chose le pousse. Quelque chose qui soit à l'intérieur de lui. Une insatisfaction qui ne sera peut-être jamais comblée. C'est essentiel parce que cela crée du conflit, donc des actions, donc un personnage plus intéressant, mieux dessiné. Si par exemple le PJ est un courtisan mais veut être un héros, il pourrait prendre ombrage des accomplissements d'un autre Pj (bushi) à la table . Cette jalousie pourrait être exprimée par des remarques anodines, puis par un comportement passif-agressif, puis par un conflit ouvert où le courtisan tente de se substituer au bushi dans un combat. Une forte motivation, bien dessinée, empêche le personnage d'être passif et d'être une girouette. A chaque étape, il décide de ses actions en fonction de ce qui le motive essentiellement.

Par exemple un personnage doit combattre un oni qui attaque son daimyo. Personne n'est en vue. Bien sûr le personnage veut sauver son daimyo. Mais il veut aussi autre chose, qui est cardinal dans sa motivation.

Si c'est la gloire, a priori il criera en attaquant et fera beaucoup de mouvements impressionnants afin que beaucoup de gens soient témoins de son exploit et qu'il soit digne d'être raconté.

Si c'est son devoir, a priori il agira avec précision et efficacité, et sans fioriture.

Maintenant, ce qui est intéressant, c'est ce qu'il veut vraiment obtenir – non la vertu à laquelle il souscrit, mais ce qui est sous-jacent à celle-ci dans son éducation, ou son histoire personnelle – cela peut en effet tout changer. Par exemple imaginons qu'il soit un homme de devoir extrême parce qu'il veut convaincre un père méprisant et rigide qu'il a de la valeur.

Il attaquera donc, mais verra peut-être le daimyo comme un "père" de substitution, cherchant ainsi à le convaincre de sa compétence. Le samurai agira donc pour attirer les louanges de son daimyo tout en voulant donner l'impression d'être un homme de devoir. Son comportement sera plus complexe et aura de nombreuses subtilités en fonction de la situation… C'est pourquoi un but dramatique ne doit jamais être tout à fait extérieur. Ce ne peut être "sauver le monde". En revanche ce peut être "vouloir rétablir la justice auquel ses parents n'ont pas eu droit quand il ont été tués à la sortie d'un théâtre" (par exemple…)

• Son point de vue, sa vision du monde, est "ce qu'il tient pour vrai". Il n'y a pas de bien ou mal dans le point de vue. Mais plus le point de vue d'un personnage est déterminé, plus il sera fort. A L5R le point de vue d'un personnage aura à voir avec le bushido, avec sa piété envers les kami, avec sa vertu cardinale, avec sa culture de Clan, mais aussi avec ses croyances personnelles.

Quel est le point de vue du personnage ? Pas sur l'Empereur, pas sur son Clan, mais sur la vie en général. Essayer de voir en quoi son point de vue est en rapport avec ses actions. En quoi son point de vue est en rapport avec son vécu.

Un point de vue est d'autant plus efficace lorsqu'il est exprimé par le comportement. Si un personnage estime que la vertu cardinale est de dire la vérité quel qu'en soit le coût, il est plus intéressant de risquer de faire de lui un paria social lorsqu'il dira à un courtisan que son chapeau est ridicule, que d'essayer d'arrondir les angles dans une telle situation.

Ce qui est bon pour le personnage ne l'est pas pour l'histoire et encore moins pour le joueur.

Un point de vue n'est ni bon ni mauvais, mais, bien joué, il permet des conflits. Car précisément, ceux qui ont le point de vue opposé agiront en fonction, créant ainsi des situation où le personnage peut agir et mettre en valeur sont point de vue. Que le personnage clame haut et fort son point de vue en agitant le doigt, et il s'affaiblit. Qu'il agisse pour défendre son point de vue en suivant un cours d'action déterminé, face à des adversaires qui agissent selon un autre point de vue, que le personnage peut éventuellement comprendre (ce n'est pas obligatoire) mais auquel il ne veut quoiqu'il en soit pas souscrire, et il sera renforcé. Il peut être détesté pour cela, mais il sera admiré en tant que personnage. Un bon personnage est rarement relativiste (il ne croit pas que tous les points de vue se valent et il est prêt à agir, même contre son propre intérêt immédiat, pour faire valoir son point de vue quand les valeurs auxquels il croit sont menacées).

Toute narration est conflit. Comme dit Syd Field (un spécialiste du scénario à partir duquel j'ai adapté un grand nombre de ces conseils) : sans conflit, pas d'action. Sans action pas de personnage. Sans personnage, pas d'histoire. Et ajouterai-je : sans histoire, pas de partie de jeu de rôle. ;)

• L'attitude du personnage est le troisième point à travailler. Cette attitude est "une manière ou une opinion" et se traduit en général par une pose ou une façon de se voir. Être "macho" c'est une question d'attitude. Je suis un dur, je suis meilleur que tout le monde, c'est une attitude (Matsu en l'occurence).

Comprendre l'attitude du personnage, c'est le rendre humain. Les opinions du personnage peuvent créer son attitude, mais contrairement à un point de vue, une attitude peut être bonne ou mauvaise, positive ou négative… Une attitude ne reflète pas forcément les croyances profondes du personnage mais reflète l'image sociale qu'il veut créer, ou qu'il crée malgré lui. Un personnage ayant une profonde capacité à aimer et qui arbore une attitude cynique est toujours plus intéressant qu'un personnage dont l'attitude correspond exactement à la nature. C'est d'autant plus vrai à Rokugan ou le comportement n'est pas dissocié du point de vue par les observateurs. Mais ce n'est pas parce que les rokugani ont cette attitude (justement), que nous, joueurs et MJ devons faire de même. Au contraire nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour créer nos personnages. Un Matsu brutal peut être doté d'une sensibilité à fleur de peau. Son attitude belliqueuse et farouche peut en fait lui servir d'écran pour dissimuler cette sensibilité (c'est un peu comme ça d'ailleurs que je vois Matsu Tsuko).

Parfois il est difficile de séparer le point de vue de l'attitude… Cela n'a pas d'importance. Lorsqu'on crée ou recrée l'essence même d'un PJ, c'est comme une grosse boule de cire qu'on scinde en quatre morceaux différents. Or qui se soucie de savoir si tel morceau est le point de vue ou le comportement. Cela ne fait aucune différence. Si l'on n'est pas sûr qu'un trait de caractère correspond à un point de vue ou à une attitude, ne pas s'inquièter. Il suffit de savoir faire simplement la différence entre les deux concepts dans son esprit pour que ça marche.

Quant au quatrième élément, le changement, c'est un travail qui doit avoir lieu en parties. C'est l'improvisation dynamique entre le Mj et les joueurs qui doit le permettre.

Une fois que l'on a précisé les trois premiers éléments le quatrième sera plus facile à mettre en œuvre, mais il peut être utile d'avoir en tête les points sur lesquels le personnage est capable changer ou de se modifier (qui ont a voir avec le point de vue ou le comportement) et ceux qui constituent sa personnalité durable. En général, il vaut mieux ne pas changer sa motivation sans qu'une révolution se soit opérée dans sa vie, et même dans ce cas, sa motivation ne change que de façon superficielle. Par exemple, un personnage motivé par l'ambition d'entrer à la cour impériale s'apercevra, s'il parvient à son but qu'à présent, qu'il doit gravir une nouvelle montagne : celle de s'y faire une place durable et de se faire remarquer au sein de celle-ci, voir de se faire confier un poste prestigieux – même si un jour il apprend à avoir des désirs moins égoïstes, il est plus efficace de lui faire conserver son ambition mais de la mettre à présent au service d'un idéal.

En clair, les conflits doivent révéler les aspects les plus saillants de la personnalité et permettre que le personnage change, ou en tout cas en donner l'opportunité au joueur qui l'incarne. Un conflit doit surtout éviter d'être statique.

Qu'est-ce qu'un conflit statique ? C'est le pire ennemi du narrateur ou du joueur de JdR. C'est un conflit ou chacun campe sur ses positions et ne peut pas avancer. En réalité ce n'est pas du tout un conflit, c'est juste la version adulte de "Je te dis que si" "Je te dis que non".

Pour raconter une histoire basée sur les personnages, idéalement, toute scène devrait pouvoir changer l'état d'esprit d'un personnage et décrire ce changement, ou en tout cas toute scène devrait avoir comme enjeu la possibilité d'un changement. Par exemple, si un personnage va en voir en autre et qu'il lui parle de son envie de voir le monde et que l'autre personnage lui répond qu'il devrait le faire, qu'il a entièrement raison, la scène est une pure exposition sans conflit. Rien n'empêche apparemment le personnage de faire ce qu'il veut, donc la scène doit durer le moins longtemps possible, le temps de délivrer les informations nécessaires sur l'état d'esprit du personnage et de passer à autre chose. C'est néanmoins maladroit, souvent ennuyeux pour le reste de la table (dont le MJ), et pas très caractérisant (dans un tel cas le mieux ce serait de voir le personnage partir directement, ou bien par exemple discuter avec quelqu'un de toutes les raisons pour lesquelles il ne peut pas partir, sans jamais dire qu'il en a envie mais en le faisant ressentir).

Un conflit statique c'est aussi un état dans lequel le personnage n'est pas actif. Si un personnage perçoit sa vie comme stérile, qu'il énonce sa peine, mais ne fait rien pour changer cet état de fait, il devient un personnage statique. Un joueur peut lui faire dire les répliques les plus déchirante, mais le personnage reste impuissant et statique. Le chagrin n'est pas suffisant pour créer du conflit, on a besoin d'une volonté, d'un but déterminé, que le personnage fasse consciemment quelque chose au sujet du problème pour rendre cet état intéressant. Quand il n'y a pas de développement visible pour le personnage, il en résulte des conflits statiques. Un joueur doit montrer ce qui motive le personnage, même si le personnage ne le sait pas lui-même, pour créer du jeu, et conquérir sa place à la table.

L'humanisation d'une partie de JdR ne passe donc pas seulement par le Mj mais par un effort conscient des joueurs et du MJ. C'est un effort collectif qui est récompensé par une plus grande profondeur, une plus grande satisfaction et permet au JdR d'être un peu plus qu'un passe-temps avec des jets de dé et de nous aider à nous comprendre nous même, le monde qui nous entoure et les comportements humains en général.

J'ai lu récemment un jeu expérimental nommé Carry qui est assez complémentaire de ce dont je parle. Le jeu propose un moyen de jouer les conflits humain comme je ne l'ai jamais vu faire ailleurs. En gros, toute scène joué est automatiquement un conflit, les joueurs commencent chaque scène en métajeu par dire clairement et à voix haute quel est l'enjeu de la scène pour leur personnage. Puis ils font un jet de dé pour déterminer qui obtient son enjeu et la scène est jouée en roleplay en fonction de ce résultat.

Même si je n'estime pas souhaitable de faire entrer le hasard dans ce qui devrait être l'évolution naturelle d'un personnage, je comprends l'idée qu'il y a derrière ce système. Poser un enjeu (qui est parfois inverse de l'intérêt à court terme du personnage) pour une scène c'est précisément ce qui empêche les conflits statiques et les "jump" d'un état à un autre sans explication.

Je pense que chaque joueur devrait se placer ainsi au début de chaque scène : se demander dans quel état d'esprit est son personnage (il peut par exemple être distrait, parce que pour l'instant l'histoire n'a pas vraiment commencé et qu'il revient de son entrainement quotidien). Le joueur part donc du principe qu'il ne donnera pas forcément l'impression d'écouter ce qu'on lui dira. En fonction de l'attitude des autres personnages, il peut adapter son attitude et chacun doit chercher à créer un conflit et à
préciser ses enjeux pour la scène. Je ne parle pas forcément d'un conflit d'opposition nette.

Mais disons que, dans cette scène, le personnage rencontre un PJ courtisan qui, lui, est excité parce qu'il va rencontrer un maître de l'ikebana, le bushi distrait écoute le courtisan lui parler de l'ikebana avec politesse mais sans vraiment s'intéresser. Le courtisan s'en rend compte. A ce moment plusieurs conflits sont possibles pour les joueurs, par exemple et parmi mille possibilités :

– l'opposition directe (c'est bourrin mais parfois utile) le courtisan reproche au bushi de ne pas l'écouter.
– la réaction. Le courtsian s'interrompt et demande au bushi si quelque chose ne va pas.

Selon la réaction le bushi peut changer son fusil d'épaule. Dans le premier cas par exemple, il peut répondre sur le même mode "Si je ne t'écoute pas c'est parce que tu ne dis rien d'intéressant". Le problème c'est qu'on s'achemine souvent dans un tel cas vers un conflit statique, donc lui-même inintéressant, parce qu'aucune des deux positions n'a de raison de bouger (il n'y a pas d'enjeu). Le bushi doit donc poser un enjeu. Il faut qu'il veuille quelque chose pour que le conflit devienne intéressant et dynamique.

Il peut postuler par exemple que son personnage veut mettre fin à la conversation le plus vite possible sans froisser son interlocuteur parce qu'il veut plus tard que celui-ci l'introduise auprès d'une dame de la cour (mais il décide aussi que l'enjeu pour son personnage est de faire ses preuves en tant que courtisan). Il répondra donc sur le mode de l'apaisement mais dira qu'il est attendu. L'autre joueur décide que son personnage veut obtenir le respect du bushi, et qu'il va tenter de l'éblouir par ses connaissances en Ikebana (mais il décide aussi que l'enjeu pour le personnage est de se rendre compte qu'il peut être un raseur). A partir de là la scène porte en elle des enjeux contradictoires sans être bloquée et devient intéressante pour elle-même selon les réactions des personnages.

À la fin le bushi peut être emmené plus ou moins contre son gré voir le maître d'Ikebana (avec tous les impairs qu'il peut commettre et qui seront autant d'obstacles pour ses enjeux), ou le personnage du courtisan peut laisser le bushi partir, et comencer à déprimer parce qu'il se rend bien compte que sa vie est ennuyeuse comparée à celle de l'autre (ce qui est une excellente introduction de début d'aventure pour un personnage). Si les joueurs ne s'enferment pas dans des positions rigides, cela permet même de construire la relation entre leurs personnage pour le reste du scénario.

Ça paraît évident dit comme ça, et c'est souvent fait de façon naturelle sans y réfléchir, mais l'articuler pour chaque scène et le systématiser peut améliorer ce qui fait beaucoup de l'intérêt d'une partie de jeu de rôle : les relations entre personnages et la progression de leurs motivations et enjeux.

Cela étant dit les enjeux d'une scène sont plus intéressant quand le conflit est plus essentiel que dans cet exemple. C'est d'ailleurs là que les joueurs ont tendance à se montrer plus rigides. Pourtant c'est normalement l'occasion de montrer l'évolution de son personnage.

J'ai parlé plus haut du "jump". Un jump c'est un effet de brouillage du personnage par le passage d'un état à l'autre sans transition.

Par exemple :
Personnage A : Je suis venu te dire que tu as tort de vouloir te battre contre C.
Personnage B : J'ai tort, moi ? Il m'a volé mon wakizashi.
Personnage A : Je sais mais c'était parce qu'il en avait besoin.
Personnage B : Besoin ou pas, il m'a déshonoré ce faisant. Il aurait dû s'y prendre autrement.
Personnage A : Peut-être, mais c'est mon ami.
Personnage B : Tu pardonnes donc à tes amis d'agir déshonorablement ?
Personnage A : Non, tu as raison. Ce serait déshonorant. Mon ami a tort, excuse moi de t'avoir parlé durement.
(Et là, la scène est finie)

Le personnage A a sauté sans transition de l'état de colère à l'état d'empathie et de compréhension du point de vue adverse. Le personnage paraît faux. Parce que dès le départ, il va voir un personnage pour lui faire les reproches et dans le même mouvement, est prêt à changer de point de vue quand le personnage B lui donne un argument moral imparable. Le choix était donc entre un conflit statique (si le personnage A était resté sur ses positions) ou un jump.

Le joueur interprétant le personnage A aurait dû se demander avant de commencer ce que son personnage voulait obtenir du conflit avec B. Par exemple le joueur pense que son personnage doit passer du point de vue "On doit toujours soutenir ces amis" à "Être clairvoyant en amitié évite les injustices". Il sait donc qu'il ne peut pas passer en une seule scène de l'un à l'autre car sinon il n'a plus rien à raconter (le changement profond en fait n'arrivera qu'à l'aboutissement d'un certain nombre de transition dans l'état d'esprit du personnage). Le joueur décide donc que l'enjeu de son personnage est ici d'apprendre à voir les défauts de son ami et sa motivation (différente de l'enjeu) est de rencontrer l'homme qui a défié son ami pour lui faire changer d'avis.

Personnage A : Je suis venu pour te dissuader de te battre contre C.
Personnage B : Me dissuader ? Pourquoi ? Il m'a volé mon wakizashi.
Personnage A : Je sais mais c'était parce qu'il en avait besoin.
Personnage B : Besoin ou pas, il m'a déshonoré ce faisant. Il aurait pu s'y prendre autrement.
Personnage A : Peut-être, mais c'est mon ami.
Personnage B : Tu pardonnes donc à tes amis d'agir de façon déshonorante ?
Personnage A : Ce n'est pas à moi de le pardonner. Je suis son ami, je le soutiens.
(Et là, la scène peut continuer si le personnage B essaye de savoir quelles sont les intentions du personnage A, s'il voudra venger son ami au cas où le duel est perdu, etc.)

Ici, la confrontation change le personnage, mais sans qu'il y ait de jump, malgré le fait que les changement soient quasi imperceptibles à première vue. Le personnage commence de façon moins péremptoire, mais sans créer de confrontation inextricable. Et au final, on comprend que le personnage A commence à avoir des doutes sur son ami, mais cela ne génère pas un changement brutal sorti de nulle part. C'est une vraie transition qui pourra l'amener un peu plus tard plus loin dans son trajet personnel, sans pour autant empêcher que son point de vue d'origine continue à être joué.

Dans beaucoup de parties de jeu de rôle, le conflit est trop minimal : il s'agit de découvrir un coupable, de révéler un mystère… pourquoi pas ? mais la plupart du temps trouver la solution ne révèle rien sur les personnages eux-mêmes : d'autres personnages feraient aussi bien dans les mêmes circonstances. Pour qu'un scénario dépasse la simple anecdote et devienne de plein droit une histoire, un conte à plusieurs, il faut mettre en relation l'intrigue et l'évolution des personnage. Une simple enquête devrait avoir des résonances pour chacun des personnages : l'histoire "de fidèles serviteurs d'un daimyo enquêtent sur le meurtre de la geisha préférée de leur daimyo pour découvrir que le coupable est le conseiller du daimyo" est bien moins riche à jouer que "un magistrat Kitsuki honnête et idéaliste (PJ 1), assisté de son yoriki de la famille Mirumoto (PJ 2), amant secret de la geisha favorite (et réservée) de son daimyo, se voient confiés une enquête sur le meurtre de celle-ci, pour finalement découvrir que le coupable est le conseiller préféré du daimyo en question, qui se trouve aussi être le sensei du magistrat Kitsuki. Ils sont aidés dans leur enquête par un duelliste ronin désabusé (PJ 3) bâtard non reconnu d'un samurai de Clan dont la mère était elle-même geisha." Les possibilités de conflits et de dilemmes dans un tel scénario sont tout de suite plus excitantes. Le yoriki Mirumoto devra cacher sa relation avec la geisha lors de l'enquête et cacher son émotion (plus ou moins bien selon les moments). Le magistrat sera tiraillé entre sa fidélité à son sensei et la fidélité à son devoir. Et le ronin, touché par le tragique destin de la geisha qui lui rappelle sa propre histoire, fera peut-être tout ce qui est en son pouvoir (qui ne semble pas bien grand mais à la différence des deux autres il peut agir clandestinement ou de façon plus déshonorante, car il a moins à perdre) pour empêcher les magistrats d'étouffer l'affaire lorsque le vrai coupable sera découvert.

Et si au final, les PJ apprennent que la geisha a été assassinée parce qu'elle est tombée enceinte et que le conseiller voulait empêcher un bâtard potentiellement seul héritier du daimyo de venir au monde, parce qu'il savait que quelqu'un d'autre que le daimyo avait une relation avec la Geisha (mais qu'il a cru suite à quiproquo que c'était son élève, le magistrat, et non le yoriki) chacun des personnage se voit à présent inextricablement et personnellement lié à l'intrigue (même si, dans le cas du ronin, c'est uniquement sous la forme d'une résonance, d'un écho avec son propre background, ce qui fait de lui un personnage apparemment moins central, cependant en fonction du joueur, le MJ pourrait bien être surpris des choix que fera ce personnage qui pourrait bien être en conflit alternativement avec les deux autres - avec le magistrat s'il songe à enterrer l'affaire et avec le yoriki pour avoir été responsable de la situation)... Cette histoire n'est pas encore parfaite (il y manque encore par exemple une idée directrice, c'est à dire un thème central) mais elle a l'avantage de placer directement les PJ au cœur d'un drame humain qui les concerne tous directement. A partir de là, le MJ et les joueurs peuvent aborder des questions telles que le deuil, le conflit entre la justice et la politique, la fidélité en amitié, la condition féminine, l'injustice de la naissance, l'hérédité etc. Toutes sous la forme de conflits et d'actions des personnages (non uniquement comme des idées parachutées au bon vouloir du MJ).

A ce propos, si on veut jouer des parties vraiment humaines et qui mettent l'accent sur les PJ, le nombre parfait c'est 3. 2 ou 4 restent possibles, si le scénario le permet, mais 5 c'est déjà presque trop.

Voilà, désolé, il n'y a pas vraiment de recette miracle. Rendre une partie de JdR plus humaine, c'est avant tout un travail sur soi pour le MJ et les joueurs, ce qui veut dire avoir une envie de JdR qui va plus loin qu'une après midi entre potes à se fendre la gueule en vivant des aventures sympas en buvant du thé ou du coca (ce qui n'est pas un désir condamnable loin de là, mais, juste, comme pour toute activité, on peut aussi vouloir pratiquer le JdR avec l'ambition d'améliorer sa pratique et d'en tirer une meilleure compréhension du monde et de soi-même, sans que cela altère - au contraire - le plaisir qu'on en retire). Il est donc important de jouer (au moins de temps en temps) avec des joueurs qui ont des attentes comparables aux siennes quant au type de JdR qu'on ambitionne de faire.
Dernière modification par Kocho le 12 mai 2009, 18:36, modifié 10 fois.
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Message par Kakita Inigin » 30 avr. 2009, 15:07

je ne regrette pas de l'avoir posée, merci ! :jap:
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Message par Kocho » 30 avr. 2009, 17:01

Kakita Inigin a écrit :je ne regrette pas de l'avoir posée, merci ! :jap:
C'est un peu un survol (même si c'est long) et ça nécessiterait parfois plus d'explication (par exemple je parle du prémisse moral sans trop développer alors que c'est une notion très importante dans mes parties) mais bon c'est déjà un résumé des principes de narration qui permettent d'éviter la routine des personnages conventionnels et qui aident à donner une plus grande densité humaine aux interactions entre personnages (PJ/PJ ou PJ/PNJ). S'il y a des questions, il ne faut pas hésiter.
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Message par Soshi Yabu » 30 avr. 2009, 17:27

Ce topic là, il va falloir limite le mettre en post-it...

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Kakita Kyoko
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Message par Kakita Kyoko » 30 avr. 2009, 18:23

+1
Kocho concurrence Pénombre, c'est pas normal, ça !

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