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par Pénombre » 07 nov. 2007, 12:08
Je pense que les pages 41 à 44 de Kyuden Asako devraient vous apporter suffisamment de réponses, en attendant les trucs de la troisième édition
pour mémoire et en condensé :
- les shugenja sont des religieux et rien ne leur interdit d'invoquer les kami à la cour mais, parce qu'ils sont religieux on attendra d'eux qu'ils fassent cela de manière cérémonieuse et pompeuse, en étant explicites sur leurs intentions. Le seigneur du coin serait même gravement offensé si son propre shugenja par exemple ne pouvait se joindre à l'invité. L'étiquette suggère même fortement que ce soit le shugenja du seigneur invitant qui prenne la direction des opérations religieuses ou qu'il soit en tous cas partie prenante du processus si la gloire du shugenja invité est supérieure. Rappelons que le moindre sort est une prière et donc un acte qui doit au moins aux yeux du public avoir une dimension spirituelle.
- la parade dont disposent les shugenja un peu plus opportunistes que la moyenne, c'est de lancer leurs sorts furtivement et il y a des règles pour cela. Evidemment, lancer un sort furtivement et se faire prendre est assez proche dans l'idée d'une trahison. Un peu comme de se présenter soit-disant sans arme devant son hôte et qu'on découvre que vous avez un poignard dans votre manche. Quelle que soit l'intention, le symbole est parlant : vous ne faites pas confiance à vos hotes pour veiller sur votre santé physique... ou spirituelle.
Par ailleurs, on ne sollicite pas les esprits (qu'on parle d'Ancêtres, de Kami ou de Fortunes) directement pour solutionner un problème légal. Rien n'empèche de faire des offrandes mais la société distingue depuis longtemps l'offrande faite sans garantie envers les dieux et la prière ésotérique du shugenja qui même si elle s'adresse à une Fortune vise en fait à se concilier un kami élémentaire. C'est à dire une entité qui n'a pas le sens moral des humains.
La meilleure preuve qu'il en soit est que même un shugenja qui trahit son clan et devient ronin voire criminel, même un maho-tsukai conserve presque toujours la possibilité d'obtenir des interventions magiques des kami. Les dieux ont peut être un sens moral similaire à celui des mortels, puisque l'empire est bati à l'image des croyances d'une fratrie divine, mais ils ont aussi une perception de l'univers bien plus ample et difficile à comprendre. D'ailleurs, bien qu'ils aient eu les mêmes parents et aient bati le même empire, on peut difficilement prétendre que les Kami Fondateurs aient été identiques. La nature divine de l'univers reste quelque chose que même le plus orgueilleux des shugenja peut difficilement prétendre appréhender pleinement. Et des gars qui en sont capables vraiment, on en trouve qu'une poignée dans l'histoire de l'empire avec le surnom Naka devant leur patronyme.
Même les Maitres Elémentaires ne peuvent prétendre surpasser les diktats de l'Empereur car la coutume veut que ce soit lui le garant de la vie spirituelle et même de tout l'empire. Rappelons qu'il est aussi le chef religieux suprême et que tous puissants qu'ils soient, les shugenja ne peuvent au mieux que prétendre lui servir de conseillers car malgré sa grande sagesse, le souverain ne peut s'occuper d'un empire aussi vaste en embrassant jusqu'au moindre détail. Par extension, le shugenja est donc théoriquement à la fois assujetti aux volontés divines (et rien n'empèche un mj de lui rappeler sa place dans l'ordre spirituel et magique de l'univers, quoi que disent les règles assez pauvres à cet égard...) mais aussi aux volontés sociales. Il occupe sa place parce qu'il joue un rôle dans l'Empire dirigé par un Empereur foyer de toute la religion. Il n'est pas plus libre qu'un bushi sous prétexte qu'il communie avec les kami, les ancêtres ou les fortunes.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il est doublement plus difficile pour un joueur d'incarner un shugenja qu'un autre personnage, tant que le mj parvient à ne pas oublier qu'un prêtre est avant tout un serviteur de même qu'un samurai et que plusieurs obligations de service peuvent facilement devenir contradictoires.
plus simplement : la vérité des hommes ou celle des kami ? Un shugenja peut prétendre attacher de l'importance à celle des kami en toute bonne foi, mais parce qu'il est samurai, on attendra de lui qu'il serve l'empire et donc son système social. Le problème de l'honneur dans sa dimension tragique (= le seppuku ou l'exil par exemples) n'est pas toujours de savoir que quelqu'un a raison et un autre tort. Parfois, il s'agit simplement de se confronter à ses propres priorités sachant que les autres eux, attendent de vous une réponse socialement acceptable.
Ainsi, même Naka Kaeteru, même le Conseil des Maitres au grand complet ne sont que des mortels subordonnés à l'ordre social. Ils n'en sont pas affranchis. Ils peuvent entendre les Fortunes leur donner des ordres qui vont en conflit avec la société, ils ne peuvent prétendre leur obéir sans en assumer les conséquences.
je vais prendre un exemple idiot mais très parlant tiré de la série télé Shogun : le héros gaijin fait faisander une volaille devant sa porte parce que ça attendrit la viande et lui donne meilleur gout selon lui. L'odeur incommode les voisins et finalement nuit à la respectabilité de sa demeure mais il a explicitement dit qu'on devait laisser le truc là et ne plus lui en parler.
Alors, un vieux serviteur se sacrifie et décroche la volaille. Puis il va s'agenouiller et attend le coup de sabre qui le tue.
L'honneur du héros est sauf puisque ça n'est pas lui qui est revenu sur son ordre mais un serviteur qui a été executé pour cette "trahison".
L'honneur des voisins est sauf puisque personne n'a été obligé d'aller insulter le héros en lui demandant ouvertement de revenir sur son ordre
Même l'honneur du paysan est sauf puisque bien qu'il ait été executé, on lui a tranché la tête avec un sabre alors qu'on aurait pu le crucifier.
Tout le monde réalise ainsi que l'ordre social se maintient en payant un certain prix et que ce prix a été payé par le serviteur. Le héros peut continuer à n'en faire qu'à sa tête en le sachant, ou faire plus attention la fois suivante. C'est sa manière de poursuivre sa vie qui déterminera sa respectabilité dans le regard des autres. S'il envoie ainsi plusieurs serviteurs à la mort, quelqu'un de rang suffisant finira par l'admonester en lui disant qu'on a autre chose à faire que de le laisser priver le domaine de mains encore capables... à lui de comprendre qu'un serviteur a payé pour lui sauver la face et d'en tenir compte
et bien si on remplace les voisins par les Fortunes et le serviteur par un shugenja...