C'est une vaste question.
Le premier point, c'est selon moi de créer du conflit. Un conflit, ce n'est pas forcément un affrontement. C'est toute opposition entre plusieurs personnages, qu'il s'agisse de questions insolubles (éthique) de dilemmes (c'est à dire deux possibilités qui sont également inacceptables) ou de simples négociations (un personnage veut quelque chose, un autre veut autre chose et leur interaction permet qu'ils se mettent d'accord en trouvant un moyen terme acceptable pour les deux). Pour que les conflits soient intéressants, il faut qu'ils soient révélateur du comportement et de la psychologie des personnages. Ça implique que les personnages soient bien préparés.
A quoi reconnait-on un bon personnage ? A ces quatre éléments : un but dramatique, un point de vue, une attitude et des changements. Pour créer un personnage solide, il peut être utile de commencer par un "essai libre" portant sur ces points :
• Le but dramatique est tout ce qui fait qu'un personnage se lève le matin. Beaucoup de bons narrateurs créent leurs personnages à partir d'un but dramatique très simple qu'ils tentent d'élever à une dimension universelle. Bien sûr il s'agit peut-être d'un but global (sauver l'Empire par exemple). Mais ce n'est pas intéressant si cela ne rencontre pas ses buts personnels. S'il veut sauver l'empire, il faut voir ce que cela implique au niveau personnel et même inconscient. Peut-être veut-il être considéré comme un héros pour que ses parents qui sont morts sans avoir vraiment pu le connaître, le regarde depuis l'autre monde avec fierté (je dis ça au hasard). Peu importe sa motivation personnelle cardinale, il faut qu'il en ait une. On en devient pas un héros par hasard. Il faut que quelque chose le pousse. Quelque chose qui soit à l'intérieur de lui. Une insatisfaction qui ne sera peut-être jamais comblée. C'est essentiel parce que cela crée du conflit, donc des actions, donc un personnage plus intéressant, mieux dessiné. Si par exemple le PJ est un courtisan mais veut être un héros, il pourrait prendre ombrage des accomplissements d'un autre Pj (bushi) à la table . Cette jalousie pourrait être exprimée par des remarques anodines, puis par un comportement passif-agressif, puis par un conflit ouvert où le courtisan tente de se substituer au bushi dans un combat. Une forte motivation, bien dessinée, empêche le personnage d'être passif et d'être une girouette. A chaque étape, il décide de ses actions en fonction de ce qui le motive essentiellement.
Par exemple un personnage doit combattre un oni qui attaque son daimyo. Personne n'est en vue. Bien sûr le personnage veut sauver son daimyo. Mais il veut aussi autre chose, qui est cardinal dans sa motivation.
Si c'est la gloire, a priori il criera en attaquant et fera beaucoup de mouvements impressionnants afin que beaucoup de gens soient témoins de son exploit et qu'il soit digne d'être raconté.
Si c'est son devoir, a priori il agira avec précision et efficacité, et sans fioriture.
Maintenant, ce qui est intéressant, c'est ce qu'il veut vraiment obtenir – non la vertu à laquelle il souscrit, mais ce qui est sous-jacent à celle-ci dans son éducation, ou son histoire personnelle – cela peut en effet tout changer. Par exemple imaginons qu'il soit un homme de devoir extrême parce qu'il veut convaincre un père méprisant et rigide qu'il a de la valeur.
Il attaquera donc, mais verra peut-être le daimyo comme un "père" de substitution, cherchant ainsi à le convaincre de sa compétence. Le samurai agira donc pour attirer les louanges de son daimyo tout en voulant donner l'impression d'être un homme de devoir. Son comportement sera plus complexe et aura de nombreuses subtilités en fonction de la situation… C'est pourquoi un but dramatique ne doit jamais être tout à fait extérieur. Ce ne peut être "sauver le monde". En revanche ce peut être "vouloir rétablir la justice auquel ses parents n'ont pas eu droit quand il ont été tués à la sortie d'un théâtre" (par exemple…)
• Son point de vue, sa vision du monde, est "ce qu'il tient pour vrai". Il n'y a pas de bien ou mal dans le point de vue. Mais plus le point de vue d'un personnage est déterminé, plus il sera fort. A L5R le point de vue d'un personnage aura à voir avec le bushido, avec sa piété envers les kami, avec sa vertu cardinale, avec sa culture de Clan, mais aussi avec ses croyances personnelles.
Quel est le point de vue du personnage ? Pas sur l'Empereur, pas sur son Clan, mais sur la vie en général. Essayer de voir en quoi son point de vue est en rapport avec ses actions. En quoi son point de vue est en rapport avec son vécu.
Un point de vue est d'autant plus efficace lorsqu'il est exprimé par le comportement. Si un personnage estime que la vertu cardinale est de dire la vérité quel qu'en soit le coût, il est plus intéressant de risquer de faire de lui un paria social lorsqu'il dira à un courtisan que son chapeau est ridicule, que d'essayer d'arrondir les angles dans une telle situation.
Ce qui est bon pour le personnage ne l'est pas pour l'histoire et encore moins pour le joueur.
Un point de vue n'est ni bon ni mauvais, mais, bien joué, il permet des conflits. Car précisément, ceux qui ont le point de vue opposé agiront en fonction, créant ainsi des situation où le personnage peut agir et mettre en valeur sont point de vue. Que le personnage clame haut et fort son point de vue en agitant le doigt, et il s'affaiblit. Qu'il agisse pour défendre son point de vue en suivant un cours d'action déterminé, face à des adversaires qui agissent selon un autre point de vue, que le personnage peut éventuellement comprendre (ce n'est pas obligatoire) mais auquel il ne veut quoiqu'il en soit pas souscrire, et il sera renforcé. Il peut être détesté pour cela, mais il sera admiré en tant que personnage. Un bon personnage est rarement relativiste (il ne croit pas que tous les points de vue se valent et il est prêt à agir, même contre son propre intérêt immédiat, pour faire valoir son point de vue quand les valeurs auxquels il croit sont menacées).
Toute narration est conflit. Comme dit Syd Field (un spécialiste du scénario à partir duquel j'ai adapté un grand nombre de ces conseils) : sans conflit, pas d'action. Sans action pas de personnage. Sans personnage, pas d'histoire. Et ajouterai-je : sans histoire, pas de partie de jeu de rôle.
• L'attitude du personnage est le troisième point à travailler. Cette attitude est "une manière ou une opinion" et se traduit en général par une pose ou une façon de se voir. Être "macho" c'est une question d'attitude. Je suis un dur, je suis meilleur que tout le monde, c'est une attitude (Matsu en l'occurence).
Comprendre l'attitude du personnage, c'est le rendre humain. Les opinions du personnage peuvent créer son attitude, mais contrairement à un point de vue, une attitude peut être bonne ou mauvaise, positive ou négative… Une attitude ne reflète pas forcément les croyances profondes du personnage mais reflète l'image sociale qu'il veut créer, ou qu'il crée malgré lui. Un personnage ayant une profonde capacité à aimer et qui arbore une attitude cynique est toujours plus intéressant qu'un personnage dont l'attitude correspond exactement à la nature. C'est d'autant plus vrai à Rokugan ou le comportement n'est pas dissocié du point de vue par les observateurs. Mais ce n'est pas parce que les rokugani ont cette attitude (justement), que nous, joueurs et MJ devons faire de même. Au contraire nous devons utiliser tous les outils à notre disposition pour créer nos personnages. Un Matsu brutal peut être doté d'une sensibilité à fleur de peau. Son attitude belliqueuse et farouche peut en fait lui servir d'écran pour dissimuler cette sensibilité (c'est un peu comme ça d'ailleurs que je vois Matsu Tsuko).
Parfois il est difficile de séparer le point de vue de l'attitude… Cela n'a pas d'importance. Lorsqu'on crée ou recrée l'essence même d'un PJ, c'est comme une grosse boule de cire qu'on scinde en quatre morceaux différents. Or qui se soucie de savoir si tel morceau est le point de vue ou le comportement. Cela ne fait aucune différence. Si l'on n'est pas sûr qu'un trait de caractère correspond à un point de vue ou à une attitude, ne pas s'inquièter. Il suffit de savoir faire simplement la différence entre les deux concepts dans son esprit pour que ça marche.
Quant au quatrième élément, le changement, c'est un travail qui doit avoir lieu en parties. C'est l'improvisation dynamique entre le Mj et les joueurs qui doit le permettre.
Une fois que l'on a précisé les trois premiers éléments le quatrième sera plus facile à mettre en œuvre, mais il peut être utile d'avoir en tête les points sur lesquels le personnage est capable changer ou de se modifier (qui ont a voir avec le point de vue ou le comportement) et ceux qui constituent sa personnalité durable. En général, il vaut mieux ne pas changer sa motivation sans qu'une révolution se soit opérée dans sa vie, et même dans ce cas, sa motivation ne change que de façon superficielle. Par exemple, un personnage motivé par l'ambition d'entrer à la cour impériale s'apercevra, s'il parvient à son but qu'à présent, qu'il doit gravir une nouvelle montagne : celle de s'y faire une place durable et de se faire remarquer au sein de celle-ci, voir de se faire confier un poste prestigieux – même si un jour il apprend à avoir des désirs moins égoïstes, il est plus efficace de lui faire conserver son ambition mais de la mettre à présent au service d'un idéal.
En clair, les conflits doivent révéler les aspects les plus saillants de la personnalité et permettre que le personnage change, ou en tout cas en donner l'opportunité au joueur qui l'incarne. Un conflit doit surtout éviter d'être statique.
Qu'est-ce qu'un conflit statique ? C'est le pire ennemi du narrateur ou du joueur de JdR. C'est un conflit ou chacun campe sur ses positions et ne peut pas avancer. En réalité ce n'est pas du tout un conflit, c'est juste la version adulte de "Je te dis que si" "Je te dis que non".
Pour raconter une histoire basée sur les personnages, idéalement, toute scène devrait pouvoir changer l'état d'esprit d'un personnage et décrire ce changement, ou en tout cas toute scène devrait avoir comme enjeu la possibilité d'un changement. Par exemple, si un personnage va en voir en autre et qu'il lui parle de son envie de voir le monde et que l'autre personnage lui répond qu'il devrait le faire, qu'il a entièrement raison, la scène est une pure exposition sans conflit. Rien n'empêche apparemment le personnage de faire ce qu'il veut, donc la scène doit durer le moins longtemps possible, le temps de délivrer les informations nécessaires sur l'état d'esprit du personnage et de passer à autre chose. C'est néanmoins maladroit, souvent ennuyeux pour le reste de la table (dont le MJ), et pas très caractérisant (dans un tel cas le mieux ce serait de voir le personnage partir directement, ou bien par exemple discuter avec quelqu'un de toutes les raisons pour lesquelles il ne peut pas partir, sans jamais dire qu'il en a envie mais en le faisant ressentir).
Un conflit statique c'est aussi un état dans lequel le personnage n'est pas actif. Si un personnage perçoit sa vie comme stérile, qu'il énonce sa peine, mais ne fait rien pour changer cet état de fait, il devient un personnage statique. Un joueur peut lui faire dire les répliques les plus déchirante, mais le personnage reste impuissant et statique. Le chagrin n'est pas suffisant pour créer du conflit, on a besoin d'une volonté, d'un but déterminé, que le personnage fasse consciemment quelque chose au sujet du problème pour rendre cet état intéressant. Quand il n'y a pas de développement visible pour le personnage, il en résulte des conflits statiques. Un joueur doit montrer ce qui motive le personnage, même si le personnage ne le sait pas lui-même, pour créer du jeu, et conquérir sa place à la table.
L'humanisation d'une partie de JdR ne passe donc pas seulement par le Mj mais par un effort conscient des joueurs et du MJ. C'est un effort collectif qui est récompensé par une plus grande profondeur, une plus grande satisfaction et permet au JdR d'être un peu plus qu'un passe-temps avec des jets de dé et de nous aider à nous comprendre nous même, le monde qui nous entoure et les comportements humains en général.
J'ai lu récemment un jeu expérimental nommé Carry qui est assez complémentaire de ce dont je parle. Le jeu propose un moyen de jouer les conflits humain comme je ne l'ai jamais vu faire ailleurs. En gros, toute scène joué est automatiquement un conflit, les joueurs commencent chaque scène en métajeu par dire clairement et à voix haute quel est l'enjeu de la scène pour leur personnage. Puis ils font un jet de dé pour déterminer qui obtient son enjeu et la scène est jouée en roleplay en fonction de ce résultat.
Même si je n'estime pas souhaitable de faire entrer le hasard dans ce qui devrait être l'évolution naturelle d'un personnage, je comprends l'idée qu'il y a derrière ce système. Poser un enjeu (qui est parfois inverse de l'intérêt à court terme du personnage) pour une scène c'est précisément ce qui empêche les conflits statiques et les "jump" d'un état à un autre sans explication.
Je pense que chaque joueur devrait se placer ainsi au début de chaque scène : se demander dans quel état d'esprit est son personnage (il peut par exemple être distrait, parce que pour l'instant l'histoire n'a pas vraiment commencé et qu'il revient de son entrainement quotidien). Le joueur part donc du principe qu'il ne donnera pas forcément l'impression d'écouter ce qu'on lui dira. En fonction de l'attitude des autres personnages, il peut adapter son attitude et chacun doit chercher à créer un conflit et à
préciser ses enjeux pour la scène. Je ne parle pas forcément d'un conflit d'opposition nette.
Mais disons que, dans cette scène, le personnage rencontre un PJ courtisan qui, lui, est excité parce qu'il va rencontrer un maître de l'ikebana, le bushi distrait écoute le courtisan lui parler de l'ikebana avec politesse mais sans vraiment s'intéresser. Le courtisan s'en rend compte. A ce moment plusieurs conflits sont possibles pour les joueurs, par exemple et parmi mille possibilités :
– l'opposition directe (c'est bourrin mais parfois utile) le courtisan reproche au bushi de ne pas l'écouter.
– la réaction. Le courtsian s'interrompt et demande au bushi si quelque chose ne va pas.
Selon la réaction le bushi peut changer son fusil d'épaule. Dans le premier cas par exemple, il peut répondre sur le même mode "Si je ne t'écoute pas c'est parce que tu ne dis rien d'intéressant". Le problème c'est qu'on s'achemine souvent dans un tel cas vers un conflit statique, donc lui-même inintéressant, parce qu'aucune des deux positions n'a de raison de bouger (il n'y a pas d'enjeu). Le bushi doit donc poser un enjeu. Il faut qu'il veuille quelque chose pour que le conflit devienne intéressant et dynamique.
Il peut postuler par exemple que son personnage veut mettre fin à la conversation le plus vite possible sans froisser son interlocuteur parce qu'il veut plus tard que celui-ci l'introduise auprès d'une dame de la cour (mais il décide aussi que l'enjeu pour son personnage est de faire ses preuves en tant que courtisan). Il répondra donc sur le mode de l'apaisement mais dira qu'il est attendu. L'autre joueur décide que son personnage veut obtenir le respect du bushi, et qu'il va tenter de l'éblouir par ses connaissances en Ikebana (mais il décide aussi que l'enjeu pour le personnage est de se rendre compte qu'il peut être un raseur). A partir de là la scène porte en elle des enjeux contradictoires sans être bloquée et devient intéressante pour elle-même selon les réactions des personnages.
À la fin le bushi peut être emmené plus ou moins contre son gré voir le maître d'Ikebana (avec tous les impairs qu'il peut commettre et qui seront autant d'obstacles pour ses enjeux), ou le personnage du courtisan peut laisser le bushi partir, et comencer à déprimer parce qu'il se rend bien compte que sa vie est ennuyeuse comparée à celle de l'autre (ce qui est une excellente introduction de début d'aventure pour un personnage). Si les joueurs ne s'enferment pas dans des positions rigides, cela permet même de construire la relation entre leurs personnage pour le reste du scénario.
Ça paraît évident dit comme ça, et c'est souvent fait de façon naturelle sans y réfléchir, mais l'articuler pour chaque scène et le systématiser peut améliorer ce qui fait beaucoup de l'intérêt d'une partie de jeu de rôle : les relations entre personnages et la progression de leurs motivations et enjeux.
Cela étant dit les enjeux d'une scène sont plus intéressant quand le conflit est plus essentiel que dans cet exemple. C'est d'ailleurs là que les joueurs ont tendance à se montrer plus rigides. Pourtant c'est normalement l'occasion de montrer l'évolution de son personnage.
J'ai parlé plus haut du "jump". Un
jump c'est un effet de brouillage du personnage par le passage d'un état à l'autre sans transition.
Par exemple :
Personnage A : Je suis venu te dire que tu as tort de vouloir te battre contre C.
Personnage B : J'ai tort, moi ? Il m'a volé mon wakizashi.
Personnage A : Je sais mais c'était parce qu'il en avait besoin.
Personnage B : Besoin ou pas, il m'a déshonoré ce faisant. Il aurait dû s'y prendre autrement.
Personnage A : Peut-être, mais c'est mon ami.
Personnage B : Tu pardonnes donc à tes amis d'agir déshonorablement ?
Personnage A : Non, tu as raison. Ce serait déshonorant. Mon ami a tort, excuse moi de t'avoir parlé durement.
(Et là, la scène est finie)
Le personnage A a sauté sans transition de l'état de colère à l'état d'empathie et de compréhension du point de vue adverse. Le personnage paraît faux. Parce que dès le départ, il va voir un personnage pour lui faire les reproches et dans le même mouvement, est prêt à changer de point de vue quand le personnage B lui donne un argument moral imparable. Le choix était donc entre un conflit statique (si le personnage A était resté sur ses positions) ou un
jump.
Le joueur interprétant le personnage A aurait dû se demander avant de commencer ce que son personnage voulait obtenir du conflit avec B. Par exemple le joueur pense que son personnage doit passer du point de vue "On doit toujours soutenir ces amis" à "Être clairvoyant en amitié évite les injustices". Il sait donc qu'il ne peut pas passer en une seule scène de l'un à l'autre car sinon il n'a plus rien à raconter (le changement profond en fait n'arrivera qu'à l'aboutissement d'un certain nombre de transition dans l'état d'esprit du personnage). Le joueur décide donc que l'enjeu de son personnage est ici d'apprendre à voir les défauts de son ami et sa motivation (différente de l'enjeu) est de rencontrer l'homme qui a défié son ami pour lui faire changer d'avis.
Personnage A : Je suis venu pour te dissuader de te battre contre C.
Personnage B : Me dissuader ? Pourquoi ? Il m'a volé mon wakizashi.
Personnage A : Je sais mais c'était parce qu'il en avait besoin.
Personnage B : Besoin ou pas, il m'a déshonoré ce faisant. Il aurait pu s'y prendre autrement.
Personnage A : Peut-être, mais c'est mon ami.
Personnage B : Tu pardonnes donc à tes amis d'agir de façon déshonorante ?
Personnage A : Ce n'est pas à moi de le pardonner. Je suis son ami, je le soutiens.
(Et là, la scène peut continuer si le personnage B essaye de savoir quelles sont les intentions du personnage A, s'il voudra venger son ami au cas où le duel est perdu, etc.)
Ici, la confrontation change le personnage, mais sans qu'il y ait de jump, malgré le fait que les changement soient quasi imperceptibles à première vue. Le personnage commence de façon moins péremptoire, mais sans créer de confrontation inextricable. Et au final, on comprend que le personnage A commence à avoir des doutes sur son ami, mais cela ne génère pas un changement brutal sorti de nulle part. C'est une vraie transition qui pourra l'amener un peu plus tard plus loin dans son trajet personnel, sans pour autant empêcher que son point de vue d'origine continue à être joué.
Dans beaucoup de parties de jeu de rôle, le conflit est trop minimal : il s'agit de découvrir un coupable, de révéler un mystère… pourquoi pas ? mais la plupart du temps trouver la solution ne révèle rien sur les personnages eux-mêmes : d'autres personnages feraient aussi bien dans les mêmes circonstances. Pour qu'un scénario dépasse la simple anecdote et devienne de plein droit une histoire, un conte à plusieurs, il faut mettre en relation l'intrigue et l'évolution des personnage. Une simple enquête devrait avoir des résonances pour chacun des personnages : l'histoire "de fidèles serviteurs d'un daimyo enquêtent sur le meurtre de la geisha préférée de leur daimyo pour découvrir que le coupable est le conseiller du daimyo" est bien moins riche à jouer que "un magistrat Kitsuki honnête et idéaliste (PJ 1), assisté de son yoriki de la famille Mirumoto (PJ 2), amant secret de la geisha favorite (et réservée) de son daimyo, se voient confiés une enquête sur le meurtre de celle-ci, pour finalement découvrir que le coupable est le conseiller préféré du daimyo en question, qui se trouve aussi être le sensei du magistrat Kitsuki. Ils sont aidés dans leur enquête par un duelliste ronin désabusé (PJ 3) bâtard non reconnu d'un samurai de Clan dont la mère était elle-même geisha." Les possibilités de conflits et de dilemmes dans un tel scénario sont tout de suite plus excitantes. Le yoriki Mirumoto devra cacher sa relation avec la geisha lors de l'enquête et cacher son émotion (plus ou moins bien selon les moments). Le magistrat sera tiraillé entre sa fidélité à son sensei et la fidélité à son devoir. Et le ronin, touché par le tragique destin de la geisha qui lui rappelle sa propre histoire, fera peut-être tout ce qui est en son pouvoir (qui ne semble pas bien grand mais à la différence des deux autres il peut agir clandestinement ou de façon plus déshonorante, car il a moins à perdre) pour empêcher les magistrats d'étouffer l'affaire lorsque le vrai coupable sera découvert.
Et si au final, les PJ apprennent que la geisha a été assassinée parce qu'elle est tombée enceinte et que le conseiller voulait empêcher un bâtard potentiellement seul héritier du daimyo de venir au monde, parce qu'il savait que quelqu'un d'autre que le daimyo avait une relation avec la Geisha (mais qu'il a cru suite à quiproquo que c'était son élève, le magistrat, et non le yoriki) chacun des personnage se voit à présent inextricablement et personnellement lié à l'intrigue (même si, dans le cas du ronin, c'est uniquement sous la forme d'une résonance, d'un écho avec son propre background, ce qui fait de lui un personnage apparemment moins central, cependant en fonction du joueur, le MJ pourrait bien être surpris des choix que fera ce personnage qui pourrait bien être en conflit alternativement avec les deux autres - avec le magistrat s'il songe à enterrer l'affaire et avec le yoriki pour avoir été responsable de la situation)... Cette histoire n'est pas encore parfaite (il y manque encore par exemple une idée directrice, c'est à dire un thème central) mais elle a l'avantage de placer directement les PJ au cœur d'un drame humain qui les concerne tous directement. A partir de là, le MJ et les joueurs peuvent aborder des questions telles que le deuil, le conflit entre la justice et la politique, la fidélité en amitié, la condition féminine, l'injustice de la naissance, l'hérédité etc. Toutes sous la forme de conflits et d'actions des personnages (non uniquement comme des idées parachutées au bon vouloir du MJ).
A ce propos, si on veut jouer des parties vraiment humaines et qui mettent l'accent sur les PJ, le nombre parfait c'est 3. 2 ou 4 restent possibles, si le scénario le permet, mais 5 c'est déjà presque trop.
Voilà, désolé, il n'y a pas vraiment de recette miracle. Rendre une partie de JdR plus humaine, c'est avant tout un travail sur soi pour le MJ et les joueurs, ce qui veut dire avoir une envie de JdR qui va plus loin qu'une après midi entre potes à se fendre la gueule en vivant des aventures sympas en buvant du thé ou du coca (ce qui n'est pas un désir condamnable loin de là, mais, juste, comme pour toute activité, on peut aussi vouloir pratiquer le JdR avec l'ambition d'améliorer sa pratique et d'en tirer une meilleure compréhension du monde et de soi-même, sans que cela altère - au contraire - le plaisir qu'on en retire). Il est donc important de jouer (au moins de temps en temps) avec des joueurs qui ont des attentes comparables aux siennes quant au type de JdR qu'on ambitionne de faire.